| | | | | Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 16-07-2012 à 13:48:31
| l’OCML Voie Prolétarienne publie une enquête sur les saisonniers. On ajoutera au chapitre de la précarité la dépendance aux intempéries, par exemple l'épisode de grêle du 10 juillet dans la vallée de la Drôme a entraîné le licenciement de tous les ouvriers agricoles dans les vergers. Les saisonniers(ères) des travailleurs à part entière C’est l’été, la saison des vacances... et des légumes plein champ. Une saison particulière pour un bon nombre d’ouvriers ou de salariés saisonniers. Ils seront les invisibles des vacances. Voici ce qu’ils peuvent raconter de leur vie et de leurs luttes. Les règles du droit du travail ne sont pas respectées. Et ce qui est toléré pour un nombre si important d’ouvriers montre la voie de qui est prévu pour la classe dans son ensemble dans les années à venir. Continuons notre enquête sur la connaissance de la classe ouvrière… Partisan : Parle-nous des travailleurs saisonniers. Narbonnais : On travaille dans le monde agricole où nous sommes employés pendant les récoltes et les vendanges, aussi dans le tourisme où nous servons à faire face à l’arrivée de clients. Nous sommes barman, serveurs (ses), animateurs (trices) ou nous entretenons les remontées mécaniques des stations de ski. Le tourisme est en France une source de richesse et on parle de 145 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an. Ce n’est pas moi qui le dit mais Joël Giraud, député des Hautes- Alpes, que « sans les saisonniers notre pays ne serait pas la destination touristique la plus attractive au monde ». Dans la région PACA, les saisonniers occupent presque un emploi touristique sur 4. Une proportion qui augmente à 1 sur 3 dans la région Midi-Pyrénées. Le droit de travail ? les patrons, la plupart du temps, s’assoient dessus. Les conditions de vie sont très dures, et la précarité c’est le principe même de ce genre de boulot. Partisan : Etes-vous nombreux ? Narbonnais : Bien sûr, plus que l’on croit. 420 000 dans le seul secteur du tourisme, 850 000 occupent chaque année un emploi saisonnier dans l’agriculture. On peut dire que plus de un million de personnes travaillent chaque année comme saisonniers, tous secteurs confondus. Partisan : Y a-t-il beaucoup de jeunes parmi les saisonniers ? Narbonnais : Oui. 65% des saisonniers d’été et 51% des saisonniers d’hiver ont moins de 25 ans. Les jeunes à la recherche d’un premier emploi représentent 60% des travailleurs saisonniers du tourisme. Partisan : Parles nous de la situation des saisonniers dans l’agriculture. Narbonnais : Je sais que 140 000 exploitations font travailler chaque année 1 100 000 salariés (arboriculture, maraîchage, horticulture, polyculture, pépinières, élevage). Parmi ceux-ci quelques 70% occupent un emploi saisonnier à temps complet ou partiel. 60% du travail en maraîchages, horticultures et pour la production de fruits sont réalisés par les saisonniers. La moitié des contrats de l’agriculture sont inférieurs à 20 jours et un tiers dépasse deux mois. Certes il y a de moins en moins de structures agricoles, mais celles qui subsistent augmentent en surface. Les effectifs stables des grandes exploitations diminuent, tandis que le nombre des saisonniers croît. De 1998 à 2004, ils sont 20% de plus. Sur la même période, la tendance des gros exploitants agricoles à fractionner les contrats saisonniers (par tâches plutôt que pour l’ensemble de la saison) fait croître mécaniquement le nombre de saisonniers. Partisan : Quelle est la place des travailleurs immigrés ? Narbonnais : les saisonniers immigrés constituent un total de 10 000 à 15 000 personnes employées à contrat à durée déterminée de 4 à 6 mois. Ces ouvriers ont l’autorisation de travail en France délivrée par l’Office de l’immigration internationale, mais personnellement j’ai rencontré beaucoup de gars sans papiers qui travaillent dans l’agriculture. Les ouvriers agricoles sont connus pour être « les plus pauvres d’entre les pauvres », surtout lorsque l’on est étranger. Partisan : Le poids et l’importance des travailleurs saisonniers est donc bien différents de ce que les clichés nous donnent d’eux. Narbonnais : Je suis content que tu parles de ça. L’image du saisonnier, c’est celui qui vient s’éclater en station, en camion, les cheveux longs. C’est un cliché accolé aux saisonniers. « En plus ils viennent avec leurs camions, ça pollue visuellement, ils amènent leurs produits, ils débauchent nos bons jeunes … ». Lorsque l’on parle des saisonniers avec les patrons, ils ne parlent que de la multiplication des faits délictueux, de celui qui fait du bruit, qui s’enivre, qui passe son temps en discothèque… » Les saisonniers sont le dénominateurs commun que l’on a trouvé pour les nuisances. Mais je t’ai parlé de l’importance de ce genre de travail dans l’économie du pays et je peux te dire que les saisonniers sont bien loin de ces clichés. Partisan : les contrats saisonniers ont été donc généralisés dans un grand nombre de professions. Narbonnais : oui ; tu as raison. Partisan : quels sont les raisons de cette évolution ? Narbonnais : Les contrats saisonniers sont très juteux pour les patrons : pas de prime de précarité, rarement une clause de reprise pour la saison suivante, ce contrat peut être soumis à des dérogations pour les périodes de référence pour le décompte des heures supplémentaires et des repos compensatoires, à la condition toutefois qu’une convention ou un accord collectif étendu le prévoit. En outre, les possibilités de s’organiser et de revendiquer quoi que ce soit est très difficile. En effet, sans compter le fait que parfois on travaille 18 heures par jour, on est fatigués pour en plus tenter de discuter avec les copains. En fait, les saisonniers hésitent trop souvent à avancer leurs revendications car ils ont peur de voir leur patron les mettre à la porte ou ne pas les embaucher l’année suivante. Il y en a qui ne vont pas hésiter à te mettre dehors s’il y a quelque chose qui ne va pas, parce qu’il y a derrière la porte 50 qui attendent. Je connais un restau où pendant l’été il y a eu 54 employés différents. Comme ça les patrons pensent qu’ils ont affaire à des moutons. Mais peut être me donnes-tu l’occasion de dire que nous ne sommes pas aussi silencieux et dociles qu’on le pense et on arrive de temps en temps à arracher quelque chose. Partisan : Parle-nous des problèmes de logement que vous rencontrez ? Narbonnais : Le problème commence par les difficultés de trouver un logement. De plus en plus, les patrons t’embauchent si tu justifies d’avoir un logement. L’accès au logement pour les saisonniers est souvent difficile à cause des bas revenus et des cautions. Le prix des loyers est souvent trop élevé dans les stations en bord de mer ou en montagne ; imagine 600 euros par semaine pour un studio. Les copains se regroupent en colocation à 4 dans un studio de 20 m2. Pour ceux qui ne trouvent pas, la solution est de monter des tentes sur les plages en été ou vivre et dormir dans les camions en hiver. Sur place, surtout dans les stations de ski, les municipalités sont de plus en plus hostiles au camping des saisonniers. Les gendarmes, sous prétexte de lutter contre la drogue, nous harcèlent souvent. Partisan : Est-ce que les travailleurs saisonniers sont déclarés ou pas ? Narbonnais : Autant que je sache et vu mon expérience personnelle, les travailleurs saisonniers sont souvent déclarés mais parfois ils n’ont pas de contrat de travail en main, c’est pourquoi une partie des heures leur est payée au noir (en général la moitié). Tu peux imaginer ce qu’on perd dans ces conditions pour le chômage, la retraite, etc.… Partisan : Combien gagnez-vous ? Narbonnais : Normalement on est payés à l’heure et on est donc payés systématiquement au SMIC. Mais il y a des copains qui sont payés à la tâche, suivant le travail. Ils sont mieux payés. Il y en a qui sont payés au forfait, quel que soit leur volume horaire journalier. Pour ceux qui sont au forfait, si en début de saison être payé au forfait est arrangeant, il s’avère vite dommageable par la suite car les heures de travail augmentent et toujours pour le même prix, dans la restauration par exemple. Partisan : Alors y a-t-il des heures supplémentaires ? Narbonnais : Les saisonniers font beaucoup d’heures supplémentaires. Je connaissais quelqu’un qui en faisait jusqu’à 60 heures par semaine. J’ai entendu l’histoire d’un cuisinier embauché dans un camping qui a travaillé 200 heures pour le seul mois de juillet. Les patrons ne payent pas toujours les heures supplémentaires en tant que telles. Ils prolongent parfois un contrat dont la durée se voit augmentée en fonction du nombre d’heurs supplémentaires effectuées dans la saison. Comme ça les employeurs payent les heures supplémentaires au taux des heurs normales. Il y a aussi les saisonniers dont les heures supplémentaires ne sont pas du tout payées. Partisan : Parle-nous un peu des risques dans le travail ? Narbonnais : Les accidents de travail existent partout notamment dans l’agriculture. Les saisonniers ont le sentiment d’être particulièrement exposés aux risques. On voit parfois des personnes habillées comme des cosmonautes qui appliquent des fongicides et des pesticides dans les champs à coté de ceux où ils travaillent. Alors qu’il y a un arrêté de 2006 qui fixe un délai de réentrée dans les champs après l’application des produits (soit 6 heures minimum pour les produits les moins nocifs, 24 heures pour les produits irritant pour les yeux ou pour la peau, 48 heures si ces produits provoquent une sensibilisation par inhalation ou contacts avec la peau). Partisan : Les saisonniers ont donc des problèmes de santé ? Narbonnais : Evidement. Rares sont les visites médicales d’embauche. Les saisonniers sont souvent très fatigués par les conditions de travail, de vie. Ils naviguent entre fatigue, stress et souvent manque de sommeil. Ils hésitent à consulter un médecin à cause du coût de la consultation et par manque de temps. Les horaires d’accueil sont inadaptés, et maintenant beaucoup de dépassements d’honoraires. La CMU n’est pas toujours acceptée quand on est hors département. Partisan : La santé passe aussi par une bonne alimentation ? Narbonnais : Les saisonniers qui n’ont pas de famille sur place ont une mauvaise alimentation. Ils sont généralement trop fatigués pour aller faire les courses, en plus ils n’ont pas les moyens nécessaires pour faire la cuisine et les produits sont chers en station. Un repas par jour, pas très équilibré. Les saisonniers dans la restauration mangent mieux car ils peuvent manger sur place. Mais là aussi les repas sont pris très rapidement et sans grand souci d’équilibre. Partisan : Et du coté cœur ? Narbonnais : Pour la vie affective ou de famille, les saisonniers sont souvent en difficulté. Il y en a qui travaillent en couple. Continuer une relation amoureuse durant la saison est difficile car il n’y a pas beaucoup de temps libre, beaucoup de fatigue et les hébergements sont inadaptés. Il y a aussi beaucoup de risques sexuels pour les saisonnières, surtout en hiver dans les stations de ski. Partisan : Il y a donc aussi des problèmes psychologiques ? Narbonnais : Il y a des dépressifs, des anorexiques, souvent les jeunes sont en rupture familiale. La saison, c’est quelque chose de difficile. Si on n’est pas bien au départ, on va vite au casse-pipe. Certains utilisent des produits comme l’alcool, le cannabis, pour tenir le rythme de la saison ou la recherche d’un retour au calme. Partisan : Que pouvez-vous faire pour améliorer la situation ? Narbonnais : A court terme et moyen terme, il faut lutter pour les revendications qui ont été listées par le syndicat CGT. Parmi elles nous trouvons : une prise en charge du logement et des frais du transport des saisonniers, la limitation des contrats saisonniers aux travaux courts nécessitant un surcroît d’activité. Le contrat à temps plein et en CDI doit être la norme. Les avantages patronaux liés aux contrats saisonniers, exonérations de charges, non paiement de la prime de précarité, doivent être supprimés. Le droit à une carrière (la formation professionnelle, les salaires décents, la reconnaissance des qualifications, des pluri-compétences et de l’ancienneté). Le droit à une protection sociale de qualité. Avoir accès à une médecine du travail par site. Suppression des conditions d’ancienneté dans les conventions collectives qui exclut de fait les travailleurs saisonniers dans certains avantages conventionnels (complémentaires santé et prévoyance, indemnité d’intempéries…). Le droit à l’organisation des saisonniers (délégués de site, CHSCT de site , comité inter-entreprises, etc, mise à disposition de moyens en locaux et en matériel pour l’activité syndicale)… Partisan : Tu nous as dit que vous arrachiez parfois des avancées au patron ou au système ? Narbonnais : Les saisonniers étaient discriminés en ce qui concerne les droits aux indemnités chômage depuis 1997 (conditions de travail sur 3 ans pour ouvrir des droits et application d’un coefficient réducteur). Grâce à notre mobilisation, à compter du 1er juin 2011, les saisonniers ont les mêmes droits que tous les autres travailleurs (en matière d’indemnités de chômage). Tout ça est très fragile et il faut continuer à se mobiliser. Partisan : Notre échange arrive à sa fin, veux-tu rajouter quelque chose ? Narbonnais : Oui. Tout d’abord je te remercie et je remercie le journal Partisan qui me donne l’occasion de parler sur la situation des travailleurs et travailleuses saisonniers-ères. A la fin, si tu me permets, je voudrais chanter quelques paroles de la Marseillaise des vignerons qui ont été chantées durant la révolte des vignerons au printemps 1907 dans la région narbonnaise.
La misère enfin est très dure, Il faut agir et sans retard, Argelliers nous donne l’exemple, Suivons ce groupe de vaillants, Agissons car il en est temps, Des fraudeurs démolissent le temple, Aujourd’hui c’est plus des paroles, Ce sont des actes qu’il nous faut, Pour affirmer nos droits de vivre, Fils du Midi, assemblons-nous ; Les fraudeurs à la mort nous livrent, Qu’ils redoutent notre courroux ! Entendez-vous dans nos campagnes, Retentir nos cris et nos pleurs ? C’est trop, trop de malheurs ! Luttons ! luttons ! Et sans faiblir, ensemble nous vaincrons !
Edité le 16-07-2012 à 14:01:30 par Xuan
-------------------- contrairement à une opinion répandue, le soleil brille aussi la nuit |
| Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 16-07-2012 à 14:19:23
| LA CARAVANE DES SAISONNIERS CGT : UNE ETAPE VENDEENNE TOUTE EN COULEURS Vendée. Alerter sur la précarité des saisonniers Hier, des membres de la CGT étaient installés quai des Greniers pour dénoncer la situation précaire des employés saisonniers et rappeler leurs droits. Ils sont jeunes, exercent des métiers pénibles et sont souvent payés au Smic. Ce sont les saisonniers. Si le tourisme est un moteur de la croissance pour le département, ces employés sont certainement les rouages qui le font fonctionner. Hier, les membres de la CGT ont distribué des tracts dans la rue piétonne, sur le marché et le remblai. Ils sont allés à la rencontre des gens pour les alerter sur la précarité de ces emplois que l'on connaît mal. Les saisonniers vendéens En France, ils sont deux millions à travailler en tant que saisonniers. Des contrats à durée déterminée présents dans l'agro-alimentaire, le tourisme ou la grande distribution. Selon la CGT, la Vendée est le département qui recourt le plus à l'emploi saisonnier. C'est aussi le deuxième à accueillir le plus de touristes. « En 2012, en Vendée, sur 20 300 intentions d'embauches 57,6 % sont des emplois saisonniers » , explique Nicolas Rouger, secrétaire général de l'union départementale CGT Vendée. Des postes répartis principalement dans le secteur des services, de l'agriculture, de l'industrie agro-alimentaire et du commerce. Un nouveau profil Le syndicat va à la rencontre des jeunes à la sortie des universités et des lycées, mais pas seulement. L'emploi saisonnier concerne aussi les personnes au chômage ou les intérimaires. « Jusqu'à il y a deux ou trois ans, les saisonniers étaient surtout des jeunes. Aujourd'hui on propose aussi ce genre de contrat aux seniors. » Des abus dans les entreprises La CGT souhaite dénoncer les abus des patrons. « Certains travailleurs n'ont pas de contrat ou effectuent des heures supplémentaires non rémunérées. » Face à ces situations, la CGT rappelle l'existence d'un code du travail et de conventions. « On peut être employé précaire et avoir des droits quand même. » Les solutions proposées Pour améliorer ces conditions de travail, la Confédération propose diverses solutions. « Nous souhaitons que les saisonniers puissent bénéficier d'un contrat spécifique à durée indéterminé. » Les saisonniers auraient le droit à un emploi maintenu tout au long de l'année, en CDI. Le syndicat veut aussi mettre en place une protection sociale avec des droits à la retraite et définir juridiquement la notion de saisonnalité, jugée trop floue. Nicolas Rouger souligne des avancées qui ont déjà été réalisées dans ce secteur. Le problème du logement pour les saisonniers par exemple. Aux Sables-d'Olonnes, les dortoirs du lycée professionnel Éric-Tabarly accueillent les saisonniers pendant l'été. Une réalisation qui permet d'améliorer un peu plus les conditions de travail de ces employés. Sources : La CGT Arrivé ouest-france.fr J. Tourtaux
-------------------- contrairement à une opinion répandue, le soleil brille aussi la nuit |
| Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 26-07-2012 à 01:24:21
| TOURISME : 1,2 A 2 MILLIONS DE TRAVAILLEURS SAISONNIERS ARCHI EXPLOITES PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT PAS LEURS DROITS LEGITIMES NB : cet article est publié pour les infos sur la situation réelle des saisonniers, et non pour l'ambiance catho qui l'emballe ou la tarte à la crème de la "sécurisation des parcours professionnels" . Outre le fait que derrière cet objectif se profile le transformation du syndicat en organisme de placement et de formation, on peut lire sur ce sujet la question de l'emploi. Deux millions de saisonniers dans l’angle mort du Code du travail Par Laurène Perrussel-Morin - 24 juillet 2012 Chaque été, on compte entre 1,2 et 2 millions de saisonniers qui permettent à l’économie touristique française de se développer, souvent au détriment de leurs droits . Vendeurs de beignets, employés de l’hôtellerie ou cueilleurs de fruits : l’été, une armée d’employés précaires déferle dans les régions touristiques ou agricoles. On dénombre entre 1,2 et 2 millions de ces saisonniers, qui déclarent pour 65 % d’entre eux ne pas connaître le Code du travail. Pour la Communauté économique européenne (CEE), le travail saisonnier désigne « un travail qui dépend du rythme des saisons et se répète chaque année » [1]. Mais le flou juridique qui entoure des emplois favorise le travail au noir et les manquements au règlement. Pour informer ces travailleurs, qui espèrent obtenir un salaire conséquent en une saison souvent au mépris de leurs droits, la CGT sillonne la France à bord d’une « caravane des saisonniers » , du 6 au 18 juillet. Le contact a également été établi avec les vacanciers et les employeurs, qui s’avouent parfois ignorants de la juridiction. Des actions plus originales voient le jour, afin d’informer de manière ludique un public de vacanciers. La troupe des Z’en trop, composée de saisonniers, joue ainsi une pièce intitulée « Comment ils ont inventé le chômage » . Richard Dethyre, qui a écrit la pièce, donne une scène pour exemple : « On montre qu’à Pôle Emploi, les habits qui sont offerts sont trop étroits. Le Z’en Trop poète compte alors les chiffres réels du chômage et arrive à 8,5 millions de chômeurs. » La moitié du salaire part en fumée Sabine Génisson, membre de la CGT et passagère de la caravane, explique : « 8% des employeurs seulement logent les saisonniers, et pas forcément dans des conditions enviables. J’ai recueilli le témoignage d’un jeune sans contrat qui était logé dans un hangar. » . Les saisonniers, souvent jeunes, peinent à se loger lorsque l’emploi n’est pas à proximité de chez eux. Une enquête réalisée durant l’été 2007 par la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) révèle ainsi qu’un tiers des saisonniers vit de manière précaire dans des campings, peu adaptés au repos nécessaire après une journée de travail. Selon Richard Dethyre, les saisonniers consacreraient en moyenne 56 % de leur salaire à se loger. Le salaire n’est pas forcément adapté à ces conditions de travail. Les heures supplémentaires ne sont pas payées dans 25% des cas selon les chiffres de la CGT. Pierre, étudiant en licence qui a fait la récolte des framboises cet été pour financer ses vacances, raconte : « Je devais en théorie travailler de 6 heures à midi, mais en pratique, je pouvais travailler jusqu’à 16 heures. J’étais payé à la barquette : 40 centimes pour 250 grammes. Être saisonnier, c’est travailler plus pour gagner autant… » D’autant plus que les saisonniers, payés au SMIC lorsque ce n’est pas à la tâche ou au kilogramme, ne bénéficient pas de la prime de précarité à laquelle ont droit les CDD classiques. Photo : Alain Wibert (CC) « Ni la même histoire, ni le même parcours professionnel ou social » Alors que l’image du saisonnier toujours bronzé, sur la plage l’été et sur les pistes de ski en hiver est trompeuse, peu parviennent à conserver leur emploi d’une année sur l’autre. Richard Dethyre co-animateur du deuxième Forum social des saisonniers [2], milite pour une clause de reconduction des contrats « qui sécuriserait et professionnaliserait les saisonniers. Cela leur permettrait de ne pas être comme aujourd’hui la variable d’ajustement en toutes circonstances. » Il ajoute : « Les saisonniers ne sont pas une population homogène. Tous n’ont ni la même histoire, ni le même parcours professionnel ou social. Moins de saisonniers sont embauchés, plus ont des difficultés sociales. Cela pose la question de la sécurisation des parcours professionnels. » . Les étudiants, qui travaillent de plus en plus pour se payer leurs études, côtoient des travailleurs précaires. Pierre raconte ainsi avoir travaillé à la fois avec des femmes de 55 et 64 ans et avec des jeunes de moins de 20 ans. Le travail saisonnier donne lieu à une véritable mise en concurrence de la précarité. Corinne Helliot, chargée de mission pour Alatras [3] explique : « En été, il s’agit souvent de non-professionnels, qui côtoient des personnes dans la précarité et des personnes installées sur ces territoires. Ces dernières, poussées à la pluriactivité, vont s’installer peu à peu dans leurs emplois. » Sabine Génisson ajoute : « Désormais, les étudiants font cela pour vivre. Ils travaillent avec des seniors qui doivent retrouver un emploi avant la retraite, et avec des retraités qui ont des salaires trop peu élevés. Beaucoup de femmes sont également contraintes au travail saisonnier. » Pour Richard Dethyre, le travail saisonnier est emblématique d’une précarisation plus large du travail. Alors que 77% des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête de la JOC affirment que le travail saisonnier n’a pas été un choix, la question de la saisonnalité subie se pose. Il convient de réviser les clichés qui entourent les travailleurs de l’ombre sur nos plages et dans nos bars à l’aune de cette réalité. Nota Bene : [1] Règlement CEE, n° 1408/71 du Conseil, 14 juin 1971 [2] Deuxième Forum social des saisonniers, à Aubagne du 30 novembre au 2 décembre.http://www.forumsocialsaisonniers.com [3] http://www.alatras.fr. Association nationale des Lieux d’accueil des TRAvailleurs Saisonniers. Elle organise les treizièmes rencontres nationales de la saionnalité et de la pluriactivité les 27 et 28 septembre à Bordeaux et Biscarrosse. Sources : Patrice BARDET Politis
-------------------- contrairement à une opinion répandue, le soleil brille aussi la nuit |
| Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| | Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 10-08-2012 à 21:19:32
| La précarisation atteint les seniors et accroît la concurrence entre salariés : Sur Libération : Chez les saisonniers, chômeurs et retraités concurrencent les étudiants 9 août 2012 à 12:16 Un serveur, travailleur saisonnier, débarrasse une table à Deauville (AFP) Loin de l'image d'Epinal de l'étudiant qui vend des gaufres sur la plage ou ramasse des fruits pour financer ses vacances, chômeurs et retraités sont de plus en plus nombreux à rejoindre les bataillons de travailleurs saisonniers, symptôme d'une précarité grandissante. On dénombrerait, selon les syndicats, entre 1,2 et 2 millions de saisonniers en France, majoritairement dans l'agriculture et l'hôtellerie-restauration, plus encore si on ajoute les emplois induits dans les zones touristiques (distribution, services...). "Depuis que le taux de chômage est très fort, on a vu apparaître des seniors, absents jusqu'ici, pour qui ces contrats temporaires tendent à devenir des emplois à part entière" , observe Antoine Fatigat, responsable CGT en Rhône-Alpes, première région recruteuse devant l'Aquitaine, où ce nouveau phénomène pose des problèmes en termes de logement, mais aussi de scolarisation pour les enfants de ces travailleurs itinérants. "Les seniors connaissent mieux leurs droits mais ont davantage besoin d'argent, donc ils acceptent des conditions parfois indécentes" , poursuit M. Fatigat, chargé des saisonniers depuis la fin des années 1970, citant le cas d'un couple malmené et sous-payé dans une supérette de Valloire (Savoie), "qui avait besoin de ce travail pour survivre" . Notant un attentisme plus grand chez les hôteliers-restaurateurs, qui embauchent à la dernière minute en fonction de la météo et de l'affluence, Hervé Garnier, chargé du dossier à la CFDT, relève que ces emplois deviennent du coup "moins attrayants pour les étudiants qui cherchent quelque chose d'acceptable dès le mois d'avril" , mais intéressent "les salariés privés d'emploi, souvent en fin de droits" . "On sent désormais une concurrence entre les jeunes et les plus anciens, alors que c'est la précarité par excellence!" , renchérit Sabine Génisson, qui a sillonné la France en juillet à la rencontre de ces travailleurs pour la CGT. Des retraités qui "cherchent n'importe quoi" Confronté à un afflux de chômeurs (4,395 millions en juin en incluant ceux exerçant une activité réduite), Pôle emploi s'est engouffré dans la brèche. "Nous proposons aux seniors des emplois saisonniers pour leur permettre d'avoir des activités régulières" , explique Frédéric Tacchino, directeur territorial délégué dans le Vaucluse. L'opérateur public cite ainsi l'exemple d'une chômeuse de 53 ans qui enchaîne des contrats de femmes de chambre ou de vendeuse, "des petits jobs qui redonnent confiance" . Pour les vendanges, annoncées tardives cette année, "les seniors et jeunes retraités représenteront une majorité" , prédit ainsi Jean-Yves Montange, conseiller Pôle emploi en Rhône-Alpes. " Il y a maintenant une frange importante de saisonniers fidèles, plus âgés. Ce sont des gens qui n'ont plus de travail permanent, ils tournent chez les exploitants et travaillent une grande partie de l'année" , confirme Claude Aurias, président de la Chambre d'agriculture de la Drôme. Son confrère Frédéric Bonnard, producteur de cerises dans le Rhône, a lui aussi recruté cet été seulement deux étudiants, contre trois personnes "venues sur leurs vacances" et six Polonais, les étrangers étant traditionnellement nombreux parmi les saisonniers agricoles. "C'est pas pour rigoler que ces gens viennent ramasser des fruits, c'est qu'ils ont besoin d'argent" , souligne l'agriculteur. Même constat sur le Bassin d'Arcachon. Jean-Marie Estève, membre de la CFDT de la Gironde, décrit ainsi des retraités qui " cherchent n'importe quoi: à ramasser des légumes, travailler dans les vendanges ou encore faire la vaisselle dans les restaurants" ...
-------------------- contrairement à une opinion répandue, le soleil brille aussi la nuit |
| Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 15-04-2019 à 13:09:55
| Bastamag met en ligne une enquête sur les saisonniers de la vigne « Les raisins de la misère » : comment les grands crus du Bordelais prospèrent sur une pauvreté extrême PAR NOLWENN WEILER 22 OCTOBRE 2018 Photo : issue de l’album « Vendanges 2018 en Blaye Côtes de Bordeaux » réalisé par la photographe Corinne Couette, disponible sur Flickr en Creative commun. A l’ombre des luxueux châteaux du Bordelais se cachent une pauvreté et une injustice saisissantes. C’est ce que révèle une enquête de la journaliste Ixchel Delaporte. Les saisonniers qui s’échinent dans la vigne, indispensables à la bonne tenue d’un grand cru, sont sans cesse plus précarisés. Les habitants les plus pauvres – chômeurs, mères célibataires, malades des pesticides... – ne voient pas les retombées économiques du négoce et du tourisme. Pire : ils doivent se rendre invisibles. Les raisins de la misère , titre du livre écrit par la journaliste, révèle aussi le lobbying des grands domaines pour conserver leurs privilèges, notamment fiscaux. Entretien. Basta ! : Dans le Bordelais, une région de production vinicole particulièrement réputée, on trouve aussi, dites-vous, un « couloir de la pauvreté », peuplé de personnes qui habitent parfois de véritables taudis, et peinent même à se nourrir... Qui sont ces femmes et ces hommes ? Ixchel Delaporte [1] : Identifié par l’Insee en 2011, ce « couloir de la pauvreté » forme en réalité un croissant qui contourne Bordeaux et son agglomération par le nord-est [2]. Ce couloir est empli de vignes, celles des grands crus et des châteaux. Au nord, on trouve par exemple le très connu Château Lafite Rothschild [dont les bouteilles s’arrachent jusqu’à 1000 euros pièce, ndlr], un peu plus loin, le long de la Garonne, la région de Saint-Émilion, et plus au sud, vers la fin du couloir, le Sauternais… Au milieu de ces hauts lieux du luxe vivent des gens dont les taux de pauvreté individuelle sont si élevés qu’ils sont comparables à ceux des régions les plus pauvres de France : le Nord-Pas-de-Calais et le Languedoc Roussillon. Dans certaines petites villes ou villages, le taux de chômage atteint 25 %, les taux de RSA sont parfois supérieurs à 30 %, et les familles monoparentales sont très nombreuses. On trouve également des personnes qui sont en situation de grande pauvreté et qui ne sont même pas dans les radars des institutions ! Je pense notamment aux travailleurs saisonniers étrangers sans-papiers, de plus en plus précaires, du fait de l’augmentation de la sous-traitance des travaux viticoles. Vous parlez, à propos de cette augmentation de la sous-traitance, de « professionnalisation de la précarité » . Pourquoi ? La proportion de saisonniers est de plus en plus élevée parmi les travailleurs de la vigne. En 2015 dans le Médoc, il y avait environ 14 500 saisonniers en CDD contre 5000 en CDI. De plus, les châteaux recrutent de moins en moins la main d’œuvre directement. Ce sont des petites entreprises de quatre ou cinq personnes maximum qui forment les équipes pour entretenir la vigne et pour faire les vendanges. La situation de ces prestataires de service est d’ailleurs florissante, avec une progression de leur chiffre d’affaire qui va jusqu’à 20% par an. En général, ces entreprises emploient de la main d’œuvre non qualifiée et facile à exploiter : les Sarahouis, les Marocains, les latino-américains arrivent dans cette région par le bouche à oreille. Ils sont de plus en plus nombreux. En général, on ne leur demande pas de papiers. Ces pratiques créent une concentration de travail mal payé, exercé dans l’illégalité. Les marchands de sommeil profitent bien de ces précarités extrêmes. Ils louent aux hommes, puis à leur famille, des maisons vétustes, nombreuses dans les centres villes à l’abandon. J’ai constaté cela en particulier dans la ville de Pauillac, la Mecque des vins du Médoc. Dans les villages plus éloignés, j’ai vu des gens qui vivent dans de vrais taudis, avec de la terre battue au sol, et des poêles à bois défectueux pour chauffer l’unique pièce de l’habitation. Les enfants qui vivent dans ce genre de logis sont malades en permanence. Dans le Sauternais, la région du Blanc liquoreux, au sud du « couloir de la pauvreté », les Tziganes - qui sont les petites mains de vignes depuis toujours - vivent cachés dans des terrains boueux ou au milieu de forêts de pins parce que personne ne veut les voir, même si l’économie du vin a vraiment besoin d’eux. Ils sont très nombreux à vivre dans de vieilles caravanes, regroupés parfois dans des campements de fortune, sans eau ni électricité. Cette problématique de l’exploitation des travailleurs saisonniers existe aussi dans d’autres régions en France. Quelle est la spécificité du Bordelais ? La situation géographique de Bordeaux, ville portuaire, a entraîné un modèle économique viticole unique en France, où le vin est devenu très tôt un business. Le port de Bordeaux attire les négociants anglais dès le 12ème siècle et la concentration foncière viticole s’amorce dès le 13ème siècle ! Plus tard, ce sont les négociants hollandais qui s’installent à Bordeaux. Au 17ème, ils établissent un système de vente des vins qui tient encore aujourd’hui, appelé « la Place » et qui réunit propriétaires, négociants et courtiers. Les riches propriétaires cherchent à augmenter leur capacité de production. Peu à peu les paysans et les journaliers deviennent dépendants des grandes propriétés qui, en échange du gîte et du couvert, les emploient comme des hommes à tout faire. Dans le cadre du commerce triangulaire, au 18ème siècle, qui organise la déportation de milliers d’esclaves Africains, le vin devient une monnaie d’échange très facile à transporter et à conserver. Bordeaux devient à cette époque le premier port commercial de France. Aujourd’hui comme hier, les courtiers fixent le prix du vin avant même qu’il ne soit mis en bouteille. La liste des grands crus du Médoc a été établie au 19ème siècle et n’a quasiment pas bougé depuis. Ce système économique offre aux grands châteaux une position dominante et prestigieuse, qui se traduit au niveau international par des profits mirobolants et au niveau local par leur emprise foncière et leur capacité d’emploi. Les gens qui y sont employés restent tributaires de la vigne. Même s’ils essaient de se tourner vers d’autres débouchés, ils finissent par y revenir – dans les périodes de chômage en particulier. Dans les vignes, de très nombreuses personnes travaillent avec des corps déjà très abîmés. Les pesticides font des ravages, même si dans cette région il est difficile de le faire accepter. Sans compter la pénibilité des conditions climatiques. Les travailleurs de la vigne sont dehors qu’il neige, qu’il pleuve ou qu’il fasse 40°C. Beaucoup de saisonniers évoquent des cadences de plus en plus importantes, parfois l’absence de pauses et de fourniture d’eau. Dans des cas plus rare, il arrive que des saisonniers étrangers ne soient même pas rémunérés. Les propriétaires de vignes prestigieuses ne produisent pas que des « grands crus ». Certains d’entre eux ont même fait fortune grâce à la vente de vins bas de gamme... Tout a fait. C’est le cas du groupe Castel par exemple, qui a bâti sa fortune sur la vente de vins bas de gamme à 2 ou 3 euros la bouteille, étiquetés du Bordelais. Les consommateurs de ce genre de vin sont généralement en situation de grande précarité. Le groupe Castel possède plusieurs châteaux, dont le château Beychevelle dans le Médoc, quatrième cru au classement de 1855. En fait, les alcooliers se cachent derrière les grandes marques de vins associées au plaisir et au luxe, et utilisent cette image pour vendre 90 % de l’alcool. Castel possède aussi le maillon distribution puisqu’il a racheté la chaîne Nicolas. Le groupe de Bernard Magrez [négociant en vins, ndlr] a lui aussi fait fortune avec du vin bas de gamme avant de tout revendre à Castel, et d’investir dans des grands châteaux bordelais. Ces personnes tiennent les deux bouts de la chaîne, ainsi que le négoce. La plupart des vignerons hors grands crus fournissent les volumes nécessaires à la fabrication des vins bas de gamme, ou des vins de marque. Ils sont pieds et poings liés avec ces propriétaires mais aussi avec la grande distribution qui fixe les prix au plus bas. Notons que les grands crus n’appartiennent pas tous à des grandes et vieilles familles spécialistes du domaine. Divers grands groupes se paient aussi des châteaux pour l’image, et pour faire fructifier leur fortune en bénéficiant d’avantages fiscaux. On retrouve ainsi des assureurs (AG2R, AXA), des pétroliers (Perrodo), des groupes du BTP (Fayat) mais aussi Dassault, Auchan, Pinault ou Hermès… Si les grands groupes investissent dans le vin, n’est-ce pas aussi parce que le secteur bénéficie d’avantages importants, notamment au niveau fiscal ? Le vin est considéré comme l’un des piliers de la culture française. D’un point de vue fiscal, il n’est pas un alcool « comme les autres » : le vin est moins taxé que la bière ou les alcools forts – 3,6 % de TVA contre 20 %. Les « prémix », ces alcools très sucrés dont les jeunes raffolent, bénéficient eux aussi de ristournes quand ils sont élaborés à partir de vin. On sait pourtant que la faiblesse du prix a un effet immédiat sur la consommation. La refonte de la fiscalité du vin est l’un des grands enjeux du plan « Mildeca » de lutte contre les addictions, que le gouvernement est censé présenter bientôt... Les addictologues se battent contre ce traitement de faveur accordé au vin, étant donné le nombre de morts dus à l’alcool chaque année, qui est de 50 000 décès. Et il est faux de dire, comme l’a prétendu Emmanuel Macron que les jeunes ne se soûlent pas au vin. Ils se soûlent aussi avec le vin, et notamment avec des prémix. Comme l’ont rappelé des médecins addictologues dans une tribune en mars dernier, le vin représente près de 60 % de la consommation d’alcool. Il est la seconde cause de cancers après le tabac. L’alcool, et notamment le vin, est à l’origine de violences familiales, conjugales et de violences sur la voie publique, de binge drinking (« beuverie expresse », ndlr), d’une part importante des affections mentales, des suicides et de la mortalité accidentelle et routière [3]. Mais entre la santé publique et le monde des grands crus, le pouvoir a toujours choisi les grands crus… Il y a toujours eu en France une grande proximité entre les producteurs de vin et le pouvoir. Et Emmanuel Macron ne déroge pas à la règle. Sitôt arrivé à l’Élysée, il a envoyé un signal très fort de soutien aux producteurs de vin en nommant Audrey Bourolleau comme conseillère Agriculture, Pêche, Forêt et Développement rural. Ancienne déléguée générale du lobby Vin et société, elle a triomphé en 2015 en faisant assouplir la loi Evin qui encadre la publicité sur les boissons alcoolisées en France depuis 1991, avec le soutien précieux du ministre de l’économie de l’époque, un certain Emmanuel Macron [4]. Quand, l’hiver dernier, la ministre de la santé Agnès Buzyn a osé dire que le vin est un alcool comme les autres, elle a aussitôt été corrigée par le Premier ministre et le président de la République qui a dit, en direct du salon de l’agriculture, qu’il fallait « arrêter d’emmerder les Français » et que lui même buvait deux verres de vin par jour ! Comment faire passer quelque chose de dangereux pour quelque chose de sexy ? C’est tout le travail des lobbies, et les politiques les aident volontiers, les parlementaires n’étant pas en reste. Si les députés ont voté comme un seul homme l’exclusion du glyphosate de la loi Agriculture, c’est entre autres qu’ils y ont été poussés par les producteurs de vin. Quant à l’assouplissement de la loi Evin en 2015, elle a pu se faire via un amendement déposé par le sénateur maire de Gironde (LR) Gérard César, président du groupe d’études Vignes et vin au Sénat et… viticulteur. L’œnotourisme et le luxe, qui sont des produits dérivés du secteur, permettent à certains châteaux de prospérer encore davantage, avec parfois, dites-vous, de substantielles aides publiques... Oui, l’œnotourisme – qui propose des rencontres avec des vignerons, des visites de domaines, des dégustations de vins et autres plaisirs gastronomiques – est en pleine expansion. Il draine une économie faramineuse : dix millions de personnes par an, un chiffre d’affaires de plus de 5 milliards d’euros ! La région bordelaise arrive en tête des territoires les plus visités avec 18% de touristes. En Gironde, le vignoble génère 4,3 millions de visites par an, dont 1,3 million pour la seule juridiction de Saint-Émilion. De nouveaux chais sont construits, parfois très luxueux. Et des hôtels quatre étoiles font désormais partie du paysage. Ils reçoivent le soutien actif de l’État : FranceAgriMer (établissement public rattaché au ministère de la l’agriculture, ndlr) alloue 165 millions d’euros d’aide à l’investissement par an pour les vignerons. Mais les dossiers sont tellement complexes à monter que seuls les grands groupes, en mesure de se payer des cabinets d’experts, parviennent à rafler la mise. L’Europe aussi octroie des aides conséquentes à l’investissement. Un château peut ainsi toucher jusqu’à 40 % du coût de construction, de rénovation et de modernisation de ses chais, de la réception des vendanges au quai de chargement, jusqu’à 150 000 euros pour un projet d’œnotourisme, et jusqu’à 30 % pour aider à la mise au normes des installations. Et sans doute bien plus si un domaine est conseillé par des cabinets spécialisés. Un château appartenant au groupe de champagne Louis Roederer a réussi à obtenir jusqu’à 800 millions d’euros de l’Union européenne pour refaire ses installations. Les régions extrêmement pauvres où s’implantent ces chais et hôtels ne bénéficient en aucun cas des sommes faramineuses qui sont drainées quasiment sous les yeux de leurs habitants. A côté des châteaux clinquants, les ruelles des petites villes et villages sont décrépies, les services publics s’évanouissent, les commerces disparaissent. La financiarisation à outrance du secteur, qui fait grimper l’hectare de vignes à deux, voire quatre millions d’euros, ne facilite pas non plus la vie des 80 % de vignerons qui ne possèdent pas de châteaux. Vous avez même pu constater, au fil de votre enquête, que la cohabitation entre ce luxe « quatre étoiles » et les travailleurs de la vigne n’était pas toujours harmonieuse... Dans les grands châteaux, on préfèrerait que ces travailleurs soient invisibles… D’ailleurs, ils le sont dans les discours. Jamais ceux qui vantent les qualités de leurs grands vins ne parlent de ceux et celles qui s’échinent à entretenir la vigne à longueur d’année. Un ancien tractoriste de Cheval blanc, un grand cru de Saint-Émilion appartenant à LVMH, rapporte s’être senti « tout petit » quand le gérant est venu lui demander de garer sa voiture dans les vignes pour que personne ne la voie. Il me raconte que sur le parking, c’étaient plutôt des Porsche, Ferrari et Maserati. Il faut dire que le domaine détient le record de la bouteille de vin la plus chère jamais vendue au monde : une Impériale de six litres, remportée pour plus de 200 000 euros... A Saint-Émilion, les saisonniers espagnols, qui ont fait le choix de vivre en itinérance dans des camions et qui travaillent à la vigne, ont toutes les peines du monde à ouvrir des comptes dans les banques. Quand ils rentrent dans une boulangerie, on les regarde de travers… Tous ces gens incarnent la pauvreté dans des endroits où l’on ne voudrait admirer que du luxe. L’image, c’est pour ces milieux ce qu’il y a de plus important. Les pauvres posent donc problème, mais en même temps, on a besoin d’eux. C’est tout le paradoxe. Propos recueillis par Nolwenn Weiler Ixchel Delaporte, Les raisins de la misère. Une enquête sur la face cachée des châteaux bordelais , éditions Le Rouergue, 2018. Notes [1] Ixchel Delaporte est journaliste à l’Humanité où elle s’intéresse à la pauvreté depuis plusieurs années. Pour son livre Les raisins de la misère . Une enquête sur la face cachée des châteaux bordelais, elle a sillonné le Bordelais pendant 18 mois. [2] Insee : Institut national de la statistique et des étude économiques. Pour consulter la note de 2011, voir ici. [3] Écouter cette interview de l’addictologue Michel Reynaud [4] La loi Evin a subi plusieurs assouplissements en 1994 et pour ce qui concerne Internet en 2009, mais elle permettait de régir très strictement la publicité pour l’alcool, en limitant les supports médiatiques et en encadrant les visuels autorisés autour de l’origine du produit, sa couleur et son degré d’alcool.
-------------------- contrairement à une opinion répandue, le soleil brille aussi la nuit |
| |
| | | | | | |
|