| | | | | supernova | "rêver, mais sérieusement" | Jeune Communiste | 53 messages postés |
| Posté le 25-02-2025 à 11:53:07
| Le travail militant aujourd'hui... Le vent ne s'arrête pas même si les arbres veulent se reposer « Chaque effondrement entraîne un désordre intellectuel et moral. Il faut créer des hommes sobres, patients, qui ne désespèrent pas devant les pires horreurs et ne s'exaltent pas à chaque bagatelle. Pessimisme de l'intelligence, optimisme de la volonté ». A. Gramsci Le titre de notre article peut certainement faire peur, car dans la même phrase nous utilisons « travail » et « militant », deux concepts qui ne sont pas toujours faciles à comprendre. Mesurer sur le plan politique et théorique comment les communistes doivent s'organiser dans un contexte historique comme celui d'aujourd'hui est certainement une tâche d'une extrême difficulté. Il s'agit de comprendre dans quelle direction aller et quelles sont les mesures à prendre pour adapter les formes actuelles d'organisation aux besoins et surtout aux possibilités qui découlent de la réalité. Pour commencer, il faut partir du contexte dans lequel nous agissons : la France. Une réalité qui se caractérise par certains éléments spécifiques : - Une crise du modèle « français » sur le plan extérieur (la perte de l'hégémonie de l'impérialisme français) et une crise sociale sur le plan intérieur qui rend le cadre politique très instable. -La France est une démocratie impérialiste qui maintient, même dans les processus de militarisation et de guerre, une politique basée sur le compromis social. - Une classe moyenne et une aristocratie ouvrière qui, bien qu'affectées par la crise, trouvent aujourd'hui leur horizon politique « naturel » dans les mouvements de masse réactionnaires. - Une concentration urbaine massive et une composition de classe où les secteurs parasitaires du prolétariat sont numériquement hégémoniques : services, logistique, santé, restauration... -Une partie des nouvelles générations dés-intégrées par l'Etat français, mais en même temps asservies aux idéologies hédonistes-réactionnaires-individualistes de l'impérialisme. - Un fil conducteur, qui relie les résistances populaires de masse contre l'impérialisme de peuples opprimés au prolétariat métropolitain . Nous parlons en particulier de la vague de solidarité qui a déferlé sur certains secteurs prolétariens en France à l'égard de la résistance des peuples palestinien et libanais au cours des derniers mois. Mais en même temps une capacité des secteurs opportunistes (laïques et religieux) à reléguer la résistance à des intérêts ou des récits qui soutiennent les rapports de force actuels entre les classes et l'hégémonie impérialiste Dans ce contexte général, il existe une nouvelle génération d'activistes, qui tentent souvent, sur des terrains spécifiques, de s'opposer au présent. Une génération, cependant, submergée par divers processus de crise : écologique, sanitaire, sociale, politique, identitaire, etc. L'histoire, entre décombres et avenir Il n'existe pas aujourd'hui de base d'appui pour le mouvement communiste international. La Chine est à des années-lumière de la Révolution culturelle... et son rôle international est plus lié à une confrontation inter-impérialiste avec les USA que propulseur et soutien de la lutte anti-impérialiste. La fin de l'URSS a inévitablement fait reculer la plupart des organisations de la gauche révolutionnaire dans le monde, mais il ne faut pas oublier que c'est aussi grâce à la rupture avec le conformisme du bloc socialiste dans les années 1960 que la gauche révolutionnaire a pu expérimenter, se développer et, dans certains cas, remporter d'importantes batailles en Amérique latine et en Asie. Le même développement des courants de la gauche prolétarienne dans les centres impérialistes est né d'une rupture avec la vieille gauche. Plus récemment, nous avons connu des expériences généreuses de résistance à l'impérialisme, dans certains cas dirigées par des forces de la gauche révolutionnaire : Inde, Philippines, Népal, Colombie, Turquie, Kurdistan, Mexique, Pérou.......... En Palestine, au Liban, en Irak, au Yémen, la résistance anti-impérialiste existe ou a existé, mais il est clair que nous sommes confrontés à des mouvements dans lesquels le poids et la perspective de la gauche révolutionnaire sont très faibles. Il y a une absence totale de point de vue indépendant pour les forces de la gauche prolétarienne au sein des métropoles impérialistes. Un point de vue indépendant capable de combiner la résistance à l'impérialisme avec un projet de transformation socialiste. Un projet qui associe la lutte des classes à la lutte des peuples opprimés, en tenant compte du fait que même si la fracture sociale s'est accrue, la composition des classes liée aux chaînes productives et urbaines a rendu le monde plus homogène. L'activisme généreux des nouveaux et anciens militants (lutte sociale, anti-impérialistes, antiracistes, féministes, minorités de genre, écologistes, etc.) est insuffisant. Ce qui manque, c'est une théorie et une pratique capables de relier l'action des masses populaires à la transformation sociale. En son absence, la « politique » ne disparaît pas, mais elle est occupée par des forces réformistes et opportunistes qui ramènent tout dans les cadres binaires juridiques et conformistes de la bourgeoisie, ou qui sont hégémonisées par les nouvelles pulsions populistes réactionnaires. Il s'agit de forces qui suivent les vieux dictats du gauchisme français, avec des déclarations « extrémistes » et des pratiques réformistes et conservatrices-libérales. L'impérialisme est perçu comme un monstre invincible, où la seule possibilité n'est pas la résistance, mais l'évasion. L'évasion est conceptualisée en pensant qu'il est possible de construire des espaces libres en dehors de l'impérialisme. C'est en grande partie l'horizon que se sont donné la plupart des militants des métropoles impérialistes au cours des trente dernières années. Les choix et les formes pratiques ont souvent été différents, mais avec ce mécanisme de soustraction comme fil conducteur. A côté de cela coexistaient des attitudes conformistes et conservatrices, qui présentaient les luttes comme la défense d'un passé à défendre, mystifiant l'Etat providence et les formes impérialistes de compromis social, sans avoir pris la mesure de ce que représentaient le keynesianisme et le développement de l'impérialisme..... Les mouvements de protestation qui ont traversé la France ces dernières années ont été vécus par ce qui restait de la gauche prolétarienne et révolutionnaire avec un extrémisme classique. De ceux qui voyaient la révolution au coin de la rue, un affrontement suffisant pour parler d'insurrection, à ceux qui attendaient la pureté « révolutionnaire » des mouvements de contestation populaire en s'enfermant dans de confortables mais inutiles tours d'ivoire..... Aujourd'hui encore, nous sommes submergés par ces courants et ces attitudes, mais nous avons la conviction qu'une partie des jeunes camarades et des activistes apparaissent à l'horizon qui, dans les contradictions du présent, commencent à émettre des hypothèses et à vivre des pratiques différentes. Il y a, bien sûr, de nouvelles sirènes réformistes et conformistes, l'oppourtunisme1 reste toujours actif et un ennemi désagréable à chasser de nos rangs. Il faut clarifier la catégorie de l'impérialisme, du colonialisme, au-delà du libéralisme2 et du multipolarisme3. Les mêmes contradictions qui traversent les métropoles impérialistes, la précarité, la dés-intégration, les crises énergétiques, les catastrophes « environnementales », sont les facteurs qui provoquent une crise du consensus et la base sur laquelle une nouvelle gauche prolétarienne commence à se développer. Pour que ce processus s'appuie sur des bases solides et des pratiques adéquates, il faut remettre au centre une grille théorique capable de relier le passé, le présent et le futur. Il ne suffit pas de dire que nous sommes à l'intérieur de la phase impérialiste, il faut en comprendre les conséquences spécifiques : développer une politique de front anti-impérialiste ne signifie pas accepter la logique de la géopolitique, mais insister sur la résistance populaire, non pas à travers des « fantômes », mais à l'intérieur des contradictions réelles des classes et des contradictions de la concurrence capitaliste mondiale. Quelle relation existe-t-il entre la dimension métropolitaine urbaine et la nouvelle composition des classes : la classe ouvrière est notre classe de référence centrale, mais elle prend des connotations sociales différentes (pensez par exemple au développement de la précarité sociale). Le marxisme est la seule théorie adéquate pour décoder la réalité, mais il doit être utilisé de manière prospective. Rappeler le marxisme, c'est utiliser l'héritage théorique du mouvement communiste international et lui faire faire ce saut dialectique que la réalité impose (un pied dans le passé et la tête droite vers l'avenir). Notre passé, avec en son centre l'expérience des pays socialistes vaincus, est notre histoire, c'est un exemple sur lequel construire, mais qui doit être surmonté. C'est seulement ainsi que l'on peut identifier les priorités, les tâches, la transmission même entre générations militantes et la création de nouveaux réseaux de cadres politiques capables d'intervenir et de s'orienter dans le présent. Dans ce contexte, la relation dialectique entre cadres militants, organisation et projet politique est inextricablement liée. Quelques nœuds sur la question de l'organisation Les formes d’organisation qui ont traversé le mouvement communiste international ont été nombreuses et variées. Elles se sont développées dans un arc historique traversé par des mutations sociales et productives très importantes. Notre découpage doit être vu comme une simplification, pour rendre plus évidentes les différences. Dans la pratique, nous avons eu toute une série d’hybrides qui reflétaient et reflètent la capacité, la créativité révolutionnaire d’être capable pour les communistes de proposer des stratégies et des tactiques qui conviennent aux différents contextes sociaux politiques nationaux et locaux. La donnée unificatrice reste l'acceptation du « marxisme » en tant que théorie-pratique et programme : le dépassement du mode de production capitaliste actuel en socialisme, la question du pouvoir politique (dictature du prolétariat), la rupture révolutionnaire (lutte armée contre l'État bourgeois), la centralité de l'action et de la résistance des masses populaires, et l'interaction nécessaire entre le travail politique légal et illégal pour les révolutionnaires. Le modèle principal est celui du parti léniniste, un parti de cadres (révolutionnaires professionnels), où le parti est placé au sommet et dirige tous les différents fronts (social, parlementaire, culturel, militaire). Après la victoire de la révolution russe et avec la Troisième Internationale, cette forme a été prise comme modèle par le mouvement communiste international jusqu'à la fin des années 1950 (bien qu’avec la fin de la Seconde Guerre mondiale ce modèle ait été abandonné par le mouvement communiste occidental, qui s'orientait désormais vers la social-démocratie, avec une dimension purement légaliste et parlementaire). Cependant, le modèle du parti léniniste a été enrichi en termes de stratégie et de tactique. Ainsi, la stratégie militaire maoïste inverse le rapport ville-campagne et place la guerre populaire prolongée (de la périphérie vers le centre) au centre de son action, contrairement au modèle insurrectionnel léniniste (du centre vers la périphérie). Il maintient cependant le rôle central du parti en tant que force politico-militaire et en tant qu'organe d'avant-garde et de direction des différents fronts d'intervention. Les principales limites de ce modèle résident dans sa rigidité organisationnelle qui, dans de nombreux cas, a donné lieu à un formalisme organisationnel gênant et inutile, souvent incapables d'affronter les véritables contradictions sociales et politiques qui traversent la lutte des classes. Il existe des modèles où la forme du parti sera plus nuancée, où dans certains cas l'ordre est inversé : “militaire → politique” contre “politique→ militaire” .Le centre est l'armée populaire, la guérilla, le front populaire armé . La principale expérience victorieuse sera la révolution cubaine et la contribution de Che Guevara. Ce modèle influencera, par ses diverses applications, differents mouvements anti-impérialistes et socialistes d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Amérique du Sud et Centrale. Il sera pris comme tel par les groupes et tendances qui, dans les années 60 et 70 en Occident, ont mis au centre la question du travail clandestin (Brigades Rouges, RAF, etc.) et de la rupture révolutionnaire, une ligne complètement abandonnée par le mouvement communiste « officiel » en Occident. L'hypothèse sur laquelle repose ce modèle est que, parallèlement à l'intervention des forces politiques révolutionnaires (notamment dans la guérilla), il existe un mouvement de soutien et d'organisation de la résistance et de l'autonomie prolétarienne et populaire. Les principales limites de ce modèle ont été: - le poids excessif donné au « militaire » au détriment du politique, - une insuffisante importance accordée à la composition de classe. Les problèmes liés aux formes et modalités d'organisation ont été et sont encore multiples, nous en présentons les principaux, dans la dimension métropolitaine impérialiste : Parti de masse ou parti de cadres Les organisations socialistes de masse s'étaient historiquement développées avant la naissance du mouvement communiste international (3e Internationale), à travers les grands partis sociaux-démocrates et socialistes européens. Cette formule reposait sur la capacité hégémonique du parti à conditionner et organiser de larges masses sur le terrain juridico-parlementaire. Ce type d'organisation sera également repris au sein des partis communistes après la Seconde Guerre mondiale. Le parti de cadres (bien que doté d'une fonction de masse) s'inspire directement du modèle bolchevique original et se place immédiatement sur un double terrain (légal-illégal). Sa dimension « militaro-conspiratrice » est accentuée. Son organisation interne est plus rigide et plus disciplinée. Le parti est un ensemble de « militants » actifs. L'importance de l'action parlementaire dans cette formule est moins prononcée, même s'il peut utiliser des « fronts larges » où il peut exercer son hégémonie. La capacité d’action du mouvement communiste, dans le cadre de la légalité bourgeoise, ne doit jamais faire oublier l'importance de maintenir un maillage du travail politique légal et illégal. En outre, l'impérialisme impose sa force contre-révolutionnaire préventive, ce qui rend donc très difficile de penser à une croissance homogène et progressive de l'organisation, avec ses propres « bases rouges » dans le rapport ville-campagne. La relation ville-campagne dans la dimension métropolitaine impérialiste est définitivement dépassée. Les ceintures urbaines elles-mêmes sont certainement des « jungles » modernes, où les militants agissent, mais les maisons, les rues, ne sont pas des arbres, des grottes et des montagnes.... De même que les masses populaires urbaines ne sont pas les masses paysannes.... La même utilisation instrumentale des espaces de la démocratie représentative bourgeoise est vouée à l'échec, car elle donne raison à la gauche opportuniste et conformiste qui croit en la neutralité de l'État. Un parti sur une base territoriale ou d'entreprise Historiquement, l'introduction du parti d'entreprise visait à rendre l'organisation plus « ouvrière » et moins liée à l'action parlementaire. En Europe, les partis ont été structurés plus tôt que les circonscriptions. Cette structure a cependant favorisé certaines dynamiques dégénératives. Tout d'abord, l'idée que le parti communiste est un parti ouvrier, un parti trade-unioniste.... Cette formule, tout en conservant un intérêt vital pour « la recherche d'une présence effective des prolétaires et des travailleurs dans le parti », ne saisit pas les changements structurels dans l'organisation du travail, avec des unités de production plus petites d'un point de vue numérique. Il est nécessaire de partir de la considération qu'il n'y a pas de formes parfaites, il n’y pas d’une part une sorte de « travaillisme » qui serait vaincu par un « programmatisme » qui réduirait l'organisation à une association culturelle, intellectuelle, scolaire. On n’assiste pas non plus à une résolution des contradictions dans une forme d’organisation « liquide » typique des formations d'aujourd'hui, lesquelles sont principalement liées au consensus électoral. La forme de l'organisation politique doit nécessairement tenir compte des changements sociaux et politiques de l'impérialisme (métropole, organisation du travail, contre-révolution préventive), tout en favorisant autant que possible la croissance et l'adhésion des militants issus des secteurs populaires. On retrouve le même mécanisme en ce qui concerne la question de la race ou du genre. La « race » et le « genre » demeurent un excellent critère, un aiguillon pour évaluer la « santé politique » d'une organisation. Action politique et programme militaire La différence entre le mouvement communiste et les anciens courants socialistes était et reste la question du pouvoir. L'État capitaliste ne peut être changé, il ne peut être renversé par la voie légale, c'est pourquoi la lutte des classes se transforme en guerre civile. Le mouvement communiste révolutionnaire s'est donné différentes formes d'organisation sur ce point. Cependant, la définition du programme militaire reste centrale. Pour les communistes, la violence est un mal nécessaire à utiliser, mais elle doit être organisée. La résistance des masses populaires, leur rébellion violente sont des signaux importants et des formes d'autonomie de la part du prolétariat. Cependant, pour détruire la cage de l'État capitaliste, la rébellion ne suffit pas, il faut un programme militaire. L'action politique doit nécessairement comporter un programme militaire. Mais l'action politique ne se réduit pas a cela, elle est la synthèse des différentes formes et degrés de résistance et de rupture révolutionnaire (sociale, culturelle, économique, etc.). Doser la force, attaquer, défendre, reculer, se cacher, construire, détruire, courir, ralentir, sont autant de situations qui doivent coexister au sein de la stratégie et de la tactique. Agir complètement d'en haut sans aucune légitimation par les faits est un suicide et une erreur politique, mais en même temps, attendre l'heure mythique de la révolution en rêvant de masses disciplinées qui suivent les ordres comme des ours dressés, n'est pas seulement de la myopie politique mais de la lâcheté politique... pour apprendre à faire la guerre, il faut faire la guerre.... Indépendance et unité Dans le mouvement communiste, la question de l'indépendance et de l'unité a toujours été posée. Travailler avec d'autres forces politiques et sociales tout en conservant sa propre indépendance. En termes historiques, nous pouvons dire que toutes les formules ont été essayées, de la plus sectaire à la plus unitaire. Pour évaluer leur validité, il ne faut pas les prendre comme des formules pures, mais les replacer dans un contexte historique précis. Lénine a eu raison de rompre avec la social-démocratie et de créer un nouveau mouvement bien distinct des autres (le mouvement communiste), mais en même temps Lénine lui-même avait raison lorsqu'il parlait de la défense et de l'unité à créer autour de l'URSS... L'histoire du mouvement révolutionnaire est émaillée d'exemples de ce genre. Aujourd'hui, il est clair que sans base d'appui socialiste (les pays socialistes) et avec un pouvoir d'action et d'hégémonie limité, il faut retrouver son indépendance politique. Cela ne signifie pas qu'il faille renoncer à participer aux fronts de lutte et de résistance. Prenons par exemple le rôle des organisations de la gauche palestinienne, dans l'axe de la résistance, où elles participent mais ne renoncent pas à leur autonomie organisationnelle. Qui est responsable ? La formule « parfaite » d'une organisation, c'est quand elle atteint une dimension « organique », c'est-à-dire un collectif qui avance de manière compacte. Toute organisation qui se dit révolutionnaire doit y tendre, mais la réalité est contradictoire. C'est pourquoi les communistes parlent de centralisme démocratique. Les communistes sont pour la liberté de critique. Mais ils s'opposent à ce que des conceptions et des lignes contradictoires coexistent dans une organisation révolutionnaire. Des conceptions divergentes ne peuvent pas coexister, on ne peut partir de l'idée que : “chacun pense ce qu'il veut, fait ce qu'il veut”, rejetant ainsi la discipline organisationnelle. Une lutte interne est donc nécessaire pour rechercher l'unité et la synthèse sur les positions révolutionnaires les plus avancées et les plus justes. L'organisation doit favoriser la confrontation, le débat et la vérification. Une organisation qui étouffe les contrastes, qui les craint, qui ne favorise pas le débat et la vérification n'est pas une bonne organisation. Mais les oppositions d'idées ne sont pas seulement un moyen de rechercher la vérité, elles sont aussi l'expression d'intérêts contradictoires. Les divergences de conceptions et de lignes dans l'organisation ne sont pas seulement le résultat du progrès des connaissances (contraste entre vérité et erreur) et de l'émergence de nouvelles situations (contraste entre nouveau et ancien, entre en avance et en retard). Elles sont aussi le résultat de la lutte des classes qui traverse l'organisation, même la plus révolutionnaire. Identité et sectarisme En général, tous les groupes, collectifs ou organisations se présentent comme opposées au sectarisme, avec des analyses et des déclarations savantes, puis recréent le plus souvent des groupes fermés, soucieux de mesurer la croissance des mouvements de classe à l'aune de l'adhésion d'une poignée de nouvelles personnes à leur groupe. Ce comportement n'est pas nouveau, et fait écho à la dimension de racket politique typique du gauchisme étudiant. Chaque groupe, à juste titre, perçoit sa croissance comme une démonstration de la force de ses positions et de ses pratiques, et tente de lutter contre les mécanismes d' intégration et de passivité que la société bourgeoise impérialiste nous impose. Un groupe est toujours coincé entre le désir de grandir et la peur de perdre son « identité ». Prenons deux groupes A et B, avec la même position « révolutionnaire ». Le groupe A, pour augmenter son influence, modifie sa position, modère son contenu, résultat : il augmente mais perd sa cohérence, son identité révolutionnaire. Le groupe B, quant à lui, maintient « dogmatiquement » sa position, qui reste révolutionnaire mais devient sans objet et perd des militants. Autre variante, le groupe A décide de s'unir à d'autres groupes, augmente en nombre mais perd son hégémonie. Le groupe B, quant à lui, fait la « guerre » à tout le monde et reste donc incapable de développer une action politique. Il faut comprendre que pour briser le schéma A et B, il faut faire un saut dialectique et penser comme C (pensée communiste, matérialisme dialectique). Briser le sectarisme n'exige pas des déclarations de principe, mais une confrontation concrète dans un travail politique commun, en trouvant de temps en temps des synthèses et des projets communs capables de briser l'isolement politique dans lequel la gauche prolétarienne est reléguée. Il est clair qu'il ne s'agit pas d'un simple acte de « volonté » ou de « foi », nous devons avoir la capacité de relier la science marxiste à l'autonomie prolétarienne : -La science marxiste nous permet de codifier le présent et d'identifier les tendances futures. -L'autonomie prolétarienne car ce sont les masses populaires qui font l'histoire. Le militant politique « Petit groupe compact, nous suivons une voie escarpée et difficile, nous tenant fortement par la main. De toutes parts nous sommes entourés d'ennemis, et il nous faut marcher presque constamment sous leur feu. Nous nous sommes unis en vertu d'une décision librement consentie, précisément afin de combattre l'ennemi et de ne pas tomber dans le marais d'à côté, dont les hôtes, dès le début, nous ont blâmés d'avoir constitué un groupe à part, et préféré la voie de la lutte à la voie de la conciliation. Et certains d'entre nous de crier : Allons dans ce marais ! Et lorsqu'on leur fait honte, ils répliquent : Quels gens arriérés vous êtes ! N'avez-vous pas honte de nous dénier la liberté de vous inviter à suivre une voie meilleure ! Oh ! oui, Messieurs, vous êtes libres non seulement d'inviter, mais d'aller où bon vous semble, fût-ce dans le marais ; nous trouvons même que votre véritiable place est précisément dans le marais, et nous sommes prêts, dans la mesure de nos forces, à vous aider à y transporter vos pénates. Mais alors lâchez-nous la main, ne vous accrochez pas à nous et ne souillez pas le grand mot de liberté, parce que, nous aussi, nous sommes « libres » d'aller où bon nous semble, libres de combattre aussi bien le marais que ceux qui s'y dirigent ! » Commençons par cette célèbre phrase de Lénine dans son texte sur l'organisation, Que faire ? car elle résume avec éloquence l'esprit avec lequel un communiste, un révolutionnaire doit vivre le rapport à l'organisation et à la lutte. Cependant, il faut comprendre que pour produire une telle forme d'organisation et de vie, il est nécessaire de commencer par un réseau de cadres politiques, capables de combiner la théorie et la pratique, la recherche et l'action, la science et la passion, la discipline organisationnelle et la capacité créative. Un cadre politique est un militant qui ne s'arrête pas au partiel mais parvient à avoir une vision générale. C'est un militant capable de dépasser les barrières sociales, raciales, de genre et de génération. C'est un militant qui place la question du socialisme, du pouvoir populaire, au centre, non pas comme un mantra divin ou une belle utopie, mais comme un processus concret qui se manifeste dans l'action et la résistance des masses populaires. Un militant qui accepte la bataille idéologique, c'est-à-dire la lutte contre les idéologies bourgeoises et impérialistes, en cherchant à être lui-même un exemple direct de cette bataille, à travers une morale révolutionnaire qui rejette le conformisme, l'hédonisme et l'individualisme qu'impose la culture impérialiste. Un militant qui rejette le sentiment d’impuissance qui frappe ceux qui pensent que l'ennemi est invincible, mais qui parvient à identifier les faiblesses de l'ennemi et les siennes propres, pour rendre sa propre action plus efficace. Il est faux de penser que si les masses ne sont pas radicalisées, il est inutile d'intervenir, il y a toujours un espace de résistance, de lutte et d'action. Comment les prolétaires peuvent-ils avoir confiance en leurs capacités si ceux qui se réclament de leur côté révolutionnaire n'ont pas confiance dans le prolétariat et les masses populaires ? Si nous n'agissons pas, si nous ne faisons pas valoir notre point de vue, d'autres le font. Les « vides » en politique n'existent pas. Ce n'est qu'en apparence que l'on peut parler de dépolitisation et de rejet de la politique d'en haut: en réalité ce sont les classes dirigeantes, les opportunistes et les réactionnaires de diverses obédiences qui nous imposent quotidiennement « leur » politique. Les opportunistes leur demandent tout au plus d'aller voter, d'être confiants et d'espérer une nouvelle harmonie sociale qui réunisse la classe et le capital; les réactionnaires de s'entre-déchirer dans une guerre des pauvres... Les travailleurs et les masses populaires, pour avoir confiance en eux, doivent organiser leur force et leur capacité d'exercer leur autonomie prolétarienne. Pour Lénine, le socialisme doit être porté dans la classe ouvrière de l'extérieur. Le pouvoir de la classe bourgeoise et de son régime sont trop forts pour que les ouvriers et les masses populaires puissent spontanément trouver un propre programme politique autonome. En même temps Lenine dit qu'il faut partir de la situation concrète des ouvriers et des masses populaires soulignant la nécessité stratégique d’agir contre le contrôle politique des patrons et de l'État4. L'isolement dans lequel se sont trouvés les militants de la gauche révolutionnaire a très souvent déformé leur vision, bien souvent beaucoup d’anciens et de jeunes camarades connaissent le nombre précis de sections en lesquelles les troskistes sont divisés, ainsi que les polémiques internes « personnelles » d'un collectif antifasciste ou les multiples interprétations des théories anti-autoritaires, mais ils ignorent complètement les conditions actuelles des travailleurs et des masses populaires et ne savent rien ou très peu sur les salaires des précaires..... C'est pourtant par là qu'il faut commencer si l'on veut agir sur la conscience “mystifiée” du prolétariat. Partir de leurs problèmes spécifiques, de leurs très respectables “plaintes” quotidiennes, pour comprendre les attitudes des différents ennemis qu'ils affrontent : libéraux, droite populiste et gauche de l’OTAN. Pouvoir saisir, par exemple, les points de contact et d'empathie que la résistance anti-impérialiste des peuples opprimés produit au sein des métropoles impérialistes. C'est donc en partant des besoins concrets et quotidiens des masses qu'il faut développer la résistance. Et au cours de la lutte, de la résistance, passer d'une conscience limitée et volatile à la conscience historique des tâches de classe, par une influence réciproque entre la connaissance et l'action., Un militant qui vit la spontanéité et non le spontanéisme. La spontanéité est la condition initiale positive de la croissance : chaque individu fait d'abord à peu près ce que les autres font déjà, puis commence à réfléchir à la manière dont il peut faire mieux ce qu'il fait déjà et ce qu'il peut faire mieux. Ensuite, il sort de la spontanéité et commence à agir de plus en plus consciemment : en essayant de prévoir les circonstances de la lutte, de faire des plans, de créer des conditions plus appropriées, de forger des alliances, de trouver les moyens les plus commodes, etc... . Le spontanéisme, quant à lui, est soit la théorie selon laquelle il faut rester au stade primitif : faire ce que l'on a l'habitude de faire, ce que l'on fait par hasard, le comportement de ceux qui ne veulent pas réfléchir, qui ne veulent pas employer de matière grise dans la lutte, mais seulement faire... Un militant, un cadre politique n'est pas un « technicien », un « syndicaliste », un « activiste ». Le « technicien » est utile, mais il ne peut pas avoir une vue d'ensemble parce qu'il ne lit la réalité que de manière partielle : le médecin qui ne connaît qu'une partie du corps.... Le “syndicaliste” est utile, mais il ne peut pas dépasser le cadre légal et catégoriel que le capitalisme impose, pour la gauche prolétarienne il y a des communistes qui font du syndicalisme, mais il n'y a pas de syndicalistes qui font du communisme... L’ “activiste” est utile, mais souvent son action est basée sur la rébellion plutôt que sur l'action révolutionnaire. Le cadre politique est celui qui a une conception communiste du monde, liant le développement de l'autonomie prolétarienne à l'organisation révolutionnaire et au programme révolutionnaire. Le militant est celui qui rompt avec le conformisme du présent et rêve, et donne forme à son rêve, une forme organisée5. Le rêve est le souffle d'une réalité plus profonde ! Conclusions Toutes les formules, toutes les analyses doivent trouver leur confirmation dans la réalité. Et aujourd'hui, il est évident qu'au sein de la métropole impérialiste, le poids du réformisme, de l'aristocratie ouvrière de la classe moyenne et du mouvement réactionnaire de masse s'oppose efficacement à l'émergence d'une nouvelle gauche révolutionnaire et au développement de l'autonomie prolétarienne. L'absence d'organisation, la difficulté de lier subjectivité révolutionnaire et autonomie prolétarienne (c'est-à-dire la capacité des couches du prolétariat à se donner un programme politique indépendant et antagoniste) ne doivent pas nous effrayer et surtout ne doivent pas nous détourner des tâches immédiates que nous pouvons nous donner en tant que communistes. 1) l'élaboration d'une théorie révolutionnaire dans la métropole (qui n'existe pas actuellement, même si de nombreuses indications fondamentales sont contenues dans l'héritage théorique du marxisme), qui ait tout d'abord la capacité d'analyser et de mettre en relation la dimension impérialiste, la question urbaine et la composition de classe, et en parallèle commence à analyser ce qu'est l'État impérialiste aujourd'hui, où se trouve son cœur et quelles sont les principales contradictions qui le traversent. Pour ce faire, il est nécessaire de repartir d'un travail d'enquête et de recherche au sens marxiste et non sociologique ou géopolitique. C'est-à-dire remettre la question des rapports de production au centre de l'analyse de classe et de l'analyse internationale. 2) L'action militante dans les luttes prolétariennes comme accumulation d'expérience et de force. La principale méthode de travail des communistes est la « ligne de masse ». Cette méthode peut également être décrite comme la méthode consistant à guider le mouvement des masses populaires en développant leurs initiatives de l'intérieur, par l'organisation et le développement de l'autonomie prolétarienne. Un patient travail militant de reconstruction et d'organisation à tous les niveaux - social, syndical, culturel - est nécessaire pour permettre aux secteurs populaires et aux travailleurs en général de développer l'autonomie prolétarienne. 3) L'accumulation de forces et d'expériences pour les militants. Construire des réseaux et des liens entre communistes, entre cadres politiques (journaux, organisation de séminaires et de recherches, actions et campagnes communes). Agir comme un parti même en l'absence du parti, avec l'esprit du parti... pas formellement mais substantiellement. Accumuler des forces et de l'expérience dans tous les domaines et aspects de la lutte des classes. Ces différents moments sont liés les uns aux autres, il n'y a pas d'avant et d'après. Ils agissent réciproquement les uns avec les autres. En ce sens, le travail sur la fraction communiste prolétarienne (créer des cadres politiques et commencer à travailler collectivement) est une des conditions pour commencer à poser concrètement la nécessité d'une organisation révolutionnaire, même si celle-ci n'existe pas. Il est nécessaire d'entamer un travail de transmission entre les anciennes et les nouvelles générations de militants, et de dépasser les attitudes sectaires et infantiles. Construire et organiser un réseau de militants, c'est saisir l'exigence de recherche et de perspective que réclame la partie la plus avancée des militants, et en même temps démontrer par des travaux pratiques (adaptés aux rapports de force actuels) une réelle légitimité au sein de notre classe et des masses populaires. Il y a un énorme travail à faire, mais en même temps des espaces sans précédent s'ouvrent devant nous. La gauche prolétarienne et révolutionnaire doit apprendre à construire sa propre force en combinant son propre programme indépendant avec le développement de la résistance populaire et anti-impérialiste. Il nous appartient de saisir les opportunités, d'exploiter et d'élargir les fissures dans le mur des classes dominantes. “Ceux qui ne tiennent pas compte des changements dans les conditions politiques, culturelles et nationales de l'évolution économique (impérialisme), qui sont détachés de la situation historique concrète vécue et de la pratique, et ceux qui sont fixés sur une méthode de travail mécanique basée sur les œuvres de Marx, Lénine, Staline et Mao, peuvent être de bons marxologues, mais ils ne pourront jamais être des révolutionnaires prolétariens.” Mahir Çayan supernova, revue communiste, n.8 2025 https://revuesupernova.blogspot.com/ note 1) L'opportunisme est l'influence culturelle et politique de l'idéologie bourgeoise, des classes dominantes, dans les rangs du prolétariat. Pour l'opportuniste « de droite », l'ennemi bourgeois est stratégiquement imbattable, et les actions politiques ne sont donc possibles qu'au niveau de la conquête d'améliorations partielles, ouvrant la voie aux réformes et donc à l'abandon de la lutte révolutionnaire. Pour l'opportuniste « de gauche », l'ennemi bourgeois est tactiquement imbattable et, par conséquent, seules des actions et des politiques visant à renverser le système bourgeois sont possibles, sans tenir compte des étapes concrètes du travail parmi les masses, ce qui conduit à un attentisme de fait ou à un aventurisme vide de sens. 2) C'est le récit des révolutions “colorées”, des printemps arabes, de la mise en place d'expériences socialistes et libertaires avec l'appui et le soutien des pays impérialistes atlantiques menés par les Etats-Unis. Nous sommes loin des visions conspirationnistes, et nous ne nions pas que les contradictions de classe traversent différents pays et territoires, mais il serait embarrassant de nier que ce récit représentent la base culturelle de la gauche de l'OTAN. 3) Il est possible de croire en une politique d'harmonie et d'équilibre entre les différents pôles impérialistes. Une telle théorie s'était déjà développée dans les années 1950, dans les rangs des principaux partis communistes occidentaux et avec le processus de déstalinisation de l'URSS. Elle devait être l'un des principaux points de critique avancés par la Chine « maoïste » contre l'URSS dans les années 1950-60, et par une grande partie du mouvement révolutionnaire de l'époque. 4) L'intérêt de Lénine pour la lutte contre l'autoritarisme et les amendes dans l’usine que les ouvriers subissent 5) “Le contraste entre le rêve et la réalité n'est pas du tout néfaste si le rêveur croit fermement à son rêve, s'il observe attentivement la vie, s'il confond ses observations avec ses fantasmes, si, en un mot, il travaille consciencieusement à la réalisation de son rêve. Quand il y a contact entre le rêve et la vie, tout est pour le mieux” Dmitri Pissarev (1840-1868)
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