COMMISSION CIVILE INTERNATIONALE D'OBSERVATION SUR LES DROITS HUMAINS
Ve VISITE SUR LES ÉVÉNEMENTS D'OAXACA
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS PRÉLIMINAIRES PRÉSENTÉES LE 20 JANVIER 2007 DANS LA VILLE DE MEXICO
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS PRÉLIMINAIRES DE LA CCIODH SUR LE CONFLIT SOCIAL D'OAXACA
I- CONCLUSIONS
La Commission Civile Internationale sur les Droits Humains, s'appuyant sur ses investigations, estime avérés les points ci-après
SUR LES MORTS ET LES DISPARITIONS
1.- La commission considère que les faits qui se sont déroulés à Oaxaca constituent un maillon d'une stratégie juridique, policière et militaire, avec des dimensions psychosociales et une politique communautaire dont l'objectif ultime est d'instaurer le contrôle et l'intimidation de la population civile, dans des zones où se développent des processus d'organisation des citoyens ou des mouvements à caractère social non dirigés par les partis.
2.- Le bilan des morts recensées par la CCIODH atteint provisoirement un total de 23 personnes identifiées.
La Direction Générale de Justice de l'Etat reconnaît 11 cas et la Commission Nationale des Droits Humains avance le chiffre de 20 dans son rapport préliminaire. En outre, la CCIODH a recueilli des informations sur la mort d'autres personnes non identifiées.
3.- Il existe des présomptions sérieuses de disparition de personnes. L'un des obstacles majeurs aux investigations et à l'éclaircissement de ces disparitions est l'absence de dépôt de plaintes.
4.- Les morts et disparitions se sont produites à des moments où l'on a pu détecter un accroissement du niveau des violences et des affrontements, qui correspond à la mise en marche d'opérations conçues à de telles fins. Au cours de ces opérations, on constate la participation et la coordination de différents auteurs matériels et intellectuels. On peut citer l'exemple du 27 octobre 2006, où de nombreux témoignages permettent d'établir l'existence d'une opération combinée qui a produit des effets graves dans le "municipe" de Santa María Coyotepec et à d'autres endroits, de façon simultanée.
5.- Les homicides ont été perpétrés dans la ville d’Oaxaca et dans les communautés où l'on constate une augmentation significative et concomitante de la violence et de la présence militaire, ainsi que des agressions contre des civils appartenant dans la majorité des cas à différents groupes indigènes.
SUR LES ATTEINTES À LA LÉGALITÉ
6.- Les pouvoirs publics n'ont pas garanti le plein exercice de la liberté d'expression, de pensée, d'association, de réunion, de participation politique, de libre circulation et de manifestation. L'exercice de ces droits fondamentaux a été empêché par l'usage de la force physique et de la coercition. Des rassemblements et des marches pacifiques ont été violemment dispersés, et on a interdit le plein exercice des fonctions de représentants communaux légalement élus. Des journalistes ont été agressés, et des médias présents harcelés.
7.- Le droit à l'éducation a été et continue d'être bafoué pour diverses raisons : le manque de moyens matériels et humains, particulièrement dans les zones rurales, ainsi que la prolongation du conflit, due à l'absence de dialogue en vue de le résoudre. Aucune des parties en conflit n'a établi de mesures alternatives pendant la grève des enseignants, afin d'assurer le droit à l'éducation des garçons et filles des écoles. De nombreuses situations irrégulières sont encore recensées à propos des inscriptions, des affectations de postes, des occupations d'école et de reprise des classes.
8.- Les droits de grève et la liberté d'expression syndicale des enseignants, ainsi que leur liberté d'expression dans l'exercice de l'enseignement ont été violés. La Section 22 du SNTE, représentée au sein de l' Assemblée Populaire des Peuples d’Oaxaca, a été l'organisation sociale la plus fortement et cruellement affectée par le conflit. Elle a été la cible de destructions matérielles, de harcèlements, de menaces, d'agressions, d'assassinats et de disparitions, dans un nombre significatif de cas.
9.- Les actions répressives ont été menées sans discrimination contre la population civile : hommes, femmes, enfants et personnes âgées ont été l'objet de jets de gaz lacrymogène et de gaz poivre, d'eau additionnée de produits chimiques ainsi que de tirs provenant d'armes de moyens et gros calibre, effectués depuis des véhicules et des hélicoptères militaires. Ont participé à ces opérations des corps de polices fédérales, de l'Etat d’Oaxaca, municipales, et des groupes d'élite, soutenus y compris par l'intervention d'effectifs militaires pour des tâches de logistique et de coordination. Des groupes de personnes en civil, portant des armes de gros calibre, ont effectué des enlèvements, des arrestations illégales, des perquisitions et des tirs, agissant dans certains cas à partir de véhicules de la police et bénéficiant de l'appui de fonctionnaires publics.
10.- Les forces de police de l'Etat et fédérales ont procédé à des arrestations arbitraires et illégales, de façon répétée et parfois à une grande échelle, contre la population civile. Certaines des arrestations ont été menées par des civils qui ont employé la force pour livrer les personnes détenues aux forces de police, avec l'entier consentement de ces dernières. Les arrestations ont été menées avec une violence physique et psychologique totalement disproportionnée, prenant parfois la forme de véritables enlèvements. Des agressions sexuelles ont été perpétrées à l'encontre des détenus, qu'il s'agisse de femmes ou d'hommes.
11.- Les droits des personnes arrêtées n'ont pas été respectés : on ne leur a pas notifié les délits qui leur étaient imputés, ni leurs droits. Elles ont été mises au secret et leur détention n'a pas été communiquée à des personnes de confiance ou à des membres de leur famille. Enfin, les délais légaux de présentation devant la juridiction compétente n'ont pas été respectés.
12- Des endroits illégaux ont été utilisés comme lieux de détention et dans de nombreux cas ils ne présentaient pas les garanties minimales de sécurité et de salubrité : il s'est agi de bases militaires, d'édifices gouvernementaux ou de "maisons de sécurité".
13.- Au cours des transferts en prison les droits humains ont été violés de façon particulièrement grave. Des tortures physiques (chocs électriques, coups, blessures diverses, brûlures, etc.) et psychiques ont été pratiquées. La CCIODH a recueilli des indices évidents de viols sur des hommes et des femmes, confirmés par des témoignages et des observations cliniques. Ont participé à ces transferts des membres des corps de police, ainsi que, dans certains cas, des effectifs de l'armée et des groupes de personnes en civil et armées qui gardaient les détenus jusqu'aux prisons.
14.- Dans le cadre des arrestations et des transferts en prison, un "bureau du procureur" mobile est intervenu ainsi qu'il apparaît dans les documents judiciaires. Un tel organisme est dénué de toute existence légale, et son action, dépourvue de transparence, n'est sujette à aucun contrôle.
15.- Les droits de la défense des personnes détenues et jugées n'ont pas été garantis. Elles n'ont pu disposer de l'assistance d'un avocat de confiance, communiquer avec leur défenseur, bénéficier de conditions de confidentialité lors des entrevues, ou encore recevoir l'assistance d'un interprète dans les démarches concernant des personnes indigènes.
16.- Les avocats ont rencontré de multiples obstacles pour accéder aux dossiers judiciaires de leurs clients, pour la présentation des preuves à décharge, pour l'accès aux auditions publiques, et en général dans l'exercice de leurs fonctions. Dans certains cas, ils ont fait l'objet de menaces et de vexations de la part des fonctionnaires publics.
17.- Une grande partie des détenus ont été assistés par des avocats commis d'office dépendant administrativement du pouvoir exécutif, qui ont suivi des consignes et de ce fait avalisé toutes les illégalités des procédures.
18.- Le droit à un procès équitable et le principe de la protection juridique à tous les détenus a été violé : les irrégularités concernent les organismes compétents sur le déroulement du procès, le respect des délais et des formalités des notifications contenus dans la législation en vigueur ainsi que l'établissement des cautions. Les certificats médicaux n'ont pas reflété la gravité réelle des lésions, ni leur cause. On a observé un manque d'information au sujet des moyens de contestation des décisions. Tous ces éléments provoquent des situations de privation illégale de liberté, de mise au secret et d'impossibilité d'assurer la défense des personnes concernées.
19.- Les incarcérations dans des prisons d’états ou fédérales ont été effectuées sans respecter la procédure légale : notification et ordonnance de mise en détention. Les détenus n'ont pas été informés de la possibilité d'obtenir une mise en liberté sous caution dans certains cas, tandis que dans d'autres on constate un montant des cautions manifestement disproportionné par rapport aux faits imputés. Les conditions de vie, d'hygiène, de salubrité et d'alimentation constatées lors des visites dans certaines des prisons enfreignent les normes minimales de la législation du pays ainsi que celles contenues dans les traités internationaux ratifiés par le Mexique.
20.- On a constaté le cas de personnes détenues dans des prisons fédérales qui ont subi des traitements vexatoires et dégradants. Elles ont fait l'objet de menaces et d'exactions, sur le plan physique et psychologique, de la part des gardiens.
21.- Certaines personnes ont été recluses dans des prisons de moyenne ou de haute sécurité, malgré leur situation en détention provisoire, et sans que soit fourni un quelconque écrit ou document justifiant la dangerosité des prisonniers ni la nécessité d'adopter une telle mesure.
22.- Des mineur ont été arrêtés avec un usage injustifié de la force, et ont été transférés, dans quatre cas , dans des prisons pour adultes. Trois d'entre eux à la prison de moyenne sécurité de Nayarit - où l'âge pénal est de 18 ans -, en violation des conventions, traités et accords internationaux sur la protection des droits humains de l'enfance. Une situation d'insécurité juridique par rapport aux droits des mineurs a été créée à partir de l'entrée en vigueur au 1er janvier 2007 de la Loi sur la Justice pour les Adolescents.
23.- Les représentants du Ministère Public n'ont engagé aucune procédure contre des représentants d'institutions publiques malgré l'évidence de faits constitutifs de délits que cet organisme a pour rôle de poursuivre.
24.- Certaines procédures entamées à la demande des personnes affectées se trouvent paralysées malgré la présentation de preuves. Selon des témoignages dignes de foi, l'arrêt de ces procédures obéit à des ordres directs en provenance de l'Exécutif de l'Etat d’Oaxaca.
25.- La Commission Nationale des Droits Humains et la Commission de l'Etat des Droits Humains, qui ont capacité à intervenir sur demande d'une partie, ou d'office, l'ont fait de façon tiède et insuffisante. Elles ont pourtant constaté les violations antérieurement énumérées, soit par une observation directe (lors de leurs visites dans les prisons), soit indirectement (par les plaintes et les demandes présentées par des particuliers ou des organisations civiles). En ce qui concerne en particulier la Commission d'Etat des Droits Humains, nous avons recueilli un certain nombre de témoignages rapportant qu'au moment des arrestations, alors qu'étaient infligées des tortures graves, celle-ci n'est pas intervenue malgré les requêtes qui lui étaient adressées.
SUR LES ATTEINTES PSYCHOSOCIALES ET SANITAIRES
26.- Les violations des droits humains ont eu d'importantes conséquences physiques, émotionnelles et psychologiques, affectant sévèrement les personnes, les familles et la communauté. Les séquelles psychosociales dérivées du conflit n'ont pas disparu totalement, mais se reflètent au contraire dans la vie quotidienne des personnes, des familles et des populations.
27.- On a relevé des effets et des symptômes caractéristiques de troubles de stress post-traumatique et de trauma social. Les plus fréquents sont les suivants : événements traumatisants revécus de façon permanente, réveil brutal au cours de la nuit, terreur nocturne, frayeur devant certains bruits et sons, peur de la solitude, réactivité psychologique à des stimulations internes et/ou externes, hyper-vigilance et syndrome de persécution. Il se développe un sentiment d’aléa et une sensation d'injustice, de manque de défense, de perte de contrôle de la situation et sur sa propre vie. Nous avons constaté une difficulté à verbaliser ce qui leur est arrivé.
28.- L'assistance médicale a été apportée de façon tardive et insuffisante. Des éléments plus que concordants permettent d'affirmer que des membres des forces de police ont pénétré dans les hôpitaux pour procéder à l'arrestation de personnes blessées. L'action de la Croix-Rouge d’Oaxaca a été mise en cause, précisément pour ces raisons.
29.- On constate l'absence d'aide et un manque de suivi psychologique pour les victimes et leurs proches. Il convient de souligner tout particulièrement le choc psychologique subi par les personnes qui ont été ou demeurent en situation d'incarcération, étant données les conditions de celle-ci, ajoutées à l'absence de soins médicaux et de respect des garanties élémentaires. La situation des mineurs arrêtés et détenus dans des prisons pour adultes s’avère être particulièrement préoccupante.
30.- Nous observons l'importance de l'impact et des conséquences de la stratégie psychosociale visant à inspirer la peur : le fait que l'on ne porte pas plainte et l'accroissement de la défiance, à l'égard des personnes et des institutions, sont confortés par la diffusion de dénonciations et de calomnies, par des campagnes haineuses, par une incitation à la violence, ainsi que par la mise en place d'obstacles juridiques de toutes sortes.
31.- L'unité et la vie familiale ont été affectées par les circonstances nouvelles : division au sein des familles (à cause de différends idéologiques et politiques, des changements de domicile ou de lieu de travail, des séparations forcées), harcèlements et menaces, obligation de modifier ses apparences, réorganisation familiale. On constate un impact économique chez les personnes affectées par le conflit et dans leurs familles : perte d'emploi, stigmatisation sociale ou dans le milieu professionnel, nécessité de déplacements pour les visites dans les prisons et les convocations judiciaires. Il faut ajouter à cela le coût des dommages matériels subis.
32.- La société a atteint un degré important de polarisation qui détériore et rompt le tissu social.
33.- Par ailleurs, nous avons pu constater que malgré la stratégie développée, il existe, au niveau collectif et individuel, un niveau élevé de solidarité qui apporte une forte capacité de récupération et de consolidation. Nous avons observé une certaine dignité dans des situations pouvant être considérées comme extrêmement graves et violentes. Ceci concerne aussi bien les personnes socialement engagées que l'ensemble de la population.
34.- Au niveau social, nous constatons la grave détérioration et la défiance ressentie par les personnes à l'égard des institutions, ce qui met sérieusement en péril les voies de participation démocratique. Etant donné le haut degré de violence sociale existant, il est possible que la stratégie de contrôle social mise en place finisse par générer des réactions d'une plus forte intensité et plus violentes. Cette perte de confiance dans les institutions et l'impunité dont elles ont bénéficié à propos des faits décrits dans ce rapport rendent difficile le dialogue entre les parties en conflit.
SUR LES MÉDIAS
35.- Au cours du conflit, un élément significatif a été l’appropriation de plusieurs médias comme réponse à la désinformation et comme expression du mécontentement de la population. Les médias indépendants ont gagné une audience nouvelle et quelques médias communautaires ont acquis leur indépendance. Pour toutes ces raisons ils ont été et demeurent la cible d'attaques et d'une répression sélective.
36.- Les journalistes et les travailleurs des médias ont été victimes d'attaques indiscriminées. A partir de la mort de Bradley Will, nombre d'entre eux ont décrit des conditions de travail similaires à des situations de guerre.
37.- Peu de plaintes ont été déposées auprès des autorités. La CCIODH possède des indices montrant que certaines directions ont incité leurs reporters à taire aussi bien les outrages qu'ils ont subis que des situations dont ils ont été les témoins.
38.- Les investigations autour des homicides du journaliste nord-américain Bradley Will et du journaliste d’Oaxaca Raúl Marcial Pérez, n'ont pas progressé. Les circonstances de ces homicides n'ont pas été clarifiées et sont entachées en matière d'expertise et de procédure de toutes les irrégularités qui ont été décrites antérieurement, dans la partie concernant les dénis de justice
HARCÈLEMENT ET MENACES À L'ENCONTRE DE DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS
39.- Les organisations des Droits Humains non gouvernementales et leurs membres ont été victimes d'attaques ciblées, de harcèlement, de menaces, d'agressions, de campagnes diffamatoires, de mépris et d'accusations qui ont entraîné une criminalisation de leurs actions. Nombre d'entre eux ont été obligés de prendre des mesures pour sauvegarder leur intégrité physique et leurs moyens de travail, ce qui a affecté le bon déroulement de celui-ci.
SUR LES FEMMES
40.- La commission a enregistré des agressions verbales, physiques et sexuelles (viols, rasage des cheveux, coups, obligation de se dénuder, de s’accroupir etc.) nombreuses et variées à l’encontre des femmes, précisément en raison de leur qualité de femmes. Les conséquences ont été particulièrement graves car elles ont entraîné, dans des cas recensés, des dommages physiques, psychologiques et sociaux tels que des avortements traumatiques.
SUR LES PERSONNES ET LES PEUPLES INDIGÈNES
41.- L'assistance d'interprètes au cours des enquêtes policières et judiciaires n'a pas été garantie, et la Loi sur la Défense des Peuples et Communautés Indigènes n'a pas été appliquée. La CCIODH constate que de nombreuses personnes indigènes arrêtées et détenues ainsi que les membres de leurs familles, ont témoigné avoir fait l'objet de discrimination ethnique de la part de fonctionnaires publics : interdiction de communiquer dans la prison de Nayarit, due à la méconnaissance de leur langue, insultes et traitements vexatoires en rapport à la non-maîtrise de l'espagnol.
42.- Dans les régions des Vallées Centrales, de la Mixtèque, de l'Isthme, de la Sierra du Sud et de la Côte, ainsi que dans la zone Triqui, on a constaté une augmentation de la présence des corps militaires, de groupes de civils armés et de pistoleros, commandés dans certains cas par des caciques et des présidents municipaux, qui agressent, assassinent, séquestrent, harcèlent et menacent de mort la population (y compris les enfants et les femmes), provoquant des déplacements dans certaines communautés, avec la fracture sociale et la dislocation familiale correspondante.
II – RECOMMANDATIONS
S’appuyant sur les conclusions ci-dessus, la CCIODH fait les propositions suivantes :
1. S’attaquer aux causes premières de ce conflit dont il faut chercher les racines dans des problèmes structuraux de la pauvreté, caciquisme, inégalité d’accès aux ressources du manque de moyens pour l’éducation et la santé, non-respect de la mémoire historique et de l’identité indigène, atteinte aux procédures démocratiques et non respect de l’accès à une réelle participation, en créant les conditions rendant possibles la réparation des violations des Droits Humains et la restauration de la cohabitation au sein de cette société aussi polarisée.
2. Afin de garantir la séparation des pouvoirs, la transparence au niveau de l’action des fonctionnaires et le plein respect des Droits Humains à Oaxaca, il convient d’élaborer et de mettre en place une réforme en profondeur des institutions de l’Etat. S’agissant d’une réforme que toutes les parties sans exception jugent nécessaire, il conviendrait de lancer rapidement le processus, dans le respect des principes démocratiques de dialogue et de participation, afin d’éviter un nouveau déchaînement de la violence latente et les manifestations des revendications sociales sous forme conflictuelle.
3. Afin de rétablir l’état de droit, il faut garantir sans délai l’ouverture d’une enquête sur les délits commis, spécialement dans les cas les plus sérieux (morts, disparitions, tortures et agressions sexuelles) ; la révision de la situation juridique des personnes libérées sous caution ; l'abandon des poursuites en cours, et notamment celles pour lesquelles il n’y a pas de preuves ; ainsi qu’une réparation financière, morale et sociale aux victimes.
4. Reconsidérer la situation juridique de toutes les personnes emprisonnées et faire procéder à la libération immédiate, aussi bien des personnes emprisonnées pour des motifs strictement politiques que de celles qui le sont sans preuve et/ou pour lesquelles la gravité des faits incriminés ne justifie pas la privation de liberté.
5. Afin de rétablir la confiance de la société civile dans les institutions publiques, et pour empêcher l’impunité, ses représentants doivent : reconnaître publiquement les violences commises, pointer les responsabilités sans que les uns et les autres se retranchent derrière les attributions de compétences et désormais honorer stricto sensu les Conventions Internationales ratifiées par Mexico.
6. Procéder au désarmement, contrôler la possession et l’utilisation illégale d’armes, empêcher les agissements de milices civiles armées et leur coordination avec les Corps et les Forces de Sécurité.
7.- Impulser les mécanismes nécessaires à la reconstruction de l’équilibre social par des mesures de réparation des préjudices individuels et collectifs.
Ces mesures doivent être prises en accord avec les victimes et inclure la réparation morale, émotionnelle du préjudice communautaire, économique, juridique, social et historique.
8. Rétablir l’ordre par la voie du dialogue et non par l’usage de la force publique.
9. Appliquer des programmes d’accompagnement thérapeutique spécialisé en faveur des victimes d’agressions et de tortures de tout ordre, tant physiques que psychologiques, avec une attention toute particulière à l’égard des hommes et des femmes victimes d’agressions sexuelles et de violences.
10. Apporter une attention particulière à tous les mineurs ayant eu à souffrir d’agressions, d’arrestations, de tortures, de déplacements et d’internements.
11. Nous lançons un appel aux organisations locales, nationales et internationales pour qu’elles coopèrent, de concert avec les organisations locales, au suivi psychologique et à la prise en charge médicale et professionnelle des victimes.
12. Prendre les mesures nécessaires, effectives et adéquates pour garantir l'indépendance de tous les médias et équilibrer l'accès et la diffusion de l'information entre les médias commerciaux, indépendants et communautaires.
13. Garantir l'intégrité physique et psychologique des professionnels des médias dans l'exercice de leur profession sur le terrain.
14. Prendre les mesures nécessaires, effectives et adéquates, pour garantir que les défenseurs des Droits Humains puissent réaliser leurs activités librement, tout en privilégiant leur protection et le respect de leurs libertés fondamentales, en garantissant leur sécurité et leur intégrité physique et psychologique dans l'exercice de leur tâche.
15. Prendre en considération les demandes des peuples indigènes en évitant toute discrimination et en respectant leurs droits politiques, économiques, sociaux et culturels. Garantir le respect et l'application des lois relatives aux communautés indigènes et favoriser le développement de politiques d’intégration de ces communautés par des mécanismes de participation et de défense appropriés à leurs formes d'organisation, de gouvernement et à leurs us et coutumes.
16. Inciter les Ministères Publics Spéciaux (créés pour la protection effective des droits des groupes les plus vulnérables tels que les journalistes, les communautés indigènes, les femmes et les mineurs), à œuvrer de façon ferme et concrète.
17. Déterminer toutes les responsabilités politiques ainsi que les personnes impliquées dans les faits rapportés dans ces conclusions et recommandations. Au niveau de l’état, nous précisons la nécessité d’enquêter sur les agissements des services du Ministère de la Justice, du Secrétariat de Protection Des Citoyens ainsi que du Ministère de l’Intérieur, ce qui implique d’enquêter sur le mode opératoire du gouvernement de l’état dans son ensemble. Au niveau fédéral, il est nécessaire d’enquêter sur les actions de la Police Fédérale Préventive, du Ministère de la Sécurité Publique et du Ministère de la Justice
18. Donner suite maintenant au travail d'observation internationale du respect des Droits Humains à Oaxaca, tâche à laquelle devront se consacrer des institutions et des organismes indépendants et impartiaux qui peuvent garantir la liberté de mouvement, la protection en cas de dénonciation de violences, l'assistance due aux personnes concernées et aux victimes et la juste réparation pour toutes les violences décrites. En ce sens, nous recommandons au gouvernement mexicain de demander instamment la présence à Oaxaca de représentants du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les Droits Humains.
Données quantitatives concernant la Ve visite de la CCIODH
Au 20 janvier 2007, la CCIODH a effectué un total de 420 entrevues sur le conflit social d’Oaxaca, aussi bien dans la ville que dans les différentes régions de l’État. Certaines entrevues sont encore en cours de synthèse et de traitement des informations. Pour ces raisons, les éléments que nous présentons ici ont un caractère provisoire.
La Commission a visité 50 personnes détenues dont certaines ont été postérieurement mises en liberté. Parmi les personnes rencontrées figure M. Erick Sosa Villaviencio interné à la prison de haute sécurité de Matamoros. De plus, nous avons également visité 7 autres établissements de haute, moyenne ou basse sécurité à savoir : Miahuatlán, Tlacolula, Cuicatlán, Cosolapa, Ixcotel, Zaachila y Etla, soit donc un total de 8 prisons visitées. Nous avons parcouru 9 régions de l’État d’Oaxaca : San Blas Atempa, Putla, Candelaria, Tlaxiaco, San Juan Copala, Huajuapan, San Francico Caxonos, Guelatao y Zaachila.
Indépendamment des personnes qui ont apporté leur témoignage individuel, nous avons réalisé des entrevues avec différents acteurs que nous indiquons schématiquement ci-dessous.
Institutions (14)
Vice-Ministre de l’Intérieur, M. Abraham Gonzalez Ministre de la Sécurité Publique Commission Nationale des Droits Humains Mission d’Observation à Oaxaca Délégation de l’Union Européenne : Arturo Gutiérrez Haut Représentant de l’ONU : Amérigo Incalcaterra et Ana Gallart ICOMOS, Patrimoine Culturel de l’UNESCO: Javier Villalobos Sous Secrétariat des Droits Humains d’Oaxaca : Rosario Villalobos Rueda Secrétariat de la Protection Citoyenne : Lino Celaya Commission d’État des Droits Humains : Jaime Mario Pérez Jiménez Radio et Télévision d’Oaxaca : Mercedes Rojas Recteur de l’Université Autonome Benito Juárez d’Oaxaca : Fco. Martínez Neri Consul de France en Mexico: Didier Goujaud Consul Honoraire de France à Oaxaca: Sergio A. Hernández Salcedo Ambassade des Etats-Unis d’Amérique
Education (5)
Procureur Spécial pour les Affaires de l’Enseignement : Mayolo Coronel Institut de l’État de l’Éducation Publique d’Oaxaca : Samael Hernández Commission Juridique de la Section 22 Secrétariat Général de la Section XXII : Enrique Rueda Commission des Droits Humains de l’Education (Comadh) Témoignages d’enseignants : plus de 60 personnes de différentes régions
JUSTICE (11)
Procureur Spécial pour les Délits contre Journalistes Procureur Spécial pour les Délits contre les femmes Ministère de la Justice, Département pour la promotion et la défense des droits humains Ministère de la Justice de l’État d’Oaxaca : Rosa Lizbeth Caña Cadeza Bureau de la Défense des Indigènes : Jacobo López Sánchez Délégation du Ministère de la Justice à Oaxaca : Javier Davalo Molina Barreau Mexicain : Collège des Avocats d’Oaxaca : Lic. Edna Franco Cabinet Juridique populaire : Israel Ochoa Equipe Juridique de APPO Union des Juristes du Mexique Collectif Autonome des Défenseurs Sociaux
Cadre de Santé (5)
Hôpital Civil : Dr. Felipe Gama Hôpital des Spécialités : Dr. Rafael Aragón Croix Rouge, délégation d’Oaxaca : Beatriz Quintanar Médecin de Tlacolula : Dr. Aidé Osorio García Brigades Médicales de APPO Personnel Médical venu apporter leur témoignage
RELIGION : (3)
Confrérie des Pasteurs Evangéliques d’Oaxaca (COPAEO) Archidiocèse d’Oaxaca et Antequera Commission de Justice et Paix, archidiocèse d’Oaxaca et Antequera
Organisations de Droits Humains (9)
Amnesty International Réseau d’Oaxaca des Droits Humains Limeddh Comité Cerezo PRODH Serapaz Comité de Libération 25 Novembre Transcend Serapaz Yaskin
Organisations sociales
APPO Collectif Diversité Sexuelle Front des Organisations pour la Sauvegarde d’Oaxaca FPR Institut Nature et Société Société Civile des artistes, intellectuels et écologistes Réseau d’Organisations Civiles Conseil Citoyen d’Oaxaca pour le Progrès, AC Educa Association Civile Binigulazaa Groupe Solidaire : La Venta CODEP Parti Communiste Association des Pères et Mères de Famille d’Oaxaca Commerçants du Centre Historique Syndicat des Travailleurs de l’Université Benito Juárez d’Oaxaca UJRM
Collectivité Indigène (6)
Réhabilitation et Défense de la langue zapotèque Front Unique de Défense Indigène CIPO CEDHAPI: Centre de Droits Humains et de Conseil aux Peuples Indigènes MULTI (Région Triqui)
Médias (9)
Journal Noticias Journal El Imparcial Journal El Universal Journal Excélsior Radio Calenda Radio Universidad Radio Plantón Proceso + Journalistes Indépendants (4)
Tu vas à Copala ? Tu te rends à l’invitation des Triquis ? Depuis quelques jours, je fais le tour des amis et des connaissances en leur posant ces questions : réponses négatives. La région a mauvaise réputation, depuis mars 2006 dix personnes ont trouvé la mort, soixante-dix depuis 2004, avec l’arrivée au pouvoir d’Ulises Ruiz. Des groupes de tueurs rôdent cherchant à empêcher, par l’assassinat, la reconstitution de l’unité du peuple triqui. Vingt communautés sur trente-six ont réussi à s’entendre après trois mois de palabres pour former la commune autonome indigène de San Juan Copala et s’émanciper ainsi de la tutelle des trois communes métisses dont elles dépendaient. Le pouvoir n’a pas l’intention d’accepter la constitution d’une commune autonome, c’est la guerre. La Mort se vêt de la longue tunique rouge des femmes triquis, où flottent avec élégance de longs rubans de satin aux couleurs vives. Il faut aussi ajouter que cette région est difficile d’accès, il y a bien des transports en commun mais avec des changements, le plus facile serait encore la voiture particulière ou de location. Je finis par avoir un numéro de téléphone : "Oui, je fais partie d’une commission du Conseil de l’APPO et j’organise un voyage à Copala." Un rendez-vous est fixé pour vendredi matin, il est tout indiqué d’arriver le jour à San Juan Copala. Nous ne sommes que deux à partir, lui et moi. D’autres du Conseil arriveront samedi matin en voiture particulière, la communication ne passe pas très bien entre conseillers.
Le voyage est rapide jusqu’à Tlaxiaco, capitale de la région mixtèque. A Tlaxiaco, nous devons changer de voiture et mon compagnon de route se retrouve avec un autre sac de voyage, semblable au sien, mais de couleur bleue et contenant des vêtements de bébé. Cet impromptu nous retarde, la camionnette part sans nous, qui espérons le retour du sac, en vain. Une heure et demie plus tard, nous montons dans une voiture qui nous déposera au croisement du Carrizal, croisement important sur la route de Tlaxiaco des chemins qui mènent, d’un côté, à Putla de Guerrero, de l’autre, à Juxtlahuaca. C’est la montagne mixtèque aux sommets verdoyants et aux vallées arides qui fait frontière entre l’État d’Oaxaca et celui du Guerrero. En arrivant au Carrizal, la vue, soudain, s’échappe à l’infini sur les massifs bleutés, qui descendent dans la lumière du crépuscule vers le Pacifique. Il s’agit maintenant de trouver un taxi collectif qui voudra bien nous conduire à Copala. En compagnie d’une femme et de sa fille qui, elles, se rendent à La Sabana, nous commencions à trouver le temps long quand arrive un taxi qui veut bien nous prendre à condition que nous y mettions le prix : 30 pesos pour Copala, 20 pour La Sabana. Nous ne marchandons pas, la nuit arrive rapidement sous les tropiques.
Sur la route, le chauffeur cherche bien à savoir qui nous sommes et mon collègue lui raconte une vague histoire au sujet de l’organisation des dispensaires dans les villages indiens, le temps passe. A La Sabana, tout change, les deux femmes descendent et nous sommes bientôt entourés par un groupe de jeunes gens bien trop curieux à mon goût. Finalement l’un d’eux, qui fait un peu chef de bande, monte à côté du chauffeur, il nous serre la main, une personne plus âgée, dit le professeur, se tasse à nos côtés en silence, et nous partons. Pendant tout le trajet, le jeune va s’en prendre au chauffeur, qui n’en mène pas large : "D’où tu viens ? Tu n’es pas encore triqui ? Tu es toujours à moitié chilango ? Quand vas-tu être entièrement triqui ? Tu n’as pas la frousse de venir par ici ? Tu ne sais pas qu’il y a des embuscades ? Aujourd’hui même, il y a eu une embuscade..." Derrière, c’est le silence. La nuit tombe quand nous arrivons à Copala. Le taxi nous laisse à l’entrée, dans la rue qui descend en pente raide vers le marché, au niveau de la mairie. Le prof a disparu, le jeune aussi, mais pour rejoindre le taxi lorsque celui-ci, après avoir fait demi-tour, se prépare à partir. J’ai une pensée émue pour le chauffeur. Au fronton de la mairie est écrit en gros caractères "Commune autonome de San Juan Copala".
Sur la petite esplanade couverte devant le palais municipal, des femmes pleurent un mort étendu sous un linceul à même le sol, il est entouré de petites bougies dont la flamme semble revivre brusquement avec la nuit. Nous nous présentons au président municipal et à ses adjoints, qui devisent entre eux assis dans un coin de la salle principale. Le président est jeune, une trentaine d’années, solide et silencieux à la manière des paysans de la montagne ; il laisse volontiers parler les autres, dont un premier adjoint très jeune, doux et souriant, à qui semble être dévolu le rôle de maître des cérémonies. Les autorités nous apprennent que le matin, alors que les femmes nettoyaient les rues avec les enfants en vue de recevoir les hôtes, le village avait été pris sous le feu nourri de commandos cachés sur les collines qui l’entourent. Il est possible de voir les traces de balles sur les murs du marché couvert, de l’église, de l’école secondaire et de quelques maisons particulières. Plus de peur que de mal, il n’y a pas eu de blessés ni de morts. Ce n’est pas tout, l’après-midi, une voiture qui se rendait à Copala en vue de prendre part à l’événement du samedi est tombée dans une embuscade. Ils venaient d’Unión de los Angeles, huit personnes, avec les enfants, dans une voiture de tourisme blanche, le mort, Roberto García Flores, se trouvait du mauvais côté, il a pris une balle qui a traversé la porte et son corps de bas en haut. Il gît maintenant sur l’esplanade, il restera là toute la nuit et la journée du lendemain, veillé par sa mère et son épouse, salué par les hommes qui se recueillent un moment à ses côtés. La famille devra l’amener à Juxtlihuaca, le procureur se refusant à venir à Copala pour les constatations d’usage. L’embuscade eut lieu à Agua Fria, le fief du député local Rufino Maximino Zaragoza et de sa famille. Les gens du député s’étaient embusqués derrière une baraque au bord de la route d’où ils ont fait feu sur la voiture à son passage. Ils ne seront pas inquiétés, du moins par l’État et sa justice.
L’attaque du matin comme le traquenard de l’après-midi ont pour but d’intimider les gens afin de compromettre la bonne tenue de la cérémonie d’investiture qui doit se dérouler samedi. Le peuple triqui connaît un destin singulier. Le sentiment d’identité y est très fort, mais double : appartenance à un peuple avec ses traditions, ses codes, ses fêtes, sa langue, mais aussi appartenance à un lignage. Les femmes portent toutes le costume traditionnel, ample tunique aux manches ouvertes que l’on enfile par le haut et qui descend jusqu’aux pieds. Elles portent cette robe dans la capitale de l’État d’Oaxaca et dans la capitale du pays où elles sont facilement reconnaissables. Une jeune fille venue de Mexico semblait cependant marquer un temps d’hésitation entre tradition et modernité, entre un corsage aux dessins traditionnels et un pantalon plus moderne genre jeans. Tous sont très attachés à leur langue, qui est bien vivante, j’ai noté que les enfants ne prêtaient aucune attention à l’espagnol mais qu’ils dressaient l’oreille pour tout ce qui se disait en langue vernaculaire. Un sentiment identitaire que vient contrarier en partie l’esprit de vendetta qui a fait la mauvaise réputation de la région, nous pouvons dire que le sentiment d’appartenance à un lignage a mis en péril l’unité du peuple triqui et son autonomie. En montant les lignages les uns contre les autres, en enflammant les esprits, l’État a réussi à diviser le peuple, qui s’est perdu dans une guerre sans fin de vengeance, de représailles, de vendetta. Pendant des années, des familles, des clans se sont affrontés et les armes ont parlé : un désir ardent d’unité continuellement détruit, remis en cause par l’affrontement des partis opposés, affrontement d’autant plus implacable et violent que le désir d’unité était fort et désespéré.
Un rapide coup d’œil à l’histoire de ce peuple nous permet de saisir le pourquoi d’une si tragique situation. L’unité du peuple triqui représentait un danger pour l’État mexicain qui devait en conséquence y apporter la division, y semer le trouble et les conflits. Si, peu après l’indépendance, en 1826, l’État reconnaît l’autonomie des Triquis pour la participation de ce peuple à la guerre d’indépendance sous les ordres de José María Morelos y Pavón, et donne aux villages le statut de communes libres, il s’en mord les doigts quelques années plus tard. En cherchant à reprendre le contrôle de la région, il se heurte à une première rébellion triqui, qu’il réduit en 1832. Onze ans plus tard, en 1843, il doit affronter une nouvelle insurrection, beaucoup plus forte que la précédente, et qui s’étend à d’autres peuples d’Oaxaca et du Guerrero. L’armée mexicaine met un terme à ce soulèvement. En 1948, l’État met fin aux communes libres et San Juan de Copala qui était une municipalité autonome devient une agence municipale rattachée à la municipalité métisse de Juxtlihuaca. Toute la région triqui va se trouver ainsi divisée et les villages rattachés aux municipalités (Juxtlahuaca, Putla de Guerrero, Constancia del Rosario, Tlaxiaco...) contrôlés par le parti d’État, en l’occurrence le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). À partir de cette position avantageuse, l’État, aidé par l’Institut de linguistique d’été, n’aura de cesse d’entretenir la division à l’intérieur du peuple en favorisant certains lignages au détriment d’autres lignages.
A partir de 1970, la lutte pour reconstruire l’unité et reconquérir l’autonomie reprend de plus belle avec le "Club", qui deviendra plus tard le MULT, Mouvement unifié de la lutte triqui. Cette lutte est loin d’être isolée, elle s’inscrit à l’intérieur d’un vaste mouvement de critique sociale, c’est à cette époque que la section 22 du syndicat enseignant s’émancipe de la tutelle du parti unique, que se forme la COCEI (Coalición Obrera, Campesina y Estudiantil del Ismo), qui, au début des années 1980, occupera la mairie de Juchitan, c’est aussi à cette époque que le monde indigène, mixe, zapotèque, mixtèque, triqui, s’organise et affirme ses propres valeurs, sa pensée et sa philosophie, que les maîtres d’école indiens et les promoteurs issus des villages jouent un rôle important dans l’organisation et l’émancipation des communautés. Ce vent de contestation qui a soufflé sur Oaxaca a perdu de sa force en se compromettant avec le pouvoir. Le MULT s’est rapproché peu à peu du gouvernement qui pouvait financer des projets de production et de mise en valeur au point de fonder, il y a peu, un parti politique, le PUP (Parti d'unité populaire), et de participer aux élections. Face à cette déviance et corruption du MULT et de ses principaux dirigeants, des membres de cette organisation s’en séparent pour fonder en 2003 le MULT-I, Mouvement unifié de la lutte triqui indépendant. Entre-temps, en 1998, était apparu l’Ubisort (Union pour le bien-être social de la région triqui), proche de la vieille structure régionale du PRI. Vous me suivez ? Aujourd’hui le vent de la révolte souffle à nouveau, sous la poussée de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca et de la volonté clairement exprimée de se réapproprier la vie politique (confisquée par l’oligarchie au pouvoir), le MULT-I et l’Ubisort (qui s’est libéré de son allégeance au PRI) se sont alliés pour créer la commune autonome de San Juan Copala, qui reprend ainsi son statut de commune indigène libre perdu en 1948.
"Está el Partido de Unidad Popular, está el PRI, está el PRD, y no toman en cuenta la principal raíz de lo que está pasando en la región. Ellos no ven a indígenas, no ven a Triquis, usan a Triquis para sus campañas pero no ven cuál es la problemática de fondo que se vive, cómo se vive, y si es que se vive" (Il y a le Parti d’unité populaire, il y a le PRI, il y a le PRD, et ils ne prennent pas en compte ce qui se trouve à l’origine de ce qui est en train de se passer dans la région. Eux ne voient pas des Indiens, ils ne voient pas des Triquis, ils utilisent les Triquis pour leurs campagnes électorales, mais ils ne voient pas quel est le problème de fond qui se vit, comment il se vit, et si même il se vit). Il n’y a rien à attendre des partis politiques, c’est l’idée forte des zapatistes, de l’Autre Campagne, du mouvement indien et de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca. Dans l’Assemblée, cette idée est continuellement étouffée par ceux qui sont de connivence avec les partis, mais à mon sens elle est l’idée forte, centrale, de l’APPO, c’est à travers elle que ce mouvement social prend tout son sens. Evidemment, toute la clique politique réagit avec force face à ce rejet, ce qui explique la crise actuelle que connaît l’Assemblée populaire, prise entre les feux de la répression tous azimuts du pouvoir et les tentatives de récupération, qui cherchent à transformer l’APPO en parti politique d’extrême gauche.
La nuit est tombée, nous traversons le village qui est plongé dans l’obscurité, pas âmes qui vivent, du moins des âmes d’apparence humaine, les portes sont fermées sur une sourde inquiétude, des meutes de chiens se répondent d’un point à l’autre du village, chaque meute semble avoir son terrain d’aventures ou de chasse qu’elle garde jalousement. Nous savons que des patrouilles surveillent les alentours, en sortant de la mairie nous avons repéré dans l’ombre des hommes, le fusil à la main. Nous nous retrouvons autour d’une table où j’écoute nos compagnons nous parler de l’imbroglio politique dans lequel s’est trouvé jeté toute la population triqui. Ils nous parlent aussi de leur espoir de voir naître un jour prochain toute une région autonome qui regrouperait l’ensemble de la population. Le lendemain matin, le village a retrouvé son animation, les chiens ne forment plus des meutes agressives, ils sont devenus indifférents, ils nous ignorent superbement. À 10 heures, les habitants doivent abandonner leurs tâches quotidiennes, fermer leurs maisons et participer à l’événement politique et culturel de l’investiture publique des autorités désignées selon les us et coutumes. Les gens arrivent des communautés voisines qui se sont ralliées à la commune de San Juan Copala, de Yoxoyuzi, de Santa Cruz Tilaza, de Guadalupe Tilaza, de Tierra Blanca, d’El Carrizal, de La Sabana, de Yerba Santa, d’Union de los Angeles… en voitures, en camionnettes, en "redilas", en cars, certaines n’ont pu venir, par crainte ou parce qu’elles ont rencontré sur leur route des barrages, nous dit-on, de la police fédérale. Des invités sont venus d’Oaxaca et de Mexico. Une assiette de bouillie de maïs bien relevée avec un morceau de bœuf est offerte à tous les arrivants.
La cérémonie d’investiture avait déjà eu lieu une première fois, début janvier. Aujourd’hui, c’est la confirmation devant non seulement les vingt communautés, mais en présence de témoins nationaux et même, disent-ils, mondiaux, en faisant allusion, je suppose, aux deux Français qui se sont retrouvés le matin dans les rues du village, c’est l’acte public de la naissance de la commune libre de San Juan Copala, l’affirmation d’un peuple, de l’unité du peuple triqui, contre les forces de la mésentente et de la division. C’est un début. Les autorités vont recevoir leurs bâtons de commandement de la main des anciens et des majordomes, qui ont été responsables des fêtes, elles ont droit à un petit discours en langue indienne. Le président municipal, vêtu du pantalon blanc des temps anciens et d’une "guayabera" verte éclatante fera son discours dans cette langue et il ne le traduira pas lui-même en espagnol, comme c’est la coutume, il laissera le soin de la traduction à un de ses adjoints, marquant ainsi clairement son souhait de rester une autorité indienne au service du peuple triqui. Il dit qu’il est prêt à dialoguer avec le gouvernement pour que soit reconnue l’autonomie de cette commune indien, à la différence des communes autonomes zapatistes, il dit aussi qu’il est prêt à recevoir des ressources, comme toute commune, de la part du gouvernement, mais que ces ressources iront directement aux communautés, que sa gestion sera en tout point transparente et qu’il espère que le peuple le respectera comme il respectera le peuple. Ensuite, c’est la fête, les "officiels" de l’APPO, du Front populaire révolutionnaire avec leurs petits drapeaux rouges et faucille et marteau en coin, le Frente Amplio de Lucha Popular, la Promotora por la Unidad Nacional, etc., les journalistes, tous, quittent la scène et laissent le terrain aux clowns, aux vrais, à ceux qui font rire les enfants et les mères de famille.
Oaxaca, le 26 janvier 2007.
George Lapierre
Paria
Posté le 11-02-2007 à 19:03:02
Oaxaca ; Vers une transformation radicale
La crise sociale dans l'Oaxaca et le besoin impérieux d'opérer de profonds changements dans la société de cet État sont devenus plus qu'évidents.
La lutte pour la réforme de notre État : Vers une transformation radicale de l'Oaxaca ?
Rubén Valencia Núñez Ciudad Ixtepec, État d'Oaxaca
La crise sociale dans l'Oaxaca et le besoin impérieux d'opérer de profonds changements dans la société de cet État sont devenus plus qu'évidents. Notre mouvement de résistance passe actuellement par une étape de réflexion dont l'objet principal est de déterminer les changements que nous voulons et la manière dont nous voulons le faire. Nous devons nous poser les questions qui nous aiderons à poser les bases nouvelles de nos actions et faire en sorte que participent à ce processus ceux qui ont toujours été exclus par le système, système que nous voulons réinventer.
La société est actuellement polarisée : la quasi-totalité de la classe politique est alliée aux classes aisées, tandis qu'une partie des classes moyennes est avec le peuple et les organisations populaires. Dans le feu de notre mouvement, différentes propositions de transformation de l'Oaxaca ont vu le jour. Certaines semblent aller dans le même sens, ne se distinguant que par la stratégie et par la méthode de représentation qu'elles préconisent pour atteindre leurs objectifs. D'autres se limitent au contraire à exposer certaines priorités et problèmes de fond, dans le seul but de calmer le peuple et de freiner l'ardeur insurrectionnelle et l'esprit de désobéissance civile qui l'animent, dans la conscience grandissante de l'immense tâche à accomplir.
Le texte qui suit se propose de décrire brièvement certaines des initiatives prises par la société dans les derniers mois et d'examiner les positions respectivement adoptées par les autorités fédérales et par l'APPO.
L'été dernier, des autorités municipales et agraires, plusieurs organismes civils, la Section XXII du syndicat des enseignants et l'APPO ont appelé à un forum national sous le thème "Construire la démocratie et la gouvernabilité dans l'Oaxaca". Il a effectivement eu lieu les 16 et 17 août 2006, rassemblant 1 500 personnes venues de toutes les régions de cet État. L'objectif principal qu'il s'était fixé consistait à examiner la crise actuelle, proposer une issue alternative et répondre aux problèmes qui se posent dans une perspective politique et citoyenne.
La publication des résultats et des accords pris dans ce forum permet de dégager trois objectifs principaux : encourager la formation d'une assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution pour l'Oaxaca, élaborer un programme politique unitaire et promouvoir des politiques non discriminatoires respectueuses de la diversité dans l'Oaxaca.
À propos de la position adoptée par certains représentants indigènes et par certains intellectuels en ce qui concerne le "Pacte de gouvernabilité" proposé par le SEGOB (Secretaria de Gobernación : le ministère de l'Intérieur mexicain) : début octobre 2006, le ministère de l'Intérieur avait invité une centaine de personnes, dont Ulises Ruiz Ortiz et ses mandataires, mais surtout différentes factions politiques, à une réunion devant avoir lieu le 4 octobre au siège de ce ministère afin d'analyser la situation dans l'Oaxaca et de conclure un "Pacte pour la gouvernabilité, la paix et le développement de l'Oaxaca". Seules cinq personnes de la Section XXII et de l'APPO ayant été invitées, ces deux organisations ont décidé de ne pas y participer. Parmi les autres personnes invitées se trouvaient trois dirigeants indigènes et plusieurs intellectuels et artistes, qui décidèrent, après mûre réflexion, d'assister à cette réunion dans l'intention explicite de la boycotter et de dénoncer publiquement son absence totale de légitimité. Avant d'abandonner la salle en signe de protestation, ils définirent ensemble leurs positions, dès le début de cette réunion, en donnant lecture du manifeste suivant :
POUR UN DIALOGUE VÉRITABLE ET AUTHENTIQUE DANS L'OAXACA
"Nous avons accepté de participer à cette réunion, à laquelle nous avons été invités à la dernière minute et sans disposer des informations suffisantes quant à ses objectifs, ses contenus et ses participants, car nous sommes convaincus que c'est uniquement au travers du dialogue, et non par l'emploi de la force, que la paix, la justice et la démocratie pourront exister dans l'Oaxaca.
"Cependant, en l'absence de la Section XXII du Syndicat national des travailleurs de l'enseignement et de l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca, deux acteurs indispensables à un tel dialogue, nous nous voyons forcés de nous retirer, non sans exprimer auparavant notre position :
"1. Nous pensons que la société de l'Oaxaca n'est pas représentée dans cette réunion, ni suffisamment ni de manière adéquate. En outre, Le procédé employé pour formuler l'invitation à cette rencontre ainsi que les propres termes de cette invitation nous semblent inappropriés ;
"2. Aucun pacte de gouvernement ni aucun pacte de gouvernabilité ne sera possible tant que celui qui se prétend gouverneur de l'État de l'Oaxaca continuera formellement d'occuper ses fonctions. En ce sens, nous unissons nos voix à celles de la société de l'Oaxaca qui exige la dissolution des pouvoirs, selon les termes établis par la Constitution fédérale et la procédure réglementaire en vigueur ;
"3. D'autre part, nous tenons à déclarer que les questions qui intéressent la plus grande partie de la population de notre État ne sont pas inscrites à l'ordre du jour prévu pour cette réunion. Nous souhaitons également relever la plus grave de ces omissions, qui à notre sens illustre parfaitement le caractère de cette réunion : il n'y est fait aucune mention de la question indigène, alors que les peuples indiens constituent la population de l'Oaxaca de loin la plus nombreuse et que ses difficultés exigent la priorité la plus absolue ;
"4. Il y a longtemps que de nombreux citoyens, groupes et secteurs de l'Oaxaca ont examiné et proposé les questions à aborder en vue d'établir un calendrier d'actions absolument nécessaires pour instaurer la démocratie dans l'Oaxaca. Rien de cela n'apparaît ni ne semble pris en compte à l'heure d'aborder, par ailleurs sans aucun ordre ni distinction, toutes sortes d'aspects concernant les intérêts et les perspectives de nos concitoyens ;
"Nous sommes favorables à la conclusion d'un pacte pour la démocratie, la paix et la justice afin que tous les secteurs et tous les peuples de l'Oaxaca puissent contribuer à la réalisation d'une réforme en profondeur de cet État.
"Nous réaffirmons notre engagement envers l'établissement d'un dialogue. Toutes les parties ici présentes doivent œuvrer à donner une issue politique à l'actuelle crise de l'Oaxaca et s'opposer activement à l'emploi de la force.
"Il est impossible de signer quelque pacte que ce soit ici, mais il est cependant possible de formaliser les bases nécessaires à l'établissement d'un authentique dialogue de l'ensemble des secteurs et peuples de l'Oaxaca dans un esprit participatif et non discriminatoire."
Après avoir lu ce document, les représentants indigènes et les intellectuels mentionnés se retirèrent du forum et communiquèrent aux médias leur position.
Du coup, ledit forum perdit toute crédibilité et toute légitimité. Le ministère de l'Intérieur n'a pu sortir de son chapeau aucun "pacte" pour une quelconque gouvernabilité, dont les termes manifestaient de toute façon la précipitation, l'improvisation et un évident manque de sérieux.
Le groupe qui avait répudié de la sorte la réunion appelée par le SEGOB décida d'impulser dans l'Oaxaca un dialogue ouvert à tous les secteurs de la société afin d'envisager tous les changements que l'on jugerait nécessaires, continuant ainsi ce qui avait été commencé avec le forum national des 16 et 17 août.
Après plusieurs réunions préparatoires auxquelles participaient les représentants d'organisations de la société civile et d'organisations indigènes, l'Église catholique, des chefs d'entreprise, des artistes et des professeurs, ainsi que des délégués de la Section XXII et de l'APPO, un appel à une "Initiative citoyenne de dialogue pour la paix, la démocratie et la justice" était lancé, le 9 octobre.
Initiative citoyenne de dialogue pour la paix, la démocratie et la justice dans l'Oaxaca. Le 12 octobre, dans la galerie du couvent de Santo Domingo, deux mille personnes assistant au lancement cette initiative ont débattu et approuvé la Déclaration de Santo Domingo, qui établit la position des participants et énonce certaines de ses dispositions. La Déclaration examine l'importance, le contexte, le diagnostic et les objectifs du dialogue envisagé et présente les premiers accords issus des six groupes de travail constitués ce même jour :
Groupe 1 : Nouvelle démocratie et gouvernabilité (la crise politique)
Groupe 2 : Économie sociale et solidaire (la crise économique)
Groupe 3 : Vers une nouvelle éducation (la crise de l'éducation)
Groupe 4 : Harmonie, justice et équité sociale (la crise sociale)
Groupe 5 : Patrimoine historique, culturel et naturel de l'Oaxaca
Groupe 6 : Moyens de communication au service des peuples
D'autre part, trois forums de réflexion ont été annoncés : un Forum indigène et paysan (afin d'examiner les questions indigènes, agraires et paysannes, ainsi que la question du maïs, de l'eau et de l'émigration), un Forum d'équité de genre et un Forum concernant les droits humains.
Cette initiative veut promouvoir au sein de la société de l'Oaxaca un dialogue dans lequel seront représentés tous les secteurs qui la constituent, pour pouvoir définir ensemble, à travers des accords et des consensus, les comportements sociaux et les réformes juridiques et institutionnelles qui permettront d'opérer la transformation profonde que les Oaxaquiens et les Oaxaquiennes appellent de leurs vœux.
Dès le jour de son lancement, dans chacune de ses manifestations et activités, l'Initiative a réclamé la destitution d'Ulises Ruiz Ortiz comme condition préalable indispensable aux changements jugés nécessaires.
Bien que les activités de l'Initiative se soient vues entravées par l'entrée des forces de police fédérales et par la vague de terrorisme d'État déclenchée à partir du 28 octobre, et en particulier après le 25 novembre, les réunions des groupes de travail se sont poursuivies. Sans oublier de réfléchir à la situation, les participants ont présenté des propositions et des projets qui émanent le plus souvent de longues analyses et d'actions visant au changement.
Aux travaux de réflexion de ces groupes sont venues s'ajouter les activités suivantes :
1. Forum d'analyse des mesures de détente en vue de la paix et de la réconciliation dans l'Oaxaca Organisé le 6 novembre à la bibliothèque de l'ancien couvent de Santo Domingo, ce forum réunissant une grande diversité de participants a servi à présenter un rapport détaillé de la situation des prisonniers et des personnes arrêtées ainsi qu'une liste des disparus lors du conflit, accompagné d'une réflexion sur les mesures de détente et de propositions concrètes à ce sujet.
2. Forum des peuples indigènes de l'Oaxaca Organisé les 28 et 29 novembre, il a pu rassembler près de 500 personnes, dont des autorités communautaires et municipales indigènes, des représentants d'organisations communautaires et des organismes de la société civile. Quatorze des seize peuples indigènes de l'Oaxaca y étaient représentés.
Les participants à ce forum ont montré comment, alors que l'Oaxaca est une société pluriethnique et multiraciale où vivent seize peuples indigènes, paradoxalement la construction et l'exercice de l'autonomie et de l'autogouvernement de ces peuples sont sujets à une agression constante. Ils ont appelé la société à lancer des initiatives et des propositions de convivialité, à s'organiser et à effectuer des mobilisations et un dialogue dans ce sens, dans tous les domaines de l'existence, du travail et de la lutte des peuples indigènes. Ils appelèrent aussi à renforcer le processus d'organisation et d'action de l'APPO, notamment en stimulant cette nouvelle attitude au sein de tous les mouvements et de toutes les organisations, pariant sur le fait que c'est ce qui permettra de tout pouvoir articuler, de pouvoir transformer en partant de nous-mêmes, de pouvoir construire d'en bas. Enfin, ils se sont réaffirmés dans leur conviction et dans leur engagement quant à la construction d'un mouvement pacifique qui tienne compte des raisons profondes du conflit vécu aujourd'hui dans l'Oaxaca et qui pose les bases d'un nouveau pacte social et d'un nouveau cadre juridique qui rende possible la justice, la paix et la démocratie pour toutes et pour tous.
3. La société civile face à la réforme de l'Oaxaca
Le 18 décembre, des membres de "l'Initiative citoyenne..." ont présenté publiquement leur appel aux peuples de l'Oaxaca en vue de conclure des accords minimaux pour une véritable réforme de cet État qui devra émaner de méthodes de consultation réellement démocratiques telles que sondages d'opinion, ateliers de réflexion régionaux, forums au niveau de l'Oaxaca, consultations publiques et autres mécanismes.
Les membres de l'Initiative en ont profité pour déclarer publiquement leur refus pur et simple d'une rencontre autour d'un projet de réforme de l'Oaxaca annoncée par le "dégouverneur" Ulises Ruiz Ortiz. Selon les membres de cette plate-forme, y participer "reviendrait à légitimer une nouvelle parodie, une véritable réforme démocratique ne pouvant émaner que des citoyens et non être décrétée par l'administration, la première visée par une telle réforme". Ils ont également signalé que "toutes les réformes de l'État réalisées au Mexique ont résulté d'une pression sociale et de mobilisations populaires, jamais de commissions officielles", et qu'il est d'autant moins possible de promouvoir une réforme de l'État quand on prétend le faire à travers "une simple opération de chirurgie esthétique effectuée précisément par celui qui a provoqué la profonde crise sociale actuelle et manque de crédibilité et de toute légitimité". Pour conclure, ils ont manifesté que "l'actuelle administration de l'Oaxaca ne peut pas prétendre au dialogue alors qu'elle continue de persécuter, de gruger et de réprimer le peuple de l'Oaxaca". Inversement, une réforme de cet État émanant de la base (sociale) est à même de "nous doter du cadre juridique et politique approprié en vue d'instituer une assemblée constituante plurielle et pleinement représentative qui permette d'élaborer une nouvelle constitution".
Le document présenté en cette occasion par l'Initiative cherche à dégager des accords minimaux concernant une réforme de l'État en se fondant sur les consensus atteints précédemment en matière de pluralité juridique, d'état de droit, de division des pouvoirs, de justice et de sécurité publique, de transparence, de participation citoyenne, d'équité de genre, de mécanismes électoraux, de communication, de patrimoine et de justice sociale.
La proposition du tyran
Le "dégouverneur" Ulises Ruiz Ortiz a lancé un appel à la "réconciliation" et prétend "encourager la recherche d'une résolution aux problèmes structurels, bouillons de culture de la pauvreté, de la marginalisation et de l'injustice, afin d'avoir un nouvel Oaxaca, ordonné et muni de nouvelles institutions à même d'affronter les défis qui se présentent aujourd'hui à nous".
Il affirme que pour que l'Oaxaca soit un État prospère et démocratique où prévaut l'équité, il faut lancer un appel aux Oaxaquiens de toutes les couches sociales et de toutes les tendances et il propose d'ouvrir les espaces nécessaires à la discussion et à la participation des citoyens, afin d'élaborer ensemble une nouvelle constitution de l'Oaxaca.
Il admet qu'il est indispensable de changer en profondeur de méthode, d'opérer des changements sur le fond, non pas dans la structure hiérarchique du pouvoir mais par la participation citoyenne que réclame la société.
Ulises Ruiz Ortiz est secondé au sein de la Commission spéciale pour une réforme de l'État de l'Oaxaca par Hector Sánchez, administrateur et secrétaire technique de cette commission et l'un de fondateurs de la "Coalition ouvrière, paysanne et étudiante de l'Isthme" d'antan, la COCEI, légendaire organisation de gauche qui jouissait d'une grande sympathie au Mexique dans les années 1970 à cause de la lutte qu'elle menait dans l'isthme d'Oaxaca. Aujourd'hui, elle est notoirement connue pour ses liaisons avec le gouvernement et à cause de sa sinistre habitude d'acheter les mouvements sociaux. En effet, cette organisation se consacre à sucrer les organisations sociales pour négocier avec elles une par une et affaiblir ainsi la lutte pour l'indispensable grande transformation. Signalons qu'elle s'est constituée en parti politique en créant le Parti de la révolution démocratique, le PRD, dans l'Oaxaca. Ce n'est pas sans importance, car aujourd'hui comme hier certains secteurs qui ne voient pas au-delà d'une lutte pour des réformes, simples carottes que le système promet sans jamais les réaliser, tirent de là leurs seuls arguments, ne concevant la lutte qu'au travers des partis, le regard rivé sur l'en haut.
Hector Sánchez est un métis nanti dépourvu de toute autorité morale et légitimité, inapte à conduire quelque processus de mutation sociale que ce soit dans l'Oaxaca. La nomination de ce triste sire nous permet d'apprécier à leur juste valeur les véritables intérêts de cette "consultation", simple manœuvre pour tenter de manipuler la société et contrôler les deniers publics : le changement dans la continuité, en somme.
Le jour de sa prise de fonctions, il a eu le culot de déclarer que "les défis auxquels doit faire face l'Oaxaca sont gigantesques, la réforme de notre l'État devant envisager des changements sur le fond et faire participer tous les Oaxaquiens qui souhaitent construire un État développé où règne la démocratie". Se réfère-t-il aux soi-disant Oaxaquiens "authentiques" ? À ceux qui ont monté Radio Ciudadana ("Radio citoyenne"), radio qui a polarisé la société ? Ou parle-t-il des privilégiés de tous temps ? Quoi qu'il en soit, il ne s'est pas privé d'ajouter que "la société oaxaquienne vit aujourd'hui un conflit qui n'est pas encore totalement apaisé, il est encore trop tôt pour affirmer que les blessures se sont refermées et qu'il ne s'est rien passé, la clameur populaire exige encore un changement, de nombreuses voix demandent à être écoutées, les plaintes et le mécontentement se font entendre ; ce sont les carences et les injustices, le fait de désespérer pouvoir les surmonter, qui ont provoqué cet état de crispation que nous avons connu récemment". Il suffit de savoir d'où sort cet individu pour nous rendre compte de quel côté il lorgne : du côté de la démobilisation, du mensonge et de la trahison.
Sa nomination et cette farce n'ont d'autre but que celui d'aggraver la crise que connaît cet État et de continuer à diviser, à polariser le peuple de l'Oaxaca.
Les propositions des nouveaux fonctionnaires du SEGOB et du gouvernement fédéral.
Le ministère de l'Intérieur a limité le nombre et la qualité des participants à une table de négociation où était représentée l'APPO, tandis que la répression continue. Lors d'une réunion récente, il a remis à l'APPO son "Pacte pour la gouvernabilité, la paix et le développement de l'État de l'Oaxaca", document que le ministre Abascal avait déjà tenté de faire passer le 3 octobre. Il s'agit de propositions sans fondements qui illustrent une vague intention d'encourager des réformes légales et institutionnelles, l'ensemble restant très vague. On y devine que le ministère sait pertinemment qu'il existe de très graves problèmes politiques et sociaux dans l'Oaxaca et que les revendications des peuples de cet État sont légitimes, mais il montre que cet organe a été et reste incapable de formuler le diagnostic exact de la situation et encore moins de prendre les mesures nécessaires pour affronter cette crise et la surmonter.
Il juge nécessaire de se réunir pour parvenir à élaborer un grand pacte pour l'Oaxaca. Ses membres disent qu'ils s'engagent à contribuer à un effort conjoint pour que la population indigène et métisse de toutes les communautés bénéficient réellement d'un système d'éducation et de santé, de logements dignes, d'emplois bien payés et des autres services publics dont ils ont été privés jusqu'ici.
Ils affirment avoir établi le diagnostic de la situation politique, économique et sociale de l'Oaxaca et que ce diagnostic leur permettra de parvenir, dans le cadre des institutions, non seulement à normaliser les activités de la population, mais aussi à promouvoir une nouvelle forme de convivialité.
Ce document mentionne également le fait qu'ils ont notamment pris conscience de l'importance d'une démocratisation effective par le biais d'une réforme de l'État, qui permette, associée à des mesures de détente à court terme, de rétablir des conditions propres au développement de la société oaxaquienne. Ils proposent en outre qu'un tel pacte rompe avec l'opposition classique démocratie parlementaire-démocratie directe, prônant un modèle de "démocratie participative".
Leur pacte viserait donc cinq objectifs distincts :
Un nouvel équilibre des pouvoirs : une meilleure coordination entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et la Justice ; La participation de la société aux décisions du gouvernement ; La reconnaissance de la diversité sociale dans l'Oaxaca ; Une économie propice au développement ; Un État providence pour éliminer la pauvreté, la marginalisation et l'abandon social dans l'Oaxaca.
Pour résumer, ce pacte social pour l'Oaxaca s'articulerait autour de trois axes - démocratie participative, bien-être social et modernisation de l'exercice du gouvernement -, ses propositions en vue d'une réforme complète s'inscrivant dans la dynamique "RÉFORME - DÉTENTE - DÉVELOPPEMENT".
La position actuelle de l'APPO
L'affrontement direct de certains secteurs de l'APPO et des barricadiers avec la PFP, le 25 novembre 2006, affrontement auquel participaient des nervis infiltrés incitant à une violence par ailleurs magnifiée et déformée par les médias, a donné une image négative de ce mouvement. L'APPO semble donc être tombée dans le piège tendu pour justifier face à l'opinion publique le déclenchement d'une répression décidée antérieurement. La réponse que l'APPO a donnée au terrorisme d'État a été de faire le "tlacuache"*. En dépit de la peur et de la paralysie qui s'étaient emparées de beaucoup de gens, l'APPO a donc fait le mort pendant quelques jours. Quand le gouvernement a cru que le mouvement avait été écrasé, elle a appelé à la marche du 1er décembre, qui est parvenue à rassembler 5 000 personnes. Certes, c'est un nombre insignifiant en comparaison avec les immenses cortèges des manifestations précédentes, mais c'est un nombre très élevé étant donné la persécution dont étaient victimes les habitants. Le Tlacuache avait remué une patte. Il s'est relevé complètement le 10 décembre, le mouvement se réorganisant, ce qui a permis au Tlacuache de regagner les montagnes pour y réfléchir, y opérer sa mue et réapparaître sous différents visages, qui caractérisent la substance de l'APPO. Le repli devant la répression lui a permis de se régénérer, de reprendre l'expérience et le travail en cours dans les villages, les communautés et les quartiers, tout en protégeant ses activités par l'ouverture d'un dialogue avec les institutions, dialogue conçu comme un moyen mais non une fin.
La Loi indigène proposée dans l'Oaxaca manifeste la faiblesse d'un processus reposant exclusivement sur des organismes civils qui, en contribuant à améliorer les lois (le regard fixé vers le haut), oublient la construction et la consolidation d'organisations des peuples à qui pourraient bénéficier de telles lois. Si l'on obtient de bonnes lois, comme un plébiscite pour déposer des autorités, par exemple, mais que les peuples ne sont pas organisés, les mêmes lois pourraient être utilisées par des caciques et se retourner contre les rares autorités honnêtes. Ce que nous voulons dire, c'est que la lutte ne s'achève pas en obtenant des réformes appropriées, mais avec l'engagement quotidien des peuples pour qu'une telle transformation soit effective.
C'est pourquoi l'APPO appelle à la formation de groupes de réflexion au niveau local et régional pour être en mesure de connaître et de formuler les changements que le peuple de l'Oaxaca veut voir réalisés et dans lesquels il a déposé ses espoirs. L'heure est à la parole et à l'écoute pour que s'exprime la population. Un premier pas dans cette direction est la Première Assemblée régionale de l'APPO qui aura lieu les 27 et 28 janvier 2007 à Ciudad Ixtepec et à laquelle sont invités à participer l'APPO ainsi que les organisations et les secteurs de la région, pour examiner ensemble plusieurs questions, dont l'économie, l'éducation, la culture, l'environnement, la santé, la démocratie, le territoire et la communication.
La réflexion engagée sur ces questions est une manière d'encourager un dialogue qui permette de construire une nouvelle société de paix, de justice et de liberté pour la vie bonne et digne rêvée par tous et par toutes.
Actuellement, on étudie les conditions minimales pour qu'un tel dialogue au sein de la société puisse se faire. L'Intérieur a autorisé ces groupes de réflexion à la condition expresse qu'on y aborde exclusivement la réforme de l'État et non la libération des prisonniers politiques ni la destitution d'Ulises Ruiz Ortiz, qui "est en cours", s'imaginant que la question sociale dans l'Oaxaca s'est diluée après les mesures de répression entamées le 25 novembre. De son côté, l'APPO ne renoncera à exiger ni le départ d'Ulises Ruiz, ni à ce qu'il soit châtié pour les crimes commis conte le peuple de l'Oaxaca, ni la libération immédiate et inconditionnelle de tous les prisonniers politiques et la présentation des disparus, sans compter l'annulation immédiate de tous les mandats d'arrêt visant les militants de la lutte sociale. Aucune réforme de cet État et aucun changement radical ne pourront s'effectuer tant qu'Ulises Ruiz Ortiz sera gouverneur.
Il est essentiel de continuer à réactiver le mouvement par toutes sortes de mobilisations et de manifestations publiques de solidarité, mais aussi et surtout d'encourager la réflexion et l'élaboration de propositions concrètes envisagées par l'APPO. Cela doit s'accompagner des groupes de réflexion impulsés par l'Initiative citoyenne, pour que nous puissions tous et toutes réussir à transformer radicalement l'Oaxaca mais aussi à nous transformer, nous.
Un tel éventail de propositions fait automatiquement surgir plusieurs questions. Peut-on lutter pour des réformes légales et institutionnelles dans l'Oaxaca et simultanément s'organiser en bas pour une transformation réelle de la société ? Devons-nous nous épuiser dans un dialogue avec des institutions qui ont toutes les chances de ne pas tenir leurs éventuels engagements et abandonner la construction de notre autonomie ? N'oublions pas que le gouvernement de Zedillo avait effectivement signé les Accords de San Andrés, ce qui ne l'a pas empêché de ne pas les respecter ou de les appliquer, de même que la loi de l'OIT qui envisage le droit des peuples à l'autodétermination dans les faits n'est nulle part appliquée. En admettant que les réformes institutionnelles sont de quelque utilité pour faciliter de véritables changements, comment éviter qu'elles absorbent toutes nos énergies et concentrent tous nos espoirs, au lieu de les placer dans la construction d'une complète autonomie ?
Nous avons à effectuer un choix "stratégique" non seulement dans les formes mais aussi sur le fond de la question. Peut-on effectuer des changements ou des réformes à moyen terme tout en poursuivant une stratégie de transformation radicale à long terme ?
Dans l'éventualité ou des réformes et le dialogue seraient acceptés, il est de toute première importance qu'elles ne constituent qu'une première étape au sein d'une stratégie plus profonde... Pour cela, leurs acteurs doivent être des personnes jouissant d'une pleine légitimité, réellement représentatives, et que l'un des objectifs avoués du mouvement oaxaquien soit en permanence d'avoir des serviteurs et non des leaders ou des dirigeants. Que ces acteurs ne servent pas d'intermédiaires entre le gouvernement et le peuple pour défendre leurs propres intérêts. Qu'ils ne finissent pas par être ce qu'ils critiquent. Que cette détermination des peuples de l'Oaxaca qui leur ont permis de résister aux assauts du gouvernement serve à construire un présent et un avenir communautaire, sans dirigeants mais avec des personnes entièrement au service de leurs peuples.
Il est vital que ce dialogue ne s'effectue pas en négligeant la pluralité la société qui appuie un tel processus. De cette manière, la lutte pour une transformation radicale s'accompagnera d'une véritable réflexion et pourra se poursuivre au-delà de la réalisation d'éventuelles réformes et sera en mesure de continuer à construire la régénération qu'attend l'Oaxaca.
N'oublions pas ! Coude à coude, épaule contre épaule, l'APPO, l'APPO c'est nous, ensemble.
* Le "tlacuache" est un animal prédateur qui s'attaque surtout aux volailles. Quand on le surprend et que l'on veut le tuer, il faut le frapper longuement, car lorsqu'il est sur le point de mourir, il fait le mort et cesse de respirer pour tromper son adversaire. Dès qu'il se sent à nouveau en sécurité, il sursaute et remue les pattes pour filer par où il est venu et regagne généralement les montagnes. Mais il revient toujours. (Note figurant dans l'original.)
Ruben Valencia Núñez est conseiller de l'APPO pour la région de l'isthme de Tehuantepec et adhérant à l'Autre Campagne.
Pour info le journal mensuel CQFD a sorti un hors série consacré au évenement d'Oaxaca de juin a décemblre 2006. Par contre la grande majorité des articles sont ceux de G. Lapierre...
sti
Posté le 16-02-2007 à 15:01:26
On voit le genre ...
Paria
Posté le 28-02-2007 à 18:53:04
Salut à toutes et tous,
J'ai quitté l'assemblée le lundi 12 février vers 6 h 30, le jour se levait et les travaux de la quatrième table (les derechos humanos) n'étaient pas encore terminés, les derniers participants étaient en train de se mettre d'accord sur le plan d'action et il manquait encore l'ultime numéro de la clôture... Faut dire que ça avait pris du temps de se mettre d'accord à la Table 3, plusieurs heures sur le thème controversé de la conjoncture électorale, trouver un consensus impossible sans sombrer obligatoirement dans de multiples contradictions.
Chacun des participants est resté déçu et un peu plus fatigué... Le sujet était délicat et risquait la division définitive, ce qui signifierait, chacun l'avait en tête, la fin de l'APPO.
L'après-midi dans le grand gymnase lumineux, après l'acte d'inauguration et le salut de bienvenue aux 300 participants, aux 59 conseillers et aux 52 invités présents de la première assemblé de l'APPO, j'avais justement choisi de m'installer à la Table 3 pour identifier ceux qui sont prêts à compromettre l'Assemblé populaire dans le jeu politique et connaître mieux ainsi ceux dans lesquels je me reconnais.
Par chance, parmi les trois modérateurs de la Table 3, il y avait Dolores, du CIPO, et Ali Brije, des "barricades". Pendant la discussion, évidemment très vite, deux blocs et deux positions se sont formés. Nous connaissons les raisonnements de ceux qui rêvent du pouvoir et leurs manières de procéder. Sous le pauvre et malheureux argument de participer aux élections pour une raison "tactique", ils sont prêts à prostituer ce mouvement. Comment faire accepter l'idée à un peuple qui s'est rebellé contre son gouverneur et ses institutions pendant de longs mois que la meilleur voie pour sortir de la crise est de participer aux élections ? Pour imposer leurs vues, ils avaient déployé l'artillerie lourde et avaient, du moins le croyaient-ils, préparé le terrain et invité les esprits à se soumettre à leurs ambitions politiques: depuis plus d'une semaine avant le rendez vous de l'assemblée, la presse affirmait que l'APPO avait décidé de participer au processus électoral et le PRD promettait 12 sièges de députés au mouvement populaire. Les défenseurs de l'option électorale voulaient grossièrement placer l'assemblée devant le fait accompli. A la Table 3, Ali a dénoncé le fait que des membres du conseil de l'APPO étaient en train de traiter avec le Frente Amplio de Lucha Popular (FALP) pour se partager des circonscriptions et que le FALP (membre de l'Assemblée populaire) était en train de négocier avec le gouvernement d'Ulises Ruiz des avantages financiers pour son organisation. Remuant ainsi la merde, il s'est vite retrouvé la cible des attaques plus ou moins voilées de ces organisations compromises qui, à partir de ce moment, ont commencé contre lui des contestations infantiles qui avaient comme objet de le discréditer (principalement, on lui reprochait de ne pas être à sa place de modérateur alors qu'il vaquait ici et là). L'offensive des "politiques" s'est fait sentir contre ceux qui s'opposaient plus ouvertement à leurs projets. Présumant de leur forces et affirmant par avance être représentatifs du désir de la majorité de la population d'entrer dans le jeu électoral, ils dépréciaient et minimisaient la représentation dans le mouvement des jeunes des barricades et des quartiers, dont la présence participative dans l'assemblée était remarquée.
De nombreuses interventions déterminantes, contraires à leur point de vue allaient dans le sens d'une non-participation. Ceux qui ne partagent pas l'idée d'entrer dans l'arène électorale argumentent du fait que les partis politiques ont créé des divisions dans les communautés et que les élections sont des processus qui engendrent de la violence, que les conditions ne sont pas réunies pour des élections propres, qu'il serait plutôt nécessaire de créer d'autres types de relations, l'on parle d'autogestion, d'autonomie… Les électoralistes sont restés obstinés dans leurs certitudes, mais on a pu observer comment, petit à petit, ils perdaient en même temps patience et leur assurance présomptueuse de la bonne marche de leurs affaires, alors que se dessinait une majorité pour ne pas collaborer au futur processus électoral (déjà, lors de la Première Assemblée régionale des peuples de l'Isthme, qui s'est tenue à Ixtepec les 27 et 28 janvier, une large majorité s'était décidée à ne pas participer au processus électoral).
Les deux camps sont restés irréconciliables jusqu'au bout et il a été décidé, à ce stade, qu'un accord consensuel serait éventuellement trouvé au moment de la plénière en ce qui concernait cette prise de position. Les points d'entente ont été que le processus électoral ne doit pas diviser l'APPO, que sa lutte doit aller plus loin, que l'on ne doit pas se fier aux partis politiques, qu'il faut respecter les accords pris en assemblée constitutive, que l'on peut appeler au vote "de castigo", élaborer un plan d'action… et quelques autres dont je n'ai plus le souvenir.
Le moment de la plénière est arrivé après le repas. Le résumé et les conclusions de la Table 1 (situation organique de l'APPO) ont duré assez longtemps du fait que les participants à l'assemblée ont débattu longuement sur la révocation des mandats des membres du conseil de l'APPO (une soixantaine d'entre eux étaient présents à l'assemblée sur les 270 que compte l'APPO). En fin de compte, il a été convenu de convoquer par écrit les membres du conseil pour la prochaine assemblée, que chaque commission devra élaborer un plan de travail, révocation des "conseillers" qui ne remplissent pas leur tâche (accompagné de tout un processus bureaucratique pour les virer), création d'une commission "honneur et justice" pour résoudre les problèmes délicat qui se présentent de remplacement des membres du conseil qui sont toujours prisonniers, il a été décidé de réaliser une assemblée mensuelle. Les participants se sont mis aussi d'accord sur la nécessité de renforcer la communication entre les différents conseils. Il a été décidé d'amplifier ces conseils de nouveaux délégués venant des régions et de créer le poste de coordinateur, nommé par les assemblées régionales. Il a été établi de fortifier l'APPO dans les régions, de même les membres du conseil de la section 22 du syndicat enseignant sont invités à se joindre au conseil de l'APPO. L'assemblée s'est aussi mise d'accord pour intégrer une commission de liaison ("enlace" avec l'Assemblée populaire des peuples du Mexique. De plus, il a été proposé et repris l'idée d'une caisse de soutien pour aider ceux qui viennent de loin assister aux marches et aux réunions, il a été demandé de rendre des comptes clairs à chaque assemblée, d'avoir une "officine" (un local d'information), il a aussi été décidé que quelques membres du Comité des familles de prisonniers et de disparus de l'Oaxaca (Cofadapo) se joignent aux membres du conseil de l'Assemblée populaire.
Au sujet des prisonniers, le Cofadapo est intervenu dans le débat pour demander plus de soutien de la part de l'APPO (un seul membre du comité juridique de l'APPO pour tenter de résoudre le problème des prisonniers et des disparus), de plus a été dénoncée devant l'assemblée l'attitude de certains membres du conseil qui ont fait venir jusqu'à Mexico des membres du Cofadapo pour parler de la situation des prisonniers et recueillir quelques soutiens financiers, car, après avoir effectué ces démarches, ils ont été abandonnés sur place sans recevoir, de la part des organisateurs, l'aide financière promise. En fait, la dénonciation s'adressait au Frente Popular Revolucionario (FPR), qui tient sous sa coupe, il semblerait, le "planton" installé à Mexico...
La réaction du FPR n'a pas tardé… Sans chercher à se justifier, il a dénoncé l'"imposture" des deux jeunes filles qui avaient précédemment témoigné. L'oratrice qui accusait les jeunes filles du Cofadapo a lâché le micro et d'un même mouvement s'est précipitée sur le petit groupe formé par le Comité des prisonniers. L'assemblée, à ce moment-là, a chaviré une première fois et la confusion a régné pendant quelques minutes sans que le problème s'éclaircisse...
Durant les travaux de la Table 2 (transformation profonde de l'Etat), il a été évidemment question de pouvoir, de pouvoir populaire… Pour ma part, j'ai surtout apprécié l'intervention d'un dénommé Sergio, de l'Université de la Terre, qui a remis en question le terme et le concept même de pouvoir. Mais une grande majorité a accepté l'idée du "pouvoir populaire" dans les domaines économique, politique et social, tout en recherchant de nouvelles formes de gouvernement respectant l'autonomie des peuples, construisant depuis le bas pour ceux d'en bas...
Il a été clairement établi que les partis politiques ne sont pas la voie pour changer le pays, qu'il ne faut pas faire le jeu du discours officiel de la "réforme de l'État", qu'il est nécessaire de détruire les institutions du capitalisme, que le "pouvoir populaire" implique de diriger des territoires, d'utiliser des moyens de communication, d'administrer l'économie, de conduire la politique culturelle et sociale... Il a été dit que les décisions devront être prises de manière collective par les assemblées et qu'il fallait renforcer et défendre les assemblées communautaires. Les débats ont tourné assez longtemps autour des communautés indigènes et il a été décidé que la transformation profonde de l'État devait nécessairement se discuter et s'enrichir depuis les régions et les communautés, que l'on devait récupérer les traditions et les coutumes des villages, comme le "tequio", les fêtes, la forme assembléiste, l'autogestion et l'autonomie. Dans ce sens, l'assemblée de l'APPO s'est engagée à soutenir les communes autonomes.
Au sujet des communautés indigènes, il est révélateur qu'une proposition, présentée comme "talleres de concientisacion" en direction des communautés, s'est retrouvée transformée, après discussion, en "Desarollar procesos de reflexion de la situacíon de los pueblos, respectando la cosmovision de los pueblos originarios, porque en el pueblo radica la sabiduria"... Ce qui est bien significatif, à mon avis, de la division dans l'assemblée et de deux modes de pensée opposés. Certains ne renonceront jamais à "conscientiser les masses"...
Pendant le compte rendu de la Table 2, l'assemblée a décidé de fixer comme priorité dans ses revendications : le départ et l'emprisonnement d'Ulises Ruiz ; la libération des prisonniers ; la réapparition en vie des disparus ; l'indemnisation aux familles des tués de ce mouvement et des mouvements antérieurs ; l'annulation des ordres d'appréhension. Les points qui sont restés en suspens ont été de savoir si l'APPO doit ou non participer au quatrième dialogue national et de savoir si les grands drapeaux des organisations politiques peuvent s'exhiber durant les manifestations. La discussion prenant trop de temps, il a été décidé de résoudre ce point lors une prochaine assemblée.
Le résumé des débats de la Table 3 a commencé vers 21 heures. Les modérateurs ont exposé à l'assemblée les débats de l'après-midi, signifiant l'absence de consensus sur la question de participer ou non au prochain processus électoral. A ce moment-là est arrivé, dans une grande marmite, un café bien chaud. Inévitablement, une bonne partie des participants s'est détournée du débat pour se former en longue queue pour attendre d'apprécier ce breuvage bienvenu. Le café a fini par l'emporter tout à fait quand Zenen, le président de l'assemblée, a levé les débats le temps d'une pause.
Le calme avant la tempête...
Le pari risqué était d'arriver à un accord "consensuel" sans diviser l'APPO… Deux positions se sont formées et les prises de parole se sont enchaînées comme les heures qui défilaient. Ceux qui défendent l'idée d'entrer dans le jeu politique des élections d'août sont les organisations politiques (FPR, CODEMO, FALP...), qui cherchent clairement à renforcer leur propre parti et leurs intérêts. Ils sont peu nombreux en fin de compte mais tiennent l'organisation de l'assemblée et une bonne partie de "l'appareil" de l'APPO, à savoir, les conseils et le rôle de porte-parole.
Ils auront tout tenté pour arriver à leurs fins et imposer leur projet. Ils ont usé des procédés les plus sales et les plus staliniens. Nous avons dû supporter des discours paternalistes ou maternalistes (aux choix…). Ils ont cherché la provocation et, à un moment, espérant la réaction violente des jeunes, par les bons offices de la salope de Guadalupe (FPR), ils s'en sont pris plus directement à Ali, l'accusant d'être un flic (tout en affirmant qu'ils n'avaient pas de preuves, mais que...) quand Ali va de tous côtés alors que les jeunes des barricades se planquent pour éviter d'être appréhendés… L'assemblée, surprise devant une manœuvre aussi nauséabonde, a vivement clamé en chœur sa désapprobation en chavirant de nouveau… De justesse, le naufrage et la bagarre ont été évités et après quelques minutes, une fois le calme rétabli, Ali a exercé son droit de réponse. Très dignement, et sans tomber dans la grossière tentative de provocation, il a répondu que ceux qui usent de ce genre d'arguments se discréditent eux-mêmes, il a parlé de dignité, de cœur... une intervention parfaite, des mots justes qui ont achevé de déconsidérer complètement ceux qui avaient lancé l'accusation diffamante. Fallait voir leurs gueules… de frustrés et de conspirateurs...
L'assemblée, malgré la fatigue, s'est montrée vigilante et attentive jusqu'au bout, de nombreuses argumentations développées se sont prononcées pour ne pas participer au cirque électoral. Des voix qui affirment que jamais dans l'histoire, par ces processus électoraux, on a pu obtenir quelque chose de favorable et que, au contraire, ils ont servi pour corrompre les leaders sociaux. De même, il a été entendu de fortes critiques du PRD et de son rôle néfaste joué contre les accords de San Andrés, en signant la loi indigène, contre les zapatistes dans différentes régions du Chiapas, contre les mineurs de Sicartsa, et pendant la répression d'Atenco. Il y a eu encore de nombreux et variés points de vue qui se sont exprimés contre l'idée d'entrer dans le jeu électoral et il se révélait de plus en plus clairement qu'une assez grande majorité n'était pas en faveur de participer au grand cirque.
Finalement, tout au long des rondes de prises de parole, l'assemblée a trouvé petit à petit un accord… et dans la douleur a accouché…
D'emblée, il est dit que le futur processus électoral ne doit pas diviser l'APPO et que pour cela une posture unitaire et des accords consensuels doivent être trouvés. Il a été reconnu que l'Assemblée populaire est un mouvement social pluriel et incluant qui, de ce fait, ne participera pas aux prochaines élections en tant que tel. D'un autre côté, il a été accepté que les organisations qui choisiront de participer aux élections pourront le faire et il leur a été bien précisé qu'elles devront y aller en leur propre nom. De plus, il a été décidé que ceux qui participeront en se portant candidat devront démissionner de leur poste de "conseiller" de l'APPO. Mais, en même temps, celle-ci appellera les futurs candidats à ce qu'ils s'engagent sur une plate-forme de lutte rédigée en une vingtaine de points et plutôt contraignante, où il est dit, notamment, que le futur élu devra apporter la moitié de son traitement et promettre d'appuyer une loi en faveur de la baisse des salaires des députés et des fonctionnaires publics… toutes sortes de conditions bien incommodes, sans rien en retour, je ne vois pas bien qui pourrait accepter...
Bon, c'est sûr, y en a qu'ont les dents longues et qui, pour rien au monde, ne renonceront aux ambitions politiques et au pouvoir, fût-il populaire et surtout pas les organisations politiques comme nous avons pu le voir ici.
Sur le même thème du futur processus électoral, l'assemblée a décidé d'appuyer le vote de "castigo" contre Ulises Ruiz, sans préciser contre qui il devait s'appliquer… suggérant par là qu'il pouvait être dirigé contre les candidats PRD qui font le jeu du gouvernement assassin… Il a bien été dit que l'on ne pouvait pas avoir confiance dans les partis politiques et que la lutte de l'APPO va plus loin que le processus électoral et, dans ce sens, il a été indiqué que la mobilisation devait rester une des formes principales de la lutte. L'APPO réaffirme son caractère pluriel, ample, démocratique et indépendant de l'État et des partis politiques… Elle estime qu'il est nécessaire de respecter les accords et les principes de l'assemblée constitutive du mois de novembre. Elle propose, en outre, d'approfondir les politiques d'alliances en respectant strictement les accords pris au congrès constitutif (où il est dit, entre autres, que l'APPO peut s'allier à des partis politiques, à condition qu'ils ne soient pas du PAN ni du PRI...).
Il est incontestable que l'accord final conclu dissimule en son sein des contradictions. Contradiction et paradoxes s'exprimant inévitablement quand on cherche absolument un accord consensuel de deux positions antagonistes.
J'estime que, durant ce marathon verbal, l'assemblée s'est montrée très attentive et réfléchie. Elle n'a pas succombé aux rengaines électorales qui ont résonné de façon lancinante dans les débats. Pour ma part, je ne suis pas sûr que les accords passés suffiront à ne pas diviser l'APPO, d'autant plus qu'il est bien certain que les organisations politiques et leurs complices n'abandonneront pas l'affaire ni ne renonceront à leurs ambitions de pouvoir, qu'ils tenteront par tous les moyens de reprendre la main pour presser l'APPO d'aller danser au bal électoral. La tronche déconfite et défaite, ils complotaient tandis qu'ils voyaient leurs rêves de pouvoir s'évanouir irrémédiablement. J'ai eu la vision, et je ne suis pas le seul, que ces gens-là pouvaient être dangereux et qu'Ali, à remuer la merde comme il l'a fait et par ses interventions pertinentes, risquait bien de s'attirer des ennuis à force… Miguel est intervenu à propos, et son intervention suggérait une mise en garde au FPR, en faisant de chacun les responsables de la sécurité des membres de l'assemblée.
Les lueurs de l'aube se levaient tandis que commençait la lecture du résumé de la dernière table. Une partie de l'assemblée était maintenant allongée sur la moquette grise recouvrant le parquet de basket, à moitié attentive des débats qui continuaient...
J'ai choisi de partir à ce moment-là, laissant les orateurs à leurs bavardages et à leurs raisonnements. Il faisait déjà jour et, dans la rue qui s'animait, les gens se pressaient à rejoindre leur boulot comme un quelconque lundi matin n'importe où dans le monde...
J'ai su plus tard que, durant les discussions en rapport avec la Table 4 sur le thème des doits humains, les familles des prisonniers et des disparus ont réitéré leurs accusations d'avoir été manipulées par le FPR lors de leur tournée d'information au District fédéral (Mexico DF). Il paraît que l'assemblée, ce matin-là, a chaviré une troisième fois à ce propos...
C'est peut être pour cela que les accords pris ont été dans le sens d'une plus grande solidarité envers les détenus et leur familles. L'assemblé demande aux maîtres d'école et aux conseillers de l'APPO de se concentrer prioritairement sur le problème des détenus, des disparus, des assassinés et des persécutés. En même temps, l'assemblée détermine de renforcer et d'appuyer la commission juridique et des droits humains de l'APPO. Il est affirmé explicitement qu'ils ne se laisseront pas manipuler par les organisations et encore moins par les partis politiques, et que personne n'a le droit de profiter de la douleur des familles pour récupérer de l'argent.
A quelques jours de là, une autre assemblée de "conseillers" avait été convoquée afin de rédiger le résumé des débats et les accords décidés pendant les deux journées et la nuit de l'assemblée plénière. J'y suis allé passer une bonne partie de la journée... C'était pénible et affligeant mais néanmoins saisissant (et prévisible !) de voir comment les organisations politiques avaient décidé, en se servant de l'appareil des conseils, de reprendre l'affaire en main. Il n'y avait que leurs membres comme modérateurs à la table qui présidaient aux débats. La discussion était dirigée par Mario, qui avait le rôle de président de l'assemblée des "conseillers". C'est un grand spécialiste de la manipulation, on fait appel à lui dans les situations délicates et il sait user d'autorité pour arriver à ses fins. On l'a déjà vu manœuvrer...
De nouveau, quand je suis arrivé, Ali Briye était la cible de critiques. On lui reprochait de s'être autoproclamé, face à la presse, nouveau porte-parole de l'APPO (en assemblée plénière, il avait été décidé qu'Ali, au nom des barricades, et un autre compañero de Radio Universidad intègrent la commission "presse et propagande" afin de faire entendre un autre point de vue en ce qui concerne les futures élections). On l'a blâmé et désapprouvé, sans pour cela relever que le porte-parole "officiel", Florentino (FPR), avait, quelques semaines auparavant, gravement outrepassé son rôle de porte-parole en ayant affirmé mensongèrement à la presse que l'APPO allait entrer dans le jeu électoral... Bref, il est apparu nettement que les organisations politiques désirent au plus haut point maintenir leur domination sur certaines commissions en espérant de cette manière contrôler l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca.
De nouveau, ils s'en sont pris aux jeunes, se plaignant de leur agressivité lors de l'assemblée passée, exhibant impudiquement leurs bleus et nous faisant entendre jusqu'à l'écœurement des discours bien réactionnaires sans jamais qu'il soit dit que se sont les jeunes qui ont été victimes des provocations. Il apparaît franchement que les organisations politiques cherchent la rupture avec les jeunes, les rendant responsables de leur Berezina et de l'échec de leurs plans.
En fin de journée, alors qu'un grand nombre de participants étaient déjà partis et que les organisations politiques étaient outrageusement majoritaires, le maître en manipulations qui officiait à la table a fait passé en force, en la proposant au vote malgré les contestations de procédures qui s'exprimaient (et qui n'ont pas été prises en compte), une résolution qui interdit dorénavant aux observateurs et aux invités d'assister aux débats de l'assemblée… (Une décision qui revient à l'assemblée et non aux conseillers !) La salope de Guadalupe était en train d'observer attentivement la réaction de l'unique observateur reconnu des lieux...
Il est bien vrai qu'ils ne veulent pas de témoins de toutes leurs saloperies et de leurs manipulations d'un autre siècle. Et je pense qu'à la prochaine assemblée, sans témoins et appuyés de "porros" pour avoir la majorité dans la réunion, ils régleront leurs comptes aux jeunes, s'ils sont toujours là, et tenteront à nouveau de dresser des plans de campagne... A voir… Les "jeunes" ne sont pas les seuls à s'opposer à leurs projets...
Ce qui est évident par contre, c'est que l'APPO s'est discréditée aux yeux de certains et nombreux sont ceux qui ne s'y reconnaissent plus. Notamment beaucoup de jeunes grapheurs qui ont subi l'intolérance de ceux en charge de la sécurité durant les dernières mégamarches. On entend de fortes critiques sur son fonctionnement et sur sa tentation d'entrer dans le jeu électoral. Pour ma part, je pense que l'APPO est toujours un processus en construction, qu'il y a plusieurs "APPO", comme autant d'organisations qui la composent, même s'il est vrai que les organisations politiques, en contrôlant certaines commissions et la charge de porte-parole, tentent d'imposer leurs points de vue. Corrompant ainsi l'esprit même de l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca.
Les futures élections se sont greffées à l'ordre du jour et ont commencé à semer leur merde. Sans avoir réussi à diviser l'APPO, elles sont, du moins, parvenues à exacerber les divergences de vues et de pensées et les points de frictions...
À suivre... donc.
Cette lettre est un peu longue, comme l'ont été les réunions des assemblées successives... mais je voudrais ajouter quelque chose avant de terminer et de vous ennuyer complètement : vous faire la proposition de réagir, en écrivant à l'assemblée, contre cette décision d'interdire la présence d'invités ou d'observateurs pendant les discussions de l'assemblée, ce qui prouve, à mon avis, une manière de contrôler et de censurer la parole et les points de vue différents ou contraires, je pense que nous pouvons dire quelques chose sur ce sujet qui nous concerne tous directement. Ce peut être une proposition à faire aux collectifs et aux personnes plus directement concernées... Qu'en pensez vous ?
Je vous parlerai bientôt, dans une prochaine lettre, d'un projet enthousiasmant qui se prépare par ici. Dès qu'il sera un peu plus élaboré et qu'il aura été rendu public, je vous le ferai savoir, car il se pourrait bien que vos contributions solidaires soient bienvenues.
D'autre part, en mon nom personnel, j'ai proposé à quelques commissions de l'APPO, à la Cofadapo et à d'autres de participer à la conception d'une exposition itinérante en Europe pour raconter l'histoire et le présent du mouvement populaire de l'Oaxaca...
A bientôt donc...
Victor.
P-P-S plus particulièrement français. Durant l'assemblée plénière des 10 et 11 février, nous avons appris que quelques "commissionnés" de l'APPO avaient fait une tournée en France fin janvier et début février, invités par la Fondation France Libertés de Danielle Mitterrand pour parler de la situation sociale qui se vit ici, dénoncer la répression et l'impunité, et promouvoir l'idée que le mouvement de l'APPO ne se "réduit pas à un groupe d'anarchistes et de délinquants"...
A la rencontre du Parti communiste, des médias officiels de communication, de députés, d'intellectuels, de sociologues, et de personnalités hors du commun, ils ont décidé qu'une commission organisée par la fondation française visitera avec des journalistes l'État d'Oaxaca au mois de juillet. Ils se sont encore mis d'accord pour étudier de plus près, avec l'aide de sociologues et d'intellectuels européens, le mouvement populaire comme un exemple d'organisation populaire, pacifique et participative dans cette période de crise global du système représentatif... Ça va être beau… Ils ne renonceront jamais à conscientiser les masses informes...
Je ne sais pas si c'est en rapport avec la visite en Europe de "conseillers", mais était présente à l'assemblée une délégation de deux jeunes communistes... Un couple pas si jeune et sérieux, comme il se devrait pour de jeunes communistes. Ils ont pris des notes et filmé une bonne partie des débats. Le gars avait l'air triste, un peu désolé, ou peut-être souffrait-il de la "turista"... Message édité le 28-02-2007 à 18:56:05 par Paria
Paria
Posté le 10-03-2007 à 12:19:16
Oaxaca : la tragédie continue
Le Mexique, c'est connu, est un pays où les gouvernements n'ont pas trop de scrupules sur les méthodes qu'ils emploient pour réprimer les mouvements sociaux.
Ce qui se passe à Oaxaca, cependant, est, en grande partie, inédit. Après la répression féroce de la fin de l'année 2006, les journaux et télévisions du régime, depuis des semaines, font tout pour présenter une réalité idyllique, mais, sous les cendres d'une paix imposée par les armes, couvent quantité de braises.
Le conflit, de fait, présente de multiples aspects. Au premier rang desquels, Ulises Ruiz Ortiz, le gouverneur haï, du PRI, qui durant ces neuf derniers mois a déchaîné la terreur contre l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca (APPO).
Tout comme l'actuel président mexicain, Felipe Calderon, Ruiz est le produit d'une colossale fraude électorale. En 2004, à peine "élu", Ruiz - politicien vraiment hors série, à la fois faible, autoritaire et psychopathe - déclara la guerre au quotidien indépendant Noticias, faisant brûler les kiosques où il était en vente et occupant militairement son siège, sans toutefois arriver à le faire taire.
Ce fut ensuite le tour de la Section 22 du syndicat des enseignants - 70 000 adhérents -, organisme indépendant avec une vieille tradition de lutte. Dans la réalité de misère rurale qui règne à Oaxaca, la fonction de l'instituteur, comme facteur de conscience sociale, est très importante.
Le 14 juin 2006, Ruiz déchaîna un véritable déluge contre les enseignants qui avaient occupé le centre de la ville pour obtenir des améliorations salariales. En réponse, la population s'insurgea spontanément et, le 23, 400 organisations sociales environ créèrent l'APPO (Asemblea Popular del Pueblo de Oaxaca) forum permanent et organe de décision du mouvement. Le mot Pueblo fut significativement changé ensuite pour Pueblos, indiquant la pluralité des participants et l'exclusion explicite des partis politiques. Le mouvement s'unifia autour d'une seule revendication : chasser Ruiz. On institua une commission formée de délégués révocables, avec mission de mener les tractations avec le gouvernement fédéral. Face à l'absence de réponse claire, l'APPO répondit en occupant les bureaux du gouvernement, le palais de justice et le parlement local. Ruiz se retrouva dans la situation insolite de devoir opérer dans un état de semi-clandestinité.
Les élections du 2 juillet et l'agitation qui s'ensuivit firent passer au second plan ce qui se passait à Oaxaca. Ruiz pensa que le moment de contre-attaquer était venu. Il organisa alors les terribles "caravanes de la mort", c'est-à-dire des groupes de tueurs qui, à bord de fourgons et motos sans immatriculation, commettaient des crimes effroyables dans la plus totale impunité. En réaction, l'APPO éleva des centaines de barricades dans le centre-ville et dans les banlieues, en se proclamant seul gouvernement légitime d'Oaxaca.
Le 1er août, face à la manipulation persistante de l'information, 2 000 femmes environ, en majorité des ménagères, des enseignantes et des étudiantes, prirent possession de la radio et de la télévision gouvernementales, en les transformant en outils de communication alternative ouverts à tous les secteurs sociaux.
La liste des morts augmentait, mais au lieu de reculer, le mouvement s'appropriait des espaces stratégiques, devenant une menace non seulement locale mais aussi nationale. On commença à parler de la "commune d'Oaxaca".
Les choses se précipitèrent le vendredi 27 octobre quand furent tués Brad Will, journaliste indépendant d'Indymedia, et deux militants de l'APPO, dans le faubourg de Santa Lucia del Camino. Le coupable, un employé de Ruiz qui avait été filmé au moment où il tirait, sortit rapidement de prison. A l'heure actuelle, la version officielle est encore que Brad a été tué par certains de ses camarades à cause de "rixes personnelles". Au même moment, à quelques kilomètres de là, à Santa Maria Coyotepec (siège du gouvernement de Ruiz), la police massacrait un nombre indéterminé de militants de l'APPO. Ce qui fait penser à une planification froide des deux crimes.
On sait que, dans une époque d'assassins, les victimes sont toujours coupables. Il ne faut donc pas s'étonner si les crimes de Ruiz ont ensuite été allégués par le gouvernement fédéral pour justifier l'irruption de la Police fédérale préventive (PFP), corps spécialisé dans les opérations anti-insurrectionnelles, qui était déjà intervenu à Atenco.
Le 28, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Carlos Abascal, lança un ultimatum : l'APPO avait vingt-quatre heures pour démonter les barricades, quitter le centre historique et abandonner les bureaux du gouvernement.
Le dimanche 29, 4 000 policiers, appuyés par des hélicoptères et des blindés, marchèrent sur la ville, alors que 5 000 soldats prenaient position dans des points névralgiques des régions environnantes.
La résistance fut importante mais, vers 19 heures, la PFP arriva à dégager le zocalo (la place principale) et à reprendre possession des radios contrôlées par l'APPO, sauf Radio Universidad, dernier bastion de la communication indépendante. La ville ressemblait à un champ de bataille : véhicules en flammes, maisons détruites, routes creusées de tranchées. En outre, il y avait 60 détenus, deux victimes reconnues et un nombre indéterminé de desaparecidos [disparus].
Le jeudi 2 novembre, le Jour des morts, la PFP échoua dans sa tentative d'occuper la Cité universitaire et la barricade du carrefour Cinco Señores, place forte de l'APPO. Ce fut une victoire éclatante du mouvement, obtenue en grande partie grâce à l'inventivité des jeunes du quartier qui se défendirent des blindés armés de cocktails Molotov, de frondes et de "bazookas" de plastique improvisés.
L'occasion de se venger se présenta quelques semaines plus tard, le 25 novembre, quand la PFP attaqua une manifestation pacifique de l'APPO. Bilan : 141 arrestations - en majorité de vendeurs ambulants et de passants totalement étrangers aux faits - et un nombre imprécis de morts non déclarés.
Le lecteur se demandera : pourquoi ne dénonce-t-on pas les victimes de la violence policière à Oaxaca ? La réponse est simple : les parents n'osent pas porter plainte.
Pour les détenus commence alors une histoire kafkaïenne : menaces, intimidations, tortures physiques, et psychologiques, violences sexuelles (sur les hommes, plus encore que sur les femmes). A quoi il faut ajouter le transfert - illégal - vers la prison de haute sécurité de Nayarit, à plus de mille kilomètres d'Oaxaca.
Bien qu'une grande partie des détenus aient ensuite été ramenés à Oaxaca, 62 personnes restent en prison. Toutes sont accusées des mêmes crimes (sédition, incendie, violation de la propriété privée, etc.), ce qui en dit long sur la façon de procéder de la justice mexicaine.
Aujourd'hui, Oaxaca vit dans un état de siège camouflé, mais la résistance continue. Les prisons clandestines, l'impunité, la terreur et les enlèvements rappellent les années sombres des dictatures militaires d'Amérique du Sud. Avec une nouveauté inquiétante : à la différence des groupes armés du passé, l'APPO est un mouvement essentiellement pacifique. Les 23 personnes assassinées (plus une centaine de disparus) sont d'un seul côté : celui du mouvement. Et les autorités se gardent bien d'arrêter les coupables.
Tout cela, et plus encore, est décrit dans les moindres détails dans le terrible Informe sobre los hechos de Oaxaca (Rapport sur les événements d'Oaxaca), fait par la Commission civile internationale d'observation pour les droits humains (CCIODH), organisme international qui a visité Oaxaca entre le 20 décembre 2006 et le 20 janvier 2007. A l'appui de 400 témoignages environ, de dizaines de photos et documents et d'une vidéo, le document est disponible en ligne : http://cciodh.pangea.org
Sa lecture évoque une continuité perverse avec les événements d'Atenco, en mai 2006. Dans les deux cas, les pouvoirs locaux ont agi avec la complicité des pouvoirs fédéraux, et vice versa. Cela signifie que la responsabilité de ce qui arrive à Oaxaca n'est pas uniquement le fait du psychopathe Ruiz, mais aussi celui du gouvernement fédéral. Nous sommes face à une expérimentation de management social : face à l'insurrection de la contestation, le gouvernement "étudie" jusqu'à quel point il peut emprunter la voie de la répression violente. Seule la réponse combative de la société civile peut arrêter un jeu si pervers et irresponsable.
Le 4 mars 2007. Claudio Albertani
Paria
Posté le 10-03-2007 à 12:21:42
OAXACA
Selon l'APPO, Lino Celaya a constitué des escadrons de la mort pour attaquer les barricades
Un fonctionnaire accusé d'avoir assassiné des militants dans l'Oaxaca a été destitué. Il sera remplacé par Sergio Segreste, l'ancien président de la Commission de l'Oaxaca des droits fondamentaux des personnes.
Pour Zenén Bravo, il s'agit d'une manœuvre pour éviter qu'il reçoive la sanction qu'il mérite.
Octavio Velez Ascensio, correspondant.
Oaxaca, État d'Oaxaca, le 7 mars. Lino Celaya Luría, directeur du Service de protection des citoyens (Seproci), a été démis de ses fonctions. L'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca (APPO) affirme que Celaya est responsable de la création des "escadrons de la mort" qui ont assassiné plusieurs militants qui montaient la garde sur les barricades, l'année dernière.
Dans son rapport sur l'Oaxaca, la Commission civile internationale d'observation sur les droits humains (CCIODH) désigne le Seproci comme l'une des administrations responsables de la répression dont ont été victimes des sympathisants du mouvement des enseignants et du mouvement populaire de 2006.
Iñaki García, porte-parole de la CCIODH, est d'avis que la destitution de Celaya ne suffit pas, car "les auteurs" des arrestations illégales, des tortures et des assassinats "n'ont pas été condamnés". Et d'ajouter : "Cela ne change rien à une situation aussi grave de violations des droits fondamentaux des personnes."
Il considère en outre que Sergio Segreste, le nouveau directeur du Seproci, qui était auparavant président de la Commission de l'Oaxaca des droits fondamentaux des personnes, devra répondre des accusations et châtier les responsables de cette répression, "parce que les choses ne peuvent pas en rester là".
Zenén Bravo Castellanos, membre du conseil de l'APPO pour l'Oaxaca, pense que la destitution de Celaya "ne constitue nullement une sanction mais correspond plutôt à une manœuvre pour le libérer de ses responsabilités" dans le cadre des violations des droits fondamentaux commises lors de l'étape la plus dure de ce conflit politico-social.
Selon certaines sources non autorisées, Lino Celaya Luría, ancien maire d'Oaxaca, ancien secrétaire d'État à l'Intérieur et ancien député national du PRI, remplacera Elpidio Concha Areliano à la tête de la Confédération nationale paysanne (CNC) dans l'Oaxaca. Rappelons qu'Elpidio Concha avait été impliqué dans la mort d'un professeur, en juillet 2004, à la clôture de la campagne électorale de l'actuel gouverneur Ulises Ruiz Ortiz, à Huautla de Jímenez.
La décision du Segob contestée
La CCIODH déplore le fait que le ministère de l'Intérieur (SG) ait rejeté son rapport sur les violations des garanties individuelles commises par la police fédérale et par la police de l'Oaxaca au cours du conflit social dans cet État, notamment lors des affrontements de novembre 2006.
Mario Escárcega, directeur de l'antenne locale du ministère, rejette le rapport de la CCIODH et affirme que son administration n'a enregistré aucune plainte concernant d'éventuels abus commis à l'encontre de membres de l'APPO. Il enjoint également la Commission de fournir les noms des 23 personnes décédées "afin de pouvoir enquêter".
Iñaki García, porte-parole de la Commission, rapporte qu'Escárcega "insiste sur l'absence d'informations en ce qui concerne ces 23 homicides, mais notre rapport fournit toutes les données concrètes à ce sujet : noms, date des faits et circonstances dans lesquelles ils ont eu lieu. C'est du domaine public".
Sans compter que "ces chiffres coïncident" avec les données en possession de la Commission nationale des droits fondamentaux des personnes juste avant que la CCIODH remette son rapport préliminaire. La Commission est d'ailleurs disposée à commenter les plaintes pour abus avec Mario Escárcega en personne "et espère recevoir une réponse à ses recommandations avant le départ des derniers membres, qui quittent le Mexique mardi prochain".
"Nous souhaitons que Mario Escárcega assume ses responsabilités car c'est à ce ministère qu'il revient de sanctionner de tels abus, attendu que rien n'a changé. Les déclarations ne suffisent pas, il faut des résultats", conclut Iñaki García.
Florentino López Martínez, porte-parole de l'APPO, pense que cette administration rejette le rapport de la CCIODH "pour tenter d'éluder ses responsabilités, parce qu'elle a joué un rôle évident dans la répression du peuple de l'Oaxaca avec l'envoi de la police fédérale de prévention".
Le même a ajouté : "La mission de la CCIODH jouit d'un grand prestige au niveau international et comme elle a certifié que de graves violations des droits fondamentaux des personnes ont été commises, le ministère de l'Intérieur mexicain voudrait invalider son rapport pour cacher ce qui s'est passé."
Escárcega se montre "cynique" dans ses déclarations, parce que les preuves de tortures, d'arrestations arbitraires et d'homicides commis par les forces de l'ordre fédérales et oaxaquiennes ne manquent pas.
"Les morts sont là pour le prouver, les personnes torturées, les personnes emprisonnées illégalement. Quelles preuves supplémentaires veut (le gouvernement fédéral) ?" demande pour finir López Martínez.
Des affrontements entre la section 22 et la section 59 du SNTE font plusieurs blessés
Hiram Moreno et ADN Sureste.
Santa Cruz Huatulco, Oaxaca, le 7 mars. Des membres de la section 59 du syndicat national des travailleurs de l'éducation (SNTE), une section créée tout récemment, ont affronté à coups de pierres, de bâtons et de machettes des enseignants de la section 22 du même syndicat, avec qui ils se disputent des collèges de l'Oaxaca. Plusieurs personnes ont été blessées, dont un fonctionnaire du gouvernement de cet État et trois journalistes.
Vers 17 h 30, ce mercredi, une vingtaine d'enseignants de la section 59 animaient une assemblée de parents d'élèves organisée dans l'école primaire Leona Vicario, dans le district H3 de la commune, quand environ 120 enseignants de la section 22 ont surgi et les ont expulsés, ce qui n'a entraîné qu'un échange d'insultes.
Cependant, à l'aide d'un mégaphone, les membres de la section 59 ont demandé le soutien de la population et, quarante-cinq minutes plus tard, ils sont revenus pour tenter de rentrer à nouveau dans l'école. Des agents de la police municipale étaient sur place, sous le commandement de Marco Tulio Solís, coordinateur de la sécurité publique, mais ils n'ont fait qu'assister aux faits.
Fernando Franco, délégué du gouvernement pour la région de la Côte, et Fernando Rodríguez, agent municipal de Santa Cruz Huatulco, se sont aussi rendus sur les lieux, mais ils ne purent éviter qu'un affrontement se produise. Pedro Sánchez, sous-délégué du gouvernement de l'Oaxaca, a reçu un coup de bâton assené par un des membres de la section 59 qui lui a cassé deux dents et brisé les lunettes.
Omar Gazga, directeur d'un journal radiodiffusé, Reyes Hector Suárez Olvera, correspondant de Televisa à Huatulco, et Antonio García Pérez, journaliste du quotidien Enlace de la Costa, ont également été agressés par des membres de la section 59. En outre, le véhicule de Reyes Hector Suárez Olvera a été endommagé.
Étant donné la situation, la section 22 a fait savoir qu'elle suspendra toute activité ce jeudi pour participer aux diverses marches organisées à Oaxaca, selon les informations fournies par Daniel Rosas Romero, secrétaire de presse et de propagande du syndicat. La manifestation commencera à 10 heures du monument en l'honneur de Juárez, à Trinidad de Viguera, en direction de la Place de la Danza.
Daniel Rosas a répété que les revendications du syndicat continuent d'être la destitution du gouverneur Ulises Ruiz Ortiz, la libération de tous les prisonniers politiques, le refus des réformes décrétées par la "Ley del Instituto de Seguridad y Servicios sociales de los Trabajadores del Estado" ainsi que la remise des écoles passées au pouvoir de la section 59, entre autres.
Le jeudi 8 mars recommencera à émettre Radio Plantón, moyen de communication lié à la section 22 du SNTE et à l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca (92,1 FM).
Paria
Posté le 15-03-2007 à 17:33:43
Le mouvement de l'Oaxaca se rassemble au sein d'une initiative sans vocation électorale
Voces Oaxaqueñas Construyendo la Autonomía y la Libertad (VOCAL : "Voix oaxaquiennes pour la construction de l'autonomie et de la liberté" ) se veut un lieu de rencontre avec cette partie du peuple de l'Oaxaca qui recherche, sur des bases éloignées de tout électoralisme et des partis, l'autonomie des peuples et des personnes afin de parvenir à un changement profond des institutions politiques de cet État et des structures économiques sur lesquelles il repose.
Après l'assemblée de l'Oaxaca qui s'est tenue les 10 et 11 février, on a pu constater qu'il existe au sein de l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca (APPO) deux façons différentes d'appréhender la manière dont on veut poursuivre la lutte dans la conjoncture électorale actuelle. Contrairement à ceux qui, à l'instar du Frente Popular Revolucionario (Front populaire révolutionnaire, FPR) et du Frente Amplio de Lucha Popular (Front large de lutte populaire, FALP), cherchent à se situer avantageusement dans la course électorale, d'autres groupes et organisations ont préféré poursuivre la lutte en marge des institutions gouvernementales et des élections, avec la création d'un lieu devant se construire et se définir à travers le contact "direct" avec les peuples de l'Oaxaca.
Pour David Venegas, membre du comité de presse de l'APPO, "le principal objectif de VOCAL est de se rendre partout où existe une lutte et une rébellion pour relier les tentatives de tous les gens qui participent au mouvement social dans l'Oaxaca". Et d'ajouter : "Lors de l'assemblée (de l'ensemble de l'Oaxaca), le désir que le mouvement conserve son indépendance et son autonomie par rapport aux partis politiques est clairement apparu au sein de l'APPO. C'est la ferme conviction de l'APPO de vouloir rester à l'écart du processus électoral, mais aussi la volonté de tous ceux qui n'en font pas partie mais avec qui nous partageons cette façon de penser, qui a débouché sur la création de VOCAL."
En effet, VOCAL ne naît pas comme un espace à usage exclusif de l'APPO mais comme une manière de penser la lutte qui veut renouer avec un mouvement oaxaquien éminemment populaire éloigné des institutions et de toute hiérarchie. Pour l'un des membres de la barricade de Cinco Señores, "l'APPO n'a jamais perché dans une assemblée mais dans la rue, sur les barricades et dans les quartiers, chez les gens qui ont cru qu'un changement pouvait avoir lieu. Mais aujourd'hui on voit apparaître la même rengaine de toujours entonnée par une partie des organisations membres de l'APPO qui vont aux élections". Et pourtant, affirme-t-il, "toute l'APPO ne se compose pas de gens qui ne sont mus que par des intérêts personnels, il y en a qui veulent véritablement un changement et qui le démontrent par les positions qu'ils adoptent au sein de l'APPO". Ce qui explique que la convergence entre certains groupes de l'APPO et une partie de ceux qui ont participé au mouvement en restant à l'écart des différentes organisations de l'APPO n'a pas été possible. Il s'agit d'une tentative dans laquelle le combat pour l'autonomie constitue un pilier fondamental. Pour le collectif "Tod@s somos pres@s" (Nous sommes tou(te)s des prisonniers et des prisonnières), "ce sur quoi nous sommes d'accord et notre objectif est de relier les groupes, les individu(e)s, les collectifs et les peuples autonomes ou ceux qui luttent ou qui veulent lutter pour l'autonomie". Selon VOCAL, "nous voyons qu'aussi bien à l'intérieur qu'en dehors de l'APPO la population mobilisée partage cette idée de la nécessité pour notre mouvement de conserver son indépendance et son autonomie envers les partis politiques". Une indépendance qui se fonde sur la défense de l'autonomie et du droit à l'auto-organisation des peuples de l'Oaxaca, en particulier les peuples indigènes ou originels. Il ne s'agit ni plus ni moins que "notre mouvement reste fidèle à ses principes […] pour constituer une alternative réelle d'opposition au système de gouvernement autoritaire actuel". Pour Dolores Villalobos, membre du Conseil indigène populaire de l'Oaxaca-Ricardo Flores Magón (CIPO-RFM), "nous devons réunir toutes les résistances" et "les indigènes ont une grande expérience et peuvent apporter beaucoup à VOCAL en matière d'autonomie", qui est "une des formes qu'adopte la libre détermination des peuples, pour laquelle le peuple indigène s'est toujours battu".
Une autonomie qui n'en reste pas là, cependant, et à laquelle il faut ajouter celle que sous-tendent la défense des droits individuels tels que le droit à choisir son orientation sexuelle et dont les partisans sont également invités à participer à VOCAL et à partager leurs expériences de lutte.
Un lieu où existent des activités concrètes qui reposeront, selon le collectif "Tod@s somos pres@s", sur deux types d'action : "La première concerne la construction et la consolidation de nos autonomies par la mise en pratique ce que nous pensons que cette société devrait être, il s'agit de se mettre réellement au boulot (assez de discours !) dans des projets qui créent d'autres réalités." La seconde repose sur "l'emploi de la protestation publique et de la mobilisation sociale comme outil populaire de lutte".
Au nombre des activités prévues par VOCAL, citons des manifestations dans la capitale, Oaxaca, mais aussi des déplacements pour se rendre dans les différentes communes autonomes et là où existe une lutte quelconque, par exemple contre le Plan Puebla-Panama, afin de pouvoir construire directement et "d'en bas" une proposition commune opposée aux procès politiques et économiques dominants.
La participation nombreuse et enthousiaste de milliers de manifestants qui sont à nouveau descendus dans la rue en réponse à l'appel de l'APPO, le 3 février dernier, est un signe évident que le mouvement citoyen des "Oaxaqueños" n'a pas été anéanti par la "guerre sale" qui est menée contre lui, pas plus que par l'arrestation de Flavio Sosa, son leader aux yeux des médias. Cette manifestation montre clairement que tant que persisteront les causes profondes ayant engendré l'une des plus grandes mobilisations populaires de l'histoire du Mexique, ni la paix véritable ni la gouvernabilité démocratique ne seront possibles dans l'Oaxaca.
L'attitude des manifestants a aussi permis de sentir que les gens ont recommencé à vaincre leur peur, une peur provoquée par la vague des crimes perpétrés par le terrorisme d'État. Peu à peu, le mouvement populaire se réorganise et détermine à nouveau les actions nécessaires pour obtenir la libération des 64 personnes encore emprisonnées dans différentes prisons disséminées dans l'Oaxaca et dans l'ensemble du Mexique, sans oublier pour autant sa principale exigence, la destitution d'Ulises Ruiz Ortiz, actuel gouverneur de l'État.
Cette année, il y aura des élections locales dans l'Oaxaca, ce qui constituera le principal objet de la dispute politique dans cet État. De grands défis devant elle attendent l'APPO. D'un côté, définir de quelle manière elle participera aux élections, alliée au Frente Amplio Progresista (Front large progressiste), peut-être, et éviter au maximum que des scissions et des ruptures aient lieu au sein de l'Assemblée. À savoir : appliquer un de ses principes de base, l'indépendance face à tous les partis politiques, quels qu'ils soient. Elle devra aussi préserver l'unité du mouvement, en tentant de prendre tous les accords par consensus, comme l'exigent les organisations et les peuples indigènes, et ainsi éviter d'être le théâtre d'interminables querelles pour choisir une liste de candidats. D'un autre côté, l'APPO ne doit pas cesser d'encourager toute action qui permette une réelle transformation démocratique de l'Oaxaca et non une simple réforme de façade comme celle que conduit cette commission spéciale discréditée créée par Ulises Ruiz. La réforme de l'État, la convocation d'une nouvelle assemblée constituante et l'élaboration d'un nouveau pacte social qui institue de nouvelles formes de participation citoyenne et établisse clairement les droits des femmes et des peuples indiens doit continuer d'être une priorité de notre mouvement citoyen. La conjoncture électorale ne doit pas faire oublier l'objectif d'une transformation démocratique en profondeur, comme le réclament depuis des mois des milliers de citoyens dans l'Oaxaca.
La plupart des observateurs pensent que le plus gros de la répression a terminé ; il n'empêche, il y a encore des dizaines de disparus et de détenus et non seulement les auteurs matériels directs de nombreux assassinats et enlèvements, tels les cadres de la police Manuel Moreno Rivas et Aristeo López, sont toujours en liberté, mais ils occupent toujours dans le cynisme le plus complet les fonctions qui leur ont permis de gruger des centaines de citoyens d'Oaxaca.
Ce n'est pas le moment de relâcher notre méfiance, sachant qu'un des principaux combats que devra livrer l'APPO sera de contrecarrer la répression, d'autant plus que d'innombrables mandats d'arrestation continuent d'être en vigueur, qui ont été lancés contre des centaines de dirigeants de la lutte sociale, professeurs, autorités communautaires et militants. La nouvelle vague de répression qui se prépare est incontestablement liée à l'inquiétude du gouvernement d'Ulises Ruiz Ortiz devant le nouvel essor qu'a pris l'APPO, depuis la grande marche du 3 février, et il s'imagine qu'avec de nouvelles arrestations il pourra contenir la révolte citoyenne.
Pour finir, un autre défi que doit affronter le mouvement populaire est celui de se réorganiser et de regrouper de nouveaux secteurs, avec leurs revendications spécifiques, sans oublier de poursuivre et d'augmenter la mobilisation citoyenne, en évitant dans la mesure du possible les actions violentes et les provocations. Les méthodes de notre mobilisation démocratique devront prévaloir sur les théories qui prônent l'affrontement violent – qui n'a servi jusqu'ici qu'à faire réprimer de larges secteurs de la population.
La situation dans l'Oaxaca a commencé à changer car les cercles gouvernants se montre craintifs et désunis. L'heure est venue pour notre mouvement citoyen de repasser à l'offensive, en profitant des fractures et des affrontements visibles à l'intérieur de la clique d'Ulises Ruiz Ortiz, le démantèlement du CROC, syndicat très agressif affilié au PRI, et la confrontation directe à laquelle nous avons assisté entre le président de la Grande Commission de la magistrature locale et le ministre de l'Intérieur ne constituant qu'un échantillon de sa faiblesse interne.
Les 150 derniers éléments de la PFP ont enfin quitté l'Oaxaca et la contention de la révolte citoyenne est maintenant entièrement dans les mains de l'appareil répressif d'Ulises Ruiz, qui présente cependant lui aussi de graves fissures, comme le montre les déclarations publiques de cadres intermédiaires de la police qui ont dénoncé les menaces qu'ils ont reçues de leurs supérieurs.
Au cours des mois qui vont suivre, le conflit politique et social patent dans l'Oaxaca ne manquera de s'étendre. Le mouvement populaire est certes face à de grands et sérieux défis, mais on peut être sûr qu'il parviendra à les surmonter, à condition de ne pas abandonner les causes et les exigences qui l'ont fait naître et l'ont alimenté. Le peuple n'oublie pas, le peuple reste vigilant.
Traduit par Ángel Caído. Message édité le 15-03-2007 à 17:34:26 par Paria
Paria
Posté le 15-03-2007 à 17:35:51
VOIX OAXAQUIENNES CONSTRUISANT L'AUTONOMIE ET LA LIBERTÉ (VOCAL)
Les membres actuels de VOCAL sont des individu(e)s autonomes, des collectifs libertaires, des lieux autogérés, des antiautoritaires, des organisations magonistes, des collectifs zapatistes, des groupes anarchistes, des barricadières et barricadiers, des membres de l'APPO et des adhérent(e)s à l'Autre Campagne. Tous et toutes participent à l'actuel mouvement social dans l'Oaxaca.
VOCAL se veut un lieu de convergence et d'union des tentatives autonomes du peuple d'Oaxaca en lutte, de tous ceux qui, appartenant ou non à des regroupements tels que l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca (APPO), participent activement au mouvement social actuel et veulent que ce mouvement reste fidèle à ses principes d'autonomie et d'indépendance vis-à-vis des partis politiques, en revendiquant l'assemblée souveraine comme la manière la plus juste et la plus harmonieuse pour réussir à nous comprendre, à nous organiser de façon autonome et à nous autogouverner. Un lieu où les accords du peuple ne se fondent ni sur la prédominance de la majorité sur une minorité ni sur aucune autre façon d'imposer son point de vue comme celle communément exercée par le pouvoir de ceux d'en haut, mais sur le respect mutuel entre toutes les composantes du peuple.
Dans un tel lieu, nous nous proposons donc de lutter pour construire, consolider et relier des autonomies, estimant que l'autonomie des peuples, des groupes, des collectifs, des individus, des organisations et autres constitue une alternative réelle d'opposition au système de gouvernement autoritaire actuel. L'autonomie entendue comme la construction d'autres réalités montrant qu'il existe une autre manière de changer les choses à la source, dans laquelle les peuples décident de leurs propres modes de vie, et non au sein d'institutions qui ne font que réformer l'oppression et la répression, comme le font les partis politiques qui produisent des tyrans, homme ou femme, des caciques et un autoritarisme chez tous ceux et toutes celles qui y accèdent à travers des postes qui leur confèrent une quelconque autorité. Aussi les activités de VOCAL ne se limiteront-elles pas aux périodes électorales, attendu qu'avec ou sans des élections l'autonomie fait son chemin à travers l'organisation et le projet d'une autre société possible.
Au stade actuel du mouvement, tandis qu'une période électorale qui a été présentée comme une possibilité de faire triompher notre lutte est sur le point de commencer, nous pensons qu'il est indispensable que tous les enfants, toutes les femmes, tous les hommes, tous les peuples et régions de notre État qui ont participé d'une manière ou d'une autre à ce grand mouvement, pour revendiquer précisément l'indépendance et l'autonomie vis-à-vis des partis politiques, viennent avec nous renforcer, auprès de tous ceux qui partagent ce point de vue, l'idée que cette circonstance n'est qu'une étape, qu'il nous faudra sortir de cette période d'élection plus fort(e)s et plus mûr(e)s afin d'affronter les assauts des gouvernements du pouvoir au service des intérêts des maîtres de l'argent, les véritables responsables du malheur des peuples, comme Ulises Ruiz Ortiz et Felipe Calderón, notamment.
L'assemblée de l'Oaxaca de l'APPO qui s'est tenue les 10 et 11 février 2007 a disposé que l'APPO en tant que mouvement ne participera pas à ces élections, décision qui respecte les principes de l'APPO, en ce sens qu'elle ne se veut pas un parti politique. Il a été convenu que les organisations qui le souhaiteraient seront libres de participer en toute autonomie à ces élections, mais qu'aucun candidat ne pourra utiliser ni le nom ni les liens unissant son organisation avec l'APPO pour faire campagne et que les conseillers [de l'APPO] qui participeraient au processus électoral devront démissionner de façon irrévocable dès l'instant ou leur candidature serait acceptée sur les listes d'un parti politique – la participation de l'APPO à ces élections se limitant exclusivement à appeler à un vote de sanction contre les candidats d'Ulises Ruiz Ortiz et des ses alliés.
Nous avons pu constater que, au sein de l'APPO comme en dehors, la population mobilisée partage cette idée de la nécessité de conserver l'indépendance et l'autonomie de notre mouvement vis-à-vis des partis politiques, l'histoire de notre pays ayant largement démontré qu'à différents moments et dans différentes circonstances les partis politiques ont réprimé et censuré les intérêts légitimes du peuple. Dans le cadre des accords convenus, l'APPO a jugé qu'elle ne croyait pas que les partis politiques répondent aux besoins du peuple et a réaffirmé que la lutte du peuple de l'Oaxaca va au-delà de tout processus électoral.
Les peuples de l'Oaxaca sont conscients de l'importance de leur mobilisation et de leur organisation comme principal outil pour obtenir la victoire. C'est pourquoi nous croyons qu'il faut continuer à se mobiliser dans l'ensemble de l'Oaxaca et faire tous et toutes cause commune, rassembler les différentes manières de concevoir la société et la résistance, et que, de par sa diversité et son caractère pluriel, VOCAL est un appel à stimuler encore cette lutte.
La fraternité entre enfants, femmes, hommes et le peuple en général ne se réalise pas dans une marche ou dans un meeting, où la différence entre ceux qui prennent toujours la parole et ceux qui ne font qu'écouter existe nécessairement, non, ce lien doit se créer au sein des quartiers, des écoles, des villages, des communautés et des régions, par le débat et par l'action, et c'est au peuple mobilisé qu'il revient d'entamer un tel dialogue, et à l'APPO, aux collectifs et aux personnes qui participent en toute indépendance à cette lutte, mais c'est surtout du peuple qu'émane l'organisation et la possibilité de représention de cette lutte.
Nous voulons ce qui aujourd'hui aux yeux des gouvernements et des patrons criminels et exploiteurs constitue le pire des délits : nous voulons la justice et la dignité, nous voulons ne plus avoir peur d'exprimer nos idées, nous voulons ne plus être victimes de ségrégation pour la couleur de notre peau, notre pensée, notre langue ou nos goûts, nous voulons des aliments sains que nous obtenons par notre travail et ne plus être volés par les riches, nous voulons employer notre énergie créatrice pour le bien commun, nous voulons la libération de nos prisonniers et de nos prisonnières. Nous voulons la liberté de choisir notre façon de vivre et que personne ne nous impose ses mensonges, sa violence et sa manière de gouverner, et nous savons que ce que nous voulons est correct et juste.
Nous voudrions devenir frères et sœurs dans cette lutte par en bas, avec tous ceux et toutes celles qui, à la ville ou dans l'arrière-pays, ont comme nous opposé résistance à tous les maîtres du pouvoir et de l'argent, nous voulons jumeler nos expériences de lutte avec le moindre recoin de notre État, nous voulons dialoguer et échanger avec toutes les femmes et tous les hommes de l'Oaxaca.
Les Afro-Mexicain(e)s, Zapotèques, Mixtèques, Huaves, Triquis, Chatines, Chontales, Mixes, Mazatèques, Chinantèques, Cuicatèques, Ixcatèques, Choches, Nahuas, Amuzgos, Zoques, Tacuates, et des habitant(e)s des "colonias", des barricadiers et barricadières, des enfants, des instituteurs et institutrices, des ouvriers et ouvrières, des paysan(ne)s, des migrant(e)s, des émigrant(e)s, des jeunes, des étudiant(e)s, des homosexuel(le)s, des bisexuel(le)s, des lesbiennes. Tous ceux et toutes celles qui se battent pour un monde meilleur.
Traduit par Ángel Caído.
Paria
Posté le 22-03-2007 à 13:40:53
Oaxaca de Juárez, État d'Oaxaca, le 16 mars 2007.
Au peuple de l'Oaxaca. Aux peuples du monde,
Avec ce bulletin, nous voulons dénoncer et éclaircir les faits survenus le 15 mars, Journée internationale de protestation contre la brutalité policière. Dans le cadre des journées contre la brutalité policière organisées par "Voces Oaxaqueñas Construyendo Autonomía y Libertad" (VOCAL), hier, à 16 heures, un meeting avait lieu devant le siège de la Commission des droits de l'homme de l'Oaxaca. Ce rassemblement a aussitôt été décrié par Mme Jennifer Aguilar, qui, sans consultation préalable des bases de l'APPO, a désavoué la manifestation et a pris à partie organisateurs et participants, qu'elle a qualifiés de troupes de choc du gouvernement, de partisans du PRI, de nervis, de groupes violents et d'infiltrés cherchant à diviser le mouvement actuel dans l'Oaxaca.
Sachant que la grande diversité d'opinions et de pensée qui existe au sein de l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca (APPO) fait qu'il est peu probable que cette assemblée désavoue cette forme de protestation, la situation nous a énormément surpris. Les déclarations de Mme Jennifer Aguilar ont entraîné l'intervention musclée des forces de l'ordre commandées par Aristeo López, chef de la police municipale, qui a été vu inspectant en plusieurs occasions les lieux en cyclomoteur. Cette intervention totalement disproportionnée était visiblement prête à être déclenchée en vue de réprimer la manifestation, la police encerclant le lieu du rassemblement, et a débouché, pendant plus d'une demi-heure, sur la persécution dans les rues de la ville de personnes qui abandonnaient les lieux.
Les déclarations de Mme Jennifer Aguilar constituent une tentative manifeste de criminalisation de la jeunesse et de tous ceux qui cherchent la manière de changer les choses sans passer par des élections et des structures hiérarchiques autoritaires qui essaient de manipuler le mouvement actuel. Nous répétons que VOCAL est un regroupement qui veut écouter et jumeler les peuples en résistance, les communautés traditionnelles et autres mouvements autonomes dans l'Oaxaca, à travers le travail sur place, l'échange entre les peuples et la manifestation pacifique de nos idées. Comme le démontrent les activités culturelles – ateliers de peinture pour les enfants et les jeunes, tags, musique, danse folklorique, fresques murales, projection de la vidéo "Pesadilla Azul" (Cauchemar bleu), théâtre de rue, performance et veillée populaire – que nous avons organisées avec le peuple de Zaachila et avec sa radio communautaire, le 14 mars.
La grandeur et la légitimité du mouvement populaire se doivent à la participation honnête et spontanée du peuple qui s'organise de lui-même et prend l'initiative des protestations, comme on a pu le voir avec la participation radicale du peuple lors des occupations et de la levée de barricades, de sorte qu'aucune organisation ni aucun individu autoritaires prônant les structures hiérarchiques ne peut monopoliser la lutte et l'insatisfaction sociale, car on court en outre le risque que ces organisations justifient aux yeux du gouvernement la répression contre celles et ceux d'Oaxaca qui ont choisi de lutter de manière autonome et indépendante.
Nous demandons à tous les peuples de l'Oaxaca, du Mexique et du monde de soutenir et de montrer leur solidarité avec l'espace autonome de lutte qu'est VOCAL et au sein duquel nous recherchons, de manière fraternelle et coude à coude avec l'ensemble du peuple de l'Oaxaca, à faire destituer et châtier le tyran Ulises Ruiz Ortiz et à réaliser un changement profond et véritable pour le bien de nos peuples de l'Oaxaca, dans le respect de l'autonomie et des us et coutumes des peuples et des personnes.
Voces Oaxaqueñas Construyendo Autonomía y Libertad (VOCAL) vocal@riseup.net
Traduit par Ángel Caído.
Paria
Posté le 25-03-2007 à 21:56:28
Violente répression contre un campement de l’appo a mexico
Rappelons que la mairie de mexico est dirigée par un maire du Prd de manuel lopez obrador un soit disant parti de gauche
Dans la nuit du 18 au 19 mars, environ 400 policiers de la ville de Mexico (PRD, centre gauche), ont procédé à l’expulsion du campement de la APPO (Assemblée populaire des peuples de Oaxaca), situé depuis plus de cinq mois sur une des places du centre historique de la capitale. Ces occupants réclament la démission d’Ulises Ruiz, gouverneur de l’état de Oaxaca, la libération des prisonniers politiques et que la lumière soit faite sur la répression terrible qui s’est abattue sur Oaxaca.
Une soixantaine de personnes environ – dont beaucoup de femmes et d’enfants de la communauté Triquis – était présents lorsque l’opération policière a débuté. Face à un tel déséquilibre des forces, les occupants n’ont pu que rester impuissants. Alors que la police déployait ses troupes, des hommes armés de barres et de petites machettes sont entrés sur la place occupée et ont saccagé violemment le campement, détruisant systématiquement les affaires des membres de la APPO en proférant des injures racistes. Il est clair que les autorités locales ont eu recours à des hommes de main pour faire le « sale boulot » à la place de la police. Lorsque ces mercenaires ont discrètement quitté les lieux, ils ont été vu à bord d’une camionnette blanche appartenant à la municipalité.
Après que le secteur ait été bouclé pour empêcher à quiconque d’entrer et d’assister à l’expulsion musclée, les éboueurs de la ville sont arrivés avec d’immenses camions bennes pour « nettoyer » les lieux. La majorité des affaires a été saisie pour être détruite (des tentes, des ordinateurs, du matériel d’artisanat, des matelas, etc).
Cantonnés à l’extérieur du périmètre contrôlé par la police, les membres de la APPO sont resté unis et ont montré leur détermination a toute épreuve. Malgré le froid et la fatigue ils ont tenu toute la nuit tête à la police en criant des slogans et en allumant à plusieurs reprises des feux. Dans la nuit, deux personnes au moins ont été blessés lors d’accrochages : un policier et Gustavo Sosa (frère de Flavio Sosa, un des leaders de la APPO toujours en prison).
Lundi matin 19 mars, ni la police, ni les membres de la APPO ne s’étaient retirés du lieu. La APPO a annoncé son intention de réoccuper les lieux et de continuer à lutter.
Une politique de « nettoyage » du centre historique.
Il y a 5 mois, l’installation du campement sur cette place où se trouve la chambre des sénateurs s’est faite avec l’accord des autorités municipales de Mexico. Or le prétexte utilisé aujourd’hui pour déloger le campement est qu’il est devenu un repère de vendeurs ambulants. Ce qui est évidemment faux. Cette décision d’expulsion n’est rien d’autre qu’un geste politique fort visant à mettre un terme définitif à la révolte des peuples de Oaxaca. La position extrêmement ferme adoptée par la municipalité dite de gauche à l’encontre de l’APPO doit être replacée dans le contexte d’une politique plus globale visant à « nettoyer » le centre historique de la ville de Mexico. Officiellement, il s’agit de lutter contre la contrebande et le narcotrafic. Officieusement, il existe une volonté claire de vider et de nettoyer le centre ville de ces pauvres, de ces commerçants ambulants et des gens qui luttent. En lieu et place de toute cette population qui survit grâce aux revenus de l’économie informelle, Ebrard, le gouverneur de Mexico veut permettre l’implantation de commerces normalisés (les grandes chaînes de magasins qui poussent comme des champignons à Mexico). Slim, puissant homme d’affaire mexicain et connu comme l’un des hommes les plus riches du monde, a d’ores et déjà annoncé qu’il souhaitait partir à la conquête du centre historique.
Pour mener à bien leur funeste projet, les autorités locales devront faire face à la fronde des dizaines de milliers de petits commerçants qui peuplent le centre ville, bien déterminés à ne pas s’en laisser chasser. Le quartier populaire de Tepito, considéré comme le quartier le plus chaud du Mexique, haut lieu du narcotrafic et de la contrebande est déjà entré en résistance après que les expropriations aient commencé le mois dernier. Les autorités et la police sont déjà sur le pied de guerre et savent que le petit peuple de Tepito s’organise et est prêt à résister. Une manifestation des habitants du quartier est prévue jeudi 23 mars contre les expropriations et pour la défense de leur lieu de vie et de leur dignité. Affaire à suivre donc.
Paria
Posté le 04-04-2007 à 20:57:56
Notes d'information sur Oaxaca et le Mexique
Oaxaca, 1er avril 2007.
Amparo pour les frères Sosa
L'actualité strictement oaxaquègne est plutôt calme, ce qui va nous permettre de développer un peu des aspects qui lui sont liés indirectement.
Les frères Sosa, Flavio et Erick, viennent de bénéficier d'un amparo ("protection"), pour l'un des procès contre eux. Il s'agit d'une sorte d'habeas corpus, reconnaissant qu'il n'y a pas de charges suffisantes pour leur maintien en prison. Les juges reconnaissent ainsi qu'il n'y a pas de preuves qu'ils aient volé un camion-citerne et une excavatrice (on aura compris qu'il s'agit de matériel réquisitionné par la population pour former les barricades). Erick pourrait sortir bientôt. Flavio, qui a été l'un des porte-parole les plus visibles de l'APPO, a encore cinq autres procès sur les reins, mais son avocat espère obtenir sa libération dans les dix jours. Excès d'optimisme ?
Ah oui, autre chose : deux membres du PRI viennent d'être arrêtés ! Il s'agit du maire de San Bartolomé Ayautla et d'un dirigeant de la 59e section du SNTE, la section jaune montée de toutes pièces par Elba Ester Gordillo pour tenter de faire contrepoids à la 22e section oppositionnelle. Les priistes occupent encore indûment 70 écoles, où ils font faire la classe par des gens non qualifiés. Selon les accords signés en octobre, ils auraient dû les rendre aux vrais instit's, mais ils s'y refusent. Dans leur élan, ils avaient séquestré le responsable à l'éducation du gouvernement d'Ulises Ruiz. Là, ça faisait carrément désordre, d'où l'arrestation. Bah, ils seront sûrement bientôt en liberté…
Retraites : la mobilisation continue
Le système de sécurité sociale mexicain, assez proche du nôtre, même s'il laissait de côté les millions de travailleurs du secteur informel, a été souvent présenté comme une des plus grandes conquêtes de la Révolution. Cela explique sans doute l'attachement que lui manifestent les Mexicains et la vigueur des protestations face à sa démolition par la récente loi de "réforme" de l'ISSSTE (Institut de Sécurité et Services Sociaux des Travailleurs de l'Etat) adoptée à la sauvette cette semaine.
La journée de protestation du 27 mars a été des plus massives, aussi bien à Mexico que dans tous les Etats de la Fédération. Si les enseignants, à l'appel de la Coordination Nationale des Travailleurs de l'Education (CNTE, qui regroupe les sections oppositionnelles à la direction du SNTE) étaient venus par gros bataillons, ils n'étaient pas seuls, loin de là. Les travailleurs de la Santé étaient aussi descendus en masse, de même que d'autres secteurs, regroupés dans l'Union Nationale des Travailleurs (UNT), à laquelle appartient par exemple le combatif Syndicat Mexicain des Electriciens (SME).
A l'issue de la manifestation de la capitale a été plébiscitée par la foule la mise sur pied d'une Coordination Nationale de Grève. Il semble bien qu'on s'oriente vers une grève nationale illimitée qui commencerait le 2 mai. Ce serait une grande première au Mexique : le verrouillage mis en place par le PRI grâce à son système de syndicats charros à la botte du pouvoir l'avait jusqu'ici toujours empêché.
Mais certains travailleurs ont préféré battre le fer tant qu'il était chaud. Les protestations, avec arrêts de travail, ont continué à peu près toute la semaine. Dans l'Etat de Guerrero, à l'appel de l'Assemblée Populaire des Peuples du Guerrero (APPG), ils ont même envahi le Congrès local. Sans qu'on puisse en jurer — on ne connaît pas par cœur la liste des sections oppositionnelles du SNTE — il semble bien que ces actions soient aussi le fait de sections en principe tenues en main par la Gordillo, mais qui cette fois se rebellent. Chiapas, Oaxaca, Guerrero, Michoacán, Zacatecas, Chihuahua, Durango, Tlaxcala, Hidalgo… La liste des Etats mobilisés est longue. Dans le Zacatecas, 40 % des écoles publiques ont déjà entamé un "arrêt de travail indéfini".
Les néo-cons désignent leurs ennemis : les Indiens.
Le 27 mars dernier, José María Aznar, ex-chef du gouvernement espagnol de 1996 à 2004 et membre du Parti Populaire (PP) fondé par l'ancien ministre de Franco Fraga Iribarne, a présenté à Madrid son (petit) livre intitulé Amérique Latine, un agenda de liberté. Il y expose la doctrine que, selon lui, doivent suivre les dirigeants latino-américains proches de ses idées, ceux qu'il appelle fièrement — en espagnol dans le texte — los "neocon". Remarquons que Manuel Espino, chef du Parti d'Action Nationale (PAN) du président mexicain FeCal (Felipe Calderón), a participé à l'élaboration.
La prétention d'Aznar à se poser en maître à penser peut faire sourire : il est de notoriété publique que, sur le plan intellectuel, ce n'est pas une flèche… Cependant, si on se souvient que le leader mondial de la droite dure est un certain G.W. Bush, pourquoi pas Aznar, après tout !
Le "livre", en fait une grosse brochure de 98 pages, met en garde contre la menace permanente des "ennemis de l'Occident". Ces nouveaux ennemis, puisque la gauche est, selon lui, hors course depuis la chute du mur de Berlin, sont au nombre de trois : "l'islamisme djihadiste", "l'altermondialisme" et "les différentes manifestations d'indigénisme" ; et ils "font partie d'une alliance diffuse, mais opérationnelle".
Il y a là quelque chose de nouveau. Se donnant pour héritier du libéralisme politique du XIXe siècle, le néolibéralisme n'avait jamais osé, jusqu'ici, s'en prendre directement et nommément au mouvement indigène. Bolívar ne voulait-il pas émanciper les Indiens ? Il est vrai que les mesures qu'il avait prises à l'époque dans ce sens avaient eu des résultats allant du nul au catastrophique, car elles ne tenaient pas compte – involontairement ? – des traditions communautaires indiennes. Il n'empêche qu'aujourd'hui, dénoncer ouvertement le mouvement irrésistible des peuples natifs vers la reconnaissance de leur égalité et de leurs droits, notamment à s'autogouverner, est plutôt gonflé. Cela marque un retour en arrière d'au moins quinze ans, quand, à l'occasion du V° centenaire du premier voyage de Christophe Colomb, l'expression "découverte de l'Amérique" (qui niait jusqu'à l'existence des Indiens) avait été remplacée par "rencontre des deux mondes". C'est aussi un clair aveu de racisme au nom de la "supériorité de l'Occident" : cela signifie, crûment, qu'il y a des cultures qui valent moins que d'autres, et qu'elles doivent pour cela se soumettre aux cultures "supérieures".
Mais au-delà du caractère scandaleux et brutal de telles affirmations, il semble au rédacteur de ces lignes qu'Aznar ne se trompe pas d'ennemi.
Quand nous défendons, en Europe, l'idée qu'un autre monde est possible (ou que d'autres mondes sont possibles), nous invitons nos concitoyens à imaginer, à rêver à quelque chose qui n'a encore jamais existé ou presque. D'où le scepticisme si fréquent : "ça ne marchera jamais !".
Quand les Indiens affirment qu'un autre monde est possible, ils ne demandent pas d'imaginer, ils démontrent : non seulement il est possible, mais il existe, regardez-le, c'est le nôtre.
Les Indiens sont aujourd'hui, sur le plan mondial, les seuls à pouvoir fournir à l'échelle de masse un contre-modèle au capitalisme : celui d'un monde fondé sur la solidarité, la coopération, la démocratie directe, le respect de l'environnement, l'usage raisonné et raisonnable des ressources naturelles… Cela n'est pas vrai seulement au Chiapas et à Oaxaca, on le voit aussi à plus petite échelle dans bien d'autres Etats du Mexique (cas d'Atenco, par exemple), et également à plus grande échelle en Bolivie et en Equateur. Des processus allant dans le même sens ont commencé ailleurs, même si on en parle peu : Pérou, Colombie, Guatemala, sud du Chili, Nicaragua…
Aznar a donc raison quand il voit dans "l'indigénisme" le pire ennemi du capitalisme. Son existence même est sans aucun doute ce qui se fait aujourd'hui de plus subversif. D'autant que les mouvements indiens comprennent de plus en plus que ce monde qui est le leur ne peut exister à côté du monde capitaliste, car celui-ci prétend à la domination globale et veut donc étouffer tous les autres.
En même temps, Aznar menace clairement : en mettant dans le même sac altermondialisme, indigénisme et terrorisme, il annonce que c'est fini de rire. Il ne s'agit plus de "démocratie", mais "d'état de droit", nuance ! Or, dans le droit actuel, il est une valeur qui écrase toutes les autres : la propriété. C'est justement celle que les Indiens rejettent en premier. Tous ceux qui mettent en péril l'état de droit doivent s'attendre aux foudres divines de l'Etat tout court, cette "bande d'hommes armés au service du capital", comme disait l'autre…
Paria
Posté le 25-06-2007 à 20:46:24
OAXACA, UN AN PLUS TARD
LE MIROIR DU MEXIQUE
"La guerre, c'est la paix, la liberté, c'est l'esclavage, l'ignorance, c'est la force." George Orwell ("1984" )
"La paix règne à Oaxaca et on et respire un climat de tranquillité." Ulises Ruiz, le 10 mai 2007.
Un an après le conflit des enseignants qui a éclaté dans l'Oaxaca, cet État est le miroir du Mexique. La droitisation que connaît le pays avance à pas de géant, mais la rébellion aussi, qui cherche, et parfois trouve, de nouveaux chemins. La pauvreté dans laquelle vivent environ 67 % des Oaxaquègnes (2 349 570 habitants, sur un total de 3 506 821, selon les données officielles) et l'inégalité sociale "sont deux éléments qui les empêchent de participer activement à la société", affirme la Banque mondiale (1).
Creuset de cultures indigènes et métisses, les dernières années ont vu Oaxaca, la capitale de l'État du même nom, se transformer en une immense vitrine pour touristes qui rapporte beaucoup d'argent aux investisseurs locaux, mexicains et étrangers, mais très peu au commun des habitants. Avec l'arrivée d'Ulises Ruiz Ortiz (URO) au poste de gouverneur, fin 2004, cette situation a encore empiré, inaugurant un nouveau cycle autoritaire caractérisé par l'emploi arbitraire des deniers publics, l'augmentation du narcotrafic, la destruction du patrimoine historique et naturel, la persécution des moyens de communication indépendants et la répression sous toutes ses formes. Brute maladroite et sans pitié, le gouverneur Ulises Ruiz Ortiz doit son poste non pas au verdict des urnes mais à la fraude électorale, comme le président Felipe Calderón.
LES GUERRES D'URO
Loin d'être un reliquat du passé, le despotisme qui règne dans l'Oaxaca résume et à la fois révèle les contradictions aiguës du Mexique d'aujourd'hui. Certains vont jusqu'à évoquer à ce sujet un processus larvé de fascisation (2). Sans entrer dans un tel débat, le fait est que la droite archaïque et oligarchique actuellement au pouvoir a entrepris une modernisation agressive et discriminatoire, qui va de pair avec l'émergence d'une vague de subversion sociale inédite qui la met en péril. Cette droite ne recule devant rien. Elle ne prétend à aucune légitimité et n'a que faire de la concertation, elle cherche uniquement à s'enrichir et à perpétuer sa propre existence. Dans l'Oaxaca et ailleurs, son programme reste inchangé : démanteler les derniers vestiges de l'État du contrat social, soumettre le pays aux nécessités du capital multinational et en finir avec tout ce qui ressemble de près ou de loin à la gauche. Les nuances politiques et les guerres intestines – car il y en a – importent donc peu puisque, dès que le besoin s'en fait sentir, de telles disputes n'empêchent pas cette droite de rallier non seulement le PAN, mais une bonne part du PRI et même de ladite gauche institutionnelle.
Le maintien d'URO dans ses fonctions et l'appui qu'il a reçu de la part de deux exécutifs fédéraux consécutifs (celui de Vicente Fox et celui de Felipe Calderón) ne tranchent en rien sur le panorama mexicain actuel : les premiers mois de la nouvelle administration du PAN se caractérisent en effet par la militarisation des principales régions indigènes du pays, par les nombreux assassinats perpétrés par l'armée et par la demande effectuée par le gouvernement mexicain auprès de son homologue nord-américain de lancer au Mexique un "Plan Colombie", sous le prétexte de lutter contre le narcotrafic (3).
Quant à l'arbitraire dont fait preuve le gouverneur de l'Oaxaca, un avant-goût en avait été donné dès le lancement de sa campagne électorale. Le 27 juillet 2004, en effet, lors d'un meeting de propagande tenu à Huautla de Jiménez, ses sbires ont battu à mort Serafín García, un enseignant, dont le seul délit était de s'opposer à sa candidature. Comme beaucoup d'autres, ce crime est resté impuni (4).
Le jour des élections, le 1er août, par trois fois le dépouillement du scrutin s'écroula comme un château de cartes, dans le chaos le plus complet, aussi "Todos Somos Oaxaca" ("Nous sommes tous Oaxaca"), une coalition dirigée par Gabino Cué, demanda-t-elle officiellement l'annulation de la "victoire" d'URO – surnommé le "mapache mayor" (5) ("le Grand Mapache"). En pure perte : les jeux étaient faits et tout semble indiquer que le poste de gouverneur constituait le paiement de la dette contractée avec la guerre sale qu'URO avait supervisée quelques années auparavant au Tabasco contre Andrés Manuel López Obrador, ennemi juré de Roberto Madrazo, l'aspirant du PRI à la candidature à l'élection présidentielle.
Quoi qu'il en soit, la première action du nouveau gouverneur fut de déclencher une autre guerre, cette fois contre un journal local indépendant, "Noticias de Oaxaca", jugé coupable du crime de dissidence. Le 17 juin 2005, des nervis menés par David Aguilar, député affilié au PRI et "dirigeant syndical", faisaient irruption dans les locaux de ce quotidien. Devant le refus de la rédaction de se joindre à une prétendue "grève", les assaillants ont retenu sur place pendant plus d'un mois les 31 journalistes qui s'y trouvaient (6).
Malgré tout, "Noticias de Oaxaca" continua de paraître car les otages sont parvenus à envoyer des informations par Internet et le journal put être imprimé à Tuxtepec, à plus de 200 kilomètres d'Oaxaca. Quand la police de Ruiz Ortiz voulut intercepter les camionnettes qui transportaient les imprimés, le propriétaire du journal, Ericel Gómez, loua un petit avion pour que les vendeurs de rue puissent aller le chercher directement à l'aéroport, avec l'aide du syndicat des enseignants. La bataille ne s'acheva pas là, le tirage fut considérablement réduit mais "Noticias de Oaxaca" réussit finalement à survivre à la persécution des autorités. Du coup, le journal s'est visiblement radicalisé et il est devenu le quotidien le plus vendu de l'État de l'Oaxaca. URO essuyait ainsi sa première défaite.
Un autre signe avant-coureur est l'attaque qu'a subie Santiago Xanica, une communauté indigène zapotèque en pleine Sierra Sur, en lutte depuis des années pour faire respecter ses droits collectifs. En décembre 2004, quelques jours seulement après la prise de fonctions d'URO, l'armée a commencé à patrouiller dans la localité et, le 15 janvier 2005, la police préventive de l'Oaxaca tira sur environ 80 indigènes qu'elle prit dans un feu croisé alors qu'ils effectuaient des travaux communautaires aux abords du cimetière. Abraham Ramírez Vázquez, dirigeant du Comité pour la défense des droits indigènes (Codedi), fut grièvement blessé lors de cette embuscade. Partant du principe que, au temps des assassins, ce sont les victimes qui sont coupables, ce combattant social fut arrêté sans autre forme de procès et croupit toujours à l'heure actuelle dans les geôles de la prison de Pochutla (7).
Peu après, URO s'est embarqué dans un réaménagement au coût exorbitant et néfaste, écologiquement parlant, du zócalo d'Oaxaca, la grand-place, travaux qui lui ont valu l'antipathie de la classe moyenne locale mais lui a permis d'engraisser substantiellement le compte en banque de ses proches.
Dès la fin mai 2006, on comptait déjà près de soixante-dix prisonniers politiques dans l'Oaxaca. N'étant pas satisfait, le gouverneur fit tirer sur la section 22 du Syndicat national des travailleurs de l'enseignement (SNTE), qui rassemble environ 70 000 membres et s'appuie sur une longue tradition de luttes indépendantes.
Depuis des années, à l'approche du Jour des instituteurs (le 15 mai), les enseignants installent un "plantón", un piquet de grève-rassemblement, dans le centre-ville d'Oaxaca, pour émettre leurs revendications. Les habitants s'en plaignent et ronchonnent mais leur refusent rarement leur sympathie. Catalyseurs de la conscience sociale, pleinement dévoués à leur travail et fins connaisseurs des réalités locales, ils jouissent d'un grand respect dans cet État du Mexique.
Cette année-là, ils exigeaient le réajustement de leur maigre salaire pour toucher ce qui est en vigueur dans le reste du pays, une revendication qui débordait donc le cadre de l'Oaxaca pour impliquer aussi les autorités fédérales. Cependant, au printemps 2006, toute négociation devint subitement impossible : URO menaça ouvertement les enseignants et essaya de monter l'une des fractions du mouvement contre l'autre, tandis que le gouvernement fédéral du PAN ne voulut rien savoir de cette affaire, pensant en profiter pour porter un coup sérieux au PRI.
Le "plantón" a commencé le 22 mai, sans provoquer de réponse particulière de la population. Encouragé par ce peu d'écho, le 14 juin, URO ordonna l'expulsion, comptant sur un effet surprise. À 4 h 50 du matin, appuyés par des hélicoptères lançant des grenades au gaz toxique, des agents de différents corps de police attaquèrent les manifestants, tirant sur les gens désarmés. Non contents de la panique causée parmi la population, les policiers ont cassé tout ce qui leur tombait sous la main, y compris le siège de Radio Plantón, la station de radio des enseignants. L'attaque s'est soldée par 200 blessés, sans compter un nombre indéterminé de disparus.
URO manifestait ainsi le talent qui est le sien pour répondre à l'insatisfaction sociale, comme l'avait fait Enrique Peña Nieto, gouverneur – du PRI, lui aussi – de l'État de Mexico, à Atenco, quelques semaines auparavant, avec la collaboration enthousiaste de l'exécutif fédéral du PAN (8). À la veille de l'élection présidentielle, le gouverneur de l'Oaxaca transmettait donc le message émis par son chef, Roberto Madrazo : le PRI est le parti de l'ordre. Dès cet instant, les élections étaient entachées de sang.
L'INCENDIE
Ce qui est arrivé ensuite montre à nouveau clairement que, quand les puissants se montrent trop avides, ils finissent par aller à l'encontre de leurs intérêts (9). La population, qui était restée passive jusque-là – si ce n'est ouvertement hostile –, changea totalement d'attitude et se précipita dans la rue pour se solidariser avec les enseignants.
Ces derniers, regroupés pour affronter les forces de l'ordre avec des pierres et des bâtons, étaient maintenant aidés par des universitaires, par des organisations sociales et par des habitants. En quelques heures, la foule enflammée reprit le zócalo et réinstalla le "plantón", au grand dépit d'Ulises Ruiz. Immédiatement, les instituteurs désavouèrent le gouverneur et exigent depuis lors sa démission, condition préalable et non négociable à une résolution de ce conflit salarial.
Le 16 juin, une gigantesque marche rassemblant près de 300 000 personnes démontra le poids social des enseignants. La population – étudiants, mères et pères de famille, travailleurs, fonctionnaires, et même commerçants – accueillait le cortège avec des applaudissements et quand quelqu'un a levé une banderole qui disait "À bas Ulises !", tout le monde a applaudi.
Au même moment, une manifestation de l'Union des communautés indigènes de la zone nord de l'Isthme (Ucizoni) avait lieu à Matías Romero, bloquant pendant plusieurs heures la route transisthmique. Ces deux événements annonçaient ce qui allait bientôt avoir lieu : les "mégamarches" à Oaxaca, la capitale, et la ramification du mouvement dans l'ensemble de l'État.
Le mouvement allait prendre un tour décisif avec la formation, le 18 juin, de l'Asamblea Popular del Pueblo de Oaxaca (APPO : Assemblée populaire du peuple de l'Oaxaca), qui rassembla, outre les instituteurs, quelque 350 organisations de toute sorte : syndicats, collectifs libertaires, vieux groupements de la gauche marxiste-léniniste, organisations citoyennes, indigènes, travailleurs, artistes, étudiants et individus sans affiliation à un parti.
L'APPO naissait donc sur l'initiative des instituteurs, dans l'idée de canaliser le soutien social vers leur mouvement de revendication, mais elle allait bien vite dépasser ce simple cadre. Le 20 juin, ses membres s'accordèrent sur la création d'une direction collégiale provisoire formée de trente personnes, dans le but de faire front commun "pour entamer une lutte prolongée jusqu'à obtenir la dissolution des pouvoirs, la destitution d'Ulises Ruiz Ortiz et l'instauration d'un pouvoir populaire" (10).
Bien que le terme de "pouvoir populaire" puisse faire grincer des dents, étant donné les expériences passées qu'il pourrait évoquer, il exprime la volonté de transformer les conditions de vie en établissant les bases d'une nouvelle relation entre société et gouvernement.
Rapidement, des commissions internes telles qu'une commission de presse, une commission des barricades et une commission de propagande ont été créées. "Nous avons commencé à constituer un réseau d'organisations et pour toute action envisagée la base devait être consultée, la base des instituteurs et celles de l'APPO elle-même (11)."
À ce stade, les revendications salariales et corporatives étaient désormais reléguées au second plan face à l'exigence du départ d'Ulises Ruiz, revendication qui posait à son tour une exigence de démocratisation.
Pour Gustavo Esteva, trois courants démocratiques distincts (12) ont convergé au sein de l'APPO. Le premier lutte pour une démocratie formelle : comment améliorer les conditions de représentation ; comment en finir avec les pièges et les fraudes du système électoral, éviter la manipulation des médias et garantir un fonctionnement des institutions digne d'un État de droit. Ces revendications sont très fortes dans l'Oaxaca et nettement présentes au sein de l'APPO. Un deuxième courant envisage une démocratie participative : soit le renforcement de l'initiative populaire, l'instauration de formes juridiques telles que le référendum et le plébiscite, la possibilité de révoquer tout mandat et l'accès à ce qui est appelé "budget participatif", autrement dit le fait que les travaux et services publics s'effectuent en consultant systématiquement les habitants et non pas de façon arbitraire. Le troisième, que l'on pourrait dénommer démocratie radicale, dit : nous n'avons nul besoin d'aucun pouvoir politique installé là-haut ; nous pouvons éventuellement avoir besoin de coordination à des fins administratives, mais rien de plus. Ce courant-là lutte pour une société dans laquelle la loi émane de l'autonomie individuelle et collective de tous les êtres humains. Il s'agit là d'un courant transversal qui s'inspire au Mexique des pratiques des peuples indigènes, mais aussi des luttes urbaines et de l'anarchisme.
Pour reprendre les paroles de David Venegas "El Alebrije" [figure chimérique multicolore, de bois ou de papier mâché peint dans l'artisanat populaire oaxaquègne], membre du conseil de l'APPO, incarcéré depuis le 13 avril 2007 à la prison d'Ixcotel, "[…] il est possible de vivre et de coexister dans un ordre social émanant de la volonté collective, et non pas imposé par un gouvernement étranger aux intérêts et aux besoins de nos peuples, un ordre social au sein duquel les valeurs dominantes […] sont la fraternité, la solidarité, la coopération et la défense communautaire et non plus un ordre social reposant sur la peur du châtiment, de l'autorité, du qu'en-dira-t-on ou de la prison (13)".
David Venegas se réfère ainsi à la volonté d'auto-organisation et d'autogouvernement des masses qui ont rejoint le mouvement et au désir de créer un monde nouveau à partir des entrailles du vieux monde. Outre que de telles aspirations expliquent le débordement des syndicats et des organisations marxistes-léninistes qui a eu lieu, elles continuent également de constituer la meilleure garantie pour que le danger de fascisation se heurte à une barrière infranchissable.
Loin d'être extrémiste, la "démocratie radicale" est une position réaliste, en ce sens qu'elle s'appuie sur les faits. Elle n'est pas non plus "partisane", attendu qu'elle ne s'identifie à aucune organisation en particulier. Elle n'en est pas moins consciente de ne pas être une position dominante dans l'ensemble du pays. Au Mexique, il existe une caricature de démocratie formelle et un soupçon de démocratie participative, tandis que la démocratie radicale s'exprime notamment au sein des communautés indigènes, chez les zapatistes et, en tant qu'aspiration, dans certaines luttes urbaines. "Donc, conclut Esteva, en ce qui nous concerne, nous coexistons avec les deux premiers courants, parce que nous vivons au Mexique. Nous ne prétendons pas nous séparer du Mexique. C'est là que nous sommes et nous allons accepter certains aspects de la démocratie formelle, mais nous allons tenter de faire les choses à notre façon."
LA FÊTE
Fin juin 2006, au sein de l'APPO, c'est non seulement une multiplicité d'organisations qui allaient converger, mais aussi des manières différentes de concevoir les choses, une pluralité d'individus et de sensibilités qui renvoient d'une certaine façon à la vieille tradition libertaire du magonisme, encore bien vivante dans l'Oaxaca.
À mesure que l'indignation augmentait, le mouvement gagnait en force, en créativité et en richesse. À l'élection présidentielle du 2 juillet, l'APPO prôna un vote de désaveu contre Ulises Ruiz. Même si beaucoup de membres se sont prononcés clairement en faveur de l'abstention – et malgré les habituelles manipulations et subterfuges –, le résultat a été sans appel : Andrés Manuel López Obrador remporta le scrutin avec une très large majorité et le PRI fut relégué en troisième position, du jamais vu dans cet État.
La suite des événements forme une histoire très controversée qui reste à raconter dans le détail, nous n'en retiendrons ici que quelques temps forts. Dès le début, l'APPO s'inspira des pratiques démocratiques des Zapotèques, des Mixtèques, des Mixes, des Amuzgos et autres peuples aborigènes. D'où le changement opéré dans son nom – quelque peu anachronique –, qui passa d'"Assemblée populaire du peuple" (au singulier) à celui d'"Assemblée populaire des peuples" (au pluriel), ce qui vise plus d'un objectif. En effet, l'idée d'"assemblée" se référant aux pratiques autogestionnaires qui continuent d'exister dans 80 pour cent des 570 communes de l'Oaxaca, il fallait donc aussi relever le fait que ces assemblées possèdent des expressions nombreuses et variées.
Oaxaca, la capitale de l'État, est elle-même, entre autres, une métropole indigène, dont plusieurs des colonias, les quartiers, sont essentiellement habitées par des migrants qui vont et viennent entre leurs villages d'origine et la ville. Un grand nombre d'entre eux ont rejoint les protestations ; certains étaient instituteurs, mais la plupart étaient des artisans et des vendeurs ambulants (14). Apprenant ce qui se passait, les communautés indigènes rejoignirent également le mouvement, auquel elles ont apporté leur immense expérience et la liste de leurs innombrables griefs : misère, oppression, marginalisation, caciquisme, spoliation, oubli…
Dans le même temps, des jeunes de la ville dont l'identité collective se construit dans les quartiers, dans leur musique, dans l'habillement et dans l'art ont accouru eux aussi. "[…] des groupes exclus et marginalisés, et pas seulement par le gouvernement, tels que les prostitué(e)s, les homosexuels, les lesbiennes et autres amours, qui sont venus participer, quoique de manière réduite", parvenant ainsi à ce que "leurs propres griefs s'ajoutent au cri collectif de justice et de liberté pour tous et toutes" (15).
De juin à octobre 2006, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue au cours d'une douzaine de "mégamarches" de proportions absolument inouïes. Ensemble, elles ont forgé une lutte plurielle au sein de laquelle plusieurs secteurs de la société ont appris à coexister, sans renoncer pour autant à leurs différences et à leurs particularités. Ensemble, elles ont relégué Ulises Ruiz à la clandestinité, éclipsant dans les faits tous les pouvoirs institués. Ensemble, elles se sont emparées des administrations, elles ont créé des organes de gouvernement autonome et fait administrer la justice par "l'Honorable Corps des Topiles", milice populaire qui s'inspire de la tradition indigène (16).
Ce ne fut pas un mouvement de classe au sens traditionnel, la classe ouvrière étant quasi inexistante dans l'Oaxaca (17). À la rigueur, un mouvement de mouvements. Des gens brandissant des drapeaux avec une faucille et un marteau marchaient à côté des couleurs de la Vierge de Guadalupe et du fanion du A cerclé de l'anarchie, mais un plus grand nombre s'identifiaient par leur appartenance territoriale : quartier, colonia ou communauté.
Ce ne fut pas non plus uniquement un mouvement local : "Ce que nous entreprenons aujourd'hui existe aussi grâce à ce qui s'est fait en Équateur, au Brésil et en Argentine. Nous avons suivi avec intérêt tout ce qui a eu lieu en Amérique latine, mais aussi aux Etats-Unis, avec nos compañeros émigrés (18)."
Bien que les médias n'aient pas tardé à dénicher quelqu'un à qui faire porter le chapeau, comme Flavio Sosa, par exemple, l'APPO n'a pas non plus été un mouvement de leaders. Lors d'une interview que j'ai réalisée quelques jours avant qu'il ne soit arrêté, Flavio Sosa lui-même démentait le rôle qu'on lui attribuait : "Quand on a commencé à entendre cette histoire, quelqu'un a aussitôt fait une affiche qui disait "ce mouvement n'est pas un mouvement avec des dirigeants, c'est un mouvement des bases", et l'a signé comme groupe. Tout de suite après, des petits malins ont ajouté au-dessous, à la main : "ce n'est pas un mouvement de dirigeants ; et pas non plus de groupes" (19)."
Ce fut encore moins un mouvement qui cherchait à s'emparer du pouvoir, en dépit des délires staliniens de certains des participants. C'est ce qu'indique clairement, par exemple, un bombage que l'on pouvait lire vers la fin octobre 2006 près de la rue Tinoco y Palacios, dans le centre historique d'Oaxaca : "Ils veulent nous obliger à gouverner, nous n'allons pas tomber dans cette provocation." Qu'est-ce que cela signifie ? Gustavo Esteva répond pour nous : "Ça veut dire que ça ne nous intéresse pas de s'emparer de ce gouvernement ; ça veut dire que ce gouvernement est une structure de domination qui sert à contrôler les gens et que nous ne voulons pas avoir une telle fonction (20)."
Confrontés aux atrocités commises par URO, les gens ont entamé un processus innovateur d'auto-organisation et, pendant de longs mois, Oaxaca a connu cette expérience singulière d'une vie sans gouvernement et sans bureaucratie, ouverte au dialogue et à l'innovation. La sagesse collective a su s'imposer pacifiquement aux "convois de la mort", aux disparitions forcées et aux exactions amplement dénoncées, preuves à l'appui, par des organismes de protection des droits humains fondamentaux mexicains et étrangers.
Comme cela se passe dans une authentique révolution sociale, beaucoup de gens ont découvert dans le cours de l'action des capacités qu'ils ignoraient posséder. La participation des femmes fut très intense. Certaines d'entre elles, qui avaient pourtant voté pour le PRI, ont acquis une nouvelle conscience en participant au mouvement. L'une de ces femmes, très âgée, agissant complètement seule et armée de sa seule dignité rebelle, s'empara d'un autobus pour le mettre au service de la cause. Et c'est un collectif de femmes qui a fait fonctionner la télévision vingt jours durant, démontrant si besoin était que la communication alternative est possible.
On ne peut négliger d'analyser le rôle des médias occupés et détournés car ils ont constitué le fer de lance de cette mobilisation. L'occupation de douze stations de radio commerciales et celle de Canal 9, la chaîne de télé locale, n'étaient au départ que de simples mesures défensives qui suivaient la destruction de Radio Plantón et les dégâts causés à Radio Universidad, les seules voix indépendantes de la ville. Mais il est évident que le mouvement ne se serait pas développé aussi rapidement sans la radio, ce qui constitue une importante leçon à retenir, à dans l'Oaxaca comme ailleurs.
Il y a eu beaucoup de speakerines à la radio. L'une des plus connues, la doctora Berta – aujourd'hui célèbre dans le monde entier –, médecin et âgée de cinquante-huit ans, assurait les émissions de Radio Universidad jour et nuit, buvant tasse sur tasse de café et fumant ses cigarettes Delicados. Elle n'en sortait que pour aller s'occuper des victimes de la répression. J'ai pu la voir personnellement, qui distribuait de l'eau aux manifestants à bord d'une ambulance de la Croix-Rouge.
Nous avons tous appris à reconnaître sa voix un peu rauque qui communiquait avec calme et sérénité les besoins urgents des manifestants tandis que pleuvaient sur eux les balles et les gaz. Le 3 novembre, au lendemain de la bataille de la cité universitaire qui vit la défaite humiliante de la PFP, elle m'avait confié : "À Radio Universidad, comme avant à celle de La Ley, à Radio Plantón ou à Canal 9, la communication est comme il faut qu'elle soit: dans les deux sens, le téléphone ouvert à tous et des connexions via Internet pour l'étranger. Si un bonhomme arrive et me dit qu'il veut envoyer un message, eh bien, faites donc, entrez et envoyez votre message. Les gens viennent ici et disent les choses avec leurs propres mots, avec leur propre pensée, mais de toute façon les gens sont très objectifs. Ils ne parlent peut-être pas bien l'espagnol, mais ils savent ce qu'ils veulent. Personne ne pourra plus stopper un truc pareil (21)."
Il a beaucoup été question des barricades, dans lesquelles on a voulu voir une preuve de la "violence" exercée par l'APPO. En réalité, les barricades ont été une mesure défensive, pour contenir ce que l'on a appelé les "convois de la mort" qui assassinaient des gens. C'était des convois de camionnettes de la police judiciaire de l'Oaxaca auxquelles on avait ôté les plaques d'immatriculation et qui circulaient de nuit, en ouvrant systématiquement le feu contre les passants.
Le 21 août, après l'assassinat de Lorenzo Sanpablo, un architecte, des hommes, des femmes, des enfants et des vieux ont commencé à dresser des barricades, en cercles concentriques, dans toute la ville mais en particulier dans les quartiers périphériques, les plus exposés à la violence des tueurs. De nuit, les barricades étaient montées et, de jour, elles étaient retirées.
Il y a eu au moins 1 500 barricades, mais il faut bien avouer que personne ne les a comptées et que nous ne connaîtrons jamais leur nombre exact. Les gens qui les gardaient n'appartenaient pas toujours à l'APPO, c'étaient parfois des citoyens comme les autres et des ménagères qui manifestaient de la sorte leur sympathie avec le mouvement. Chaque matin, ils partaient travailler, mais ils passaient des nuits entières sans dormir à protéger une barricade – et, au passage, à vivre une véritable fête collective (22).
À mon sens, c'est uniquement ce côté festif qui justifie la comparaison qui a été faite avec la Commune de Paris, révolte qui fut elle-même définie comme "la plus grande fête du XIXe siècle". Cela dit, au bout du compte la Commune d'Oaxaca a connu le même isolement que son illustre prédécesseur : il n'y a pas eu au Mexique – pas plus qu'à l'étranger – de grandes mobilisations en soutien à l'APPO.
Ajoutons que les habitants d'Oaxaca ne parlent pas de "commune" mais de "communalité" (comunalidad), terme qui renvoie aux pratiques indigènes locales (23). Ce qui est sûr, c'est que les jeunes des barricades qui ont livré les combats de rue n'étaient ni des "professionnels" ni des militants au sens traditionnel du terme. C'était le peuple, purement et simplement – et même des enfants des rues, comme celui que l'on peut voir dans une vidéo filmée par le collectif Mal de Ojo (24) –, des gens qui ne savaient rien de la guérilla urbaine et qui se sont formés à la faveur des événements.
ET MAINTENANT ?
Le grand mouvement social qui a ébranlé la société oaxaquègne est un des événements les plus importants de l'histoire récente du Mexique, uniquement comparable avec l'insurrection zapatiste de 1994. La réponse populaire aux abus d'Ulises Ruiz fut aussi inattendue que massive, imaginative et prometteuse. À l'écologie de la peur, les Oaxaquègnes ont répondu par l'écologie de la fête, qui est profondément enracinée dans la tradition locale. Contre les délires du pouvoir, les habitants ont réaffirmé leur droit au tyrannicide non violent, incarné par le slogan "Ya cayó, Ulises ya cayó" ("Ça y est ! Il est tombé, Ulises est tombé !").
L'APPO est le résultat d'une longue accumulation progressive d'expériences historiques – faite d'erreurs et de réussites – qui convergent dans l'objectif commun de démocratiser les structures du pouvoir. Même si on a pu voir que le sens de cette démocratisation est encore en discussion, il n'en reste pas moins que c'est l'axe autour duquel s'est aggloméré un mouvement multiforme qui ne peut être saisi en partant des analyses marxistes traditionnelles ou sociologiques.
"Car ce qui est en train de s'ébaucher [à Oaxaca] se situe dans la lignée de la Commune de Paris et des collectivités andalouses, catalanes et aragonaises de 1936-1938, où l'expérience autogestionnaire jeta les bases d'une nouvelle société", écrivait Raoul Vaneigem dans un appel à la solidarité internationale avec le mouvement, publié au Mexique par le journal "La Jornada" (25).
Vaneigem a raison, en ce sens que ce qui s'est passé à Oaxaca en 2006 est riche d'espoir pour tous ceux qui sont en quête d'alternatives à la barbarie dominante, au Mexique comme ailleurs. Cependant, il est tout aussi vrai que la répression a anéanti ces mêmes espoirs. Je n'évoquerai pas ici le calvaire vécu par le peuple de l'Oaxaca à partir du 27 octobre 2006, date de l'assassinat du journaliste Brad Will à Santa Lucía del Camino et du massacre d'un nombre indéterminé de personnes à Santa María Coyotepec.
La meilleure source d'informations à ce sujet reste encore le rapport de la CCIODH que nous avons cité et dont les membres déclarent dans leur conclusion : "La Commission considère que les faits survenus dans l'Oaxaca constituent le maillon d'une stratégie juridique, policière et militaire comportant des éléments psychosociaux et communautaires qui visent en dernière instance à obtenir le contrôle des populations civiles et à les soumettre à la terreur dans des zones où l'on assiste au développement d'une organisation des citoyens ou de mouvements d'un caractère social hors des partis (26)."
J'ai participé à cette commission et je peux témoigner de ce que cette conclusion est non seulement modérée, mais qu'elle reste en dessous de la réalité. Bien que nous ayons pu vérifier qu'il y avait eu au moins 23 victimes mortelles jusqu'à la dernière quinzaine du mois de janvier 2007 (toutes du côté du mouvement), nous n'avons pas pu nous informer avec exactitude du grand nombre de disparitions survenues depuis le début du conflit. Pourquoi ? Parce que la terreur est telle que les gens n'ont pas osé dénoncer la disparition de leurs proches, pas même devant un organe aussi digne de confiance que la CCIODH.
Les abus commis par les forces publiques de l'ordre n'ont été ni des "excès" ni des "erreurs", mais une expérience d'ingénierie sociale froidement calculée dans laquelle les pouvoirs fédéraux ont agi en coordination totale avec les pouvoirs locaux. Quels objectifs poursuivaient-ils ? Peut-être bien mesurer la dose de répression qu'un peuple est capable de supporter sans que la situation ne leur échappe. Armando Bartra le dit fort bien : "[…] se préparer à affronter des masses furieuses, c'est supposer qu'elles vont apparaître (27)."
À Oaxaca, les masses ont fait leur apparition, et, comme en Amérique centrale dans les années 1980, le but de l'opération a été d'"ôter l'eau au poisson" (comme le prônent les manuels de contre-insurrection), de semer la terreur et de montrer au citoyen quelconque ce qui peut lui arriver s'il sort du rang. La condamnation inouïe à une peine de soixante-sept ans de prison qui a été récemment prononcée contre Ignacio del Valle, Felipe Álvarez et Héctor Galindo – dirigeants du Front des communes pour la défense de la terre (FPDT) d'Atenco –, coupables au même titre que leurs frères de l'Oaxaca de l'effroyable crime de dissidence, projette une ombre sinistre sur le Mexique de Calderón (28).
Quel bilan peut-on tirer de sept mois de contre-insurrection ? La terreur continue, quoi qu'en disent les lénifiantes déclarations officielles. Les prisonniers sont libérés de manière purement arbitraire et au compte-gouttes, poursuivant la même stratégie contre-insurrectionnelle qui les avait fait arrêter (29).
Une retraite progressive des masses a eu lieu et, tandis que les voix qui participaient de la pluralité se taisaient, les groupes de la vieille gauche ont gagné du terrain, terrain qu'ils ne possédaient pas auparavant. Ou, plutôt, terrain que leurs membres possédaient, mais en tant que participants légitimes du mouvement et non en tant que dirigeants de tel ou tel groupe.
Parmi eux, certains travaillent d'arrache-pied pour transformer l'APPO en une organisation politique centralisée de type stalinienne. On l'a vu par exemple lors du Congrès constitutif de l'APPO (du 10 au 12 novembre 2006) ou au cours de l'"Assemblée populaire des peuples du Mexique" – tentative en grande partie échouée d'"exporter" le modèle de l'APPO –, quand un membre éminent et connu du Front populaire révolutionnaire (FPR) affirma sans aucune réserve que "le mouvement d'Oaxaca est un mouvement de dirigeants (30)".
Aux traditionnelles querelles qui opposent les vieilles organisations accumulant trente ans de défaites successives est venue s'ajouter à partir de février de 2007 la division sur la question des élections, à savoir : participer ou non aux élections locales ayant lieu fin juin. Un "bloc électoral" s'est formé à l'intérieur de l'APPO, (FPR, FALP, NIOax, etc.), qui a aussitôt engagé une bataille à mort contre le bloc en faveur de l'abstention (VOCAL, CODEP, CIPO, POS, etc.). Le bloc électoral s'est à son tour fracturé, en raison de conflits internes portant sur qui allait empocher telle ou telle candidature et sur les listes de quel parti.
Au bout du compte, personne n'a récolté grand-chose car le PRD, avec son habituelle générosité, ne leur a cédé qu'une seule candidature. Par contre, les dégâts qui en résultent ont une portée incalculable. L'une de ces conséquences est très probablement l'arrestation de David Venegas – membre du conseil de l'APPO, élu par le secteur des barricades –, membre de VOCAL, libertaire et prônant l'abstention. David Venegas a été arrêté par la police le 13 avril, alors qu'il se rendait à une réunion de l'APPO, sous l'accusation fantaisiste de possession de 30 grammes de cocaïne et de deux sacs contenant de l'héroïne.
Quelques semaines plus tard, il lançait de la prison de graves accusations contre plusieurs dirigeants connus du bloc électoral, à qui il attribue la responsabilité de son emprisonnement. Sans vouloir entrer dans le vif de la question, il se trouve que David Venegas a été arrêté sous le même chef d'accusation que celui que ces dirigeants avaient fait circuler contre lui, avant son arrestation (31). Qui plus est, au mois de mars, dans le cadre de sa contre-offensive, la police avait "semé" des explosifs à proximité de ce qui avait été la barricade de Brenamiel, où El Alebrije s'était illustré, l'existence de tels explosifs ayant immédiatement été démentie par David dans une conférence de presse (32).
Les choses étant ce qu'elles sont, il serait vain de vouloir chercher les organisations pures et de vouloir séparer les "bonnes" des "mauvaises" ou les "révolutionnaires" des "réformistes". De telles distinctions ne tiennent pas aux organisations elles-mêmes, elles les traversent en tout sens. Même chez les staliniens du FPR on trouve des compañeras et des compañeros de valeur. Redonner de l'élan au mouvement n'est pas plus une affaire ethnique. Il ne fait aucun doute que la contribution des indigènes est fondamentale, mais eux non plus ne sont pas immunisés contre la corruption ou contre la funeste séduction de la politique professionnelle, comme plusieurs d'entre eux me l'ont dit personnellement.
David Venegas suggère que "si le canal que l'APPO lui offre […] est par trop étroit et limité, ce peuple héroïque saura chercher et trouver le chemin de son émancipation (33)". Un diagnostic sévère, mais qui ne semble pas s'éloigner outre mesure de la réalité. Malgré tout, tout n'est pas perdu. À Oaxaca, une question court les rues : comment faire renaître le moment magique que l'on a vécu l'an dernier ? Il n'y a que les femmes et les hommes qui ont participé à ce mouvement qui pourront trouver la réponse. En attendant, le 14 juin, 100 000 personnes sont redescendues dans la rue pour exiger la démission d'Ulises Ruiz Ortiz, et le 18, les enseignants de la section 22 ont repris leur plantón. Non, Oaxaca n'est pas en paix.
Mexico, District fédéral, le 20 juin 2007, CLAUDIO ALBERTANI
Notes
1. Cité par Luís Arellano Mora dans "Oaxaca: la pobreza en cifras" ("Oaxaca, les chiffres de la pauvreté"): http://www.transicionoaxaca.com.mx/index.php?option=com_content&task=view&id=42&Itemid=75 2. Carlos Fazio, "¿Hacia un estado de excepción?" ("Vers un État d'exception?" ) La Jornada, le 4 décembre 2006. 3. La Jornada, le 9 juin 2007. On se reportera également au viol et meurtre d'Ernestina Ascensión, une femme âgée, dans la Sierra de Zongolica, au Veracruz (La Jornada, le 27 février), ainsi qu'au massacre d'une famille de cinq personnes dans le Sinaloa, coupables de "ne pas s'être arrêtés à un barrage de police" (La Jornada, le 3 juin 2007), qui constituent un véritable modus operandi. 4. Cf. Commission civile internationale d'observation pour le respect des droits humains (CCIODH), Rapport sur les événements de l'Oaxaca (en espagnol) http://cciodh.pangea.org/quinta/informe_oaxaca_cas.shtml 5. Au Mexique, "mapaches" n'est pas seulement le nom donné aux ratons laveurs, il désigne aussi les vendus qui réalisent les fraudes électorales : manipulant les bulletins de vote déposés dans les urnes, ces spécialistes transforment une défaite en victoire ou annulent la victoire d'un parti, généralement un parti de l'opposition. 6. Interview d'Ismael Sanmartín Hernández, directeur de Noticias de Oaxaca, réalisée le 29 décembre 2006. 7. Cf. mexico.indymedia.org/tiki-download_file.php?fileId=62 ; la répression ne s'est pas arrêtée là car le 18 juin 2007, comme le dénonce l'Alliance magoniste zapatiste, à Xanica, les sbires d'URO ont enlevé Cesar Luís Diáz, membre du conseil de l'APPO et du Codedi. 8. San Salvador Atenco est une commune de la vallée de Mexico, qui s'opposa victorieusement en 2002 à la construction d'un aéroport sur les terres communales. En guise de représailles, elle subit en mai 2006 une véritable attaque en règle de l'armée mexicaine, qui fit deux morts et plusieurs dizaines de blessés et se solda par 150 arrestations, 28 personnes étant aujourd'hui encore emprisonnées. Cf. Commission civile internationale d'observation pour les droits humains, Rapport préliminaire sur les événements d'Atenco, 2006 : (en espagnol) http://cciodh.pangea.org/cuarta/informe_preliminar.htm 9. Pour cette rapide reconstruction des faits, je me fonde sur les interviews que j'ai réalisées personnellement, sur le Rapport sur l'Oaxaca, op. cit., et sur le récit de Gustavo Esteva lors d'une "Session d'analyse du mouvement social dans l'Oaxaca. Dialogue entre des membres d'organismes civils et des institutions académiques d'Oaxaca et de la ville de Mexico", Université de la Terre, Oaxaca, le 18 mars 2007. 10. La Jornada, le 19 juin 2006. 11. Interview de Miguel Linares Rivera réalisée par Hernán Ouviña, ville de Mexico, le 29 octobre 2006 : http://www.espacioalternativo.org/node/1731 12. Interview de Gustavo Esteva, Université de la Terre, Oaxaca, le 3 novembre 2006. 13. David Venegas Reyes, "Alebrije", lettre écrite de la prison d'Ixcotel, le 23 avril 2007 : http://chiapas.indymedia.org/display.php3?article_id=144954 14. Interview de Nicéforo Urbieta, le 3 mai 2007. 15. David Venegas, lettre citée. 16. Dans les communautés indigènes, les topiles, sortes d'agents, sont élus en assemblée et, investis du bâton de commandement, exercent sans rémunération la justice. Ils ne sont pas armés. 17. Ce qui a entraîné la critique virulente d'un groupe anarchiste qui a vu dans l'APPO un mouvement de la petite bourgeoisie (!). Cf. "Oaxaca: APPO y el reformismo de siempre" ("Oaxaca : l'APPO, le réformisme de toujours" ) : http://argentina.indymedia.org/news/2006/11/463625.php 18. Miguel Linares Rivera, interview citée. 19. Interview de Flavio Sosa, le 4 novembre 2006. 20. G. Esteva, interview citée. 21. Interview de la docteur Berta Muñoz, Oaxaca, Cité universitaire, le 3 novembre 2006. 22. "Las barricadas fueron la manera en que el pueblo mantuvo al mouvement" ("C'est par les barricades que le peuple a maintenu en vie le mouvement"), interview de "Drak", pseudonyme d'un membre du Conseil de l'Oaxaca de l'APPO et de la barricade de Soriana : http://lavoladora.net/content/view/690/82/ 23. Pour en savoir plus sur le concept de comunalidad dans les communautés indigènes de l'Oaxaca, cf. Benjamin Maldonado, La comunalidad indígena ("La "communalité" indigène" ) : http://www.antorcha.net/biblioteca_virtual/politica/comunalidad/comunalidad.html 24. Ce collectif a effectué un excellent travail de compilation des événements d'Oaxaca. Cf. www.maldeojotv.net 25. Raoul Vaneigem, "Appel d'un partisan de l'autonomie individuelle et collective", publié en espagnol dans La Jornada, le 11 novembre 2006, et en français sur le site du CSPCL : http://ouvaton.org/article.php3?id_article=387 26. CCIODH, "Conclusions et recommandations préliminaires": (en espagnol) http://cciodh.pangea.org/quinta/070120_inf_conclusiones_recomendaciones_cas.shtml. 27. Armando Bartra, "El tamaño de los retos" ("La dimension des défis"), revue La Guillotina Nº 56, printemps 2007. 28. La Jornada, le 6 mai 2007. 29. Selon Noticias de Oaxaca du 9 juin 2007, il ne reste que 6 détenus et environ 20 mandats d'arrêt émis contre des membres de l'APPO, auxquels il faut ajouter un nombre indéterminé de prisonniers politiques à l'occasion d'autres conflits, en particulier dans la région des Loxichas et à Santiago Xanica. 30. 11 et 12 novembre 2006, locaux du Situam, Mexico DF. 31. David Venegas, lettre du 15 mai 2007 : http://www.vocal.lunasexta.org/davidvenegas/carta-de-david-15-de-mayo.html 32. La Jornada, le 14 avril 2007. 33. David Venegas, le 23 avril, lettre citée.
Paria
Posté le 17-07-2007 à 15:59:57
Nous avons reçu, à 10 heures ce matin, cette chronologie des événements d'hier, 16 juillet, dans la ville d'Oaxaca. Nous en remercions les auteurs.
8:00 De nombreuses personnes arrivent à la place centrale (zocalo) de la ville d'Oaxaca.
10:30 La manifestation commence.
11:35 Les premiers affrontements ont lieu, pierres et bâtons contre gaz lacrymogène et matraques.
11:45 Les forces anti-émeute bloquent la manifestation et isolent ses premières lignes, formées d'universitaires. Une partie de la manifestation a réussi à entrer dans l'amphithéâtre de la Guelaguetza officielle. Les affrontements continuent, les détenus sont brutalement frappés.
12:30 à 14:00 Les affrontements continuent. La police d'Oaxaca reçoit le renfort de la Police fédérale préventive (PFP). Du côté des manifestants, la résistance diminue. En effet, les dirigeants de la section XXII du Syndicat des enseignants ont commencé la Guelaguetza populaire au niveau de la place de la Danza et la majorité des gens s'y concentre.
13:15 On rapporte 40 manifestants blessés, 20 policiers blessés et plusieurs détenus. 5 camions ont été incendiés. L'arrière de la manifestation a été durement attaqué et a dû se replier. Dans le jardin d'El Llano des personnes sont détenues. La situation reste tendue.
20:15 La mort d'Emeterio Cruz est confirmée. Il était hospitalisé suite à l'impact d'une grenade lagrymogène. Les autorités ont voulu le transférer. C'est lors du transfert qu'il a perdu la vie.
21:45 La Radio Disturbio confirme le décès de Raymundo Torres des suites de blessures provoquées par une grenade lacrymogène.
22:43 Les listes officielles et celles des organisations civiles ne coïncident pas. L'APPO compte 62 détenus.
22:54 La direction de la section XXII du Syndicat des enseignants se désolidarise des manifestants.
22:55 La police occupe le zocalo de la ville d'Oaxaca.
22:57 Des barrages policiers sont installés à l'entrée de la ville d'Oaxaca et sur la route Tehuacán-Oaxaca.
23:10 3 hélicoptères de la PFP viennent d'arriver à l'aéroport d'Oaxaca.
23:10 La radio Oaxaca libre est privée de transmission.
23:10 Les taxis ne prennent plus personne.
Liste provisoire de détenus :
SILVIA GABRIELA HERNÁNDEZ SALINAS, LOURDES HERNÁNDEZ HERNÁNDEZ, EDITH GONZÁLEZ, JOSÉ LÓPEZ MARTÍNEZ, GABRIEL IVÀN VIRGEN, SAÙL MARTÌNEZ PÈREZ, SERGIO YAHIR MARTÌNEZ, JULIÁN CONSTANTINO MARTÌNEZ SÁNCHEZ, IGNACIO MARTÌNEZ PÈREZ, ARMANDO AGUSTÍN CARRIEDO CHÀVEZ, CARLOS YAHIR BALDERAS GARCÌA, JUAN MANUEL CRUZ RÌOS, GARCÌA HERNÀNDEZ "X", JOAQUIN VICENTE, JESUS LOPEZ MARTINEZ, JORGE LUIS MARTINEZ, JUAN CARLOS CRUZ, EDILBERTO LLESCAS AGUILAR, PABLO PEREZ HERNANDEZ, GENARO HERNANDEZ, JOAQUIN ISRAEL VICENTE CRUZ
Vous pouvez envoyer vos messages de protestation à :
Presidente FELIPE DE JESÚS CALDERÓN HINOJOSA Residencia Oficial de los Pinos Casa Miguel Alemán Col. San Miguel Chapultepec, C.P. 11850, México DF Tel: +52 (55) 27891100 fax: +52 (55) 52772376 felipe.calderon@presidencia.gob.mx
Licenciado Francisco Javier Ramírez Acuña, Secretario de Gobernación, Bucareli 99, 1er. piso, Col. Juárez, Delegación Cuauhtémoc, México D.F., C.P. 06600, México, fax: +52 (55) 5093 3414 frjramirez@segob.gob.mx
Ambassade du Mexique 9 rue de Longchamp - 75116 Paris Tel 01.53.70.27.70 fax 01.47.55.65.29 Site internet http://www.sre.gob.mx/francia/
Consulat du Mexique & Office du tourisme 4, rue Notre-Dame-des-Vicoires - 75002 PARIS Tel 01 42 61 51 80 fax 01.42.86.56.20 fax 01 42 86 56 20
Consulat honoraire : Toulouse 35 rue Ozenne - 31000 Toulouse Tel 05.61.25.45.17 fax 05.61.55.01.55
Consulat honoraire : Strasbourg 19a rue Lovisa - 67000 Strasbourg Tel 03.88.45.77.11 fax 03.88.45.87.69
Consulat honoraire : Lyon 3 chemin des Cytises - 69340 Francheville Tel 04.72.38.32.22 fax 04.72.38.32.29
Consulat honoraire : Le Havre Société Georges Vatinel 58 rue de Mulhouse - 76600 Le Havre Tel 02.35.26.41.61 fax 02.35.25.18.92
Consulat honoraire : Fort-de-France 31 rue Moreau de Jonnes - 97200 Fort-de-France Tel 05.96.72.58.12 fax 05.96.63.18.09
Consulat honoraire : Bordeaux 11-15 rue Vital Carles V- 33080 Bordeaux Tel 05.56.79.76.55 fax 05.56.79.76.66
MANIFESTE DE LA DEUXIÈME RENCONTRE ANARKOGALAKTIKE SUITE À LA NOUVELLE VAGUE DE RÉPRESSION À OAXACA
Aujourd'hui 16 juillet 2007, aux alentours de 10 heures du matin, des incidents eurent lieu pendant la marche organisée dans la ville d'Oaxaca afin d'inaugurer la Guelaguetza populaire et boycotter, par la même occasion, la Guelaguetza officielle mise en place et appuyée à la fois par le gouvernement d'Ulises Ruiz et par plusieurs multinationales qui participent au développement d'une politique néolibérale et impopulaire. Cette marche avait été préalablement convoquée par de nombreuses associations, collectifs et individu-E-s du peuple d'Oaxaca.
Des les premiers pas de la manifestation, la police s'est montrée omniprésente, surveillant, intimidant et arrêtant plusieurs participants. Plus tard, des affrontements eurent lieu pendant le trajet lorsque la police a commencé à lancer des pierres et des gaz lacrimogènes, provoquant la dispersion du rassemblement. Profitant du mouvement de foule, la police s'est alors approchée pour encercler, frapper et arrêter violemment une soixantaine de companer@s. A l'heure de la traduction de ce communiqué (mardi 17 juillet, vers 10 heures), une liste officielle confirme la comparution à la Procuraduria de Oaxaca de 40 personnes qui sont en train de faire leur déclaration. Parmi celles-ci, quatre reçoivent toujours des soins médicaux, dont notre compagnon Emeterio Merino Cruz Vazquez, touché par l'impact d'un explosif lancé par la police. Nous recevons également la confirmation de la détention de Silvia Gabriela Hernandez Salinas, étudiante en sciences sociales à l'Université Benito Juarez d'Oaxaca, incarcérée dans la prison de Tlacolula. Silvia, continuellement menacée et torturée pour son engagement au sein du collectif Voix d'Oaxaca pour la construction de l'autonomie et la liberté (VOCAL).
La mise en place de ce dispositif répressif se produit au moment où le mouvement populaire de l'Oaxaca commence à reprendre des forces et à se repositionner comme une force de lutte sociale efficace. Cette récente attaque est un nouvel exemple de la militarisation croissante à laquelle doivent faire face les différentes luttes organisées à travers le pays.
Le présent communiqué provient de la seconde rencontre anargalaktike qui a lieu en ce moment à San Cristobal de Las Casas, Chiapas. Y participent des companer@s mexicain-E-s et internationaux-ALES qui travaillent à la mise en place d'une coordination permettant d'intégrer des travaux et des propositions organisatrices, afin de fortifier le mouvement anarchiste et de pouvoir, à notre tour, non seulement nous solidariser avec le peuple de l'Oaxaca mais également agir de manière concrète, pour répondre à une analyse critique et intégrale de la situation actuelle.
A travers ce communiqué, les différentes organisations, collectifs et individu-E-s présents manifestent leur dégoût et leur refus de la pseudo-politique de sécurité mise en place par la dictature militaire du PAN, à la tête de laquelle se trouve actuellement Calderon - main dans la main avec le PRI et le PRD. Cette politique répressive, organisée dans l'ensemble du pays, se développe de façon brutale et inhumaine dans l'État d'Oaxaca.
En tant que mouvement libertaire nous ne cesserons jamais de lutter contre les politiques criminelles d'un État qui cherche à terroriser la société, emprisonnant, réprimant, assassinant et éliminant finalement tout espace nécessaire à une lutte critique et efficace permettant l'auto-organisation et l'autodétermination de l'ensemble de la société.
Nous nous solidarisons avec le peuple de l'Oaxaca et exigeons le retour immédiat et en bonne santé des personnes disparues, comme nous exigeons la liberté de tou-TE-s les prisonnier-E-s politiques que le gouvernement maintient derrière les barreaux alors que leur unique délit fut de lutter pour une véritable transformation d'un peuple digne et rebelle.
Nous lançons un appel au mouvement libertaire, à l'Autre Campagne, à la société en général et à la communauté internationale à la mobilisation générale le 18 juillet prochain et à l'organisation de différentes activités nous permettant de dénoncer la situation actuelle et de manifester notre solidarité ; le 19 juillet, nous appelons à la réalisation d'actions locales pour protester contre la répression et s'aligner avec le Forum contre la répression afin de stopper la guerre de basse intensité éhontée que nous vivons depuis si longtemps.
HALTE À LA MILITARISATION LIBERTÉ POUR TOU-TE-S LES PRISONNIER-E-S POLITIQUES RETOUR DES DISPARU-E-S EN BONNE SANTÉ DISPARITION DE TOUS LES POUVOIRS D'ÉTAT ET SORTIE DE LA PFP D'OAXACA DISSOLUTION DE TOUS LES CORPS RÉPRESSIFS
Nombre de personnes assistant à la rencontre : 120
Représentations venues de :
MEXIQUE Hidalgo, Veracruz, Texcoco, Durango, Tijuana, Monterrey, San Luís Potosí, Basse-Californie du Nort, San Cristóbal de las Casas, DF, Querétaro.
AMERIQUE DU NORD San Diego, Portland Oregon, Phoenix, Arizona, Indiana, San Francisco, Montreal Canada.
AMERIQUE LATINE Bresil, Argentine, Venezuela.
EUROPE Angleterre, Espagne, Catalogne, Italie, France, Allemagne, Belgique (de nombreuses villes).
OCEANIE Nouvelle-Zélande, Australie.
COLLECTIFS ET ORGANISATIONS: Moiliirasalii, Radio Ocupa – Ari Caravana,, Roadblokef, Bandera Negra, Inkworks Press, Bay Area Indymedia, Célula Metropolitana Julio Chávez López, Colectivo O.R.G.A.N.I.C, Adherentes a la Otra Campana, Bloquear al Imperio, Catas, Red Ya Basta, Coordinadora Anarcopunk, Centro Social Libertario-Biblioteca "Viviendo la Utopía", Regeneracion Radio, Casa de la Paz, Quinta Brigada, Radio Sabotaje, Brigada Libertaria, Smashedo, La Brigada Sociedad Civil, El Palicate zona norte del DF, Karakola Global, No Fronteras SF, Centro de Medios Libres DF, Plantón de Santiaguito, Plantón de Molino de las Flores, Colectivo Conciencia, Pensares y Sentires, HIJOS de la Plata, CZI, parmi beaucoup d'autres.
Traduction réalisée par la banda de l'Anarkagalaktika
La "Guelaguetza" est une invention relativement récente, ce qui n'a sans doute plus beaucoup d'importance aujourd'hui. On en connaît la date de naissance (1932), sur l'initiative d'un gouverneur (Francisco López Cortés) et parrainée par un président de la République mexicaine (Abelardo Rodríguez, président par intérim, en 1933), et elle possède un sérieux handicap (elle est issue d'une initiative raciste, celle de rendre "un hommage racial" aux Oaxaquiens d'en bas) tout en s'inscrivant dans l'action humanitaire qui a suivi le tremblement de terre de 1931 ayant fait d'énormes ravages dans l'Oaxaca, à qui notre Union fédérale mexicaine était soucieuse de prêter une main secourable. La Guelaguetza urbaine, surgie suite à un séisme, fête donc ses soixante-seize ans, secouée par un nouveau séisme.
Ce qui n'est pas sans importance aujourd'hui, c'est qu'elle nous sert à faire remarquer, une fois de plus, à quel point ce pays est sans vergogne, qui autorise à rester en place à un gouvernement usurpateur, mafieux et violent comme l'est celui d'Ulises Ruiz Ortiz. La "dispute" pour la Guelaguetza est devenue révolte d'un symbole sur un terrain douloureusement réel et concret.
Puisant ses origines dans les traditions festives des vallées centrales de l'Oaxaca majoritairement zapotèques, puis expropriée par les missionnaires espagnols qui lui ont substitué le jour de la Vierge du Carmen, la Guelaguetza a toujours été une fête populaire qui se fonde sur le don et la coopération communale. Ce n'est pas par hasard qu'elle est issue d'une civilisation pratiquant le tequio (le travail collectif pour le bien commun).
La légende des amours tragiques de la princesse zapotèque Donají, fille du seigneur de Zaachila (région déjà christianisée à l'époque) et de Nucano, un guerrier ennemi mixtèque, avait été mise à profit par les missionnaires pour asseoir la domination des Zapotèques et des Mixtèques. Depuis lors, cette fête et ses danses sont syncrétiques (comme quasiment toutes les manifestations indigènes qui survivent de nos jours). Le fait est que la Guelaguetza représente le banquet par excellence du pouvoir politique et patronal de l'Oaxaca, qui s'abrite derrière l'hypocrisie typique du racisme métis : utiliser l'indien pour encenser son maître. En ce début du XXIe siècle, la bourgeoisie locale conserve certains aspects du XVIIe siècle, dans le pire sens du terme. Sans oublier qu'aujourd'hui, pour participer aux festivités, on doit passer par Ticket Master et/ou American Express.
L'État postrévolutionnaire s'est servi de la Guelaguetza pour attirer les Mixes, les Zapotèques de l'Isthme, les Huaves, les Mazatèques des montagnes. Intégration. Identité. Contrôle ? Aujourd'hui, elle est censée être une cérémonie des seize peuples (et surtout pas "ethnies" de l'Oaxaca. Non pas pour qu'ils se rassemblent. Non, uniquement pour qu'ils se montrent sous leur plus beau jour. Au fil des ans, la Guelaguetza est devenue une grande offre touristique pour les hôtels, les restaurants, les agences de voyage, les boutiques d'artisanat, les bijouteries et les services. Pour les peuples, le pourboire. Qu'ils dansent, s'adonnent à leur folklore et se tiennent tranquilles !
Au cours de son évolution, passant d'être un festin à un spectacle, elle a été transférée sur la colline du Fortín, où elle a été lentement assassinée, pierre après pierre. Sous le mandat de José Murat, elle était déjà totalement pervertie : les Indiens déposaient leurs offrandes aux pieds du "señor" (guajolotes [dindons] vivants, fruits, pain, fleurs) et les filles de leurs maîtres pouvaient s'afficher en dansant parmi les Indiens. Ulises Ruiz était bien loin de soupçonner ce que serait la Guelaguetza qui scellait son destin : une crise répressive (pour la deuxième année consécutive). Au rythme où vont les choses, ce sera sa tombe, politiquement parlant.
Nous assistons à une nouvelle transformation de la Guelaguetza, qui se perpétue par ailleurs telle quelle chez de nombreux peuples de l'altiplano de l'Oaxaca. L'APPO la voit comme une tradition à réhabiliter, au moment précis où l'on semblait oublier le sens profond du mouvement social dans cet État (et non pas seulement dans la capitale). Celui d'une lutte qui ne date pas d'hier et qui a déjà trouvé ses diverses manières de dire "basta !" dans chaque peuple.
Avec le retour en scène de l'EPR et les très productives théories du complot censées expliquer le mécontentement dans l'Oaxaca par la "provocation" ou par le "complot de groupes extrémistes", la répression a perdu toute pudeur et toutes limites. Même le scandale à l'échelle internationale semble "gérable". Et ne parlons pas des médias.
Les capitalistes d'Oaxaca sont désespérés. Le butin que leur rapporte le tourisme (en vampirisant les Indiens) risque de s'évaporer. "On veut nous ôter la Guelaguetza", brament-ils dans le dernier couplet de leur discours sur "l'identité oaxaquienne" menacée par le désordre qui vient assurément de la planète Mars et mérite "tout le poids de la loi" – et peu importe que ceux qui sont censés faire respecter la loi soient les instances les plus illégales de l'Oaxaca : l'exécutif, le parlement, les forces de police et les magistrats. (Qui d'autre aura d'ailleurs à répondre de la "correction" criminelle qu'a subie Emeterio Merino Cruz ?)
Il y a cependant une Guelaguetza populaire qui attire les foudres répressives des gestionnaires de la fête patronale (du mot patron), uniquement parce qu'elle réclame la place qui lui est due. Il se peut qu'Ulises Ruiz Ortiz soit le dernier "seigneur" de la Guelaguetza artificielle, lui qui ne peut se rendre au bal sans cordon de grenadiers et sans militariser toutes les routes, pour cette "fête" que l'on voyait déjà servir de défilé de mode aux gamines de riches, sur fond de figurants en chair et en os des communautés indigènes pomponnées et emplumées, des jeunes filles déguisées à leur tour en Indiennes pour parader devant des gouverneurs qui ont plutôt l'air de capos dans leurs propriétés fortifiées.
Qui aura pu prévoir que cette célébration/spectacle se transformerait en un puissant moment de revendication populaire ? Chargés de symbolisme et mythifiable à souhait, les Lundis de la colline du Fortín ne seront plus jamais les mêmes. Voilà que la Guelaguetza mord là où on s'y attendait le moins et dénude le pouvoir qui croyait qu'elle lui appartenait à jamais.
Hermann Bellinghausen "La Jornada", 23 juillet 2007.
Traduit par Ángel Caído.
Paria
Posté le 11-11-2007 à 10:29:18
Nouvelles d'Oaxaca
AUX ORGANISATIONS NATIONALES ET INTERNATIONALES DE DÉFENSE DES DROITS DE L'HOMME
A LA SOLIDARITE NATIONALE ET INTERNATIONALE AVEC LE PEUPLE D'OAXACA
AUX PERSONNES BIEN INTENTIONNÉES DU MEXIQUE ET DU MONDE
A NOUVEAU LES ASSASSINS FELIPE CALDERON ET ULISES RUIZ ORTIZ RÉPRIMENT,
TORTURENT ET EMPRISONNENT LE PEUPLE DE OAXACA
Un an après la bataille livrée contre la police fédérale préventive, le peuple d'Oaxaca regroupé dans l'APPO s'est rassemblé massivement et de manière pacifique en ce jour du 2 Novembre de 2007 pour déposer des offrandes à la mémoire de tous les compagnons tombés au carrefour des 5 Señores. Cela a commencé à 6 h du matin et à 7 h30 les forces de répression mandatées par Ulises Ruiz Ortiz sont intervenues brutalement avec des fourgons de la UPOE, de la police ministérielle et aussi avec des véhicules militaires et des policiers en civil.
Ils ont agressé des membres de l'APPO, arrêtant illégalement, arbitrairement et violemment environ 20 personnes parmi lesquelles des enseignants, des étudiants, des membres d'Organisations Sociales et des gens du peuple en général, tels Ernesto López López et Eduardo Diaz, membres du CODEP-APPO, l'instituteur Nazario de l'Éducation Indigène, l'institutrice Belem de l'Éducation Spécialisée, entre autres.
Ils ont agressé tous les représentants des médias, comme Carlos Leyva et toute son équipe, ainsi que d'autres télévisions.
Ils ont bloqué toutes les rues autour de ce carrefour des 5 Senores, fouillant les maisons des quartiers voisins, comme celui de colonia Gomez Sandoval. Ils continuent à arrêter toutes les personnes qui passent près de leur blocus.
Nous demandons que ces actes soient dénoncés pour que cessent les agressions contre l'APPO et le peuple d'Oaxaca et qu'Ulises Ruiz et Felipe Calderon soient condamnés pour tous les attentats et tous les crimes commis à l'encontre du peuple d'Oaxaca.
POUR NOS COMPAGNONS MORTS, DISPARUS, PRISONNIERS ET POURSUIVIS POUR RAISON POLITIQUE, NOUS NE RECULERONS PAS D'UN PAS !
COMITÉ DE DEFENSE DES DROITS DU PEUPLE ASSEMBLEE POPULAIRE DES DROITS DU PEUPLE
POUR LA DEFENSE DES DROITS DU PEUPLE QUI CONSTRUIT LE POUVOIR POPULAIRE !
CODEP -APPO
Ville de la Résistence, Oaxaca, le 2 de novembre 2007.
Paria
Posté le 11-11-2007 à 10:30:05
La répression du 2 novembre 2007 a Oaxaca encore passée sous silence par les médias français Complices
Aussi complice que la police française qui forme encadre et entraine les assassins de la Pfp mexicaine depuis 1994
Je vous adresse le témoignage de notre camarade Nicéforo Urbieta, arrêté puis relâché le 2 Novembre à Oaxaca
Le Vendredi 2 novembre à environ 7 heures du matin, des habitants des différents quartiers périphériques (colonias) étaient en train de se rassembler au rond-point « 5 Señores » pour élever un autel traditionnel en commémoration des victimes des peuples de Oaxaca. Les gens arrivaient avec des fleurs, des pains spéciaux (pan de muerto) , des bougies, de la nourriture, ainsi que de la sciure, des pigments et des camions de sable pour créer des personnages sur un tapis funèbre.
C'est à ce moment là qu'une voiture noire sans plaque d'immatriculation est arrivé et a foncé sur un groupe de camarades qui étaient en train d'organiser l'événement, essayant de leur rouler dessus, la voiture prit alors la fuite à grande vitesse. En même temps, des policiers armés de fusil d'assaut AK-47 et FAL remontaient et redescendaient les contre-allées, deux par deux, et d'autres prenaient des photos et des vidéos des participants afin de les intimider et d'en faire un enregistrement pour le fichage policier. Ayant terminé, ils sont partis.
Environ 5 minutes plus tard, plusieurs camions de patrouille ont déboulé à grande vitesse de toutes parts, sur les 6 rues et avenues qui convergent vers le rond-point connu sous le nom de « Cinco Señores », provoquant la dispersion des participants. Puis ces camions de patrouille se sont rapprochés des manifestants et quelques uns se sont arrêtés là où étaient concentrés les camarades. Sans un seul mot, [les policiers] ont commencé à battre les gens et à charger tout le groupe dans plus de 10 camions de type pick-up qui encerclaient les manifestants pour les empêcher de s'enfuir. Puis ils se sont précipités sur les camarades qui avaient commencé à créer l'Autel Commémoratif, pendant que ceux qui avaient des fusils s'en servaient pour leur taper dessus. Ils ont prenaient les gens par la ceinture et les jetaient dans les camions jusqu'à ce que ceux-ci soient pleins de prisonniers, entassant les corps les uns sur les autres comme des sandwichs, hommes et femmes ensemble, professeurs, maçons, architectes, étudiants de l'Université Autonome Benito Juarez (UABJO), membres du Conseil de l'APPO (Belén, Román). Pendant le trajet vers le Ministère de la Protection Civile [SEPROCI], ils ont été battus et injuriés avec toute la vulgarité policière habituelle.
Après, dans les cellules de la police, les camarades ont subis des interrogatoires accompagnés de violences physique et verbale. Les techniques de terreur psychologiques étaient appliquées, [les interrogateurs] disaient aux gens qu'ils allaient les tuer ou leur verser de l'essence dessus et les mettre en feu, montrant une cruauté plus forte encore envers ceux qui avaient des cheveux longs.
Dix-sept d'entre nous ont été libéré de SEPROCI à 11 heures grâce à la pression exercée par les camarades, parmi lesquels des proches de leurs familles, le Comité de Défense des Droits de l'Homme, le Comité 25 Novembre, les Comités de Voisinage des colonias de « 5 Señores » et de « Sta. Lucia del Camino » ainsi que des étudiants de l'UABJO.
Trois camarades de l'APPO ont été emmenés vers un Centre de la Sécurité à l'ouest de la ville avant d'arriver au SEPROCI.
Nous allons confirmer la mort d'un camarade qui a reçu une balle dans le dos puis est passé sous les roues de deux camions alors qu'il venait d'être tué. Deux anciens témoins de l'incident disent qu'une fois à terre, il a été achevé par les deux camions de patrouille. Après quoi ils ont interpellé les policiers en disant « si vous croyez que ce crime va effrayer les gens, vous vous trompez, au contraire ça va devenir bien pire ». En ce moment même, une marche commence de l'Hotel Magisterio vers le rond-point « 5 Señores », là où, il y a un an, le peuple a arrêté l'agression de la Police Fédérale Préventive (PFP) contre la station de radio de l'UABJO (XUBJ Radio Universidad 1400 AM)
PS : Deux blessés sont à l'hôpital. C'est tout ce que l'on a pu rassembler comme info.
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