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Paria
Les masses font et peuvent tout !
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Paria
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   Posté le 06-12-2006 à 18:49:06   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Paroles du délégué Zéro de la Commission Sexta de l’EZLN

Le 2 décembre 2006.

COPAI-Mexique.

I. L’Autre Campagne dans le nord du Mexique : décliner Oaxaca en haut et
en bas


Arrestations illégales de centaines de femmes et d’hommes, des dizaines de
disparus, la torture, les fouilles, les coups. Femmes et hommes jeunes,
indigènes, enfants, anciennes et anciens. Bref, le peuple de l’Oaxaca d’en
bas. En haut, la police fédérale préventive, les paramilitaires d’Ulises
Ruiz, les grands médias, la classe politique.

Se taire devant tout cela, ce serait décliner l’Oaxaca dans les termes
d’en haut et, d’en haut, faire joyeusement les comptes... et des comptes
idiots.

Là-haut, en effet, on se précipite pour déclarer que tout est rentré dans
l’ordre et que le "conflit" est sous contrôle parce que les "meneurs" ont
été appréhendés, comme si ce mouvement avait des "dirigeants" qui
pouvaient être achetés ou emprisonnés ou tués. On nous dit qu’il faut
porter nos regards ailleurs. Autrement dit, avoir les yeux fixés sur ce
qui se passe en haut, sur les singeries du pouvoir politique, sur ses
simulacres, sur sa prétention à nous faire croire qu’il commande et
ordonne alors que le véritable pouvoir fixe l’ordre du jour de ses moyens
de communication, de ses commentateurs, de ses locuteurs, de ses artistes,
de ses intellectuels, de ses chefs de la police, de ses chefs de l’armée
et de ses paramilitaires.

Décliner Oaxaca en bas, c’est dire compañera et compañero, c’est
accueillir ceux que l’on persécute, c’est mobiliser nos forces pour que
l’on présente les disparus et obtenir la libération des prisonniers et des
prisonnières, c’est informer, c’est appeler à la solidarité internationale
et au soutien du monde entier, c’est ne pas se taire, c’est dire la
souffrance de ce Sud et préciser qu’elle s’étend dans tout le Mexique et
au-delà des ses frontières des quatre côtés, comme si c’était en bas que
l’on nomme, que l’on dit, que l’on écoute et que l’on vit ces souffrances.

Oaxaca se répand en douleur, mais aussi en lutte. Des morceaux de ce
peuple se distribuent tel un puzzle sur l’ensemble du territoire national
et au-delà de limites géographiques plus ridicules que jamais, en tout cas
au Nord.

Pendant les deux mois que nous avons mis à parcourir le Nord mexicain,
l’Oaxaca surgissait à tout bout de champ. Il s’habillait de douleur et de
rage. Et il nous parlait et nous regardait.

Et l’Autre Campagne écoutait et écoute et elle tend les bras comme les ont
tendus en solidarité avec l’Oaxaca les extrémités zapatistes qui
paralysèrent en deux occasions les routes du Chiapas et celles des Autres
dans le moindre recoin du Mexique d’en bas. Et comme l’ont fait toutes les
autres et tous les autres dans le monde entier. Comme ils tendent les bras
maintenant, comme ils continueront de le faire même si personne ne tient
les comptes, si ce n’est le miroir fragmenté que nous sommes, nous qui ne
sommes personne.

Devant Oaxaca, pour Oaxaca et par Oaxaca, nous disons :

COMMUNIQUÉ DU COMITÉ CLANDESTIN RÉVOLUTIONNAIRE INDIGÈNE-COMMANDEMENT
GÉNÉRAL DE L’ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE.
MEXIQUE.

Le 2 décembre 2006.

Au peuple mexicain,
Aux peuples du monde,

Frères et Sœurs,

L’attaque dont a été victime notre peuple frère de l’Oaxaca ne peut être
ignorée par quiconque se bat pour la liberté, la justice et la démocratie
dans le moindre recoin du globe.

C’est pourquoi l’EZLN appelle toutes les personnes honnêtes du Mexique et
du monde entier à manifester dès maintenant leur solidarité et leur
soutien avec le peuple de l’Oaxaca, et à exiger :

Que l’on présente vivants les disparus ; la libération des personnes
emprisonnées ; la destitution d’Ulises Ruiz et le départ des forces
fédérales de l’Oaxaca, et que les coupables des tortures, des viols et des
meurtres soient châtiés. En somme, rien moins que la liberté, la
démocratie et la justice pour le peuple d’Oaxaca.

Nous appelons les participants à cette campagne internationale à dire, de
toutes les manières et dans tous les endroits possibles, ce qui s’est
passé et continue de se passer dans l’Oaxaca, chacun à sa façon, en son
temps et là où il se trouve.

Nous appelons à culminer ces actions par une mobilisation mondiale pour
l’Oaxaca le 22 décembre 2006.

Le peuple de l’Oaxaca n’est pas seul. Il faut le dire et le démontrer. Le
lui démontrer et le démontrer à tout le monde.

Démocratie ! Liberté ! Justice !

Sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, décembre 2006.

II. 45.000 kilomètres en (Autre) campagne

La première étape de l’Autre Campagne a fait parcourir à la Commission
Sexta de l’EZLN près de 45.000 kilomètres (47.890, selon quelqu’un qui a
fait le compte) en long et en large du territoire de ce que nous pouvons
désormais nommer, en connaissance de cause, d’effet, et de but, l’Autre
Mexique, celui d’en bas.

Ce que nous avons vu et écouté n’a pas fait que démonter cette fiction de
31 États plus un district fédéral – étant donné que nous avons rencontré
des compañeras et des compañeros d’au moins 35 entités : les 32 de la
géographie instaurée d’en haut, plus la région de la Lagune, la Huasteca
et cette chose qui prend forme et identité propre au nord du Rio Bravo.

Non, ce qui meut l’Autre Campagne est si grand qu’il ne tient pas à
l’intérieur des frontières. Au nord du Rio Bravo, il y a aussi un Mexique.

"Nous ne perdrons jamais. Nous sommes là. Nous serons toujours là", dit
une petite fille chicano qui sait de quoi elle parle.

Nous avons écouté et nous avons vu de nombreux Mexiques, de couleurs et de
langues distinctes, et qui empruntent des chemins différents. Avec eux,
nous avons pu nous rendre compte qu’ils sont tous un quand ils déclinent
la douleur et font agir la rébellion.

À pied, à moto, à cheval, à bicyclette, en voiture, en train et en bateau,
nous avons parcouru 45.000 kilomètres au cours d’une campagne très autre,
et, pour employer les termes d’une femme indigène raramuri de la Sierra
Tarahumara, "nous avons vu la maladie et là, nous avons trouvé le remède".

La douleur y a brillé de ses propres feux et l’arbre de la résistance a
commencé à scintiller, qui plonge loin ses racines depuis des siècles.

Nous ne pouvons pas continuer à résister tout seuls, chacun de son côté.
Nous devons nous unir, pour nous et pour tous.

En peu de mots, le Mexique ne vivra que si vit le Mexique d’en bas.

Et le Mexique d’en bas ne pourra vivre qu’avec la libération des
prisonniers et des prisonnières d’Atenco, avec la libération des tous les
prisonniers et de toutes les prisonnières politiques de ce pays, avec la
présentation des disparu(e)s vivants et avec l’annulation de tous les
mandats d’arrêt lancés contre les opposants de la lutte sociale.

III. Ni bleu ni jaune, l’Autre Nord existe aussi

Les quatre roues motrices du capitalisme – pillage, mépris, exploitation
et répression – unissent en bas ce qu’en haut on s’efforce de diviser à
coup de sondages et de désirs bleus et jaunes.

L’Autre Campagne a retrouvé notre pays, elle a découvert que le Nord est
aussi le Mexique.

En voici quelques échantillons :

Il existe là-haut une ligne qui unit Teacapan et Dautilo, au Sinaloa, à
Isla Mujeres, au Quintana Roo et à Puerto Progreso, au Yucatán ; et qui
unit Joaquín Amaro et San Isidro, au Chiapas, à Matamoros, au Tamaulipas,
et à El Mayor, en Baja California.

Dans ces huit coins du Mexique d’en bas, des familles de pêcheurs sont
persécutées à cause de leur travail. C’est comme ça que l’on criminalise
le travail, avec l’alibi de la protection de l’environnement.

La politique des gouvernements néolibéraux en matière d’environnement à
tous les niveaux (fédéral, de l’État ou municipal) consiste à détruire la
nature… ou à l’arracher à ses gardiens légitimes pour la livrer à la
voracité des grands trusts industriels.

D’autre part, dans les États du Sonora, de Zacatecas et de San Luis
Potosí, respectivement gouvernés par le PRI, par le PRD et par le PAN, on
peut constater de ses propres yeux ce que signifie "conserver les
variables économiques".

Dans ces trois États, on assiste à la destruction de la campagne mexicaine
et à l’exode des populations dû à l’expulsion de millions de Mexicains
vers les Etats-Unis. Tout cela s’accompagne de la réhabilitation des
anciennes haciendas du régime de Porfirio et de leur recrudescence avec
l’afflux de migrants indigènes des États du sud et du sud-est du Mexique.

Au Mexique, la "modernité", c’est le retour à l’époque de Porfirio.

IV. En haut, après le XXe vient... le XIXe siècle

La machine à faire des marchandises se cache dans la cause et non dans
l’effet. C’est derrière le marché et derrière le salaire que se cache le
noyau dur du système : la propriété privée des moyens de production et
d’échange.

Ce sont les banques, les industries et le commerce, tous étrangers, qui
forment les nouvelles nations qui participent à cette reconquête du
Mexique. De même, leurs armées de conquête et d’occupation sont formées de
députés du parlement national, de sénateurs, de maires, de députés du
parlement local, de gouverneurs, de présidents de la République et de
ministres.

Voilà l’histoire actuelle qui unit le Mexique du Nord, du Centre et du
Sud. Nous voilà revenus à l’époque de la fin du XIXe et du début du XXe
siècle.

Spoliation des terres. Destruction de la culture et de l’histoire.
Destruction de la nature. Destruction de la communauté humaine.
Destruction de la culture de l’organisation. Violence et discrimination de
genre contre les femmes, au sein des familles, dans la sphère sociale,
culturelle et institutionnelle. Mépris des personnes âgées, des
ancien(ne)s. Marchandisation de l’enfance. Criminalisation de la jeunesse.
Privatisation de l’enseignement préparatoire et supérieur. Démantèlement
du système éducatif primaire et secondaire. Démantèlement de la sécurité
sociale. Destruction et recomposition des conditions de travail pour
revenir à l’époque de Porfirio Díaz. Marginalisation de la vente ambulante
et asphyxie du petit et du moyen commerce, au profit du grand capital
commercial étranger. Mépris et répression à l’encontre de la différence
d’option sexuelle, même au sein de la gauche. Autisme pervers des grands
moyens de communication.

"La faim te met à genoux, mais la dignité indigène te met debout", nous
disait une femme indigène chef des Kumiai.

Au Mexique, on travaille pour ne pas mourir et on se tue au travail.

V. Nous sommes ce que nous sommes

Le plus gros de l’Autre Campagne est formé d’indigènes, de jeunes et de
femmes. Tous et toutes des travailleurs et des travailleuses de la
campagne et de la ville.

Dans le Nord mexicain, on retrouve Oaxaca auprès des Triqui, des Mixtèques
et des Zapotèques, mais aussi chez les Kumiai, les Kiliwa, les Kukapa, les
Tohono O’odham, les Comca’ac ou Seri, les Pima, les Yaqui, les Mayo
Yoreme, les Raramuri, les Caxacan, les Cora, les Wixaritari, les Kikapu,
les Maskovo, les Teenek, les Pam, les Nahua, les Chichimèques, les
Tepehuan et les Guarijio.

Chez les peuples, tribus et nations indigènes du Nord, il est plus
fréquent et naturel qu’ailleurs que les femmes soient chef, autorité ou
dirigeante.

"Nous voulons continuer à être ce que nous sommes", nous disait une
indigène raramuri. Ce qu’aurait pu tout aussi bien dire un jeune homme,
une jeune femme, une femme.

"Que la voix fasse son chemin, pour donner des forces à ce monde", dit
cette femme, cette jeune indigène du nord du Mexique.

VI En bas, un cœur surgit

La lutte anticapitaliste n’est pas apparue avec de la Sixième Déclaration
et de l’Autre Campagne. Elle a emprunté et emprunte encore de nombreux
chemins différents au sein d’organisations politiques, sociales et non
gouvernementales, au sein de peuples indiens, de collectifs, de groupes,
de familles et d’individus.

La Sexta et La Otra ont été un catalyseur, un appel à nous rencontrer, à
nous connaître, à nous respecter, à nous unir.

On y est arrivé.

Maintenant, il s’agit que tous, toutes, nous répondions en tant que cette
Autre Campagne que nous sommes et que nous disions où nous en sommes,
comment nous voyons le Mexique et le monde, ce que nous voulons faire et
comment nous voulons le faire.

C’est pour cela que nous appelons à une consultation interne du 4 au 10
décembre 2006.

L’Autre Campagne n’est pas une lutte de plus en bas, c’est celle de tout
un chacun, mais en tissant d’autres liens, ceux de la solidarité et du
soutien, ceux d’une même douleur et d’une identique rébellion, ceux du
respect, ceux de des différences qui sont reconnues et se reconnaissent.

L’Autre Mexique commence en bas et ne s’achèvera pas avant qu’on ne le
refasse entièrement, parce qu’il faut encore ce qu’il faut.

L’Autre Campagne se mue en un Autre Front contre l’en haut et ses miroirs
déformants. Nous n’allons ni converger ni nous unir, le différend étant
irréconciliable. Ceux qui s’opposent d’en haut ne veulent pas changer ce
pays, ils veulent arriver au pouvoir. Ceux qui comme nous s’opposent à
Calderón d’en bas sont contre tout ce qui, là-haut, feint des idées et
pratique le mépris de toute sorte.

L’officiel sera vaincu, de même que le "légitime" ou que tout autre nom
que prendra celui qui s’imagine que tout continuera comme avant et
déclarera d’en haut pour ou contre l’en bas pour continuer à administrer
le même cauchemar.

Ce pays est truffé de recoins, d’angles. C’est de là, et non des palais,
des sièges de gouvernement et des bunkers de la classe politique, que
naîtra, grandira et existera une autre alternative.

L’ensemble de ce pays vit dans une prison, mais il y a des prisons qui
sont plus vraies que d’autres. C’est pourquoi la lutte pour que soient
présentés vivants les disparus, celle pour la libération des prisonniers
et des prisonnières d’Atenco, et maintenant pour ceux et celles d’Oaxaca,
doivent s’inscrire dans une campagne nationale.

De pair avec cette campagne, d’autres mouvements nationaux peuvent se
dresser contre les tarifs des compagnies d’électricité, pour la défense et
la protection de l’environnement, pour la promotion de la vente ambulante
et du petit commerce ou le boycott au grand commerce.

En tant que zapatistes, nous attirons l’attention sur la contribution
qu’apportent les luttes anticapitalistes de groupes et collectifs
anarchistes et libertaires, par leur caractère autogestionnaire.

Au Chihuahua, on nous a parlé des tlatoleros, des messagers indigènes qui
parcouraient les villages pour inciter à la rébellion contre le
vice-royaume. D’une manière ou d’une autre, nous avons été et nous serons
ces messagers.

Tandis que ceux qui ont le regard fixé sur en haut retournent à leur
quotidien et au sujet à la mode, l’Autre Campagne se regarde, se définit,
se prépare.

En haut, ils parlent déjà de 2012 et s’interrogent. En bas, l’Autre
Campagne continuera de demander qui et quoi au sein de son Programme
national de lutte, puis comment et quand. Ce jour-là le calendrier d’en
haut sera brisé et en suivra un autre, celui d’en bas et à gauche.

L’heure est venue. Nous serons ce que nous sommes, mais autres et meilleurs.

Il est temps de se réveiller.

Sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, décembre 2006.

P.-S. : Dans la pièce aveugle de l’Ombre, seule la pendule permet de
distinguer le jour de la nuit. C’est toujours le petit matin, ici. L’Ombre
se prépare à retrouver les ombres dont elle est née et qui l’alimentent.
Elle fait le compte et les comptes. Elle se redresse à nouveau sur son
siège, le cœur brisé et plein de cicatrices et tout rapiécé. Elle lève des
ancres, hisse des voiles. Elle porte un autre pays accroché aux pieds,
collé à la peau, à ses oreilles et dans son regard. Elle possède une rage
et une douleur qui ne tiennent dans aucun des mots d’aucune langue. Dans
les montagnes du Sud-Est mexicain, dans ce cœur collectif brun qui
commande, elle attend une réponse qu’elle connaît depuis des siècles : il
faut que l’aube se lève, comme elle a pour coutume de le faire, avec
douleur et rage. Ombre sait ce que lui dira la montagne brune qui est son
guide. Donnant du baume à la douleur et de l’espoir à la rage, elle lui
dira, en langue ancestrale : "Ne t’inquiète pas, n’aie pas trop de peine,
que le cœur de notre patrie ne soit pas triste car il faut encore ce qu’il
faut."


--
Traduit par Angel Caido.
Diffusé par le Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte
(CSPCL, Paris) - 33, rue des Vignoles - 75020 Paris - France
réunion (ouverte) le mercredi à partir de 20 h 30
http://cspcl.ouvaton.org
cspcl@altern.org
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   Posté le 06-12-2006 à 18:52:03   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

PEUPLE D'OAXACA !
PEUPLE DU MEXIQUE !
PEUPLES DU MONDE !


D’un lieu quelconque de l'État d'Oaxaca, le Conseil d'État de l'Assemblée
populaire des peuples de l'Oaxaca

DÉCLARE :

PREMIÈREMENT : L'APPO continue plus que jamais de vivre dans le cœur des
travailleurs, des indigènes, des paysans, des femmes au foyer, des
étudiants, des jeunes, des enfants, de tous les exploités et les opprimés
de l’Oaxaca et du Mexique. La Terreur que l’État a déchaînée dans toute sa
violence contre le peuple de l’Oaxaca et certains membres de la communauté
internationale, du 25 novembre dernier jusqu’à ce jour, n’a en rien entamé
notre volonté d’être des femmes et des hommes libres.

Elle n’a pas non plus réussi à nous détourner de notre combat, nous
continuons à penser que notre lutte doit être politique, pacifique et
massive, en dépit des 17 personnes assassinées, les dizaines de disparus
et les centaines de prisonniers politiques par laquelle s’est soldée notre
lutte à ce jour, chose que nous qualifions de Crime contre l’humanité.

DEUXIÈMEMENT : L'APPO continue d’agir en permanence, bien que nous ne
participions pas visiblement aux piquets ou que nous ne nous fassions pas
entendre vingt-quatre heures sur vingt-quatre à la radio. Nous sommes
toujours vivants et nous communiquons à travers l’esprit indomptable qui
constitue l’héritage des peuples exploités, nous luttons et continuerons
de lutter de toutes nos forces jusqu’à obtenir la chute du tyran et de sa
dictature, la dictature du capital.

Une nouvelle étape de la lutte commence, que nous appellerons désormais
"Étape pour la paix dans la justice, la démocratie et la liberté et sans
Ulises Ruiz Ortiz" et qui constitue une nouvelle manière de poursuivre la
lutte que l’APPO apprend à construire patiemment, avec persévérance et
sagesse.

C’est ainsi que nous l’ont enseigné les peuples originels dont nous sommes
issus, rassemblés les 28 et 29 novembre au sein du Forum des peuples
indigènes de l’Oaxaca, où ils nous ont dit que "le chemin à faire doit
être parcouru lentement" : c’est ce que nous faisons maintenant, sans
perdre de vue l’objectif commun qui est la transformation profonde des
conditions de vie, de travail, d’études et de survie de nos peuples. C’est
cette voie qu’a voulu barrer Ulises Ruiz, marionnette fidèle des riches et
des narcotrafiquants qu’il défend et représente. Quant à nous, en tant que
représentants d’un peuple qui a choisi d’emprunter le chemin de son
émancipation, nous allons le balayer de cette voie qui est la nôtre.

TROISIÈMEMENT : Le Conseil d'État de l'APPO appelle le peuple de l’Oaxaca
à organiser et à réaliser dès aujourd’hui et jusqu’au 10 décembre des
mobilisations et des actions de protestation pour diffuser cette "Étape
pour la paix dans la justice, la démocratie et la liberté et sans Ulises
Ruiz Ortiz", pour la libération des prisonniers politiques, pour la
présentation en vie des disparus, pour le retrait de tous les mandats
d’arrestation, pour que cessent les arrestations arbitraires et les
violations de domicile, pour le départ immédiat de la PFP et pour ce qui
nous a tous unis, à savoir : pour le départ de l’assassin Ulises Ruiz
Ortiz de l'Oaxaca. Nous appelons à réaliser ces actions et à diffuser nos
exigences dans l’ensemble de l’Oaxaca, à travers nos Assemblées populaires
régionales, municipales et sectorielles.

Jusqu’au 10 décembre, parce qu’à cette date nous sommes tous appelés à une
macro-concentration au pied du monument à Juárez situé au Crucero de
Viguera, dans la ville d’Oaxaca, à 10 heures, afin d’exprimer notre
opposition et notre condamnation de la politique du bâton et du fusil à
laquelle veut nous résigner cette camarilla d’assassins et de voleurs qui
se fait appeler gouvernement dans l’Oaxaca.

FRATERNELLEMENT,

"TOUT LE POUVOIR AU PEUPLE !"

CONSEIL D'ÉTAT DE L'APPO
Le 2 décembre 2006.


--
Traduit par Angel Caido.
Diffusé par le Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte
(CSPCL, Paris) - 33, rue des Vignoles - 75020 Paris - France
réunion (ouverte) le mercredi à partir de 20 h 30
http://cspcl.ouvaton.org
cspcl@altern.org
liste d'information : http://listes.samizdat.net/sympa/info/cspcl_l

Message édité le 06-12-2006 à 18:52:39 par Paria
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   Posté le 06-12-2006 à 18:54:28   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Sinon pour info le dernier Manière de voir est consacré l'Amérique latine : http://www.monde-diplomatique.fr/mav/90/
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   Posté le 07-12-2006 à 18:17:59   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

À la société civile mexicaine,
À la société civile internationale,
Au gouvernement mexicain,
Aux médias,
À l'Assemblée populaire des peuples d'Oaxaca (APPO),

En février 1998, devant le massacre perpétré trois mois plus tôt à Acteal
(au Chiapas, Mexique) contre les indigènes rebelles du Chiapas, la société
civile internationale s'est mobilisée pour exprimer son indignation et
tenter de trouver une issue pacifique au conflit en cours.

Plus de 500 personnes et membres d'organisations des cinq continents ont
approuvé la création d'une Commission civile internationale d'observation
pour les droits humains (CCIODH), qui se rendit au Chiapas début 1998.

En novembre 1999, une deuxième commission renouvelait sa mission
d'observateur afin d'évaluer la situation du moment et de la comparer avec
les observations et les recommandations de la précédente.

En février 2002, après la victoire électorale de Vicente Fox et la
formation du nouveau gouvernement, une troisième visite de la CCIODH avait
lieu, dans le but d'examiner les possibilités de parvenir à une résolution
juste du conflit. En 2001, cette possibilité s'est vue frustrée par
l'approbation par le Congrès [mexicain] de la loi indigène (concernant les
droits et la culture des peuples indigènes), cette réforme
constitutionnelle allant à l'encontre des Accords de San Andrés (février
1996), comme le dénonçaient l'EZLN (Armée zapatiste de libération
nationale), le Congrès national indigène (CNI) et une grande partie de la
société civile mexicaine et internationale.

Une quatrième visite de la CCIODH eut lieu en mai et juin 2006, suite aux
événements survenus à San Salvador Atenco et à Texcoco (État de Mexico),
les 3 et 4 mai, l'intervention des forces de l'ordre mobilisant plus de
2.000 policiers s'y étant soldée par deux morts, plusieurs blessés graves,
près de 300 arrestations et l'expulsion de cinq ressortissants étrangers.
Cela donna lieu à la dénonciation de graves atteintes aux droits
fondamentaux des personnes, notamment les abus sexuels, les viols, les
mauvais traitements, l'humiliation et les tortures.

Ces quatre commissions ont eu comme résultat l'élaboration d'autant de
rapports contondants qui ont été remis à tous les interlocuteurs de cette
Commission au Mexique, à toutes les organisations et à toutes les personnes
qui avaient soutenu une telle initiative et aux institutions
internationales (Parlement européen, parlements de divers pays, Parlement
d'Amérique centrale, Haut-Commissariat pour les droits humains de l'ONU,
etc.).

En mai dernier, dans l'État d'Oaxaca, les enseignants ont entamé une lutte
pour l'amélioration de leurs conditions salariales. Suite à la répression
déclenchée par le gouvernement de l'Oaxaca le 14 juin, le mouvement,
jusque-là limité à des revendications corporatives, s'est étendu à d'autres
secteurs pour déboucher sur un vaste mouvement populaire, qui exige depuis
plus de six mois la destitution du gouverneur de l'Oaxaca, Ulises Ruíz
Ortiz (appartenant au PRI).

Au cours des derniers mois, le conflit s'est durci, jusqu'à l'intervention
récente de la police nationale mexicaine, qui a violemment délogé les
piquets et les campements de l'APPO (l'Assemblée populaire des peuples de
l'Oaxaca). Depuis le début du conflit, au moins 17 personnes ont été
assassinées, des centaines de manifestants ont été arrêtés, et on déplore
des dizaines de disparus. Des organisations de défense des droits humains
ont d'ores et déjà enregistré les plaintes pour tortures, mauvais
traitements et menaces dont ont été victimes les personnes appréhendées,
ainsi que les persécutions et les abus commis par les corps de police et
des groupes paramilitaires. Au niveau international, la préoccupation
causée par ces graves événements a suscité une forte mobilisation et le
souci de relayer la dénonciation de ces abus avec un soin particulier,
afin de trouver à ce conflit une issue qui passe par le dialogue.

En vertu de tout ce qui précède, nous demandons à la société civile
mexicaine ainsi qu'au gouvernement fédéral et au gouvernement de l'État
d'Oaxaca, aux organisations et aux ONG victimes de cette situation de nous
accorder la même confiance que celle qu'ils ont déposée en nous au cours
des quatre séjours précédents. Nous leur demandons de bien vouloir nous
recevoir, de nous fournir leurs témoignages et de nous permettre
d'effectuer notre mission en toute liberté et responsabilité.

Nous sollicitons également toutes les organisations qui nous ont déjà
soutenus par le passé, pour qu'elles renouvellent leur soutien pour que
nous puissions observer, engager une réflexion et évaluer les conséquences
que peut avoir le conflit sur la situation en matière de droits humains.

Au vu de quoi, les personnes soussignées déclarent soutenir cet appel qui
sera rendu public par voie de presse et remis au gouvernement mexicain, aux
instances internationales et à la société civile concernées.

Un premier groupe de membres de la CCIODH se rendra au Mexique à partir du
16 décembre 2006 pour y préparer et y organiser la visite qui se poursuivra
par l'arrivée d'un second groupe chargé de réaliser, entre le 7 et le 20
janvier 2007, les entretiens avec les différents acteurs du conflit. Après
quoi, un rapport sera élaboré et remis aux différentes instances,
institutions et organisations, selon le même procédé que lors de nos
précédentes visites.

Le 7 décembre 2006.

Commission civile internationale d'observation pour les droits humains
(CCIODH)

courriel : cciodh@pangea.org

site Internet : http://cciodh.pangea.org/
Jameul
pas de justice pas de paix
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   Posté le 08-12-2006 à 19:52:01   Voir le profil de Jameul (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Jameul   

merci encore Paria pour toutes ses infos
Paria
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   Posté le 08-12-2006 à 19:58:36   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Pas de problème, c'est normal.
Paria
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   Posté le 10-12-2006 à 14:43:28   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Salut à toutes et tous,

Je vous avais laissés vendredi 1er décembre alors que se déroulait la
marche et je vous confiais mes doutes au sujet de la mobilisation. Ce
jour-là, malgré la présence évidente de flics en civil dans la
manifestation et des patrouilles de la PFP à proximité, cinq mille
personnes sont descendues dans la rue, défiant la peur et le gouvernement
pour réclamer la libération des détenus, la fin de la répression et
l’éviction du satrape Ulises Ruiz. Depuis et jusqu’à aujourd’hui, la
situation n’a pas vraiment changé ici par rapport à celle que je vous
décrivais.

Même si la PFP a libéré le Zocalo, sa présence dans le centre-ville est
pesante et inquiétante et elle occupe toujours le Llano et le "parque",
mal nommé pour la circonstance, de l’Amour. Les patrouilles circulent dans
toute la ville, dans les quartiers périphériques et dans les municipalités
qui sont considérées dangereuses aux yeux de l’autorité. Les arrestations
de sympathisants au mouvement se poursuivent jours après jours. Beaucoup
d’entre eux se sont planqués et certains sont entrés en clandestinité.
Radio "Mapache", qui fait signer des pétitions pour demander sa
légalisation, continue d’émettre des appels au lynchage et à la délation.
Dans ce climat tendu de persécution et de répression, samedi dernier des
inconnus ont mis le feu au palais municipal de Miahuatlan qui était aux
mains de sympathisants de l’APPO (ceux-ci l’avaient déserté quelques jours
avant devant l’arrivée de la PFP et des polices locales).

Des profs du secteur d’Ocotlan ont décidé de suspendre les cours dans 200
écoles de différents niveaux pour protester contre le harcèlement de la
PFP et des corporations policières de l’Etat. Devant les menaces des
paramilitaires et des groupes de sicaires payés par le PRI pour enlever et
remettre aux autorités les profs impliqués dans le mouvement et pour
demander la libération de cinq des leurs détenus à Nayarit, 4 500 maîtres
d’école de la région des Cañadas n’ont toujours pas repris les cours.
Lundi à Zaachila, des profs ont été détenus. Après l’incursion violente
des flics à l’école primaire de San Isidro Zautla, dans la commune de
Soledad Etla, des maîtres d’école ont été appréhendés. A Oaxaca, là
encore, trois profs de la région de la Mazateca ont été capturés… Le
leader de la section 22 du Syndicat national des travailleurs de
l’éducation, Enrique Rueda Pacheco, qui vit planqué de crainte d’être
détenu à son tour, ne reconnaît pas la répression et le harcèlement que
subissent les profs, et disqualifie la grève que mènent les maîtres de la
région de Valles Centrales. Ce qui permet au directeur général de
l’Institut de l’Etat de l’éducation publique d'Oaxaca, Abel Trejo
Gonzalez, d’affirmer qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura pas de persécution
ni d’arrestation arbitraire ni non plus de chasse aux sorcières…

Des membres du centre de droits humains Yax’kin ont été suivis dans leurs
déplacements par des flics en civil circulant dans des véhicules sans
plaque d’immatriculation, ils ont été encerclés et pris en photos par les
flics alors qu’ils sortaient de leur hôtel.

La Commission diocésaine de justice et paix et le Centre des droits
humains Bartholomé Carrasco Briceño ont dénoncé le harcèlement et les
menaces répétées dont sont victimes le mandataire de l’archevêché,
Romualdo Wilfrido Mayrén Pelàez, et le curé de l’église de Siete
Principes, Carlos Franco Lopez, pour leur soutien humanitaire aux blessés
des manifestations précédentes.

Les familles des détenus se sont organisées en comité et ont manifesté
dimanche dernier dans le centre-ville d'Oaxaca pour exiger la libération
des prisonniers et le retrait de la PFP d'Oaxaca, puis, certaines d’entre
elles se sont déplacées jusqu’à Nayarit, où elles ont renforcé un
"planton" (occupation permanente d’un espace public) devant le palais du
gouverneur de l’Etat. Les autorités pénitentiaires en charge de
l’établissement de moyenne sécurité de Nayarit refusent toujours aux
familles et aux avocats d’avoir accès aux détenus pour éviter le scandale
sur les méthodes qu’utilise l’Etat pour en finir avec les luttes sociales.
Peu à peu nous parviennent des témoignages et nous savons que les détenus
ont été cruellement torturés plusieurs d’entre eux ont eu les doigts
brisés sous l’effet du supplice, d’autres encore ont subi des violence
sexuelles ou ont été menacés d’être tués, de disparaître sans laisser de
traces…

Une fois de plus, en totale violation des traités internationaux qu’a
signés le Mexique, les autorités pénitentiaires de Nayarit refusent
l’attention médicale aux détenus blessés (certains sont dans un état grave
et ont besoin d’attention médicale). Parmi les 141 détenus qui ont été
déportés jusqu'à Nayarit se trouvent 3 mineurs qui ont été déclarés
formellement prisonniers et incarcérés en ce lieu en absolue infraction
avec les lois qui les protègent, de même que les 34 femmes détenues dans
cette taule qui est un établissement exclusivement masculin. En clair, les
autorités se contrefoutent des lois et des règlements qu’elles ont
elles-mêmes conçus. Les trois juges du Centre fédéral de réadaptation
social de Nayarit ont fixé des cautions jusqu'à 4 millions de pesos pour
la libération des prisonniers qui ont été accusés, sans investigation
sérieuse sur leur culpabilité, de sédition, d’association de malfaiteurs,
incendie, etc., des charges qui peuvent entraîner jusqu’à vingt ans de
condamnation...*

La persécution la plus brutale, la torture, la fabrication de délits,
l’emprisonnement, les disparitions, les meurtres comme réponses aux
expressions de mécontentement, l’impunité et la protection aux répresseurs
et aux assassins.

Si on te frappe tend l’autre joue... En début de semaine, à l’initiative
de l’artiste bien connu Francisco Toledo, des écrivains, des
intellectuels, des journalistes, des défenseurs des droits humains, des
avocats et des représentants de l’Eglise catholique ont créé le Comité de
libération 25 Novembre, qui se propose d’aider à la libération des
prisonniers qui n’auraient pas commis d’acte de vandalisme, et qui
n’auraient pas agressé les forces de l’ordre...

Lundi soir, à Mexico, quelques heures après que l’APPO eut annoncé que se
tiendrait le lendemain le premier contact avec le gouvernement de Calderon
par l’intermédiaire du tout nouveau secrétariat du gouvernement**, quatre
conseillers de l’APPO ont été appréhendés en sortant d’une réunion (Flavio
Sosa, son frère Horacio, Ignacio Gracia Maldonado et Marcelino Coache
Verano, porte-parole de l’APPO et secrétaire général du syndicat
indépendant du conseil municipal d'Oaxaca). Flavio Sosa, que les médias
persistent à présenter comme le "dirigeant" ou le "leader" de l’APPO, a
déclaré faire parti du PRD (quelques jours auparavant, on pouvait lire,
dans une interview qu’il avait donnée, qu’il regrettait d’avoir
démissionné de ce parti pour soutenir Fox durant la campagne
présidentielle de 2000). Le message que fait passer le gouvernement avec
l’arrestation des quatre conseillers de l’APPO qui étaient venus pour
négocier est qu’il se sent suffisamment fort et qu’il réglera les
problèmes sociaux et les protestations populaires en les criminalisant, en
les réprimant, et en persécutant tous ceux qui n’adhéreront pas aux
projets néolibéraux du pouvoir.

Le leitmotiv du gouvernement et de ses amphitryons résonne comme une
menace : "Rien ni personne au-dessus des lois" (sauf pour eux-mêmes, leurs
complices et leurs chiens de garde, bien entendu).

Oaxaca est un laboratoire d’expérimentation répressive dont les résultats
pourront être étendus au reste du pays si besoin est.

Bon, et bien voila... je suis bien conscient que je vous ai dressé un bien
sombre et déprimant tableau de la situation. Mais il est bien certain que
les gens ici ne se sont pas soumis à l’ordre fascistoïde qui s’est imposé
impitoyablement ; de plus, les problèmes de fond, sociaux et politiques,
ne sont pas résolus et les revendications demeurent.

Dimanche prochain (le 10) une énième mégamarche est prévue pour exiger la
destitution du despote, la libération des prisonniers, la réapparition des
disparus, l’annulation des ordres d’appréhension et le retrait de la PFP
de Oaxaca. On y attend plusieurs centaines de milliers de personnes.

ATENCO, OAXACA,
NOUS TOUTES, NOUS TOUS !

A bientôt
M, Oaxaca, vendredi 8 décembre 2006


* Aux dernières nouvelles : les autorités pénitentiaires de Nayarit
obligent les familles à signer un document dans lequel elles
s’engageraient à retourner à Oaxaca après avoir visité leurs proches
détenus (138 à ce jour).

** Le nouveau titulaire du poste est l’ancien gouverneur de Jalisco
Francisco Ramirez Acuña, qui s’était fait remarquer durant le troisième
sommet des chefs d’Etat et de gouvernement d’Amérique latine, Caraïbes et
Union européenne, à Guadalajara en mai 2004, pour son zèle à réprimer les
altermondialistes qui protestaient (détentions arbitraires, tortures,
jugements injustes... certains sont encore en taule plus de deux ans
après...).
Paria
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Paria
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   Posté le 13-12-2006 à 11:42:27   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Bien le bonjour,

Aujourd’hui, dimanche 10 novembre, nous nous préparons pour la
manifestation qui doit partir de la statue de Benito Juarez, à l’entrée de
la ville. Je n’irai pas, je me suis trop fait remarquer ces derniers
temps, certes, je ne risque pas mes doigts dans l’affaire, les doigts
tordus et cassés, les violences à caractère sexuel exercées sur les femmes
et les hommes ont été des formes de torture couramment pratiquées ces
derniers temps sur les prisonnières et prisonniers de l’APPO pour leur
faire avouer des actes, comme les incendies d’immeubles, commis par ces
mêmes tortionnaires... non, je risque seulement de regagner un peu trop
vite à mon goût la trop douce et tranquille Europe. Cette différence de
traitement, qui me serait en quelque sorte réservée, m’isole un peu de mes
amis ; dans la confrontation, dans la bagarre, les risques sont partagés,
mais c’est après que les frontières s’élèvent pour nous séparer. Le
totalitarisme nous touche tous et nous plie sous son joug, nous nous
sentons solidaires des luttes pour la reconquête de notre dignité ; une
des principales fonctions de ces figures de l’Etat totalitaire que sont
les Etats nationaux est bien d’isoler et de contenir dans les limites des
frontières nationales l’insurrection des peuples.

Les filles et M. se préparent pour se rendre à cette marche, c’est la
grande rigolade dans ces dernières minutes consacrées aux essais de
déguisements afin d’échapper à l’œil inquisitorial des caméras, certains
accoutrements sont particulièrement réussis et nous nous esclaffons de bon
cœur. Ce sera l’occasion de retrouver les amis, de renouer avec tous ceux
qui ont échappé au piège mortel tendu par le gouvernement, d’armer à
nouveau les solidarités nationales et internationales autour de la Commune
d’Oaxaca.

Retour de manif : du monde, manifestation imposante mais tout de même
moins importante que celle du 25 novembre, plutôt des gens de la ville,
los valientes, les Indiens, ne sont pas descendus en nombre de la
montagne, mais les Zapotèques, les Triquis, les Mazatèques, les Mixes, les
Chinantèques, les Mixtèques étaient bien présents, les personnes
"activement recherchées" ne sont pas venues, les jeunes libertaires
particulièrement persécutés ne s’y sont pas risqués, quelques "chavos",
cependant, faisaient discrètement des bombages sur les murs, mais rien à
voir avec les autres manifs ; les familles des prisonniers ouvraient la
marche, on remarquait surtout la présence des leaders du PRD et du Frente
Amplio Progresista, ce sont eux qui vont se montrer les plus éloquents
lors du meeting de clôture qui s’est tenu sur la place de la danza avec le
discours de la pasionaria et "sénatrice" Rosario Ibarra de Piedra, qui
nous assurait du soutien de Lopez Obrador, le président qui s’est
autoproclamé Président légitime du Mexique. Une marche bien trop sage face
à l’ampleur de la persécution, une façon de dire "nous sommes toujours
là", rien de plus, l’éloquence n’était pas de mise, elle a été laissée aux
politiques. Les filles ont pu rencontrer quelques amis, qui tiennent le
coup malgré l’énorme pression qu’ils subissent. Les habitants des
quartiers et des colonies ne cachent pas leur inquiétude, c’est que la
gente du PRI a désormais tout le loisir d’organiser la chasse à l’homme,
silencieuse, furtive, un coup de feu dans la nuit, une voiture qui démarre
sur les chapeaux de roue…

L’une des nôtres a ensuite assisté avec les maîtres indigènes à une
réunion au sujet des prisonniers et prisonnières du Cefereso (Centre
fédéral de réadaptation social) el Rincón de Nayarit. Celle qui parlait a
pu s’entretenir avec 17 des 34 femmes et quelques hommes. Ces femmes ont
été frappées au moment de leur détention puis quand elles ont été emmenées
dans les prisons d’Oaxaca et au cours de leur transfert en hélicoptère à
Nayarit, elles avaient les yeux bandés et ont été menacées d’être violées
et jetées dans le vide. Ce ne fut que le mercredi 28, trois jours après
leur détention, qu’elles ont su qu’elles se trouvaient à Nayarit, elles
n’avaient aucune idée où elles étaient après ce rapt de la part des
autorités. Elles sont deux par cellule (les hommes sont trois par box et
seront observés toute la journée pendant plus d’un mois avant que l’on
décide de leur sort en fonction de leur personnalité) et n’ont pas la
possibilité de communiquer avec les autres détenues. Les hommes furent
aussi torturés et se trouvent dans une autre section de la prison. On sait
maintenant que bien des prisonniers et prisonnières appartiennent à la
même famille, il y a ici l’épouse, la sœur, la fille ou la cousine, mais
ils n’ont aucune possibilité de communiquer entre eux. Ils sont considérés
comme des prisonniers de "alta peligrosidad" (de haute dangerosité) et la
prison d’El Rincón est, dit-on, parmi les plus dures du Mexique. Les
prisonniers se déplacent à l’intérieur de la prison, menottés, la tête
baissée, les yeux rivés au sol, ils ne peuvent se parler, même dans leur
box. Les femmes comme les hommes ont eu les cheveux coupés, petite
humiliation ajoutée à toutes les autres, il faut dire que cette prison est
une prison d’hommes et que les femmes ne devraient pas s’y trouver. Les
visites sont strictes, nous entrons dans un univers kafkaïen, ce ne fut
que le 3 décembre que les parents purent voir leurs proches, à condition,
évidemment, d’avoir fourni tous les papiers exigés. Pourtant trois hommes
jeunes ont été libérés très rapidement, sans autre forme de procès, les
incendiaires d’Ulises Ruiz pris malencontreusement dans les filets ?

Quand les autorités ont décidé de transférer les prisonniers à Nayarit,
elles ont parfaitement mesuré les impacts sociaux que cela allait avoir.
Les gens pour se trouver près des leurs et les accompagner durant leur
détention vont abandonner leur travail, immigrer dans le Nord, tenter d’y
survivre. Pour leur premier voyage certains se sont endettés, d’autres ont
été aidés par leurs voisins, qui se sont cotisés pour payer le billet de
car ; il y a des époux, des épouses, des mères, prêts à tout quitter pour
se rapprocher des êtres qui leur sont chers. Les autorités avaient très
bien évalué les conséquences sociales de cette déportation, le déchirement
qu’elle signifiait pour de nombreuses familles. Dans leur acharnement à
dévaster la vie des gens, elles ont oublié, ces autorités, une
répercussion possible de leur mesure infâme : alors qu’elles prétendaient
désarticuler la mobilisation, elles sont en train de l’étendre dans tout
le pays. Le gouverneur de Nayarit commence à faire la gueule, c’est que
les familles manifestent dans la ville et expliquent aux gens leur
situation. Cette décision de transfert est parfaitement arbitraire comme
vous pouvez vous en douter, mais Ulises Ruiz, le petit roi soleil
d’Oaxaca, a du monde derrière lui via les sectes évangélistes et la CIA,
toute la puissante Amérique du Nord ; soutenu par la clique de Bush, il
reste le satrape des lieux.

Tout ce qu’a tenté l’Etat a eu jusqu’à présent un effet de retour, quand
il a cherché à réprimer la grève des instits le 14 juin, est apparue
l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca ; quand il a essayé d’intimider
la population avec les escadrons de la mort, sont apparues les barricades.
Il arrête les "dirigeants" les plus en vue comme Flavio Sosa et c’est la
base la plus déterminée ou la plus radicale qui se construit et se
renforce dans une semi-clandestinité. Les partisans de Lopez Obrador, le
PRD et toute la gauche molle tentent de récupérer le mouvement social,
certains conseillers qui font partie de la direction collective de l’APPO,
maintenant hors contrôle de l’Assemblée, font et disent n’importe quoi, il
s’agit de sauter sur l’occasion, le dragon est blessé, sinon à l’agonie,
pensent-ils, ils ne voient pas dans leur empressement à vendre la peau du
dragon que le dragon est ailleurs, qu’il a mué et qu’il leur a laissé une
enveloppe vide. Serait-il devenu zapatiste ?

Dans ma dernière lettre, je vous avais rapporté la réflexion de Carlos
Fazio selon laquelle la classe au pouvoir impose à l’Etat une double
manière d’agir : une, publique et soumise aux lois, l’autre, clandestine
appliquant une "terreur bénigne" en marge de toute égalité formelle. Nous
devons pousser un peu plus loin le raisonnement. Nous avons pu nous rendre
compte au cours de tous ces événements que l’Etat organisait une véritable
mise en scène du conflit ; face à un mouvement social qui avait des
revendications précises à faire valoir, l’Etat a répondu par une mise en
spectacle d’un affrontement tragique, mise en spectacle qui avait
évidemment des conséquences terribles pour les gens (nous en sommes sans
doute à plus de vingt morts, tous du côté de l’APPO). L’Etat traduisait un
mouvement social complexe en scènes de violence, en images chocs. Le
message est clair : tout mouvement social engendre la terreur, et il
s’adresse à la partie molle et soumise, à la partie décomposée de la
société. L’Etat joue sur deux tableaux à la fois : d’un côté, il est celui
qui organise le spectacle de la violence et à cette fin il doit, d’une
façon plus ou moins clandestine, user de moyens terroristes ; de l’autre,
il se présente comme celui qui met fin à la violence par l’exercice d’une
terreur légitime. La terreur de l’Etat est présentée comme légitime parce
qu’elle met fin à une violence sociale, dont l’Etat avait au préalable
organisé la représentation. Où est le droit ? Il n’y a pas de droit dans
cette affaire ou seulement comme justification du terrorisme d’Etat par la
mise en scène d’une paix sociale rompue par les insurgés.

Nous devons reconnaître que l’Etat Janus a joué sa partition avec un
certain brio : la tâche d’organiser le spectacle de la violence par des
moyens terroristes est revenue à Ulises Ruiz et à ses hommes de main, en
l’occurrence la police de l’Etat d’Oaxaca, ou police ministérielle,
habillée en civil (le vêtement civil représentant le côté clandestin de la
police, l’uniforme son côté public), ce sont eux qui ont constitué les
escadrons de la mort, qui ont assassiné en toute impunité et mis le feu à
certains bâtiments publics ou autres au cours de l’opération du 25
novembre dite "opération Hierro" ; la tâche de mettre un terme à la
violence en faisant usage d’une terreur légitime, après la mise en scène
du dialogue et du droit, revenait au ministre de l’Intérieur du
gouvernement fédéral, avec l’aide de la Police fédérale préventive, en
uniforme cette fois-ci. L’Etat Janus, emporté par son élan et la facilité
avec laquelle il a pu mettre en place sa stratégie, nous a offert un
dernier spectacle avec une mise en scène grandiose, celui du glaive de la
justice impartiale à l’œuvre : à quatre heure dans l’après-midi, sous
l’œil des caméras de la télévision convoquée pour la circonstance, la
Police fédérale préventive sur son quarante et un, aidée par l’armée
(voyez du peu !) a fait une descente dans l’antre des paramilitaires (de
la police ministérielle) ; à cette heure-là, il n’y a plus personne, elle
a pu tout de même mettre la main sur quatre pelés, qu’elle s’est empressée
de libérer deux jours plus tard quand les caméras n’étaient plus là ; la
perquisition, nous dit-on, a duré deux heures, elle a passé au crible les
voitures volées, dont se servent les paramilitaires pour leur opérations
meurtrières, et elle a emporté les quelques armes qu’elle a trouvées sur
place pour les analyser. L’Etat metteur en scène a peut-être été un peu
trop loin cette fois-ci ; en tout cas, à Oaxaca, tout le monde en rit
encore.

Oaxaca, le 11 décembre 2006.

George
Paria
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Paria
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   Posté le 15-12-2006 à 23:56:59   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

DÉCLARATION DE DÉCEMBRE DE L’ASSEMBLÉE POPULAIRE DES PEUPLES DE L’OAXACA

AUX PEUPLES D’OAXACA, AUX PEUPLES DU MEXIQUE, AUX PEUPLES DU MONDE,

Aujourd’hui, après plus de deux cents jours, cela fait plus de six mois
que le peuple d’Oaxaca lutte en permanence dans la rue, essuyant le feu
ennemi des assassins et des voleurs menés par URO*, d’un côté, et par le
Yunque et Fox-Fécal**, de l’autre. Leur Sainte Alliance s’est abattue de
toutes ses forces sur le peuple de l’Oaxaca. Les six mois écoulés ont été
très durs pour notre peuple, qui l’a payé de son sang : il y a des
dizaines de personnes disparues, des centaines de prisonniers politiques
et des centaines, si ce n’est des milliers, de personnes mutilées et
blessées ; et ce sont d’innombrables familles, les plus pauvres, les plus
marginalisées et les plus vulnérables, qui font les frais de cette grande
lutte. Cette courte période a suffi à condamner toute une histoire de
lutte des peuples de l’Oaxaca, du Mexique et du monde.

Après les défaites que nous avons fait subir à URO, à sa police, à ses
escadrons de la mort, à ses "porros" (groupes de provocateurs d’extrême
droite) et à ses policiers, et par la suite à la PFP, notamment lors des
affrontements sur le pont Valerio Trujano et à l’Institut de technologie,
le 20 octobre, et pendant la bataille de la Toussaint, aux abords de la
cité universitaire, le 2 novembre, l’État n’a cessé de chercher à frapper
notre mouvement, à l’anéantir. Mais l’ampleur de la solidarité au Mexique
et sur le plan international a momentanément permis d’empêcher que
l’Assemblée populaire des peuples de l’Oaxaca (APPO) et que le peuple de
l’Oaxaca ne soient victimes d’une agression à plus grande échelle.
Cependant, à la mi-novembre, après l’écran de fumée qui a été levé autour
de la mort du journaliste Will Bradley Rolland, l’État a déclenché une
répression d’une violence et d’une intensité jamais vues auparavant dans
l’Oaxaca, montrant de quoi il était capable le 20 novembre, et plus encore
le 25 novembre dernier.

La bataille du 25 novembre fut empreinte de douleur pour notre peuple car
même si l’arrivée de la PFP à Oaxaca s’était immédiatement accompagnée
d’arrestations, d’incarcérations, de tortures et de disparitions, tous nos
compañeros se voyant agressés, ce jour-là on a pu voir dans toute son
horreur le plan du gouvernement pour écraser l’ensemble de notre
mouvement. Après nous avoir poursuivis toute la nuit et avoir assassiné
plusieurs de nos compañeros, sans que nous ayons retrouvé leurs cadavres à
ce jour, les forces gouvernementales ont emprisonné des centaines de nos
compañeros. Et le 26 novembre, le jour s’est levé sur une ville
entièrement occupée par l’armée vêtue de gris, par les porros, par les
tueurs à gages et par tous les policiers au service d’Ulises Ruiz Ortiz.
Un véritable état d’exception, le moindre quartier et la moindre rue étant
surveillés par nos bourreaux, et depuis, les habitants des quartiers
pauvres, les femmes au foyer en général et les travailleurs de notre ville
n’ont pas pu circuler librement dans les rues d’Oaxaca, sous peine d’être
arrêtés et poursuivis pour avoir commis le seul délit dont tous les
habitants de l’Oaxaca se sont rendus coupables : LA LUTTE POUR UN OAXACA
LIBRE, DIGNE ET DÉMOCRATIQUE.

L’état d’exception instauré dans l’Oaxaca est l’un des plus féroces que
l’humanité ait jamais connus. Non seulement nous sommes surveillés et
persécutés par les agents en tenue, mais nous devons aussi affronter les
paramilitaires, les "porros", les tueurs et les membres du PRI de nos
différents quartiers, cités et communautés. Mais rien de tout cela ne
parviendra à faire plier l’indomptable volonté de l’héroïque peuple
d’Oaxaca.

AUX FAMILLES DE NOS COMPAÑEROS EMPRISONNÉS OU DISPARUS,

Frères et sœurs, le sang de nos compañeros Andrés Santiago Cruz, Pedro
Martínez Martínez, Octavio Martínez Martínez, Marcos García Tapia, José
Jiménez Colmenares, Lorenzo Sampablo Salazar, Arcadio Fabián Hernández
Santiago, des professeurs Pánfilo Hernández Vázquez et Emilio Alonso
Fabián, et bien d’autres dont nous n’avons pas de nouvelles, a été versé,
ils ont donné leur vie et ont baigné de leur sang cette terre qu’il nous
incombe à tous de transformer en une terre juste, à l’image de celle dont
ils ont tous rêvé, libérée de la pauvreté, de la marginalisation,
affranchie du joug de l’oppression et de l’exploitation.

Vous tous qui ignorez encore tout comme nous le destin de vos parents, de
ceux que nous avons déclarés disparus politiques, sachez que c’est Ulises
Ruiz et son gang de malfaiteurs qui est responsable de la disparition de
nos compañeros. L’État tout entier est responsable de ce qui a pu leur
arriver, c’est pourquoi notre lutte ne peut s’achever, les coupables de
ces disparitions doivent être châtiés et tous les disparus doivent être
présentés vivants.

Nous savons que dans des centaines de foyers dans l’Oaxaca, on ressent
indignation, tristesse et honte, parce que plusieurs centaines de nos
frères, de nos mères, de nos pères et de nos enfants ont été jetés en
prison. Parce que beaucoup d’entre eux ont été sauvagement torturés. Parce
qu’on les a emportés dans des terres lointaines comme au Nayarit, à
Matamoros, au Tamaulipas ou dans l’État de Mexico, et qu’on les a traités
comme les bandits les plus dangereux. Nous, nous savons qu’il n’en est
rien et qu’en tout cas, ceux qui devraient garnir les prisons, ce sont
ceux qui voudraient aujourd’hui nous gouverner, eux qui ont violé toutes
les libertés individuelles garanties par la Constitution, tous les droits
élémentaires dont jouit tout être humain, et qui ont accaparé toutes les
ressources économiques, naturelles et culturelles du peuple. Ulises Ruiz
Ortiz et son gang, les patrons qui le soutiennent, le Yunque et le
gouvernement fédéral, ils ont tous commis DES CRIMES DE LÈSE-HUMANITÉ.
C’est eux qui devraient remplir les geôles. Nos compañeros doivent
recouvrer la liberté et tant que nous n’obtiendrons pas leur libération,
leurs familles et le peuple de l’Oaxaca, ensemble, doivent continuer le
combat.

AUX MEMBRES DE L’ASSEMBLÉE POPULAIRE DES PEUPLES DE L'OAXACA ET AU PEUPLE
DE L’OAXACA,

Dès le 20 juin dernier, entamant la construction de ce grand instrument de
lutte et d’insurrection, en vue de l’instauration du pouvoir populaire
dans ce petit morceau de notre patrie, nous nous sommes engagés à mener la
lutte jusqu’au bout, ce que nous avons ratifié lors du grand congrès
constitutif de notre Assemblée, qui s’est tenu les 10, 11, 12, 13 et 14
novembre 2006, et plus encore pendant toute cette période si brève où nous
avons tous pu voir grandir de manière extraordinaire nos forces. Nous
avons étendu nos tentacules dans plusieurs endroits au Mexique et dans le
monde, répandant aux quatre vents la nouvelle que la lutte que mène ce
peuple qui est le nôtre ne se fait pas seulement pour obtenir la chute
d’un tyran, mais que nous sommes convaincus que là où roulera la tête
d’Ulises Ruiz Ortiz et là où tombera son cadavre, il nous appartient de
construire cette nouvelle société que nous voulons, sans exploités ni
opprimés, et que pour y parvenir, il faut une profonde transformation de
l’économie, des institutions politiques de notre État et de nouvelles
lois. Bref, nous avons besoin d’une nouvelle assemblée constituante qui
dicte une nouvelle Constitution, pour pouvoir construire un État d’Oaxaca
véritablement libre et souverain.

PEUPLE DE L’OAXACA, le tyran n’a pas encore été renversé et nous sommes
encore très loin d’avoir pu construire un État d’Oaxaca véritablement
libre et souverain, mais que rien ni personne ne fasse plier notre
volonté, rien ni personne ne va nous enlever le droit légitime de choisir
notre propre destin. De grandes tâches nous attendent, nous devons
continuer à consolider l’APPO en tant que seule organisation qui puisse
nous aider à réaliser les aspirations les plus pures et les plus justes
des oaxaquiens. Consolider l’APPO dans chaque quartier, chaque cité et
chaque communauté continue d’être une des tâches les plus importantes pour
atteindre ce but. Renforcer l’APPO signifie qu’il nous faut améliorer
notre organisation à tous les niveaux, prendre soin et protéger les
meilleurs cadres que nous ait donnés l’Oaxaca. Ils se comptent par
milliers aujourd’hui et ils ont démontré une authentique capacité et
détermination. Assurer leur sécurité à tous, c’est garantir la poursuite
de notre lutte. À l’heure où le fascisme veut s’imposer coûte que coûte
sur nos terres, une totale unité est plus que jamais nécessaire au sein de
l’APPO. Nous devons resserrer les rangs face à l’État qui cherche à nous
diviser pour nous frapper plus fort, chose qu’il faut empêcher à tout
prix. Nous devons au contraire mobiliser toutes nos forces contre les
bourreaux de notre peuple, luttons contre eux sans trêve, faisons de
l’APPO un seul homme pour la rendre plus forte, ce n’est qu’ainsi que nous
parviendrons jusqu’au bout.

AUX PEUPLES DU MEXIQUE ET DU MONDE,

Dans le monde entier, les capitalistes assistent à la décomposition de
leur système, car chaque jour la crise du capital est plus aiguë et pour
survivre, ils en sont réduits à déclencher des guerres de pillage, comme
ils l’ont fait en Irak, en Afghanistan, en Palestine et au Liban. Une fois
encore, les grands empires veulent une nouvelle répartition du monde.
L’impérialisme, en tant que système qui a servi à l’enrichissement d’un
petit nombre de maîtres de l’argent et du pouvoir et à sucer le sang et la
sueur de millions de pauvres dans le monde entier, s’épuise. Au Mexique
aussi, dans le cadre de cette crise généralisée, ceux qui pensaient
pouvoir régner longtemps encore en maîtres absolus sur notre pays voient
aujourd’hui fondre entre leurs mains toute l’histoire du capital au
Mexique, ses institutions, ses lois, le contrôle désormais impossible
qu’il exerce sur la vie économique, sociale et culturelle, et ils font
tout ce qu’ils peuvent pour se maintenir au pouvoir, violant partout les
lois de la Constitution, employant sans retenue toute la force de leur
armée et de leur police pour résoudre les problèmes politiques et sociaux,
jetant en prison tous les opposants, violant les droits humains les plus
élémentaires. À peine parvenu au pouvoir, Felipe Calderón a montré les
crocs avec lesquels il pense gouverner le pays, à la manière de l’extrême
droite la plus réactionnaire, comme le Yunque, au lieu de chercher à
résoudre véritablement la misère, la famine et la marginalisation dont
souffrent des millions de Mexicains. Mais non, la première chose qu’il a
faite, c’est de réduire les dépenses des services de santé et d’éducation
et toutes les autres dépenses sociales, pour augmenter la solde des
militaires.

PEUPLE DU MEXIQUE, devant une telle situation, si le système impérialiste
cesse de fonctionner pour les puissants de ce pays, cela signifie que le
moment est venu pour les millions de travailleurs de la campagne et de la
ville de construire le Mexique d’en bas. Pour y parvenir, nous devons
joindre tous nos efforts d’unité et de lutte en un FRONT UNIQUE contre le
capitalisme et l’extrême droite, remplacer les anciennes lois par de
nouvelles lois véritablement au service du peuple mexicain. C’est pourquoi
la création d’une NOUVELLE ASSEMBLÉE CONSTITUANTE en vue d’élaborer une
NOUVELLE CONSTITUTION est une des tâches les plus urgentes pour l’ensemble
des Mexicains. Le peuple de l’Oaxaca et l’Assemblée populaire des peuples
de l'Oaxaca vous appellent donc très humblement et fraternellement à
avancer tous ensemble sur cette voie. Le moment décisif approche, les
heures, les jours décisifs. C’est notre tour, c’est au tour de tous les
travailleurs des campagnes et des villes. CONSTRUISONS DES ASSEMBLÉES
POPULAIRES DANS CHACUN DES ÉTATS DE LA RÉPUBLIQUE, CONSTRUISONS
L’ASSEMBLÉE NATIONALE DES PEUPLES DU MEXIQUE.

PEUPLES DU MONDE, nous voulons que vous sachiez aussi que la lutte que
nous menons dans ce petit morceau de notre planète qui s’appelle Oaxaca
est votre lutte aussi, comme le sont celles de nombreux autres peuples au
Moyen-Orient, en Europe, en Amérique latine, comme le sont celles des
émigrants aux USA et de bien d’autres encore. C’est pourquoi, aujourd’hui
plus que jamais, il est nécessaire de resserrer les liens d’unité et de
solidarité entre nos luttes. Avec votre aide à tous, nous allons stopper
la répression et le fascisme que l’on veut imposer à Oaxaca et au Mexique.
Nous vous demandons de continuer les mobilisations de solidarité avec les
peuples de l’Oaxaca dans le monde entier, il n’y a que de cette manière
que l’on réussira à briser le siège de l’extrême droite et du fascisme.

À TOUS LES INTELLECTUELS, TOUS LES ARTISTES, TOUS LES MEMBRES ÉMINENTS DE
LA COMMUNAUTÉ SCIENTIFIQUE ET AUTRES, TOUTES LES ONG,

Nous vous appelons à poursuivre et à multiplier vos actions pour divulguer
les graves violations des droits élémentaires des personnes dont est
victime notre peuple et en particulier la situation de nos prisonniers et
de nos disparus. Pour le peuple de l’Oaxaca, vous avez joué un rôle
crucial pour briser le blocus de l’information avec lequel l’État voudrait
occulter la situation dans l’Oaxaca. Nous vous demandons d’aller voir nos
prisonniers et de dénoncer la disparition de beaucoup de nos frères
oaxaquiens.

Nous lançons un salut combatif aux actions qui ont été appelées pour le 22
décembre prochain par l’Armée zapatiste de libération nationale dans le
cadre de l’anniversaire du massacre perpétré contre nos frères à Actéal,
au Chiapas, et nous appelons à multiplier ces actions de solidarité avec
les peuples de l’Oaxaca.

POUR UN ÉTAT D’OAXACA VÉRITABLEMENT LIBRE ET SOUVERAIN ! LE FASCISME NE
PASSERA PAS DANS L’OAXACA ! VIVE LE PEUPLE DE L’OAXACA !

TOUT LE POUVOIR AU PEUPLE !

ASSEMBLÉE POPULAIRE DES PEUPLES DE L’OAXACA.
Décembre 2006, ville de la Résistance Oaxaca de Juárez Oaxaca.

Traduit par Angel Caido.

http://www.asambleapopulardeoaxaca.com/boletines/
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   Posté le 18-12-2006 à 21:22:17   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Salutation à vous toutes et à vous tous,

Tout d’abord, un petit mot rapide pour apporter une correction importante
à mon courrier précédent : le Comité du 25 de Noviembre ne fait pas de
distinction entre les prisonniers qui auraient ou non commis des actes de
vandalisme ou auraient ou non agressé les flics de la PFP, comme je
l’affirmais. A ma décharge, je dois dire que je n’ai fait que rapporter
les propos inconsidérés d’un des membres du Comité qui l'assurait à "La
Jornada". Après vérification auprès des intéressés, il est important et
urgent d’apporter cette rectification.

Hier (lundi), nous sommes allés rendre visite aux instituteurs du CMPIO
qui ont neuf des leurs enfermés à Nayarit. Il y avait là présentes
quelques familles des détenus qui revenaient justement de Nayarit après
avoir pu enfin visiter les membres de leurs parentés embastillés. Elles
nous ont relaté comment elles ont décidé de faire ce voyage de dix-huit
heures qui leur a coûté 800 pesos dès qu’elles ont appris que leurs
proches avaient été transférés, elles nous ont raconté les jours
d’attente, l’angoisse, la difficulté d’obtenir ce droit de visite*, la
nécessité de frais supplémentaires (puisque les autorités pénitentiaires
exigent que les visiteurs soient habillés de vêtements de couleurs
spécifiques qui ne se confondent pas avec les uniformes des prisonniers),
l’humiliation des fouilles (neuf au total) tout au long du processus pour
s’approcher du parloir, les photos de face, de profil et de dos, les
machines où l’on présente ses mains qui sont censées détecter des traces
de drogue (l’épouse d’un des détenus s’est fait recaler à ce stade, la
machine ayant décelée des traces d’héroïne et de cocaïne). Finalement,
après avoir poireauter trois heures à l’entrée du centre pénitentiaire
puis encore trois autres heures à se prêter aux singeries et aux vexations
de l’administration, en fin de journée, certaines d’entre elles ont pu
avoir ce premier contact tant attendu (depuis leur arrestation le 25
novembre) avec leur parent. A travers une vitre, avec un maton derrière le
visiteur et un autre derrière le prisonnier ils ont pu ainsi discuter une
demi-heure et pas une minute de plus. Les cheveux ras (hommes comme
femmes) et leurs corps portant encore les stigmates des coups reçus, ils
ont raconté les conditions dans lesquelles ils ont été appréhendés, leur
transfert jusqu'à Nayarit et les conditions de détention dans ce centre de
moyenne sécurité.

Les prisonniers, depuis leur arrivée, sont sous surveillance vingt-quatre
heures sur vingt-quatre afin de déterminer leur degré de dangerosité (ce
qui durera au moins un mois et demi). A trois par cellule pour les hommes,
à deux ou seule pour les femmes, il leur est interdit de converser entre
eux (la nuit, quand la surveillance se relâche quelque peu, ils murmurent
pour communiquer), ils n’ont pas le droit d’avoir d’objets personnels, ni
livre, ni revue, ni papier, ni crayon...

Le père de Yenny Aracely Sanchez (dix-neuf ans, promotrice d’éducation
indigène) nous a rapporté que sa fille a été serrée ainsi que quatre de
ses compagnons le 25 novembre vers 20 heures par des éléments de la PFP
alors qu’ils étaient en train d’attendre un de leurs amis à une station de
bus en dehors du centre-ville. Tabassée et menacée d’être violée, elle a
été conduite à la prison de Mihuatlan, de là, le lendemain, elle a pu
prévenir sa famille de sa détention avant d’être transférée le lundi à
Nayarit. Durant le transfert en hélicoptère, les détenus ont été menacés
d’être balancés dans le vide. Elle porte encore les marques des coups de
matraque sur les bras et sur les jambes.

L’épouse de Joel Zaraga Carrera (trente-deux ans, père de cinq enfants,
instituteur du CMPIO) nous a raconté que son mari a été arrêté dans le
centre-ville le 25 novembre. Il a été sauvagement matraqué et tabassé bien
plus que d’autres, car il s’est montré "bravo" (vaillant) face aux cognes,
insulté et menacé. Il a révélé que c’est le pire de ce qu’íl a vécu
jusqu'à présent. Détenu à Tlacolula avant d’être transféré le lundi avec
les autres à Nayarit. Il est resté sans soin et exhibe sur tout le corps
les traces des coups reçus. Sa femme est inquiète car il est déprimé et
désespéré.

La compagne de Fortunato Morales (trente-trois ans, père de famille,
instituteur du CMPIO) nous a exposé que son mari a été appréhendé le 25
novembre dans le centre-ville alors qu’il portait secours à son frère.
Aveuglé par le gaz lacrymogène, il s’est fait tabasser tandis qu’il
cherchait à se protéger des brutalités policières. Il présente des marques
de coups sur toutes les parties du corps et une profonde plaie sur le côté
droit du crâne. Détenu à Tlacolula dans un premier temps, il a été
transféré le lundi, les yeux bandés, jusqu’à Nayarit.

La conjointe d'Eloy Morales Pastelia (vingt-sept ans, instituteur du CMPIO
et frère de Fortunato) nous a narré l’arrestation de son époux le 25
novembre alors que celui-ci était à terre, atteint par une grenade
lacrymogène. Brutalement frappé et matraqué par la PFP, il a été conduit à
Tlacolula puis à Nayarit le lundi. Comme les autres, il montre des
ecchymoses sur tout le corps. Blessé à l’œil et au genou, il est resté
sans soin durant tout ce temps. En prison, les deux frères n’ont pas de
contact entre eux.

Le père de Rosalba Aguilar Sanchez (vingt ans, institutrice du CMPIO) nous
a affirmé que sa fille a été appréhendée vers 20 heures en dehors du
centre-ville le 25 novembre, puis transférée à Nayarit. Elle dévoile des
contusions et une blessure à la tête.

Il faut savoir que, parmi les familles qui ont fait le déplacement à
Nayarit, toutes n’ont pas pu visiter leur parent. Les plus atteints
physiquement par la répression restent au secret. A Nayarit, le "planton"
de protestation composé des familles des détenus devient de plus en plus
important et compte maintenant une centaine de personnes.

En compagnie des familles, nous sommes allés rencontrer l’avocat qui
s’occupe de la défense des maîtres indigènes détenus. Celui-ci a fait le
voyage jusqu'à Nayarit pour rencontrer ses clients, mais les autorités
pénitentiaires lui ont refusé l’accès. Il nous a exposé ses deux
stratégies d’actions pour obtenir la libération des prisonniers, la
juridiction de droit commun ou la juridiction de droit fédéral. Dans le
premier cas, le "fuero comùn", il mettrait en évidence l’absence de preuve
et de témoin pour parvenir à l’appellation et ainsi obtenir la libération
des détenus. Dans le second cas, le "fuero federal", il mettrait en
évidence la violation des droits humains pour obtenir la libération. Le
premier cas présente l’avantage d’être la voie la plus rapide pour obtenir
la libération mais un gros désavantage puisqu’il impliquerait une
négociation avec le gouvernement d’Ulises Ruiz, donc une reconnaissance de
l’autorité du tyran. Le second cas, la voie la plus longue (plus ou moins
un mois et demi), présenterait l’avantage de mettre en évidence les
irrégularités du processus juridique et en même temps d’apporter la preuve
et de dénoncer les violations des garanties individuelles et des droits
humains.

Dans le post-scriptum, je vous transmets deux numéros de compte.
A bientôt,

M., Oaxaca, le 12 décembre 2006.

PS : Si vous voulez soutenir en contribuant financièrement les familles
des détenus, je communique deux numéros de compte :

Pour le CMPIO : au nom de Maximo Morales Gonzàlez ou Beatriz Gutiérrez
Luis
Calle Paraiso #723 Colonia del Bosque, Santa Lucia del Camino
CP 68000 Oaxaca
numéro de compte : 60-52322008-3
numéro de SWIFT : ?
Banque : Santander Serfin 5358 Sucursal Abastos Oaxaca
Calzada Fco. I. Madero # 539 colonia Centro Oaxaca CP: 68000
(il manque le numéro de SWIFT qui vous sera prochainement communiqué)

Pour le Comité de familles de détenus et de disparus d'Oaxaca (COFADAPPO) :
au nom de Deysi Santiago Hernàndez, numéro de compte : 120-7895381,
numéro de SWIF : BNMXMXMM
Banque : Sucursal 120 de Banamex
Calle Hidalgo # 821 Colonia Centro CP 68000 Oaxaca

* Pour obtenir le droit de visite, les familles doivent fournir : l’acte
de naissance original du détenu et deux copies simples ; l’acte de
naissance original du visiteur et deux copies certifiées auprès d’un
notaire ; l’acte de mariage original et deux copie certifiées devant
notaire ; en cas de concubinage, il est nécessaire de présenter la preuve
de concubinage d’un juge de famille ; une preuve de domiciliation (une
facture récente) qui coïncide avec le domicile de la carte d’électeur et
qu’elle soit au nom de la personne qui fait la demande du droit de visite.
Dans le cas contraire, il faut annexer la preuve de l’identité du
titulaire, ou la preuve de résidence original et deux copies simples ; une
pièce d’identité avec photo en cours de validité et deux copies simples ;
trois lettres de références personnelles qui ne soient pas de la même
famille ni de ses chefs de travail, qui signalent le nom de la personne,
son domicile, son téléphone, son travail, et depuis combien de temps ils
se connaissent, originales avec ses deux copies ; et trois photo
d’identité de taille infantile en couleur et sur fond blanc... Voila c’est
tout, c’est pas simple mais c’est original...
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   Posté le 20-12-2006 à 14:34:37   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

LA BATAILLE D'OAXACA

Suspense à la chambre des députés ce 1er décembre. Dans l'imposant
hémicycle du Parlement règne un tohu-bohu incontrôlable. Sous les deux
drapeaux géants vert-blanc-rouge qui servent de toile de fond, au milieu
des braillements, des slogans rageurs ou patriotiques, les députés du PRD,
la gauche, et du PAN, la droite au pouvoir, sont agrippés à la tribune,
qui a servi de ring, de dortoir et de cantine depuis trois jours. Ils ont
mangé sur place, dormi sur les velours et les boiseries et, à plusieurs
reprises, fait le coup de poing, ni les uns ni les autres ne voulant
abandonner leurs positions stratégiques dans le grand salon des séances
plénières. A 8 heures du matin, le pugilat reprend. Ceux de la gauche
tentent de bloquer toutes les portes avec leurs chaises curules pour
empêcher d'entrer Felipe Calderón, le nouveau président, et Vicente Fox,
le président sortant, qui doit lui transmettre aujourd'hui les insignes du
pouvoir. Jamais Calderón ne prêtera serment, le PRD l'a juré, jamais il ne
sera intronisé devant le Congrès à la date solennelle fixée par le
calendrier institutionnel.

Début juillet, lorsque Felipe Calderón a été déclaré vainqueur des
élections avec un avantage de 1,4 %, plus d'un million de partisans
d’Andrés Manuel López Obrador, le candidat du PRD, sont descendus dans la
rue pour protester contre un résultat qu'ils estiment frauduleux. Tout
l'été, ils ont multiplié les manifestations, exigeant, en vain, le
recompte des voix. Pendant un mois et demi, ils ont occupé l'avenue
Reforma, la principale artère de la capitale, qu'ils ont transformée en un
immense campement. Le 1er septembre, ils ont empêché le président Fox
de faire son rapport d'activité devant le Congrès. Comblant chaque fois le
Zocalo, la grand-place de Mexico, ils l'ont éclipsé de deux fêtes
nationales : celle de l'Indépendance, le 16 septembre, où il a dû se
contenter d'une maigre célébration en province, et celle de la Révolution,
le 20 novembre, où ils ont proclamé López Obrador "président légitime".
Ce 1er décembre, López Obrador harangue la foule qui remplit le Zocalo,
une nouvelle fois. Et une nouvelle fois, pas une image de cette
mobilisation à la télévision. Aucune chaîne ne remarque ces cent mille
manifestants qui remontent maintenant l'avenue Reforma.

Pour plus de sûreté, les autorités ont interdit aux hélicoptères des
médias de décoller, prohibant ainsi toute vision d'ensemble. En prévision
des troubles, l'état-major présidentiel a bloqué les grands axes où
doivent se déplacer les convois, encerclé les points névralgiques de
l'opération transition et restreint l'accès à plusieurs zones de la
capitale.

Tout autour de l'immense palais du Congrès et du quartier avoisinant ont
été fixés au sol des kilomètres de rambarde d'acier de trois mètres de
haut, gardées par des cordons de forces de l'ordre de toutes les
corporations.

Autre périmètre interdit, une triple barrière policière entrave l'avenue
Reforma et une garnison fait la haie autour du parc du parc de
Chapultepec, où doit se dérouler une partie des célébrations. Des postes
de contrôle assurent la stricte étanchéité du dispositif. Le déploiement
logistique traverse toute la géographie urbaine. Coupée en deux moitiés
protégées l'une de l'autre, la ville schizophrène doute de qui croire : la
douce musique de la télé ou la rumeur amère de la rue. Le Parlement est
juste sur la frontière, unique point de contact de deux univers
imperméables, étape obligatoire de la passation du pouvoir, dixit la
Constitution, où le rite doit s'accomplir ponctuellement.

9 h 30, toutes les télés s'arrêtent, toutes les radios se taisent pour
faire place à la parole unique : le Centre de production des programmes
spéciaux de la Présidence prend le relais et monopolise la transmission,
ne
laissant filtrer aucune autre image.

Un couple de présentateurs bien peignés se félicitent du calme régnant et
du bon fonctionnement de la démocratie. Pendant ce temps, le prochain chef
de l’État, un petit chauve à lunettes, s’est glissé par la porte de
derrière les drapeaux jusqu'à la tribune bondée. Au moment exact, il
apparaît sur les écrans, en plan serré, toute turbulence hors cadre. Il
dit ses trois phrases dans le micro sacré, jure de respecter et faire
appliquer la Constitution dans un presque silence où les huées et
sifflets, baissés au mixage, se sont amenuisés jusqu'à n'être plus qu'un
murmure qu'on pourrait croire d'approbation. Fox, apparu entre deux
épaules, lui remet plus ou moins solennellement l'insigne de sa fonction,
et Calderón enfile l'écharpe tricolore encore chaude de son prédécesseur.
Le président de séance envoie l'hymne en vitesse, et tous deux
disparaissent par où ils sont apparus un instant plus tôt, fin de
transmission. Cérémonie express, la passation est expédiée en 3 minutes 45
secondes. Big Brother rend l'antenne. Son forfait commis, la caméra
s'enfuit de ce grand salon qui sent la sueur et les cris vers les beaux
quartiers pour la suite du programme : close-up au téléobjectif de gens
frais rasés entre visages nets de gardes empanachés. Loin du centre
houleux, sous les frondaisons du parc de Chapultepec, on a commencé à
filtrer les entrées à l'Auditorium national, la moderne salle de spectacle
que le nouvel intronisé a réservée pour adresser son message à la nation.


Très loin de là, à Oaxaca, les brigades d'intervention spéciale
patrouillent dans les rues, ratissent les quartiers rebelles, s'emparent
des passants suspects, effectuent des arrestations en sourdine, sans
mandat, rompant les portes et les meubles des domiciles des "agitateurs",
torturent les détenus et les font monter dans des hélicoptères d'où ils
menacent de les jeter en plein vol, tandis que les bataillons de gendarmes
qui occupent le centre-ville tentent d'effacer toute trace de six mois de
lutte.

Le 22 mai dernier, dans cet État gouverné le Parti révolutionnaire
institutionnel depuis 1929, les 70 000 maîtres d’école se mettent en grève
pour exiger un réajustement de leurs salaires. Venus des banlieues et des
villages, de la sierra et de la côte pacifique, vingt mille instituteurs
et institutrices, nombre d'entre elles avec des enfants en bas âge,
portant leurs couvertures, marmites et braseros, campent autour du palais
du gouvernement et de la cathédrale et organisent ce qu'on appelle au
Mexique un planton, c'est-à-dire un forum permanent de pression,
d'exposition de leurs revendications.

Le 14 juin à l'aube, le gouverneur du PRI, Ulises Ruiz, envoie 2 000
policiers évacuer le campement manu militari. Réveillés en sursaut à coups
de matraque, les instits et leurs familles se réfugient dans les
établissements scolaires. Les hélicoptères entrent en action et les
bombardent de grenades lacrymogènes. Dans les cours d'école, la situation
devient insoutenable. On dénombre une soixantaine de blessés. Pourtant,
les grévistes se regroupent et à 10 heures du matin, forts de leur nombre
et de l'appui des habitants, réoccupent le centre-ville.

L'action du gouverneur Ruiz a déclenché contre lui beaucoup plus de forces
que celles qu'il comptait réprimer. En plus du planton, de ces profs en
grève qui jour et nuit font de l'agitation autour de leur cause, il a sur
les bras, à partir de ce 14 juin, un soulèvement social, pacifique mais
virulent, qui exige sa démission et dénonce une multitude d'abus des
autorités. Ce qui était une grève corporatiste soutenue par la population
est devenu une contestation généralisée.

Trois jours après se cristallise l'Assemblée populaire des peuples
d'Oaxaca. "Des peuples", au pluriel. Il ne s'agit pas du peuple, la
référence fondatrice des idéologies socialistes européennes, mais des
peuples, de toutes sortes de peuples différents. L'APPO agglutine des
syndicats professionnels, organisations autonomes, associations
culturelles, groupements paysans, coopératives, communautés de villages,
porte-parole des seize peuples indiens qui habitent l'État d'Oaxaca.
Dans un même forum se retrouvent les formations qui représentent ces
diverses cultures, ces diverses appartenances qu'on appelle des
"minorités", des groupes politiques nés de luttes antérieures, héritiers
de décennies de combats et de répression, mais aussi une masse
d'inorganisés sans emploi, marginaux, habitants de hameaux isolés,
prostituées, artistes contestataires, mères de famille, punks,
instituteurs, travailleurs migrants, étudiants et autres tribus, le réseau
dense des micro-sociétés qui couvre l'espace rural et urbain.
Pendant cinq mois, elle tient la ville d'Oaxaca, et son action s'étend
aussi à beaucoup de bourgs et de campagnes. Les écoles sont fermées, les
instances de l'État sont paralysées ; elle occupe les institutions, le
siège des pouvoirs et des administrations, envahit des mairies. Le 17
juillet, elle bloque les hôtels et empêche la réalisation de la
Guelaguetza, l'ancienne fête indienne de la prodigalité et des récoltes,
que les autorités ont converti en festival touristique payant, et qu'elle
célèbre à la manière traditionnelle sur les places publiques.
Le gouverneur ne laisse pas aux rebelles de l'APPO le temps de pousser
plus avant cette expérience de la liberté, de conquête d'espaces nouveaux.
Très vite il les harcèle ; par les attaques des médias à ses ordres, par
les exactions de ses hommes de main, il les pousse à la guerre, à
l'activité obsédante de la résistance.

Le 1er août, plusieurs milliers de femmes envahissent les studios pour
faire taire la station Radio La Ley (la loi) et la chaîne 9, la télévision
locale où les actualités sont jour après jour un long reportage sur les
réalisations du gouverneur Ulises Ruiz et un constant dénigrement de leur
cause. Tapant sur des casseroles, elles obstruent la transmission puis se
mettent à donner les nouvelles au micro, à présenter leurs luttes, à
dénoncer les injustices, à convoquer des mobilisations, à passer des
vidéos sur d'autres mouvements.

Deux jours plus tard apparaissent des commandos en 4×4 noirs sans plaque
qu'on appellera les "convois de la mort" ; la nuit, ils mitraillent à la
kalachnikov les locaux de télé occupés. Dans les jours qui suivent, trois
membres d'organisations indiennes sont exécutés. Puis trois instituteurs
sont enlevés par la police et torturés. Le lendemain, au milieu d'une
marche pacifique pour leur libération, un manifestant est tué par des
agents en civil embusqués.

Le 20 août, un contingent armé tente de récupérer radio La Ley et tue un
des occupants. Le 21 août, un groupe paramilitaire expulse les femmes de
la télévision ; l'APPO s'empare de douze stations de radios. Pour bloquer
les convois de la mort, le mouvement décide de construire des obstacles, de
dresser des barricades. Mais les agressions et les raids se multiplient.
Les gens qui veillent sur les barricades sont à leur tour la cible des
assassins. Le 27 octobre, quatre personnes sont tuées par balles dont un
journaliste américain, Bradley Will, qui travaillait pour le réseau
d'information par Internet Indymedia.

Les morts sont dans le camp du mouvement et les tueurs dans celui du
gouverneur. Pourtant, ces meurtres, la télé les appelle des
"affrontements" et les speakers appellent à rétablir l'ordre, à "mettre
fin à la violence, de quelque bord qu'elle soit".

Le 30 octobre, le gouvernement de Fox envoie de Mexico les forces
fédérales. Les pistoleros insaisissables sont remplacés par les bataillons
casqués. Douze "tankettes", comme les dénomment les journaux, sinistres
blindés anti-émeutes bardés d'un chasse-neige à manifestants, hérissés de
caméras et de canons à eau qui crachent un liquide corrosif, ouvrent la
voie aux 6 500 gendarmes qui marchent sur la ville ; les hélicoptères
survolent leur progression.

La bataille d'Oaxaca, comme titre les journaux, dure toute la journée.
La population oppose une résistance opiniâtre. Un peu avant 3 heures,
encerclés par une foule qui agite des affiches manuscrites et les
invective, un premier contingent de 300 policiers doit se retirer du
zocalo. Le gros des troupes avance pourtant. Au soir, une manif de 15 000
personnes se rassemble dans le nord et progresse vers le centre, mais
évite l'affrontement.

La police finit par conquérir la place centrale. Parallèlement, elle
perquisitionne les maisons des militants de l'APPO. Les blessés et
disparus se chiffrent par dizaines. Un jeune infirmier est tué par
l'impact d'une grenade lacrymogène.

Le 2 novembre, le jour des morts au Mexique, les habitants des quartiers
ont transformé les barricades en autels dédiés aux victimes de la
répression et décoré le campement de l'APPO d'offrandes traditionnelles.
Ils disposent devant leurs portes des bassines d'eau vinaigrée, des
caisses de bouteilles de soda, des chiffons, des draps qu'ils déchirent,
des paquets de serviettes menstruelles humidifiées que les manifestants
utilisent en guise de masque à gaz. Certains, sur leurs terrasses,
éblouissent avec les miroirs les pilotes des hélicoptères qui effectuent
des vols rasants et tirent des grenades de gaz lacrymogène.

Une partie du mouvement s'est repliée à l'université pour protéger Radio
Universidad, la dernière radio de l'APPO. Les policiers ont pris la
barricade qui en défendait l'accès, sur le rond-point de Cinco Señores.
Ils ont bloqué toutes les rues qui y mènent et marchent sur les bâtiments
des facultés.

Face à eux, les étudiants, résolus, contre-attaquent à coups de pierres, de
cocktails Molotov, de pétards qu'ils lancent à l'aide de sarbacanes, des
tuyaux en PVC que la télé appelle des bazookas. Les plus aventureux
renvoient les grenades lacrymogènes avec un gant ou un chiffon pour ne pas
se brûler. D'autres ont trouvé un truc, les arroser de Coca-Cola dès
qu'elles sont à terre : le liquide caramélise, les étouffe et les scelle
complètement. Les manifestants réussissent à immobiliser une "tankette" et
même à en prendre une autre, du moins à déloger ses occupants : bravant la
bête, un guerrier masqué grimpe sur la carlingue et bombe à la peinture la
meurtrière du pare-brise et l'œil de la caméra, aveuglant le monstre ;
d'autres l'aspergent d'essence et y mettent le feu. Les occupants
s'enfuient, abandonnent leur engin réduit à l’impuissance.

A ce moment, au milieu de la journée, de tous côtés, derrière les rangs de
la police, des manifestations descendent des hauteurs de la ville par les
rues qu'ils ont barrées. Prises à rebours, les forces de l'ordre, à court
de liquide pour leurs canons et de cartouches de gaz pour leur
lance-grenades, se retrouvent encerclées et doivent se replier au pas de
course. Professeurs de fac, ouvriers, vendeuses du marché, combattants aux
boucliers de bois peints aux couleurs de l'APPO et paysans maniant la
fronde, exultent : "Victoria !"

Le 20 novembre, les zapatistes bloquent les routes du Chiapas en
solidarité avec Oaxaca. Cette nuit-là, la police brûle le dernier
campement de l'APPO. L'ultime radio tenue par les rebelles est baillonnée.
Le 25 novembre, l'APPO décide d'encercler la police. Celle-ci attaque les
cortèges qui l'entourent. Postés sur les toits, les sbires du gouverneur
tirent sur les manifestants. Des cocktails Molotov sont lancés contre le
tribunal, le théâtre et un hôtel. Exactement ce qu'il fallait à la
télévision : Oaxaca en flammes !

A la nuit, la rafle commence, une vague de détentions visant à exécuter
les quelque 600 mandats d'arrêts lancés par la justice. Plus de deux cents
personnes sont détenues. Ceux qui échappent se cachent. Tandis que la
chasse continue, 141 prisonniers dont 3 mineurs et 36 femmes sont
transférés en hélicoptère au pénitencier de haute sécurité de l'État de
Nayarit, à 1 200 kilomètres de là, et soumis au régime réservé aux
délinquants très dangereux : sans contact avec leur famille, interdits de
visite des avocats, médecins, observateurs des droits de l'homme.

Ce 1er décembre, le journal annonce que les deux fonctionnaires municipaux
identifiés comme les meurtriers du journaliste Bradley Will ont été
libérés. La presse publie la photo du gouverneur Ulises Ruiz, parcourant
triomphalement les rues de sa capitale pour la première fois depuis six
mois, malgré les 17 morts qu'on lui impute.

A midi, alors que sur l'avenue Reforma les partisans de López Obrador se
dispersent dans l'amertume d'une vaine mobilisation, télé-présidence
reprend possession des ondes, interrompant le cours des émissions.
Le couple de présentateurs bien coiffés soulignent les ovations et
slogans : "La satisfaction est générale, le pays a su mener d'une façon
incontestable l'étape de la transmission des pouvoirs, moment historique
qui inaugure une nouvelle ère..."

"Sí se pudó!" (on a pu le faire !) scande une foule sage et réjouie, un
public choisi, nanti de 8 000 cartons d'invitation, que balayent les
caméras téléguidées suspendues au plafond du bâtiment comme dans les
matches de foot. A l'Auditorium national, le vrai show de la journée
commence. Monsieur Slim, le propriétaire de la compagnie de téléphone,
messieurs Salinas Pliego et Azcarraga, les patrons des deux télés
commerciales, sont là, parmi les grands hommes du business et de la
politique. Les seuls visages sombres sont les gardes du corps indiens aux
tempes rasées en complets cintrés répartis dans les travées, et une petite
délégation de représentants indigènes. Leurs chemises brodées et
sombreros, qui détonnent parmi les cravates et les étoles, accrochent un
instant le regard des caméras qui s'éloignent aussitôt car ils ne chantent
pas l'hymne assez visiblement.

Devant ce parterre trié sur le volet, ce Mexique sur mesure, opulent et
satisfait, Calderón, sur le podium tapissé de blanc étincelant, a
l'occasion de se montrer un vrai leader et lance des phrases comme : "Tous
les enfants qui naîtront à partir de ce 1er décembre 2006 auront la
sécurité sociale" ou "Je vais dès à présent baisser les salaires des hauts
fonctionnaires d'État et du président". Il ne dit pas de combien
(finalement ce sera de 10 %).

Sous le charme de l'orateur, le peuple des millionnaires, les militants du
capitalisme scandent, paraphrasant un slogan populaire (ça se voit, ça se
sent, le peuple est présent) :

"Ça se voit, ça se sent
Felipe président !"

De part et d'autre de son pupitre, les ministres qu'il vient de nommer
font étal de leurs mérites. Celui de la Santé a mené victorieusement la
croisade contre la légalisation de la pilule du jour d'après. Celui de
l'Intérieur, ex-gouverneur de Jalisco, s'est chargé de la violente
répression des manifs contre le sommet de Guadalajara en 2004. Celui de la
Justice, ancien chef des services secrets, s'est chargé personnellement de
coordonner et mener à bien la répression à Atenco et à Oaxaca.

L'armée défile ensuite devant le chef de l'État, son nouveau commandant en
chef, l'occasion du déploiement d'un drapeau sur un mât de 100 mètres de
haut, de 21 coups de canon, et de la promesse de Calderón que son plan
d'austérité n'affectera aucunement l'augmentation générale de salaire
qu'il prévoit d'octroyer aux forces armées (ce sera de 20 %).

"Le Mexique a un nouveau président ; beaucoup de choses vont se produire
pour que tu vives mieux", enchaîne un message exalté des services de
communication officiels sur des images d'un nouveau-né poussant son
premier cri, d'un paysan accueillant la pluie avec ferveur, de jeunes se
donnant l'accolade sur le chemin de l'école, de travailleurs à la tâche
enthousiastes.

A Oaxaca, ce 1er décembre aussi, malgré l'occupation policière et les
mandats d'arrêt, une manifestation vainc la peur et défile dans les rues
de la ville. Le mouvement continue, se réorganise dans les montagnes,
tisse des contacts avec d'autres États où des luttes semblables tentent de
se rejoindre.

Pendant six mois, ses participants ont résisté, confrontés à des appareils
répressifs de plus en plus puissants. Loin de l'idée de révolution
léniniste, ils refusent le choix guérilla ou soumission, affirment et
revendiquent leur différence avec les révoltes passées, cherchent leur
chemin, une autre voie, une autre inspiration nourrie des expériences des
villages et des cultures indiennes, de leur forme de démocratie, de leurs
assemblées, de l'influence du précédent zapatiste.

Au Chiapas, l'EZLN s'apprête à fêter le treizième anniversaire de son
irruption à la surface du monde et se prépare à tenir tête à un nouveau
président, le quatrième depuis son apparition publique. Les zapatistes
convoquent une troisième rencontre internationale pour cet hiver et
Marcos, au terme de sa tournée à travers tout le pays, lance le 2
décembre, au lendemain de la prise du pouvoir de Calderón, une nouvelle
campagne pour la libération des prisonniers d'Atenco et d'Oaxaca.

Joani Hocquenghem

Texte à paraître dans le prochain numéro de la revue "Chimères".
http://www.revue-chimeres.org/
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   Posté le 20-12-2006 à 18:59:31   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Un texte du PCMLM sut le "commune" d'Oaxaca :


Au sujet de la « commune » d'Oaxaca


Jusqu'à présent il n'était pas souhaitable de critiquer le mouvement s'étant développé à Oaxaca, car la solidarité primait sur la répression.

Mais désormais rien ne doit empêcher la critique non seulement de la nature de ce mouvement, de son développement, de son effondrement totalement prévisible.

S'imaginer que dans un pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, on puisse avoir une contestation faisant reculer le fascisme, est une illusion criminelle.

C'est pourtant cette illusion qui a été propagé par le courant anarchiste, en France comme dans d'autres pays.

Ainsi, il a été considéré comme « scandaleux » que les médias ne parlent pas de la situation à Oaxaca, alors que ces mêmes anarchistes n'ont jamais parlé ne serait-ce qu'une seule fois de la grève de plusieurs milliers d'usines au Bangladesh en mai-juin 2006 ou des affrontements armés qui ont lieu quotidiennement en Inde.

Et dire cela ce n'est pas opposer un mouvement à un autre, mais simplement constater que les ouvriers et les paysans n'intéressent pas les anarchistes, pas plus que la révolution agraire ou le fait de chasser les monopoles US ou européens. Les anarchistes préfèrent qualifier d'exemplaire une lutte des... instituteurs protestant contre le caractère non démocratique des élections du gouverneur.





Cette protestation a consisté en l'occupation de la place principale de la ville, d'une ville de 300.000 habitants dans un pays de 100 millions de personnes - c'est dire si l'action est à la fois réformiste et d'une proportion infime dans l'histoire du Mexique.

Même la répression contre le mouvement le 14 juin 2006, qui a fait 8 morts, 15 disparus, n'est malheureusement rien dans l'histoire révolutionnaire du Mexique, un pays fasciste où les opposants sont exterminés - mais cela les anarchistes ne veulent pas le voir.

Ils préfèrent fantasmer sur l'Assemblée populaire des peuples de Oaxaca (APPO), qui serait une « Commune de Paris » moderne alors qu'en fait il s'agit d'un rassemblement de 350 différentes organisations (associatives, syndicales, politiques, indigènes mais également des syndicats de professions libérales) ayant géré la misère sociale pendant plusieurs mois, sans jamais socialiser la production et la consommation.

Certaines associations ou personnes participaient beaucoup à l'APPO, d'autres très peu, d'autres parfois, etc.; il n'y a pas eu de révolution au Mexique et l'APPO n'était pas le pouvoir des conseils populaires, voilà la vérité!

L'APPO était une coordination visant, sur la base du pacifisme, aux négociations avec l'Etat fasciste mexicain - à qui était attribué la légitimité (par opposition au pouvoir régional du gouverneur).





Ainsi, si l'APPO faisait appliquer aux « délinquants » des travaux d'intérêt général, dans le cas d'un assassin, d'un paramilitaire ou d'un franc-tireur, l'APPO remettait celui-ci à la justice fédérale, la PGR (Procuraduría General de la República) par l'intermédiaire du syndicat des enseignants!

Et l'on veut faire passer cette pratique pour la Commune de Paris? Alors dans ce cas la Commune de Paris vit dans chaque canton de la Confédération Suisse!

L'un des principaux dirigeants de l'APPO explique lui-même les misérables objectifs du mouvement : « Dans un premier temps, l'APPO était une réponse populaire face à l'agression contre les enseignants et cherchait à atteindre un objectif commun : la démission de Ulises Ruiz Ortiz [le gouverneur de l'Etat d'Oaxaca, ndlr].

Par la suite, l'idée s'est développée qu'il ne s'agissait pas seulement de rechercher la chute d'Ulises mais aussi de commencer à transformer nos conditions de vie et d'établir les fondements d'une nouvelle relation société-gouvernement. Dans cette perspective, on a réalisé plusieurs débats très intéressants, avec notamment la participation d'universitaires, d'intellectuels, de religieux et de membres d'autres organisations. » (Interview de Flavio Sosa, 6 décembre 2006, RISAL).





Oui, la résistance populaire aux escadrons de la mort, les affrontements et les barricades, ont été une bonne chose - mais tout cela dépasse le cadre étroit et réformiste « dur » de l'APPO, tout cela a voir avec la lutte de classes et non pas le culte d'un gloubi-boulga rassemblant différentes couches sociales, sans aucune préoccupation de la paysannerie et sans direction de la classe ouvrière.

Ce n'est pas pour rien que l'APPO s'est clairement désolidarisé des actions unifiées de 5 guérillas (le Mouvement révolutionnaire Lucio Cabanas Barrientos, la Tendance démocratique révolutionnaire - Armée du peuple, l'Organisation Insurgée 1er Mai, la Brigade de justice 2 décembre et les Brigades populaires de libération).

Comme l'a constaté Miguel Linares, enseignant et membre de l'APPO : « Au début, nous ne pensions pas qu'Oaxaca allait exploser de cette manière.

Nous en avons seulement pris conscience lorsqu'ils nous ont attaqués le 14 juin. Il y a eu une réponse immédiate de la population. Les gens se sont solidarisés avec les enseignants et ont participé aux actions. Les barricades sont apparues à ce moment précis, lorsque nous avons commencé à être attaqués par des groupes paramilitaires.

Des groupes d'autodéfenses ont alors commencé à être formés pour ne pas les laisser circuler librement dans Oaxaca. » (Interview, 23 novembre 2006, RISAL).

Ainsi en octobre l'Etat mexicain n'a pas eu de mal à reprendre la ville et écraser la centaine de barricades; après avoir toléré les protestations, il n'a pas eu de mal fin novembre à écraser l'APPO.

Les anarchistes de la CNT-AIT de Toulouse disaient : « Il y a une différence de taille entre la commune de Paris et celle de Oaxaca, c'est que cette dernière n'est pas isolée. » (Le peuple mexicain est prêt pour le communisme, 9 novembre 2006).

Ils leur auraient suffits de lire « L'Etat et la révolution » de Lénine pour comprendre l'erreur tragique de l'APPO, ils n'auraient alors pas fantasmé sur le communisme au Mexique alors que le massacre par des gens armés de gens désarmés.

De la même manière, l'appel de l'EZLN du « sous-commandant » Marcos est pathétique car répétant depuis une dizaine d'années la même rhétorique chrétienne : « Nous appelons à culminer ces actions par une mobilisation mondiale pour l'Oaxaca le 22 décembre 2006.

Le peuple de l'Oaxaca n'est pas seul. Il faut le dire et le démontrer. Le lui démontrer et le démontrer à tout le monde. Démocratie ! Liberté ! Justice ! » (communiqué de décembre 2006 sur Oaxaca).

Ce sont encore les masses, qui ne peuvent pas comme les « leaders » petits-bourgeois « se mettre au vert » dans les montagnes ou les régions reculées, qui sont les victimes de la politique petite-bourgeoise.





Les guerres populaires qui se développent - en Inde, au Pérou, au Bangladesh, au Philippines, en Turquie, au Bhoutan - montrent le caractère ridicule de ce réformisme béat qui se croit « démocrate » parce qu'il donne la parole - et la direction politique - à la petite-bourgeoisie.

Elles montrent qu'il ne faut pas « manifester quotidiennement » pour protester mais au contraire prendre le pouvoir, tout le pouvoir !

Et ceux et celles ne mettant pas la question du pouvoir au centre ne son t pas des communistes authentiques, comme par exemple la plus grande organisation marxiste-léniniste existante, le MLKP (PC Marxiste-Léniniste de Turquie et du Kurdistan du Nord) qui affirme : « Notre Parti le MLKP appelle toutes les forces progressistes, révolutionnaires et communistes, la classe ouvrière et les peuples opprimés, à se solidariser de la commune d'Oaxaca. » (MLKP, 27 octobre 2006).

C'était à la « commune » d'Oaxaca de se solidariser avec les ouvriers et les paysans du Mexique, de s'emparer de l'idéal communiste, de comprendre la nécessité de détruire l'Etat - une tâche impossible vu les fondements de classe de l'APPO.

En ce sens, l'avenir appartient au Communistes (marxistes-léninistes-maoïstes) du Mexique, à la Guerre populaire !

Pour le PCMLM, décembre 2006.

>Source<
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   Posté le 23-01-2007 à 21:10:21   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Désolé pour la mise à jour... tardive.

Bien le bonjour,

Le Conseil "estatal" de l’Assemblée des peuples d’Oaxaca continue son
chemin, les commissions arrivent à se réunir en prenant quelques
précautions élémentaires. Comme vous avez dû le savoir, le Conseil pour la
Vallée centrale s’est réuni dans la nuit du 12 décembre en session
plénière ; au cours de cette réunion, de nouvelles actions de protestation
ont été décidées en vue de la destitution du gouverneur honni, le départ
de la Police fédérale préventive et la libération "des prisonniers
politiques et de conscience". Faisant preuve d’une grande imagination, le
Conseil a décidé une nouvelle manifestation pour dimanche prochain à
laquelle participera la COMO (Coordinadora de Mujeres Oaxaqueñas Primero
de Agosto). Cette manifestation partira de la fontaine des Sept-Régions
pour se rendre à la place de la Danza. En général, les femmes d’Oaxaca,
"las cacerolas" qui ont pris le siège de la radiotélévision locale Canal 9
le 1er août, ont des idées, je me souviens que, lors d’une manifestation
de rejet de la police fédérale accusée de violence sexuelle, elles avaient
levé des miroirs face à la rangée de flics afin qu’ils puissent se voir,
et lire, écrit sur les miroirs : "violadores". Cette fois, elles parlent
de s’enchaîner et de se bâillonner. Cela dit, cette succession de
manifestations est importante, c’est une façon de maintenir en ces moments
difficiles l’unité du mouvement et la mobilisation des esprits en vue des
échéances à atteindre. Hier, vendredi 15, ce sont les étudiants qui ont
manifesté avec les familles des disparus et des prisonniers, ils ont
surpris la PFP, qui dut prendre des mesures de protection dans la
précipitation quand ils sont passés à proximité du zócalo.

Durant cette session, les conseillers ont aussi résolu de se joindre à la
grande mobilisation convoquée par les zapatistes le 22 décembre prochain
pour le neuvième anniversaire du massacre d’Acteal, avec des
manifestations dans les principales villes de l’Etat et dans la capitale.
"Il y a toujours un état d’exception de fait afin d’intimider le peuple et
qu’il s’écarte du mouvement", précise le porte-parole de l’APPO et il
souligne que "la lutte du peuple" va bien au-delà des objectifs immédiats
mis en avant au cours des manifestations publiques et qu’elle poursuit une
profonde transformation de la vie sociale et politique de l’Etat à travers
une nouvelle constitution. 150 membres sur plus de 200 ont participé à ce
Conseil "estatal" de l’APPO. J’ajouterai à ce court exposé sur l’activité
du Conseil que la plupart de nos amis de la Coalition des maîtres d’école
indigène, de l’Autre Campagne et des barricades sont surtout occupés à
défendre les prisonniers, à soutenir les familles et à échapper aux flics.
La réponse à la répression n’est pas un retour au "chacun pour soi" comme
l’espérait l’Etat, mais une réponse collective. Pendant un moment, nous
avons pu croire que certaines familles, d’obédience priiste par exemple,
allaient faire bande à part et chercher à négocier la liberté de leurs
prisonniers avec le gouvernement en se dédouanant sur le dos des autres.
Ce ne fut pas le cas, la défense reste collective et l’expression de la
solidarité de tous.

Je viens d’apprendre que 43 prisonniers de Nayarit viennent d’être libérés
sous caution, de manière tout aussi arbitraire que celle qui avait présidé
à leur enfermement ; personne ne sait ici qui a bien pu payer la caution.
Le syndicat de l’éducation nationale ? Le fait du prince ? Et les autres ?
Mesure d’apaisement ou de division ? Je pencherai pour la seconde
hypothèse : quand les familles ont appris la nouvelle cet après-midi,
certaines ont crié leur joie, d’autres leur désespoir, toujours le fait du
prince. Les gens sont arrêtés sur décisions supérieures, les accusations
ayant été préfabriquées de longue date, ils plongent alors dans les
méandres kafkaïens d’une justice aux ordres et les procès vont pendant des
années s’enliser, s’engloutir dans les sables mouvants de l’impuissance
jusqu’au moment où l’Etat, lassé par le bruit, décidera de leur sort.
C’est ce qui s’est passé pour les torturés de Loxicha, ce qui se passe
pour les suppliciés d’Atenco et maintenant pour ceux d’Oaxaca. La passion,
la frénésie avec laquelle les Mexicains se lancent tête baissée dans le
juridique tout en sachant au fond d’eux-mêmes toute la vanité de leurs
efforts insensés me surprendra toujours. C’est la passion pour le juste,
une soif de justice qui est d’autant plus forte qu’elle n’est jamais
étanchée. Aux dernières nouvelles, Ulises Ruiz aurait négocié avec Rueda
Pacheco, du comité "estatal" de la section 22 du syndicat enseignant, la
libération des maîtres d’école ; en effet, pratiquement tous les instits
vont retrouver la liberté, 17 sur 22, il manque à l’appel tout de même un
maître d’école et trois éducatrices indiennes. Le comité directeur du
syndicat cherche à apaiser sa base, qui est particulièrement remontée
contre lui, et le gouverneur ne veut pas se retrouver avec une nouvelle
grève du corps enseignant sur les bras au moment où la police fédérale se
retire du centre-ville pour laisser la place aux touristes, Oaxaca est
très prisée, l’hiver, par les touristes nord-américains.

Je reviens de la manif des femmes. Le lieu de rendez-vous était bourré de
flics. On nous a fait remarqué que c’étaient des flics ministériels
déguisés en policiers fédéraux : "Regarde, certains ont des moustaches,
d’autres une panse qui déborde du ceinturon, ce n’est pas le corps
d’élite, bien entraîné de la PFP !" Je crois bien qu’ils ont raison. Pour
les premières au rendez-vous, ce déploiement de force est impressionnant
et il faut un certain courage pour rester à l’ombre et attendre l’arrivée
des autres afin que le nombre fasse une masse plus compacte à opposer à
cette présence dissuasive. Ils sont venus pour protéger, je pense, la
fontaine des Sept-Régions restaurée et enlaidie par le gouverneur.
Finalement, nous marchons jusqu’au parc Madero à la sortie de la ville en
direction de Mexico. Là, nous attendons l’arrivée des 43 prisonniers
récemment libérés. L’attente est longue sous le soleil de midi, mais, ici,
les gens ont la patience du Grand Sud. Ils ont fait venir une troupe de
musiciens pour accueillir les ex-détenus. La "banda" joue par
intermittence et sans grande conviction, les heures passent et rien à
l’horizon, les musiciens, qui ont rempli leur contrat et ont d’autres
échéances, partent, on tente de les retenir, de les convaincre de rester,
en vain, ils se sauvent, il ne reste que le trombone, son instrument est
trop lourd pour qu’il puisse prendre la fuite, les autres sont déjà loin,
il n’y a rien à faire… et c’est à ce moment qu’arrivent les cars tant
attendus. Il n’y a pas de musique, qu’importe, nous allons chanter et
c’est en chantant en chœur ("Vence-re-mos! Vence-re-mos, al Estado
sabremos vencer, vence-re-mos, vence-re-mos... a luchar, a luchar... el
campesinos, maestros, obreros, la mujer de la casa también todos juntos a
luchar, a luchar!"), et sous les applaudissements, que la foule accueille
les déportés. C’est un moment de grande émotion, cette effusion collective
à cœur et bras ouverts.

La prochaine échéance importante à mon sens sera la convocation de
l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca. Elle ne se fera pas dans
l’immédiat, je pense ; d’une part, à la suite de la bataille du 25, une
reconstitution silencieuse des forces est nécessaire ; d’autre part, cette
assemblée plénière des peuples devrait être l’aboutissement des assemblées
communales et régionales, qui devraient se tenir successivement dans tout
l’Etat d’Oaxaca.

C’est le moment de reprendre notre souffle et d’analyser entre mythe et
réalité les lignes de force de cette "Commune d’Oaxaca". Tenter de donner
une signification à un ensemble d’événements, c’est déjà interpréter la
réalité. La différence entre le travail d’un historien et le mythe tient à
peu de chose. Le mythe comme le travail de l’historien est "un discours
qui révèle le réel", pour reprendre une définition de Hegel sur le mythe.
Seulement alors que le travail de l’historien reste l’expression d’une
pensée individuelle, ce qu’on appelle une thèse, le mythe est l’expression
d’une pensée collective, c’est le sens attribué collectivement, après
coup, à un événement historique, qui apparaît alors comme un événement
civilisateur, marquant un point de départ. Le mythe est la "vérité" de
l’histoire, du moins la vérité qu’en tire un groupe social, une communauté
de pensée. Quand, le 2 novembre, la locutrice de la radio universitaire,
la docteur Bertha dite Escopeta, nous appelait à venir défendre la radio,
elle nous engageait clairement à entrer dans l’histoire, autant dire dans
le mythe : "C’est une journée historique, ne restez pas chez vous, venez
défendre votre radio, entrez dans l’histoire, c’est un moment historique
que nous vivons, ne restez pas à la maison..." Et, dans un certain sens,
elle avait raison, la victoire du 2 novembre des habitants d’Oaxaca sur
les forces fédérales va marquer les esprits et son souvenir alimenter la
légende de la "Commune d’Oaxaca".

"C’était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était
ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d’initiative
sociale, même pour la grande masse de la classe moyenne de Paris,
boutiquiers, commerçants, négociants – les riches capitalistes étaient les
seuls exceptés [...] La grande mesure sociale de la Commune, ce furent sa
propre existence et son action. Ses mesures particulières ne pouvaient
qu’indiquer la tendance d’un gouvernement du peuple par le peuple." Cette
réflexion de Marx au sujet de la Commune de Paris (cf. "La Guerre civile
en France" ) peut nous aider à mieux cerner les caractères de la Commune
d’Oaxaca. Disons tout de suite que la mesure sociale de la Commune
d’Oaxaca, comme pour celle de Paris, est sa propre existence. C’est par
son propre développement, en imposant son propre style de relations, sa
cosmovision, par le rôle majeur et déterminant que tient l’assemblée, que
la Commune parvient ou peut parvenir à transformer en profondeur toute la
vie politique et sociale : "Nous avons la mission d’accomplir la
révolution moderne la plus large et la plus féconde de toutes celles qui
ont illuminé l’histoire", disaient déjà les partisans de la Commune de
Paris. Toutes les deux sont ennemies de la guerre civile et cherchent à
l’éviter. Dans les deux cas, les femmes ne sont pas exclues et participent
à égalité avec la gente masculine à la construction d’une nouvelle
organisation sociale, tout en ayant leur propre association : l’Union des
femmes pour la défense de Paris et le secours aux blessés, d’un côté ; la
Coordinadora de Mujeres Oaxaqueñas Primero de Agosto, de l’autre.

Deux différences importantes. Première différence : la Commune de Paris a
réellement gouverné la capitale et c’est en tant que gouvernement légitime
issu du peuple de Paris, des comités de quartiers et d’arrondissements,
qu’elle s’est opposée au gouvernement versaillais, rien de tel ici, à
Oaxaca, où elle est restée un mouvement d’opposition exigeant la
destitution du gouverneur, ce qui supposait de nouvelles élections, sans
chercher à se substituer à lui en tant que nouveau gouvernement de l’Etat
d’Oaxaca. En empêchant Ulises Ruiz de gouverner, elle a créé un vide, elle
a organisé une vacance du pouvoir, ce qu’on a appelé la disparition des
pouvoirs. C’est cette disparition qu’elle cherchait à faire reconnaître
par l’Etat central, sans y réussir. Elle n’a pas cherché à remplir ce
vide. Cependant, elle n’allait pas en rester là et elle n’en reste pas là.
Du fait de son mode d’organisation, la Commune d’Oaxaca est porteuse d’un
projet politique et social, elle appelle à une Constituante pour
l’élaboration d’un nouveau contrat social. En fin de compte, elle se
présente aux yeux de la société comme un commencement, comme le point de
départ d’un dialogue entre les différents secteurs pour une nouvelle
constitution, qui reconnaîtrait, par exemple, l’assemblée communautaire
comme l’élément fondateur de la vie politique.

Deuxième différence : le monde ouvrier, bien présent à travers les
sections de l’Internationale, les chambres syndicales et les coopératives
dans la Commune de Paris, brille par son absence dans la Commune d’Oaxaca.
Les catégories sociales dont parle Karl Marx sont présentes, boutiquiers,
petits commerçants, artisans, maçons, menuisiers, mécaniciens, manœuvres,
journaliers, portefaix, musiciens, serruriers, tout le monde des petits
métiers, qui constitue la population des colonies et des quartiers
pauvres, participent ou ont participé à divers degrés à ce mouvement
social, mais pas les ouvriers conscients d’appartenir à une classe
particulière, disons le prolétariat, travaillant dans les mines,
l’industrie et les manufactures. Il y a bien hors de la ville ce que le
gouvernement nomme pompeusement une zone industrielle où se trouvent
quelques maquiladoras, les syndicats y sont bannis et, à ma connaissance,
les gens qui y travaillent ne se sont jamais manifestés à l’assemblée
comme travailleurs ou travailleuses organisés, s’ils ont pu un jour faire
partie de l’APPO. Il y a bien, comme dans la France du XIXe siècle un
exode important des campagnes, mais c’est pour aller travailler dans le
pays voisin ou dans les plantations de tomates de Sonora, ou pour venir
dans la ville exercer les petits métiers cités plus haut. En aucun cas,
nous pouvons dire au sujet d’Oaxaca ce qu’écrit Marx au sujet de Paris,
que "c’était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était
ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d’initiative
sociale". Si les habitants des colonies ont pu jouer un rôle important,
c’est surtout comme communauté de voisinage, et non en tant qu’ouvriers
organisés.

Deux groupes sociaux jouent (ont joué et vont jouer) un rôle déterminant
dans l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca : le corps enseignant et
le monde indigène. Comme vous avez pu vous en rendre compte, le courant
passe difficilement entre les deux, en général les communautés
villageoises reprochent aux maîtres d’école le fait de participer très peu
à la vie sociale du village. Souvent, il y a eu, au cours du mouvement,
mésentente entre la population et les enseignants, et la raison en est
très simple : les maîtres d’école ont dédaigné aviser de leur lutte les
habitants du village. "A travers la rumeur, nous avons eu connaissance des
problèmes avec le gouvernement, mais les éducateurs n’ont pas eu la
courtoisie de nous dire en assemblée comment se présentait l’affaire", dit
un habitant de la région mixtèque. Cet hiatus, nous l’avons ressenti aussi
dans la ville même, où la communication passait mal non seulement entre
les enseignants et une partie de l’assemblée mais aussi entre l’APPO,
dominée par le corps enseignant, et les colonies, les quartiers et les
barricades, au point d’ailleurs où certains jeunes des barricades ont
failli rompre avec l’assemblée. Pas toujours, il faut aussi signaler que
dans certaines municipalités ou colonies le lien était étroit et très fort
entre les maîtres d’école, les parents d’élèves et la municipalité, ce
sont dans ces communes ou dans ces quartiers que le mouvement populaire
était, et reste, le plus puissant. Revenons à ces deux pôles de
l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca et commençons par le corps
enseignant, qui a fourni ce que j’appellerai les cadres politiques de
l’APPO.

Le Syndicat national des travailleurs de l’éducation (SNTE) a été fondé en
1943 et il est divisé en 58 sections (il y a des Etats qui ont deux
sections comme l’Etat du Chiapas, la section 7 et la section 40). La
section 22 correspond à l’Etat d’Oaxaca. Le syndicat, comme tous les
syndicats mexicains, est contrôlé au niveau national par le Parti
révolutionnaire institutionnel qui était, il y a peu le parti d’Etat, ou
parti unique. Par exemple, Esther Gordillo, l’actuelle secrétaire
nationale, a été placée à la tête du SNTE par le président de la
République, Salinas de Gortari en 1989, elle y est encore. En 1979 est
apparu au sein du SNTE un courant démocratique critique de la bureaucratie
syndicale restée entièrement sous la coupe du parti d’Etat. Ce courant est
apparu pour la première fois au Chiapas en décembre 1979 où il est resté
minoritaire, il a un nom, c’est la Coordination nationale des travailleurs
de l’éducation – Coordinadora Nacional de los Trabajadores de la Educación
– ou CNTE. Elle est minoritaire au Guerrero, Michoacán, District fédéral,
pratiquement inexistante ailleurs. Elle est majoritaire dans un seul Etat,
celui d’Oaxaca. Cette tendance, après une lutte féroce contre la
bureaucratie avec son cortège d’assassinats, de grèves et de répressions
sanglantes, a pris le contrôle de la section 22 en 1982. Elle a glissé sa
propre organisation à l’intérieur du SNTE et elle a en quelque sorte
inversé le sens des prises de décision. A la base se trouvent les
délégations (plus de 40 personnes) et les centres de travail (moins de 40
personnes) en fonction de la concentration des écoles ; il y a 570
délégations et plus de 200 centres de travail. Les délégations et les
centres de travail désignent leurs délégués, deux par délégation et un par
centre de travail, qui formeront les comités ou coordinadoras de secteur
(37) et de régions (7), ils sont désignés pour deux ans et continuent à
travailler. L’assemblée générale des travailleurs de l’éducation a lieu
chaque mois, c’est l’organe suprême, c’est elle qui désigne les membres de
la direction collective ou comité "estatal" chargés de l’application des
décisions prises en assemblée et de coordonner à travers les comités de
région et de secteur les plans d’action. Les membres du comité au niveau
de l’Etat sont des permanents nommés pour trois ans. C’est à ce niveau que
le bât blesse actuellement, puisque les permanents comme Rueda Pacheco
semblent agir à leur guise, pour un intérêt étranger à la volonté de
l’ensemble, ils ont réussi à falsifier les votes et à manipuler les gens,
provoquant une colère qui n’attend que la prochaine assemblée pour
s’exprimer. Ce n’est pas nouveau, depuis quelques années déjà s’était peu
à peu reconstituée une bureaucratie syndicale qui, avec l’aide des partis
politiques, cherchait à prendre le contrôle de la section 22. C’est le
comité "estatal" qui doit convoquer tous les mois l’assemblée et pour
l’instant, sachant ce qui l’attend, il en repousse indéfiniment
l’échéance.

L’APPO est calquée en grande partie sur l’organisation de la section 22,
elle a eu la sagesse de former un conseil, el Consejo estatal, comme
direction collective (plutôt qu’un comité directeur) dont les membres sont
bénévoles et nommés pour deux ans (plutôt que salariés et nommés pour
trois ans), ajoutons que les conseillers sont révocables à tout instant
par l’assemblée s’ils accomplissent de travers la mission qui leur a été
confiée. Cela dit, le problème qui est apparu au sein du syndicat
enseignant ne disparaîtra pas pour autant au sein de l’APPO, c’est à
l’assemblée à se montrer vigilante quant au choix de ses délégués. Pour
l’instant, la grande partie des conseillers, sous diverses casquettes,
délégués de quartiers, de groupes politiques et d'associations civiles, de
municipalités, en plus des quarante sièges qui ont été réservés à la
section syndicale, sont membres du corps enseignant, ce sont eux, avec les
militants des différentes organisations politiques et civiles (le PRD et
Flavio Sosa, par exemple), qui leur sont assez proches en pensée, qui
forment le corps politique de l’APPO. La plupart sont issus de la gauche
traditionnelle marxiste-léniniste avec une grande expérience de la lutte
syndicale et fort jaloux de la démocratie assembléiste à laquelle ils
étaient parvenus. Pourtant, leur formation intellectuelle et politique,
l’idéologie qui les anime, les a parfois éloignés de la vie sociale
proprement dite des quartiers, des colonies et des communautés. Ils
luttent pour ce qu’ils appellent d’un terme générique "le peuple", pour
"un gouvernement du peuple par le peuple", disent-ils, tout en éprouvant
quelques difficultés de communication avec ce fameux peuple, dont ils se
sont trouvés, par la force des circonstances et de l’idéologie, séparés.
Pour l’Etat, ils représentent la partie visible et la mieux connue de
l’APPO ; fils rebelles et prodigues de l’Etat, ils sont en première ligne
et forment les cibles privilégiées de la répression et du châtiment.

Pour Ulises Ruiz et ses comparses de l’Etat fédéral, dont Esther Gordillo,
la section 22 du syndicat des enseignants reste l’ennemi à abattre,
l’ennemi déclaré, l’ennemi numéro 1, et ils cherchent par tous les moyens
à la défaire, à rompre l’unité qui faisait sa force, à y apporter la
division. Rappelons pour mémoire que la section Oaxaca compte 70 000
adhérents et que l’assemblée a un pouvoir de convocation et de
mobilisation exceptionnel. Le jeu ambigu des dirigeants aide le
gouvernement d’Ulises Ruiz dans sa tâche de démolition. Un coup de force,
en quelque sorte un coup d’Etat, se prépare au sein de la section 22 ; il
est désormais urgent pour le pouvoir de reprendre le contrôle de cette
section syndicale avec l’appui des permanents du comité directeur :
"Ont-ils été menacés ? Ont-ils été achetés ? Ou les deux à la fois ?"
s’interrogeait dernièrement un syndicaliste de base. C’est dans cette
perspective d’un coup de force du pouvoir qu’il faut comprendre la
non-convocation de l’assemblée des syndiqués et la libération récente de
17 instits négociée avec Ulises Ruiz. Défaire le syndicat, c’est aussi
rompre l’unité, à l’intérieur de l’APPO, entre les maîtres d’école et le
reste de la population. Une première tentative de division avait eu lieu,
on s’en souvient, avec la reprise des classes votée d’une façon suspecte
fin octobre. Cette première division avait été surmontée grâce à la
population et à l’attitude de certaines délégations qui, contre l’avis du
comité central, avaient poursuivi la grève et l’occupation de Santo
Domingo. Nous sommes face à une deuxième tentative de trahison. Affaire à
suivre, donc.

Pourtant, ce puissant mouvement social, parti d’un soutien apporté par la
population à la lutte des maîtres d’école, bouleverse bien des données ;
dans le feu du débat et de la critique effective d’un monde, des
positions, que l’on croyait immuables, sont en train de changer. Dans le
cours de ce mouvement est apparu un acteur omniprésent et pourtant
difficilement saisissable dans les termes convenus et rigides de
l’idéologie, la population pauvre de la ville et de l’ensemble de la
région. C’est elle qui a résisté à l’avancée des troupes fédérales, qui a
protégé la radio universitaire avec un courage et une détermination
admirable, c’est elle qui est descendue dans les rues pour manifester dans
les moments difficiles son rejet d’un état d’exception et son soutien aux
maîtres d’école puis à l’APPO, c’est elle enfin qui s’est organisée autour
des barricades, établissant des tours de garde, faisant la cuisine,
apportant le café dans les heures froides de la nuit ; les "chavos bandas"
y côtoyaient l’étudiant ; l’institutrice, le maçon ou le charpentier ; les
mères de famille, le casseur. Cette population pouvait paraître
hétéroclite, elle ne l’est pas, un dénominateur commun unissait tous ces
gens, l’attachement à un savoir-vivre. C’était sans doute la même
population qui se trouvait sur les barricades de la Commune de Paris,
attachée, elle aussi, à un savoir-vivre, qui avait ses racines dans les
traditions ancestrales des peuples originaires. Les colonies qui ont
soutenu le plus fort des combats furent celles où la proportion des
immigrés indigènes, Zapotèques, Mixtèques, Mixes, Triquis, était la plus
forte.

Au début, cette population n’était pas présente ni représentée, dans
l’APPO. Quand l’Assemblée du peuple d’Oaxaca fut créée, le 20 juin, elle
n’avait d’autre fonction que celle d’appuyer la lutte des enseignants.
Elle était surtout composée des formations politiques issues d’un même
courant de pensée (marxiste-léniniste) auxquelles se sont incorporés par
la suite des dirigeants de diverses organisations. L’APPO se présentait
alors comme une coalition de dirigeants sociaux et politiques articulée
par un comité provisoire de 30 personnes. Peu à peu, au cours des mois qui
suivirent, sous la poussée de cette base sociale, cette partie immergée de
l’iceberg, une mutation a commencé à se produire. Après avoir hésité, les
peuples indiens de la Sierra Norte ont décidé de participer à l’assemblée
au cours du congrès constituant des 10, 11, 12 et 13 novembre.
Actuellement, les conseillers continuent à se rencontrer et à se réunir au
niveau local et régional. Dans la région de Villa Alta, par exemple, au
cœur de la montagne Juarez, les habitants ont décidé de fermer la
délégation gouvernementale de la commune de Lachirioag, ils ont poursuivi
et chassé le fonctionnaire du gouvernement. Un ami, qui a dû se réfugier
quelque temps dans les cañadas, m’a rapporté que la résistance restait
très forte dans bien des villages. C’est un travail de l’ombre, qui
inquiète le gouvernement, il a bien l’intuition que tout un pan du
mouvement échappe à sa vigilance, il a dû tout dernièrement arrêter trois
membres de l’APPO, leur poser des questions sous la torture pour tenter de
savoir ce qui se passe, pour ensuite les relâcher. Ce travail de l’ombre
échappe aussi en partie aux militants d’extrême gauche qui, de leur côté,
sont amenés à prendre des initiatives au nom de l’APPO sans toujours
rendre des comptes. Le 27 décembre aura lieu une assemblée plénière à
l’échelle de l’Etat d’Oaxaca du Conseil, nous n’y verrons sans doute pas
plus clair. Je pense que l’Assemblée populaire des peuples comme le
Conseil sont des instruments d’unification des luttes sociales, cette
unification ne va pas se faire du jour au lendemain, mais l’outil est là
ainsi que la volonté de s’en servir. La société est bien consciente de la
faillite d’un système, elle se rend compte de la dégradation de ses
conditions de vie, de l’épuisement des formes traditionnelles de
résistance et de la nécessité où elle se trouve d’inventer d’autres voies
de survie.

Oaxaca, le 19 décembre 2006.

George Lapierre

Message édité le 23-01-2007 à 21:45:34 par Paria
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   Posté le 23-01-2007 à 21:46:55   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Bien le bonjour,

"Oaxaca se distingue por la diversidad, tanto natural como cultural. Desde
hace tiempo se reconoce en el mundo la riqueza de nuestras culturas
indígenas. En el curso de nuestro movimiento nos dio gusto sentir y ver la
riqueza de nuestras culturas urbanas. Muestran la misma diversidad de las
indígenas, y en ellas aparece claramente el sello de la comunalidad, el
tejido social que nos permite, en cada grupo, construir un NOSOTROS fuerte
y claro."

(Oaxaca se distingue par la diversité, tant naturelle que culturelle.
Depuis quelque temps, on reconnaît de par le monde la richesse de nos
cultures indigènes. Dans le cours de notre mouvement, nous avons eu le
plaisir d’apprécier et de voir la richesse de nos cultures urbaines. Elles
offrent la même diversité que les cultures indigènes, et en elles apparaît
clairement le sceau de la "communalité", le tissu social qui nous permet,
dans chaque groupe, de construire un NOUS fort et clair.)

C’est le premier paragraphe du "Manifeste pour la défense et la
renaissance de notre culture" ("Manifiesto por la defensa y regeneración
de nuestra cultura" ) écrit par nos amis de la commission chargée de la
culture au sein du Conseil. Je ne résiste pas au plaisir de vous traduire
les derniers paragraphes :

"La culture ne s’exprime pas seulement à travers l’art, dans la peinture,
la musique, la sculpture, la littérature ou le cinéma, mais aussi dans la
quotidienneté de la vie collective, la langue est un clair témoignage de
la puissance du collectif, la culture de la fête chez nos peuples et
quartiers, la "gozona", le "tequio" et les offrandes à la Terre mère comme
expression de la pensée de nos peuples indiens, et tout ce qui nous
nourrit dans la communauté ou dans la ville et nous fait être partie de
quelque chose, de cette APPO que nous sommes tous et toutes [...].
Dans les diverses réflexions et propositions pour le renforcement de nos
cultures on peut compter avec la présence de l’APPO des barricades, des
"colonies", l’APPO des communautés, des quartiers et des peuples, cette
Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca, qui est, en elle-même, une
culture."

Ce manifeste a été distribué au cours de la "Noche de rábanos" (la Nuit
des radis) le 23 décembre, la vraie, celle organisée par l’APPO, non
l’officielle qui se tenait, elle, sur le zócalo. Cette Nuit des radis est
une tradition qui remonte loin, peu après la conquête espagnole. Des
jardins potagers furent créés sur les terres proches des haciendas de la
Noria et des Cinco Señores. Avant Noël et jusqu’au 23 décembre, les
maraîchers exposaient leurs légumes, dont les fameux radis, sur la place
d’Armes d’Antequera. Les jardiniers ont commencé à sculpter les radis pour
décorer leurs étals. Le premier concours a eu lieu en 1897. La tradition
s’est perpétuée jusqu’à nos jours : saynètes de mœurs où la créativité et
l’imagination se donnaient libre cours, comme nous pouvons le supposer
quand nous avons un radis de la dimension d’une betterave entre les mains.
Hélas, la truculence ou le badinage érotique ont cédé la place à la Sainte
Famille quand l’Etat a fait de cette tradition populaire une attraction
touristique. Comme pour la Guelaguetza, l’APPO a voulu redonner sa
dimension populaire à cette Nuit des radis. Pari réussi, comme pour les
enfants, ce sont surtout les scènes de la violence, hélicoptères, tanks,
robocops et matraques et jusqu’au portrait d’Ulises Ruiz en radis, qui ont
frappé les imaginations, mais il y avait aussi quelques bons petits
diables. Beaucoup de monde, de la musique, de la danse, des chants, de
l’enthousiasme, les habitants des quartiers étaient descendus et les
quelques rares touristes, perdus dans la foule, sont restés éberlués
devant tant de force, de détermination et de passion. Au "son de la
barricada", l’assemblée présente retrouvait sa joie de vivre, son
allégresse ; après les jours sombres et terribles de la répression, elle
exultait enfin. Pourtant, cette fête avait été longtemps compromise.

Bien avant la manifestation du 22 décembre, le bouche à oreille, au sujet
de cette "Noche de rábanos", courait entre les sympathisants de l’APPO,
les radis étaient déjà entreposés dans un lieu humide et les sculpteurs
préparaient leurs couteaux. Cette fameuse nuit devait avoir lieu sur la
place Santo Domingo, nous devions nous retrouver sur cette place dès 10
heures du matin afin de l’occuper ; las, au matin du 23 nous apprenons que
les flics nous avaient devancés. Je m’y rends tout de même en ma qualité
de touriste, les flics bloquent toutes les entrées, ils ne laissent passer
que ceux qui ont une bonne conscience, je m’arme donc d’une bonne
conscience pour me glisser entre les rangs de ces tristes (anges) gardiens
; notre espion, vieux et impénitent lutteur social, dont la femme et la
fille se sont retrouvées derrière les barreaux, vend des bonbons et des
cigarettes sur la place ; comme dans les films (je suppose que vous
imaginez parfaitement cette scène que je me rejoue cent fois), il
m’informe, alors que je lui achète quelques bonbons, que les flics sont là
depuis l’aube et que leur présence a été dissuasive, ce n’est que depuis
peu qu’ils laissent passer les touristes. La commission de l’APPO chargée
des négociations avec le gouvernement fédéral (elle n’a aucun contact avec
le gouvernement d’Ulises Ruiz) insiste pour que le ministère intervienne
auprès d’URO afin qu’il retire ses troupes, en vain. Le gouvernement
promet d’intervenir, mais rien ne se passe. Finalement en fin
d’après-midi, l’APPO arrive à occuper la petite place de Carmen Alto, qui
ne se trouve pas très loin de Santo Domingo, elle devrait d’ailleurs
s’appeler la place Ricardo Flores Magón, mais passons. Les gens arrivent
peu à peu et cette place, tout en longueur, paraît bien étroite quand la
nuit tombe ; c’est la fête, la fanfare de Calicanto, où se trouvaient les
fameuses barricades tout le long du "ferrocarril", ouvre la danse.

La manifestation du 22, convoquée par les zapatistes et l’Autre Campagne,
avait déjà été un succès, chaque fois il y a un peu plus de monde dans les
manifs, même si les gens préfèrent quitter la manifestation avant
l’arrivée au centre-ville, ils se sentent plus chez eux dans les quartiers
périphériques ; de toute façon, ils ne s’attardent pas et se dispersent
assez rapidement, prudence, prudence, mais ils relèvent la tête, les
habitants d’Oaxaca n’ont pas été défaits malgré les mesures extrêmes
prises par l’Etat. Le gouverneur joue la carte de la division, la
libération de 81 prisonniers va dans ce sens et la situation des familles
de ceux qui restent embastillés est difficile, le comité qui s’occupent de
la défense des prisonniers est mis sur la sellette : "Pourquoi eux et
pourquoi pas les nôtres ?" Et tous sortent des réunions bien éprouvés ;
pourtant, jusqu’à présent, ils tiennent le coup et restent solidaires, ils
ne vont rien quémander à Ulises Ruiz (c’est ce qu’attend le tyran) et ils
vont occuper les alentours des prisons de Miahuatlán et de Tlacolula. Ces
mesures sont si arbitraires qu’on en arrive à des situations surréalistes
: Qui a payé les 150 millions de caution des 81 détenus libérés ?

Le secrétaire général du gouvernement d’Oaxaca (ce qui correspondrait au
ministre de l’intérieur du gouvernement d’Oaxaca), García Corpus, ne sait
pas exactement qui est intervenu ni d’où vient la finca (la propriété) qui
a été hypothéquée pour payer l’énorme caution : "No podría afirmar primero
yo desconozco a ese abogado, no sé si sea de la APPO o no. Yo no niego,
porque no sé quién es ese señor." ("Je ne peux rien affirmer, premièrement
je ne connais pas cet avocat, je ne sais pas s’il est de l’APPO ou non. Je
ne refuse pas de parler, parce que je ne sais pas qui est ce monsieur".)
Pour un ministre de l’intérieur, il ne sait pas grand-chose : un avocat
fantôme et une propriété tout aussi spectrale, plus un juge des libertés
illusionniste sans doute. Nous ne sommes pas dupes, évidemment, derrière
ces fantômes se cache la main d’Ulises Ruiz, qui est arrivé à cette
situation absurde de devoir payer la caution de gens qu’il a accusés de
tous les crimes, au point de les envoyer dans une prison de haute
sécurité, afin qu’ils puissent sortir : ou ces gens sont coupables de tous
les forfaits dont ils sont accusés et l’Etat n’avait pas à payer la
caution, ou ils n’ont pas commis ces crimes et alors ils n’avaient pas à
être détenus, sans parler des conditions de leur arrestation. Pendant ce
temps, c’est un législateur du PAN qui exige des autorités de l’Etat
qu’elles mènent une enquête au sujet de la participation (supposée ?) des
groupes de "porros" et des policiers en civil à l’incendie des édifices
durant la nuit tragique, entre eux, Teodardo Martínez Canseco,
coordinateur des unités mobiles de développement de l’Etat dans la
microrégion mixe, en relation avec le député local du PRI, qui fut arrêté
par la PFP le 25 novembre et envoyé au pénitencier de moyenne sécurité de
San José del Rincón, Nayarit, sans que l’on sache jusqu’à présent s’il a
été libéré ou s’il est encore prisonnier.

Aux dernières nouvelles, deux membres de l’APPO ont été blessés au cours
d’une embuscade dans la région mixtèque alors qu’ils retournaient dans
leur communauté après avoir participé avec les militants du FPR et du
MULTI (Mouvement unificateur de la lutte triqui indépendant) à une
manifestation dans la municipalité de Santiago Juxtlahuaca. Le 27,
c'est-à-dire hier, le Conseil "estatal" de l’APPO s’est réuni, environ 160
personnes, il y fut décidé diverses manifestations pour janvier : le 6,
manifestation des enfants avec, à leur tête les enfants des détenus ; le
7, réinstallation du Conseil ; le 27, assemblées régionales, municipales
et communales, et des colonies, avec comme objectif, celui de renforcer
l’assemblée plénière au niveau de l’Etat d’Oaxaca. Je ferai les quelques
remarques personnelles suivantes, qu’il ne faut absolument pas prendre
pour argent comptant : l’embrouille actuelle au niveau de la section 22 du
syndicat des enseignants risque bien de déteindre sur l’APPO ; le fossé
entre les militants d’extrême gauche du Front populaire révolutionnaire
(FPR) et les délégués des quartiers et des "colonies" ainsi que les
militants d’autres obédiences semble se faire plus visible.

Bonnes fêtes !

Oaxaca, le 28 décembre 2006.
George Lapierre

Message édité le 23-01-2007 à 22:16:04 par Paria
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   Posté le 23-01-2007 à 21:52:56   Voir le profil de sti (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à sti   

Les infos sont essentielles à nous qui sommes loin mais encore une fois, l'anti-communisme du commentateur est gonflant ... De plus c'est un ignard en matière d'idéologie qui intellectualise à travers ...
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   Posté le 23-01-2007 à 22:16:36   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

ASSEMBLÉE POPULAIRE DES PEUPLES DE L’OAXACA
Bulletin de presse, le 9 janvier 2007.

AUX MOYENS DE COMMUNICATION,
AU PEUPLE DE L’OAXACA,

Suite à la session ordinaire du Conseil populaire des peuples de l’Oaxaca
qui s’est tenue le 7 janvier, au cours de laquelle il a été procédé à
l’analyse de la situation actuelle de notre lutte dans cet État et des
conditions dans lesquelles l’APPO effectue sa réorganisation, ainsi que du
plan d’action prévu pour les jours prochains, nous sommes convenus
d’informer l’opinion publique des faits suivants :

1. La réorganisation actuelle de l’APPO en est bonne voie, preuve en est
que le conseil a été informé que dans toutes les régions, dans les
centaines de communautés, dans les colonies et divers quartiers,
organisations et syndicats, des réunions ont eu lieu ou sont prévues pour
les prochains jours au cours desquelles un consensus a été atteint sur la
nécessité de poursuivre notre lutte jusqu’à ce que nos revendications
principales aboutissent. À savoir : le départ d’Ulises Ruiz Ortiz, la
libération de nos prisonniers politiques, la présentation vivants des
disparus, l’arrêt de toute répression, le départ de la PFP, la
démilitarisation de l’Oaxaca et une profonde transformation de cet État ;

2. Nous maintenons fermement notre position qui est de faire aboutir nos
revendications par la voie du dialogue, mais aussi en mobilisant de façon
pacifique notre peuple, en usant de notre droit constitutionnel de
manifestation et de libre circulation, droits qui ne sont en aucune façon
astreints à négociation avec le gouvernement fédéral, et moins encore avec
Ulises Ruiz Ortiz. L’annulation de facto des garanties des personnes dans
l’Oaxaca jette une ombre d’incertitude sur notre pays, à quoi s’ajoute le
fait d’avoir un président partisan du Yunque ;

3. Nous sommes convenus d’une série d’activités pour les jours prochains.
Le 10 janvier, des mobilisations régionales dans les vallées du centre de
l’État, avec une marche à Oaxaca (départ de la fontaine des 7 Régions
jusqu’à la place de la Danza, à partir de 16 heures) ; les 11 et 12,
poursuite de la session du Conseil populaire des peuples de l’Oaxaca ; le
20, participation à la manifestation politico-culturelle dans la commune
autonome de San Juan Copola ; les 27 et 28, session de l’Assemblée
populaire des peuples du Mexique, et assemblée régionale de l’APPO dans
l’Isthme ; le 28, un festival culturel sera organisé à Mexico, et les 3, 4
et 5 février suivants, nous participerons au IVe Dialogue national à
Mexico ;

4. Le 3 février et le 8 mars, on appelle à des MÉGAMARCHES dans la ville
d’Oaxaca. Nous exigeons que la sécurité et la libre circulation des
manifestants soient garanties afin de pouvoir effectuer ces manifestations
;

6. Les 11 et 12 février, nous appelons à la PREMIÈRE ASSEMBLÉE DE L’APPO
DE L’ÉTAT D’OAXACA à laquelle devraient participer les délégués des
communautés, communes, colonies, quartiers, organisations et syndicats, et
où nous ferons le bilan de la situation actuelle et du développement de
l’APPO. Nous appelons également les diverses organisations et divers
fronts, syndicats et ONG ainsi que les artistes, les intellectuels du
Mexique et du monde à participer ou à envoyer leur salut à cette Première
Assemblée de l’Oaxaca de l’APPO ;

7. En ce qui concerne les agressions dont continue à être la cible le
Mouvement démocratique des travailleurs de l’éducation de l’Oaxaca
rassemblés dans la Section 22, et notamment l’agression qui s’est produite
aujourd’hui même, NOUS PROTESTONS SOLENNELLEMENT CONTRE CETTE AGRESSION
qui s’inscrit dans une stratégie de l’État et d’Ulises Ruiz Ortiz pour
affaiblir l’APPO et ses secteurs les plus combatifs, tels les enseignants,
mais qui est également liée à la toute récente création d’un nouveau
syndicat de travailleurs de l’éducation nationale, la SECTION 59 DU SNTE,
directement patronné par Elba Esther Gordillo Morales, responsable de
l’assassinat d’un grand nombre d’enseignants démocratiques mexicains.

L’APPO RECONNAÎT COMME SEULE ORGANISATION DES TRAVAILLEURS DE L’ÉDUCATION
LA SECTION 22, véritable instrument de lutte voué à la défense des
travailleurs de l’éducation nationale, et se déclare ouvertement en faveur
de sa défense ; la section 59 est un instrument de l’État mexicain qui a
pour but de diviser les travailleurs de l’éducation et d’empêcher le plein
exercice de leurs droits, mais surtout de frapper l’un des secteurs les
plus importants de l’APPO dans le cadre de la lutte du peuple de l’Oaxaca.

FRATERNELLEMENT.
TOUT LE POUVOIR AU PEUPLE !

ASSEMBLÉE POPULAIRE DES PEUPLES DE L'OAXACA.


ACTIVITÉS PRÉVUES DE L’APPO :

Construisons tous ensemble la démocratie !
8 janvier : Réunion avec des intellectuels et des personnalités pour
consolider la solidarité et le soutien mutuel
9 janvier : Forum des droits de l’homme à la chambre des députés du
Congrès de l’Union mexicaine
10 janvier : Mobilisations régionales
11 et 12 janvier : Réunion du conseil de l’APPO
12 janvier : Assemblée régionale des vallées centrales de la Section 22 du
SNTE
20 janvier : Participation à la manifestation politico-culturelle en
soutien à la création de la commune autonome de San Juan Copola
27 et 28 janvier : Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca
27 et 28 janvier : Assemblée populaire des peuples de l’Isthme
28 janvier : Festival culturel à Mexico
28 janvier : Assemblée populaire des peuples de la Côte

3 février : Mégamarche
3, 4 et 5 février : Participation au IVe Dialogue national
11 et 12 février : Assemblée de l'Oaxaca de l’APPO

8 mars : Mobilisation de la Journée internationale de la femme prolétaire


Traduit par Angel Caido.
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   Posté le 23-01-2007 à 22:19:08   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

La commune autonome de San Juan Copala

Le 1er janvier de cette année, l’Oaxaca s’est réveillé avec une commune de
plus, celle de San Juan Copala fondée par plusieurs communautés du peuple
Triqui appartenant officiellement aux communes mixtèques de Juxtlahuaca,
Putla et Constancia del Rosario, à l’ouest de cet État du Mexique, dont
les chefs-lieux sont contrôlés par des métis. Cependant, il ne s’agit pas
simplement d’une commune supplémentaire venant s’ajouter aux 570 autres du
découpage administratif de l’Oaxaca, mais d’une nouvelle commune autonome
comme celles que les indigènes érigent dans différents endroits dans ce
pays pour défendre leurs droits et construire leur propre avenir.

La réponse du gouvernement de l’Oaxaca - un gouvernement dont l’Assemblée
populaire des peuples de l’Oaxaca (APPO) ainsi qu’une grande partie des
habitants de cet État exigent la dissolution - ne s’est pas fait attendre.
Selon lui, la création de cette commune ne repose sur aucune base légale
et n’est pas viable car elle manque des ressources économiques permettant
son bon fonctionnement, tandis que le secrétaire général du Parti
révolutionnaire institutionnel, de son côté, affirme que c’est une farce
qui ne contribue en rien au renforcement des institutions de l’État de
l’Oaxaca. Les choses ne s’arrêtent pourtant pas à la vision étroite de
l’administration, la situation étant plus complexe. Entrent en jeu
l’érosion des institutions locales, incapables en effet de répondre aux
exigences d’une grande partie de la société, les conditions dans
lesquelles vivent les Triqui de San Juan Copala, le procès historique et
politique et les événements récemment survenus dans cette région, sans
compter les politiques antidémocratiques et corrompues de ségrégation et
d’exclusion du gouvernement local.

Comme en d’autres endroits de la République mexicaine, la fondation de la
commune autonome de San Juan Copala constitue une réponse pacifique des
peuples indigènes qui cherchent à créer leurs propres espaces de
participation et de représentation politique en assumant eux-mêmes ses
nécessités économiques, politiques et culturelles. Pour y parvenir,
ceux-ci créent leurs institutions ou renouent avec d’anciennes en les
adaptant à leurs besoins. C’est ce qui explique que les communautés qui
prennent cette décision en appellent à leur droit à la libre détermination
selon leur conception de l’autonomie, qui s’incarne ainsi dans la commune,
fondement de l’organisation politique de ce pays, sans se rebeller et
prendre les armes pour détruire l’État, à la différence de ce qui se
pratique dans certains pays européens.

Personne parmi ceux qui connaissent cette région ne sera étonné
d’apprendre que San Juan Copala et les communautés qu’elle regroupe sont
restées isolées pendant des siècles, abandonnées à leur sort par les
communes auxquelles elles ont été formellement rattachées en 1948, quand
la 60e législature de l’Oaxaca leur ôta le statut de communes libres
qu’elles possédaient depuis 1826. La même période s’est caractérisée par
la poursuite d’une brutale exploitation de la main-d’œuvre triqui et d’un
pillage irraisonné de leurs ressources naturelles. L’exercice de son droit
à l’autonomie représente donc pour ce peuple la possibilité de
s’affranchir du joug politique et économique auquel il a été soumis, afin
de participer réellement à la vie politique, économique et sociale de cet
État et de ce pays, à égalité de condition avec d’autres communes et sans
rien perdre de leurs particularités culturelles.

D’autre part, la création de cette commune autonomie constitue un progrès
substantiel dans la lutte historique des Triqui pour faire reconnaître
leurs droits. On l’ignore souvent, mais les Triqui de Copala sont parmi
les premiers peuples indigènes à s’être rebellés contre le gouvernement
mexicain quand le Mexique conquit son indépendance, car les métis que les
mêmes Triqui avaient aidé à conquérir le pouvoir les ont privés de leurs
territoires et de leurs structures de gouvernement. Leur première
rébellion, en 1832, ne dura pas, leurs dirigeants ayant été emprisonnés et
exécutés. Onze ans plus tard, ils se soulevèrent à nouveau, avec plus de
succès que la fois précédente, leur rébellion s’étendant à d’autres
peuples d’Oaxaca et du Guerrero, jusqu’à ce qu’ils soient matés par
l’armée.

Plus près de nous, dans les années 70, leur lutte repris de plus belle,
les communautés se donnant une organisation sobrement nommée Le Club qui
allait déboucher sur le Mouvement d’unification et de lutte Triqui, qui
s’est battu pour démocratiser l’exercice du pouvoir dans la région, pour
conquérir des libertés politiques, pour défendre la terre et les
ressources naturelles. Avec le temps, l’organisation a poursuivi d’autres
objectifs et s’est concentrée sur des projets de production, ce qui la
rapprocha des institutions et des politiques du gouvernement local,
jusqu’en 2003, date à laquelle elle s’est transformée en un parti
politique.

Bon nombre de ses membres n’étant pas d’accord avec le nouveau cap pris
par cette organisation, il s’en séparèrent et fondèrent alors le Mouvement
d’unification et de lutte Triqui indépendant, qui participe de façon
importante à l’APPO. C’est, semble-t-il, dans ce contexte qu’a surgi
l’idée de fonder la commune autonome de San Juan Copala.

Il est important de bien saisir l’ensemble de ce processus, pour ne pas
tomber dans des interprétations simplificatrices qui empêchent de
comprendre la situation actuelle et compromettent les véritables solutions
politiques qui pourraient y être apportées. Le gouvernement d’Oaxaca a
ainsi l’occasion de mesurer l’ampleur de la réforme dont cet État a
besoin. De leur côté, les Triqui sont placés devant la possibilité et face
au défi de trouver le meilleur chemin pour poursuivre leur mouvement, en
corrigeant les erreurs du passé et en démontrant la capacité politique
permettant de construire un nouveau type de relation entre leur peuple et
les autres.

Francisco López Bárcenas.

http://www.jornada.unam.mx/2007/01/10/index.php?section=opinion&article=019a1pol

L’APPO fonde une commune autonome en région triqui
Vingt communautés rejoignent l’assemblée populaire régionale

Copala, Oaxaca.

L’Assemblée populaire des peuples de l’Oaxaca (APPO) entame 2007 par la
création de la « Commune libre et autonome de San Juan Copala » dans
l’ouest de l’État, où vit le peuple Triqui.

Peu après minuit, hier, 1er janvier, au cours d’une cérémonie indigène, un
conseil des anciens a remis au nom de 20 communautés de cette zone le
bâton de commandement à José Ramírez Flores, président de l’assemblée
populaire, un paysan de 23 ans qui n’a pas achevé l’école primaire.

« Vous devrez gouverner selon les principes triquis et écouter le peuple
pour conserver la charge qui vous a été donnée. Vous ne devrez pas tomber
dans la corruption et rechercher la paix pour l’ensemble de la nation
Triqui », ordonna dans sa langue l’un des anciens aux membres du nouveau
gouvernement.

Les ethnies triquis qui ont décidé de déclarer leur autonomie font partie
des trois communes officielles mexicaines de Juxtlahuaca, Putla de
Guerrero et Tlaxiaco. « Nous savons que le gouvernement ne l’acceptera
pas, mais nous, nous le reconnaîtrons comme notre propre gouvernement et
nous allons le faire vivre. Maintenant, nous allons nous gouverner
nous-mêmes parce qu’eux (les municipalités officielles) ne sont pas
indigènes, ne sont pas des Triqui et ne savent pas gouverner », affirme
Jorge Albino Ortiz, conseiller de l’APPO appartenant au Mouvement
d’unification et de lutte Triqui indépendant (le MULTI).

« Nous avons fait plusieurs assemblées entre nous et nous avons décidé
qu’il n’y aurait plus d’organisations afin de renouer avec nos traditions
pour construire un gouvernement triqui, avec un président triqui, et
d’avoir une commune libre, autonome et indigène. De la sorte, nous pensons
que la violence cessera. C’est une des choses que nous avons apprises de
l’APPO, prendre des décisions par nous-mêmes sur ce qui nous concerne,
a-t-il ajouté. »

D’après les membres du nouveau gouvernement de Copala, depuis l’arrivée de
l’administration du gouverneur Ulises Ruiz Ortiz, en décembre 2004, il y a
eu 70 meurtres politiques dans cette région, les autorités en question
n’en reconnaissant que 48.

« Nous ne voulons plus d’organisations, parce qu’avec elles c’est la
division qui s’installe, comme quand il y avait le MULTI, l’UBISORT et le
MULT, et ce que nous voulons c’est travailler à la paix », explique
Albino, qui ajoute, en parlant des partis politiques : « Il y a le parti
de l’unité populaire, le PRI, le PRD et aucun ne veut admettre les
véritables causes de la situation dans cette région. Ils ne voient pas des
indigènes, ils ne voient pas des Triqui, ils utilisent les Triqui pour
leurs campagnes électorales et autres mais ils refusent de voir le
problème de fond, comment il est vécu et s’il est vraiment vécu. »

La création de la nouvelle commune a été célébrée dans les locaux de
l’agence municipale de San Juan Copala, qui est désormais depuis hier le
siège officiel du gouvernement populaire autonome. Vers 21 heures, les
représentants d’une vingtaine de communautés voisines (où l’on estime que
vivent 20 000 personnes) commençaient à arriver, pour entamer l’année
nouvelle par un bal.

Suites aux embuscades qui ont eu lieu au cours des dernières semaines, des
indigènes armés appartenant à la police communautaire de la nouvelle
commune gardaient les entrées de Copala, afin d’éviter, selon leur propre
dire, la présence des « paramilitaires » qui opèrent dans cette zone.

DIEGO ENRIQUE OSORNO
Pour The Narco News Bulletin

http://www.narconews.com/Issue44/articulo2478.html

Vacances de fin d’année en terres insoumises.
« Milenio », Mexico, le 11 janvier 2007.

Copala, Oaxaca.

Dans le cœur des Triqui, rebelles de tout temps, les instances officielles
n’existent pas. « L’année 2006 nous a appris que nous ne devons pas nous
soumettre, disent-ils. » La création de leur commune autonome semble en
être la preuve.

« Hé, moi, à votre place, je ne resterais pas ici, parce que toutes les
après-midi on se prend des coups de feu dans le coin. Moi, je suis juste
venu livrer les pétards et je me tire », nous lâche à toute vitesse de sa
camionnette un homme qui va d’emprunter la piste de terrassement pleine
d’ornières qui unit San Juan Copala, le cœur de la culture triqui, et les
routes asphaltées de la sierra mixtèque.

« Ils sont comme ça les Triqui, ils aiment se massacrer entre eux »,
concluent avec un brin de racisme aussi bien des fonctionnaires du
gouvernement local que des activistes de l’APPO. D’autres rendent
coupables les organisations sociales présentes dans cette zone de semer la
terreur et le découragement, en particulier le Mouvement d’unification et
de lutte Triqui que dirige de sa chaise roulante Heriberto Pazos Ortiz, un
vieux dirigeant triqui qui s’est acoquiné avec le gouverneur Ulises Ruiz
Ortiz, ce qui lui a valu la rébellion des membres de cette organisation.

Dans le passé, son organisation disputait à l’« Unité du bien-être social
de la région triqui » le contrôle de cette zone pauvre qui recouvre 13 000
hectares.

Passant outre les conseils du vendeur de pétards, nous poursuivons notre
voyage vers Copala sur la piste accidentée où se sont produites au moins
cinq embuscades de gens armés de fort calibre dans les dernières années.
En chemin, d’énormes blocs de pierre barrant le milieu de la piste
témoignent des barricades que les habitants ont élevées pour empêcher de
passer un convoi de la police d’intervention préventive. Plus loin, deux
véhicules Tsuru de couleur blanche comme ceux qu’utilise la police
nationale gisent renversés sur la berge de la rivière.

Peu après nous entrons à Copala, la commune autonome des Triqui en
rébellion, où toutes les dépendances de l’administration officielle ont
été fermées et les fonctionnaires expulsés, où l’on n’aperçoit nulle part
l’écriteau classique lançant « Bienvenue au village Untel » ou « Vous êtes
à Machin, soyez les bienvenus »... Rien de tout cela ici.

Les pins majestueux si caractéristiques de la région triqui ont peu à peu
disparu, on n’en voit plus non plus sur les bords des chemins et aux
portes des villages de ce secteur. Je m’en étonne auprès d’un des
dirigeants de la communauté, qui me confie à voix basse que c’est « à
cause des embuscades ». Il ajoute que les pins rendaient plus facile à des
hommes armés de se cacher et de tendre une embuscade quand on passe en
voiture ou quand on est chez soi.

Bien sûr, je suis bête de ne pas y avoir pensé. Aussi les habitants
préfèrent-ils les tailler, pour ne pas boucher la vue. C’est l’aspect que
donne aujourd’hui Copala, où il ne reste plus que quelques grands arbres
dans deux des angles du village.

« Et ceux-là, pourquoi ne pas les avoir coupés ? », lui dis-je.
- « Ah ! C’est que ceux-là, la police municipale s’en sert. », me
répond-t-il.

Je commence à saisir que le village a des hommes armés qui surveillent à
leur tour l’éventuelle incursion de ce « groupe paramilitaire » qui opère
dans la zone.

« Nous savons qu’il va y avoir une répression et que des paramilitaires
vont venir, tôt ou tard. Nous nous y attendons, pas moyen d’y échapper,
mais nous savons que nous n’agissons pas mal, que ce que nous faisons
garantit la paix pour les Triqui », nous raconte Jorge Albino Ortiz, jeune
indigène de 23 ans qui participe à l’APPO en tant que conseiller.

« L’heure est arrivée pour les communautés de l’Oaxaca, pour les peuples
indiens, de manifester leur désaccord. Voilà ce que nous avons retenu de
2006, qu’il ne faut plus rester soumis, ajoute-t-il. » Et la cérémonie
d’instauration du gouvernement populaire commence, au cas où l’on aurait
cru qu’il ne s’agissait que de paroles en l’air.

DIEGO ENRIQUE OSORNO

http://www.milenio.com/mexico/milenio/nota.asp ?id=468725&sec=19

Traduit par Ángel Caído.

Message édité le 23-01-2007 à 22:20:10 par Paria
Paria
Les masses font et peuvent tout !
Grand classique (ou très bavard)
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   Posté le 23-01-2007 à 22:20:59   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Et, cependant, cela bouge

Le gouvernement fédéral persiste à traiter comme une organisation
l'Assemblée populaire des peuples d'Oaxaca (APPO). Il semble croire
qu'elle est formée de masses dociles conduites par un petit groupe de
dirigeants. Avec ceux-ci, il veut se concerter ou imposer des accords. Il
semble aussi supposer qu'emprisonner certains d'entre eux et poursuivre
les autres suffira à la liquider : le chien mort, la rage disparaîtrait.

Dans une organisation, un syndicat ou un parti, les dirigeants conduisent
ou contrôlent leurs membres et ils les mobilisent ou les contiennent. Ce
sont des fonctions qui leur correspondent. Comme ils ont la faculté de
représenter l'ensemble et négocier en leur nom, ils peuvent aussi les
trahir ou s'écarter de leur volonté.

Dans des mouvements sociaux comme l'APPO apparaissent parfois des chefs
charismatiques ou symboliques qui accomplissent d'importantes fonctions,
mais ce ne sont pas des dirigeants. Certains, comme Martin Luther King ou
Che Guevara, gagnent des batailles après leur mort, à la manière du Cid.
Mais ils ne sont jamais des représentants. Ils ne peuvent pas négocier au
nom du mouvement ou remplacer sa volonté.

L'APPO n'a jamais eu de dirigeants ou de chefs. N'étaient pas chefs les
membres de la coordination provisoire. Non plus les membres du Conseil,
lequel ne s'est jamais réuni ­si ce n'est le jour de sa constitution. Ni
ensemble ni séparés, ils ne représentent l'APPO. Les fonctions
d'orientation et de coordination qu'ils peuvent accomplir dans certaines
circonstances n'équivalent pas à direction ou conduite. Ils ne sont pas
non plus responsables de la somme de ce que font tous ceux qui agissent en
son sein. Un jugement juste trouvera impossible d'attribuer aux
"dirigeants" emprisonnés les délits qu'on attribue à l'APPO. C'est
pourquoi ils sont des prisonniers politiques.

Les mouvements sociaux et politiques ne sont pas maniables ou
contrôlables. Les autorités, les événements ou certains "chefs" (s'ils
existent) peuvent les influencer, mais ils ne peuvent pas les manipuler.
Et ils s'éteignent seulement quand on a modifié les conditions qui leur
ont donné naissance. (Les écraser, c'est comme les élaguer. Certains
mouvements, comme celui de 68, gagnent des batailles après avoir été
détruits.)

Les mouvements n'ont guère de propositions, d'objectifs ou de modèles ;
ils ont des motifs ou des raisons, des forces qui les propulsent dans une
certaine direction ; ils sont définis par des convergences critiques de
l'état des choses depuis une grande hétérogénéité ; ils évitent
l'uniformité et les formes de type parti, pour prendre la forme d'un NON,
avec beaucoup de OUI : un rejet commun et une variété d'affirmations, de
projets, d'idéaux.

Des mouvements très connus, comme l'environnementalisme ou le féminisme,
illustrent bien ces caractéristiques. Ils maintiennent leur vitalité et
augmentent leur force, parce que, malgré leurs réalisations, persistent
les motifs : la destruction environnementale ou l'oppression et la
discrimination de la femme. Ils se montrent parfois dans des explosions
ponctuelles : contre des dommages environnementaux spécifiques, contre des
actes féminicides concrets ; mais agissent de manière continue, de mille
manières différentes, sans dirigeant, structures formelles ou définitions
uniques.

L'APPO est un mouvement social et politique d'une grande profondeur
sociale et d'une énorme portée historique. Y prennent part des personnes
très diverses, des groupes et des organisations. Parmi celles-ci, il y en
a d'engagement partisan, appartenant à des organisations nationales, ils
essayent d'apporter à l'APPO, au moulin de sa cause ou de son idéologie et
ont eu, dans les mécanismes de coordination de l'APPO, un poids plus grand
que leur importance réelle. Mais personne n'est à charge. Personne ne
représente l'APPO. Personne ne dirige ou règle les initiatives de ceux et
celles qui font partie d'elle.

Ulises Ruiz est une expression maladive et exacerbée du régime corrompu et
autoritaire que les Oaxaquéniens ne sont pas disposés à tolérer plus
longtemps. Le rejet de sa présence, qui a déclenché le mouvement et qui
continue à le rassembler, n'est ni son moteur ni son destin. L'APPO
continuera à combattre pour se défaire de lui parce qu'il est un obstacle
insupportable sur son chemin. Mais elle avance déjà sur son cadavre
politique pour réaliser les transformations qui sont sa véritable raison
d'être.

L'APPO s'occupe de la réforme de l'État, si, comme telle, on comprend :
une transformation complète des lois, institutions et comportements
sociaux, afin établir un régime adéquat aux réalités d'Oaxaca après s'être
délivré de la structure "caciquiste" et mafieuse qui a prévalu
jusqu'aujourd'hui. Elle promeut ces modifications de manière pacifique et
démocratique, et face à la société, non dans les coulisses du pouvoir.
Elle ne les négocie pas dans un bureau du gouvernement, ni ne les traite
avec les sbires d'Ulises, dans ses
bureaux ou dans l'actuel Congrès local, ce qui, au lieu de changements,
produirait une métamorphose grotesque.

Le mouvement continue. La répression brutale a inhibé certaines de ses
manifestations, quand il cherchait sa voie naturelle, mais ne l'a pas
arrêté. La rivière descend, continue à accumuler des forces irrépressibles
qui cherchent à nouveau leur voie. Le défi est qu'ils la trouvent à temps
et qu'on évite ainsi un débordement ravageur qui pourrait être très
destructif.

Gustavo Esteva

"La Jornada", Mexico, 15 janvier 2007.

http://www.jornada.unam.mx/2007/01/15/index.php?section=opinion&article=027a2pol

Traduit par Denis.
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   Posté le 25-01-2007 à 19:02:51   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Rencontre entre la CCIODH et le docteur Berta Elena Muñoz

La CCIODH (Commission civile internationale d’observation des droits
humains) a recueilli des dizaines de témoignages de personnes et
d’organisations. Hier, la CCIODH a rencontré le docteur Berta Elena Muñoz,
qui a participé aux postes de secours et a été coordinatrice de Radio
Universidad (de l’Université autonome Benito Juárez d’Oaxaca). Le docteur
Muñoz se cache actuellement parce qu’elle et ses enfants ont reçu des
menaces de mort par téléphone par une station de radio. Elle raconte ce
qu’elle a vécu entre mai et novembre. Elle raconte les actes commis par
des "escadrons de la mort formés par des policiers fédéraux et
municipaux". Elle affirme que la révolte d’Oaxaca a eu un caractère
pacifique pendant ces sept mois et dénonce le fait que n’importe quel
passant pouvait être suspect, ou que quiconque ayant une tête d’étudiant,
pouvait être empoigné, embarqué dans une camionnette, frappé et emmené.
Les policiers entraient dans les maisons... "Et j’ai su, à ce moment-là,
ce qu’est le terrorisme d’État". Elle met l’accent sur l’état précaire des
droits élémentaires de la population et souligne l’implication et la
responsabilité du gouvernement fédéral nécessaires à la résolution du
conflit. Elle exige également de ce même gouvernement fédéral des
garanties pour sa propre sécurité.

Madame Berta Elena Muñoz a émis le souhait que ce témoignage soit rendu
public. Dès notre arrivée, nous avions annoncé que nous l’accepterions
lorsque le cas se produirait.

Ville de Mexico, 7 janvier 2007.

BM : Je suis le docteur Berta Elena Munoz. Entre autres, coordinatrice de
Radio Universidad, de l’Université autonome Benito Juarez d’Oaxaca.

CCIODH : Nous aimerions vous demander quelle est votre situation
personnelle en ce moment.

BM : Eh bien, je me cache pratiquement depuis le jour où on a rendu Radio
Universidad au recteur de l’université d’Oaxaca (UABJO), vu que les
rumeurs et les menaces - et depuis quelques jours, plus encore, les
menaces dirigées à mon encontre, que les rumeurs - étaient de plus en plus
nombreuses et persistantes, disant que moi, on ne me mettrait pas en
prison, mais qu’on me ferait disparaître. Ce jour-là, devant le conseil de
l’APPO, j’ai proposé de me livrer publiquement en présence des médias,
oui, des journalistes, pour qu’on ne me fasse pas disparaître, parce que
personne d’après moi, n’a envie de "disparaître". On m’a alors fait
remarquer qu’au point où on en était et au vu de ce qui s’était passé
jusque-là, personne ne pouvait garantir - même si je me livrais
publiquement - qu’on ne me ferait pas disparaître. Nous nous sommes donc
mis d’accord sur ce que nous allions faire, non seulement moi mais
quelques autres personnes, celles qui d’une manière ou d’une autre
s’étaient faites le plus remarquer pour une raison ou pour une autre, sur
le fait que nous devions nous cacher pour voir venir les choses. Je me
donc suis cachée depuis le 28 novembre et vis ainsi depuis le 28, 29
novembre.

CCIODH : Est-ce qu’à un moment quelconque on vous a signifié un mandat
d’arrêt ou une inculpation spécifique pour un délit quel qu’il soit ?

BM : Il est évident que le gouvernement, l’État, ne rendent pas publiques
les listes de ceux qu’ils veulent arrêter. Je ne sais pas de façon
certaine s’il y a un mandat d’arrêt me concernant. Bien sûr, quand on voit
les délits dont sont accusés les camarades détenus, y compris des gens qui
n’appartiennent pas à l’APPO, des gens qui n’ont participé à rien, et
quand on voit qu’ils leur collent des délits tels que "sédition", etc., eh
bien, on se dit, ma foi, qui sait ? moi, ils vont m’accuser d’avoir brûlé
les pieds de Cuauhtémoc. De Cuauhtémoc le roi aztèque, pas l’autre
Cuauhtémoc.

CCIODH : Votre situation a-t-elle affecté votre famille ?

BM : Bien sûr, parce que mes enfants ont été menacés. Et cela, ils l’ont
fait par l’intermédiaire de la fameuse "Radio Citoyenne" par laquelle ils
m’ont menacée ainsi que mes enfants, lesquels sont bien évidemment
également cachés. Cela fait plus d’un mois que je les ne vois pas. Ils ne
se voient non plus l’un l’autre, parce que chacun est caché dans un lieu
différent. Je n’ai pas vu le reste de la famille non plus.

CCIODH : En quoi avez-vous participé au mouvement, au déroulement des
événements à Oaxaca ?

BM : Au début, j’étais responsable d’un poste de secours, le premier poste
de secours qui ait existé dans le mouvement. Pour les besoins mêmes du
mouvement, il a fallu organiser un service médical pour faire face aux
urgences, soigner les blessés, ceux qui avaient des fractures, des
lésions... Plus tard, par un hasard du destin, je suis devenue
coordinatrice de Radio Universidad et je crois que ça a été ce dernier
rôle qui a le plus attiré l’attention, aussi bien de l’État que des gens
qui y ont participé.

CCIODH : Est-ce que vous avez assumé une quelconque responsabilité
organisationnelle après le rôle fondamental que vous avez joué en tant
qu’animatrice de la radio ?

BM : Non, mon principal rôle a été organisationnel, c’est-à-dire que je me
suis occupée des postes de secours, en tant que médecin, car je suis
médecin. Pour les postes de secours créés par la suite, nous avons essayé
de tous les coordonner. Personne ne commandait, mais il y avait une
coordination. En ce sens, l’organisation du poste de secours a été ma
seule responsabilité organisationnelle. Mon autre rôle a consisté à parler
à la radio, pendant l’étape la plus difficile du mouvement.

CCIODH : Dans notre travail, dans les textes et les documents qui sont
portés à notre connaissance, sont dénoncées des violations des droits
humains. En votre qualité de médecin, et avec la responsabilité qui a été
la vôtre, avez-vous des éléments qui nous aideraient à définir et à rendre
concrètes ces violations ?

BM : Bien sûr, nous avons transporté des blessés vers différents hôpitaux.
Des gens blessés par balles par les escadrons de la mort ou par des tueurs
à gages et cela tant le 2 novembre, au cours duquel nous avons eu un grand
nombre de blessés, que les jours suivants. Bien évidemment, le fait qu’on
nous tire dessus dans une manifestation pacifique, comme cela s’est passé,
est selon moi une violation des droits humains. Que l’on vienne tirer sur
les gens qui participaient pacifiquement à un piquet, est également, je
crois, une violation des droits humains.
Que ce soit dans les piquets, les manifestations, ou même en marchant dans
la rue, les camarades ont été attaqués. Ils l’ont été par des tueurs du
gouvernement de l’État et bien sûr, plus tard, par la Police fédérale
préventive et par ceux de l’AFI. Je crois que ça, c’est une violation des
droits humains, d’après ce que je comprends par "droits humains".

CCIODH : Tout au long du conflit, les violations les plus graves sont
celles qui ont porté atteinte au droit à la vie. On a documenté au moins
17 cas de morts par balles, à cause de la violence politique. Pas en un
seul jour, pas seulement pendant les minutes les plus dures, mais...

BM : ... pendant les sept mois qu’a duré le mouvement.

CCIODH : Vous avez peut-être connu ces cas. Comment définiriez-vous et
quelle est votre impression de la façon dont se sont déroulés ces
événements?

BM : En vérité, je vais être franche, je pense que nous ne nous attendions
pas à cette réponse aussi violente de la part de l’État, étant donné que
notre mouvement est pacifique. Jamais, à aucun moment, nous n’avons fait
appel à la violence. Il est vrai qu’il y avait les manifestations, les
piquets, les blocages de routes et bien entendu que tout cela dérange,
mais cela nous dérangeait aussi, parce que, nous non plus, nous ne
pouvions pas passer. Mais cela s’est fait parce qu’ils ne nous ont pas
laissé d’autre choix. Nous en arrivons alors au premier cas : lors d’une
manifestation qui se dirigeait vers Canal 9, la radio et TV d’Oaxaca prise
depuis peu, ça a été une chose très étrange, cette fusillade à l’extérieur
de l’hôpital en particulier, où est mort le premier camarade, le
mécanicien. C’est moi qui ai dû aller voir le cadavre, et les gens me
disaient : "C’était une fusillade, docteur, il y a eu plusieurs coups de
feu." C’étaient des gens qui étaient allés à la manifestation par
solidarité, des gens qui n’appartenaient à aucune organisation, à aucun
syndicat. D’ailleurs, quand on m’a appelée pour m’avertir, j’entendais
encore des coups de feu au téléphone, c’était une fusillade, ce n’était
pas un coup de feu. Et quand est survenue la seconde mort à radio La Ley,
cette fois, c’étaient les escadrons de la mort. Et c’est vrai que voyant
ces choses, je ne me les expliquais pas, je ne pouvais pas y croire, parce
que... c’était comme si nous étions au Chili de Pinochet ou l’Argentine de
Videla ou, pardonnez-moi, dans l’Espagne de Franco. Il y avait plus de
vingt camionnettes remplies de policiers armés jusqu’aux dents, qui
tiraient. Et alors on se dit "pour l’amour de Dieu, et nous qui n’avons
pas d’armes...". C’est à cause de ça, de cet escadron de la mort à ce
moment-là, que les barricades se sont étendues pour éviter qu‘ils accèdent
aux stations de radio et aux antennes des stations de radio.
Bien sûr, vous pouvez dire "pourquoi ont-ils pris les stations de radio ?"
Eh bien, il y avait une station de radio quand le mouvement était
simplement la Section 22, un mouvement des enseignants, parce que la
Section 22 avait sa radio, Radio Planton. Et au moment de l’évacuation, le
14 juin, ils ont détruit cette station de radio. Un groupe d’étudiants a
alors pris Radio Universidad pour diffuser l’information, parce que
l’information que donnaient les médias était tendancieuse, fausse. Et il
était primordial que les gens soient mis au courant de ce qui se passait
réellement.
Alors, on a pris Radio Universidad. Leur première tentative de détruire la
radio a échoué. A la deuxième tentative, oui, ils ont fait sauter la
radio, mais un groupe de camarades, des femmes, avait déjà décidé de
prendre la radio et télévision d’Oaxaca. Le 1er août, elles l’ont prise et
se sont mises à diffuser l’information. Ils ont alors détruit les antennes
de Canal 9, et là-bas il y a eu des blessés, parce que ces tueurs sont
arrivés de nuit, tôt le matin, pour tirer sur les gens. Moi, j’ai dû
emmener un blessé, je m’occupais de l’ambulance, du poste de secours, de
sorte que nous avons réussi à évacuer les blessés, c’est comme cela que
j’ai été témoin. Là-bas, les gens ont décidé de prendre les stations de
radio, c’était une nécessité, parce que l’information qu’elles diffusaient
était une information fausse, tendancieuse. Et il y avait cette nécessité
d’informer les gens de ce qui se passait réellement. Quand on a pris les
stations de radio, c’est là que sont apparus les escadrons de la mort
composés de policiers fédéraux et municipaux, armés jusqu’aux dents, et il
n’y avait pas deux, trois, ou quatre camionnettes, c’étaient des convois
entiers. Si cela n’est pas une violation des droits humains, eh bien je ne
sais pas ce que c’est.

CCIODH : Vous avez été capable de déterminer que c’étaient des policiers
fédéraux à cause des uniformes ou de quelque autre élément...

BM : Il y a même un film, de ce jour où ils ont tué le compagnon
architecte, c’est filmé, ils l’ont montré à la télévision parce qu’ils ont
aussi attaqué un reporter de TV Azteca, ils lui ont arraché sa caméra.
C’est documenté, je ne comprends pas que quelqu’un, ayant vu cela à la TV
mexicaine, puisse nous reprocher à nous des choses, alors que nous...
nous, nous n’avons jamais appelé à la violence.

CCIODH : Y a-t-il eu une enquête préalable ou une inculpation de certaines
de ces personnes, dont vous ayez eu connaissance ?

BM : Non, aucune. Ils ont essayé de faire un simulacre d’enquête… Dans le
cas du premier compagnon qu’ils ont tué, la procureure de l’État a dit que
ça avait été une rixe et qu’on lui avait tiré dessus. Plus tard,
l’autopsie a montré qu’il n’avait pas reçu une balle, mais plusieurs
balles. Dans le cas du second compagnon, rien n’a été fait non plus. Je
crois que ça a été pour le troisième ou le quatrième, je ne me rappelle
pas bien, qu’ils ont arrêté un soldat. Ils ont vaguement dit qu’ils
allaient enquêter sur la mort du Nord-Américain, le reporter Brad, parce
que là, les médias internationaux ont bondi. Et là ils ont essayé, malgré
le fait qu’on voit dans le film ceux qui étaient armés et ceux qui ont
tiré, la procureure de Justice, ou plutôt d’Injustice, de l’État,
elle-même, a dit que c’était nous qui l’avions tué. Mais vous savez déjà
tout cela, toutes ces choses absurdes. Même le compagnon médecin qui a
aidé quand ils l’ont transporté alors qu’il était déjà mort est menacé,
parce qu’il a déclaré que ce n’était pas vrai qu’il n’avait reçu qu’une
balle. Toutes ces morts dans nos rangs n’ont jamais fait l’objet
d’enquêtes, et il n’y en aura pas. J’en suis on ne peut plus sûre.
Pourquoi ? Parce que le responsable direct est le gouverneur de l’État.
C’est lui qui a donné l’ordre et ce sont ces tueurs à gages qui les ont
assassinés. Ils ont été assassinés de façon vile, avec préméditation,
traîtrise et par appât du gain.

CCIODH : Y a-t-il eu une quelconque réponse violente de l’APPO, ou une
réaction à tous ces faits ?

BM : Curieusement, et j’en ai même pris ombrage, lorsqu’ils ont tué le
compagnon là-bas à radio La Ley, les gens étaient calmes, on disait
toujours : c’est un mouvement de résistance pacifique. Et les gens étaient
calmes. Il y avait des moments de rage, parce que, évidemment, si vous
voyez qu’on vous tire dessus et que vous n’avez pas de quoi vous défendre,
il vous vient un sentiment d’impuissance qui inévitablement se transforme
en rage. Cependant, les gens étaient parfaitement conscients du caractère
pacifique de notre mouvement et oui, ils retenaient leur colère, parce que
rien ne justifiait ces morts, rien, il n’y avait pas la moindre raison
pour qu’on leur tire dessus. Ces fusillades se sont produites à Calicanto,
là où est mort le compagnon Brad, mais il y a eu également pas mal de
blessés. Il a fallu en amener certains à un hôpital, d’autres ont été
soignés sur place. Mais ce qui s’est passé à San Antonio de la Cal, à
l’Experimental, devant la Casa de Gobiernos, cette rage, cette colère,
cette haine avec lesquelles nous avons été attaqués, ne se justifient pas.
Nous, nous n’agissons jamais à ce niveau-là, parce que pour nous il ne
s’agit pas de haine, ce n’est pas la haine qui nous fait agir.
Ce qui nous fait agir est simplement un désir de justice. Parce que nous
ne pouvons pas continuer à vivre, en plein XXIe siècle, comme si nous
étions à l’époque de Porfirio. Une époque où n’importe quel cacique de
village, si quelqu’un n’était pas avec lui ou était contre lui, le faisait
tuer et sans qu’il y ait eu la moindre vague. Telle est la situation à
Oaxaca, et c’est ainsi que ce monsieur le gouverneur, ou "dégouverneur",
parce qu’il est plutôt "dégouverneur", en est arrivé à se comporter à
Oaxaca : en s’imposant par la force. Absolument sans aucun sens du devoir
politique, parce que ce monsieur n’est pas un politique et tous ceux qui
étaient avec lui, qui sont avec lui, eh bien ils sont du même acabit : des
gens pour qui la vie humaine n’a absolument aucune valeur. Vous devriez
interroger les gens, ceux qui ont été témoins de la manière dont se sont
déroulées ces agressions que l’on ne s’explique pas... Eh bien oui,
évidemment, il y a eu des moments de colère, et plus que de colère,
d’impuissance, parce que nous n’arrivions pas à comprendre le pourquoi
d’une réponse aussi démesurée à un mouvement pacifique.

CCIODH : Il est de notoriété publique que, en particulier en ce qui
concerne la manifestation du 25, les instances institutionnelles accusent
les manifestants d’avoir incendié des édifices publics et que, pour cette
raison, la manière d’agir et les détentions trouvent une certaine
justification. Considérez-vous que leur version des faits est exacte ?

BM : Ecoutez, si l’on situe le lieu où se trouvaient les "pefepos",
c’est-à-dire la Police fédérale préventive, et où nous, nous nous
trouvions, la Banamex n’était pas là où nous étions, mais là où étaient
les "pefepos". Le seul édifice qui était dans la zone où nous étions est
l’hôtel Camino Real. De plus, il a reçu un cocktail Molotov, eh bien, ça a
été accidentel pendant l’attaque ou la défense, car, plutôt qu’attaquer,
nous nous défendions. Parce que, moi, ce que j’ai réussi à voir, là-bas
dans le corridor touristique, ça a été les "pefepos" en haut sur des
terrasses en dehors de leur zone, qui nous attaquaient, nous. En nous
lançant des billes et en nous faisant des gestes. Il y avait aussi une
quantité énorme de provocateurs, de gens infiltrés de chez eux. Mais oui,
moi je l’ai vu, et j’ai vu depuis l’église Sangre de Cristo que les gens
de la Police fédérale préventive étaient sur d’autres terrasses, hors de
leur zone. Et la zone de Banamex et certains de ces lieux n’étaient pas
dans la zone où nous nous trouvions nous. Et comment aurions-nous pu
arriver jusque-là puisqu’ils nous repoussaient ? Donc, ils peuvent tout
aussi bien dire la messe. Maintenant, en ce qui concerne le tribunal dans
lequel il y avait, pour sûr, des preuves contre les gouvernements
antérieurs, sur des histoires d’argent, dont personne ne sait où il est
passé... eh bien, c’est bizarre qu’il ait brûlé précisément de la manière
dont il a brûlé. Donc, c’est très étrange. Voyons, quel intérêt
avions-nous, nous, à brûler à ce moment-là cette Bancomer ou la Banamex ou
quoi que ce soit. C’est-à-dire, si en sept mois de lutte, nous n’avons
pillé aucun commerce, ni rien incendié, ni rien, croyez-vous qu’à ce
moment-là nous allions le faire ?
Nous ne sommes pas idiots. De plus, il n’y avait aucune raison de le
faire. Tout ça a été quelque chose de préparé pour pouvoir justifier toute
la répression qui a suivi, qui a été une répression sans discrimination,
par laquelle ils ont fait prisonniers des gens qui n’avaient rien à voir
avec tout ça, qui n’étaient même pas dans le mouvement, une répression qui
a été du terrorisme d’État. Parce que, à partir de ce moment, le climat de
terreur à Oaxaca a été épouvantable. Parce que, si quelqu’un passait dans
la rue et qu’il leur paraissait suspect, ou avait une tête d’étudiant, ils
l’attrapaient, le faisaient monter dans une camionnette, le frappaient et
l’enlevaient. Ils entraient dans les maisons pour les fouiller,
patrouillaient, mais d’une manière que je n’avais jamais vue, pas même en
68. Et j’ai su alors, pendant ces jours-là, ce qu’est le terrorisme
d’État, celui qu’avaient dû vivre les compagnons chiliens, les compagnons
argentins, à l’époque de la dictature. En vérité, ça a été une expérience
terrifiante. Mais ils devaient justifier d’une manière ou d’une autre
cette répression sauvage. Et, ma foi, nous ne pouvons pas dire "ça a été
la faute de Fox", parce que Fox n’était déjà plus en fonctions, en
pratique il avait déjà dit qu’il n’y était plus. Est-ce que ça a été
Calderon, est-ce que ça a été le nouveau ministre de l’Intérieur agissant
par anticipation ? Nous ne savons pas, mais cette répression n’a eu aucune
justification. Le mouvement d’Oaxaca est un mouvement pacifique. Et vous
l’avez vu. Malgré tout ce qui s’est passé, le mouvement continue à Oaxaca
et continue à être pacifique.

CCIODH : Depuis tous ces événements, la version officielle consiste à dire
que l’ordre est revenu et que le conflit est résolu. Que pensez-vous de
ces déclarations ?

BM : Eh bien, je ne sais pas. C’est évidemment ce que dit le
"dégouverneur" Ulises Ruiz, je crois que c’est ce que dit le ministre de
l’Intérieur actuel. Mais, pour lui de deux choses l’une : soit il n’est
pas au courant de ce qui se passe, soit il ne veut pas voir les choses en
face. De la part d’Ulises, cela ne nous étonne pas. Mais le mouvement
continue. Parce que c’est un mouvement qui a surgi spontanément. Voilà
soixante-dix ans que nous supportons ce "dégouvernement", et surtout les
trois derniers mandats de six ans qui ont été terrifiants. Les gens n’en
pouvaient plus des vols, des tromperies et de la répression et ils se sont
soulevés de leur propre chef. Malgré la répression, les gens étaient
présents. Et on l’a vu aujourd’hui, avec l’épisode de la distribution des
jouets, et hier avec "l’APPO joueur", qu’ils ont bien peur. C’est même la
panique ! On organise un événement pour distribuer... des jouets ! et on
leur envoie la police et on encercle les camarades, qui de plus sont
toutes des femmes. De quoi ont-ils peur ? Bon, on dit par ici : "Parfois,
les regards tuent."
Mais bon, jusqu’à présent, nous, autant que nous sachions, nous n’avons
tué personne, ni avec des regards ni avec rien. De quoi ont-ils peur ? Si
les choses étaient réellement résolues, ils n’auraient pas besoin de ça.
Maintenant, Oaxaca s’est soulevée, le peuple s’est mis en route. Et il
marche. En quête d’un rêve. Parce que c’est un rêve que nous avons. Le
rêve d’avoir un gouvernement juste, qui ne soit pas répressif, pas
corrompu qui investisse le budget dans les priorités, et pas dans... bon,
je vais parler comme je ne pouvais même pas parler à la radio, mais... pas
de conneries. A Oaxaca, il manque des écoles, il manque de l’eau, des rues
goudronnées, de l’électricité, les choses les plus élémentaires. Et je ne
parle pas de là-bas, des coins reculés de la montagne, non, mais des
colonies périphériques. Et ce monsieur dépense, selon lui, 800 millions de
pesos pour restaurer le zocalo. Si vous allez voir le zocalo d’Oaxaca,
essayez de voir comment se justifient les 800 millions de pesos. Essayez
de voir si ça a coûté 800 millions de pesos. Les gens ne sont pas bêtes.
Ils savent que cet argent, ils se le sont mis dans les poches. Parce que
ce n’était pas une tâche prioritaire, tout ce dont avait besoin le zocalo
était un nettoyage de la place, alors qu’il n’y a pas d’écoles. Quand une
bonne partie des écoles dans les colonies périphériques sont des cabanes :
un sol en terre, pas de chaises, rien. Pas de médicaments dans les unités
de santé. S’il vous plaît! Et ça c’était une priorité. Donc ce que nous
voulons, c’est que le peu d’argent qu’il y a soit dépensé pour les
priorités. Mais que de plus, s’il faut faire des travaux, que cela soit
fait comme il se doit : avec un appel d’offres, non parce qu’un tel est
mon frère, mon beau-frère "allez, on y va!" et ils empochent la moitié du
fric. Oaxaca est un État pauvre, c’est pourquoi ce n’est pas juste. Où les
fonctionnaires sont les copains d’untel et sont des gens qui ne
connaissent rien à leur domaine, rien. Et cela, nous pouvons le dire de la
santé, de l’éducation, nous pouvons le dire de tous les autres domaines.
On dit qu’Oaxaca est l’État où l’éducation est la pire et on rejette la
faute sur les maîtres. Je ne sais pas si vous, pour votre travail, avez dû
arriver sans avoir rien mangé toute la journée en étant obligés de vous
concentrer pour pouvoir capter quelque chose. Si nos enfants sont mal
nourris, quel niveau vont-ils avoir, quel niveau ? Eh bien, nul. Bien sûr,
quelques maîtres sont partiellement responsables, parce qu’il y a partout
des brebis galeuses. Mais, quand on sort, quand on voit les communautés,
quand on voit leur situation, on se dit : "Non, comment diable veulent-ils
que nous ayons un bon niveau d’éducation ?" Quand tout simplement
l’université pendant je ne sais combien d’années a été dans les mains du
"porrisme". Quand les "porros"** sont nommés maîtres à temps plein. Quand
une rectrice est la pire d’entre eux. Quel niveau veulent-ils que nous
ayons ? Et tout ça sous la protection du gouvernement. Quel niveau
d’éducation, par exemple, peut dispenser CENABUABJO quand cette université
consacre une moyenne de 14 000 pesos*** par élève alors que la moyenne
nationale est de 30 000 ? Quel niveau. Et on gaspille l’argent en bêtises
comme celles-là. Et la fontaine des Sept-Régions, je ne sais pas si vous
l’avez connue, c’était une fontaine splendide, une fontaine authentique
qui mettait en valeur le frontispice de la faculté de médecine qui lui
servait de décor. Voyez ce qu’ils lui ont fait, qui ne se justifiait en
rien parce que ce n’était pas nécessaire. Tout cela fâchait déjà les gens,
en fait ils étaient déjà fâchés avant à cause de toutes ces bêtises. Quand
l’évacuation des maîtres s’est produite, personne n’est venu les chercher
chez eux : "Ecoutez, venez nous défendre", ce n’est pas vrai. Nous y
sommes allés tout seuls. J’y suis allée toute seule. Bien sûr, les maîtres
sont venus à la faculté de médecine, j’étais en train d’enseigner. Une
prof est arrivée à 7 heures du matin : "Ils nous font ceci et cela."
Étonnement. J’ai dit eh bien, j’y vais, je vais au zocalo voir ce qu’on
peut faire. Tout comme j’y suis arrivée seule, les gens sont arrivés. Et
c’est ainsi, ils ont continué à arriver par eux-mêmes. Pourquoi : parce
que les gens ont ce besoin de changement. Parce que ça suffit qu’Oaxaca
soit comme il est, que tout le monde vole de l’argent, et qu’on nous rende
coupables, nous les travailleurs, de ce qui se passe. Et alors les gens se
sont révoltés, se sont organisés par eux-mêmes. Oui, bien sûr, il y a eu à
ce moment-là des groupes organisés, des militants de certains courants
politiques, mais, la majorité des gens, nous n’appartenons à rien.
Simplement, nous en avions assez. Une chose très intéressante dans ce
mouvement, c’est qu’il y avait beaucoup de gens âgés. Des gens de plus de
soixante-dix ans, alors que normalement, les gens âgés sont de ceux qui
disent : "Non, ils vont finir par se rendre, j’ai déjà vu ça parce que ça,
je l’ai déjà vu plusieurs fois." Mais ce mouvement est différent. Vous
l’avez vu si vous avez vu les vidéos : les petites vieilles qui portaient
des pierres, les petits vieux. Des gens qui peuvent dire "maintenant, je
suis plus de l’autre côté que de celui-ci" qui peuvent dire "puisque je
suis bientôt en bout de course, pourquoi m’en mêlerais-je ?" Non, eux
aussi ressentent ce besoin de changement. Alors, Non, ce mouvement n’est
pas terminé et il n’est pas près de se terminer. Et ils peuvent bien
continuer à nous réprimer et peut-être que dans une semaine, au lieu
d’être dix à nous cacher, peut-être serons-nous cinquante ; et peut-être
qu’ils vont de nouveau remplir les prisons ; et peut-être qu’ils vont de
nouveau nous tirer dessus.
Mais je le répète encore une fois : les gens ont décidé de se mettre en
route et ils ne vont pas les arrêter. Ils ne vont pas les arrêter et en
voici la preuve : cela continue, le mouvement continue et il va continuer.
Et il ne s’agit pas de leaders, il ne s’agit pas de dire "aïe, ils ont mis
Flavio Sosa en taule !". Parce que, tout d’abord, dans ce mouvement il n’y
a pas de chefs et ça, il faut laisser tomber : il n’y a pas de dirigeants,
il n’y a pas de chefs. Ça a été mon tour à un moment donné de parler à la
radio, mais tout comme avant moi l’avait fait la camarade Carmen. Je n’y
suis plus maintenant, et bon, si se présente à nouveau la possibilité
d’avoir une radio, eh bien c’est une autre personne qui le fera si moi je
ne peux pas le faire. Et d’autres comme moi, sans la moindre expérience de
la radio ou de la télévision. Parce que c’est un mouvement populaire, il
n’y a pas de chefs, pas de dirigeants, rien de tout ça. C’est quelque
chose d’un peu difficile à comprendre, moi-même parfois, je ne parviens
pas à comprendre très bien ce qui s’est passé, comment s’est arrivé. Mais
c’est la réalité, ce sont les faits. Et la répression, eh bien,
évidemment, elle continue d’être à l’ordre du jour.

CCIODH : Après les événements qui se sont déroulés, la possibilité de
rechercher une solution pacifique au conflit, par le dialogue, est-elle
concevable ? Nous croyons comprendre que c’est ce que souhaitent beaucoup
de gens.

BM : La condition sine qua non est le départ d’Ulises, et ça ils ne le
comprennent pas. Rien ne pourra être résolu tant qu’il sera gouverneur.
Lorsqu’il aurait pu négocier, il ne l’a pas fait et a employé la
répression. Et il continue de réprimer et il ne fait que réprimer. Hier
aussi, c’était de la répression. Il ne peut plus y avoir de dialogue avec
des gens qui ne sont plus reconnus par le peuple, parce que Ulises n’est
plus reconnu depuis le 14 juin. Personne ne voudra dialoguer avec lui. Bon
les traîtres et les vendus oui, mais ça c’est normal, mais ceux qui
appartiennent au mouvement ne peuvent accepter et tant qu’Ulises ne
partira pas... Il y a bien un dialogue avec le ministère de l’Intérieur,
mais ils doivent comprendre eux aussi que notre mouvement est pacifique et
qu’ils ne doivent pas nous réprimer non plus. Mais de quel État de droit
parlons nous ? ce qu’ils ont fait eux, c’est appeler la Police fédérale
préventive et l’AFI pour soutenir Ulises. "Nous venons défendre l’État de
droit." Quel État de droit alors que, à peine arrivés, ils ont commencé à
violer les droits humains.
Nous ne sommes plus en 1910, en 1908, en 1920 ou en 1930 où c’étaient
encore l’époque des caciques. C’est une autre époque et il n’est pas
possible d’apporter son appui à un gouvernement assassin, répresseur et
voleur comme c’est le cas aujourd’hui. Le peuple d’Oaxaca ne va plus se
laisser berner. Il se peut que la répression recommence. La peur, la
terreur peuvent revenir il nous faudra battre en retraite mais où cela
nous mènera-t-il ? Je n’en sais rien.
Le mouvement est pacifique mais il nous ferment toutes les solutions
pacifiques et cela engendre un sentiment d’impuissance énorme. Vraiment,
je ne comprends pas ce gouvernement fédéral. On suppose a priori qu’ils
sont intelligents, qu’ils raisonnent, qu’ils réfléchissent et ils
devraient donc voir les conséquences de cette répression. Nous ne sommes
plus dans les années cinquante pendant lesquelles on pouvait exterminer
tout un peuple sans que personne ne le sache. Ce qui se passe aujourd’hui
à Oaxaca, tout le monde est au courant. Comment, et avec quel culot, le
président du Mexique peut-il parler de démocratie alors qu’il agit de la
sorte ? Il y a peut-être une solution, mais tout dépend de l’attitude du
gouvernement fédéral.

CCIODH : Est-ce que vous espérez, après tous ces événements, une solution
qui améliorerait les conditions de vie des gens d’Oaxaca et le respect des
droits humains ?

BM : De la part d’Ulises Ruiz, c’est clair qu’il ne va pas y avoir de
changements et nous en sommes conscients. Sachant que vous étiez à Oaxaca,
qu’il y a ici des commissions internationales des droits humains, hier il
a envoyé sa police, dans le cadre d’une mission pacifique et de
bienfaisance, distribuer des jouets à l’occasion de la fête des Rois
mages.
De sa part et de la part de ses partisans, comme Lino Celaya et tous
ceux-là, non. Il n’y aura pas une amélioration à Oaxaca en ce qui concerne
les droits humains. Ce monsieur garde ses atouts et ses avantages. Ici,
cela dépendra beaucoup du gouvernement fédéral . Que peut-on espérer -
puisqu’on dit que l’espoir est ce qui meurt en dernier ? Eh bien, en effet
que ces gens mettent les cartes sur la table. Et, de plus, le Mexique
s’est engagé au niveau international, rien que sur ce point. Ils ont une
responsabilité face au monde : ils sont là-bas à la commission - ou comité
- des droits humains de l’ONU, le Mexique en fait partie. Et vous avez vu,
ce n’est pas qu’à Oaxaca : il y a Atenco, et ce qui s’est passé à
Guadalajara quand les antiglobalisation, je ne sais pas si vous êtes venus
enquêter à cette occasion, mais ça a été également terrifiant. Donc, je ne
sais pas... je pense que le gouvernement fédéral doit capituler. C’est ce
que nous espérons et, de plus, c’est ce que nous souhaitons.
Mais, quoi qu’il arrive, les citoyens et citoyennes d’Oaxaca, je le répète
encore une fois, non seulement les citoyens et citoyennes, mais encore
ceux qui n’ont pas encore l’âge de l’être, ont décidé de se mettre en
route. Et on ne va pas les arrêter. Le prix à payer serait très cher, d’où
que l’on considère la question, pour noyer ce mouvement. Ce n’est pas la
révolution, non. Il s’agit simplement de respecter les lois qui existent
déjà, de respecter la Constitution. C’est-à-dire, il ne s’agit pas de
"nous allons changer le monde", non. Simplement : c’est comme cela ?
respectez-le. Est-ce si difficile ? Mais il semble qu’ils ne l’ont pas
compris. Mais l’espoir, c’est de faire avancer cette compréhension. Moi,
j’espère pouvoir retourner à Oaxaca pour retrouver mon travail, voir ma
famille, être dans ma maison, bien qu’elle soit minuscule, mais c’est ma
maison. Pouvoir marcher dans les rues d’Oaxaca, boire mon petit café au
zocalo comme j’en ai l’habitude. Mais en ce moment, je ne peux pas aller à
Oaxaca.
Pourquoi ? Parce qu’on m’a menacée de me tirer une balle. Et mes enfants
de même. Et donc, c’est ça, un "État de droit" ? Peut-être n’y a-t-il pas
de mandat d’arrêt à mon encontre, ça je ne sais pas, mais je sais que ma
vie est en danger, ma vie est en danger.
Ils me l’ont fait savoir une quantité de fois dans mon téléphone portable,
ils l’ont dit une quantité de fois à Radio Alcantarilla. Et, que je sache,
il n’y a pas de mandats d’arrêt pour ceux qui poussaient à la violence
bien plus que ne le faisait Radio Universidad.
Parce que, à Radio Universidad, tout ce que nous avons fait a été
d’appeler à la défense, jamais à l’attaque. Nous n’avons jamais dit :
"Allez brûler leur maison." Jamais. Et heureusement, car on a pu entendre
Radio Universidad dans bien des parties du monde via Internet, et grâce à
ça on peut vérifier tranquillement que nous n’avons jamais appelé à la
violence. Nous avons appelé à se défendre dans les occasions où il était
nécessaire de défendre quelque chose. Mais bien sûr que je veux retourner
à Oaxaca. Je veux et j’exige des garanties du gouvernement fédéral et du
gouvernement de l’État parce que je n’ai commis aucun délit : je n’ai
assassiné personne, je n’ai pas volé, je n’ai pas séquestré. Et comment
est-ce possible que, simplement parce que j’ai exprimé mes opinions, il
plane sur ma tête une menace de mort, et sur celle de mes enfants ? Et je
ne suis pas la seule, c’est le cas aussi de l’enseignante Carmen, qui a
aussi été coordinatrice de Radio Universidad, à Canal 9 et à radio La Ley.
Ont-ils si peur des mots ? Pourquoi tout ce déploiement de forces... bon,
il ont déjà recommencé au Michoacan, je crois que ça ne leur a pas réussi.
Mais pourquoi n’ont-ils pas envoyé tous ces effectifs de Police fédérale
préventive là où il y a l’énorme problème du narcotrafic ? Non, ils les
envoient contre un peuple sans défense, un peuple pacifique qui ne fait
que demander justice.

CCIODH : Désirez-vous ajouter quelque chose ?

BM : Eh bien, je crois qu’il est très important d’être bien conscient du
fait que ce mouvement n’est pas un mouvement d’organisations ou de partis
politiques. Il a surgi spontanément. Bien sûr, initialement, il a eu pour
centre le mouvement des enseignants. Mais en fait, comme les maîtres se
mettent en grève chaque année depuis vingt-six ans, on n’en fait plus cas.
En général, notre seule réaction, c’est de dire : "Ils vont encore faire
une manif..., ils vont bloquer telle rue, à quelle heure vais-je pouvoir
rentrer à la maison." Mais, le jour de l’évacuation, le mécontentement des
gens était tel, que nous y sommes allés. Et nous y sommes allés de notre
propre initiative. Et peu à peu, évidemment, les gens se sont organisés
dans leurs colonies, leurs quartiers, leurs villages. Mais ce mouvement
n’est pas un mouvement de partis et d’organisations politiques, c’est un
mouvement du peuple pour le peuple. Et c’est un mouvement dans lequel vous
pouvez rencontrer des gens de tous les âges, de professions différentes,
de classes sociales différentes, des Indiens, des paysans, des ouvriers -
peu d’ouvriers, parce qu’il y a peu d’usines à Oaxaca, il n’y a pas
d’industries - des travailleurs, des bureaucrates, des employés, des
commerçants. C’est un mouvement du peuple. Et si ça n’avait pas été un
mouvement du peuple, je ne sais pas comment on aurait pu tenir sept mois,
je ne sais pas comment on aurait pu garder les barricades pendant tant de
mois. Deux mille barricades dans la ville d’Oaxaca, avec quels gens. Oui,
c’est bien un mouvement du peuple, ce n’est pas autre chose.

Notes
* UABJO : Université d’Oaxaca
** Porrisme, porros : on peut traduire porros par « hommes de main
infiltrés », milices spécialisées dans les coups de main à l’intérieur de
l’université.
*** 1 dollar : un peu moins de 11 pesos. 1 euro : 14 pesos environ.

Traduction trouvée sur a-infos


http://www.ainfos.ca/fr/ainfos06426.html

http://cciodh.pangea.org/quinta/entrev_070106_b_e_munoz_cas.shtml

Paria
Les masses font et peuvent tout !
Grand classique (ou très bavard)
Paria
562 messages postés
   Posté le 27-01-2007 à 12:31:55   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

COMMISSION CIVILE INTERNATIONALE D'OBSERVATION SUR LES DROITS HUMAINS

Ve VISITE SUR LES ÉVÉNEMENTS D'OAXACA

CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS PRÉLIMINAIRES PRÉSENTÉES LE 20 JANVIER 2007
DANS LA VILLE DE MEXICO

CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS PRÉLIMINAIRES DE LA CCIODH SUR LE CONFLIT
SOCIAL D'OAXACA

I- CONCLUSIONS

La Commission Civile Internationale sur les Droits Humains, s'appuyant sur
ses investigations, estime avérés les points ci-après

SUR LES MORTS ET LES DISPARITIONS

1.- La commission considère que les faits qui se sont déroulés à Oaxaca
constituent un maillon d'une stratégie juridique, policière et militaire,
avec des dimensions psychosociales et une politique communautaire dont
l'objectif ultime est d'instaurer le contrôle et l'intimidation de la
population civile, dans des zones où se développent des processus
d'organisation des citoyens ou des mouvements à caractère social non
dirigés par les partis.

2.- Le bilan des morts recensées par la CCIODH atteint provisoirement un
total de 23 personnes identifiées.

La Direction Générale de Justice de l'Etat reconnaît 11 cas et la
Commission Nationale des Droits Humains avance le chiffre de 20 dans son
rapport préliminaire. En outre, la CCIODH a recueilli des informations sur
la mort d'autres personnes non identifiées.

3.- Il existe des présomptions sérieuses de disparition de personnes. L'un
des obstacles majeurs aux investigations et à l'éclaircissement de ces
disparitions est l'absence de dépôt de plaintes.

4.- Les morts et disparitions se sont produites à des moments où l'on a pu
détecter un accroissement du niveau des violences et des affrontements,
qui correspond à la mise en marche d'opérations conçues à de telles fins.
Au cours de ces opérations, on constate la participation et la
coordination de différents auteurs matériels et intellectuels. On peut
citer l'exemple du 27 octobre 2006, où de nombreux témoignages permettent
d'établir l'existence d'une opération combinée qui a produit des effets
graves dans le "municipe" de Santa María Coyotepec et à d'autres endroits,
de façon simultanée.

5.- Les homicides ont été perpétrés dans la ville d’Oaxaca et dans les
communautés où l'on constate une augmentation significative et
concomitante de la violence et de la présence militaire, ainsi que des
agressions contre des civils appartenant dans la majorité des cas à
différents groupes indigènes.

SUR LES ATTEINTES À LA LÉGALITÉ

6.- Les pouvoirs publics n'ont pas garanti le plein exercice de la liberté
d'expression, de pensée, d'association, de réunion, de participation
politique, de libre circulation et de manifestation. L'exercice de ces
droits fondamentaux a été empêché par l'usage de la force physique et de
la coercition. Des rassemblements et des marches pacifiques ont été
violemment dispersés, et on a interdit le plein exercice des fonctions de
représentants communaux légalement élus. Des journalistes ont été
agressés, et des médias présents harcelés.

7.- Le droit à l'éducation a été et continue d'être bafoué pour diverses
raisons : le manque de moyens matériels et humains, particulièrement dans
les zones rurales, ainsi que la prolongation du conflit, due à l'absence
de dialogue en vue de le résoudre. Aucune des parties en conflit n'a
établi de mesures alternatives pendant la grève des enseignants, afin
d'assurer le droit à l'éducation des garçons et filles des écoles. De
nombreuses situations irrégulières sont encore recensées à propos des
inscriptions, des affectations de postes, des occupations d'école et de
reprise des classes.

8.- Les droits de grève et la liberté d'expression syndicale des
enseignants, ainsi que leur liberté d'expression dans l'exercice de
l'enseignement ont été violés. La Section 22 du SNTE, représentée au sein
de l' Assemblée Populaire des Peuples d’Oaxaca, a été l'organisation
sociale la plus fortement et cruellement affectée par le conflit. Elle a
été la cible de destructions matérielles, de harcèlements, de menaces,
d'agressions, d'assassinats et de disparitions, dans un nombre
significatif de cas.

9.- Les actions répressives ont été menées sans discrimination contre la
population civile : hommes, femmes, enfants et personnes âgées ont été
l'objet de jets de gaz lacrymogène et de gaz poivre, d'eau additionnée de
produits chimiques ainsi que de tirs provenant d'armes de moyens et gros
calibre, effectués depuis des véhicules et des hélicoptères militaires.
Ont participé à ces opérations des corps de polices fédérales, de l'Etat
d’Oaxaca, municipales, et des groupes d'élite, soutenus y compris par
l'intervention d'effectifs militaires pour des tâches de logistique et de
coordination. Des groupes de personnes en civil, portant des armes de gros
calibre, ont effectué des enlèvements, des arrestations illégales, des
perquisitions et des tirs, agissant dans certains cas à partir de
véhicules de la police et bénéficiant de l'appui de fonctionnaires
publics.

10.- Les forces de police de l'Etat et fédérales ont procédé à des
arrestations arbitraires et illégales, de façon répétée et parfois à une
grande échelle, contre la population civile. Certaines des arrestations
ont été menées par des civils qui ont employé la force pour livrer les
personnes détenues aux forces de police, avec l'entier consentement de ces
dernières. Les arrestations ont été menées avec une violence physique et
psychologique totalement disproportionnée, prenant parfois la forme de
véritables enlèvements. Des agressions sexuelles ont été perpétrées à
l'encontre des détenus, qu'il s'agisse de femmes ou d'hommes.

11.- Les droits des personnes arrêtées n'ont pas été respectés : on ne
leur a pas notifié les délits qui leur étaient imputés, ni leurs droits.
Elles ont été mises au secret et leur détention n'a pas été communiquée à
des personnes de confiance ou à des membres de leur famille. Enfin, les
délais légaux de présentation devant la juridiction compétente n'ont pas
été respectés.

12- Des endroits illégaux ont été utilisés comme lieux de détention et
dans de nombreux cas ils ne présentaient pas les garanties minimales de
sécurité et de salubrité : il s'est agi de bases militaires, d'édifices
gouvernementaux ou de "maisons de sécurité".

13.- Au cours des transferts en prison les droits humains ont été violés
de façon particulièrement grave. Des tortures physiques (chocs
électriques, coups, blessures diverses, brûlures, etc.) et psychiques ont
été pratiquées. La CCIODH a recueilli des indices évidents de viols sur
des hommes et des femmes, confirmés par des témoignages et des
observations cliniques. Ont participé à ces transferts des membres des
corps de police, ainsi que, dans certains cas, des effectifs de l'armée et
des groupes de personnes en civil et armées qui gardaient les détenus
jusqu'aux prisons.

14.- Dans le cadre des arrestations et des transferts en prison, un
"bureau du procureur" mobile est intervenu ainsi qu'il apparaît dans les
documents judiciaires. Un tel organisme est dénué de toute existence
légale, et son action, dépourvue de transparence, n'est sujette à aucun
contrôle.

15.- Les droits de la défense des personnes détenues et jugées n'ont pas
été garantis. Elles n'ont pu disposer de l'assistance d'un avocat de
confiance, communiquer avec leur défenseur, bénéficier de conditions de
confidentialité lors des entrevues, ou encore recevoir l'assistance d'un
interprète dans les démarches concernant des personnes indigènes.

16.- Les avocats ont rencontré de multiples obstacles pour accéder aux
dossiers judiciaires de leurs clients, pour la présentation des preuves à
décharge, pour l'accès aux auditions publiques, et en général dans
l'exercice de leurs fonctions. Dans certains cas, ils ont fait l'objet de
menaces et de vexations de la part des fonctionnaires publics.

17.- Une grande partie des détenus ont été assistés par des avocats commis
d'office dépendant administrativement du pouvoir exécutif, qui ont suivi
des consignes et de ce fait avalisé toutes les illégalités des procédures.

18.- Le droit à un procès équitable et le principe de la protection
juridique à tous les détenus a été violé : les irrégularités concernent
les organismes compétents sur le déroulement du procès, le respect des
délais et des formalités des notifications contenus dans la législation en
vigueur ainsi que l'établissement des cautions. Les certificats médicaux
n'ont pas reflété la gravité réelle des lésions, ni leur cause. On a
observé un manque d'information au sujet des moyens de contestation des
décisions. Tous ces éléments provoquent des situations de privation
illégale de liberté, de mise au secret et d'impossibilité d'assurer la
défense des personnes concernées.

19.- Les incarcérations dans des prisons d’états ou fédérales ont été
effectuées sans respecter la procédure légale : notification et ordonnance
de mise en détention. Les détenus n'ont pas été informés de la possibilité
d'obtenir une mise en liberté sous caution dans certains cas, tandis que
dans d'autres on constate un montant des cautions manifestement
disproportionné par rapport aux faits imputés. Les conditions de vie,
d'hygiène, de salubrité et d'alimentation constatées lors des visites dans
certaines des prisons enfreignent les normes minimales de la législation
du pays ainsi que celles contenues dans les traités internationaux
ratifiés par le Mexique.

20.- On a constaté le cas de personnes détenues dans des prisons fédérales
qui ont subi des traitements vexatoires et dégradants. Elles ont fait
l'objet de menaces et d'exactions, sur le plan physique et psychologique,
de la part des gardiens.

21.- Certaines personnes ont été recluses dans des prisons de moyenne ou
de haute sécurité, malgré leur situation en détention provisoire, et sans
que soit fourni un quelconque écrit ou document justifiant la dangerosité
des prisonniers ni la nécessité d'adopter une telle mesure.

22.- Des mineur ont été arrêtés avec un usage injustifié de la force, et
ont été transférés, dans quatre cas , dans des prisons pour adultes. Trois
d'entre eux à la prison de moyenne sécurité de Nayarit - où l'âge pénal
est de 18 ans -, en violation des conventions, traités et accords
internationaux sur la protection des droits humains de l'enfance. Une
situation d'insécurité juridique par rapport aux droits des mineurs a été
créée à partir de l'entrée en vigueur au 1er janvier 2007 de la Loi sur la
Justice pour les Adolescents.

23.- Les représentants du Ministère Public n'ont engagé aucune procédure
contre des représentants d'institutions publiques malgré l'évidence de
faits constitutifs de délits que cet organisme a pour rôle de poursuivre.

24.- Certaines procédures entamées à la demande des personnes affectées se
trouvent paralysées malgré la présentation de preuves. Selon des
témoignages dignes de foi, l'arrêt de ces procédures obéit à des ordres
directs en provenance de l'Exécutif de l'Etat d’Oaxaca.

25.- La Commission Nationale des Droits Humains et la Commission de l'Etat
des Droits Humains, qui ont capacité à intervenir sur demande d'une
partie, ou d'office, l'ont fait de façon tiède et insuffisante. Elles ont
pourtant constaté les violations antérieurement énumérées, soit par une
observation directe (lors de leurs visites dans les prisons), soit
indirectement (par les plaintes et les demandes présentées par des
particuliers ou des organisations civiles). En ce qui concerne en
particulier la Commission d'Etat des Droits Humains, nous avons recueilli
un certain nombre de témoignages rapportant qu'au moment des arrestations,
alors qu'étaient infligées des tortures graves, celle-ci n'est pas
intervenue malgré les requêtes qui lui étaient adressées.

SUR LES ATTEINTES PSYCHOSOCIALES ET SANITAIRES

26.- Les violations des droits humains ont eu d'importantes conséquences
physiques, émotionnelles et psychologiques, affectant sévèrement les
personnes, les familles et la communauté. Les séquelles psychosociales
dérivées du conflit n'ont pas disparu totalement, mais se reflètent au
contraire dans la vie quotidienne des personnes, des familles et des
populations.

27.- On a relevé des effets et des symptômes caractéristiques de troubles
de stress post-traumatique et de trauma social. Les plus fréquents sont
les suivants : événements traumatisants revécus de façon permanente,
réveil brutal au cours de la nuit, terreur nocturne, frayeur devant
certains bruits et sons, peur de la solitude, réactivité psychologique à
des stimulations internes et/ou externes, hyper-vigilance et syndrome de
persécution. Il se développe un sentiment d’aléa et une sensation
d'injustice, de manque de défense, de perte de contrôle de la situation et
sur sa propre vie. Nous avons constaté une difficulté à verbaliser ce qui
leur est arrivé.

28.- L'assistance médicale a été apportée de façon tardive et
insuffisante. Des éléments plus que concordants permettent d'affirmer que
des membres des forces de police ont pénétré dans les hôpitaux pour
procéder à l'arrestation de personnes blessées. L'action de la Croix-Rouge
d’Oaxaca a été mise en cause, précisément pour ces raisons.

29.- On constate l'absence d'aide et un manque de suivi psychologique pour
les victimes et leurs proches. Il convient de souligner tout
particulièrement le choc psychologique subi par les personnes qui ont été
ou demeurent en situation d'incarcération, étant données les conditions de
celle-ci, ajoutées à l'absence de soins médicaux et de respect des
garanties élémentaires. La situation des mineurs arrêtés et détenus dans
des prisons pour adultes s’avère être particulièrement préoccupante.

30.- Nous observons l'importance de l'impact et des conséquences de la
stratégie psychosociale visant à inspirer la peur : le fait que l'on ne
porte pas plainte et l'accroissement de la défiance, à l'égard des
personnes et des institutions, sont confortés par la diffusion de
dénonciations et de calomnies, par des campagnes haineuses, par une
incitation à la violence, ainsi que par la mise en place d'obstacles
juridiques de toutes sortes.

31.- L'unité et la vie familiale ont été affectées par les circonstances
nouvelles : division au sein des familles (à cause de différends
idéologiques et politiques, des changements de domicile ou de lieu de
travail, des séparations forcées), harcèlements et menaces, obligation de
modifier ses apparences, réorganisation familiale. On constate un impact
économique chez les personnes affectées par le conflit et dans leurs
familles : perte d'emploi, stigmatisation sociale ou dans le milieu
professionnel, nécessité de déplacements pour les visites dans les prisons
et les convocations judiciaires. Il faut ajouter à cela le coût des
dommages matériels subis.

32.- La société a atteint un degré important de polarisation qui détériore
et rompt le tissu social.

33.- Par ailleurs, nous avons pu constater que malgré la stratégie
développée, il existe, au niveau collectif et individuel, un niveau élevé
de solidarité qui apporte une forte capacité de récupération et de
consolidation. Nous avons observé une certaine dignité dans des situations
pouvant être considérées comme extrêmement graves et violentes. Ceci
concerne aussi bien les personnes socialement engagées que l'ensemble de
la population.

34.- Au niveau social, nous constatons la grave détérioration et la
défiance ressentie par les personnes à l'égard des institutions, ce qui
met sérieusement en péril les voies de participation démocratique. Etant
donné le haut degré de violence sociale existant, il est possible que la
stratégie de contrôle social mise en place finisse par générer des
réactions d'une plus forte intensité et plus violentes. Cette perte de
confiance dans les institutions et l'impunité dont elles ont bénéficié à
propos des faits décrits dans ce rapport rendent difficile le dialogue
entre les parties en conflit.

SUR LES MÉDIAS

35.- Au cours du conflit, un élément significatif a été l’appropriation
de plusieurs médias comme réponse à la désinformation et comme expression
du mécontentement de la population. Les médias indépendants ont gagné une
audience nouvelle et quelques médias communautaires ont acquis leur
indépendance. Pour toutes ces raisons ils ont été et demeurent la cible
d'attaques et d'une répression sélective.

36.- Les journalistes et les travailleurs des médias ont été victimes
d'attaques indiscriminées. A partir de la mort de Bradley Will, nombre
d'entre eux ont décrit des conditions de travail similaires à des
situations de guerre.

37.- Peu de plaintes ont été déposées auprès des autorités. La CCIODH
possède des indices montrant que certaines directions ont incité leurs
reporters à taire aussi bien les outrages qu'ils ont subis que des
situations dont ils ont été les témoins.

38.- Les investigations autour des homicides du journaliste nord-américain
Bradley Will et du journaliste d’Oaxaca Raúl Marcial Pérez, n'ont pas
progressé. Les circonstances de ces homicides n'ont pas été clarifiées et
sont entachées en matière d'expertise et de procédure de toutes les
irrégularités qui ont été décrites antérieurement, dans la partie
concernant les dénis de justice

HARCÈLEMENT ET MENACES À L'ENCONTRE DE DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS

39.- Les organisations des Droits Humains non gouvernementales et leurs
membres ont été victimes d'attaques ciblées, de harcèlement, de menaces,
d'agressions, de campagnes diffamatoires, de mépris et d'accusations qui
ont entraîné une criminalisation de leurs actions. Nombre d'entre eux ont
été obligés de prendre des mesures pour sauvegarder leur intégrité
physique et leurs moyens de travail, ce qui a affecté le bon déroulement
de celui-ci.

SUR LES FEMMES

40.- La commission a enregistré des agressions verbales, physiques et
sexuelles (viols, rasage des cheveux, coups, obligation de se dénuder, de
s’accroupir etc.) nombreuses et variées à l’encontre des femmes,
précisément en raison de leur qualité de femmes. Les conséquences ont été
particulièrement graves car elles ont entraîné, dans des cas recensés, des
dommages physiques, psychologiques et sociaux tels que des avortements
traumatiques.

SUR LES PERSONNES ET LES PEUPLES INDIGÈNES

41.- L'assistance d'interprètes au cours des enquêtes policières et
judiciaires n'a pas été garantie, et la Loi sur la Défense des Peuples et
Communautés Indigènes n'a pas été appliquée. La CCIODH constate que de
nombreuses personnes indigènes arrêtées et détenues ainsi que les membres
de leurs familles, ont témoigné avoir fait l'objet de discrimination
ethnique de la part de fonctionnaires publics : interdiction de
communiquer dans la prison de Nayarit, due à la méconnaissance de leur
langue, insultes et traitements vexatoires en rapport à la non-maîtrise de
l'espagnol.

42.- Dans les régions des Vallées Centrales, de la Mixtèque, de l'Isthme,
de la Sierra du Sud et de la Côte, ainsi que dans la zone Triqui, on a
constaté une augmentation de la présence des corps militaires, de groupes
de civils armés et de pistoleros, commandés dans certains cas par des
caciques et des présidents municipaux, qui agressent, assassinent,
séquestrent, harcèlent et menacent de mort la population (y compris les
enfants et les femmes), provoquant des déplacements dans certaines
communautés, avec la fracture sociale et la dislocation familiale
correspondante.

II – RECOMMANDATIONS

S’appuyant sur les conclusions ci-dessus, la CCIODH fait les propositions
suivantes :

1. S’attaquer aux causes premières de ce conflit dont il faut chercher les
racines dans des problèmes structuraux de la pauvreté, caciquisme,
inégalité d’accès aux ressources du manque de moyens pour l’éducation et
la santé, non-respect de la mémoire historique et de l’identité indigène,
atteinte aux procédures démocratiques et non respect de l’accès à une
réelle participation, en créant les conditions rendant possibles la
réparation des violations des Droits Humains et la restauration de la
cohabitation au sein de cette société aussi polarisée.

2. Afin de garantir la séparation des pouvoirs, la transparence au niveau
de l’action des fonctionnaires et le plein respect des Droits Humains à
Oaxaca, il convient d’élaborer et de mettre en place une réforme en
profondeur des institutions de l’Etat. S’agissant d’une réforme que toutes
les parties sans exception jugent nécessaire, il conviendrait de lancer
rapidement le processus, dans le respect des principes démocratiques de
dialogue et de participation, afin d’éviter un nouveau déchaînement de la
violence latente et les manifestations des revendications sociales sous
forme conflictuelle.

3. Afin de rétablir l’état de droit, il faut garantir sans délai
l’ouverture d’une enquête sur les délits commis, spécialement dans les cas
les plus sérieux (morts, disparitions, tortures et agressions sexuelles) ;
la révision de la situation juridique des personnes libérées sous caution
; l'abandon des poursuites en cours, et notamment celles pour lesquelles
il n’y a pas de preuves ; ainsi qu’une réparation financière, morale et
sociale aux victimes.

4. Reconsidérer la situation juridique de toutes les personnes
emprisonnées et faire procéder à la libération immédiate, aussi bien des
personnes emprisonnées pour des motifs strictement politiques que de
celles qui le sont sans preuve et/ou pour lesquelles la gravité des faits
incriminés ne justifie pas la privation de liberté.

5. Afin de rétablir la confiance de la société civile dans les
institutions publiques, et pour empêcher l’impunité, ses représentants
doivent : reconnaître publiquement les violences commises, pointer les
responsabilités sans que les uns et les autres se retranchent derrière les
attributions de compétences et désormais honorer stricto sensu les
Conventions Internationales ratifiées par Mexico.

6. Procéder au désarmement, contrôler la possession et l’utilisation
illégale d’armes, empêcher les agissements de milices civiles armées et
leur coordination avec les Corps et les Forces de Sécurité.

7.- Impulser les mécanismes nécessaires à la reconstruction de l’équilibre
social par des mesures de réparation des préjudices individuels et
collectifs.

Ces mesures doivent être prises en accord avec les victimes et inclure la
réparation morale, émotionnelle du préjudice communautaire, économique,
juridique, social et historique.

8. Rétablir l’ordre par la voie du dialogue et non par l’usage de la force
publique.

9. Appliquer des programmes d’accompagnement thérapeutique spécialisé en
faveur des victimes d’agressions et de tortures de tout ordre, tant
physiques que psychologiques, avec une attention toute particulière à
l’égard des hommes et des femmes victimes d’agressions sexuelles et de
violences.

10. Apporter une attention particulière à tous les mineurs ayant eu à
souffrir d’agressions, d’arrestations, de tortures, de déplacements et
d’internements.

11. Nous lançons un appel aux organisations locales, nationales et
internationales pour qu’elles coopèrent, de concert avec les organisations
locales, au suivi psychologique et à la prise en charge médicale et
professionnelle des victimes.

12. Prendre les mesures nécessaires, effectives et adéquates pour garantir
l'indépendance de tous les médias et équilibrer l'accès et la diffusion de
l'information entre les médias commerciaux, indépendants et
communautaires.

13. Garantir l'intégrité physique et psychologique des professionnels des
médias dans l'exercice de leur profession sur le terrain.

14. Prendre les mesures nécessaires, effectives et adéquates, pour
garantir que les défenseurs des Droits Humains puissent réaliser leurs
activités librement, tout en privilégiant leur protection et le respect de
leurs libertés fondamentales, en garantissant leur sécurité et leur
intégrité physique et psychologique dans l'exercice de leur tâche.

15. Prendre en considération les demandes des peuples indigènes en évitant
toute discrimination et en respectant leurs droits politiques,
économiques, sociaux et culturels. Garantir le respect et l'application
des lois relatives aux communautés indigènes et favoriser le développement
de politiques d’intégration de ces communautés par des mécanismes de
participation et de défense appropriés à leurs formes d'organisation, de
gouvernement et à leurs us et coutumes.

16. Inciter les Ministères Publics Spéciaux (créés pour la protection
effective des droits des groupes les plus vulnérables tels que les
journalistes, les communautés indigènes, les femmes et les mineurs), à
œuvrer de façon ferme et concrète.

17. Déterminer toutes les responsabilités politiques ainsi que les
personnes impliquées dans les faits rapportés dans ces conclusions et
recommandations. Au niveau de l’état, nous précisons la nécessité
d’enquêter sur les agissements des services du Ministère de la Justice, du
Secrétariat de Protection Des Citoyens ainsi que du Ministère de
l’Intérieur, ce qui implique d’enquêter sur le mode opératoire du
gouvernement de l’état dans son ensemble. Au niveau fédéral, il est
nécessaire d’enquêter sur les actions de la Police Fédérale Préventive, du
Ministère de la Sécurité Publique et du Ministère de la Justice

18. Donner suite maintenant au travail d'observation internationale du
respect des Droits Humains à Oaxaca, tâche à laquelle devront se consacrer
des institutions et des organismes indépendants et impartiaux qui peuvent
garantir la liberté de mouvement, la protection en cas de dénonciation de
violences, l'assistance due aux personnes concernées et aux victimes et la
juste réparation pour toutes les violences décrites. En ce sens, nous
recommandons au gouvernement mexicain de demander instamment la présence à
Oaxaca de représentants du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les
Droits Humains.

Données quantitatives concernant la Ve visite de la CCIODH

Au 20 janvier 2007, la CCIODH a effectué un total de 420 entrevues sur le
conflit social d’Oaxaca, aussi bien dans la ville que dans les différentes
régions de l’État. Certaines entrevues sont encore en cours de synthèse et
de traitement des informations. Pour ces raisons, les éléments que nous
présentons ici ont un caractère provisoire.

La Commission a visité 50 personnes détenues dont certaines ont été
postérieurement mises en liberté. Parmi les personnes rencontrées figure
M. Erick Sosa Villaviencio interné à la prison de haute sécurité de
Matamoros. De plus, nous avons également visité 7 autres établissements de
haute, moyenne ou basse sécurité à savoir : Miahuatlán, Tlacolula,
Cuicatlán, Cosolapa, Ixcotel, Zaachila y Etla, soit donc un total de 8
prisons visitées. Nous avons parcouru 9 régions de l’État d’Oaxaca : San
Blas Atempa, Putla, Candelaria, Tlaxiaco, San Juan Copala, Huajuapan, San
Francico Caxonos, Guelatao y Zaachila.

Indépendamment des personnes qui ont apporté leur témoignage individuel,
nous avons réalisé des entrevues avec différents acteurs que nous
indiquons schématiquement ci-dessous.

Institutions (14)

Vice-Ministre de l’Intérieur, M. Abraham Gonzalez
Ministre de la Sécurité Publique
Commission Nationale des Droits Humains Mission d’Observation à Oaxaca
Délégation de l’Union Européenne : Arturo Gutiérrez
Haut Représentant de l’ONU : Amérigo Incalcaterra et Ana Gallart
ICOMOS, Patrimoine Culturel de l’UNESCO: Javier Villalobos
Sous Secrétariat des Droits Humains d’Oaxaca : Rosario Villalobos Rueda
Secrétariat de la Protection Citoyenne : Lino Celaya
Commission d’État des Droits Humains : Jaime Mario Pérez Jiménez
Radio et Télévision d’Oaxaca : Mercedes Rojas
Recteur de l’Université Autonome Benito Juárez d’Oaxaca : Fco. Martínez Neri
Consul de France en Mexico: Didier Goujaud
Consul Honoraire de France à Oaxaca: Sergio A. Hernández Salcedo
Ambassade des Etats-Unis d’Amérique

Education (5)

Procureur Spécial pour les Affaires de l’Enseignement : Mayolo Coronel
Institut de l’État de l’Éducation Publique d’Oaxaca : Samael Hernández
Commission Juridique de la Section 22
Secrétariat Général de la Section XXII : Enrique Rueda
Commission des Droits Humains de l’Education (Comadh)
Témoignages d’enseignants : plus de 60 personnes de différentes régions

JUSTICE (11)

Procureur Spécial pour les Délits contre Journalistes
Procureur Spécial pour les Délits contre les femmes
Ministère de la Justice, Département pour la promotion et la défense des
droits humains
Ministère de la Justice de l’État d’Oaxaca : Rosa Lizbeth Caña Cadeza
Bureau de la Défense des Indigènes : Jacobo López Sánchez
Délégation du Ministère de la Justice à Oaxaca : Javier Davalo Molina
Barreau Mexicain : Collège des Avocats d’Oaxaca : Lic. Edna Franco
Cabinet Juridique populaire : Israel Ochoa
Equipe Juridique de APPO
Union des Juristes du Mexique
Collectif Autonome des Défenseurs Sociaux

Cadre de Santé (5)

Hôpital Civil : Dr. Felipe Gama
Hôpital des Spécialités : Dr. Rafael Aragón
Croix Rouge, délégation d’Oaxaca : Beatriz Quintanar
Médecin de Tlacolula : Dr. Aidé Osorio García
Brigades Médicales de APPO
Personnel Médical venu apporter leur témoignage

RELIGION : (3)

Confrérie des Pasteurs Evangéliques d’Oaxaca (COPAEO)
Archidiocèse d’Oaxaca et Antequera
Commission de Justice et Paix, archidiocèse d’Oaxaca et Antequera

Organisations de Droits Humains (9)

Amnesty International
Réseau d’Oaxaca des Droits Humains
Limeddh
Comité Cerezo
PRODH
Serapaz
Comité de Libération 25 Novembre
Transcend
Serapaz
Yaskin

Organisations sociales

APPO
Collectif Diversité Sexuelle
Front des Organisations pour la Sauvegarde d’Oaxaca
FPR
Institut Nature et Société
Société Civile des artistes, intellectuels et écologistes
Réseau d’Organisations Civiles
Conseil Citoyen d’Oaxaca pour le Progrès, AC
Educa
Association Civile Binigulazaa
Groupe Solidaire : La Venta
CODEP
Parti Communiste
Association des Pères et Mères de Famille d’Oaxaca
Commerçants du Centre Historique
Syndicat des Travailleurs de l’Université Benito Juárez d’Oaxaca
UJRM

Collectivité Indigène (6)

Réhabilitation et Défense de la langue zapotèque
Front Unique de Défense Indigène
CIPO
CEDHAPI: Centre de Droits Humains et de Conseil aux Peuples Indigènes
MULTI (Région Triqui)

Médias (9)

Journal Noticias
Journal El Imparcial
Journal El Universal
Journal Excélsior
Radio Calenda
Radio Universidad
Radio Plantón
Proceso
+ Journalistes Indépendants (4)

http://cciodh.pangea.org
Paria
Les masses font et peuvent tout !
Grand classique (ou très bavard)
Paria
562 messages postés
   Posté le 27-01-2007 à 19:10:38   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Bien le bonjour,

Tu vas à Copala ? Tu te rends à l’invitation des Triquis ? Depuis quelques
jours, je fais le tour des amis et des connaissances en leur posant ces
questions : réponses négatives. La région a mauvaise réputation, depuis
mars 2006 dix personnes ont trouvé la mort, soixante-dix depuis 2004, avec
l’arrivée au pouvoir d’Ulises Ruiz. Des groupes de tueurs rôdent cherchant
à empêcher, par l’assassinat, la reconstitution de l’unité du peuple
triqui. Vingt communautés sur trente-six ont réussi à s’entendre après
trois mois de palabres pour former la commune autonome indigène de San
Juan Copala et s’émanciper ainsi de la tutelle des trois communes métisses
dont elles dépendaient. Le pouvoir n’a pas l’intention d’accepter la
constitution d’une commune autonome, c’est la guerre. La Mort se vêt de la
longue tunique rouge des femmes triquis, où flottent avec élégance de
longs rubans de satin aux couleurs vives. Il faut aussi ajouter que cette
région est difficile d’accès, il y a bien des transports en commun mais
avec des changements, le plus facile serait encore la voiture particulière
ou de location. Je finis par avoir un numéro de téléphone : "Oui, je fais
partie d’une commission du Conseil de l’APPO et j’organise un voyage à
Copala." Un rendez-vous est fixé pour vendredi matin, il est tout indiqué
d’arriver le jour à San Juan Copala. Nous ne sommes que deux à partir, lui
et moi. D’autres du Conseil arriveront samedi matin en voiture
particulière, la communication ne passe pas très bien entre conseillers.

Le voyage est rapide jusqu’à Tlaxiaco, capitale de la région mixtèque. A
Tlaxiaco, nous devons changer de voiture et mon compagnon de route se
retrouve avec un autre sac de voyage, semblable au sien, mais de couleur
bleue et contenant des vêtements de bébé. Cet impromptu nous retarde, la
camionnette part sans nous, qui espérons le retour du sac, en vain. Une
heure et demie plus tard, nous montons dans une voiture qui nous déposera
au croisement du Carrizal, croisement important sur la route de Tlaxiaco
des chemins qui mènent, d’un côté, à Putla de Guerrero, de l’autre, à
Juxtlahuaca. C’est la montagne mixtèque aux sommets verdoyants et aux
vallées arides qui fait frontière entre l’État d’Oaxaca et celui du
Guerrero. En arrivant au Carrizal, la vue, soudain, s’échappe à l’infini
sur les massifs bleutés, qui descendent dans la lumière du crépuscule vers
le Pacifique. Il s’agit maintenant de trouver un taxi collectif qui voudra
bien nous conduire à Copala. En compagnie d’une femme et de sa fille qui,
elles, se rendent à La Sabana, nous commencions à trouver le temps long
quand arrive un taxi qui veut bien nous prendre à condition que nous y
mettions le prix : 30 pesos pour Copala, 20 pour La Sabana. Nous ne
marchandons pas, la nuit arrive rapidement sous les tropiques.

Sur la route, le chauffeur cherche bien à savoir qui nous sommes et mon
collègue lui raconte une vague histoire au sujet de l’organisation des
dispensaires dans les villages indiens, le temps passe. A La Sabana, tout
change, les deux femmes descendent et nous sommes bientôt entourés par un
groupe de jeunes gens bien trop curieux à mon goût. Finalement l’un d’eux,
qui fait un peu chef de bande, monte à côté du chauffeur, il nous serre la
main, une personne plus âgée, dit le professeur, se tasse à nos côtés en
silence, et nous partons. Pendant tout le trajet, le jeune va s’en prendre
au chauffeur, qui n’en mène pas large : "D’où tu viens ? Tu n’es pas
encore triqui ? Tu es toujours à moitié chilango ? Quand vas-tu être
entièrement triqui ? Tu n’as pas la frousse de venir par ici ? Tu ne sais
pas qu’il y a des embuscades ? Aujourd’hui même, il y a eu une
embuscade..." Derrière, c’est le silence. La nuit tombe quand nous
arrivons à Copala. Le taxi nous laisse à l’entrée, dans la rue qui descend
en pente raide vers le marché, au niveau de la mairie. Le prof a disparu,
le jeune aussi, mais pour rejoindre le taxi lorsque celui-ci, après avoir
fait demi-tour, se prépare à partir. J’ai une pensée émue pour le
chauffeur. Au fronton de la mairie est écrit en gros caractères "Commune
autonome de San Juan Copala".

Sur la petite esplanade couverte devant le palais municipal, des femmes
pleurent un mort étendu sous un linceul à même le sol, il est entouré de
petites bougies dont la flamme semble revivre brusquement avec la nuit.
Nous nous présentons au président municipal et à ses adjoints, qui
devisent entre eux assis dans un coin de la salle principale. Le président
est jeune, une trentaine d’années, solide et silencieux à la manière des
paysans de la montagne ; il laisse volontiers parler les autres, dont un
premier adjoint très jeune, doux et souriant, à qui semble être dévolu le
rôle de maître des cérémonies. Les autorités nous apprennent que le matin,
alors que les femmes nettoyaient les rues avec les enfants en vue de
recevoir les hôtes, le village avait été pris sous le feu nourri de
commandos cachés sur les collines qui l’entourent. Il est possible de voir
les traces de balles sur les murs du marché couvert, de l’église, de
l’école secondaire et de quelques maisons particulières. Plus de peur que
de mal, il n’y a pas eu de blessés ni de morts. Ce n’est pas tout,
l’après-midi, une voiture qui se rendait à Copala en vue de prendre part à
l’événement du samedi est tombée dans une embuscade. Ils venaient d’Unión
de los Angeles, huit personnes, avec les enfants, dans une voiture de
tourisme blanche, le mort, Roberto García Flores, se trouvait du mauvais
côté, il a pris une balle qui a traversé la porte et son corps de bas en
haut. Il gît maintenant sur l’esplanade, il restera là toute la nuit et la
journée du lendemain, veillé par sa mère et son épouse, salué par les
hommes qui se recueillent un moment à ses côtés. La famille devra l’amener
à Juxtlihuaca, le procureur se refusant à venir à Copala pour les
constatations d’usage. L’embuscade eut lieu à Agua Fria, le fief du député
local Rufino Maximino Zaragoza et de sa famille. Les gens du député
s’étaient embusqués derrière une baraque au bord de la route d’où ils ont
fait feu sur la voiture à son passage. Ils ne seront pas inquiétés, du
moins par l’État et sa justice.

L’attaque du matin comme le traquenard de l’après-midi ont pour but
d’intimider les gens afin de compromettre la bonne tenue de la cérémonie
d’investiture qui doit se dérouler samedi. Le peuple triqui connaît un
destin singulier. Le sentiment d’identité y est très fort, mais double :
appartenance à un peuple avec ses traditions, ses codes, ses fêtes, sa
langue, mais aussi appartenance à un lignage. Les femmes portent toutes le
costume traditionnel, ample tunique aux manches ouvertes que l’on enfile
par le haut et qui descend jusqu’aux pieds. Elles portent cette robe dans
la capitale de l’État d’Oaxaca et dans la capitale du pays où elles sont
facilement reconnaissables. Une jeune fille venue de Mexico semblait
cependant marquer un temps d’hésitation entre tradition et modernité,
entre un corsage aux dessins traditionnels et un pantalon plus moderne
genre jeans. Tous sont très attachés à leur langue, qui est bien vivante,
j’ai noté que les enfants ne prêtaient aucune attention à l’espagnol mais
qu’ils dressaient l’oreille pour tout ce qui se disait en langue
vernaculaire. Un sentiment identitaire que vient contrarier en partie
l’esprit de vendetta qui a fait la mauvaise réputation de la région, nous
pouvons dire que le sentiment d’appartenance à un lignage a mis en péril
l’unité du peuple triqui et son autonomie. En montant les lignages les uns
contre les autres, en enflammant les esprits, l’État a réussi à diviser le
peuple, qui s’est perdu dans une guerre sans fin de vengeance, de
représailles, de vendetta. Pendant des années, des familles, des clans se
sont affrontés et les armes ont parlé : un désir ardent d’unité
continuellement détruit, remis en cause par l’affrontement des partis
opposés, affrontement d’autant plus implacable et violent que le désir
d’unité était fort et désespéré.

Un rapide coup d’œil à l’histoire de ce peuple nous permet de saisir le
pourquoi d’une si tragique situation. L’unité du peuple triqui
représentait un danger pour l’État mexicain qui devait en conséquence y
apporter la division, y semer le trouble et les conflits. Si, peu après
l’indépendance, en 1826, l’État reconnaît l’autonomie des Triquis pour la
participation de ce peuple à la guerre d’indépendance sous les ordres de
José María Morelos y Pavón, et donne aux villages le statut de communes
libres, il s’en mord les doigts quelques années plus tard. En cherchant à
reprendre le contrôle de la région, il se heurte à une première rébellion
triqui, qu’il réduit en 1832. Onze ans plus tard, en 1843, il doit
affronter une nouvelle insurrection, beaucoup plus forte que la
précédente, et qui s’étend à d’autres peuples d’Oaxaca et du Guerrero.
L’armée mexicaine met un terme à ce soulèvement. En 1948, l’État met fin
aux communes libres et San Juan de Copala qui était une municipalité
autonome devient une agence municipale rattachée à la municipalité métisse
de Juxtlihuaca. Toute la région triqui va se trouver ainsi divisée et les
villages rattachés aux municipalités (Juxtlahuaca, Putla de Guerrero,
Constancia del Rosario, Tlaxiaco...) contrôlés par le parti d’État, en
l’occurrence le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). À partir de
cette position avantageuse, l’État, aidé par l’Institut de linguistique
d’été, n’aura de cesse d’entretenir la division à l’intérieur du peuple en
favorisant certains lignages au détriment d’autres lignages.

A partir de 1970, la lutte pour reconstruire l’unité et reconquérir
l’autonomie reprend de plus belle avec le "Club", qui deviendra plus tard
le MULT, Mouvement unifié de la lutte triqui. Cette lutte est loin d’être
isolée, elle s’inscrit à l’intérieur d’un vaste mouvement de critique
sociale, c’est à cette époque que la section 22 du syndicat enseignant
s’émancipe de la tutelle du parti unique, que se forme la COCEI (Coalición
Obrera, Campesina y Estudiantil del Ismo), qui, au début des années 1980,
occupera la mairie de Juchitan, c’est aussi à cette époque que le monde
indigène, mixe, zapotèque, mixtèque, triqui, s’organise et affirme ses
propres valeurs, sa pensée et sa philosophie, que les maîtres d’école
indiens et les promoteurs issus des villages jouent un rôle important dans
l’organisation et l’émancipation des communautés. Ce vent de contestation
qui a soufflé sur Oaxaca a perdu de sa force en se compromettant avec le
pouvoir. Le MULT s’est rapproché peu à peu du gouvernement qui pouvait
financer des projets de production et de mise en valeur au point de
fonder, il y a peu, un parti politique, le PUP (Parti d'unité populaire),
et de participer aux élections. Face à cette déviance et corruption du
MULT et de ses principaux dirigeants, des membres de cette organisation
s’en séparent pour fonder en 2003 le MULT-I, Mouvement unifié de la lutte
triqui indépendant. Entre-temps, en 1998, était apparu l’Ubisort (Union
pour le bien-être social de la région triqui), proche de la vieille
structure régionale du PRI. Vous me suivez ? Aujourd’hui le vent de la
révolte souffle à nouveau, sous la poussée de l’Assemblée populaire des
peuples d’Oaxaca et de la volonté clairement exprimée de se réapproprier
la vie politique (confisquée par l’oligarchie au pouvoir), le MULT-I et
l’Ubisort (qui s’est libéré de son allégeance au PRI) se sont alliés pour
créer la commune autonome de San Juan Copala, qui reprend ainsi son statut
de commune indigène libre perdu en 1948.

"Está el Partido de Unidad Popular, está el PRI, está el PRD, y no toman
en cuenta la principal raíz de lo que está pasando en la región. Ellos no
ven a indígenas, no ven a Triquis, usan a Triquis para sus campañas pero
no ven cuál es la problemática de fondo que se vive, cómo se vive, y si es
que se vive" (Il y a le Parti d’unité populaire, il y a le PRI, il y a le
PRD, et ils ne prennent pas en compte ce qui se trouve à l’origine de ce
qui est en train de se passer dans la région. Eux ne voient pas des
Indiens, ils ne voient pas des Triquis, ils utilisent les Triquis pour
leurs campagnes électorales, mais ils ne voient pas quel est le problème
de fond qui se vit, comment il se vit, et si même il se vit). Il n’y a
rien à attendre des partis politiques, c’est l’idée forte des zapatistes,
de l’Autre Campagne, du mouvement indien et de l’Assemblée populaire des
peuples d’Oaxaca. Dans l’Assemblée, cette idée est continuellement
étouffée par ceux qui sont de connivence avec les partis, mais à mon sens
elle est l’idée forte, centrale, de l’APPO, c’est à travers elle que ce
mouvement social prend tout son sens. Evidemment, toute la clique
politique réagit avec force face à ce rejet, ce qui explique la crise
actuelle que connaît l’Assemblée populaire, prise entre les feux de la
répression tous azimuts du pouvoir et les tentatives de récupération, qui
cherchent à transformer l’APPO en parti politique d’extrême gauche.

La nuit est tombée, nous traversons le village qui est plongé dans
l’obscurité, pas âmes qui vivent, du moins des âmes d’apparence humaine,
les portes sont fermées sur une sourde inquiétude, des meutes de chiens se
répondent d’un point à l’autre du village, chaque meute semble avoir son
terrain d’aventures ou de chasse qu’elle garde jalousement. Nous savons
que des patrouilles surveillent les alentours, en sortant de la mairie
nous avons repéré dans l’ombre des hommes, le fusil à la main. Nous nous
retrouvons autour d’une table où j’écoute nos compagnons nous parler de
l’imbroglio politique dans lequel s’est trouvé jeté toute la population
triqui. Ils nous parlent aussi de leur espoir de voir naître un jour
prochain toute une région autonome qui regrouperait l’ensemble de la
population. Le lendemain matin, le village a retrouvé son animation, les
chiens ne forment plus des meutes agressives, ils sont devenus
indifférents, ils nous ignorent superbement. À 10 heures, les habitants
doivent abandonner leurs tâches quotidiennes, fermer leurs maisons et
participer à l’événement politique et culturel de l’investiture publique
des autorités désignées selon les us et coutumes. Les gens arrivent des
communautés voisines qui se sont ralliées à la commune de San Juan Copala,
de Yoxoyuzi, de Santa Cruz Tilaza, de Guadalupe Tilaza, de Tierra Blanca,
d’El Carrizal, de La Sabana, de Yerba Santa, d’Union de los Angeles… en
voitures, en camionnettes, en "redilas", en cars, certaines n’ont pu
venir, par crainte ou parce qu’elles ont rencontré sur leur route des
barrages, nous dit-on, de la police fédérale. Des invités sont venus
d’Oaxaca et de Mexico. Une assiette de bouillie de maïs bien relevée avec
un morceau de bœuf est offerte à tous les arrivants.

La cérémonie d’investiture avait déjà eu lieu une première fois, début
janvier. Aujourd’hui, c’est la confirmation devant non seulement les vingt
communautés, mais en présence de témoins nationaux et même, disent-ils,
mondiaux, en faisant allusion, je suppose, aux deux Français qui se sont
retrouvés le matin dans les rues du village, c’est l’acte public de la
naissance de la commune libre de San Juan Copala, l’affirmation d’un
peuple, de l’unité du peuple triqui, contre les forces de la mésentente et
de la division. C’est un début. Les autorités vont recevoir leurs bâtons
de commandement de la main des anciens et des majordomes, qui ont été
responsables des fêtes, elles ont droit à un petit discours en langue
indienne. Le président municipal, vêtu du pantalon blanc des temps anciens
et d’une "guayabera" verte éclatante fera son discours dans cette langue
et il ne le traduira pas lui-même en espagnol, comme c’est la coutume, il
laissera le soin de la traduction à un de ses adjoints, marquant ainsi
clairement son souhait de rester une autorité indienne au service du
peuple triqui. Il dit qu’il est prêt à dialoguer avec le gouvernement pour
que soit reconnue l’autonomie de cette commune indien, à la différence des
communes autonomes zapatistes, il dit aussi qu’il est prêt à recevoir des
ressources, comme toute commune, de la part du gouvernement, mais que ces
ressources iront directement aux communautés, que sa gestion sera en tout
point transparente et qu’il espère que le peuple le respectera comme il
respectera le peuple. Ensuite, c’est la fête, les "officiels" de l’APPO,
du Front populaire révolutionnaire avec leurs petits drapeaux rouges et
faucille et marteau en coin, le Frente Amplio de Lucha Popular, la
Promotora por la Unidad Nacional, etc., les journalistes, tous, quittent
la scène et laissent le terrain aux clowns, aux vrais, à ceux qui font
rire les enfants et les mères de famille.

Oaxaca, le 26 janvier 2007.

George Lapierre
Paria
Les masses font et peuvent tout !
Grand classique (ou très bavard)
Paria
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   Posté le 11-02-2007 à 19:03:02   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Oaxaca ; Vers une transformation radicale


La crise sociale dans l'Oaxaca et le besoin impérieux d'opérer de profonds changements dans la société de cet État sont devenus plus qu'évidents.

La lutte pour la réforme de notre État : Vers une transformation radicale de l'Oaxaca ?

Rubén Valencia Núñez Ciudad Ixtepec, État d'Oaxaca

La crise sociale dans l'Oaxaca et le besoin impérieux d'opérer de profonds changements dans la société de cet État sont devenus plus qu'évidents. Notre mouvement de résistance passe actuellement par une étape de réflexion dont l'objet principal est de déterminer les changements que nous voulons et la manière dont nous voulons le faire. Nous devons nous poser les questions qui nous aiderons à poser les bases nouvelles de nos actions et faire en sorte que participent à ce processus ceux qui ont toujours été exclus par le système, système que nous voulons réinventer.

La société est actuellement polarisée : la quasi-totalité de la classe politique est alliée aux classes aisées, tandis qu'une partie des classes moyennes est avec le peuple et les organisations populaires. Dans le feu de notre mouvement, différentes propositions de transformation de l'Oaxaca ont vu le jour. Certaines semblent aller dans le même sens, ne se distinguant que par la stratégie et par la méthode de représentation qu'elles préconisent pour atteindre leurs objectifs. D'autres se limitent au contraire à exposer certaines priorités et problèmes de fond, dans le seul but de calmer le peuple et de freiner l'ardeur insurrectionnelle et l'esprit de désobéissance civile qui l'animent, dans la conscience grandissante de l'immense tâche à accomplir.

Le texte qui suit se propose de décrire brièvement certaines des initiatives prises par la société dans les derniers mois et d'examiner les positions respectivement adoptées par les autorités fédérales et par l'APPO.

L'été dernier, des autorités municipales et agraires, plusieurs organismes civils, la Section XXII du syndicat des enseignants et l'APPO ont appelé à un forum national sous le thème "Construire la démocratie et la gouvernabilité dans l'Oaxaca". Il a effectivement eu lieu les 16 et 17 août 2006, rassemblant 1 500 personnes venues de toutes les régions de cet État. L'objectif principal qu'il s'était fixé consistait à examiner la crise actuelle, proposer une issue alternative et répondre aux problèmes qui se posent dans une perspective politique et citoyenne.

La publication des résultats et des accords pris dans ce forum permet de dégager trois objectifs principaux : encourager la formation d'une assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution pour l'Oaxaca, élaborer un programme politique unitaire et promouvoir des politiques non discriminatoires respectueuses de la diversité dans l'Oaxaca.

À propos de la position adoptée par certains représentants indigènes et par certains intellectuels en ce qui concerne le "Pacte de gouvernabilité" proposé par le SEGOB (Secretaria de Gobernación : le ministère de l'Intérieur mexicain) : début octobre 2006, le ministère de l'Intérieur avait invité une centaine de personnes, dont Ulises Ruiz Ortiz et ses mandataires, mais surtout différentes factions politiques, à une réunion devant avoir lieu le 4 octobre au siège de ce ministère afin d'analyser la situation dans l'Oaxaca et de conclure un "Pacte pour la gouvernabilité, la paix et le développement de l'Oaxaca". Seules cinq personnes de la Section XXII et de l'APPO ayant été invitées, ces deux organisations ont décidé de ne pas y participer. Parmi les autres personnes invitées se trouvaient trois dirigeants indigènes et plusieurs intellectuels et artistes, qui décidèrent, après mûre réflexion, d'assister à cette réunion dans l'intention explicite de la boycotter et de dénoncer publiquement son absence totale de légitimité. Avant d'abandonner la salle en signe de protestation, ils définirent ensemble leurs positions, dès le début de cette réunion, en donnant lecture du manifeste suivant :

POUR UN DIALOGUE VÉRITABLE ET AUTHENTIQUE DANS L'OAXACA

"Nous avons accepté de participer à cette réunion, à laquelle nous avons été invités à la dernière minute et sans disposer des informations suffisantes quant à ses objectifs, ses contenus et ses participants, car nous sommes convaincus que c'est uniquement au travers du dialogue, et non par l'emploi de la force, que la paix, la justice et la démocratie pourront exister dans l'Oaxaca.

"Cependant, en l'absence de la Section XXII du Syndicat national des travailleurs de l'enseignement et de l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca, deux acteurs indispensables à un tel dialogue, nous nous voyons forcés de nous retirer, non sans exprimer auparavant notre position :

"1. Nous pensons que la société de l'Oaxaca n'est pas représentée dans cette réunion, ni suffisamment ni de manière adéquate. En outre, Le procédé employé pour formuler l'invitation à cette rencontre ainsi que les propres termes de cette invitation nous semblent inappropriés ;

"2. Aucun pacte de gouvernement ni aucun pacte de gouvernabilité ne sera possible tant que celui qui se prétend gouverneur de l'État de l'Oaxaca continuera formellement d'occuper ses fonctions. En ce sens, nous unissons nos voix à celles de la société de l'Oaxaca qui exige la dissolution des pouvoirs, selon les termes établis par la Constitution fédérale et la procédure réglementaire en vigueur ;

"3. D'autre part, nous tenons à déclarer que les questions qui intéressent la plus grande partie de la population de notre État ne sont pas inscrites à l'ordre du jour prévu pour cette réunion. Nous souhaitons également relever la plus grave de ces omissions, qui à notre sens illustre parfaitement le caractère de cette réunion : il n'y est fait aucune mention de la question indigène, alors que les peuples indiens constituent la population de l'Oaxaca de loin la plus nombreuse et que ses difficultés exigent la priorité la plus absolue ;

"4. Il y a longtemps que de nombreux citoyens, groupes et secteurs de l'Oaxaca ont examiné et proposé les questions à aborder en vue d'établir un calendrier d'actions absolument nécessaires pour instaurer la démocratie dans l'Oaxaca. Rien de cela n'apparaît ni ne semble pris en compte à l'heure d'aborder, par ailleurs sans aucun ordre ni distinction, toutes sortes d'aspects concernant les intérêts et les perspectives de nos concitoyens ;

"Nous sommes favorables à la conclusion d'un pacte pour la démocratie, la paix et la justice afin que tous les secteurs et tous les peuples de l'Oaxaca puissent contribuer à la réalisation d'une réforme en profondeur de cet État.

"Nous réaffirmons notre engagement envers l'établissement d'un dialogue. Toutes les parties ici présentes doivent œuvrer à donner une issue politique à l'actuelle crise de l'Oaxaca et s'opposer activement à l'emploi de la force.

"Il est impossible de signer quelque pacte que ce soit ici, mais il est cependant possible de formaliser les bases nécessaires à l'établissement d'un authentique dialogue de l'ensemble des secteurs et peuples de l'Oaxaca dans un esprit participatif et non discriminatoire."

Après avoir lu ce document, les représentants indigènes et les intellectuels mentionnés se retirèrent du forum et communiquèrent aux médias leur position.

Du coup, ledit forum perdit toute crédibilité et toute légitimité. Le ministère de l'Intérieur n'a pu sortir de son chapeau aucun "pacte" pour une quelconque gouvernabilité, dont les termes manifestaient de toute façon la précipitation, l'improvisation et un évident manque de sérieux.

Le groupe qui avait répudié de la sorte la réunion appelée par le SEGOB décida d'impulser dans l'Oaxaca un dialogue ouvert à tous les secteurs de la société afin d'envisager tous les changements que l'on jugerait nécessaires, continuant ainsi ce qui avait été commencé avec le forum national des 16 et 17 août.

Après plusieurs réunions préparatoires auxquelles participaient les représentants d'organisations de la société civile et d'organisations indigènes, l'Église catholique, des chefs d'entreprise, des artistes et des professeurs, ainsi que des délégués de la Section XXII et de l'APPO, un appel à une "Initiative citoyenne de dialogue pour la paix, la démocratie et la justice" était lancé, le 9 octobre.

Initiative citoyenne de dialogue pour la paix, la démocratie et la justice dans l'Oaxaca. Le 12 octobre, dans la galerie du couvent de Santo Domingo, deux mille personnes assistant au lancement cette initiative ont débattu et approuvé la Déclaration de Santo Domingo, qui établit la position des participants et énonce certaines de ses dispositions. La Déclaration examine l'importance, le contexte, le diagnostic et les objectifs du dialogue envisagé et présente les premiers accords issus des six groupes de travail constitués ce même jour :

Groupe 1 : Nouvelle démocratie et gouvernabilité (la crise politique)

Groupe 2 : Économie sociale et solidaire (la crise économique)

Groupe 3 : Vers une nouvelle éducation (la crise de l'éducation)

Groupe 4 : Harmonie, justice et équité sociale (la crise sociale)

Groupe 5 : Patrimoine historique, culturel et naturel de l'Oaxaca

Groupe 6 : Moyens de communication au service des peuples

D'autre part, trois forums de réflexion ont été annoncés : un Forum indigène et paysan (afin d'examiner les questions indigènes, agraires et paysannes, ainsi que la question du maïs, de l'eau et de l'émigration), un Forum d'équité de genre et un Forum concernant les droits humains.

Cette initiative veut promouvoir au sein de la société de l'Oaxaca un dialogue dans lequel seront représentés tous les secteurs qui la constituent, pour pouvoir définir ensemble, à travers des accords et des consensus, les comportements sociaux et les réformes juridiques et institutionnelles qui permettront d'opérer la transformation profonde que les Oaxaquiens et les Oaxaquiennes appellent de leurs vœux.

Dès le jour de son lancement, dans chacune de ses manifestations et activités, l'Initiative a réclamé la destitution d'Ulises Ruiz Ortiz comme condition préalable indispensable aux changements jugés nécessaires.

Bien que les activités de l'Initiative se soient vues entravées par l'entrée des forces de police fédérales et par la vague de terrorisme d'État déclenchée à partir du 28 octobre, et en particulier après le 25 novembre, les réunions des groupes de travail se sont poursuivies. Sans oublier de réfléchir à la situation, les participants ont présenté des propositions et des projets qui émanent le plus souvent de longues analyses et d'actions visant au changement.

Aux travaux de réflexion de ces groupes sont venues s'ajouter les activités suivantes :

1. Forum d'analyse des mesures de détente en vue de la paix et de la réconciliation dans l'Oaxaca Organisé le 6 novembre à la bibliothèque de l'ancien couvent de Santo Domingo, ce forum réunissant une grande diversité de participants a servi à présenter un rapport détaillé de la situation des prisonniers et des personnes arrêtées ainsi qu'une liste des disparus lors du conflit, accompagné d'une réflexion sur les mesures de détente et de propositions concrètes à ce sujet.

2. Forum des peuples indigènes de l'Oaxaca Organisé les 28 et 29 novembre, il a pu rassembler près de 500 personnes, dont des autorités communautaires et municipales indigènes, des représentants d'organisations communautaires et des organismes de la société civile. Quatorze des seize peuples indigènes de l'Oaxaca y étaient représentés.

Les participants à ce forum ont montré comment, alors que l'Oaxaca est une société pluriethnique et multiraciale où vivent seize peuples indigènes, paradoxalement la construction et l'exercice de l'autonomie et de l'autogouvernement de ces peuples sont sujets à une agression constante. Ils ont appelé la société à lancer des initiatives et des propositions de convivialité, à s'organiser et à effectuer des mobilisations et un dialogue dans ce sens, dans tous les domaines de l'existence, du travail et de la lutte des peuples indigènes. Ils appelèrent aussi à renforcer le processus d'organisation et d'action de l'APPO, notamment en stimulant cette nouvelle attitude au sein de tous les mouvements et de toutes les organisations, pariant sur le fait que c'est ce qui permettra de tout pouvoir articuler, de pouvoir transformer en partant de nous-mêmes, de pouvoir construire d'en bas. Enfin, ils se sont réaffirmés dans leur conviction et dans leur engagement quant à la construction d'un mouvement pacifique qui tienne compte des raisons profondes du conflit vécu aujourd'hui dans l'Oaxaca et qui pose les bases d'un nouveau pacte social et d'un nouveau cadre juridique qui rende possible la justice, la paix et la démocratie pour toutes et pour tous.

3. La société civile face à la réforme de l'Oaxaca

Le 18 décembre, des membres de "l'Initiative citoyenne..." ont présenté publiquement leur appel aux peuples de l'Oaxaca en vue de conclure des accords minimaux pour une véritable réforme de cet État qui devra émaner de méthodes de consultation réellement démocratiques telles que sondages d'opinion, ateliers de réflexion régionaux, forums au niveau de l'Oaxaca, consultations publiques et autres mécanismes.

Les membres de l'Initiative en ont profité pour déclarer publiquement leur refus pur et simple d'une rencontre autour d'un projet de réforme de l'Oaxaca annoncée par le "dégouverneur" Ulises Ruiz Ortiz. Selon les membres de cette plate-forme, y participer "reviendrait à légitimer une nouvelle parodie, une véritable réforme démocratique ne pouvant émaner que des citoyens et non être décrétée par l'administration, la première visée par une telle réforme". Ils ont également signalé que "toutes les réformes de l'État réalisées au Mexique ont résulté d'une pression sociale et de mobilisations populaires, jamais de commissions officielles", et qu'il est d'autant moins possible de promouvoir une réforme de l'État quand on prétend le faire à travers "une simple opération de chirurgie esthétique effectuée précisément par celui qui a provoqué la profonde crise sociale actuelle et manque de crédibilité et de toute légitimité". Pour conclure, ils ont manifesté que "l'actuelle administration de l'Oaxaca ne peut pas prétendre au dialogue alors qu'elle continue de persécuter, de gruger et de réprimer le peuple de l'Oaxaca". Inversement, une réforme de cet État émanant de la base (sociale) est à même de "nous doter du cadre juridique et politique approprié en vue d'instituer une assemblée constituante plurielle et pleinement représentative qui permette d'élaborer une nouvelle constitution".

Le document présenté en cette occasion par l'Initiative cherche à dégager des accords minimaux concernant une réforme de l'État en se fondant sur les consensus atteints précédemment en matière de pluralité juridique, d'état de droit, de division des pouvoirs, de justice et de sécurité publique, de transparence, de participation citoyenne, d'équité de genre, de mécanismes électoraux, de communication, de patrimoine et de justice sociale.

La proposition du tyran

Le "dégouverneur" Ulises Ruiz Ortiz a lancé un appel à la "réconciliation" et prétend "encourager la recherche d'une résolution aux problèmes structurels, bouillons de culture de la pauvreté, de la marginalisation et de l'injustice, afin d'avoir un nouvel Oaxaca, ordonné et muni de nouvelles institutions à même d'affronter les défis qui se présentent aujourd'hui à nous".

Il affirme que pour que l'Oaxaca soit un État prospère et démocratique où prévaut l'équité, il faut lancer un appel aux Oaxaquiens de toutes les couches sociales et de toutes les tendances et il propose d'ouvrir les espaces nécessaires à la discussion et à la participation des citoyens, afin d'élaborer ensemble une nouvelle constitution de l'Oaxaca.

Il admet qu'il est indispensable de changer en profondeur de méthode, d'opérer des changements sur le fond, non pas dans la structure hiérarchique du pouvoir mais par la participation citoyenne que réclame la société.

Ulises Ruiz Ortiz est secondé au sein de la Commission spéciale pour une réforme de l'État de l'Oaxaca par Hector Sánchez, administrateur et secrétaire technique de cette commission et l'un de fondateurs de la "Coalition ouvrière, paysanne et étudiante de l'Isthme" d'antan, la COCEI, légendaire organisation de gauche qui jouissait d'une grande sympathie au Mexique dans les années 1970 à cause de la lutte qu'elle menait dans l'isthme d'Oaxaca. Aujourd'hui, elle est notoirement connue pour ses liaisons avec le gouvernement et à cause de sa sinistre habitude d'acheter les mouvements sociaux. En effet, cette organisation se consacre à sucrer les organisations sociales pour négocier avec elles une par une et affaiblir ainsi la lutte pour l'indispensable grande transformation. Signalons qu'elle s'est constituée en parti politique en créant le Parti de la révolution démocratique, le PRD, dans l'Oaxaca. Ce n'est pas sans importance, car aujourd'hui comme hier certains secteurs qui ne voient pas au-delà d'une lutte pour des réformes, simples carottes que le système promet sans jamais les réaliser, tirent de là leurs seuls arguments, ne concevant la lutte qu'au travers des partis, le regard rivé sur l'en haut.

Hector Sánchez est un métis nanti dépourvu de toute autorité morale et légitimité, inapte à conduire quelque processus de mutation sociale que ce soit dans l'Oaxaca. La nomination de ce triste sire nous permet d'apprécier à leur juste valeur les véritables intérêts de cette "consultation", simple manœuvre pour tenter de manipuler la société et contrôler les deniers publics : le changement dans la continuité, en somme.

Le jour de sa prise de fonctions, il a eu le culot de déclarer que "les défis auxquels doit faire face l'Oaxaca sont gigantesques, la réforme de notre l'État devant envisager des changements sur le fond et faire participer tous les Oaxaquiens qui souhaitent construire un État développé où règne la démocratie". Se réfère-t-il aux soi-disant Oaxaquiens "authentiques" ? À ceux qui ont monté Radio Ciudadana ("Radio citoyenne"), radio qui a polarisé la société ? Ou parle-t-il des privilégiés de tous temps ? Quoi qu'il en soit, il ne s'est pas privé d'ajouter que "la société oaxaquienne vit aujourd'hui un conflit qui n'est pas encore totalement apaisé, il est encore trop tôt pour affirmer que les blessures se sont refermées et qu'il ne s'est rien passé, la clameur populaire exige encore un changement, de nombreuses voix demandent à être écoutées, les plaintes et le mécontentement se font entendre ; ce sont les carences et les injustices, le fait de désespérer pouvoir les surmonter, qui ont provoqué cet état de crispation que nous avons connu récemment". Il suffit de savoir d'où sort cet individu pour nous rendre compte de quel côté il lorgne : du côté de la démobilisation, du mensonge et de la trahison.

Sa nomination et cette farce n'ont d'autre but que celui d'aggraver la crise que connaît cet État et de continuer à diviser, à polariser le peuple de l'Oaxaca.

Les propositions des nouveaux fonctionnaires du SEGOB et du gouvernement fédéral.

Le ministère de l'Intérieur a limité le nombre et la qualité des participants à une table de négociation où était représentée l'APPO, tandis que la répression continue. Lors d'une réunion récente, il a remis à l'APPO son "Pacte pour la gouvernabilité, la paix et le développement de l'État de l'Oaxaca", document que le ministre Abascal avait déjà tenté de faire passer le 3 octobre. Il s'agit de propositions sans fondements qui illustrent une vague intention d'encourager des réformes légales et institutionnelles, l'ensemble restant très vague. On y devine que le ministère sait pertinemment qu'il existe de très graves problèmes politiques et sociaux dans l'Oaxaca et que les revendications des peuples de cet État sont légitimes, mais il montre que cet organe a été et reste incapable de formuler le diagnostic exact de la situation et encore moins de prendre les mesures nécessaires pour affronter cette crise et la surmonter.

Il juge nécessaire de se réunir pour parvenir à élaborer un grand pacte pour l'Oaxaca. Ses membres disent qu'ils s'engagent à contribuer à un effort conjoint pour que la population indigène et métisse de toutes les communautés bénéficient réellement d'un système d'éducation et de santé, de logements dignes, d'emplois bien payés et des autres services publics dont ils ont été privés jusqu'ici.

Ils affirment avoir établi le diagnostic de la situation politique, économique et sociale de l'Oaxaca et que ce diagnostic leur permettra de parvenir, dans le cadre des institutions, non seulement à normaliser les activités de la population, mais aussi à promouvoir une nouvelle forme de convivialité.

Ce document mentionne également le fait qu'ils ont notamment pris conscience de l'importance d'une démocratisation effective par le biais d'une réforme de l'État, qui permette, associée à des mesures de détente à court terme, de rétablir des conditions propres au développement de la société oaxaquienne. Ils proposent en outre qu'un tel pacte rompe avec l'opposition classique démocratie parlementaire-démocratie directe, prônant un modèle de "démocratie participative".

Leur pacte viserait donc cinq objectifs distincts :


Un nouvel équilibre des pouvoirs : une meilleure coordination entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et la Justice ;
La participation de la société aux décisions du gouvernement ;
La reconnaissance de la diversité sociale dans l'Oaxaca ;
Une économie propice au développement ;
Un État providence pour éliminer la pauvreté, la marginalisation et l'abandon social dans l'Oaxaca.

Pour résumer, ce pacte social pour l'Oaxaca s'articulerait autour de trois axes - démocratie participative, bien-être social et modernisation de l'exercice du gouvernement -, ses propositions en vue d'une réforme complète s'inscrivant dans la dynamique "RÉFORME - DÉTENTE - DÉVELOPPEMENT".

La position actuelle de l'APPO

L'affrontement direct de certains secteurs de l'APPO et des barricadiers avec la PFP, le 25 novembre 2006, affrontement auquel participaient des nervis infiltrés incitant à une violence par ailleurs magnifiée et déformée par les médias, a donné une image négative de ce mouvement. L'APPO semble donc être tombée dans le piège tendu pour justifier face à l'opinion publique le déclenchement d'une répression décidée antérieurement. La réponse que l'APPO a donnée au terrorisme d'État a été de faire le "tlacuache"*. En dépit de la peur et de la paralysie qui s'étaient emparées de beaucoup de gens, l'APPO a donc fait le mort pendant quelques jours. Quand le gouvernement a cru que le mouvement avait été écrasé, elle a appelé à la marche du 1er décembre, qui est parvenue à rassembler 5 000 personnes. Certes, c'est un nombre insignifiant en comparaison avec les immenses cortèges des manifestations précédentes, mais c'est un nombre très élevé étant donné la persécution dont étaient victimes les habitants. Le Tlacuache avait remué une patte. Il s'est relevé complètement le 10 décembre, le mouvement se réorganisant, ce qui a permis au Tlacuache de regagner les montagnes pour y réfléchir, y opérer sa mue et réapparaître sous différents visages, qui caractérisent la substance de l'APPO. Le repli devant la répression lui a permis de se régénérer, de reprendre l'expérience et le travail en cours dans les villages, les communautés et les quartiers, tout en protégeant ses activités par l'ouverture d'un dialogue avec les institutions, dialogue conçu comme un moyen mais non une fin.

La Loi indigène proposée dans l'Oaxaca manifeste la faiblesse d'un processus reposant exclusivement sur des organismes civils qui, en contribuant à améliorer les lois (le regard fixé vers le haut), oublient la construction et la consolidation d'organisations des peuples à qui pourraient bénéficier de telles lois. Si l'on obtient de bonnes lois, comme un plébiscite pour déposer des autorités, par exemple, mais que les peuples ne sont pas organisés, les mêmes lois pourraient être utilisées par des caciques et se retourner contre les rares autorités honnêtes. Ce que nous voulons dire, c'est que la lutte ne s'achève pas en obtenant des réformes appropriées, mais avec l'engagement quotidien des peuples pour qu'une telle transformation soit effective.

C'est pourquoi l'APPO appelle à la formation de groupes de réflexion au niveau local et régional pour être en mesure de connaître et de formuler les changements que le peuple de l'Oaxaca veut voir réalisés et dans lesquels il a déposé ses espoirs. L'heure est à la parole et à l'écoute pour que s'exprime la population. Un premier pas dans cette direction est la Première Assemblée régionale de l'APPO qui aura lieu les 27 et 28 janvier 2007 à Ciudad Ixtepec et à laquelle sont invités à participer l'APPO ainsi que les organisations et les secteurs de la région, pour examiner ensemble plusieurs questions, dont l'économie, l'éducation, la culture, l'environnement, la santé, la démocratie, le territoire et la communication.

La réflexion engagée sur ces questions est une manière d'encourager un dialogue qui permette de construire une nouvelle société de paix, de justice et de liberté pour la vie bonne et digne rêvée par tous et par toutes.

Actuellement, on étudie les conditions minimales pour qu'un tel dialogue au sein de la société puisse se faire. L'Intérieur a autorisé ces groupes de réflexion à la condition expresse qu'on y aborde exclusivement la réforme de l'État et non la libération des prisonniers politiques ni la destitution d'Ulises Ruiz Ortiz, qui "est en cours", s'imaginant que la question sociale dans l'Oaxaca s'est diluée après les mesures de répression entamées le 25 novembre. De son côté, l'APPO ne renoncera à exiger ni le départ d'Ulises Ruiz, ni à ce qu'il soit châtié pour les crimes commis conte le peuple de l'Oaxaca, ni la libération immédiate et inconditionnelle de tous les prisonniers politiques et la présentation des disparus, sans compter l'annulation immédiate de tous les mandats d'arrêt visant les militants de la lutte sociale. Aucune réforme de cet État et aucun changement radical ne pourront s'effectuer tant qu'Ulises Ruiz Ortiz sera gouverneur.

Il est essentiel de continuer à réactiver le mouvement par toutes sortes de mobilisations et de manifestations publiques de solidarité, mais aussi et surtout d'encourager la réflexion et l'élaboration de propositions concrètes envisagées par l'APPO. Cela doit s'accompagner des groupes de réflexion impulsés par l'Initiative citoyenne, pour que nous puissions tous et toutes réussir à transformer radicalement l'Oaxaca mais aussi à nous transformer, nous.

Un tel éventail de propositions fait automatiquement surgir plusieurs questions. Peut-on lutter pour des réformes légales et institutionnelles dans l'Oaxaca et simultanément s'organiser en bas pour une transformation réelle de la société ? Devons-nous nous épuiser dans un dialogue avec des institutions qui ont toutes les chances de ne pas tenir leurs éventuels engagements et abandonner la construction de notre autonomie ? N'oublions pas que le gouvernement de Zedillo avait effectivement signé les Accords de San Andrés, ce qui ne l'a pas empêché de ne pas les respecter ou de les appliquer, de même que la loi de l'OIT qui envisage le droit des peuples à l'autodétermination dans les faits n'est nulle part appliquée. En admettant que les réformes institutionnelles sont de quelque utilité pour faciliter de véritables changements, comment éviter qu'elles absorbent toutes nos énergies et concentrent tous nos espoirs, au lieu de les placer dans la construction d'une complète autonomie ?

Nous avons à effectuer un choix "stratégique" non seulement dans les formes mais aussi sur le fond de la question. Peut-on effectuer des changements ou des réformes à moyen terme tout en poursuivant une stratégie de transformation radicale à long terme ?

Dans l'éventualité ou des réformes et le dialogue seraient acceptés, il est de toute première importance qu'elles ne constituent qu'une première étape au sein d'une stratégie plus profonde... Pour cela, leurs acteurs doivent être des personnes jouissant d'une pleine légitimité, réellement représentatives, et que l'un des objectifs avoués du mouvement oaxaquien soit en permanence d'avoir des serviteurs et non des leaders ou des dirigeants. Que ces acteurs ne servent pas d'intermédiaires entre le gouvernement et le peuple pour défendre leurs propres intérêts. Qu'ils ne finissent pas par être ce qu'ils critiquent. Que cette détermination des peuples de l'Oaxaca qui leur ont permis de résister aux assauts du gouvernement serve à construire un présent et un avenir communautaire, sans dirigeants mais avec des personnes entièrement au service de leurs peuples.

Il est vital que ce dialogue ne s'effectue pas en négligeant la pluralité la société qui appuie un tel processus. De cette manière, la lutte pour une transformation radicale s'accompagnera d'une véritable réflexion et pourra se poursuivre au-delà de la réalisation d'éventuelles réformes et sera en mesure de continuer à construire la régénération qu'attend l'Oaxaca.

N'oublions pas ! Coude à coude, épaule contre épaule, l'APPO, l'APPO c'est nous, ensemble.

* Le "tlacuache" est un animal prédateur qui s'attaque surtout aux volailles. Quand on le surprend et que l'on veut le tuer, il faut le frapper longuement, car lorsqu'il est sur le point de mourir, il fait le mort et cesse de respirer pour tromper son adversaire. Dès qu'il se sent à nouveau en sécurité, il sursaute et remue les pattes pour filer par où il est venu et regagne généralement les montagnes. Mais il revient toujours. (Note figurant dans l'original.)

Ruben Valencia Núñez est conseiller de l'APPO pour la région de l'isthme de Tehuantepec et adhérant à l'Autre Campagne.

http://www.ciepac.org/boletines/ultimo.php
Paria
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   Posté le 16-02-2007 à 13:39:01   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Pour info le journal mensuel CQFD a sorti un hors série consacré au évenement d'Oaxaca de juin a décemblre 2006.
Par contre la grande majorité des articles sont ceux de G. Lapierre...
sti
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   Posté le 16-02-2007 à 15:01:26   Voir le profil de sti (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à sti   

On voit le genre ...
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   Posté le 28-02-2007 à 18:53:04   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Salut à toutes et tous,

J'ai quitté l'assemblée le lundi 12 février vers 6 h 30, le jour se levait
et les travaux de la quatrième table (les derechos humanos) n'étaient pas
encore terminés, les derniers participants étaient en train de se mettre
d'accord sur le plan d'action et il manquait encore l'ultime numéro de la
clôture... Faut dire que ça avait pris du temps de se mettre d'accord à la
Table 3, plusieurs heures sur le thème controversé de la conjoncture
électorale, trouver un consensus impossible sans sombrer obligatoirement
dans de multiples contradictions.

Chacun des participants est resté déçu et un peu plus fatigué... Le sujet
était délicat et risquait la division définitive, ce qui signifierait,
chacun l'avait en tête, la fin de l'APPO.

L'après-midi dans le grand gymnase lumineux, après l'acte d'inauguration
et le salut de bienvenue aux 300 participants, aux 59 conseillers et aux
52 invités présents de la première assemblé de l'APPO, j'avais justement
choisi de m'installer à la Table 3 pour identifier ceux qui sont prêts à
compromettre l'Assemblé populaire dans le jeu politique et connaître mieux
ainsi ceux dans lesquels je me reconnais.

Par chance, parmi les trois modérateurs de la Table 3, il y avait Dolores,
du CIPO, et Ali Brije, des "barricades". Pendant la discussion, évidemment
très vite, deux blocs et deux positions se sont formés. Nous connaissons
les raisonnements de ceux qui rêvent du pouvoir et leurs manières de
procéder. Sous le pauvre et malheureux argument de participer aux
élections pour une raison "tactique", ils sont prêts à prostituer ce
mouvement. Comment faire accepter l'idée à un peuple qui s'est rebellé
contre son gouverneur et ses institutions pendant de longs mois que la
meilleur voie pour sortir de la crise est de participer aux élections ?
Pour imposer leurs vues, ils avaient déployé l'artillerie lourde et
avaient, du moins le croyaient-ils, préparé le terrain et invité les
esprits à se soumettre à leurs ambitions politiques: depuis plus d'une
semaine avant le rendez vous de l'assemblée, la presse affirmait que
l'APPO avait décidé de participer au processus électoral et le PRD
promettait 12 sièges de députés au mouvement populaire. Les défenseurs de
l'option électorale voulaient grossièrement placer l'assemblée devant le
fait accompli. A la Table 3, Ali a dénoncé le fait que des membres du
conseil de l'APPO étaient en train de traiter avec le Frente Amplio de
Lucha Popular (FALP) pour se partager des circonscriptions et que le FALP
(membre de l'Assemblée populaire) était en train de négocier avec le
gouvernement d'Ulises Ruiz des avantages financiers pour son organisation.
Remuant ainsi la merde, il s'est vite retrouvé la cible des attaques plus
ou moins voilées de ces organisations compromises qui, à partir de ce
moment, ont commencé contre lui des contestations infantiles qui avaient
comme objet de le discréditer (principalement, on lui reprochait de ne pas
être à sa place de modérateur alors qu'il vaquait ici et là). L'offensive
des "politiques" s'est fait sentir contre ceux qui s'opposaient plus
ouvertement à leurs projets. Présumant de leur forces et affirmant par
avance être représentatifs du désir de la majorité de la population
d'entrer dans le jeu électoral, ils dépréciaient et minimisaient la
représentation dans le mouvement des jeunes des barricades et des
quartiers, dont la présence participative dans l'assemblée était
remarquée.

De nombreuses interventions déterminantes, contraires à leur point de vue
allaient dans le sens d'une non-participation. Ceux qui ne partagent pas
l'idée d'entrer dans l'arène électorale argumentent du fait que les partis
politiques ont créé des divisions dans les communautés et que les
élections sont des processus qui engendrent de la violence, que les
conditions ne sont pas réunies pour des élections propres, qu'il serait
plutôt nécessaire de créer d'autres types de relations, l'on parle
d'autogestion, d'autonomie… Les électoralistes sont restés obstinés dans
leurs certitudes, mais on a pu observer comment, petit à petit, ils
perdaient en même temps patience et leur assurance présomptueuse de la
bonne marche de leurs affaires, alors que se dessinait une majorité pour
ne pas collaborer au futur processus électoral (déjà, lors de la Première
Assemblée régionale des peuples de l'Isthme, qui s'est tenue à Ixtepec les
27 et 28 janvier, une large majorité s'était décidée à ne pas participer
au processus électoral).

Les deux camps sont restés irréconciliables jusqu'au bout et il a été
décidé, à ce stade, qu'un accord consensuel serait éventuellement trouvé
au moment de la plénière en ce qui concernait cette prise de position. Les
points d'entente ont été que le processus électoral ne doit pas diviser
l'APPO, que sa lutte doit aller plus loin, que l'on ne doit pas se fier
aux partis politiques, qu'il faut respecter les accords pris en assemblée
constitutive, que l'on peut appeler au vote "de castigo", élaborer un plan
d'action… et quelques autres dont je n'ai plus le souvenir.

Le moment de la plénière est arrivé après le repas. Le résumé et les
conclusions de la Table 1 (situation organique de l'APPO) ont duré assez
longtemps du fait que les participants à l'assemblée ont débattu
longuement sur la révocation des mandats des membres du conseil de l'APPO
(une soixantaine d'entre eux étaient présents à l'assemblée sur les 270
que compte l'APPO). En fin de compte, il a été convenu de convoquer par
écrit les membres du conseil pour la prochaine assemblée, que chaque
commission devra élaborer un plan de travail, révocation des "conseillers"
qui ne remplissent pas leur tâche (accompagné de tout un processus
bureaucratique pour les virer), création d'une commission "honneur et
justice" pour résoudre les problèmes délicat qui se présentent de
remplacement des membres du conseil qui sont toujours prisonniers, il a
été décidé de réaliser une assemblée mensuelle. Les participants se sont
mis aussi d'accord sur la nécessité de renforcer la communication entre
les différents conseils. Il a été décidé d'amplifier ces conseils de
nouveaux délégués venant des régions et de créer le poste de coordinateur,
nommé par les assemblées régionales. Il a été établi de fortifier l'APPO
dans les régions, de même les membres du conseil de la section 22 du
syndicat enseignant sont invités à se joindre au conseil de l'APPO.
L'assemblée s'est aussi mise d'accord pour intégrer une commission de
liaison ("enlace" avec l'Assemblée populaire des peuples du Mexique. De
plus, il a été proposé et repris l'idée d'une caisse de soutien pour aider
ceux qui viennent de loin assister aux marches et aux réunions, il a été
demandé de rendre des comptes clairs à chaque assemblée, d'avoir une
"officine" (un local d'information), il a aussi été décidé que quelques
membres du Comité des familles de prisonniers et de disparus de l'Oaxaca
(Cofadapo) se joignent aux membres du conseil de l'Assemblée populaire.

Au sujet des prisonniers, le Cofadapo est intervenu dans le débat pour
demander plus de soutien de la part de l'APPO (un seul membre du comité
juridique de l'APPO pour tenter de résoudre le problème des prisonniers et
des disparus), de plus a été dénoncée devant l'assemblée l'attitude de
certains membres du conseil qui ont fait venir jusqu'à Mexico des membres
du Cofadapo pour parler de la situation des prisonniers et recueillir
quelques soutiens financiers, car, après avoir effectué ces démarches, ils
ont été abandonnés sur place sans recevoir, de la part des organisateurs,
l'aide financière promise. En fait, la dénonciation s'adressait au Frente
Popular Revolucionario (FPR), qui tient sous sa coupe, il semblerait, le
"planton" installé à Mexico...

La réaction du FPR n'a pas tardé… Sans chercher à se justifier, il a
dénoncé l'"imposture" des deux jeunes filles qui avaient précédemment
témoigné. L'oratrice qui accusait les jeunes filles du Cofadapo a lâché le
micro et d'un même mouvement s'est précipitée sur le petit groupe formé
par le Comité des prisonniers. L'assemblée, à ce moment-là, a chaviré une
première fois et la confusion a régné pendant quelques minutes sans que le
problème s'éclaircisse...

Durant les travaux de la Table 2 (transformation profonde de l'Etat), il a
été évidemment question de pouvoir, de pouvoir populaire… Pour ma part,
j'ai surtout apprécié l'intervention d'un dénommé Sergio, de l'Université
de la Terre, qui a remis en question le terme et le concept même de
pouvoir. Mais une grande majorité a accepté l'idée du "pouvoir populaire"
dans les domaines économique, politique et social, tout en recherchant de
nouvelles formes de gouvernement respectant l'autonomie des peuples,
construisant depuis le bas pour ceux d'en bas...

Il a été clairement établi que les partis politiques ne sont pas la voie
pour changer le pays, qu'il ne faut pas faire le jeu du discours officiel
de la "réforme de l'État", qu'il est nécessaire de détruire les
institutions du capitalisme, que le "pouvoir populaire" implique de
diriger des territoires, d'utiliser des moyens de communication,
d'administrer l'économie, de conduire la politique culturelle et
sociale... Il a été dit que les décisions devront être prises de manière
collective par les assemblées et qu'il fallait renforcer et défendre les
assemblées communautaires. Les débats ont tourné assez longtemps autour
des communautés indigènes et il a été décidé que la transformation
profonde de l'État devait nécessairement se discuter et s'enrichir depuis
les régions et les communautés, que l'on devait récupérer les traditions
et les coutumes des villages, comme le "tequio", les fêtes, la forme
assembléiste, l'autogestion et l'autonomie. Dans ce sens, l'assemblée de
l'APPO s'est engagée à soutenir les communes autonomes.

Au sujet des communautés indigènes, il est révélateur qu'une proposition,
présentée comme "talleres de concientisacion" en direction des
communautés, s'est retrouvée transformée, après discussion, en "Desarollar
procesos de reflexion de la situacíon de los pueblos, respectando la
cosmovision de los pueblos originarios, porque en el pueblo radica la
sabiduria"... Ce qui est bien significatif, à mon avis, de la division
dans l'assemblée et de deux modes de pensée opposés. Certains ne
renonceront jamais à "conscientiser les masses"...

Pendant le compte rendu de la Table 2, l'assemblée a décidé de fixer comme
priorité dans ses revendications : le départ et l'emprisonnement d'Ulises
Ruiz ; la libération des prisonniers ; la réapparition en vie des disparus
; l'indemnisation aux familles des tués de ce mouvement et des mouvements
antérieurs ; l'annulation des ordres d'appréhension. Les points qui sont
restés en suspens ont été de savoir si l'APPO doit ou non participer au
quatrième dialogue national et de savoir si les grands drapeaux des
organisations politiques peuvent s'exhiber durant les manifestations. La
discussion prenant trop de temps, il a été décidé de résoudre ce point
lors une prochaine assemblée.

Le résumé des débats de la Table 3 a commencé vers 21 heures. Les
modérateurs ont exposé à l'assemblée les débats de l'après-midi,
signifiant l'absence de consensus sur la question de participer ou non au
prochain processus électoral. A ce moment-là est arrivé, dans une grande
marmite, un café bien chaud. Inévitablement, une bonne partie des
participants s'est détournée du débat pour se former en longue queue pour
attendre d'apprécier ce breuvage bienvenu. Le café a fini par l'emporter
tout à fait quand Zenen, le président de l'assemblée, a levé les débats le
temps d'une pause.

Le calme avant la tempête...

Le pari risqué était d'arriver à un accord "consensuel" sans diviser
l'APPO… Deux positions se sont formées et les prises de parole se sont
enchaînées comme les heures qui défilaient. Ceux qui défendent l'idée
d'entrer dans le jeu politique des élections d'août sont les organisations
politiques (FPR, CODEMO, FALP...), qui cherchent clairement à renforcer
leur propre parti et leurs intérêts. Ils sont peu nombreux en fin de
compte mais tiennent l'organisation de l'assemblée et une bonne partie de
"l'appareil" de l'APPO, à savoir, les conseils et le rôle de porte-parole.

Ils auront tout tenté pour arriver à leurs fins et imposer leur projet.
Ils ont usé des procédés les plus sales et les plus staliniens. Nous avons
dû supporter des discours paternalistes ou maternalistes (aux choix…). Ils
ont cherché la provocation et, à un moment, espérant la réaction violente
des jeunes, par les bons offices de la salope de Guadalupe (FPR), ils s'en
sont pris plus directement à Ali, l'accusant d'être un flic (tout en
affirmant qu'ils n'avaient pas de preuves, mais que...) quand Ali va de
tous côtés alors que les jeunes des barricades se planquent pour éviter
d'être appréhendés… L'assemblée, surprise devant une manœuvre aussi
nauséabonde, a vivement clamé en chœur sa désapprobation en chavirant de
nouveau… De justesse, le naufrage et la bagarre ont été évités et après
quelques minutes, une fois le calme rétabli, Ali a exercé son droit de
réponse. Très dignement, et sans tomber dans la grossière tentative de
provocation, il a répondu que ceux qui usent de ce genre d'arguments se
discréditent eux-mêmes, il a parlé de dignité, de cœur... une intervention
parfaite, des mots justes qui ont achevé de déconsidérer complètement ceux
qui avaient lancé l'accusation diffamante. Fallait voir leurs gueules… de
frustrés et de conspirateurs...

L'assemblée, malgré la fatigue, s'est montrée vigilante et attentive
jusqu'au bout, de nombreuses argumentations développées se sont prononcées
pour ne pas participer au cirque électoral. Des voix qui affirment que
jamais dans l'histoire, par ces processus électoraux, on a pu obtenir
quelque chose de favorable et que, au contraire, ils ont servi pour
corrompre les leaders sociaux. De même, il a été entendu de fortes
critiques du PRD et de son rôle néfaste joué contre les accords de San
Andrés, en signant la loi indigène, contre les zapatistes dans différentes
régions du Chiapas, contre les mineurs de Sicartsa, et pendant la
répression d'Atenco. Il y a eu encore de nombreux et variés points de vue
qui se sont exprimés contre l'idée d'entrer dans le jeu électoral et il se
révélait de plus en plus clairement qu'une assez grande majorité n'était
pas en faveur de participer au grand cirque.

Finalement, tout au long des rondes de prises de parole, l'assemblée a
trouvé petit à petit un accord… et dans la douleur a accouché…

D'emblée, il est dit que le futur processus électoral ne doit pas diviser
l'APPO et que pour cela une posture unitaire et des accords consensuels
doivent être trouvés. Il a été reconnu que l'Assemblée populaire est un
mouvement social pluriel et incluant qui, de ce fait, ne participera pas
aux prochaines élections en tant que tel. D'un autre côté, il a été
accepté que les organisations qui choisiront de participer aux élections
pourront le faire et il leur a été bien précisé qu'elles devront y aller
en leur propre nom. De plus, il a été décidé que ceux qui participeront en
se portant candidat devront démissionner de leur poste de "conseiller" de
l'APPO. Mais, en même temps, celle-ci appellera les futurs candidats à ce
qu'ils s'engagent sur une plate-forme de lutte rédigée en une vingtaine de
points et plutôt contraignante, où il est dit, notamment, que le futur élu
devra apporter la moitié de son traitement et promettre d'appuyer une loi
en faveur de la baisse des salaires des députés et des fonctionnaires
publics… toutes sortes de conditions bien incommodes, sans rien en retour,
je ne vois pas bien qui pourrait accepter...

Bon, c'est sûr, y en a qu'ont les dents longues et qui, pour rien au
monde, ne renonceront aux ambitions politiques et au pouvoir, fût-il
populaire et surtout pas les organisations politiques comme nous avons pu
le voir ici.

Sur le même thème du futur processus électoral, l'assemblée a décidé
d'appuyer le vote de "castigo" contre Ulises Ruiz, sans préciser contre
qui il devait s'appliquer… suggérant par là qu'il pouvait être dirigé
contre les candidats PRD qui font le jeu du gouvernement assassin… Il a
bien été dit que l'on ne pouvait pas avoir confiance dans les partis
politiques et que la lutte de l'APPO va plus loin que le processus
électoral et, dans ce sens, il a été indiqué que la mobilisation devait
rester une des formes principales de la lutte. L'APPO réaffirme son
caractère pluriel, ample, démocratique et indépendant de l'État et des
partis politiques… Elle estime qu'il est nécessaire de respecter les
accords et les principes de l'assemblée constitutive du mois de novembre.
Elle propose, en outre, d'approfondir les politiques d'alliances en
respectant strictement les accords pris au congrès constitutif (où il est
dit, entre autres, que l'APPO peut s'allier à des partis politiques, à
condition qu'ils ne soient pas du PAN ni du PRI...).

Il est incontestable que l'accord final conclu dissimule en son sein des
contradictions. Contradiction et paradoxes s'exprimant inévitablement
quand on cherche absolument un accord consensuel de deux positions
antagonistes.

J'estime que, durant ce marathon verbal, l'assemblée s'est montrée très
attentive et réfléchie. Elle n'a pas succombé aux rengaines électorales
qui ont résonné de façon lancinante dans les débats. Pour ma part, je ne
suis pas sûr que les accords passés suffiront à ne pas diviser l'APPO,
d'autant plus qu'il est bien certain que les organisations politiques et
leurs complices n'abandonneront pas l'affaire ni ne renonceront à leurs
ambitions de pouvoir, qu'ils tenteront par tous les moyens de reprendre la
main pour presser l'APPO d'aller danser au bal électoral. La tronche
déconfite et défaite, ils complotaient tandis qu'ils voyaient leurs rêves
de pouvoir s'évanouir irrémédiablement. J'ai eu la vision, et je ne suis
pas le seul, que ces gens-là pouvaient être dangereux et qu'Ali, à remuer
la merde comme il l'a fait et par ses interventions pertinentes, risquait
bien de s'attirer des ennuis à force… Miguel est intervenu à propos, et
son intervention suggérait une mise en garde au FPR, en faisant de chacun
les responsables de la sécurité des membres de l'assemblée.

Les lueurs de l'aube se levaient tandis que commençait la lecture du
résumé de la dernière table. Une partie de l'assemblée était maintenant
allongée sur la moquette grise recouvrant le parquet de basket, à moitié
attentive des débats qui continuaient...

J'ai choisi de partir à ce moment-là, laissant les orateurs à leurs
bavardages et à leurs raisonnements. Il faisait déjà jour et, dans la rue
qui s'animait, les gens se pressaient à rejoindre leur boulot comme un
quelconque lundi matin n'importe où dans le monde...

J'ai su plus tard que, durant les discussions en rapport avec la Table 4
sur le thème des doits humains, les familles des prisonniers et des
disparus ont réitéré leurs accusations d'avoir été manipulées par le FPR
lors de leur tournée d'information au District fédéral (Mexico DF). Il
paraît que l'assemblée, ce matin-là, a chaviré une troisième fois à ce
propos...

C'est peut être pour cela que les accords pris ont été dans le sens d'une
plus grande solidarité envers les détenus et leur familles. L'assemblé
demande aux maîtres d'école et aux conseillers de l'APPO de se concentrer
prioritairement sur le problème des détenus, des disparus, des assassinés
et des persécutés. En même temps, l'assemblée détermine de renforcer et
d'appuyer la commission juridique et des droits humains de l'APPO. Il est
affirmé explicitement qu'ils ne se laisseront pas manipuler par les
organisations et encore moins par les partis politiques, et que personne
n'a le droit de profiter de la douleur des familles pour récupérer de
l'argent.

A quelques jours de là, une autre assemblée de "conseillers" avait été
convoquée afin de rédiger le résumé des débats et les accords décidés
pendant les deux journées et la nuit de l'assemblée plénière. J'y suis
allé passer une bonne partie de la journée... C'était pénible et
affligeant mais néanmoins saisissant (et prévisible !) de voir comment les
organisations politiques avaient décidé, en se servant de l'appareil des
conseils, de reprendre l'affaire en main. Il n'y avait que leurs membres
comme modérateurs à la table qui présidaient aux débats. La discussion
était dirigée par Mario, qui avait le rôle de président de l'assemblée des
"conseillers". C'est un grand spécialiste de la manipulation, on fait
appel à lui dans les situations délicates et il sait user d'autorité pour
arriver à ses fins. On l'a déjà vu manœuvrer...

De nouveau, quand je suis arrivé, Ali Briye était la cible de critiques.
On lui reprochait de s'être autoproclamé, face à la presse, nouveau
porte-parole de l'APPO (en assemblée plénière, il avait été décidé qu'Ali,
au nom des barricades, et un autre compañero de Radio Universidad
intègrent la commission "presse et propagande" afin de faire entendre un
autre point de vue en ce qui concerne les futures élections). On l'a blâmé
et désapprouvé, sans pour cela relever que le porte-parole "officiel",
Florentino (FPR), avait, quelques semaines auparavant, gravement
outrepassé son rôle de porte-parole en ayant affirmé mensongèrement à la
presse que l'APPO allait entrer dans le jeu électoral... Bref, il est
apparu nettement que les organisations politiques désirent au plus haut
point maintenir leur domination sur certaines commissions en espérant de
cette manière contrôler l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca.

De nouveau, ils s'en sont pris aux jeunes, se plaignant de leur
agressivité lors de l'assemblée passée, exhibant impudiquement leurs bleus
et nous faisant entendre jusqu'à l'écœurement des discours bien
réactionnaires sans jamais qu'il soit dit que se sont les jeunes qui ont
été victimes des provocations. Il apparaît franchement que les
organisations politiques cherchent la rupture avec les jeunes, les rendant
responsables de leur Berezina et de l'échec de leurs plans.

En fin de journée, alors qu'un grand nombre de participants étaient déjà
partis et que les organisations politiques étaient outrageusement
majoritaires, le maître en manipulations qui officiait à la table a fait
passé en force, en la proposant au vote malgré les contestations de
procédures qui s'exprimaient (et qui n'ont pas été prises en compte), une
résolution qui interdit dorénavant aux observateurs et aux invités
d'assister aux débats de l'assemblée… (Une décision qui revient à
l'assemblée et non aux conseillers !) La salope de Guadalupe était en
train d'observer attentivement la réaction de l'unique observateur reconnu
des lieux...

Il est bien vrai qu'ils ne veulent pas de témoins de toutes leurs
saloperies et de leurs manipulations d'un autre siècle. Et je pense qu'à
la prochaine assemblée, sans témoins et appuyés de "porros" pour avoir la
majorité dans la réunion, ils régleront leurs comptes aux jeunes, s'ils
sont toujours là, et tenteront à nouveau de dresser des plans de
campagne... A voir… Les "jeunes" ne sont pas les seuls à s'opposer à leurs
projets...

Ce qui est évident par contre, c'est que l'APPO s'est discréditée aux yeux
de certains et nombreux sont ceux qui ne s'y reconnaissent plus. Notamment
beaucoup de jeunes grapheurs qui ont subi l'intolérance de ceux en charge
de la sécurité durant les dernières mégamarches. On entend de fortes
critiques sur son fonctionnement et sur sa tentation d'entrer dans le jeu
électoral. Pour ma part, je pense que l'APPO est toujours un processus en
construction, qu'il y a plusieurs "APPO", comme autant d'organisations qui
la composent, même s'il est vrai que les organisations politiques, en
contrôlant certaines commissions et la charge de porte-parole, tentent
d'imposer leurs points de vue. Corrompant ainsi l'esprit même de
l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca.

Les futures élections se sont greffées à l'ordre du jour et ont commencé à
semer leur merde. Sans avoir réussi à diviser l'APPO, elles sont, du
moins, parvenues à exacerber les divergences de vues et de pensées et les
points de frictions...

À suivre... donc.

Cette lettre est un peu longue, comme l'ont été les réunions des
assemblées successives... mais je voudrais ajouter quelque chose avant de
terminer et de vous ennuyer complètement : vous faire la proposition de
réagir, en écrivant à l'assemblée, contre cette décision d'interdire la
présence d'invités ou d'observateurs pendant les discussions de
l'assemblée, ce qui prouve, à mon avis, une manière de contrôler et de
censurer la parole et les points de vue différents ou contraires, je pense
que nous pouvons dire quelques chose sur ce sujet qui nous concerne tous
directement. Ce peut être une proposition à faire aux collectifs et aux
personnes plus directement concernées... Qu'en pensez vous ?

Je vous parlerai bientôt, dans une prochaine lettre, d'un projet
enthousiasmant qui se prépare par ici. Dès qu'il sera un peu plus élaboré
et qu'il aura été rendu public, je vous le ferai savoir, car il se
pourrait bien que vos contributions solidaires soient bienvenues.

D'autre part, en mon nom personnel, j'ai proposé à quelques commissions de
l'APPO, à la Cofadapo et à d'autres de participer à la conception d'une
exposition itinérante en Europe pour raconter l'histoire et le présent du
mouvement populaire de l'Oaxaca...

A bientôt donc...

Victor.

P-P-S plus particulièrement français.
Durant l'assemblée plénière des 10 et 11 février, nous avons appris que
quelques "commissionnés" de l'APPO avaient fait une tournée en France fin
janvier et début février, invités par la Fondation France Libertés de
Danielle Mitterrand pour parler de la situation sociale qui se vit ici,
dénoncer la répression et l'impunité, et promouvoir l'idée que le
mouvement de l'APPO ne se "réduit pas à un groupe d'anarchistes et de
délinquants"...

A la rencontre du Parti communiste, des médias officiels de communication,
de députés, d'intellectuels, de sociologues, et de personnalités hors du
commun, ils ont décidé qu'une commission organisée par la fondation
française visitera avec des journalistes l'État d'Oaxaca au mois de
juillet. Ils se sont encore mis d'accord pour étudier de plus près, avec
l'aide de sociologues et d'intellectuels européens, le mouvement populaire
comme un exemple d'organisation populaire, pacifique et participative dans
cette période de crise global du système représentatif... Ça va être beau…
Ils ne renonceront jamais à conscientiser les masses informes...

Je ne sais pas si c'est en rapport avec la visite en Europe de
"conseillers", mais était présente à l'assemblée une délégation de deux
jeunes communistes... Un couple pas si jeune et sérieux, comme il se
devrait pour de jeunes communistes. Ils ont pris des notes et filmé une
bonne partie des débats. Le gars avait l'air triste, un peu désolé, ou
peut-être souffrait-il de la "turista"...

Message édité le 28-02-2007 à 18:56:05 par Paria
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