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Paria
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Paria
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   Posté le 14-11-2006 à 19:20:19   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Textes sur oaxaca

témoignages contre le silence des pantoufles de la médiocre médiacratie française

Bien le bonjour,

Dimanche 5 novembre, le départ de la marche avait lieu à Viguera, petite municipalité qui se trouve à l'entrée de Oaxaca et à environ 12 kilomètres du centre ; là, sur la route qui vient de Mexico se dresse la statue de Benito Juarez. La marche s'est ébranlée, il était un peu plus de dix heures du matin. ¡Hombro con hombro, codo con codo, la APPO, la APPO, la APPO, somos todos ! (Epaule contre épaule, coude contre coude, l'Appo, l'Appo, nous sommes tous l'Appo !) Le Comité des familles et des amis des disparus, des assassinés et des prisonniers politiques a pris la tête de la marche, venait ensuite, se tenant par le bras, les membres de la direction provisoire de l'assemblée populaire, puis les autorités municipales de la Sierra Juarez avec leurs bâtons de commandement enrubannés, que leur a confiés l'assemblée du village. Et puis le fleuve s'est écoulé, puissant, énorme, tranquille, sur la route à quatre voies qui conduit à Oaxaca. ¡No que no, si que si, ya volvimos a Salir ! Tout devant, en haut d'une perche, se balance la maquette en carton d'un tank chasse barricade de la police fédérale préventive, avec dans la coupole le pantin d'un policier anti-émeute tout harnaché. ¡Se ve, se nota, en Oaxaca no hay derota ! Plus de deux kilomètres et demi de long, sans musique ni fanfares, mais avec des slogans repris à tue tête sur un ton chantant, toujours ; pas de haut parleurs, mais des pancartes brandies au bout d'un bâton, des gens d'humble condition, ni riches, ni puissants, ont arpenté l'asphalte d'un pas alerte et soutenu. ¡Ya cayó, ya cayó, Ulises ya cayó ! (Il est tombé, il est tombé, Ulises est tombé !) Dans ce défilé sans fin, nous avons pu remarquer les brigades de Puebla, le Front populaire Francisco Villa, un groupe de paysans armés de leurs bâtons à fouir (bâton avec lequel le paysan creuse un trou où il dépose le grain de maïs), les femmes triquis vêtue de leur robe traditionnelle rouge avec de fines lignes blanches, elles font partie du mouvement unificateur de la lutte triqui indépendante (MULTI). L'Assemblée des peuples en résistance de San Salvador Atenco fermait la marche. ¡Que sube, que baja, Oaxaca no se raja ! (Qu'il monte, qu'il descende, Oaxaca ne se dégonfle pas !) Le long de la route des gens nous offraient des oranges, de l'eau fraîche, des tortillas, du pain, des mandarines, et le fleuve humain a pénétré dans la ville, resserré comme un torrent immobile, bouillonnant, dans les rues trop étroites (en haut des murs, aux fenêtres, sur les terrasses, les gens nous acclamaient), pour finalement se déverser sur la place Santo Domingo et s'écouler dans les rues environnantes. ¡Oaxaca no es cuartel, fuera Ejercito de el ! (Oaxaca n'est pas une caserne, que s'en aille l'armée !) Pourtant l'armée était bien là, qui avait transformé le Zócalo en camp retranché. Plusieurs rouleaux de fil de fer barbelé tranchant comme des rasoirs en barraient l'accès, une rue était même barrée par un haut mur d'acier, les camions tanks, les canons à eau étaient prêts à entrer en action, en haut, sur les terrasses des maisons autour de la place, les vigiles observaient avec angoisse cette déferlante qui arrivait vers eux. Quelques échauffourées commençaient d'ailleurs, quand la locutrice, désormais célèbre, de la Radio Universitaire, une femme assez âgée, est intervenue pour calmer le jeu, et les jeunes avec leurs foulards, sortis tout prêts à en découdre de la marche, les durs à cuire et les irréductibles l'ont écoutée.

« Face à face se trouvent les deux défenses ennemies : la barricade du peuple et la tranchée militaire. La barricade montre au soleil son énorme masse irrégulière et paraît fière de sa difformité. La tranchée militaire fait valoir ses lignes géométriques et sourit de sa rivale contrefaite. Derrière la barricade se tient le peuple insurgé, derrière la tranchée se trouve la milice.

─ Quelle horrible chose qu'une barricade ! s'exclame la tranchée, aussi horrible que les gens qui se trouvent derrière, on sait bien qu'il y a seulement des gens perdus derrière ce machin encombrant et inutile. Je n'ai jamais vu qu'un truc aussi mal fichu et si ridicule puisse servir à autre chose qu'à protéger d'une mort méritée la canaille. Des gens crasseux, qui sentent mauvais, des bandits, la plèbe turbulente, c'est tout ce que peut protéger une chose si moche. Par contre derrière moi se trouvent les défenseurs de la loi et de l'ordre, les piliers des institutions républicaines, gens disciplinés et corrects, garants de la tranquillité publique, bouclier de la vie et des intérêts des citoyens.

Les barricades ont de l'amour propre et la barricade dont on parle ne peut faire exception à la règle. Elle sent que ses entrailles de bois, de vêtements, de tessons, d'ustensiles divers, de carcasses, de pierres, tressaillent d'indignation et dans le ton de sa voix il y a la solennité des suprêmes résolutions et la sévérité des déterminations populaires. ─ N'en dis pas plus, refuge de l'oppression, réduit du crime, tu es en présence du bastion de la Liberté ! Moche et contrefaite comme je suis, je suis grande parce que je n'ai pas été fabriquée par des gens à gages, par des mercenaires au service de la tyrannie. Je suis fille de la désespérance populaire, je suis le produit de l'âme tourmentée des humbles et de mes entrailles naissent la Liberté et la Justice.

Il y a un moment de silence, la barricade paraît méditer. Elle est difforme et belle tout à la fois. Difforme de par sa constitution, belle par sa signification. Elle est un hymne fort et robuste à la liberté, elle est la protestation formidable de l'opprimé.

─ Une barricade dans chaque ville au même moment, et la liberté jaillira de mes entrailles, lumineuse, rayonnante comme la respiration d'un volcan ! Obscure comme je suis, j'illumine. Quand le pauvre m'aperçoit, il soupire et dit : Enfin ! » (Ricardo Flores Magón, Regeneración, número 213, 20 de noviembre 1915)

Ce mouvement social se veut pacifique, il est l'expression d'une volonté populaire face à un pouvoir totalitaire et despotique, ce mouvement entend substituer à un rapport vertical, une relation horizontale : « Eux, ils ont les armes, nous, nous avons la raison et la raison doit triompher de la force ». C'est une insurrection pacifique. La lutte devant l'université fut une lutte de résistance, la défense opiniâtre d'une liberté. L'armée pouvait venir à bout des bombas molotof et des coyotas, mais pas des gens qui sont descendus dans la rue avec un seul mot d'ordre : « A bas le tyran ! »

Pourtant la lutte ne peut se circonscrire à la chute du tyran. Derrière ce mot d'ordre se trouve l'exigence d'un changement de régime, substituer à un régime autoritaire, un gouvernement véritablement démocratique, selon le modèle des communautés indiennes, où les « autorités » sont désignées pour accomplir ou veiller à l'accomplissement des initiatives prises par l'assemblée du village. Le Congrès Constituant de l'assemblée populaire des peuples d'Oaxaca, qui se tiendra à partir du 10 novembre, devra définir les statuts, les principes, le programme et les objectifs de l'assemblée. Il élira le Conseil des peuples d'Oaxaca et approuvera un plan d'action. Il analysera les contextes international, national et régional ainsi que la crise des institutions pour entreprendre une réforme de l'Etat pour Oaxaca. Il y discutera les caractéristiques du nouveau gouvernement, de la nouvelle constituante et de la nouvelle constitution. Vaste projet, mais qui prend forme peu à peu, déjà les tables pour le dialogue et les premières résolutions dites de Santo Domingo avaient abordé ces thèmes et ébauché une réflexion.

Nommer une direction, désigner des dirigeants, c'est toujours un moment délicat et bien ambigu et tout peut très vite dégénérer en une forme plus ou moins larvée de pouvoir, pouvoir qui cherche, selon sa propre logique, à se renforcer par divers moyens ; c'est ce qui s'est passé, il y a quelques années à Juchitán avec la dérive de la COCEI (Coalition ouvrière, paysanne étudiante de l'Isthme) au cours de laquelle se sont perdues et dénaturalisées des années de luttes. Déjà certains dirigeants nommés provisoirement ont donné des signes de faiblesse face au pouvoir au cours des négociations. Pas tous, bien des gens sont clairs, d'autres se mettent trop en avant pour être honnêtes. Après la trahison de la direction de la section 22, se préparent d'autres trahisons. L'Assemblée devra se montrer vigilante. Gustavo Esteva avait relevé sur un mur de la ville cette phrase, que je cite de mémoire : « Ne tombons pas dans la provocation, ne prenons pas le pouvoir. » A suivre…

Jusqu'à présent l'assemblée populaire repose sur les pratiques ancestrales des communautés indiennes : les « autorités » désignées obéissent aux décisions prises par l'assemblée communautaire, ce que les zapatistes traduisent par « mandar obedeciendo » (commander en obéissant). Ce n'est pas si facile et je vois bien que certaines personnes de la direction provisoire suivent leur propre ligne de conduite ou celle de leur parti. Cette façon de faire s'appuie sur des traditions sociales ou culturelles fortes, celle du tequio, qui est une forme de travail bénévole, communautaire et solidaire et celle de la guelaguetza, mot zapotèque qui signifie « art de donner » et qui recouvre l'ensemble des échanges festifs. Tout ce mouvement de résistance sociale a pu s'organiser, se construire, se maintenir et durer grâce à ces deux coutumes : activité bénévole et solidaire, appui matériel et alimentaire de la part de la population.

L'assemblée est bien hétéroclite elle draine des organisations les plus diverses, indigènes, civiles, des droits humains comme la Ligue mexicaine des droits humains (Limedh), des autorités municipales, des délégués syndicaux, des étudiants, des partis politiques comme celui de Flavio Sosa (Nueva Alianza), le Parti Ouvrier Socialiste (POS), le Parti communiste mexicain etc., etc., des organisations comme le Front populaire révolutionnaire (FPR), le comité de défense des droits du peuple (Codep)… Ce côté hétéroclite constitue à la fois la faiblesse et la force de l'Appo. Force car il conduit pour l'instant l'assemblée à chercher le consensus, les divergences idéologiques sont mises de côté dans la recherche d'un « dénominateur commun », faiblesse car il peut laisser trop de marge de manœuvre à la direction, qui en profitera nécessairement.

Ce dimanche matin un étudiant, Marcos Manuel Sanchez Fernandez, a été gravement blessé par des groupes paramilitaires. Il était 6H45 quand diverses personnes fortement armées sont arrivées à bord de plusieurs véhicules et ont fait feu à partir d'endroits différents en direction de la cité universitaire et de la barricade de los Cinco Señores.

Oaxaca, lundi 6 novembre 2006.



Bien le bonjour,

Nous sommes le mercredi soir, nous pensions aller « monter la garde » au camp retranché, qui défend la Radio Universitaire au sein de la cité du même nom. Après réflexion, nous n'allons pas nous y rendre, c'est fort Alamo et, en plus, cette cité universitaire est une véritable nasse, j'ai horreur de me sentir ainsi pris au piège. Nous ne sommes pas les seuls à prendre, ou à avoir pris, cette décision, d'autres se sont rendus compte du danger que représente cette cité universitaire complètement close. A l'extérieur, les habitants ont dressé des barricades, mais la cité est vaste et n'est protégée que sur deux côtés, pourtant ce n'est qu'à l'extérieur que l'on peut espérer, non pas arrêter, mais ralentir, freiner, l'avancée de l'armée et laisser le temps aux gens de la radio de s'échapper. Je pense que c'est finalement ce qui va se passer, les mexicains (les gens du peuple, s'entend) choisissent en général la solution la plus rationnelle.

Nous irons à Santo Domingo qui est toujours occupé par les membres de l'assemblée populaire, avec une présence remarquée des maîtres d'école, qui sont venus contre l'avis de leur direction syndicale. Ils ont le sourire, les yeux clairs et brillants de ceux qui ont su garder leur dignité. La direction syndicale non seulement a apporté la division au sein de l'assemblée, mais elle est devenue l'ennemie déclarée de tous ceux qui l'ont critiquée et mise en cause, se rappeler Rueda Pacheco, un dirigeant, courant sous les insultes et les débris de nourriture, désormais, il n'a plus qu'une idée en tête, briser l'assemblée, il est devenu l'allié inconditionnel de l'Etat. Il y avait bien 3000 personnes qui occupaient ainsi l'espace devant le couvent des dominicains ce matin. De Santo Domingo, nous pourrons toujours nous rendre aux abords de la cité universitaire si la situation là-bas devient critique.

Au cours de son avancée, l'armée a perquisitionné, sans mandat, évidemment, un grand nombre d'habitations (une cinquantaine) et arrêté plus d'une trentaine (sans doute beaucoup plus avec les disparitions) de personnes. Elle a l'ordre d'appréhender tous ceux qui ont un mandat d'arrêt, plus de 200 personnes pour l'instant, mais le nombre augmente tous les jours. Aujourd'hui, elle a repris deux barricades importantes, Brenamiel, qui se trouvait à l'entrée nord d'Oaxaca, le long du rio Atoyac, et celle du Canal 9. Nous avons appris qu'elle avait reçu l'ordre de perquisitionner la cité universitaire, malgré l'opposition clairement exprimée du recteur (cela mérite d'être signalé) ; ce ne sera sans doute pas pour ce soir. Dans les jours qui viennent, la police fédérale va chercher à détruire une par une les dernières barricades et puis elle va occuper, par des rondes continuelles, toute la ville. Elle n'occupera pas si facilement le cœur des habitants.

Aujourd'hui, 1er novembre, c'est la fête des morts et l'assemblée a hélas beaucoup de morts récents à fêter. La coutume consiste à dresser un autel avec des berceaux faits de palmes et de fleurs, de ces fleurs qui ressemblent à nos chrysanthèmes, mais plus petites, de couleur orange foncé, que l'on appelle cempasúchitl, avec les pétales de ces fleurs on trace le chemin des morts jusqu'à l'autel.

A Oaxaca les autels sont renommés pour leur débauche de fleurs et de fruits, ils sont en général à trois étages où sont exposés les offrandes pour les morts qui vont venir au cours de la nuit du 1er au 2 novembre : du tabac, un verre de mescal, des fruits, des petites têtes de mort en sucre, des épis de maïs et, surtout le pain des morts, c'est un pain fait spécialement pour eux et que l'on mangera le lendemain en buvant le fameux chocolat bien mousseux d'Oaxaca. Ce matin nous nous sommes rendu à Santa Lucia, à la barricade où a été tué le jeune reporter Brad Will, les habitants de ce quartier populaire lui rendait hommage, ils ont dressé un autel à un coin de rue, proche du lieu où il est tombé, lieu dit le Ferrocaril, une ligne de chemin de fer partageant l'avenue en deux ; la mort nous a laissé en mémoire une chaussure au milieu de l'asphalte, les jeunes du quartier ont fermé un grand espace avec des bougies autour de cette chaussure et ils ont écrit le nom de Bradley Will en lettres dorées avec des étoiles. Les familles se sont ensuite retrouvées pour une oraison publique autour de l'autel qu'elles lui avaient élevé.

Je reprends cette chronique deux jours plus tard, nous sommes maintenant vendredi soir. Jeudi, au matin, nous avons été appelés en renfort pour protéger la radio universitaire, les troupes de la police fédérale venaient de prendre la barricade de la Glorieta Cinco Señores, qui protégeait la cité universitaire. La radio poussait son cri d'alarme et lançait un appel au peuple d'Oaxaca : « Nous sommes menacés, venez en grand nombre, ne restez pas chez vous, venez défendre votre radio ! » La police avait choisi son jour, jour de la fête des morts, le 2 novembre est une fête familial importante : on invite les voisins à déjeuner, à boire le chocolat et à manger le pain des morts, on a préparé le mole, la sauce aux vingt épices, au piment et au chocolat, que l'on mangera, accompagnée de poulet, en famille, avant de se rendre au cimetière.

Nous sommes arrivés assez tôt et nous avons pu contourner, avec l'aide des habitants des quartiers environnants, les flics qui avaient pris los Cinco Señores pour nous trouver au pied de l'université. Il fallait renforcer les barricades existantes et en élever d'autres à des points stratégiques afin de ralentir les forces de police. Les habitants du quartier se sont mis à l'œuvre, pas tous, des familles du parti du gouverneur déchu ont soulevé des objections, ce qui a entraîné de fortes discussions entre voisins, finalement notre parti l'a emporté et les familles récalcitrantes sont rentrées s'enfermer chez elles. Le matin, de bonne heure, vers 7H, des gens du PRI étaient passés en camionnette aux abords de l'université et avaient tiré en direction de la radio, nous avons retrouvé 24 douilles de différents calibres.

Des carcasses de voitures, et même la carcasse d'un camion, ont été soulevées et transportées à la force des poignets au pied des gendarmes mobiles. Les habitants et les jeunes de l'université allaient faire feu, c'est le cas de le dire, de tout bois, et nous pourrions ajouter, de tout véhicule avec cependant une prédilection pour les bus. Trois autobus de Montoya, une colonie assez éloignée, sont venus nous prêter main forte, à leur arrivée les passagers ont pris les clés et ont dit aux chauffeurs : « les bus ne sont pas à vous, donc on vous les prend, on vous rendra les clés plus tard. » Les bus ont servi de barricades, une des tactiques consiste aussi à mette le feu à un bus et à le lancer ainsi tout enflammé sur les forces de police. A la fin de l'affrontement, nous avons vu les chauffeurs partir avec les clés, mais sans leurs bus.

Nous avons fait de belles rencontres, des mères de famille, des personnes âgées, des gens simples, sans parler des jeunes et des gamins, tous sur le pied de guerre, et ils allaient être toujours là aux moments les plus durs et les plus critiques, quand les hélicoptères nous bombardaient avec des grenades de gaz lacrymogène. La bataille a duré 7 heures. Des équipes médicales étaient présentes avec du vinaigre, du coca-cola et de l'eau, le vinaigre pour respirer sous les gaz lacrymogènes, le coca pour s'en asperger, ce qui a pour effet d'atténuer rapidement les brûlures du gaz, on peut employer aussi de l'eau sucrée, mais les gens ici préfèrent le coca, et l'eau pure pour les yeux. Les jeunes ont fait preuve d'une vaillance et d'une imagination à toute épreuve : bazookas improvisés avec des tubes de PCV, il m'a semblé, mais je ne suis pas un expert en guérilla urbaine, des bouteilles de gaz enflammées, je vous assure qu'une grande bouteille de gaz, comme ils ont ici, au milieu de la rue fait le vide autour d'elle, aussi bien du côté de la police que des assaillants, ils ont aussi des fusées, sans parler des traditionnelles bombas molotof ; j'ai aussi noté des pétards de fabrication artisanale ou coyotas, on mélange de la poudre, un acide, des clous et des punaises, le tout dans du papier d'aluminium qu'on entoure ensuite d'un adhésif, on y ajoute une mèche et le tour est joué ; j'ai pu apprécier leur habileté à la fronde, la pierre atteint une vitesse, une hauteur et une distance impressionnante.

Offensive, repli, offensive…, vers trois heures nous avons ressenti comme un petit relâchement, le combat semblait se déplacer vers les rues adjacentes, on annonçait à la radio une série d'arrestations, j'ai pensé que les flics nous encerclaient et que je devais trouver un moyen de sortir de cet encerclement si je ne voulais pas me trouver déporter en Europe. Nous avons offert notre aide à un groupe médical qui avait une camionnette, transporter du coca-cola et du vinaigre sur le front, mais le front reculait au fur et à mesure que nous avancions, la troupe battait en retraite et finalement nous nous sommes retrouvés tous sur la Glorieta Cinco Señores, et les gens venaient de partout. Les habitants d'Oaxaca venaient de remporter la victoire sur plus de 4000 hommes de troupe, les hélicoptères ont fait un dernier passage pour lancer quelques grenades et ils sont partis.

Réduit à ma portion de quartier, pour ne pas dire de rue, entre la cité universitaire et le bataillon de flics, je n'avais aucune vision d'ensemble. En fait les habitants, qui peu à peu arrivaient par vagues sur les lieux à l'appel de la radio, ne purent passer le barrage des policiers qui tenaient les cinq avenues, bientôt ceux-ci se sont trouvés pris en tenaille, les arrivants ont commencé à dresser des barricades et à s'affronter aux forces de police, et ils étaient de plus en plus nombreux, au bout de quelques heures la police fédérale préventive a commencé à manquer de munitions et les canons à eau se sont trouvés vides. Elle a été débordée par le nombre. La seule solution qui lui restait était de faire feu sur la foule qui l'entourait, elle a choisi de battre en retraite : No fue un fracaso, se evito un baño de sangre, porque no teniamos por qué cambiar los toletes por metralla (ce ne fut pas un échec, on a évité un bain de sang, car nous n'avions d'autre solution que de remplacer les matraques par la mitraille). La victoire revient au peuple d'Oaxaca qui s'est mobilisé pour défendre sa radio.

Depuis le début nous avons affaire à une révolte sociale, qui émerge des profondeurs de la société, et tout l'appareil d'Etat est en train de se fissurer sous la poussée de cette force. Ces deux mobilisations populaires, celle de dimanche et celle de jeudi, ont pallié l'absence, pour ne pas dire la trahison de la section 22, et l'assemblée s'est trouvée toute revigorée, ce qui est bon signe pour le Congrès Constituant qui doit se tenir le 10, 11 et 12 novembre. Ce n'est qu'une victoire dans une guerre sociale qui promet d'être longue.

Déjà le lendemain, c'est-à-dire aujourd'hui, à 6h50 du matin, des escadrons de la mort dans un style commando ont à nouveau tiré avec des armes de gros calibre sur les installations de la radio. Une grande manifestation est prévue dimanche prochain avec l'arrivée de trois caravanes venant du Nord, du Centre et du Sud. Les caravanes, qui ne pourront entrer, dresseront une barricade à l'endroit même où elles seront arrêtées, cette proposition fut faite à l'assemblée cet après-midi. A dimanche ! Oaxaca, vendredi 3 novembre 2006. George
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   Posté le 16-11-2006 à 19:38:54   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Bien le bonjour d’Oaxaca, le 14 novembre.


Bien le bonjour,

Le Congrès constituant de l’Assemblée s’est ouvert le vendredi 10 novembre. Il avait pour but de définir, autour de trois thèmes de discussions, les perspectives, les principes, le programme et le plan d’action, à court, moyen et long terme, de l’Assemblée, puis de désigner les membres qui formeront le Conseil de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca. Ce Conseil des peuples d’Oaxaca, (Consejo Estatal de los Pueblos de Oaxaca) constituera la direction collective permanente de l’Assemblée, elle sera l’organe de coordination et de représentation de l’APPO. Trois jours plus tard, le lundi 13, à 4 heures du matin, après d’âpres disputes, interrompues par des discours de soutien venus de toute part, la recherche opiniâtre du consensus et quelques tentatives de manipulation, le Congrès avait atteint ses objectifs.

Le Congrès s’est tenu dans une salle des sports, surchauffée en milieu d’après-midi, froide la nuit, qui se trouve à la sortie de la ville. Les délégués des sept régions de l’État d’Oaxaca et des différents secteurs de la société composant l’Assemblée formaient le corps du Congrès, huit cents au début, un peu plus de mille sur la fin, ils avaient un carton orange et eux seuls avaient le droit de vote, puis venaient les invités munis d’un carton jaune (les invités avaient le droit à la parole, mais non au vote) et la presse, autre carton, qui a dû sortir dès le commencement des débats. Interdiction était faite de sortir avant la fin des débats, sauf pour les invités, qui, dans ce cas, ne pouvaient pas revenir. L’alcool et les armes à feu étaient interdits, ainsi que les appareils photo. Un comité de vigilance veillait au bon respect des règles et cherchait à éviter l’infiltration de gens indésirables. Au dernier jour, nous avons été retardé par la découverte de faux délégués, qui avaient présenté une « feuille de route » suspecte. En général, les gens, par délégation, se connaissaient, et il était difficile de se glisser à l’intérieur d’une délégation sans soulever des interrogations. Cela dit... Certains délégués, venus des régions, ont apporté leurs couvertures et dormaient sur place. Petits déjeuners, repas du midi et du soir étaient prévus, en outre les habitants des quartiers et des barricades apportaient à manger dans des camionnettes ou des autos particulières, qu’ils distribuaient à l’heure de la comida. Le repas de midi se faisait dehors sous un soleil assassin et la file était interminable.

Les Indiens, les jeunes et les femmes étaient un peu perdus dans un monde d’hommes, d’adultes et de métis. J’ajouterai que le monde paysan était sous-représenté au profit du corps enseignant. Pourtant, ces minorités issues des colonies, des barricades et des communautés villageoises vont marquer d’un esprit nouveau l’Assemblée populaire face aux traditions de lutte des militants marxistes, qui constituaient tout de même le gros morceau de l’Assemblée. Durant toute la durée du congrès, ces deux formes de pensée vont s’affronter, mais aussi s’écouter, pour finir par conclure une forme d’alliance, un pacte provisoire : les militants ayant parfois été sensibles à ce qui constitue le fondement de l’Assemblée et lui donne un sens, la communauté ; les jeunes libertaires, les habitants des colonies et des villages reconnaissant, semble-t-il, la capacité d’organisation et de convocation des militants issus des formes historiques de la « lutte des classes ». En fin de compte ce que cherche l’Autre Campagne zapatiste, l’alliance entre le mouvement indien et les forces d’opposition au monde capitaliste, semble se concrétiser ici avec l’APPO. Cette union ne se fait pas sans grincements de dents, torsions et contorsions, ce qui donne à l’Assemblée une tournure complexe et parfois ambiguë, elle est populaire, ce qui convient à l’esprit marxiste et léniniste, mais elle est aussi l’assemblée des peuples d’Oaxaca, ce qui lui donne un tout autre esprit.

La première journée a été en grande partie occupée à enregistrer les délégués et les invités, et le congrès n’a véritablement commencé qu’au début de l’après-midi. Les sept présidents et vice-présidents, les quatre rapporteurs et les dix scrutateurs chargés de la direction du congrès ont été désignés par les délégués, chaque région devant nommer trois représentants. La règle du consensus a été retenue et le programme des trois tables de travail a été présenté. Durant cette journée, à travers des discussions, des idées ont pu se préciser : maintenir l’unité entre les forces qui composent l’Assemblée, entre un mouvement anti-autoritaire et spontané et un mouvement organisé ; des concepts comme la révocation des mandats, la démocratie participative, l’initiative citoyenne, du « mandar obedeciendo », la reconnaissance des droits indigènes, une éducation multiculturelle, l’égalité des genres, ont été avancés, qui devaient définir et rappeler les grands traits de l’Assemblée.

La deuxième journée a été plus consistante, avec la tenue des trois tables de discussion autour des thèmes suivant :

Table 1, analyse du contexte international, national et régional, à l’intérieur duquel se constitue l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca.

Table 2, la crise des institutions : pour une réforme intégrale de l’État libre et souverain d’Oaxaca, pour un nouveau gouvernement, une nouvelle constituante et une nouvelle constitution.

Table 3, l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca, perspectives, déclaration de principes, statuts et buts, plan d’action à court, moyen et long terme.

Nous avons assisté à la table numéro 3, les résolutions et les propositions de la première assemblée des peuples d’Oaxaca, qui eut lieu fin septembre, ont été reprises dans leur ensemble, ce sont en général des déclarations de principes, qui n’ont de sens que s’ils sont réellement appliqués, ce qui est encore à voir. Retenons le principe de la révocation des membres élus du Conseil, que toutes les décisions prises par l’APPO devront être analysées et discutées par la base, le consensus sur les décisions, le service ou tequio, le « mandar obedeciendo »... Nous retrouvons ce caractère de généralité quant aux propositions concernant le programme de lutte, souveraineté nationale, pour un nouveau modèle de développement économique, pour une démocratie populaire, pour la justice sociale... Je vous laisse deviner le contenu de tous ces paragraphes, je retiendrai le droit à la terre pour les femmes indigènes et le respect de la médecine traditionnelle et des médecins et des sages-femmes indigènes ; et puis chacun y a été pour de nouvelles propositions de principes ou de luttes ou pour confirmer et préciser les propositions existantes, insistant sur l’horizontalité des rapports, les radios communautaires, le système des charges, une cinquantaine de personnes sont ainsi intervenues, chacune d’entre elles exprimant, dans une certaine confusion entre réformisme et radicalité, ses préoccupations et ses idées.

Au cours de toutes ces interventions, se dessinaient peu à peu les trois courants qui allaient s’affronter le lendemain : le courant que j’appellerai « magoniste » et qui s’appuie sur les pratiques et les règles de la vie communautaire (souvent, d’ailleurs, la communauté est mise en avant comme une simple référence, un peu abstraite, par de jeunes libertaires venus des barricades), le courant « révolutionnaire » marxiste-léniniste, qui tourne autour du concept clé de pouvoir populaire, et un courant plus souterrain, moins visible mais qui pointe parfois le bout de son nez, le courant réformiste proche du Parti de la révolution démocratique et de la Convention nationale du même nom.

La troisième journée a été consacrée au débat, à partir de l’analyse des résultats ou conclusions des trois tables, et ce ne fut pas une mince affaire, tentatives de manipulation ou l’art de faire passer en force ou en douceur des propositions inacceptables pour la majorité des délégués. Usure, résistance, acharnement, fatigue, les militants des partis politiques et en particulier du PRD, ressortaient de leurs sombreros tous les vieux procédés usés jusqu’à la corde pour faire accepter l’inacceptable. Pris dans la tourmente le bateau du congrès a tenu bon, malgré quelques voies d’eau qui n’ont pu être colmatées à temps. Il s’agissait ensuite de nommer les membres du Conseil, la règle de pas moins de 30 % de femmes ayant été acceptée et retenue par la majorité : dix hommes ou femmes pour chacune des sept régions à l’exception de la Vallée centrale, où se trouve Oaxaca, qui sera représentée par vingt délégués auxquels s’ajouteront les représentants des différents secteurs (de 3 à 5 par secteur) : colonies et quartiers, barricades, femmes, organisations civiles, organisations des peuples indigènes, syndicats, autorités municipales, jeunes et étudiants, paysans et producteurs, religieux, commerçants, secteur culturel et artistique, intellectuels. Tout le monde y retrouvait son compte finalement et il y eut plus de 260 membres nommés pour deux ans. Remarquons que les délégués de la Sierra Norte au Congrès, conséquents avec leur tradition communautaire, n’ont pas nommé de membres au Conseil, laissant ce soin à l’assemblée régionale, qui se réunira prochainement à Guelatao.

Je reviendrai sur ce congrès dans une prochaine lettre.

Oaxaca, le mardi 14 novembre 2006.
George Lapierre.
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CHRONIQUE DU MEXIQUE EN LUTTES, 15 NOVEMBRE 2006


Oaxaca

L’APPO (Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca) annonce qu’elle empêchera le gouverneur de l’État, Ulises Ruiz, de rendre son deuxième rapport d’activités au Congrès. Cette cérémonie, en effet, vise à montrer qu’il y a gouvernabilité, ce que conteste l’APPO. Le programme de gouvernement présenté mercredi passé par Ruiz au ministre de l’Intérieur comprenait six points : réconciliation, réforme de l’État, réactivation économique, sécurité, révision des structures de gouvernement et avancée dans l’accomplissement des accords passés avec les enseignants. Cependant, aucun détail n’a toujours été fourni quant à savoir comment seront accomplis ces six engagements.

Les étudiants de l’Université autonome Benito Juárez d’Oaxaca refusent de reprendre les cours, ainsi que de démanteler les barricades qui entourent le campus. Le recteur a annoncé lui-même que les cours étaient suspendus jusqu’à nouvel ordre, mais il avait demandé la levée des barricades en échange d’une protection policière pour les étudiants militants, protection que ceux-ci estiment "incongrue" étant donné la répression violente que la police a exercée sur eux il y deux semaines. Trois étudiants sont toujours incarcérés ; la section locale de la Ligue des droits humains demande leur libération ainsi que la présentation en vie de 31 personnes disparues lors des assauts policiers subis par la ville. Pour marquer leur détermination, 2 000 étudiants ont effectué une marche depuis la Cité universitaire vers le camp principal de l’APPO, au couvent de Santo Domingo.

Dans une petite ville de l’État, des professeurs ont fait prisonniers six militants du PRI qui cherchaient à remplacer les professeurs de la section 22 du syndicat, toujours en grève.

L’ex-maire de Mexico, Andrés Manuel López Obrador, ainsi que des députés du PRD organisent vendredi prochain une rencontre nationale "pour la défense d’Oaxaca" ; ils exigent le retrait de la PFP et la démission du gouverneur comme préalable à toute négociation et souhaitent promouvoir des actions pour éviter de futures violences et terreurs à l’encontre des populations en lutte.

Chiapas

Lundi dernier, des indigènes lacandons, militants du PRI, ont entrepris de chasser par la force des indigènes tzetales et choles, sympathisants de l’EZLN, de certaines terres revendiquées par les deux parties dans la réserve écologique des Montes Azules. Selon le Centre des droits humains Fray Bartolomé de las Casas, proche des zapatistes, l’affrontement a fait 14 morts, 10 du côté des sympathisants de l’EZLN et 4 du côté des Lacandons. Le ministère fédéral de la réforme agraire et le gouvernement du Chiapas avaient, au terme d’une négociation, attribué ces terres aux Lacandons et obligé les autres indigènes à les évacuer.

Lutte pour la présidence

La tension monte à l’approche de l’entrée en fonction du nouveau président de la République, qui doit avoir lieu le 1er décembre au Palais législatif. Le PRD, dont fait partie le candidat Andrés Manuel López Obrador (AMLO), évincé par une fraude électorale plus que probable, a réaffirmé son intention d’empêcher à tout prix cette cérémonie. Le PAN, parti du président, veut faire protéger les lieux par l’armée, ce qui est refusé par les autres partis, y compris le PRI qui estime "lamentable" qu’un acte constitutionnel comme la transmission de pouvoir doive se faire sous la protection de l’armée et de la police ; le PRI demande que des négociations politiques soient faites avec le PRD pour que les choses se passent sans violence. L’APPO annonce sur son site Internet qu’aura lieu le 1er décembre une marche d’un million de personnes vers Mexico, à la fois pour exiger la démission de Ruiz et pour rejeter la présidence de Calderón.

Le porte-parole de l’actuel président a demandé que la voix de la majorité soit respectée, puisqu’en démocratie c’est la majorité qui commande, et puisque la majorité a voté pour Calderón. AMLO, de son côté, a déclaré que le gouvernement de Calderón serait une mascarade et un pur appareil bureaucratique, car tel est un gouvernement "sans l’appui du peuple". Il a ajouté que le parti pris de la majorité des médias, "vendus à la droite néofasciste", est une preuve que le pays n’est pas une démocratie. Il maintient que le 20 novembre aura lieu sa propre entrée en fonction comme "président légitime", avec le cabinet qu’il a constitué et avec le programme qu’il a annoncé pour gouverner "pour le peuple et avec le peuple".

La hiérarchie catholique abonde dans le sens de la présidence, méprisant les accusations de fraude électorale. Pour rappel, les indices de fraude sont surtout le nombre beaucoup plus important de votes que de votants officiels dans certains États, des bizarreries dans la progression du décompte des voix, une partialité évidente de l’IFE (Instituto Federal Electoral, institution créée en 1988 pour garantir la transparence du processus, mais qui a été immédiatement assujettie au gouvernement en place, ses membres faisant exclusivement partie du PAN et du PRI) - tout cela sans parler d’une campagne électorale véritablement haineuse et diffamatoire envers le candidat du PRD. Un article extrêmement détaillé, et dont la conclusion est accablante pour le PAN, a paru à ce propos dans "La Chronique des Amériques" (juillet 2006, n° 26, Observatoire des Amériques, Université du Québec à Montréal) : Les élections présidentielles mexicaines : parodie électorale ou tragédie démocratique ?, par Émilie E. Joly.

Les sénateurs du PRD, reprenant l’ensemble des irrégularités commises lors des élections, demandent la démission de tous les membres de l’IFE.

Annick Stevens, à partir de "La Jornada".
sti
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   Posté le 16-11-2006 à 21:03:12   Voir le profil de sti (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à sti   

Le compte rendu de George Lapierre est intéressant et notement sur le rôle des ML qui consisteraient une des trois forces du congrés et apparement la mieu organisé mais les décisions d'organisations collégiale de l'assemblé suivant des critéres sociaux culturels un peu flou semble sujet à caution.
Ce qui serai bien ce serait d'avoir un texte des ML précisant la stratégie au sein du congrès et de l'assemblée puisqu'ils représentent une force trés importante. Il se joue peu être un événement politique important ...
Paria, quelque part on lit que l' APPO a un site internet, tu l'as trouvé ?

(encore merci pour ce dossier)
sti
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   Posté le 16-11-2006 à 21:05:48   Voir le profil de sti (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à sti   

http://www.asambleapopulardeoaxaca.com/

c'étais pas compliqué en fait ...
Paria
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   Posté le 16-11-2006 à 21:12:45   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Oui, oppong l'avait mis un peu plus haut : http://www.asambleapopulardeoaxaca.com

Pour ce qui est des groupes ML présent à l'APPO je cherche toujours des informations supplémentaires mais je n'ai encore rien trouvé.
sti
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   Posté le 16-11-2006 à 21:21:18   Voir le profil de sti (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à sti   

Merde, je l'avais zappé. Désolé
Paria
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   Posté le 22-11-2006 à 16:05:15   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

CHRONIQUE DU MEXIQUE EN LUTTES, 21 NOVEMBRE 2006


Naissance de l’Assemblée populaire des peuples du Mexique, pour la
démocratie directe issue de la tradition indigène.


Ce 20 novembre a été un jour historique au Mexique pour plusieurs raisons.
La plus importante pour l’avenir est probablement la constitution
officielle de l’Assemblée populaire des peuples du Mexique (APPM), qui
regroupe 19 assemblées populaires, dont l’APPO, et 75 organisations
sociales et politiques. L’APPM cherche à former un front le plus large
possible contre la domination politique et économique de droite ; c’est
pourquoi elle invite les zapatistes de l’« Autre Campagne » et le « Front
élargi progressiste » (c’est-à-dire le PRD et les petits partis qui lui
sont alliés) à se joindre au mouvement ; seuls sont exclus les groupes
liés au PRI ou au PAN, dans la mesure où il doit s’agir d’un « processus
d’organisation populaire qui veut en finir avec les vieux cercles de
pouvoir et où les décisions émanent directement des assemblées, avec une
coordination horizontale, sans possibilité d’imposer des décisions depuis
des petits cercles de pouvoir ». Parmi les objectifs de l’APPM, en effet,
le plus révolutionnaire est sans doute celui de promouvoir la formation
d’assemblées à tous les niveaux, depuis le plus local jusqu’au plus
fédéral, afin de « retrouver les traditions collectives, communautaires et
populaires qui trouvent dans les assemblées l’expression la plus complète
et la plus développée de la démocratie directe ».

La première activité de l’APPM sera l’appui au plan d’action de l’APPO,
qui comprend, demain mercredi, une mégamarche vers la ville d’Oaxaca, des
blocages de routes autour de celle-ci, et des meetings devant une
quinzaine d’ambassades dans divers pays du monde.

À Mexico, les promesses du « Président légitime » López Obrador.

La célébration de l’anniversaire de la Révolution dans le centre ville de
Mexico, c’est d’abord une foule de plusieurs centaines de milliers de
personnes qui assiste au défilé commémoratif, culturel et sportif, dans
une atmosphère joyeuse et bon enfant. Mais cette année c’est surtout
l’occasion qu’a choisie le candidat présidentiel, évincé par fraude,
Andrés Manuel López Obrador (AMLO), pour prendre symboliquement ses
fonctions de Président légitime, avant que son rival Felipe Calderón ne le
fasse officiellement le 1er décembre. Devant la foule accourue de tous les
coins de la république, AMLO s’est engagé à protéger les droits du peuple,
défendre le patrimoine et la souveraineté nationale et entamer la
transformation profonde du pays. À cette fin, il a annoncé un programme en
20 points, parmi lesquels des initiatives légales pour affronter les
monopoles économiques liés au pouvoir et pour favoriser l’économie
populaire.
En préparation du 1er décembre, le Palais législatif où doit se passer la
cérémonie d’investiture de Calderón s’est transformé en une véritable
place forte, gardée par des centaines de policiers, et dont tous les accès
sont désormais scellés, murés, contrôlés. Une exposition consacrée à
Pancho Villa, qui devait être inaugurée aujourd’hui, a été interdite par
le PAN, au grand dam de tous les autres groupes politiques qui estiment
les mesures de prévention démesurées. Qui sait cependant ce qui va se
passer ce jour-là ? Une banderole sur le zócalo annonçait clairement : «
La démocratie est morte. S’il n’y a pas de solutions, ce sera la
révolution ».

Toujours l’état de siège à Oaxaca.

Dans la capitale d’Oaxaca, des affrontements ont eu lieu entre la Police
fédérale préventive (PFP) et les quelques 1 500 partisans de l’APPO qui
avaient organisé une marche pour commémorer l’anniversaire de la
Révolution. Durant tout l’après-midi, les jets de pierres et les pétards
ont lutté contre les gaz lacrymogènes et les matraques, avant que la PFP
finisse par se retirer de la zone de la manifestation. On compte 53
blessés du côté de l’APPO et au moins 5 du côté des policiers. Plusieurs
manifestants ont été arrêtés et remis aux autorités judiciaires. Plusieurs
journalistes et preneurs d’images, y compris appartenant à des agences de
presse internationales et à la toute puissante télévision TV Azteca, ont
été poursuivis et agressés par des policiers.

La Ligue mexicaine de défense des droits de l’homme dénonce le fait que «
La Police fédérale préventive continue à violer les droits de l’homme,
outrepasse ses fonctions et, au lieu de rétablir la paix, provoque le
contraire » ; elle demande au gouvernement fédéral de retirer la PFP de
l’État, vu que « sa présence aiguise le conflit ». Une femme n’ayant aucun
lien avec l’APPO a porté plainte pour agression sexuelle de la part de
policiers, et l’APPO dénonce un harcèlement continuel vis-à-vis des femmes
de la part de la force d’occupation policière qui campe toujours dans le
centre ville.

La radio libre sympathisante des insurgés, Radio Universidad, est toujours
complètement entourée de barricades et gardée comme une forteresse ; la
professeure de médecine Berta Muñoz, qui avait assuré l’antenne durant les
sept heures d’assaut policier le 2 novembre, est désormais cantonnée à
l’intérieur des locaux de la radio en raison des menaces de mort qu’elle
reçoit sur son portable et qui sont diffusées par la radio proche du
gouvernement. Elle a confié à une journaliste de « La Jornada » que rien
ne serait plus pareil à l’université, qui doit désormais se rapprocher du
peuple et lui donner la parole.

Quant au gouverneur de l’État, Ulises Ruiz, comme seule réponse à
l’immense mouvement populaire qui réclame sa démission, il a déclaré que «
celui qui retire et impose, c’est Dieu ». Cette tranquille assurance de
gouverner de droit divin lui a valu le sévère reproche du coordinateur de
la commission « Justice et Paix » de l’archidiocèse d’Oaxaca, pour avoir
évoqué le nom de Dieu pour « justifier son maintien au pouvoir, qui
manifestement est autoritaire, méprisant, despotique et tyrannique. Quand
on idolâtre le pouvoir, on tombe dans la fétichisation et on n’écoute plus
la voix du peuple. »

Du côté des zapatistes

D’État en État et de communauté en communauté, l’ « Autre Campagne »,
entamée il y a déjà presque un an, continue de donner la parole à toutes
les victimes des confiscations de terres, des assassinats et disparitions,
de la misère imposée par les grands propriétaires et leurs milices
privées, les caciques et leurs policiers corrompus, les narcotrafiquants
et leurs blanchisseurs. Donnant ainsi une voix aux sans voix, elle permet
au moins de révéler à quel point la façade de démocratie et d’État de
droit qu’affiche le Mexique vis-à-vis de l’extérieur est un leurre et une
mascarade.

Hier, des milliers d’indigènes, « bases d’appui » de l’EZLN, ont bloqué
diverses routes du Chiapas pour manifester leur soutien aux revendications
de l’APPO.

Annick Stevens, à partir de « La Jornada ».

Message édité le 22-11-2006 à 16:05:43 par Paria
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   Posté le 22-11-2006 à 19:33:35   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Bien le bonjour,

Nous en étions restés à la troisième et dernière journée, celle des débats
houleux (je n’ai pas perdu de vue ma métaphore du bateau dans la tempête)
et de la nomination des membres du conseil. Du débat houleux, j’ai retenu
quelques sujets qui posaient problèmes, le premier concernait la question
du pouvoir et avec elle, celle des partis politiques, devait-on accepter
comme membres du Conseil des adhérents à un parti politique ? Le deuxième
concernait le nombre de places à l’intérieur du Conseil consenties aux
enseignants ? Nous reviendrons un peu plus loin sur ces deux questions,
nous allons commencer par les conclusions des tables de travail. Dès le
matin, consacré à la lecture des résultats, les mésententes ont fait
surface et ont envenimé les discussions.

La première table concernant l’analyse de la situation internationale,
nationale et régionale n’a pas posé de problèmes particuliers, tous sont
tombés d’accord pour trouver la situation catastrophique : capitalisme
généralisé s’appuyant en grande partie sur l’impérialisme des Etats-Unis,
qui conduit à l’appropriation des ressources et à la destruction du
milieu, des cultures et de la vie sociale (avec parfois un petit côté
marxiste au sujet des contradictions du capitalisme et des allusions à la
classe ouvrière), la signature des traités commerciaux ont ruiné le marché
national et prolétarisé les paysans, condamnés à émigrer aux Etats-Unis.
Sur le plan régional cette avancée du capitalisme s’accompagnant de la
privatisation des biens communs est une agression contre la vie
communautaire, les usages et les coutumes ancestraux. Cette destruction de
la richesse naturelle et culturelle, s’accompagne d’un accroissement de la
répression : violation constante de la liberté, des droits collectifs et
des droits humains.

On vient de m’appeler pour me dire que la situation est critique du côté
du Zócalo, la manifestation de ce jour, 20 novembre, vient de s’affronter
à la police fédérale préventive qui garde l’endroit. Je vais y faire un
saut, je vous tiendrai au courant… Ce sont surtout des jeunes qui
harcèlent les forces militaires, ils ont dressé une belle barricade avec
les matériaux d’un immeuble en construction sur la rue qui descend de
Santo Domingo au Zócalo, de ce point, ils asticotent les flics, qui, de
leur côté, répliquent en lançant des grenades lacrymogènes ; les autres
rues d’accès sont mal protégées si bien que les forces ennemies peuvent
nous prendre à revers, c’est d’ailleurs ce qui se passe à un moment donné,
ce n’est heureusement qu’un commando d’une vingtaine d’individus, qui
tirent à bout portant avec leurs fusils lance-grenades et puis se
replient, quelques blessés. Des secours se sont formés spontanément, des
familles sont venues avec tout le matériel et proposent des tampons de
vinaigre, du coca-cola et de l’eau pour les yeux. Des équipes médicales
sont en place. Les jeunes ne sont pas en position de force et ils n’ont
pas une vue stratégique qui leur permettrait de coordonner leurs
mouvements, ils en ont conscience, déjà toute une équipe est partie
renforcer la barricade de los Cinco Señores dangereusement laissée sans
protection. Ce qui me paraît préoccupant est l’attitude des membres du
Conseil présents, au lieu de prendre le parti des jeunes, ils ont commencé
à parler de provocations, de manifestation pacifique, nous connaissons
tous ce genre de discours, pour ensuite donner l’ordre du repli. "Comment,
vous, qui représentez d’une certaine manière le peuple, osez parler de
provocations quand vous devriez être en première ligne pour le défendre
contre les exactions des forces d’occupation, les jeunes font ce travail,
alors respectez-les et ne les accusez pas d’être des provocateurs !!", la
réponse ne s’est pas laissé attendre ! Si tous ceux qui ont des ambitions
politiques, forts de leur position au sein du Conseil, continuent à se
manifester de cette manière autoritaire bien des gens des barricades, des
colonies et des quartiers vont se sentir rejetés ou écartés et ne vont
plus participer à l’Assemblée ; un divorce en ce moment me paraît
prématuré car il laisserait le champ libre aux politiques et mettrait un
terme à la commune d’Oaxaca.

Fin de cette grande parenthèse, qui est celle de l’action un après-midi à
Oaxaca, et revenons à l’analyse de cette troisième journée du Congrès, qui
est, elle aussi, pleine d’enseignements.

La lecture des conclusions de la table 2 va soulever de vigoureuses
protestations et mettre en péril l’unité du Congrès. Le passage incriminé
est le suivant :

"Se consideró importante que la APPO negocie y vaya ocupando espacios de
decisión y de poder en las instituciones vigentes, que se negocie con el
gobierno federal y se ocupen espacios en el gobierno estatal… que la APPO
sea un ente político en la legislatura local… y participar en el próximo
proceso electoral."
(On a considéré important que l’APPO négocie et occupe des espaces de
décision et de pouvoir dans les institutions existantes, qu’on négocie
avec le gouvernement fédéral et qu’on occupe des espaces dans le
gouvernement de l’Etat [d’Oaxaca]… que l’APPO soit un organisme au sein de
la législature locale… et participe au prochain processus électoral.)

Les rapporteurs ont bien ajouté que ce passage n’avait pas obtenu le
consensus, il était tout de même proposé au Congrès, avec l’espoir de
passer inaperçu ? Ce ne fut pas le cas. Les gens étaient vraiment en
colère, à tel point que l’unité du Congrès s’est trouvée, un temps,
compromise. Il fut décidé de refaire le texte pendant l’heure du repas. Le
Congrès avait pris un coup dans l’aile. Etait-ce une réalité ou un
prétexte ? La découverte de personnages suspects venait à point pour
ressouder artificiellement l’assemblée et calmer le jeu : attente
interminable après le repas, retour au compte goutte dans la salle des
débats, musique et danse au "son de la barricada", discours de soutien, la
lecture d’un nouveau rapport n’eut lieu qu’à 6 heures du soir devant des
esprits qui avaient été divertis de la dispute du matin. Un rapport qui
ménage la chèvre et le chou, d’un côté il est question d’un pouvoir
populaire, de l’autre on reconnaît "comme instances fondamentales dans la
prise de décisions à l’intérieur de l’APPO les assemblées communautaires."
Des interventions qui ont suivi cette lecture, je retiens la proposition
de reconnaître l’autonomie et la libre détermination des peuples indiens,
la valorisation du tequio ou travail communautaire, l’accomplissement des
accords de San Andrès, la critique du Plan Puebla-Panama et du projet de
dresser plus de 2000 éoliennes dans l’isthme de Tehuantepec, par contre,
je me garderai de retenir la motion proposant de "construire un pouvoir
populaire et un nouvel Etat".

Je vous ai déjà parlé de la table 3 portant sur les principes généraux de
l’Assemblée et sur les plans d’action, je les rappelle ici brièvement :
communalité, démocratie participative ou démocratie directe, plébiscite et
référendum, révocation des mandats, non réélection, probité et
transparence, équité du genre, égalité et justice, service (mandar
obedeciendo), unité (les partis politiques apportent la division),
autonomie (respect de l’autonomie des communautés, des groupes et des
associations), consensus (décisions prises par consensus), la critique et
l’autocritique, inclusion et respect de la diversité, discipline et
respect mutuel, solidarité internationale, mouvement anticapitaliste,
anti-impérialiste et antifasciste, mouvement social pacifique. Avec ces
principes comme base, il fut décidé que l’instance suprême des décisions
sera l’Assemblée de l’Etat d’Oaxaca. Cette Assemblée au niveau de l’Etat
d’Oaxaca, ou Assemblée estatal, devra être soutenue et nourrie par les
assemblées des peuples, des régions et des secteurs, constituant ainsi
l’Assemblée des assemblées. Face à la crise actuelle de la démocratie
représentative, le congrès de l’APPO a revendiqué et assumé les formes
concrètes de la démocratie directe.

L’APPO, malgré la présence de délégués venus des communes avoisinantes, a
été jusqu’à présent un mouvement essentiellement urbain, dominé par les
groupes politiques de la gauche traditionnelle surtout d’obédience
marxiste-léniniste ; les familles et les jeunes venus des barricades ont
rompu les schémas des "avant-gardes" dogmatiques et ouvert de nouveaux
espaces à l’intérieur des luttes populaires. Jusqu’à la dernière minute,
les délégués indiens ont hésité à s’intégrer au Conseil ; la participation
massive et spontanée des habitants des quartiers, des colonies et des
barricades, la barricade définissant à la fois un territoire et une
communauté, les a amenés à faire le pas. La figure centrale de l’Assemblée
reflétant l’esprit et l’expérience communautaire a fini par s’imposer
malgré toutes les ambiguïtés qui ont pu surgir au cours des débats. Dans
une entrevue collective réalisée par Blanche Petrich de La Jornada (La
Jornada du 14 novembre), plusieurs leaders de la montagne, Aldo González,
de Guelatao, Adolfo Regino, d’Alotepec-Mixe, Joel Aquino, de Yalálag,
Fernando Melo et Manuel Suárez, du secteur Soogocho, et Fernando
Soberanes, du Congrès de l’éducation indigène et interculturel, ont
reconnu qu’il n’y avait jamais eu de conditions aussi favorables pour
unifier les forces des peuples indiens avec le reste du mouvement
populaire.

Cela ne va pas être facile. Le processus qui consiste à sortir de la
cellule marxiste-léniniste et être avec le peuple au service de la
communauté commence à peine. Mais, aujourd’hui, nous avons vécu un moment
unique car sont en train de naître de nouvelles pratiques politiques.
(Aldo González)

De cela dépend la réussite ou l’échec du Conseil estatal. S’il n’y arrive
pas, cela peut conduire le mouvement à une impasse comme cela est arrivé
avec la direction des enseignants. (Joel Aquino)

Le Congrès eut la volonté sous la pression de la majorité d’incorporer des
concepts qui n’étaient pas contemplés dans les documents initiaux :
culture communautaire, aide mutuelle, serviteurs au lieu de dirigeants.
Tout cela fut bien vu et accepté parce que cela se trouve à la racine
indigène de la majorité de la population urbaine dans les quartiers, les
colonies et les barricades. (Adolfo Regino)
L’influence de l’esprit communautaire a marqué dès le début la forme
d’engagement des populations bases d’appui de l’APPO, c’est un chemin qui
vient de loin. (Fernando Soberanes)

L’inévitable opposition entre la verticalité de la gauche traditionnelle
et l’horizontalité de la cosmovision indienne n’est pas résolue pour
autant, c’est une question qui reste en suspens ; même si l’apport des
Indiens a ouvert l’horizon du Congrès, l’esprit politique reste bien
présent :

"Maintenant nous devons initier un processus sérieux et profond de
discussion avec la participation de tous les secteurs du peuple pour
élaborer le programme de lutte et de gouvernement, qui devra reprendre les
aspirations des grandes masses dans le but de conquérir le pouvoir pour le
mettre au service de tous." (Zenén Bravo du Front populaire
révolutionnaire – FPR)

"Il s’agit d’adopter le modèle bolivien d’inclure les indigènes dans la
dispute pour le pouvoir politique." (Flavio Sosa, qui se rêve en futur Evo
Morales !)

C’est cet esprit qui va se faire entendre pour réserver 40 places au
Conseil aux enseignants de la Section 22, alors que la plupart avaient
déserté le Congrès, pour admettre les adhérents du PRD, Parti de la
révolution démocratique, qui soutien Lopez Obrador, et d’autres partis de
gauche. C’est encore lui qui va chercher à accaparer les commissions que
les hommes politiques jugent importantes et à en écarter les délégués des
quartiers ou les jeunes des dernières barricades. Il y a 23 commissions,
les conseillers, nommés pour deux ans, doivent s’intégrer à chacune
d’elles et y remplir leur fonction selon le principe du service
communautaire : commissions d’organisation, de liaison et de relations, de
presse et d’information, juridique, de sécurité, de finance, d’éducation,
de culture, de santé intégrale, des droits humains, des affaires
administratives...

Le Congrès s’est terminé par le rituel de la prise de fonction des
conseillers (la toma de protesta). Alors qu’il devait être confié à Felipe
Martínez Soriano, ex-recteur de l’université d’Oaxaca, ancien leader
guérillero du PROCUP (maintenant dissous), proche du FPR, il fut
finalement confié au président de la communauté de San Juan Tobaa, de la
région Soogocho de la Sierra Norte, le Zapotèque Melitón Bautista. Il a
expliqué ce que signifie pour un Indien de recevoir de l’assemblée
communautaire le bâton de commandement, l’engagement qu’il implique auprès
de toute la communauté. Il a raconté sa trajectoire, le parcours de tous
les échelons des charges communautaires, toute une vie consacrée au
service des siens, de son peuple, un honneur, un prestige et une dignité.

Ce matin, à l’aube, des groupes paramilitaires sont intervenus à Santo
Domingo et ont tiré plusieurs coups de feu avec des armes de gros
calibres. Deux arrestations à la barricade Cinco Señores.

Oaxaca, le 21 novembre 2006.

George Lapierre
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   Posté le 23-11-2006 à 12:59:18   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

ASSEMBLÉE DES PEUPLES ZAPOTÈQUE, MIXÉ ET CHINANTÈQUE DE LA SIERRA JUÁREZ


DÉCLARATION DE GUELATAO

Les autorités municipales et communales représentant les organisations
communautaires et régionales et les citoyens et citoyennes venus des
communautés et des communes de San Miguel Cajonos, San Francisco Cajonos,
Santa Cruz Yagavila, San Baltasar Yatzachi, Villa Hidalgo Yalalag, San
Juan Analco, Calpulalpan de Méndez, San Juan Yetzecovi, San Juan Yalahui,
San Juan Atepec, San Cristóbal Chichicaxtepec Mixe, San Juan Tabaá, Santa
María Yavesía, Ixtlán de Juárez, Tanetze de Zaragoza, Asunción Cacalotepec
Mixe, Villa Alta, Macuiltianguis, Ayutla Mixe, Tamazulapan Mixe, San Juan
Teponaxtla, San Miguel Tiltepec, Guelatao de Juárez, Santa María Alotepec
Mixe, Jaltepec de Candayoc Mixe, Asunción Lachixila, San Mateo Éxodo,
Cristo Rey La Selva, Arroyo Macho, Talea de Castro, Santa María Mixistlán
Mixe, Chuxnaban Mixe, San Lucas Camotlán Mixe, San Miguel Quetzaltepec
Mixe, Totontepec Villa de Morelos, Amatepec Mixe, San Juan Guichicovi
Mixe, San Pedro Ocotepec Mixe, Santa Cruz Condoy Mixe, San Isidro Aloapan,
Santiago Zoochila et Santa María Tepantlali Mixe, appartenant aux peuples
Zapotèque, Mixé et Chinantèque et réunies dans la commune de San Pablo
Guelatao de Juárez, État d’Oaxaca, Mexique afin d’analyser la situation
réelle dans laquelle vivent nos communautés, d’engager une réflexion et de
proposer notre propre manière de participer à l’Assemblée populaire des
peuples d’Oaxaca,

ONT DÉCIDÉ :

Que tant que Monsieur Ulises Ruiz Ortiz conservera son poste [de
gouverneur], il ne pourra y avoir ni paix, ni stabilité gouvernementale ni
harmonie dans l’Oaxaca. Aussi exigeons-nous qu’il soit démis de ses
fonctions suivant une procédure politique et légale conforme aux
règlements en vigueur, attendu qu’il est l’incarnation même du régime de
caciquisme autoritaire.

ET EXIGENT :

Une profonde transformation de l’Oaxaca, afin de surmonter la terrible
arriération, la grave marginalisation et l’oubli dont nos peuples sont
victimes. Il est urgent de sceller un nouveau pacte social entre tous les
Oaxaquiens, qui permette de fonder un nouvel ordre des choses et une
nouvelle société où vivre en paix, dans la justice et la démocratie.

Nous condamnons l’emploi de la violence et de la répression pour résoudre
les graves problèmes sociaux que nous connaissons. C’est pourquoi nous
exigeons le départ des forces fédérales de l’Oaxaca, la démilitarisation
des communautés de la Sierra Norte, la libération des prisonniers
politiques, la présentation des disparus vivants, l’annulation des mandats
d’arrestation, le respect de l’autonomie universitaire et la fin immédiate
de toutes agressions à l’encontre du mouvement populaire d’Oaxaca.

Nous exigeons le départ immédiat de toutes les administrations et
délégations gouvernementales de l’ensemble des régions indigènes, et en
particulier de la Sierra Norte, attendu que ce sont elles qui ont fomenté
la division au sein de nos communautés et que ce sont leurs agents qui ont
agressé nos autorités et dirigeants communautaires. Nous demandons de même
à tous les partis politiques, et en particulier le PRI, qu’ils cessent de
commettre des agressions contre les institutions politiques de nos
communautés et de nos communes, et qu’ils n’interviennent en rien dans le
déroulement de notre vie communautaire. Si ces exigences ne se voyaient
pas respectées, nous nous verrions forcés à prendre des mesures radicales
pour procéder à leur expulsion définitive de la Sierra.

Nous appelons à l’unité des autorités et des membres des peuples
zapotèque, mixé et chinantèque afin de faire triompher nos exigences et
nos aspirations à mener la vie que nous souhaitons. Nous savons que
certaines personnes et institutions ont cherché à nous diviser et nous ont
fait nous affronter. Nous ne permettrons plus qu’elles continuent à nous
dominer et à nous manipuler. Aussi devons-nous ouvrir les yeux et
réveiller nos consciences afin de nous unir et marcher ensemble pour
renverser le mauvais gouvernement et opérer les changements nécessaires
dans notre État.

Les autorités indigènes soussignées estiment que les problèmes que l’on
connaît aujourd’hui dans l’Oaxaca doivent être résolus par la voie du
dialogue. C’est pourquoi nous trouvons bonne l’actuelle « Initiative
citoyenne de dialogue pour la paix, la démocratie et la justice dans
l’Oaxaca » et nous rejoignons cette initiative. Notre démarche doit se
poursuivre par des moyens pacifiques afin de parvenir à la conciliation et
à l’unité de tous les habitants de l’Oaxaca.

En vertu de ce qui précède, nous avons DÉCIDÉ ce qui suit :

PREMIÈREMENT : Les autorités et organisations zapotèques, mixés et
chinantèques soussignées ont accordé de se constituer en Assemblée des
peuples Zapotèque, Mixé et Chinantèque, lieu de rencontre régional ainsi
créé dans le but de partager nos problèmes et d’y apporter ensemble des
solutions, différentes le cas échéant, solutions reposant sur notre droit
inaliénable à la libre détermination et à l’autonomie comme il est établi
par les Accords de San Andrés et par le droit international. Aussi
déclarons-nous séance tenante la formation de l’Assemblée des peuples
Zapotèque, Mixé et Chinantèque ;

DEUXIÈMEMENT : Pour que cette grande Assemblée des peuples Zapotèque, Mixé
et Chinantèque soit une réalité, nous devons renforcer et étendre les
attributions de nos assemblées communautaires, municipales et régionales,
pour en faire les organes de débat et de décision de toutes les affaires
qui nous concernent. Dans l’assemblée réside notre force et notre
légitimité. L’assemblée est à la base de l’autogouvernement indigène et
c’est sur elle que repose l’ensemble du système politique communautaire.
C’est pourquoi nous la revendiquons et nous voyons en elle une arme pour
la lutte actuelle du peuple de l’Oaxaca contre le mauvais gouvernement ;

TROISIÈMEMENT : L’assemblée des peuples Zapotèque, Mixé et Chinantèque
sera la base qui facilite nos relations avec l’Assemblée populaire des
peuples d’Oaxaca. C’est le lieu où nous prendrons les décisions et les
engagements qui devront guider nos travaux pour réussir à ce que les
exigences des peuples d’Oaxaca deviennent réalité, en particulier la
reconnaissance des droits et des aspirations fondamentales de nos peuples
indigènes ;

QUATRIÈMEMENT : Afin d’assurer comme il se doit notre participation au
Conseil populaire de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO),
les autorités et organisations soussignés ont décidé de nommer nos
représentantes auprès de cette instance, en fonction des critères suivants
:

a) Les peuples Zapotèque, Mixé et Chinantèque doivent être dûment
représentés au sein du Conseil populaire, selon les travaux et capacités
requises ;

b) Les femmes devront y être représentées et participer en toute équité et
égalité ;

c) Il s’agit également d’établir une relation mutuelle avec les groupes de
migrants des montagnes se trouvant dans l’Oaxaca, au Mexique et aux
États-Unis d’Amérique ;

d) Les conseillers choisis devront respecter à tout moment notre principe
communautaire « servir en obéissant » ;

CINQUIÈMEMENT : En vertu de ce qui précède, les personnes suivantes ont
été désignées pour nous représenter au Conseil populaire de l’APPO :

Pour le peuple Zapotèque :

Teresa Rodríguez Valdivia, Nehemias Pascual Pascual, Oliverio Hernández
Chávez, Constantino Martínez Rincón (Maire de la commune de Lalopa),
Olegario Bautista Benítez, Constantino Carrillo Morales, Teódulo Fernández
Jiménez, Álvaro Vázquez Juárez, Aldo González Rojas, Isaac García Reyes,
Gloria Castillo, Juan Tereso Hernández, Germán Octavio Mayoral, Edita
Alavez Ruiz ;

Pour le peuple Mixé :

Genaro Rodríguez Rojas, Commissaire principal des Biens Communaux de San
Miguel Quetzaltepec ; Epifania Domínguez Gónzalez, habitante de
Cacalotepec ; Fortunato Montes Jiménez, Commissaire principal des Biens
Communaux de San Pedro Ocotepec ; Margarita Melania Cortés, habtante de
Santa María Ocotepec, Totontepec Villa de Morelos Mixe ; Víctor Gutiérrez
Contreras, Commissaire principal des Biens Communaux de San Cristóbal
Chichicaxtepec ; Arnulfo Aldaz González, habitant de Santa María Mixistlán
; Silvestre Ocaña López, régisseur du Trésor publicde San Juan Guichicovi,
et Hildeberto Díaz Gutiérrez, habitant de Jaltepec de Candayoc Mixe.

En ce qui concerne le peuple Chinantèque de la Sierra, la communication et
la liaison nécessaire s’établiront pour que ses autorités, organisations
et membres rejoignent le processus en cours.

SIXIÈMEMENT : Nous appelons les autorités et membres des peuples
Zapotèque, Mixé et Chinantèque à rejoindre ce processus d’organisation
régionale. Nous savons que ce ne sera pas là une tâche facile, mais nous
devons tous faire au mieux pour parvenir à nous unir et à nous organiser
pour pouvoir résoudre nos problèmes et atteindre les objectifs que nous
nous sommes fixés. C’est pourquoi nous demandons que la présente
Déclaration ainsi que les accords émanant de cette Assemblée soient
diffusés le plus largement possible. En particulier, nous demandons aux
stations de radio communautaires existant dans la Sierra de diffuser les
propositions et les aspirations de nos peuples ;

SEPTIÈMEMENT : Conformément à ce qui est établi par les Accords de San
Andrés, nous exigeons que l’on remette la chaîne de radio XEGLO « La Voz
de la Sierra » [La voix de la Sierra] aux mains des peuples Zapotèque,
Mixé et Chinantèque, suivant les démarches et mécanismes qui auront été
convenus conjointement.

Nous déclarons que dès maintenant nous avançons dans la consolidation de
l’organisation des peuples indigènes de la Sierra de l’Oaxaca, tout en
contribuant au renforcement de la construction de notre autonomie
respective, à notre reconstitution et à notre développement en tant que
peuples. C’est notre meilleur chemin et notre rêve le plus cher.

POUR LA LIBRE DÉTERMINATION ET L’AUTONOMIE DES PEUPLES INDIGÈNES

Établi dans la communauté de San Pablo Guelatao de Juárez, État d’Oaxaca,
Mexique, en ce 19e jour du mois de novembre de l’année 2006.

Traduction : Ángel Caído.
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   Posté le 23-11-2006 à 19:06:21   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Le mouvement d’Oaxaca devient « gouvernement alternatif »



La chute des barricades ne freine pas le mouvement social d’Oaxaca. Sans arrêter de réclamer le départ du gouverneur corrompu Ulises Ruiz, les « communards » mexicains se concentrent sur leur expérience autogestionnaire.

par Christophe Koessler

« Oaxaca, c’est moi. Nous sommes tous Oaxaca. » Le slogan qui retentit chaque jour dans les rues des villes de Mexico et de Oaxaca symbolise l’espoir que soulève aujourd’hui, dans tout le pays, la lutte des 300 organisations sociales, communautés indigènes et syndicats de cet Etat du Sud du Mexique pour la démocratie et la satisfaction des besoins de la population. Après 184 jours de conflit, 22 morts, 34 disparus, et plus de 104 détentions illégales, le mouvement social, réuni au sein de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO), continue à tenir tête pacifiquement au gouvernement local du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), au pouvoir depuis plus de septante ans.

Répression et prédation

Quotidiennement, des milliers de personnes défilent dans les rues, exigeant la démission du gouverneur Ulises Ruiz, ainsi que le repli de la police fédérale, qui occupe depuis fin octobre la place centrale de la ville, après avoir balayé les centaines de barricades dressées par les insurgés. Si des voyageurs s’aventurent à nouveau dans la très touristique ville d’Oaxaca dans ce climat surréaliste, un graffiti tout récent en anglais vient les mettre en garde : « Touristes ! La ville est fermée momentanément, et sera réouverte dès que nous obtiendrons justice. »

La semaine passée, à la suite de trois jours de débats exténuants, un millier de délégués de l’APPO ont formellement constitué l’organisation du mouvement, adopté ses statuts et élu ses 230 membres, tous sur pied d’égalité. A la satisfaction générale : « Il y avait de grands risques que le mouvement se divise ou que soit adoptée une structure très verticale, car ce sont deux spécialités de la gauche traditionnelle », assure Gustavo Esteva, chercheur et directeur de l’Université de la terre, à Oaxaca.
Or rien de tout cela. C’est à travers 23 commissions de travail thématiques que les délégués vont organiser la résistance civile et coordonner leur appui aux communautés locales, sans comité central.

A court terme, l’objectif de l’APPO est de pousser à la démission le gouverneur Ulises Ruiz, qui cristallise à lui seul le mécontentement populaire. Arrivé au pouvoir par la fraude en décembre 2004, le cacique du PRI a immédiatement réprimé toute contestation. Avant même le début des grandes mobilisations de mai 2006, les organisations locales de défense des droits humains dénombraient déjà 32 assassinats commis par les autorités locales et les groupes paramilitaires.
Un autoritarisme qui a fait l’unité contre lui - alors que les groupements étaient très dispersés jusqu’alors - surtout après la dure répression qui s’est abattue le 14 juin sur les instituteurs, alors en grève pour une simple augmentation salariale. « Les puissants ont cru que la violence pouvait résoudre le conflit. En réalité, ils n’ont fait que jeter de l’huile sur le feu », explique Rodolfo Rosas Zarate, jeune sociologue, militant du Comité de défense des droits du peuple.

Le pouvoir par le bas

Loin de répondre aux besoins criants en eau, santé et éducation des populations marginalisées, Ulises Ruiz s’est lancé dans de grands travaux de rénovation des places principales de la Ville de Oaxaca. « Il a détruit les places de la ville pour attirer des fonds de l’Etat fédéral, sans aucun égard pour le patrimoine national. Remplacer la pierre verte d’Antequera de nos régions par des dalles de béton est une absurdité, tout comme l’abattage d’arbres centenaires », s’emporte M. Esteva. Une pratique qui avait pour but de détourner une grande partie de cet argent pour les besoins de son parti et de son entourage, assurent les militants.

L’outrance avec lequel le régime local poursuit les pratiques classiques de prédation, de népotisme et de corruption a encouragé le mouvement à se lancer dans un processus de changement radical du politique. « Nous voulons construire un pouvoir qui va peu à peu détruire de lui-même le pouvoir existant », explique Soledad Ortiz Vázquez, déléguée élue de l’APPO. D’où le nom du nouvel organe constitutif de l’organisation : le « Conseil étatique » (Consejo estatal), qui vise non seulement à faire tomber les caciques actuels, mais aussi à assumer actuellement des fonctions dévolues à l’Etat. Au plus fort du conflit, par exemple, l’APPO se chargeait de sanctionner les délits de droit commun, le plus généralement par l’assignation des coupables à des travaux d’utilité publique. Aujourd’hui, le Conseil veut aussi répondre de lui-même aux besoins les plus pressants de la population. Il a ainsi constitué une commission de sécurité sociale, une autre de développement communautaire et rural, ou encore de santé publique. « Il s’agit d’un gouvernement parallèle, et ces commissions sont nos départements », explique fièrement Mme Ortiz. « A long terme, nous l’installerons au palais du gouvernement. »

Valeurs indigènes

Les valeurs du Conseil s’inspirent en grande partie des pratiques politiques des communautés indigènes : « L’APPO a fait un grand pas dans notre direction en adoptant les principes de communauté et d’autonomie comme premiers principes de l’organisation », s’enthousiasme Adelfo Regino, président de l’Organisation des peuples Mixes. Si les nations autochtones n’ont pas été suffisamment intégrées à l’APPO à ses débuts, le mouvement s’est toutefois fortement inspiré des us et coutumes indigènes : l’organisation en Assemblée, où toutes les décisions importantes sont prises, le tequio, travail collectif non rémunéré et obligatoire, et la guelaguetza, solidarité ou aide désintéressée entre les membres d’une communauté.

Mais la déclaration de principe du nouveau Conseil va encore plus loin : elle stipule qu’aucun des 230 membres ne pourra être réélu à l’issue d’une période de un à deux ans, intègre le principe de l’égalité des genres et fait sienne la consigne des zapatistes du Chiapas : « Ordonner en obéissant » (mandar obedeciendo).

Au-delà, c’est à une véritable transformation économique et sociale qu’en appelle l’APPO, en se prononçant pour l’avènement d’un monde non capitaliste et non impérialiste, sur une base démocratique.

Pour l’heure, les esprits sont à la mobilisation. Après cinq mois de conflit et une situation d’ingouvernabilité de fait dans la ville d’Oaxaca, le gouverneur s’obstine toujours. Cette semaine, l’APPO a d’ores et déjà prévu d’occuper le Palais du gouvernement, d’ériger des barricades symboliques devant les bureaux de l’Etat pour dissuader les fonctionnaires de se rendre à leur travail, et de bloquer des routes régionales.
L’organisation participe aussi, depuis hier, à une grève nationale lancée par le mouvement zapatiste et se joindra aux protestations massives contre l’entrée officielle à la présidence du pays de Felipe Calderon le 1er décembre. Son élection a également été entachée de fraudes. Inspirées par l’Assemblée d’Oaxaca, 25 organisations sociales du Chiapas ont fondé, le 11 novembre dernier, une APPCH. Une assemblée populaire de Mexico devait être constituée ce week-end. Le mouvement d’Oaxaca sera-t-il le déclencheur d’un changement radical pour l’ensemble du pays ?


******


Les femmes s’emparent de la télévision d’état

« Nous étions 20 000 », raconte Soledad Ortiz Vázquez, déléguée de l’APPO. « Nous avions décidé de convoquer une manifestation le 1er août pour rendre plus visible notre force. Car depuis le début de la résistance, nous avons joué un rôle fondamental au sein du mouvement. » Casseroles à la main, « en hommage aux femmes chiliennes », les femmes défilent au centre-ville et « ferment » un hôtel qui jouait le rôle de Chambre des députés (le Parlement ayant été occupé depuis longtemps par les insurgés). Spontanément, arrivées au Zocalo (la place centrale), elles décident de demander un espace d’antenne à la chaîne de télévision publique Canal 9, pour exprimer leurs revendications. Devant le refus de la direction, celles-ci décident tout simplement de... « prendre » la télévision. Pendant deux mois, les femmes se chargeront de gérer ce qui devient la chaîne de l’APPO, malgré leurs faibles connaissances techniques, les hommes étant appelés pour protéger les antennes de diffusion situées sur les collines alentours. L’aventure se termine avec l’entrée en force de groupes paramilitaires lourdement armés à 4 h du matin, à la fin septembre. Qu’à cela ne tienne. A 6 h, elles décident d’occuper les douze radios commerciales et étatiques, qu’elles garderont plus d’un mois.

Désormais, il faudra compter avec la Coordination des femmes de Oaxaca du 1er août pour promouvoir la place des femmes aux postes à responsabilité. Car, sur les 230 membres du Conseil étatique de l’APPO, seules vingt-cinq sont des femmes : « Peu de femmes ont pu participer aux congrès. Les leaders de communautés sont en général des hommes. Nous devons construire l’égalité peu à peu, ce sera un travail intense. Nous avons rendu visible notre rôle. Les hommes se sentent plus sûrs avec nous », assure Mme Ortiz Vázquez.


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Trois questions à Gustavo Esteva, de l’Université de la Terre

Gustavo Esteva a créé, il y a quatre ans, l’Université de la Terre, destinée aux jeunes des communautés indigènes. Celles-ci ont pour la plupart chassé l’école publique de leurs terres, car perçue comme un instrument de domination.

Vous analysez le mouvement oaxaqueño comme la convergence de trois luttes démocratiques. Lesquelles ?

Ce qui se construit à Oaxaca anticipe notre futur et est porteur d’énormément d’espoir. Le mouvement a réuni d’abord ceux qui souhaitent renforcer la démocratie formelle, dont les faiblesses sont bien connues à Oaxaca. Les gens sont fatigués des manipulations et des fraudes et ceux qui ont confiance dans le système électoral veulent qu’il soit propre et efficace. D’autres insistent davantage sur la démocratie participative, par le biais d’initiatives populaires, de référendums, de plébiscites, de budgets participatifs, et la possibilité de révoquer les élus. Enfin, de manière surprenante, un très grand nombre de groupements souhaitent étendre la démocratie autonome ou radicale, comprise comme l’exercice direct du pouvoir par les gens eux-mêmes. Dans l’Etat d’Oaxaca, quatre municipalités sur cinq ont leur propre forme de gouvernement, sans passer par l’intermédiaire des partis. Mais, bien que leur autonomie, leur droit de se régir eux-mêmes par us et coutumes leur a été reconnu légalement en 1995, elles continuent à être l’objet de harcèlement de la part des autorités. Les partisans de la démocratie radicale souhaitent qu’avec le temps, ces municipalités se coordonnent jusqu’à constituer une forme de gouvernement à l’échelle de l’Etat.

La tradition autochtone semble rejoindre ici l’idéal anarchiste. Qu’en pensez-vous ?

L’anarchie est associée à l’idée qu’il n’y a pas de gouvernement. Les gens d’ici veulent se gouverner eux-mêmes, avoir un gouvernement constitué d’eux-mêmes. Il y a un respect de l’autorité, à partir du moment où elle respecte le principe zapatiste d’« ordonner en obéissant ». L’APPO s’est aussi abstenue de chercher à prendre le pouvoir. Plutôt que de grimper sur les chaises vides de ceux qui ont abusé du pouvoir, les organisations sociales tentent de reconstruire la société depuis le bas et de créer un nouveau type de relations sociales. Comme disent les zapatistes : changer le monde est très difficile, si ce n’est impossible. Une attitude plus pragmatique est la construction d’un monde nouveau.

Cette construction peut-elle se faire sans violence ?

Pour Gandhi, la non violence était la plus grande vertu et la lâcheté le pire de vices. Il ajoutait que la non violence était réservée aux forts, tandis que les faibles n’avaient d’autre choix que d’utiliser la violence. Mais il est difficile d’expliquer aux jeunes de Oaxaca qu’en réalité ce sont eux les forts. Je suis étonné que l’on y soit arrivé. Très franchement, je craignais un bain de sang quand la police fédérale est entrée en ville. Nous avons fait un énorme effort pour que cela n’arrive pas. Beaucoup ont montré l’exemple en se couchant devant les blindés et, surtout, en montrant qu’ils n’avaient pas peur.


Source
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Miguel Linares : « Nous vivons un processus d’insurrection populaire similaire à la Commune de Paris »


Interview de Miguel Linares, enseignant et membre de l’Assemblé Populaire des Peuples d’Oaxaca (APPO).

par Hernán Ouviña

Depuis cinq mois, l’Etat d’Oaxaca, au sud du Mexique, traverse une période d’intense mobilisation politique. En consonance avec d’autres luttes de différents espaces et organisations dans le reste du Mexique - comme l’Autre Campagne impulsée par l’Armée zapatistes de libération nationale (EZLN, sigles en espagnol), le Front populaire pour la défense de la terre d’Atenco, les mineurs de SICARSA et de Cananea, et même le mouvement de résistance civile contre la fraude électorale dans le District fédéral [la ville de México, ndlr] -, la Section 22 du Syndicat national des travailleurs de l’éducation (SNTE, Sindicato Nacional de Trabajadores de la Educación), qui regroupe les enseignants d’Oaxaca et sur un plan plus général l’Assemblée Populaire des Peuples d’Oaxaca (APPO) sont les protagonistes d’un processus inédit d’auto-organisation et de contrôle politique de la ville qui comprend l’occupation permanente de bâtiments publics, la construction de centaines de barricades avec des comités d’autodéfense, la prise de décisions à travers des dynamiques d’assemblées et l’autogestion de plusieurs moyens de communication « réappropriés ».

Avec une grande tradition de résistance, Oaxaca, l’insurgée, fut la terre natale de Benito Juárez et des frères libertaires Flores Magón. Bastion historique du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), c’est l’Etat qui compte la plus importante population indigène dans tout le Mexique. Sa richesse et sa beauté contrastent avec l’énorme pauvreté et la marginalité dans lesquelles sa population est plongée depuis des décennies. Ce qui suit est un dialogue avec Miguel Linares Rivera, l’un des 21 enseignants et militants de l’APPO qui (...) mènent une grève de la faim face au symbolique Hémicycle à Juárez de la ville de México.

Pourrais-tu te présenter et m’expliquer les raisons de ce campement et pour quelles raisons vous menez une grève de la faim dans le District fédéral ?

Nous sommes des grévistes de la faim de l’APPO. La raison principale de cette grève se fonde sur trois objectifs fondamentaux. Le premier est que nous demandons le départ d’Ulises Ruiz Ortiz, le gouverneur de l’Etat d’Oaxaca. Le deuxième est de diffuser et de faire connaître la situation que nous traversons aux médias nationaux et internationaux. Le troisième est l’appel à la solidarité aussi bien au Mexique que dans le reste du monde de toutes les organisations indépendantes, pour qu’on ne massacre pas notre peuple comme on est en train de le faire actuellement dans la ville d’Oaxaca.

Quand et comment le conflit dans l’Etat d’Oaxaca est-il survenu ?

Nous, les travailleurs de l’éducation, tous les ans au mois de mai, nous devons réviser le contrat collectif de travail. Cette année, nous sommes sortis pour demander au gouvernement de l’Etat une “rezonification pour vie chère” [1] de tous les membres du corps enseignant, pour qu’on nous accorde une augmentation comme aux autres travailleurs dans le reste du pays.

Quelle est la situation actuelle des enseignants à Oaxaca ?

Une minorité exerce dans les grandes villes, mais la grande majorité des enseignants se trouvent dans une situation extrêmement précaire. Beaucoup d’entre nous doivent voyager plus de 18 heures pour arriver sur leur lieu de travail ou rentrer à la maison. Parfois, la moitié du salaire est dépensée en transport, sans compter que nous avons également un loyer à payer. En plus, dans des lieux comme à la côte, parce que c’est une zone touristique, la nourriture est extrêmement chère. Malgré les bas salaires, nous devons nous acheter les fournitures et tout le matériel dont nous avons besoin. Nous payons même nos propres cours pour nous former sur le plan culturel et éducatif. L’immense majorité du corps enseignant d’Oaxaca est dans la merde.

La pratique éducative de l’Etat exprime en général un colonialisme et un mépris considérable envers la culture indigène. Comment essayez-vous de lutter contre cela ?

Il existe en tout 16 langues indigènes dans les communautés d’Oaxaca. La plupart des enseignants parlent une autre langue en plus de l’espagnol. En ce qui me concerne, je parle le zapotèque. Mais, outre quelques exceptions, nous sommes bien conscients que notre tâche ne consiste pas à coloniser les communautés ni à imposer une culture aux compañeros. Nous appelons les enfants compañeros parce que nous sentons que nous apprenons également d’eux. Lorsque nous, les enseignants, arrivons dans une communauté, nous devons respecter la langue de l’enfant. Loin de nous l’idée de vouloir imposer l’espagnol. Nous expliquons à l’enfant que s’il apprend l’espagnol, c’est pour qu’il défende sa langue. Ainsi, l’enfant le comprend : il apprend l’espagnol mais en conservant sa propre langue et sa propre culture. Nous essayons également de créer un processus démocratique à l’intérieur des classes, bien que celles-ci soient construites avec une estrade surélevée, réservée au maître d’école. Nous disons que ces structures ne devraient pas être autorisées à Oaxaca. Dans les classes, beaucoup d’entre nous construisent le collectivisme avec les enfants, qui font partie de ce même processus. À Oaxaca, les idées de Paulo Freire, très ancrées chez les enseignants, ont souvent été appliquées. Même si elles ne sont pas suffisantes, parce que sa pratique a fini par être liée en partie aux appareils institutionnels du Brésil. Nous reprenons donc son expérience, comme la cubaine, même si nous avons aussi notre propre expérience en matière d’éducation alternative à Oaxaca. Il s’agit d’un processus très long mais nous y travaillons.

Quelle réponse le gouvernement a-t-il donné aux demandes du corps enseignant ?

Face à notre proposition, nous ne trouvons pas de réponse : le gouvernement s’est replié sur lui-même et n’a même pas appelé à la négociation. Le 22 mai, nous avons décidé de commencer une grève et d’établir un campement à Oaxaca, en pensant qu’ils allaient nous donner une réponse immédiate. Néanmoins, le gouverneur Ulises Ruiz a fait la sourde oreille jusqu’au 14 juin. Ce jour-là, la réponse s’est faite entendre à quatre heures du matin : une intervention policière, avec plus de trois mille policiers nationaux et municipaux, aussi bien par voie terrestre que par hélicoptère. Ils nous ont attaqués avec tout ce que comptent les forces répressives : chiens, gaz lacrymogènes, etc.. Et même si les gens se sont repliés pour préserver leur intégrité physique (beaucoup d’entre eux sont des enseignants retraités, des enfants et des femmes enceintes), il y a eu un grand nombre de blessés. A six heures du matin, nous, les enseignants sommes revenus avec le soutien du peuple pour reprendre le Zócalo (la place centrale), en expulsant les policiers. Cela a permis aux gens de percevoir l’enseignant comme une personne courageuse. Après cela, la grande majorité des colonies et des habitants d’Oaxaca, d’abord de la capitale et après de tout l’Etat, ont commencé à nous rejoindre. C’est ainsi qu’est fondée l’APPO, où la revendication des enseignants passe au second plan, la demande centrale devenant “¡Fuera Ulises Ruiz de Oaxaca !” (“Ulises Ruiz, hors de Oaxaca !”). Le peuple a assumé tout le contrôle d’Oaxaca et a commencé à former des barricades parce qu’il y avait des « escadrons de la mort », des policiers habillés en civil observés aussi bien sur les chaînes nationales que sur des photographies, des paramilitaires qui circulaient et blessaient par balle les compañeros qui se trouvaient sur les barricades. Au cours de tout ce processus, 15 des nôtres ont perdu la vie [2] et nous venons d’apprendre à l’instant qu’un autre compañero vient de mourir dans cette incursion lancée par le gouvernement fédéral avec la Police fédérale préventive (une sorte de force policière militarisée) et les militaires dans la capitale d’Oaxaca.

Que s’est-il passé après cette première tentative de répression ?

Nous avons fait de grandes manifestations, avec même plus de 500 mille personnes dans les rues d’Oaxaca. Du jamais vu auparavant, mais, néanmoins, nous n’avons pas été écoutés par le gouvernement. Non seulement ils nous ignoraient mais toutes les nuits ils continuaient à nous réprimer. C’est pourquoi nous nous sommes dit : Il faut faire sortir ce problème d’Oaxaca. Et nous avons commencé une marche le 22 septembre vers le District fédéral. Environ 5 000 personnes d’Oaxaca, dont des enseignants et des organisations sociales, ont marché plus de 500 kilomètres. Nous sommes arrivés le 9 octobre et, une semaine après (le 16 octobre), nous avons installé ce campement de grève de la faim illimitée sur la base des points que j’ai mentionnés.

Quel type de pratiques et d’espaces communautaires sont en train de voir le jour à Oaxaca ?

Avant la répression, nous avions une radio qui s’appelait Plantón. Elle transmettait dans toutes les zones centrales de la capitale. Pendant la répression, la première chose qu’ils ont endommagée fut cette radio. Ils l’ont détruite. Mais, parallèlement, à 6h du matin, en apprenant que la communication avec le peuple via Radio Plantón avait été bloquée, les étudiants se sont emparés de Radio Universidad. Cette radio a alors commencé à devenir la voix du peuple. Mais, peu après, ils nous l’ont enlevée. Face à cela, les femmes ont réagi avec une mobilisation le 1er août, en s’emparant d’une chaîne de télévision et de radios officielles. Peu de temps s’est écoulé avant que les paramilitaires essaient de bloquer les antennes et de nous les confisquer. Ce jour-là, un autre camarade est décédé. Les gens ont riposté en s’emparant de nouvelles radios à Oaxaca. Après plusieurs négociations avec les autorités au cours de ces mois, sur les douze radios “prises”, dix ont été “libérées”, et une autre détruite. Il avons gardé Radio Ley, la seule qu’il nous restait jusqu’à ce qu’ils nous la bloquent. Voila où nous en étions lorsque Radio Universidad est revenu sur les ondes. Elle fonctionne jusqu’à maintenant. Ces mobilisations et “prises” de radios constituent une réaction spontanée de la société d’Oaxaca parce que nous en avons marre des 76 années de gouvernements du PRI. Tous ces médias ont toujours servi à “transmettre”, en insultant de manière permanente les enseignants et les pauvres, en faisant systématiquement l’éloge du gouverneur. C’est pourquoi il y a eu une réaction naturelle des gens, ce « ¡Ya basta !’ » (« Ca suffit ! ») envers tous ces médias qui rendaient Oaxaca idiot. En ce moment, ils ne fonctionnent même pas, pour éviter précisément d’être à nouveau “pris” par les habitants.

Comment les barricades sont-elles apparues et quelle est la situation là-bas ?

Au début, nous ne pensions pas qu’Oaxaca allait exploser de cette manière. Nous en avons seulement pris conscience lorsqu’ils nous ont attaqués le 14 juin. Il y a eu une réponse immédiate de la population. Les gens se sont solidarisés avec les enseignants et ont participé aux actions. Les barricades sont apparues à ce moment précis, lorsque nous avons commencé à être attaqués par des groupes paramilitaires. Des groupes d’autodéfenses ont alors commencé à être formés pour ne pas les laisser circuler librement dans Oaxaca. De petites barricades furent ainsi construites, mais elles se sont généralisées quand ces personnes attaquèrent Radio Ley et tuèrent un camarade. On a dressé dans tout Oaxaca des centaines de barricades. Même avant l’incursion de la Police fédérale préventive avec les militaires, on a réussi à installer plus de 1 600 barricades. C’est donc vraiment un processus d’insurrection populaire que nous sommes en train de vivre.

Avez-vous également occupé des bâtiments publics pendant tout ce temps de lutte ?

Bien sûr, les trois pouvoirs d’Oaxaca. Tous les bureaux publics ont été pendant plusieurs semaines entre les mains des enseignants et du peuple, et défendus avec des barricades. Face à cela, dans la Maison du Gouverneur, ce vendredi, les paramilitaires se sont acharnés lourdement contre nos frères de la côte, de la même façon qu’à Procuraduría, en cherchant à nous déloger à travers la répression et les assassinats, comme on l’a vu dans la presse.

Qui intègrent l’APPO et comment y prend-t-on les décisions ?

Au départ, l’APPO s’est créée avec 340 organisations autour d’une idée centrale qui était la chute d’Ulises Ruiz Ortiz. Par rapport à cela, on a commencé à créer des commissions internes comme celles de la presse, des barricades et de la propagande. Nous avons commencé à former tout un réseau d’organisations à Oaxaca. Toute action que nous voulions réaliser devait passer par une consultation de la base, aussi bien celle des enseignants que celle de l’APPO elle-même. C’est le mécanisme qui fonctionne, il y a tout le temps des réunions avec toutes les organisations et avec les délégués des colonies et des barricades. Les décisions et les résolutions se prennent de manière collective. Notre résistance civile et pacifique dans l’Etat d’Oaxaca est ainsi. Des assemblées populaires du peuple ont même déjà été créées dans le Guerrero, le Morelia et dans l’État de México. Même si elles sont très symboliques, elles sont des embryons qui pourraient déterminer les lignes directrices d’une organisation nationale. C’est un processus que le pays est en train de vivre parallèlement à un processus électoral où des millions de Mexicains inquiets rejètent ce nouveau président « élu » (Felipe Calderón, du Parti d’Action Nationale).

Quelle a été la réponse des partis traditionnels face à la situation d’auto-organisation de l’APPO ?

Les organisations institutionnelles, comme le sont les partis politiques à Oaxaca, ont été complètement dépassées. Tant le PRI que le PAN se sont révélés être des ennemis du peuple. Même le Parti de la Révolution Démocratique (PRD), qui se réclame du centre-gauche, a été dépassé : même si beaucoup de ses militants de base sont avec l’APPO, ses dirigeants sont restés muets et ont été obligés de reconnaître que le peuple a agi par lui-même, sans eux.

Outre la chute d’Ulises Ruiz, quelle est la proposition politique de l’APPO ?

En fait, indépendamment de ce qui s’est produit, nous avions déjà appelé à la formation du Congrès constitutif de l’APPO. Qu’est ce que cela signifie ? Eh bien, que dans les communautés, les colonies, les syndicats et tout ce qui se mobilise de manière organisée, des délégués allaient être nommés pour que ce congrès se tienne, où l’on pourrait discuter de plateformes, de principes et de formes d’organisations. La proposition était pour le 8, 9 et 10 novembre, mais, face aux derniers évenements, je crois que nous devrons le reprogrammer. Nous espérons ne pas trop devoir la repousser pour ainsi pouvoir former le nouveau pouvoir populaire à Oaxaca [Finalement, le Congrès s’est tenu du 10 au 12 novembre, ndlr].

Beaucoup de gens appellent “Commune de Oaxaca” ce processus. A quoi font-il référence ?

Je crois que c’est une allusion aux processus d’organisation interne : le fait d’avoir nos “topiles” [sorte de police communautaire, ndlr], de nous organiser en assemblées et à travers des barricades, d’affronter directement les forces policières. Cela fait référence à la question de l’auto-organisation, bien que nous ne puissions toujours pas arriver à nos fins comme dans la Commune de Paris. L’idée de “Commune” à Oaxaca renvoie plutôt aux pratiques des communautés indigènes qui maintiennent ces processus depuis de très nombreuses années. Notre processus consiste en une insurrection avec certaines tendances de pouvoir populaire ressemblants à celles de la Commune de Paris. Mais, de toute manière, il ne s’agit encore que d’un embryon sur lequel nous travaillons.

Pouvez-vous nous expliquer brièvement ce que sont les “topiles” ?

Nous empruntons ce terme aux communautés indigènes. Dans ces dernières, il n’y a pas de policiers en uniforme portant des armes à feu. L’autorité est constituée par les paysans et les indigènes eux-mêmes, ils ont un “bâton” de commandement dans la main et un “chipote” [sorte de massue, ndlr]. Sans besoin d’avoir des armes, ils sont l’autorité. Dans le cas d’une plainte de voisinage, ils parviennent à résoudre le problème. Les “topiles” exercent gratuitement la justice dans le village, sans recevoir de salaire pour cela.

De quelle manière sont-ils élus ?

En assemblées communautaires. Nous avons transposé cette expérience indigène à la capitale d’Oaxaca lorsque notre mouvement est né. Les “topiles” sont les compañeros qui se proposent volontairement ou sont élus dans leurs organisations pour jouer ce rôle sur les barricades, dans les fonctions d’autodéfense contre les policiers et les chapardeurs.

Outre cette énorme influence indigène, en quoi cette lutte à Oaxaca rejoint-elle les résistances observées dans le reste de l’Amérique ?

Bien que nous ayons subi l’influence de nos communautés indigènes, régies par les us et coutumes à travers des assemblés communautaires, notre processus de lutte n’est pas quelque chose d’isolé mais c’est tout un ensemble. Notre expérience actuelle est aussi due à ce qui s’est fait en Equateur, au Brésil et en Argentine. Nous avons suivi toutes les expériences qui ont eu lieu en Amérique Latine, mais aussi aux Etats-Unis avec nos compañeros migrants. C’est pourquoi nous espérons que la solidarité nationale et internationale avec notre lutte sera immédiate. En fait, elle existe déjà. Nous savons qu’en Espagne, en Italie, aux Etats-Unis et dans d’autres endroits, des mobilisations et des protestations ont été organisées devant des consulats et des ambassades. Nous pensons que l’avenir de l’humanité peut changer et nous pouvons le mener à bien,de l’endroit où nous nous trouvons.

Quelle est la situation actuelle à Oaxaca après la récente répression ?

Je crois que si le gouvernement est intelligent, il va replier ses forces policières. Sinon, cela finira par une bataille rangée à Oaxaca parce que nous n’allons pas rendre la ville à la Police fédérale préventive.

Pour finir, quel est votre état d’esprit ?

Nous sommes confiants sur le fait que notre mouvement doit triompher parce qu’il ne s’agit pas d’une rébellion de quelques groupes ou de quelques « radicaux » mais d’une insurrection populaire. Quiconque ne comprend pas cela, continuera à essayer de faire taire ces voix avec des baïonnettes. Qu’ils sachent qu’ils pourront les faire taire pendant un temps, mais d’autres jailliront et la bataille continuera.


NOTES:

[1] [NDLR] La « rezonificación » est une réévaluation du coût de la vie, qui impliquerait une hausse du salaire minimum des instituteurs.

[2] [NDLR] Depuis la réalisation de cet entretien, on comptabilise 22 morts et 34 disparus.



SOURCE
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   Posté le 23-11-2006 à 21:04:46   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Nouveau texte de George Lapierre avec quelques éléments sur les ML -et les maoïstes-, pas vraiment positif.

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Bien le bonjour,

L’importance de la gauche traditionnelle (en France nous parlerions
d’extrême gauche), ses manœuvres et sa suffisance nous ont préoccupés.
Nous avons décidé de rendre visite à un leader zapotèque, Joel Aquino,
connu pour son autorité morale acquise par des années consacrées à
reconstruire l’autonomie des peuples indiens et à lutter avec une
obstination remarquable contre les caciques de la Sierra et le
gouvernement de l’Etat d’Oaxaca. Il habite Yalálag, un village de montagne
à environ 4 heures de route de la ville d’Oaxaca, c’est un village tout en
pente et les maisons paraissent en équilibre précaire entre les arbres sur
ce dévalement de terre. Nous rencontrons la linguiste zapotèque, Juana
Vázquez et Joel Aquino dans la maison de la culture de ce village. Cette
maison est une de leur réalisation et elle est consacrée à la langue et à
la culture zapotèque sans oublier l’élément le plus important de la
culture villageoise, la musique ; on y apprend aussi à se servir de
l’ordinateur et d’Internet.

Nous commençons par parler du syndicat des enseignants, qui a joué (et qui
joue toujours, ne serait-ce que pas son absence remarquée, qui laisse un
vide que l’Assemblée populaire a du mal à combler) un rôle important dans
le mouvement social à Oaxaca. C’est en 1980 que la section 22 a commencé à
lutter contre le "charrisme" syndical, un syndicat "charro" étant un
syndicat dont les dirigeants sont corrompus par le pouvoir, pour,
finalement, s’émanciper de la Coordination nationale des travailleurs de
l’éducation (CNTE). Les communautés ont appuyé la démocratisation de la
section 22. Les maîtres d’école qui sont allés travailler dans les
villages ont découvert le sentiment de la communalité (sentiment de faire
partie d’une collectivité régie par un ensemble de règles). Beaucoup se
sont incorporés à la vie communautaire et ont accepté des responsabilités
et des charges, et ont participé au travail collectif, le tequio.
Cependant, d’autres enseignants se sont enfermés dans une idéologie
marxiste-léniniste ou maoïste. Ils ont minimisé l’importance du monde
indigène et déprécié la conception communautaire, qui fonde et soutient la
résistance des peuples indiens. Ils ne sont pas sensibles aux problèmes
réels des communautés et à leurs demandes. Ils centrent leurs discours sur
la conscience de l’exploitation, ou de l’exploité, le prolétaire, et
restent fermés à la conscience de la réalité sociale des peuples. Ils
fonctionnent un peu à la manière des sectes, ils ignorent la réalité
culturelle et historique des gens. Ils préfèrent vivre en ville et fuir
les villages.

Dans l’assemblée des villages, la conception individualiste est absente,
il n’est pas possible d’avoir un projet de libération avec cette idée
d’individualisme, de l’intérêt privé. Dans l’Assemblée populaire, par
exemple, les discours avaient un contenu pauvre, réduit, et montraient une
absence de réflexion et d’analyse. Il faut se méfier du discours
marxiste-léniniste ou maoïste surtout quand on sait qu’il est
historiquement démontré que ceux qui ont un tel discours oublient leur
engagement avec le peuple et vont jusqu’à l’opprimer et le réprimer dès
qu’ils ont le pouvoir. Joel Aquino nous cite alors toute une série de noms
de personnes qui ont mal tournées dont Eliodoro Diaz étudiant marxiste qui
a participé au mouvement de 68 et qui a fini par travailler pour le CISEN
(Intelligence militaire), il nous parle aussi d’un ex-gouverneur,
marxiste-léniniste dans sa jeunesse, et qui a ordonné l’assassinat de 18
paysans. (Les exemples sont infinis, de là à penser que l’antagonisme
entre le parti d’Etat, ou les partis d’Etat [PRI et PRD confondus], et les
partis d’extrême gauche n’est pas si irréductible que nous pourrions le
penser, la paroi est poreuse et les uns servent parfois d’échelon à
l’ambition personnelle pour être reconnue par les autres.) La direction
provisoire de l’APPO était en grande partie entre les mains du courant
marxiste-léniniste représenté par le FPR (Front populaire révolutionnaire)
et la CODEP (Comité de défense des droits du peuple), ce qui explique la
pauvreté des moyens mis en œuvre et des discours : marches,
manifestations, prises des rues, slogans.

Les communautés doivent s’incorporer à l’APPO pour lui donner de nouvelles
perspectives comme celle du service communautaire, le système des
responsabilités, le tequio, le "mandar obedeciendo". Il doit y avoir une
coresponsabilité entre celui qui assume une charge et la communauté et
tous doivent l’aider à accomplir sa charge, l’assemblée a créé le fond
communal qui permet à celui qui a une charge de pouvoir l’accomplir. Dans
ce système on ne cherche pas le progrès individuel, personnel, sinon
accumuler des savoir-faire, des connaissances, pour le service de la
communauté ; la personne qui est désignée par l’assemblée pour accomplir
une charge (un cargo) a été reconnue pour ses qualités éthiques et
intellectuelles, elle doit aussi disposer de moyens pour se dédier pendant
un an au service du village. Finalement, tout ce système de charges est
une école de formation politique pour les gens, et toute la famille se
trouve engagée dans ce processus. Cette école commence dès l’entrée à
l’âge adulte par la charge de "topile" confiée aux jeunes gens : nettoyer
les rues, les toilettes publiques, porter les chaises, chasser les chiens
quand se tient l’assemblée, aller chercher les clés, nettoyer les cours
d’eau, ce sont les hommes à tout faire du village, dur apprentissage du
service public. La gestion d’un village selon les us et coutumes emploie
beaucoup de monde entre les différentes catégories de charges, jusqu’à une
centaine, ou plus, de personnes, c’est que toutes travaillent
gratuitement, par contre un gouvernement selon le système des partis
emploie peu de gens et ceux-ci reçoivent un salaire, c’est un tout autre
esprit, plus individualiste et souvent corrompu. Dans la Sierra Norte, il
y a douze charges, de la charge de topile à celle de "principal", les
femmes participent à l’assemblée du village (vote et voix) et peuvent être
désignée comme "autorité".

C’est cette tradition communautaire que nous pouvons déceler dans le
mouvement actuel où nous trouvons les trois points qui garantissent
l’unité d’un mouvement social : le consensus, l’aide mutuelle et le mandar
obedeciendo, nous la retrouvons surtout dans les colonies populaires
autour des barricades : préparation en commun des repas et des aliments,
tortillas, mole, tamales (pâte de maïs cuite à la vapeur dans une
enveloppe de feuilles de maïs ou de palmier, mélangée avec de la manteca,
graisse de porc, avec parfois des sucreries ou de la viande à
l’intérieur), que l’on distribue ensuite à ceux qui tiennent une barricade
ou une place publique, échange des savoir-faire et du matériel, cohetes
(fusées), cohetones (gros pétards)... L’initiative dans la région de
soutenir l’APPO est venue des familles elles-mêmes, elles sont parties de
Guelatao, elles sont passées par le monument de Benito Juarez et, de là,
elles ont rejoint le zócalo.

Aujourd’hui les peuples mixe, zapotèque et chinantèque de la montagne ont
formé un front uni à partir des communautés pour reconstruire des
alliances régionales afin de négocier sur un pied d’égalité et dans le
respect des peuples avec les institutions gouvernementales. C’est dans les
années 70, qu’a commencé ici, dans la Sierra Norte, la lutte contre les
caciques, qui, par l’intermédiaire du PRI, contrôlaient les municipalités,
nous avons dû faire front aux pistoleros et parfois nous défendre, face à
des assassins, il faut pouvoir leur répondre, mais notre lutte était
profondément pacifique, c’était celle des habitants zapotèques, mixes,
chinantèques contre les gens de pouvoir et leurs hommes de mains, leurs
sicaires. Face à notre détermination, les grands caciques de la Sierra ont
dû peu à peu céder du terrain pour finir par nous remettre le pouvoir
municipal. Aujourd’hui, la plus grande partie des communes de la montagne
sont gérés selon les us et coutumes et ont recouvré leur autonomie.

- Vous voulez procéder de la même manière avec Ulises Ruiz et ses sbires ?

- Oui.

Oaxaca, le 22 novembre 2006.

George Lapierre
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   Posté le 26-11-2006 à 15:03:00   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Bien le bonjour,

Nous avions noté dans notre compte-rendu sur le Congrès que les délégués
de la Sierra Norte, conséquents avec leurs pratiques communautaires,
n’avaient pas désigné leurs représentants au Conseil de l’APPO à la fin du
Congrès, laissant ce soin à l’assemblée régionale. Cette assemblée s’est
tenue à Guelatao ce dimanche 19 novembre. San Pablo Guelatao est le
village natal de Benito Juarez. Nous pouvons visiter sa maison ou plutôt
la reconstitution de sa maison natale, modeste cahute d’adobe (brique
d’argile durcie au soleil) au sol en terre battue, qui se dresse auprès
d’un petit lac aux rives boisées et fleuries. L’endroit est agréable dans
les contreforts de la Sierra Norte dite aussi Sierra Juarez, à une heure
de route d’Oaxaca. Il fait froid ce dimanche matin dans la montagne et il
brouillasse, heureusement la tradition des Indiens veut que le village qui
reçoit offre avant toute réunion le petit déjeuner, puis ensuite le
déjeuner et parfois le souper, c’est que les gens viennent de loin,
certains sont partis à 2 heures ou 3 heures du matin, ce sont des hôtes
que l’on respecte, on prend soin d’eux, comme eux prendront soin de nous,
et cet accueil attentionné et aimable est propice au développement heureux
du débat : un petit verre de mescal pour réchauffer l’esprit, la musique
des bandas mixes et zapotèques pour réchauffer le cœur et un caldo de
pollo (bouillon de poule) pour réchauffer l’âme et nous voilà d’attaque
pour participer, comme invités, à l’assemblée régionale des peuples mixe,
zapotèque et chinantèque de la Sierra Juarez.

Les réunions sont toujours très formelles et elles se déroulent entre un
début et une fin qui sont clairement marqués par quelques phrases
conventionnelles, qui précisent l’heure d’ouverture et l’heure de la
conclusion. Toute assemblée digne de ce nom commence par un petit rituel,
c’est Juana Vázquez, la linguiste zapotèque que nous connaissons, qui est
chargée d’évoquer les esprits des ancêtres qui nous accompagneront durant
les débats et les délibérations. Participent à cette assemblée les
principales autorités (environ 150) de 42 communes indiennes de la Sierra
Norte. Elle est chargée de désigner les 24 conseillers qui la
représenteront auprès du Conseil de l’Assemblée populaire.

Avant de lancer les discussions, l’assemblée va écouter un certain nombre
d’interventions. Zenén Bravo en tant que membre du Conseil fait un bref
compte-rendu des conclusions auxquelles est parvenu le Congrès : les
méfaits de l’impérialisme qui se traduit dans la région par le Plan
Puebla-Panama, les méfaits du totalitarisme politique qui s’exprime par la
non-séparation des pouvoirs, le pouvoir exécutif commandant le législatif
et le judiciaire. Il précise ensuite que l’Assemblée populaire des peuples
d’Oaxaca est l’organe suprême des prises de décision avec un
fonctionnement démocratique communautaire : "Qu’Oaxaca arrive à avoir dans
un futur proche un pouvoir différent, non celui des seigneurs haut
justicier (señores de horca y cuchillo) qui nous gouvernent maintenant,
mais un modèle inspiré de la communauté indigène, car là se trouve
l’embryon de la vraie démocratie." Regino Adolfo, du Service du peuple
mixe, intervient ensuite pour parler des principes fondateurs de
l’Assemblée (cf. lettre 12) et pour faire le point sur le système des
représentations au sein du Conseil : faire en sorte que tous soient
représentés : les différents secteurs de la société, les colonies et les
barricades, les groupes et les associations, les communautés et les
régions, avec pas moins de 30 % de femmes. Un philosophe fait ensuite un
discours passionné au sujet de la profonde mutation sociale qui se prépare
ici, à Oaxaca, et qui voit l’émergence du principe directeur de
l’identité, de la diversité des cultures, face aux forces unificatrices de
la globalisation. Il me semble malheureusement que la montagne a accouché
d’une souris quand, en conclusion, il recommande d’établir des relations
directes avec les régions autonomes d’Europe comme la Catalogne. Il est
applaudi, mais j’ai remarqué que les Mexicains applaudissent plus le ton
énergique et passionné d’un discours que son contenu, ils applaudissent la
performance. Précisons tout de même que les applaudissements au cours d’un
débat extériorisent un consensus quant au contenu, lorsque celui-ci est
exprimé avec conviction. Une jeune femme parle ensuite avec sensibilité de
la différence de comportement entre la souris des champs et la souris des
villes. Je laisse ici, rassurez-vous, le seigneur Jean de La Fontaine.

Au cours du débat qui suit, plusieurs grands axes vont apparaître. La
revendication de l’autonomie communale et, avec elle, le rejet de tous les
partis politiques revient souvent sur le tapis. Une autorité du secteur
d’Ixtlán, je crois, se montre particulièrement ferme sur ce sujet : "Nous,
nous avons l’argent que nous envoient les gens de la commune qui ont
immigré aux Etats-Unis, et nous ne demandons plus rien à l’Etat, nous
finançons nous-mêmes nos projets." Tiens, tiens, cela fait penser aux
zapatistes et aux immigrés africains en Europe ou comment l’immigration,
quand la tradition communautaire est encore forte, permet de construire ou
de renforcer l’autonomie des villages. Ceux qui sont allés appuyer Ulises
Ruiz, au cours d’une manif organisée par ce personnage à laquelle furent
contraints de participer tous ceux qui travaillent pour le gouvernement ou
pour une municipalité contrôlée par le PRI, ont été qualifiés
d’opportunistes et de compañeros maiceados (compagnons corrompus,
manipulés) et vont être exclus des assemblées communales.

L’idée de constituer formellement une assemblée régionale des peuples de
la Sierra Norte prend corps peu à peu : "Nous devons une chose à URO
(Ulises Ruiz Ortiz), il nous a secoué la tête et il nous a réunis ; pour
la première fois, nous sommes ensemble, les quatre districts de la
Sierra." Il s’agit de reconstituer l’unité régionale à partir des
assemblées communautaires et en relation avec les associations d’immigrés
qui se trouvent aux Etats-Unis, dans la capitale de l’Etat ou du pays. Il
faut profiter de cette occasion unique, avance Joel Aquino, et si
certaines autorités municipales refusent par opportunisme de participer,
il est toujours possible de créer des associations citoyennes (comité de
parents d’élèves, association culturelle) qui pourront nommer des délégués
à cette assemblée des peuples de la Sierra Norte : "C’est une opportunité
unique que nous ne pouvons pas laisser passer parce qu’elle ne se
représentera pas avant dix ou vingt ans. C’est vrai, nous ne sommes pas
tous là, mais à mesure que nous avancerons, d’autres s’uniront à nous. Il
n’y aura pas un pauvre qui refusera de participer à la lutte des pauvres."

Précisons que la Sierra de Juarez comprend quatre districts, Ixtlán, Villa
Alta, Mixe et Choapas, qui furent historiquement terres des grands
caciques priistes. Le PRI a perdu graduellement le pouvoir dans les
communautés pour ne plus contrôler que 10 % des municipalités. Le grand
moment de cette journée fut donc la constitution formelle de l’Assemblée
des peuples mixe, zapotèque et chinantèque de la Sierra Juarez, premier
pas, mais un pas très important à mon sens, vers l’unité des peuples
indiens de l’Etat d’Oaxaca, qui comprend, je le rappelle, seize peuples
indigènes. Les délégués au Conseil seront désormais responsables devant
cette assemblée et devront défendre le droit à la libre détermination et à
l’autonomie des peuples, "avec conviction", est-il précisé.

La journée est déjà bien avancée et nous avons sauté le repas de midi, la
nuit s’est installée dans la bruine et le froid. Chaque secteur de la
montagne se réunit pour nommer ses représentants au Conseil estatal, en
tout 24 conseillers. Après le discours d’investiture, au cours duquel un
ancien rappelle le sens de leur charge, l’assemblée passe à la discussion
d’un plan d’actions. Plusieurs propositions sont retenues, dont celle
d’une déclaration publique ou Pronunciamiento, ce sera la "Déclaration de
Guelatao", lue et discutée un peu plus tard dans la soirée. Il n’y est pas
seulement question de la destitution d’Ulises Ruiz, de la condamnation des
violences et des abus de la police, du rejet des forces militaires, ou du
refus des partis politiques, la déclaration fait aussi allusion à un pacte
social et à une profonde transformation de la société à la recherche de
ses principes directeurs à travers le dialogue, la libre détermination et
l’autonomie : "Nous appelons à l’unité des autorités et des membres des
peuples zapotèque, mixe et chinantèque afin de faire triompher nos
exigences et nos aspirations à mener la vie que nous souhaitons... Pour
que cette grande assemblée des peuples zapotèque, mixe et chinantèque soit
une réalité, nous devons renforcer et étendre les attributions de nos
assemblées communautaires, municipales et régionales, pour en faire des
organes de débat et de décision… Dans l’assemblée réside notre force et
notre légitimité." (Cf. "Déclaration de Guelatao".)

Il fut aussi décidé de fermer les délégations et les diverses
administrations gouvernementales qui se trouvent dans la montagne et de
s’emparer de la radio de Guelatao, Voz de la Sierra, qui est administrée
actuellement par la Commission nationale du développement indigène (CNDI)
afin de pouvoir informer les habitants sur la lutte, ou les luttes, en
cours. Enfin, il fut décidé de participer à la grande manifestation du 25
novembre qui partira de Santa María Coyotepec, où se trouve le palais du
gouvernement, pour le zócalo, mais avec les fanfares municipales et avec
la présence des autorités avec leurs bâtons de commandement.

Avec la participation des peuples indiens de la Sierra, l’Assemblée
populaire des peuples d’Oaxaca passe dans une autre dimension du temps et
la patience, le temps indien, prend le pas sur l’urgence et l’impatience
"révolutionnaire" du monde occidental. C’est une partie d’échec où les
coups et les avancées sont mûrement réfléchis en fonction d’une stratégie
à long terme, mais où il s’agit aussi de saisir l’occasion quand celle-ci
se présente. Le 28 et le 29 novembre se tiendra dans la ville le forum des
peuples indigènes d’Oaxaca.


Oaxaca, le 24 novembre 2006.

George Lapierre
sti
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826 messages postés
   Posté le 27-11-2006 à 03:09:35   Voir le profil de sti (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à sti   

Il nous tien informé ce George Lapierre mais alors il est relou sur les ML. La vision communautaire indigéne (petite propriété, vision clanique et territoriale, pratiques religieuses etc.) et le socialisme se sont toujours accordé difficilement et pour cause. C'est un forme de communisme primitif qui permet de lier les luttes entre elles (de la cause indigéne et celle du prolétariat) mais c'est un accord précaire comme nous le montre encore une fois les paroles de ce leader indigéne.

Merci Paria pour la mis à jour.
Paria
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Paria
562 messages postés
   Posté le 27-11-2006 à 12:15:57   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Salut à tous,

Voilà déjà un mois que je traîne mes souliers par ici, dans la poussière
des manifestations, des marches ou celle des champs de bataille.

Tout va très vite et souvent, on n’est pas vraiment maître de son temps
qui défile rapidement.

La réalité mexicaine est toujours complexe et il faut toujours un peu de
temps et de recul pour saisir ce qu’il se passe vraiment et ce qui est en
jeu.

En ce moment à Oaxaca, malgré l’apparition du froid, il y a des
manifestations quotidiennement et se maintient, malgré la pression venant
de tous côtés, la barricade de "Cinco Señores". Hier, ont réapparu en
taule et salement amochés les deux jeunes de la barricade qui avaient été
arrêtés la veille sur place. Leurs corps portent encore les marques des
tortures subies et des nombreux impacts des balles en caoutchouc. Le
gouvernement de l’Etat, avec l’aide de la police fédérale préventive et de
ses propres groupes de paramilitaires entame une véritable guerre de basse
intensité (arrestations, tortures et passage à tabac systématiques,
disparitions, fusillades... 17 morts jusqu’à présent) contre le mouvement
de l’APPO et contre ceux qui forment une partie importante et radicale du
mouvement, à savoir : les jeunes et les habitants des quartiers
populaires. Les rapports ou les dénonciations des diverses organisations
des droits de l’homme restent lettre morte. Les assassins et les hommes de
main à la solde d’Ulises Ruiz agissent en totale impunité.

Il semble que la situation sur place n’évoluera guère jusqu'à la prise de
fonction de Calderon (le futur président), le 1er décembre. La suite est à
craindre... Celui-ci a déjà prévenu qu’il ne permettra pas que l’ordre
soit troublé, qu’il appliquera toute la force de la loi et qu’il en
coûtera des vies humaines...

En attendant, une grande marche est prévu samedi prochain (demain). Hier
soir, une réunion entre colonos, barricadas et des représentants du
conseil de l’APPO avait lieu à l’université, à deux pas de la barricade
de "la Victoria" ( dernière dénomination de la Barricade de Cinco Señores
après "la Muerte"). Il s’agissait de discuter afin d’organiser la
prochaine manifestation dans de bonnes conditions... Les conseillers de
l’APPO ont fait part à la petite assemblée d’un dialogue avec les
autorités (secrétaire d’Etat, commandant de la Police fédérale
préventive...) qui eut lieu la nuit précédente. De nouveau, l’APPO, lors
de ce dialogue avec les autorités, a réitéré ses exigences : liberté pour
les prisonniers (60 ?), élimination des ordres d’appréhension (plus de
200), réapparition des disparus(une trentaine), changement des autorités
de l’Etat, que cesse le brouillage intempestif de la radio "Universidad"
et que, dans le même temps soit bloqué le signal de la radio pirate
"mapache" qui soutient grossièrement le tyran et appelle au meurtre de
certain membres de l’APPO. En fait, lors de ce dialogue avec les
autorités, il fut surtout question de la marche de samedi. Les flics de la
PFP ont proposé de se retirer du zocalo le temps d’un meeting pour le
réoccuper ensuite et que, si tout se passe bien (s’il n’y a pas
d’affrontement), ils envisageraient de se retirer définitivement. Donc, du
point de vue de certains conseillers de l’APPO, il était surtout question
d’organiser, de structurer, "¡Todo el poder al pueblo organisado!"... Tout
le monde ne voyait pas les choses ainsi, et rapidement a été exprimé le
fait qu’il n’y avait rien à attendre d’un pacte avec les flics, qu’ils
pouvaient partir avant le samedi s’ils craignaient des affrontements, et
que, s’ils quittent le zocalo, c’est surtout pour la bonnes marche des
affaires des hôteliers qui, après avoir ardemment exigé l’entrée de la
PFP, réclament maintenant qu’elle se retire du zocalo transformé en
caserne depuis le début du mois. De plus, il est certain que la police ne
se retirera pas définitivement d'Oaxaca mais se redéploiera dans les
quartiers populaires de la périphérie.

D’une manière plus générale, il y eut pas mal d’interventions : notamment
signalant que le mouvement est pacifique mais se défend et se défendra
comme il se doit... Qu’il n’y avait que deux voies, celle du dialogue ou
celle des armes, mais que le mouvement n’en possédant pas, alors
logiquement s’imposait la voie du dialogue. Il y eut la proposition de
récupérer des espaces publics, leur donner vie et alegria, des endroits
pour se rencontrer, s’écouter et faire la fête... renforcer et
reconstruire les barricades avec la même idée d’en faire des lieu de
rencontres et de convivialité... de construire, dans les quartiers,
l’autonomie... Toujours les mêmes parlaient de donner des structures aux
colonies et aux barricades, de créer et coordonner des groupes
d’autodéfense et d’inviter à une nouvelle réunion de colonos y barricadas.

Des batailles avec la PFP, je garde le souvenir du courage certain des
jeunes en première ligne, des blessés, du feu, des pierres, de la rage,
des barricades qui s’improvisent à la hâte de bric et de broc, de
l’imagination et de l’esprit d’initiative des insurgés. Je me rappelle des
gamins qui passaient dans la foule proposant des masques (certains cousus
à la main) pour se protéger du gaz que les flics lançaient, des femmes
passant avec des seaux remplis d’un mélange eau et vinaigre pour en
atténuer les effets toxiques ou chargées de grandes bouteilles de Coca
pour calmer les yeux aveuglés qui brûlent, de ces mères de famille, "amas
de casa", qui apportent chaque jour dans de hautes marmites à manger sur
les barricades. Milles souvenirs chaleureux. Et bien sûr je me souviens
très bien de l’allégresse communicative de la rue après la victoire sur
les flics ce 2 novembre à Cinco Señores.

Bon, il y a encore plein de chose a raconter... et malgré les vieilles
manières de faire de la politique d’un grand nombre des adhérents de
l’APPO, qui cherchent en premier lieu leur propre intérêt, celui de leur
parti ou de leur groupe, il y a du sang nouveau qui circule et beaucoup de
lucidité sur toutes les manœuvres et autres tentatives de manipulation qui
s’exercent et qui ne passent finalement pas. Il est certain qu’il faut
encore un peu de temps avant de savoir vraiment qui de ces deux forces
l’emportera vraiment dans l’APPO. Les communautés avec l’idée du
"commander en obéissant", de la révocation des mandats allié à l’esprit
rebelle et radical des jeunes et des colonos des quartiers populaires
contre les "degauches" qui se rêvent déjà au pouvoir... La suite des
événements nous permettra rapidement de le savoir.

Bon, nous en somme là pour le moment et c’est déjà samedi... Nous nous
préparons doucement afin de rejoindre la marche quand elle passera par
l’entrée de la ville pour rejoindre le zocalo.

J’espère que de votre côté tout va bien.
Donnez donc des nouvelles.

A bientôt.
M, le 25 novembre 2006.

-----------------------------------------------------------------------------------------

Le samedi 25 novembre, au 188e jour de conflit, la mégamarche est arrivée
dans le centre-ville après 15 kilomètres dans les pattes, elle était bien
différente des précédentes et paraissait plus grave, après avoir tenté
d’encercler le zocalo et les rues adjacentes ou s’était concentrée et
fortifiée la PFP (Programa Foxista conta la Pobreza). Il était l’heure de
se restaurer et chacun est resté ainsi pendant une paire d’heures sur sa
position dans une ambiance assez pesante... puis, malgré les appels à ne
pas céder à la provocation, à rester pacifique et organisé, sans crier
gare la bagarre a éclaté. Chacun était prêt et les masques et le vinaigre
ont commencé à circuler, les flics barricadés nous balançaient de leurs
positions des salves de grenades lacrymogènes et bien vite un brouillard
gris s’est étendu sur tout le centre. Les insurgés malgré leur nombre,
leurs équipements hétéroclites, leur détermination et leur courage, n’ont
pas pu faire reculer les flics et, après quelques heures d’affrontements
violents, les flics ont commencé à avancer en direction de Santo Domingo
où les gens se dépêchaient de se faire des munitions de pierres de toutes
tailles en démolissant le parvis de la cathédrale, dans les rues à côté,
et des terrasses des maisons les pierres volaient en direction des flics,
des jeunes derrière de grands boucliers (des portes) avançaient en ligne
au plus près du contact avec les flics afin de lancer les cocktails
Molotov et autres projectiles en étant sûrs d’atteindre leur cible. Des
barricades improvisées se construisaient précipitamment, des incendies
s’allumaient pendant que le soir tombait. A Santo Domingo, Flavio Sosa (un
"leader" de l’APPO, complètement compromis au jeu politique, celui-là même
qui en appelle au pape) exhortait les gens à cesser les combats, la
réponse de la foule a été claire : "Tire-toi, fils de pute, ou commence à
te battre !", "C’est le peuple qui commande !" Alors qu’il quittait la
place, il déclara la situation incontrôlable aux journalistes présents...

L’offensive des flics se fit encore plus brutale à l’approche de Santo
Domingo. Au poste de secours improvisé du IAGO (la bibliothèque de Toledo)
arrivaient de nombreux blessés ou intoxiqués en même temps que des gens
inquiets et désespérés de ne pas retrouver des membres de leur famille.
Nous avons dû quitter Santo Domingo devant l’hallali des chiens et trouver
refuge dans une maison à proximité. De là, nous pouvions observer la rue
et apercevoir au loin, dans la nuit, de grandes colonnes de volutes
éclairées par l’incendie des bâtiments au dessous.

Après un court répit, les flics ont repris leurs basses œuvres en ouvrant
la chasse aux attroupements épars. De là où nous étions, nous avons pu
observer d’assez près la sauvagerie sans limite de ces chiens : un jeune
au volant d’une "pipa" (un camion-citerne qui transporte de l’eau) s’est
retrouvé, à un carrefour, nez à nez avec les flics qui venaient d’une rue
perpendiculaire. Il s’est enfermé dans le camion pour ne pas se faire
défoncer la gueule, les flics ont tiré une cartouche de gaz à travers le
pare-brise du camion qui s’est arrêté et ont poursuivi leur chemin.
L’épaisse fumée sortait de tous les orifices de la cabine, les flics
étaient partout dans la rue et personne n'a pu porter secours au chauffeur
qui est resté, certainement inconscient, un bon quart d’heure dans cette
chambre à gaz. Les flics, au retour, ont mis un masque à gaz, l’un d’eux a
pris la place du chauffeur et ils sont repartis avec le camion et le jeune
toujours dedans...

A ce stade, la répression de la manifestation a fait au moins une
quarantaine de blessés, plus de cent arrestations, pour l’instant nous ne
connaissons pas le nombre exact de disparus (certainement plusieurs
dizaines) et on parle de quatre morts. Les flics ont tiré des balles en
caoutchouc et, par moment, à balles réelles. Une bonne partie de la nuit,
des convois de la PFP ont sillonné les rue de la ville à la recherche
d’irréductibles. Il y a de nombreux témoignages dans les journaux de ce
matin, sans parler des nombreuses photos qui illustrent la cruauté et la
sauvagerie répressive. De leur côté, les insurgés ont mis le feu au
tribunal supérieur de la justice, aux bureaux des jugements fédéraux, au
secrétariat du tourisme, à l’association des hôtels et motels, à l’entrée
de l´hôtel de luxe "Cuatro Caminos", une partie du théâtre Juarez a
également souffert des flammes à cause de sa proximité avec un des
bâtiments publics, sans parler des dizaines de véhicules qui illuminaient
la nuit...

Aujourd’hui, dimanche, de bonne heure, en sortant de la maison où nous
avions été hébergés pour la nuit, je suis retourné faire un petit tour du
côté de Santo Domingo, où les équipes de la municipalité s’affairaient à
effacer toutes traces des évènements qui avaient eu lieu. Il me semble, vu
les moyens déployés, que les autorités officielles ne permettront pas que
les gens réoccupent l’endroit... à voir... J’ai voulu aller jusqu'à la
grand-place du Llano, prendre quelques photos des bâtiments d’où je
voyais, la veille, les hautes colonnes de fumée montées paisiblement vers
le ciel en se rejoignant dans la nuit. Sur place, je suis tombé sur un
convoi de la PFP qui descendait la rue, j’ai traversé le parc en admirant
de loin la belle œuvre, un autre convoi montait en sens inverse... Je ne
suis pas resté, je n’ai pas fait mes photos. J’ai continué mon chemin
comme un touriste égaré en appréciant les rayons du soleil qui me
chauffaient les os.

Cet après-midi pendant que j’écrivais ce petit récit, nous entendions le
survol d’un hélicoptère sur la ville...

A bientôt.
M, le 26 novembre 2006

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Bien le bonjour,

Nous sommes le samedi matin et nous nous préparons à aller à la
manifestation, le point de départ, Santa María Coyotepec, se trouve à plus
de quinze kilomètres de la ville, cela en fait hésiter plus d’un et plus
d’une autour de moi, quinze kilomètres à pieds sous le soleil de Satan, il
y de quoi hésiter en effet. Le tyranneau a pris soin de construire le
nouveau et luxueux palais du gouvernement loin de la ville et de ses
turbulences. Avec Calderón, le futur président du Mexique, qui va prendre
possession du pouvoir à San Lázaro derrière des murailles d’acier élevées
tout autour du bâtiment législatif et dans un quartier encerclé depuis
plusieurs jours par les policiers et les militaires, ce sont les images
les plus délirantes et tordues de la science-fiction qui deviennent
réalité. La manifestation doit se terminer par un encerclement effectif
des forces d’occupation qui se trouvent sur le zócalo pendant 48 heures.

Nous sommes allés voir les jeunes qui tiennent la barricade de Cinco
Señores. El Cholo et el Conejo, ainsi qu’un troisième barricadier, ont été
faits prisonniers par un commando de la police ministérielle soutenue par
la police fédérale préventive, ils ont été salement tabassés et torturés
avant de se trouver derrière les barreaux sous des inculpations
grotesques, comme tentative d’homicide, mais qui peuvent leur coûter cher.
Les gens de la barricade avaient retiré, sous la pression semble-il du
Conseil, certains véhicules pour "libérer le passage", ils ont libéré le
passage au commando, finalement. Cela sent la provocation à plein nez.
Deux réunions ont eu lieu avec les colonies pour parler de la
manifestation et de l’idée de l’encerclement des forces militaires.
L’intervention de celle qui est la porte-parole au sein du Conseil de la
barricade Los Cinco Señores a été très intéressante : "Il faut être clair
sur les buts, chacun, que ce soit l’Etat ou l’APPO, fait valoir sa
scénographie, la mise en spectacle de la confrontation, par exemple, ou du
dialogue, par contre, l’intention reste confuse et floue, on ne poursuit
pas un objectif précis et immédiat ou, du moins, explicite, on se contente
d’une mise en scène."

Notre première inquiétude au sujet de l’isolement de la barricade Cinco
Señores s’est dissipée au vu de ces réunions, les gens venus des
barricades comme Brenamiel, Calicanto, et des colonies se sont reconnus
sur des points de vue très proches. Les "dirigeants", du moins ceux qui
aimeraient bien être reconnus comme dirigeants, craignent la réaction des
quartiers et des barricades, c’est un monde qu’ils ne peuvent contrôler.
Dialogue de sourd ? Quoi qu’il en soit, il y a là comme un hiatus qui
affaiblit le mouvement. Les habitants des quartiers par exemple ne veulent
pas entendre parler de dialogue ou de négociation avec le gouvernement
central ni avec les commandants de la Police fédérale préventive. Ils
veulent chasser les flics du Zócalo, or l’APPO a perdu une bonne
opportunité de le faire, le 2 novembre, quand les porcs ont dû battre en
retraite après la bataille de l’université. Ce souhait est-il réalisable
ou non ? S’il est réalisable, donnons-nous les moyens de le réaliser, s’il
ne l’est pas à quoi rime la manifestation et cette idée d’encerclement ?
Deux réunions ont été nécessaires pour ne pas répondre à cette question.

Je reprends cette chronique ce dimanche matin avec des sentiments mêlés et
contradictoires dus au relâchement après les moments intenses de cette
nuit insurrectionnelle. Tôt ce matin, des équipes de balayeurs tentaient
d’effacer toute trace de l’émeute de la veille, des peintres recouvraient
avec de la peinture blanche les slogans, des camions-bennes enlevaient les
restes des barricades, en vain. Comment gommer les six immeubles, dont le
Tribunal supérieur de justice, La Chambre des hôtels et motels, le
ministère des Relations extérieures, qui ont été incendiés ? Des flics en
civil rôdent, mêlés aux bourgeois, dans les rues autour du Zócalo et des
patrouilles composées de quatre à cinq camionnettes remplies jusqu’à la
gueule de flics en tenue anti-émeute tournent les unes derrière les autres
dans les rues adjacentes. Beaucoup de gens ont été appréhendés, on parle
d’une centaine de disparus, d’autres ont pu trouver refuge, ce fut notre
cas, dans des maisons amies. Ce ne fut pas une émeute, ce fut le premier
pas d’une insurrection. A la jubilation de voir dans la nuit Oaxaca en
flammes se mêle le goût amer des massacres et assassinats perpétrés par
les forces de l’ordre.

Nous avons rejoint la marche à mi-parcours, beaucoup de monde mais moins
de monde que lors de la grande marche du dimanche 5 novembre, moins de
slogans, absence des peuples indiens de la Sierra, qui devaient venir, des
participants plus tendus, aussi. La rumeur avait couru qu’il allait y
avoir des affrontements, que des francs-tireurs embusqués tireraient sur
la foule, ou que des commandos de paramilitaires interviendraient, c’est
Ulises Ruiz qui était à l’origine de ces rumeurs en laissant entendre
qu’il ne contrôlait pas la situation (comme s’il l’avait contrôlée un
jour !), cela signifiait en fait qu’il laissait carte blanche à ses
tueurs. La marche sous le soleil de midi s’est déroulée sans incidents. A
3 heures et demie, nous étions au centre-ville et les gens ont envahi les
rues qui mènent au Zócalo, foule bigarrée, assez silencieuse, fatiguée
aussi par cette longue marche. Temps d’orage, mais nous ne savions pas si
l’orage allait éclaté ou non. Une longue file s’est formée où l’on
distribuait de la nourriture, riz et haricots noirs, et puis rien,
quelques groupes descendaient bien les rues pour aller défier la Police
fédérale préventive, mais sans trop de conviction, celle-ci était bien
protégée derrière des murailles d’acier, le Zócalo était devenu une place
forte, à mon sens, imprenable.

Et puis comme un premier éclair, des gamins qui descendent la rue en
courant avec un cadi rempli de caillasses, des femmes sur le parvis de
l’église les encouragent à grands cris tout en leur demandant de ne pas
céder à la provocation. Des pierres partent dans tous les sens, des fusées
zigzaguent et éclatent, les cloches de l’église se mettent à sonner le
tocsin, on arrache des palissades pour former des barricades, on monte sur
la terrasse du bâtiment en construction, des brigades de secours se
forment avec coca, eau et vinaigre, des masques de tampax imbibés de
vinaigre sont proposés aux combattants, les rues se remplissent de
tonnerre et de fumée, l’orage. Il est 4 h 30 de l’après-midi, l’offensive,
on se jette à corps perdu contre la place forte en espérant la faire
fléchir. Le parvis de Santo Domingo est devenu une carrière à fabriquer du
caillou, tous s’activent.

La horde sauvage, la horde de la dignité, face à l’armée de l’ordre,
retranchée, bien protégée et supérieurement armée, la place ne cède pas,
un espoir, pourtant, dans une rue parallèle, les forces armées, moins bien
protégées auraient montré des signes de faiblesse, nous nous y lançons,
défiant les grenades de gaz, nous avons des bus à notre disposition, nous
en manœuvrons un et nous avançons derrière ce tank improvisé, en vain, les
grenades pleuvent de tous les côtés le bus devient alors une barricade
derrière laquelle seuls ceux qui ont des masques à gaz peuvent encore
résister. Mais l’idée était bonne et nous la renouvelons de l’autre côté,
pour le même résultat. C’est alors que se déclanche la contre-attaque,
elle nous a surpris et malgré une résistance acharnée, nous nous rendons
vite compte que nos positions sont indéfendables : nous nous replions en
vitesse vers la place de Santo Domingo sous une grêle de grenades
lacrymogènes.

Un court moment de répit, on repart à l’assaut et puis tout se passe très
vite après quatre heures de combat, c’est le soir maintenant. Une des
filles est intoxiquée par les gaz, tout le centre-ville est devenu
irrespirable, nous la conduisons à un poste de secours improvisé dans la
bibliothèque publique du peintre Toledo, nous la laissons à l’intérieur et
nous nous replions vers les rues perpendiculaires, des bataillons de choc
de la police fédérale avancent derrière leurs tanks, nous avons juste le
temps de passer. Nous allons faire un tour du côté des associations des
droits humains pour rendre compte de la situation, mais surtout pour
respirer.

Nous y restons peu de temps, il faut récupérer la copine, un repli des
forces de police nous permet de revenir vers Santo Domingo, la copine
n’est plus dans le poste de secours, nous la retrouverons plus tard chez
des amis, saine et sauve. Les commandos de la police fédérale entrent à
nouveau en action derrière leurs tanks, ils cherchent à prendre en
tenaille les irréductibles qui se sont regroupés un peu plus bas, nous
marchons vite, une porte amie s’ouvre, à quelques secondes près nous
étions pris et matraqués. Impuissants nous assistons à une scène terrible,
le croisement est noir de flics, les irréductibles ont pu s’échapper mais
l’un d’eux est resté prisonnier du camion qu’il conduisait, je pense qu’il
avait déjà été atteint et blessé, à la merci de la meute, qui balance des
grenades lacrymogènes dans la cabine... (C’était le vrai conducteur du
camion, je viens d’apprendre qu’il a réussi à s’échapper au dernier
moment, bien que blessé, avec l’aide des jeunes par quel miracle ? Les
chiens ont rempli de gaz une cabine vide. Ouf !)

La ville brûle, tout autour rôdent les camions de la PFP à la recherche
des derniers mohicans, beaucoup vont pouvoir se cacher dans des maisons
hospitalières, rôdent aussi les tueurs à gage d’Ulises Ruiz, nous
entendons des coups de feu, la radio signale qu’ils auraient tiré du côté
de la barricade Cinco Señores et qu’il y aurait des morts. Un commando
vêtu de noir, armé jusqu’aux dents, se trouvent dans les jardins de
l’hôpital. Sept personnes en civil, armées de révolvers, sont entrées dans
les urgences et ont menacés les personnes présentes. Le bilan est
tragique, on parle de quatre morts, le nombre de blessés est incalculable,
149 détenus et 41 disparus. Ulises Ruiz et l’Etat fédéral entendent
profiter de la situation pour perquisitionner les habitations, arrêter les
leaders de l’APPO, et occuper militairement tout le centre touristique et
pas seulement le Zócalo ; leurs prochains objectifs seront la cité
universitaire et la barricade de Cinco Señores ; ils n’arrêteront pas le
mouvement, qui, selon mon sentiment, va se reconstituer rapidement, c’est
un simple coup de vent d’un mouvement insurrectionnel venu des profondeurs
de l’Etat d’Oaxaca. Les communautés indiennes de la Sierra Norte n’y ont
pas participé, ils se doutaient bien de ce qui allait se passer, ils ne
voulaient pas affaiblir leur force dans une escarmouche.


Oaxaca, le 26 novembre 2006.

George Lapierre

Message édité le 27-11-2006 à 12:17:25 par Paria
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   Posté le 28-11-2006 à 15:21:21   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Nouvelles du jour (28 novembre 2006)

5 :12 l'Université d'Oaxaca Continue de transmettre des nouvelles par radio Universidad

Cette nuit d'enormes patrouilles de la PFP ont engendrées la crainte que la station serait attaquée dans la nuit a n'importe quel moment

Les interférences à la radio sont très fortes mais elle transmet toujours dans la ville d'Oaxaca, et sur internet par une centaine de miroirs dans le monde

00 :47 les Policiers locaux ( ou des Pfp en civils ) ont été vus sur la place Santa Lucía del Camino, mondialement connue désormais par ses tueurs paramilitaires a la solde du Pri qui y traînent jour et nuit

00 :48 l'Université d'Oaxaca vis peut être sa nuit la nuit la plus critique depuis le commencement du mouvement social oaxaqueño et la Lutte Populaire des Peuples(Villages) d'Oaxaca la menaces d'une attaque de la radio est toujours imminente

00 :33 aujourd'hui les companeros-as on fait un compte des cartouches tirées par les forces fédérales ( Pfp ), trouvéés après le massacre du 25 novembre : des cartouches de carabines 223, d'un pistolet automatique 45, d'automatique 38, d'un pistolet 9 millimètres. Certains de ces projectiles ont étés tirés dans les salles de la faculté de médecine.

00 :25 La PFP a été aux environs de la cité universitaires ils montent a ses abords

00 :19 encore une fois on informe la radio que la police fédérale préventive assiège de nouveau l'université d'Oaxaca, en ce moment elle se redéploie à la hauteur de soriana non loin de l'université

http://vientos.info/cml/
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   Posté le 28-11-2006 à 15:30:29   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Chronique du Mexique en luttes, 27 novembre 2006


Nouvelle agression policière à Oaxaca

Samedi dernier, 25 novembre, les adhérents et sympathisants de l’APPO
effectuaient une nouvelle marche de protestation pour exiger le changement
politique dans l’Etat d’Oaxaca ; à l’arrivée de la marche au centre-ville,
ils ont encerclé le zocalo occupé depuis le 2 novembre par la Police
fédérale préventive (PFP). Vers 16 ou 17 heures (selon les sources), on ne
sait qui exactement a lancé la première pierre, mais en tout cas la
provocation a immédiatement mis le feu aux poudres, et des affrontements
de plusieurs heures ont opposé les résistants, armés de pierres et de
portes, en guise de boucliers, aux policiers qui les attaquaient à coups
de gaz lacrimogènes, de balles en caoutchouc et, pour certains, d’armes à
feu. Devant la violence des attaques, les membres de l’APPO ont dû quitter
toutes leurs positions, y compris leur campement principal du couvent de
Santo Domingo, et se réfugier dans des maisons amies, jusqu’où les
policiers les ont pourchassés pendant toute la nuit. Plusieurs sources
affirment que des policiers en civil ont attaqué la station d’autobus avec
des armes à feu. De leur côté, les résistants ont incendié le Tribunal
supérieur de justice, le ministère des Relations extérieures, le ministère
du Tourisme et l’Association mexicaine des hôels et motels d’Oaxaca ; le
théâtre Juarez a également été endommagé. L’APPO a cependant déclaré par
l’un de ses porte-parole que ces destructions n’avaient pas été planifiées
et a répété qu’elle se voulait un mouvement pacifique. Elle a aussi
déclaré que dès ce lundi elle reprendrait possession de son campement à
Santo Domingo.

De l’intérieur de l’APPO, certains témoignages confirment un manque
d’unité sur la question des buts et des moyens, entre, d’un côté, les
habitants des quartiers et les jeunes défenseurs des barricades, qui
veulent principalement chasser la PFP par tous les moyens, et les membres
plus "politiques" qui veulent privilégier la négociation du retrait.

Le soir même, le gouverneur Ulises Ruiz déclarait à tous les médias que la
situation était redevenue normale à Oaxaca, que les affrontements avaient
été minimes et n’étaient dus qu’à quelques agitateurs qui ne
représentaient qu’une petite minorité des habitants. Le dimanche, tandis
que les véhicules anti-émeutes quadrillaient sans cesse les rues, les
camions municipaux se dépêchaient de déblayer les gravats et de repeindre
les façades pour accréditer la thèse du retour à la normale. Le nombre de
blessés et d’arrestations dément cependant de lui-même la thèse de
l’escarmouche : de l’aveu même du Parquet général de justice, 149
personnes ont été mises à la disposition de la justice ; quant aux
blessés, leur nombre précis n’est pas fixé, mais selon les sources il
varie entre 150 et 200 ; il semble certain aussi que trois personnes ont
été tuées. Les films et les photos attestent également de l’extrême
violence et de l’ampleur des combats.

Impunité par soumission du pouvoir judiciaire à l’exécutif

Pendant ce temps, le même Parquet général refuse de révéler le résultat de
l’enquête sur le meurtre du journaliste états-unien Bradley Will, tué le
28 octobre dans la première attaque des barricades par des paramilitaires.
En revanche, on atteint maintenant des centaines d’inculpations et
d’ordres d’arrestation contre des militants de l’APPO.

La même complaisance du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l’exécutif a lieu
autour des tortionnaires d’Atenco : il existe une institution nationale
particulière pour les délits "liés aux actes de violence contre la
femme" ; or, cette institution n’a toujours pas été saisie du cas des
seize femmes qui ont déposé plainte pour avoir été violées par les
policiers après leur capture les 3 et 4 mai dernier lors des affrontements
de San Salvador Atenco. Les associations locales et nationale des droits
humains multiplient les dénonciations et les appels ; elles ont obtenu que
le Comité pour l’élimination des discriminations contre les femmes de
l’ONU demande à l’Etat mexicain de vérifier et de punir les coupables de
ces viols. Sans le moindre résultat jusqu’à présent. De même, le Comité
contre la torture, dépendant des Nations unies, a pressé le Mexique
d’effectuer une enquête rapide et impartiale sur les événements d’Atenco,
les féminicides de Ciudad Juarez et les plaintes récentes pour tortures et
violences à Oaxaca ; le Comité a donné un an au gouvernement pour fournir
une information sur la réalisation de ses recommandations.

Réactions à Mexico et craintes pour l’avenir

Les membres et sympathisants de l’APPO dans la capitale fédérale ont
bloqué un axe central pendant une heure, ainsi que les postes de péage de
deux autoroutes menant à la capitale, en guise de protestation contre la
violence policière de ce samedi. Dans une conférence de presse, ils ont
exposé leur crainte que la répression ne fasse que commencer, du fait que,
selon une rumeur, l’armée serait prête à intervenir à son tour à Oaxaca,
et en raison des déclarations du futur président, Felipe Calderon, qui a
déjà promis d’utiliser la manière forte dans ce conflit. Une marche a
également eu lieu vers le zocalo de Mexico, au terme de laquelle, devant
le Palais national, 28 volontaires se sont ouvert les veines en criant :
"Si ce que veut le gouvernement c’est du sang, voici le sang du peuple du
Mexique." Cependant, malgré la difficulté du combat et l’intensité de la
répression, une chose est sûre : le processus entamé est irréversible,
partout surgissent des associations indigènes de plus en plus nombreuses,
de plus en plus déterminées à poursuivre une lutte à long terme pour le
respect de leurs droits et de leur autonomie.

Appel à des réactions internationales

L’APPO et diverses organisations qui en sont membres demandent aux Nations
unies et aux autres organisations internationales de se prononcer sur ces
délits ; ils demandent une intervention de la Croix-Rouge internationale
pour assister les nombreux blessés. Un appel est fait également aux
associations de droits humains et aux associations sociales au niveau
national comme international pour organiser des actions de protestation
devant les institutions et ambassades et envoyer des messages aux
autorités politiques pour qu’elles fassent cesser le massacre à Oaxaca.
Voici les adresses de celles-ci :

Gouverneur de l’Etat d’Oaxaca (Ulises Ruiz Ortiz) : gobernador@oaxaca.gob.mx
Ministre de l’Intérieur de l’Etat d’Oaxaca (Jorge Franco Vargas) : Tel.
(951) 5153175, 5157490
sriagral@oaxaca.gob.mx
sriagral2@oaxaca.gob.mx

President de la République (Vicente Fox Quesada) :
email: vicente.fox.quesada@presidencia.gob.mx
radio@presidencia.gob.mx
webadmon@op.presidencia.gob.mx
Telefonos (55) 50911100 y (55)151794

Ministre de l’Intérieur de la République (Carlos Abascal Carranza) :
Telefono (00 52) 5 55 546
Email segob@rtn.net.mx

Procureur général de la République (Cabeza de Vaca) :
Telefono (00 53) 4 60 904
Email: ofproc@pgr.gob.mx


Annick Stevens,
à partir de "La Jornada", des communiqués de l’APPO et du Conseil indigène
populaire d'Oaxaca - Ricardo Flores Magon (CIPO-RFM).
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   Posté le 01-12-2006 à 16:57:00   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

"Plus aucune arme pour le Mexique"


(Titre original de l'article : "No más armas a México" )

Marco Appel – revue "Proceso", 16 novembre 2006.

BRUXELLES. Depuis que le président Vicente Fox a décidé d’employer la
force dans l’Oaxaca et devant les nombreuses dénonciations d’exactions
commises par les forces de police dans ce conflit comme dans d’autres, au
sein de l’Union européenne (UE) les déclarations ne succèdent, qui exigent
un plus grand contrôle des exportations d’armes vers le Mexique
représentant des sommes millionnaires.

Ainsi Hélène Flautre, présidente de l’influente sous-commission des droits
de l’Homme au Parlement européen, signale : "Les pays de l’UE doivent
veiller à ne pas vendre au Mexique des armes qui pourraient ensuite servir
à la police pour torturer ou attaquer les citoyens de ce pays."

Pour cette eurodéputée française, "étant donnée la situation qui règne au
Mexique, ce pays ne devrait pas pouvoir acheter certaines armes
européennes si ces gouvernements [de l’UE] appliquaient correctement notre
code de conduite".

Le 8, mercredi dernier, les partis Verts et Izquierda Unida représentés au
Parlement européen ont proposé une "résolution urgente" concernant le
conflit de l’Oaxaca et la vente d’armes au Mexique. Les parlementaires du
Parti populaire espagnol et du Parti socialiste européen ont opposé leur
veto et empêché que cette question soit inscrite à l’ordre du jour de la
session plénière de la semaine dernière.

Néanmoins, lors de la prochaine réunion de la sous-commission des droits
de l’Homme, le lundi 20 novembre, les Verts formuleront à l’UE, entre
autres demandes, une motion visant à "interdire strictement toute vente
d’armes au Mexique, afin d’éviter qu’elles ne soient employées contre la
population civile dans un conflit interne", selon le document original en
possession de Proceso, auquel seront tenues légalement de répondre les
plus hautes autorités diplomatiques à Bruxelles.

Nicolas Kerlereux, porte-parole du conseil des ministres de l’Union
européenne, a déclaré à Proceso que "toute révision du commerce des armes
avec le Mexique est sujette à caution d’un des gouvernements du bloc
[européen]".

Contre la répression

Le code de conduite en matière d’exportations d’armement signé en 1998 par
les gouvernements de l’UE comporte huit "critères". Le deuxième de ces
critères interdit d’émettre des licences d’exportation à un pays "s’il
existe un risque évident que le matériel en question peut être utilisé
pour exercer une répression interne", pour employer "la torture et autres
mauvais traitements ou châtiments dégradants, inhumains ou cruels, des
exécutions sommaires ou arbitraires, des disparitions, des arrestations
arbitraires et toutes autres violations majeures des droits humains".

Le troisième critère n’autorise pas non plus les exportations de matériel
militaire à des nations connaissant "des tensions politiques ou des
conflits armés".

Des organismes tels qu’Amnesty International (AI) ou Oxfam soutiennent que
ces critères sont appliqués en ce qui concerne le Mexique. Dès le mois de
juin dernier, un rapport émis par ces organismes dénonçait le "transfert
irresponsable" d’armes européennes vers des pays tels que le Mexique, "où
de graves violations des droits humains sont commises".

Au cours des dernières années, AI a dénombré des abus commis par les
forces mexicaines de sécurité : en 2004, à Guadalajara, lors du sommet
UE-Amérique latine ; en mai dernier, à San Salvador Atenco, et le 14 juin
dernier, à Oaxaca, lors de la première tentative de déloger les
manifestants.

Du mois d’août au 27 octobre dernier, cet organisme a émis plusieurs
communiqués dans lesquels elle accuse la PFP, la Police fédérale
préventive, d’avoir employé "une force excessive et disproportionnée
contre les manifestants de l’État d’Oaxaca" et d’avoir commis des délits
tels qu’assassinats, tortures et mauvais traitements.

Pourtant, dans la période qui va du mois de janvier 2001 à décembre 2005,
l’Union européenne a vendu au gouvernement de Vicente Fox plus de 243,5
millions d’euros d’armement varié, situant le Mexique au rang de ses
principaux clients d’Amérique latine.

Selon les rapports annuels du conseil des ministres de l’Union européenne
en cette matière, dans la même période, 14 des 25 pays membres ont fourni
du matériel de guerre au Mexique : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique,
l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Italie, la Lituanie, les
Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, le Royaume-Uni et la Suède.

Nicolas Kerlereux, que nous citions auparavant, a confirmé à notre
correspondant que la destination finale de ces exportations recouvre
l’ensemble des forces de police mexicaines.

À elle seule, la France s’est adjugé 38 % de la facture totale. En effet,
jusqu’au mois de décembre dernier, ce pays avait vendu au gouvernement
mexicain des armes pour un montant de 93 millions d’euros, en grande
partie du matériel électronique à usage militaire, des avions de combat et
différents types de balles.

Le rapport le plus récent émanant du conseil des ministres de l’Union
européenne, publié le 12 septembre, révèle que la vente d’armes est un
commerce si lucratif pour les fabricants français sous le mandat de Fox
que, l’an dernier, la vente d’armes au Mexique représentait 68 % des
ventes totales de l’UE Qui plus est, en 2005, le gouvernement de Vicente
Fox a quasiment multiplié par trois, par rapport à 2004, l’achat d’armes à
la France, qui est passé de 12 à 34 millions d’euros.

Le conseil des ministres ne dispose pas d’informations précises en ce qui
concerne les pays à qui le gouvernement mexicain a acheté des armes lors
de la première année du mandat de Vicente Fox, au cours de laquelle les
commandes passées à l’UE ont atteint 26 millions d’euros.

Par contre, il est en mesure de préciser que sur les 56 millions d’euros
que représentaient les armes devant être livrées que l’Union européenne a
exporté au Mexique, 48 millions d’euros (85 %) venaient de France.

Enquête

Depuis 2003, l’Union européenne fait le détail des caractéristiques de
l’armement exporté par les pays membres et les regroupe en 22 catégories.

La catégorie qui suppose le plus de risques est celle des fusils,
pistolets, revolvers et pistolets-mitrailleurs de calibre inférieur à
20 mm, ainsi que les armes automatiques ou semi-automatiques d’un calibre
inférieur ou égal à de 12 mm.

Au cours des trois dernières années, le Mexique a acheté des armes de
cette catégorie pour un montant de 7,47 millions d’euros – dont la moitié
en 2005 –, qui lui ont été fournies par l’Allemagne, par l’Autriche et par
la République tchèque, et en moins grande quantité par l’Espagne.

Une sérieuse remise en cause des garanties offertes par le Mexique eut
lieu, en février 2000, quand ce pays voulut acheter 500
pistolets-mitrailleurs P-90 à la Belgique. La transaction commerciale
avait été autorisée, mais le 2 mai suivant le gouvernement belge l’a
bloquée de manière unilatérale, le Parlement local ayant exprimée la
crainte de voir des armes si sophistiquée – capables de traverser 50
gilets pare-balles à une distance de 100 m – tomber dans les mains de
membres de cartels de la drogue et de bandes de malfaiteurs organisés.

Dirk Van Der Maelen, chef de file des députés socialistes belges, rappelle
lors d’une interview accordée à Proceso, que plusieurs parlementaires
s’étaient rendu compte que si ce marché avait été conclu, la Belgique
violerait la loi nationale en matière d’armement et le code de bonnes
pratiques de l’Union européenne.

Au beau milieu de la crise politique provoquée par cette affaire, les
autorités bruxelloises concédèrent au gouvernement mexicain deux mois pour
démontrer que les pistolets-mitrailleurs serviraient exclusivement à ses
forces de police et à l’armée fédérale. Trois semaines plus tard, le
Mexique annulait sa commande sans autre forme de procès !

Rupert Knox, expert d’Amnesty International pour le Mexique, admet que les
autorités de ce pays sont en droit de maintenir l’ordre et la
tranquillité, mais signale cependant que "l’Union européenne doit réviser
toute exportation [d’armes] si celle-ci est impliquée dans le viol des
droits humains, si on a identifié le corps de police ou de l’armée à qui
l’armement est destiné et si on dispose de documents avérés".

Le 30 octobre dernier, la section londonienne d’Amnesty International
demanda qu’une enquête indépendante soit ouverte sur la mort de deux
manifestants lors de l’intervention de la police, la veille, à Oaxaca,
ainsi que sur l’assassinat du journaliste américain William Bradley Roland
survenue le 27 octobre dans cette même ville, dans le but de "déterminer
la responsabilité des autorités locales et fédérales dans l’incitation ou
dans la tolérance de la violence et du viol des droits humains".

Hélène Roux, militante de la Commission civile internationale
d’observation des droits humains au Mexique, une organisation dont le
siège se trouve à Barcelone, confiait à notre correspondant : "L’Union
européenne conserve des programmes de coopération avec la police
mexicaine. Dans le cadre de cette coopération, plusieurs pays de l’UE, et
en particulier la France, financent un programme spécifique avec la PFP.
Il est plus que temps que l’UE soupèse avec quelle sorte de corps de
police elle coopère et quelle sortes de progrès concrets elle apporte à
l’amélioration des droits humains."

Enfonçant le clou, elle poursuivait : "Dans la mesure où ces accords de
coopération sont liés à la vente d’armement, nous ne voyons pas en quoi
cette sorte de commerce et de fourniture d’armes plus sophistiquées
pourrait contribuer à une amélioration des méthodes employées par la
police mexicaine."

Traduit par Angel Caido.

Message édité le 01-12-2006 à 16:57:46 par Paria
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Chronique du Mexique en luttes, 30 novembre 2006


Repli de l’APPO et menaces sur les prisonniers

En raison des nombreuses arrestations des derniers jours, la barricade du
carrefour Cinco Señores, dernière barricade d’Oaxaca, qui défendait
notamment l’accés à l’université, est restée sans défenseurs durant la
nuit du 28 au 29, de sorte qu’à 4 heures du matin des bulldozers sont
arrivés, accompagnés d’une centaine de nettoyeurs et défendus par une
vingtaine de camionnettes de policiers fortement armés ; ils ont
complètement démembré la barricade et dégagé les dernières routes coupées,
annihilant ainsi une occupation qui durait depuis six mois. Dans
l’après-midi du 29, comme un groupe important de policiers se massait
devant la porte de Radio Universidad, les membres de l’APPO qui émettaient
encore ont préféré remettre la radio entre les mains de l’Universtité
plutôt que de laisser la police s’en emparer par la force. La PFP occupe
désormais toute la ville. Toutes les maisons sont systématiquement
fouillées à la recherche d’activistes. La criminalisation du mouvement
entre dans sa phase judiciaire avec des centaines d’inculpations pour
délits de droit commun tels que : dégradations, vols, destructions de
bâtiments publics, etc.

Parmi les prisonniers de ces derniers jours, 141 ont été transférés par
hélicoptères vers la prison d'El Rincon, dans l’Etat du Nayarit. Toute
communication est impossible avec eux, y compris pour leurs familles. Les
associations pour la défense des droits humains sont arrêtées par un
barrage sur la route menant à la prison et ne reçoivent pas l’autorisation
d’aller voir les prisonniers. Elles craignent des tortures et ont déjà
reçu des témoignages de coups et menaces. Ce déplacement vers le Nayarit a
donné lieu à des déclarations hallucinantes. Des représentants de tous les
secteurs privés locaux ont manifesté contre la présence des prisonniers
oaxaquéniens, et le président du Conseil des entreprises a déploré que
celle-ci "générera des protestations sociales, de gens qui viendront
d’autres Etats du pays pour demander leur libération, et cela nuira aux
activités productives de l’Etat". Ce n’est pas tout : le gouverneur de
l’Etat a téléphoné au prochain ministre de l’Intérieur fédéral pour se
plaindre qu’on lui ait envoyé ces "inculpés" sans lui demander son avis,
et a qualifié ce transfert d’"insensé" parce que "quand on combat un
cancer, on doit l’encapsuler et non le disperser à travers tout le pays".
Ces réactions illustrent la polarisation qui est en train de se creuser
dans tout le pays entre les sympathisants des mouvements sociaux et les
partisans de l’ordre économico-politique actuel.

Détermination pour le futur

Un Forum des peuples indigènes a eu lieu à Oaxaca dans des locaux de
l’église de la Vierge des Pauvres, qui a abouti à une déclaration répétant
les exigences de démission du gouverneur, de retrait de la PFP, de
présentation des disparus en vie, de libération des prisonniers, d’arrêt
des violences policières, et dénonçant la terreur exercée par l’occupation
policière de la ville et la criminalisation de la protestation sociale en
guise de moyen pour désarticuler l’APPO. Selon un porte-parole, le nouveau
gouvernement serait déjà impliqué dans la répression actuelle, et la
nomination comme ministre de l’Intérieur de Francisco Ramirez Acuna, connu
pour privilégier la manière forte, ne présage rien de bon pour l’avenir.
De même, les membres de l’APPO réunis dans la capitale fédérale ont
annoncé que cette répression était un échantillon de ce que le
gouvernement de Felipe Calderon prévoyait de réaliser à l’échelle
nationale.

Cependant, les organisations présentes au forum invitent tous les
résistants à éviter de tomber dans les provocations et la violence et à
continuer à lutter de manière créative contre la misère et pour un
changement politique en profondeur. L’Eglise locale, jusque dans sa plus
haute hiérarchie, a pris résolument le parti des pauvres en appelant les
autorités fédérales et locales "à être sensibles aux justes réclamations
du peuple, à gouverner avec honnêteté et transparence, à ne pas abuser du
pouvoir pour réprimer, à ne pas manipuler ni profiter de l’ignorance et de
la pauvreté de la population". Elle a ajouté que, pour éviter de nouvelles
violences, il était urgent d’introduire des réformes dans tous les
secteurs : légales, économiques, politiques, scolaires, électorales et
sociales.

Le site de l’APPO continue à appeler à la lutte, affichant en première
page "LOS FASCISTAS NO PASARAN" (traduction superflue ! consulter
http://www.asambleapopulardeoaxaca.com). Le site comme les interviews de
résistants indiquent que la stratégie du pouvoir consistant à arrêter les
"leaders" est vaine face à un mouvement où la base agit horizontalement :
des milliers de personnes en résistance ne s’arrêteront pas faute de
"dirigeants". La force de l’APPO est dans le nombre et l’égale valeur de
tous ses membres, dans la détermination de ceux qui savent que la lutte
sera longue et difficile mais qu’ils n’accepteront plus jamais la vie
indigne qu’on leur a fait subir jusqu’ici.

Du côté des réactions internationales, l’hebdomaire mexicain "Proceso"
rapporte les chiffres exorbitants des exportations d’armes de l’Union
européenne vers le Mexique durant la présidence de Vicente Fox, et révèle
que les groupes parlementaires européens Verts et Izquierda Unida ont
demandé une interdiction de ces exportations en raison des violations des
droits de l’homme et des menaces que les armes soient utilisées contre des
civils dans des conflits internes – ce sont là deux raisons suffisantes,
d’après la législation européenne, pour refuser toute livraison d’armes à
un pays (il est intéressant de noter que la Belgique a récemment refusé un
contrat au Mexique pour ces raisons, ce qui est loin d’être le cas de tous
les pays européens).

Pour ceux qui se demandent comment aider les prisonniers de l’APPO, on
voit qu’une pression peut être exercée de l’extérieur, soit par
l’intermédiaire de certains parlementaires, soit par l’intermédiaire des
organisations internationales de défense des droits humains, ou encore en
invitant la presse à parler de ce débat au Parlement européen et à dire la
vérité sur la situation mexicaine.

Les "soirées pyjama" des députés

Pendant ce temps, tout le Mexique se gausse des députés du PAN et du PRD
qui, hier, se sont disputé la tribune du Parlement, afin de l’occuper
jusqu’à ce vendredi 1er décembre où elle doit être le lieu de la passation
de pouvoir au nouveau président. Le quotidien "La Jornada" affiche en
première page le titre "‘Piyamada’ à la plus haute tribune de la nation",
faisant allusion aux fêtes durant lesquelles les enfants restent dormir
chez leurs copains. Des photos montrent en effet des députés se passant
des oreillers et d’autres allongés sur des matelats, après les photos qui
les montraient se poussant et se frappant pour se maintenir sur l’estrade.
Avec le commentaire : "Le Congrès s’est changé en le ‘reality show’ le
plus réussi. Depuis que la réalité imite la télévision, la politique a
gagné une audience inespérée." Mais, au-delà du cocasse et du ridicule, la
tension est réelle entre ceux qui veulent à tout prix empêcher
l’investiture du président et ceux qui prétendent simplement appliquer la
Constitution.

Annick Stevens, à partir de "La Jornada", de "Proceso" et du site de l’APPO.

Message édité le 01-12-2006 à 16:59:38 par Paria
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   Posté le 01-12-2006 à 17:27:44   Voir le profil de Vassine (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Vassine   

Merci pour toutes ces informations Paria!


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   Posté le 03-12-2006 à 20:46:39   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Bien le bonjour,

Oaxaca est une ville occupée par la soldatesque, vous n’ignorez pas ce que
cela signifie : perquisitions sur délation, la radio "papita" ou "mapache"
ou citoyenne ou encore radio de la haine, la seule désormais qui occupe
les ondes comme les forces armées occupent la ville, demande à la
population de dénoncer son voisin, et appelle à mettre le feu aux maisons
qui hébergeraient des membres connus de l’APPO ; arrestations arbitraires,
seule la jeunesse dorée peut se déplacer sans crainte, les jeunes des
quartiers populaires, doivent prendre mille précautions pour aller d’un
point à l’autre de la ville, mieux vaut ne pas être indiens ou pauvres ;
des maîtres et maîtresses d’école sont détenues avec la plus grande
brutalité devant leurs élèves (je viens d’apprendre que la PFP a pénétré
dans une école en lançant des grenades de gaz, ils étaient à la recherche
d’un instit), sans qu’il y ait de réactions de la part du syndicat
enseignant, du moins jusqu’à présent (une manière pour la direction de se
débarrasser de ses opposants ?) ; déportation des prisonniers et
prisonnières, à qui est refusé tout droit de visite (de la famille, des
avocats ou des droits de l’homme), dans des prisons de haute et moyenne
sécurité du Nord sous le prétexte d’une extrême dangerosité (en quoi une
jeune institutrice indienne enseignant dans un village de la montagne
peut-elle être d’une extrême dangerosité ? Elle n’est pas la seule, elles
sont huit dans son cas avec des familles entières, père, mère et enfants…
la dangerosité d’être indiens ?) ; rondes continuelles dans toute la ville
de camionnettes pleines de gardes mobiles (la police fédérale préventive
ou PFP) fortement armés, suivies ou devancées par les pick-up des
paramilitaires (police de l’Etat en civil, certains ont grossièrement
dessiné sur leur tee-shirt une croix gammée) ; tabassage systématique,
torture, violence sexuelle et, sans doute, assassinats (avec l’ordre de
ramasser les corps de façon à ne pas laisser de preuves) ; la loi et
l’ordre sont de retour dans notre bonne ville d’Oaxaca. Le petit tyran
tente de s’imposer par la terreur, il est le seul à avoir peur, les gens
ne sont pas terrorisés, inutile de chercher un affrontement si inégal, on
prend des précautions pour ne pas être arrêté, on se planque et on attend
que passe l’ouragan.

Cette débauche de violence a été orchestrée et planifiée de longue date
dans les sphères du pouvoir. C’est le moment où toute la presse et les
médias portent leur attention sur les clowns de la chambre des députés,
qui se battent pour occuper la tribune, où Felipe Calderón, dit Fécal,
doit faire son discours d’investiture comme président illégitime de la
République. La manifestation du 25 novembre fut une aubaine : on provoque
les jeunes les plus déterminés en arrêtant, tabassant et torturant trois
des leurs ; des terrasses proches du Zócalo, on leur balance des pierres
et cela suffit pour réveiller une colère retenue et légitime et déclancher
une confrontation à laquelle adhèrent non seulement les jeunes mais
l’ensemble des participants à cette manifestation. La bataille a été
intense et a duré plus de quatre heures, ce n’est que sous une pluie de
grenades lacrymogènes que des commandos de la PFP ont pu avancer derrière
leurs tanks et prendre en tenaille les combattants, tabasser et arrêter
ceux qui leur tombaient sous la main, se retirer pour répéter ainsi
l’opération plusieurs fois jusqu’à être maîtres du champ de bataille, en
l’occurrence de la place Santo Domingo. Pendant ce temps, la police de
l’Etat en civil (les paramilitaires), à laquelle s’étaient joints des
membres du PRI, occupait les jardins publics, les hôpitaux, la faculté de
médecine (beaucoup d’étudiants en médecine avaient formé des groupes de
secouristes durant les affrontements), la gare d’autobus, le fortin, où
pouvaient se réfugier les blessés et les fugitifs ; ils étaient armés et
ont fait feu plusieurs fois, ils ont fait le sale boulot en collaboration
avec les gardes mobiles qui patrouillaient tout autour du centre.
L’objectif de l’Etat est clair : arrêter le plus de monde possible, porter
un coup fatal à l’Assemblée, châtier la population rebelle et la tenir
sous la menace du fouet et de la geôle. Pendant que j’écris ces lignes me
parviennent les mauvaises nouvelles des arrestations, des disparitions, ou
la bonne nouvelle de ceux qui ont pu quitter la ville sans dommages, nous
nous appelons les uns les autres pour nous tenir au courant en espérant
que l’ami que l’on appelle va répondre ou que nous ne serons pas les
prochaines victimes. Entre soulagement et tristesse passent les heures.

L’Assemblée des peuples depuis la tenue de son Congrès, malgré ses
failles, a désormais des assises solides dans la société. Il ne s’agit pas
pour elle de prendre le palais du gouvernement mais de se construire et de
se développer comme un nouveau mode d’organisation sociale. Plus de 300
participants au forum des peuples indigènes d’Oaxaca ont bravé Ulises
Ruiz, ses sbires et l’odeur pestilentielle, qui règne sur la ville depuis
son retour, afin de se réunir, en présence des conseillers de l’APPO
recherchés par la police, pour deux journées de réflexion et de débats. Le
28 et 29 novembre. Dans ces moments de persécution, de tragédies et de
souffrances, dans ces heures cruciales de la lutte des peuples, cette
rencontre prenait tout son sens, celui d’une résistance invincible puisant
sa détermination non plus dans le passé mais dans le futur : "Nous, les
Indiens, avançons lentement parce que nous allons loin." Ces quelques mots
dits par une autorité municipale lors de la cérémonie d’ouverture
résumaient tout l’esprit du mouvement social apparu il y a peu au grand
jour à Oaxaca et connu sous le nom de la Commune libre d’Oaxaca. Cette
réunion fut un défi au déchaînement de la barbarie, au vent mauvais qui
souffle sur la ville, à la guerre menée contre l’humanité. Elle marque une
nouvelle étape de l’Assemblée : la participation des communautés
indigènes, avec leurs valeurs propres, leur expérience, à la construction
d’un monde nouveau. Cette participation des communautés en donnant à
l’Assemblée son assise concrète, pratique (une organisation sociale où
l’assemblée joue un rôle central), lui donne du coup son orientation
fondamentale : étendre, élargir et renforcer, son champ d’action à toute
la société mexicaine. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, les
obstacles à cette émancipation, à cette reconquête de soi, sont nombreux
et ils ne sont pas seulement extérieurs à l’APPO, partis politiques,
syndicats, organisations civiles viennent en quelque sorte s’intercaler
entre la source et son devenir. Ces éléments jouent un rôle important par
leur capacité d’organisation et de convocation, leur aptitude et leur
disposition à mobiliser la population des quartiers ou des villages. Ils
devront pourtant s’effacer peu à peu devant l’initiative des assemblées de
base, s’ouvrir à ces initiatives, en auront-ils la disposition ? Jusqu’à
présent, ils ont comblé un vide, mais en même temps qu’ils le comblent ne
le créent-ils pas ?

Les autorités municipales, les organisations communautaires et régionales
des peuples zapotèque, mixtèque, chinantèque, chatinos, mazatèque, mixe,
ikoot, cuicatèque, chontal, zoque, triqui, amuzgo, chochotelque et tacuate
ont participé à ce forum. Nous nous sommes partagés autour de quatre
tables de réflexion : la libre détermination et l’autonomie ; la terre, le
territoire et les ressources ; l’éducation et la communication indigène
interculturelle ; la violation des droits humains. Les communautés
indiennes connaissent et vivent des agressions continuelles qui s’exercent
en général sous le couvert des lois libérales : partis politiques au nom
de la démocratie, sectes religieuses au nom de la tolérance, qui tentent
d’intervenir dans la vie sociale du village et qui sèment le trouble, la
division et le rejet. Depuis la modification de l’article 27 de la
Constitution, qui protégeait un tant soi peu les terres ejidales et
communales, tout le territoire, tout l’espace de la communauté, est devenu
l’objet des convoitises privées : forêts, eau, biodiversité, centres
cérémoniels et toute la richesse du sous-sol. Les fonctionnaires forcent
la main aux habitants par des menaces et par des promesses pour qu’ils
acceptent la parcellisation et la privatisation des terres et plus
généralement de l’ensemble des biens communaux. Une fois la privatisation
des terres acquise arrivent dans le village des banques de prêts qui
proposent de l’argent sur la terre, que le paysan, appauvri par la
concurrence des produits nord-américains, devra hypothéquer. Vieux et
antique procédé mis en œuvre et soutenu, cette fois-ci, par toutes les
forces de l’Etat. C’est une guerre pour s’emparer de l’espace, expulser
les paysans de leurs terres, 3 millions d’immigrés pour le seul Etat
d’Oaxaca, expulser les habitants des villes des rues et des espaces
publics, c’est ce qui se passe aussi en France où les jeunes et,
évidemment les adultes, sont expulsés de leurs rues et même de leurs
entrées d’immeuble, pour réserver tout l’espace au commerce et au profit
que les grands marchands en tirent.

"Ce profond et complexe conflit, douloureux comme un accouchement, a
permis l’expression pleine et authentique des peuples d’Oaxaca. Il a
laissé voir que, dans l’Etat d’Oaxaca, désormais les lois en vigueur, les
institutions et les pratiques autoritaires du régime politique ne
correspondent pas aux exigences et aux aspirations de la société. En ce
sens, Oaxaca a changé et ne peut revenir à la situation antérieure. Nous
aussi, les peuples indigènes d’Oaxaca, devons l’entendre de cette
manière : ce mouvement nous a changés et nous ne pouvons revenir à notre
situation antérieure... Nous voulons faire savoir à la société et au
gouvernement d’Oaxaca, du Mexique et du monde que l’énorme abus de la
force publique mis en pratique ces derniers jours ne nous intimide pas ni
ne nous paralyse, comme nous l’avons montré avec la réalisation de ce
forum… Nous sommes sous un état d’exception non déclaré donc illégal. Le
fait nous préoccupe et nous amène à agir avec une extrême prudence. Mais
cela ne nous arrête pas. Notre chemin est tracé et nous allons le suivre à
notre manière avec nos temps et nos rythmes. Ce chemin comprend la
transformation de toutes les normes et institutions qui, actuellement,
régissent notre cohabitation. Nous n’allons pas le faire seuls. Mais nous
ne serons plus jamais exclus de la conception et de la mise en œuvre de
ces normes et institutions.

Jamais plus un Mexique sans nous.

Pour le respect de la libre détermination et la reconstitution des peuples
indigènes."

Oaxaca, le 1er décembre 2006.

George Lapierre
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   Posté le 03-12-2006 à 20:47:18   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Salut à tous d'Oaxaca.

Au 733e jour d’impunité d’URO et de sa clique d’assassins, nous vivons à
Oaxaca un véritable état d’exception, les garanties individuelles
n’existent plus. Les convois de la PFP tournent en tous sens à travers la
ville, et le centre est occupé par les flics, qui ont installé un
campement au parque du Llano. L’APPO a abandonné, pour l’instant, l’idée
de se réinstaller à Santo Domingo et de manifester lundi dernier, de
crainte de la répression. Depuis samedi, il y a eu plus de 300 détenus (35
femmes officiellement recensées, des mineurs...), tous se sont fait
copieusement tabasser, la majorité d’entre eux ont été sauvagement
torturés. Les familles et les avocats des détenus n’ont toujours pas accès
aux prisonniers qui ont commencé à être, dès le lundi, transférés vers des
prisons de haute sécurité du nord du Mexique (Etats du Nayarit,
Tamaulipas, Jalisco...), les autorités en charge de la répression, arguant
du fait de la dangerosité des prisonniers, les éloignent et espèrent ainsi
cacher les preuves de tortures et empêcher toute protestation devant les
centres de détention. Jusqu’à présent ils ont été 141 à être déportés,
dont 35 femmes et 8 instituteurs du CMPIO (Coalition de "maestros" et
promoteurs indigènes d'Oaxaca).

Certains détenus ont été relâchés et ont pu raconter comment ils ont été
ramassés dans la rue alors qu’íls rentraient chez eux, simplement du fait
d'être jeunes ou en petits groupes, ils ont témoigné de comment ils se
sont fait sévèrement cogner et menacer par les flics. Nous ne comptons
plus les témoignages de ce genre…

Samedi, lors de la manifestation, les 3 500 flics de la PFP ont
pourchassé les manifestants jusqu’en dehors du centre-ville, où
attendaient des groupes de "sicarios" (des hommes de main, des tueurs à la
solde d’Ulises) et de policiers en civil qui ont continué la sale besogne
toute la nuit en tirant sur les attroupements à multiples reprises. Les
mêmes scènes se sont reproduites aux abords de l’université que certains
manifestants cherchaient à rejoindre pour se regrouper. Des témoins ont vu
les corps être emportés...

Le gouvernement ne reconnaît aucune victime, mais il est certain qu’il y a
eu des tués, étant donné la violence de la répression, et l’on dénombre
une dizaine de blessés par armes à feu parmi les 120 recensés... De plus,
dans la nuit du samedi, les assassins ont semé la panique à l’hôpital,
parmi les familles venues aux nouvelles, en tirant des coups de feu, puis,
entre les infirmières et les médecins médusés, ils ont parcouru sans dire
un mot les coursives de l’hôpital à la recherche de quelqu’un, qu’ils
n’ont visiblement pas trouvé, et sont repartis bredouilles continuer leurs
saloperies ailleurs.

Depuis la répression de la marche de samedi dernier, nous subissons
l’arbitraire et la brutalité de l’Etat : perquisition de domiciles et
arrestations indiscriminées sans ordres judiciaires. Tout autour de la
ville, il y a des barrages où l’on fouille les véhicules, où l’on retient,
en toute illégalité, les gens qui paraissent suspects. Les femmes qui sont
obligées de s’aventurer dans le centre-ville subissent les sarcasmes et
les obscénités des forces d’occupation. Quotidiennement, des flics en
civil et des groupes de sicarios enlèvent en pleine rue, arme au poing,
des personnes impliqués dans le mouvement de l’APPO.

Chaque jour, le nombre de détenus et de disparus augmente (plus de 300
détenus, il y en a eu jusqu’à 520, et plus de 100 disparus). Il semble
bien que le gouvernement se soit offert une semaine d’impunité pour faire
le ménage dans la ville et en finir une fois pour toute avec le mouvement
de l’APPO avant la prise de fonction de Calderon. En début de semaine,
l’APPO a eu un contact avec le secrétariat du gouvernement pour exiger le
droit de manifester pacifiquement. La réponse a été très claire : l’unique
ordre que possède la police est l’agression directe contre le mouvement et
il ne sera pas permis de manifestation même si celle-ci est on ne peut
plus pacifique... De son côté, la radio "mapache", aux ordres de Ruiz,
continue ses appels au lynchage, en donnant les noms et les adresses de
certains adhérents de l’APPO, et appelle de la même manière à la délation
de ses voisins s’ils sont supposés être sympathisants du mouvement. Ainsi,
les bureaux de la Nouvelle Gauche d'Oaxaca, le parti créé par Flavio Sosa,
ont été incendiés après avoir été fouillés. L'animatrice de Radio
Universidad, la doctora Bertha, ainsi que sa famille, le troubadour Andrés
Contreras, et d'autres plus anonymes ont été directement menacés. Le
centre de secours improvisé de "7 Principes" et l’automobile du pasteur
qui a en charge le temple ont été mitraillés dimanche dernier (il y a eu
d’autres fusillades tout au long de la semaine). Des étudiants en médecine
ont été enlevés en début de semaine, les ravisseurs n’ont pas hésité à
tirer sur la facade de l’université de médecine pour faire fuir les
étudiants qui accouraient pour tenter de délivrer un des leurs. Jeudi
matin à l’aube, la PFP est intervenue pour retirer la barricade de Cinco
Señores, la seule qui restait, et dégager la rue qui mène à Radio
Universidad (qui est brouillée depuis le 2 novembre). De peur d’être
arrêté par les flics, tabassé et détenu, personne n’est venu pour défendre
les lieux, et devant le petit nombre de personnes qui étaient présentes
pour protèger la radio (une quinzaine), les responsables ont préféré la
remettre au recteur de l’université, plutôt qu’aux flics ou au "porros".
Depuis maintenant trois jours, la PFP, en coordination avec des policiers
de l’Etat vêtus en civil, pénètre dans les écoles et détient des profs qui
ont participé au mouvement. A Ocotlàn, la police est intervenue dans une
école primaire en se servant de gaz lacrymogène et, semant la panique et
la terreur parmi les élèves et le personnel d’éducation, ils ont enlevé
quatre instituteurs et le directeur de l’école. Les mêmes faits se sont
reproduits dans d’autres municipalités, à Xoxocotlàn, à Esquipulas, à San
Javier, à Etla, à Miahuatlàn, à Huatla de Jimenez, à San Antonio Castillo
Velasco et à Santa Cruz Amilpas. A Santa Cruz Amilpas, les familles se
sont opposées au rapt des professeurs qui ont réussi à s’enfuir. Malgré la
tiédeur et le manque de réaction de la Section 22, de nombreuses écoles
ont voté une nouvelle grève de 48 heures pour protester contre le manque
de sécurité.

De fait, nous vivons ici un véritable état de siège où les droits les plus
élémentaires sont niés. Cela rappelle les épisodes les plus noirs de la
"guerra sucia" (la guerre sale que le gouvernement mexicain a menée dans
les années 1970 contre les mouvements sociaux).

L’impunité la plus totale règne. Hier, les responsables de la mort du
journaliste d’Indymedia Bradley Will (assassiné le 27 octobre à Santa
Lucia) - le régisseur de la sécurité publique de Santa Lucia del Camino,
Abel Zarate, et le sous-officier de la police municipale Orlando Manuel
Aguilar Coello - ont été remis en liberté pour une faute de procédure…

Bon, voila où nous en sommes aujourd’hui, le 1er décembre, à Oaxaca.

Les autorités recherchent toujours une centaine d’étrangers, pour
l’instant ils ont réussi à en choper cinq (deux Françaises, un Espagnol,
un Argentin et un Cubain), qui seront expulsés du pays d’ici peu s’ils ne
sont pas accusés de charges plus importantes.

L’APPO a convoqué à une méga-marche aujourd’hui pour exiger le retrait de
la PFP de la ville, la libération des prisonniers, et que cesse la
répression du mouvement. Il n’est pas sûr qu’il y ait beaucoup de
manifestants, non pas à cause d’une quelconque démobilisation du peuple
d'Oaxaca, sinon pour la crainte justifiée des exactions policières...

A l’instar de Raoul Vaneigem et de son appel "Que vive Oaxaca !", que vous
avez reçu il y a peu, je vous invite à vous manifester, de la manière qui
vous conviendra le mieux, en faveur de la Commune libre d'Oaxaca et contre
la répression, l’impunité, l’arbitraire et les brutalités policières qui
s’exercent contre le mouvement populaire et indigène de l’APPO.
Si la commune d'Oaxaca est réprimée de telle manière qu’elle ne se relève
pas, nous perdons tous...

A bientôt.

M, Oaxaca, le vendredi 1er décembre 2006.
Paria
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   Posté le 03-12-2006 à 20:50:13   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

ENTRÉE EN FONCTIONS DU PRÉSIDENT "ÉLU" FELIPE CALDERON :
LES MANIPULATIONS DE LA TÉLÉVISION OFFICIELLE


Ce vendredi 1er décembre était attendu avec beaucoup d'inquiétude par la
société mexicaine, inquiétude des partisans du PAN qui craignaient que les
opposants parviennent à empêcher la cérémonie d'investiture du nouveau
président, inquiétude des partisans du PRD qui craignaient qu'elle ait
bien lieu, inquiétude des observateurs qui craignaient une nouvelle
flambée de violences. En effet, la société mexicaine est polarisée entre
les milieux aisés et conservateurs qui soutiennent Felipe Calderon (du
Parti d'action nationale) et les milieux populaires qui soutiennent le
candidat évincé par fraude électorale, Andrés Manuel Lopez Obrador (du
Parti de la révolution démocratique).

A 9 h 40 précises, ce matin, toutes les chaînes de télévision du pays ont
dû suspendre leurs émissions et diffuser exclusivement les images et
commentaires de la télévision nationale officielle - entendez "la voix de
son maître". Durant vingt minutes, les téléspectateurs ont eu droit aux
dissimulations les plus grossières, et aussi les plus absurdes, étant donné
que les autres versions pouvaient être vues et entendues avant et après la
version officielle.

Avant le début de la cérémonie, en effet, Televisa, l'une des deux
principales chaînes privées, montrait la Chambre des députés, où allait
avoir lieu la prestation de serment du nouveau président, en véritable
branle-bas de combat. La tribune complètement remplie de députés, moitié
du PAN, moitié du PRD, les cris opposés des deux côtés, les coups de
sifflet de protestation du PRD, les nombreux agents de sécurité habillés
en civil mais reconnaissables à leur cravate rouge, enfin quelques
escarmouches dans le tumulte, de députés en venant aux mains mais retenus
par leurs confrères. Un seul accès à la salle est contrôlé par les
Panistes, tous les autres sont occupés par les opposants.

Quand la télévision officielle confisque l'antenne, elle montre d'abord
les images de Felipe Calderon sortant de chez lui avec sa famille, puis le
convoi qui le mène vers le Palais législatif de San Lazaro (siège du
Parlement). Quelques minutes après, sans qu'on ait pu voir comment il
accédait à la salle, on le voit debout, à côté du président sortant,
Vicente Fox, devant une petite chaire amovible qui sera retirée
immédiatement après sa très brève prestation de serment. En une minute, il
a fini de prononcer les phrases prévues par la Constitution et revêtu la
bannière aux couleurs nationales ; en trois minutes, il est sorti de la
salle et tout est terminé. Commentaire du journaliste : l'assemblée était
très tranquille (et la caméra filme... les hommes en cravate rouge !), les
députés acclament le président (et la caméra filme exclusivement le côté
du PAN), toute la salle entame l'hymne national (on entend toujours les
sifflets furieux du PRD, mais, sans commentaire à leur propos, on pourrait
croire qu'il s'agit de sifflets d'allégresse) ; tout s'est passé sans
aucune tension et dans le calme.

A 10 heures, les programmes indépendants reprennent, et la version est
tout autre : durant les trois minutes de présence de Calderon, tandis que
les députés du PAN, tous massés autour de lui sur la tribune, criaient
"Mexico !" et "Calderon !", les députés de l'opposition, retirés sur leurs
fauteuils dans la salle, criaient "espurio !" ("usurpateur !" )
et "fuera !" ("dehors !" ). Après la prestation, les premiers criaient
"si se pudo !" ("on a pu le faire !" ) et les autres "va caer !" ("il va
tomber !" ). Tranquille et unanime, n'est-ce pas ? Merci la voix
officielle !

Autre anomalie dissimulée : normalement, le président prononce devant la
même Assemblée son premier discours à la nation ; aujourd'hui, il est
immédiatement parti le prononcer ailleurs, à l'Auditorio national, où
s'étaient réunis exclusivement des militants du PAN et des amis et invités
personnels de Calderon - et c'est ce public qu'on appelle "la société
civile mexicaine". Les routes autour de l'Auditorio, qui se situe près du
musée d'anthropologie, au bord du parc de Chapultepec, étaient
complètement bloquées par des barrières et gardées, selon la journaliste,
par une vingtaine d'unités armées empêchant toute pénétration. La presse
devait rester dans le hall d'entrée de l'Auditorio et ne pouvait accéder à
la salle principale.

On annonce que les partisans du PRD entament une manifestation depuis le
zocalo vers l'Auditorio, puis plus rien. A suivre.

Annick Stevens, à partir de Televisa Mexico

Message édité le 03-12-2006 à 20:51:37 par Paria
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   Posté le 06-12-2006 à 18:46:03   Voir le profil de Paria (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Paria   

Bien le bonjour,

Je vous traduis un extrait d’un texte de Lázaro Santiago paru dans
Noticias du samedi 2 décembre sous le titre "Oaxaca : Otra ciudad y los
perros" (Oaxaca, une autre ville et les chiens).

"Quelques amis, dont je tairai le nom pour leur sécurité, m’ont raconté
que, peu après 21 h 30, quand les combats frontaux entre la PFP et l’APPO
étaient terminés et que commençait une sanglante chasse aux sorcières, ils
(mes amis) ont pris un taxi pour San Felipe del Agua, au nord de la ville.
Ils ont vu en passant près de la Fontaine des sept régions, symbole de
l’unité de l’Etat, des camionnettes blanches stationnées et des policiers
– ministériels ? – vêtus de noir et qui tiraient sans se cacher en
direction de la faculté de médecine de l’UABJO (Université autonome Benito
Juarez d'Oaxaca) avec des armes de gros calibre, les fameux cuernos de
chivo (cornes de bélier). Ce qu’on appelle des rafales de plomb. A ces
sommets, ceux de l’APPO n’avaient plus de pierres et de billes pour se
défendre. Je n’avais jamais entendu tant de coups de feu, dit un de mes
amis. Un autre affirme qu’il a clairement vu (dans le taxi, il se trouvait
côté fenêtre) comment un jeune – sûrement un brigadier de l’APPO – qui
courait vers l’avenue qui monte à San Felipe del Agua a été abattu par les
tirs des tueurs vêtus de noir. Y avait-il plus de témoins ? Une autre
personne, qui regardait depuis une autre position, nous dit que la police
de l’Etat d’Oaxaca, ou police ministérielle, a massacré trois personnes à
cette heure-là autour de la faculté de médecine. Il fait ses comptes : il
y a eu plus de 100 coups de feu en deux minutes. Les rebelles étaient
acculés, sans armes. Les sbires ont tiré comme des gringos fous dans un
film sur le Vietnam. Le narrateur ajoute : nous avons vu depuis l’hôpital
civil qu’ils ont enlevé les corps et les ont emportés. Un peu plus loin, à
la hauteur du Café Caféïna, mes amis ont vu avec surprise environ 40
camionnettes de la PFP et "civiles" arrêtées, avec des éléments fortement
armés dans chacune d’elles. Ils ne se rendaient pas compte, ceux de la
pééfépé, qu’il y avait des tueurs à gage en train d’abattre des brigadiers
de l’APPO, tout près ? Ou étaient-ils en train de couvrir les tueurs ?
Pour les sicaires d’Ulises Ruiz, il y a toujours de la tolérance.

"Au retour, une amie les a reconduits dans une camionnette aux verres
teintés. Il y avait une intense activité des patrouilles de la PFP dans
toute la zone. En tournant sur la rue qui vient du parc Colosio, ils ont
vu apparaître une caravane de camions de la PFP avec un autobus blanc sans
fenêtre à l’arrière. Transportait-il des troupes, des prisonniers ou des
corps criblés de balles ? Il portait sur la partie arrière un écriteau
avec ce mot : Précaution. Par inconscience ou sagesse, l’amie qui tenait
le volant s’est collée avec sa camionnette à la caravane et ils ont pu
passer ainsi les barrages, le premier, à l’église de San Felipe. Au second
barrage, à la hauteur du Ranch San Felipe, ils ont eu la chair de poule :
les corps de trois hommes gisaient, immobiles, l’un sur le dos, avec une
veste jaune dans une flaque de sang, sur la route ; les deux autres, sur
le ventre, un mètre plus loin, sur le trottoir – comme si on les avait
plombés ici même. Autour, un groupe de sicaires en civil prenait la pose
du chasseur devant son trophée, pareil aux troupes qui, en Irak, se
prenaient en photos face à leurs victimes. Qui étaient-ils ? Les avait-on
frappés jusqu’à l’évanouissement ? Les avait-on fusillés ? Ou les avait-on
convaincus de prendre cette position grotesque de poupées de chiffon
pendant que nous passions, ensuite ils se seraient levés comme si de rien
n’était et seraient retournés chez eux ?

"La caravane de la PFP a poursuivi son chemin, elle ne pouvait pas
s’arrêter à ces détails, sa mission était de capturer les criminels de
l’APPO. Qui étaient ceux qui furent criblés de balles devant la faculté de
médecine de l’UABJO ? Et les personnes qui, jetées sur le pavé,
glorifiaient leurs bourreaux ? Etaient-elles encore en vie ?
Nécessitaient-elles un médecin ? Où les a-t-on emmenées ? Combien de
morts ? Combien de jeunes, de maîtres d’école, de pères de famille,
d’habitants, les paramilitaires et leur parrain de la PFP ont-ils
séquestrés, arrêtés et assassinés, la nuit du 25 novembre et les jours
suivants ? Combien sont-ils en train de torturer en ce moment ?
Saurons-nous un jour leur nom ?"


Les habitants d’Oaxaca qui participaient à la manifestation du 25 novembre
pouvaient s’attendre, et ils s’attendaient, à une confrontation avec les
forces fédérales qui occupaient leur place publique, ils ne s’attendaient
pas à être jetés en pleine guerre sociale. Ils pouvaient penser qu’il y
aurait des blessés, des arrestations, il ne leur est pas venu à l’esprit
que les paramilitaires à la solde du gouvernement, appuyés par la police
fédérale, les attendaient au coin du bois pour les massacrer. Ils
n’envisageaient pas qu’ils pouvaient tomber dans un piège, un piège bien
préparé et, pour ainsi dire, public, l’opération "Hierro" (fer), qui leur
était tendu de longue date. Ils adhéraient alors au grand mensonge de nos
sociétés, celui de la paix sociale et du droit, le droit contribuant à
garantir la paix sociale. Ils sont tombés de haut. Ils pensaient qu’un
mouvement social fort et pacifique pouvait transformer par le dialogue la
société et modifier en profondeur les règles d’une cohabitation difficile
sans se douter que l’Etat n’avait pas la moindre intention de jouer le
jeu. Ils ne pouvaient prévoir que, si l’Etat appelait à la négociation,
c’était pour mieux les tromper et qu’ils restaient, pour lui, "l’ennemi à
abattre". Quand l’Etat parle de paix, il prépare la guerre. Nous devrions
le savoir, les exemples ne manquent pas. L’Assemblée populaire des peuples
d’Oaxaca continue d’exister, elle se fera moins visible aux yeux du
pouvoir et de ses sbires, elle sait désormais que la transformation de la
société ne se fera pas par le dialogue avec l’Etat ni par une
confrontation armée (elle le savait déjà), mais plus pratiquement, et
d’une façon bien plus pragmatique et prosaïque, par la transformation de
la société par elle-même, à travers son propre mouvement "assembléiste",
le construisant, l’inventant à partir de ce qui existe déjà : les
assemblées de villages, de quartiers ou de colonies.

L’Etat de son côté fait et veut la guerre, il préfère la guerre civile à
l’émancipation de la société, il fera en sorte de conduire ce mouvement de
libération, qui se dessine dans tout le Mexique indien, à la confrontation
armée. Sa prochaine cible sera le mouvement zapatiste et plus précisément
l’Armée zapatiste de libération nationale.

Les analystes cherchent dans le passé des références historiques pour
expliquer la situation que vit aujourd’hui le Mexique. Carlos Beas
intitule un article, Adiós, don Porfirio Fox, faisant ainsi allusion á la
dictature de Porfirio Díaz, qui va conduire à la révolution zapatiste de
1910 ; Gustavo Esteva fait appel à Venustiano Carranza et à sa déclaration
du 24 septembre 1913, "Sache le peuple du Mexique que, terminée la lutte
armée, commencera, formidable et majestueuse, la lutte sociale, la lutte
des classes." Le prêtre Ramualdo Mayrén, connu comme le Padre Ubi, fait
référence au Guatemala d’Efraín Ríos Montt : "La situation d’Oaxaca est
semblable à celle qu’a connue le Guatemala d’Efraín Ríos, qui a conclu un
accord secret avec les protestants pour poursuivre et attaquer l’Eglise
catholique engagée avec le peuple pour la défense des droits des pauvres."
Il n’a pas tout à fait tort, quand on sait que les sectes évangéliques
sont les têtes de pont de l’Amérique du Nord et de la CIA dans les pays
d’Amérique du Sud et qu’elles ont soutenu la guerre d’Efraín Ríos Montt
contre la population indienne et pauvre du Guatemala, qu’Ulises Ruiz a
l’appui des sectes évangélistes et que la radio "papita" ou "mapache", qui
sème la haine et dont une des cibles est l’Eglise des pauvres, a sans
doute trouvé refuge dans un temple protestant.

Carlos Fazio, dans un article paru dans "La Jornada" du 4 décembre sous le
titre ¿ Hacia un estado de excepción ? (Vers un Etat d’exception ?) voit
dans la crise qui secoue le Mexique "un processus larvé conduisant au
fascisme" : "Si rien ne le freine maintenant, sa conséquence logique peut
être la consolidation d’un Etat terroriste. Il convient de prendre en
compte que le terrorisme d’Etat est quelque chose de plus que
l’implantation violente d’un régime dictatorial : c’est une politique
soigneusement planifiée et exécutée qui répond à un projet de domination
d’une classe sociale tendant à configurer un nouveau modèle d’Etat qui
agit publiquement et en même temps clandestinement à travers ses
structures institutionnelles. Jalisco en 2004, avec Francisco Ramírez
Acuña, et les Etats de Mexico et d’Oaxaca avec, respectivement, Enrique
Peña Nieto et Ulises Ruiz à leur tête, sont les uns et les autres comme
des essais en laboratoire pour l’imposition d’un nouveau modèle de
domination au niveau national [...] Face à l’incapacité des vieilles
formes de domination pour défendre l’ordre capitaliste et contrecarrer la
contestation sociale grandissante, la classe au pouvoir impose à l’Etat et
à ses appareils coercitifs une double manière d’agir : une, publique et
soumise aux lois, l’autre, clandestine appliquant une "terreur bénigne" en
marge de toute égalité formelle."

Ces références historiques aident à cerner la complexité de la situation
qui prévaut au Mexique. Elles ne sont peut-être pas suffisantes, il y a un
aspect nouveau que nous devrons tenter de préciser. Le Mexique se trouve
sur un des fronts d’une guerre sociale qui n’est plus limitée aux
frontières nationales, si jamais elle l’a été un jour, elle ne l’était
déjà plus en 1910 ou en 1936. Le front du Mexique met à nu les mécanismes
et la logique de cette guerre : un monde totalitaire qui se nourrit et se
renforce de la décomposition de la vie sociale. Toute éthique,
c’est-à-dire toute forme de vie en société construite (à travers des
relations de réciprocité), ne se présente pas seulement comme un obstacle
au devenir totalitaire du monde, le devenir totalitaire du monde
s’alimente de la décomposition qu’il engendre, cette décomposition est le
terreau, ou plutôt le fumier, sur lequel il croît et se renforce. Felipe
Calderón et sa clique, cette oligarchie qui se maintient au pouvoir, ne
sont qu’une figure de ce pouvoir totalitaire et ils sont soutenus par
toutes les forces capitalistes. Tout ce qui conduit à la désagrégation
sociale est pur bénéfice pour eux et c’est ce bénéfice qu’ils engrangent
dans leur coffre-fort de "petits hommes d’Etat". La guerre civile les
arrange et consolide leur pouvoir, la guerre civile divise, détruit et
dévaste la société. C’est là qu’ils nous conduisent. Une vie sociale qui
se construit, ou se reconstruit, ici on parle de la construction éthique
des peuples, est la seule voie qui nous reste pour nous libérer de la
servitude.

Oaxaca, le 5 décembre 2006.
George
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