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 Sur la question de la dictature du prolétariat

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Xuan
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   Posté le 11-03-2023 à 23:03:03   Voir le profil de Xuan (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Xuan   

Sur la question de la dictature du prolétariat, par Youri Bielov

11 MARS 2023

https://histoireetsociete.com/2023/03/11/sur-la-question-de-la-dictature-du-proletariat-par-youri-bielov/?fbclid=IwAR2AZ9nlTLaXwaQdOPPI9BHeIDFMmsmofmlprJuinUBLQWsRN68ijI28ehY


Passionnant, parce qu’il faudra bien se rendre compte que la plupart des questions que nous tentons aujourd’hui d’analyser retournent à ce que Marx définissait lui-même comme sa seule découverte théorique en politique la nécessité de la dictature du prolétariat mais de quoi s’agit-il exactement ? Le prolétariat. La classe ouvrière. Sans ces concepts, il est impossible d’expliquer l’histoire de l’URSS. (j’ajouterai celle de la France, pays de la lutte des classes selon Marx) l’article décrit comment la perestroïka a fait disparaitre ce concept, en Russie, l’eurocommunisme a suivi, et le négationnisme de l’histoire avec. Il en est ainsi de ces concepts fondamentaux du marxisme léninisme que certains considèrent comme ayant été “jugés” il y a trente ans, y compris le centralisme démocratique, voire le socialisme, ses expériences, et sur lesquels il ne faudrait pas revenir… En tous les cas l’article a le mérite d’ouvrir le débat, de l’empêcher d’être jugé ce qui relève au contraire d’une nécessaire autocritique. Ce refus de tout bilan des trente ans de contre-révolution parait le danger de l’actuel congrès du PCF, la sous-estimation à la fois du contexte et de l’exigence populaire et ce qui va avec un partage des places au sommet qui aboutirait à une nouvelle stagnation, par un exécutif bloqué par les divisions. Nous avons jugé bon de publier également aujourd’hui en rappel ce que Maurice Thorez disait à propos de la cellule, cette question est celle du centralisme démocratique et donc de la dictature du prolétariat, de la démocratie du prolétariat. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

https://gazeta-pravda.ru/issue/10-31359-36-fevralya-2023-goda/k-voprosu-o-diktature-proletariata/

Le prolétariat. La classe ouvrière. Sans ces concepts, il est impossible d’expliquer l’histoire de l’URSS. Nous les avons rencontrés dans les cours d’histoire des écoles soviétiques et ils étaient inséparables de la vie soviétique, à partir de la révolution d’octobre 1917. Depuis l’époque de la désastreuse perestroïka jusqu’à aujourd’hui, ils ont disparu non seulement de la vie quotidienne, mais surtout de la vie politique. Les cours modernes d’histoire et de sciences sociales ne mentionnent la dictature du prolétariat que de manière superficielle et négative. Pourquoi ? Nous allons tenter de répondre à cette question.

Le marxisme et ses “innovateurs

La notion de “prolétariat”, tant dans la Russie d’aujourd’hui qu’à l’étranger, est éradiquée de toutes les manières possibles par les médias bourgeois. Elle est soit étouffée, soit remplacée par l’idée générale de “pauvres”. Dernièrement, de nouveaux mots ont également été inventés dans le milieu “scientifique” : précariat et cognitariat. La raison en est claire : cacher l’essence de classe du prolétariat et implanter le mythe de sa disparition dans la conscience des masses. Diverses théories pseudo-scientifiques servent cet objectif, comme la théorie de la convergence sur la prétendue fusion possible du meilleur du capitalisme et du meilleur du socialisme (toujours populaire chez les sociaux-démocrates européens), la théorie de la société de l’information, dans laquelle l’intelligentsia scientifique et technologique et les managers sont la force dirigeante de la société. S’y ajoute la “théorie” de l’eurocommunisme, dont nous parlerons plus bas.

Le tabou sur le marxisme-léninisme dans les médias bourgeois et, par conséquent, sur le problème du prolétariat et, par conséquent, de la lutte des classes, ne pouvait que conduire à un déclin de la culture marxiste-léniniste chez les communistes, en particulier chez les jeunes, ce qui est compréhensible : ils ne connaissent pas les concepts de base du communisme scientifique.

La plus répandue est la substitution du concept de “prolétariat” par celui de “pauvre”. Tchernychevski a été le premier en Russie à le signaler, ce qui a été relevé par Lénine dans ses Cahiers philosophiques. Tchernychevski expliquait qu’un pauvre, c’est par exemple un paysan qui parvient à peine à joindre les deux bouts avec un petit lopin de terre ou un modeste artisan, alors que la terre est mauvaise et l’atelier primitif, et la famille nombreuse. N’est-ce pas le cas dans nos petites entreprises familiales ? Mais un prolétaire qui se retrouve au chômage, malade et privé de ses petites économies, est condamné à mourir de faim. Au mieux, il est voué à la misère.

Le prolétaire qui, hier encore, disposait d’une chambre chaude ou même d’un appartement, peut-être d’une petite maison achetée grâce à un prêt bancaire, d’une bonne nourriture et de beaux vêtements, le prolétaire qui n’a rien d’autre que sa capacité à travailler et à fournir des profits au capitaliste, peut perdre tout cela et ne sera plus nécessaire sur le marché du travail, lorsque son employeur lui dira : “Nous n’avons plus besoin de tes services”.

C’est F. Engels qui a donné à ce qu’écrivait Tchernychevski sa définition strictement scientifique du prolétariat en tant que classe. Dans ses Principes du communisme, nous lisons “Qu’est-ce que le prolétariat ? Le prolétariat est la classe sociale qui se procure ses moyens de subsistance exclusivement en vendant son travail, et non en vivant des profits d’un capital quelconque, une classe dont l’existence entière dépend de la demande de travail, c’est-à-dire du changement des bonnes et des mauvaises conjonctures, des fluctuations de la concurrence que rien ne vient freiner. En un mot, le prolétariat, ou classe prolétarienne, est la classe ouvrière du XIXe siècle.”

“Mouais… vous diront les “rénovateurs” du marxisme, adeptes du cosmisme russe ou du socialisme chrétien orthodoxe pour qui science et religion sont parfaitement compatibles, nous parlons des XIXe et XXIe siècles : beaucoup d’eau a déjà coulé en près de deux cents ans. Où est-il, votre prolétariat ?” Et ils ajouteront : “Le marxisme n’est pas un dogme, comme le disait Lénine. Alors, prenons en compte la réalité d’aujourd’hui et renouvelons-le”. Et nos “rénovateurs” portent au pinacle les idées des illustres inconnus que sont Berdiaev, Vorontsov, ou Bogdanov. Et, bien sûr, Vernadsky, le grand naturaliste, mais, hélas, réactionnaire dans sa pensée sociale, qui établissait un lien organique entre la science et la religion. Toutes ses lettres à Staline sont restées sans réponse : le dirigeant tolérait Vernadsky en tant qu’organisateur exceptionnel de la science soviétique. Mais nos socialistes et cosmistes russes, ainsi que les socio-chrétiens, répètent les âneries réactionnaires du passé, avec la chute des connaissances des masses sur les fondements du marxisme-léninisme. Et surtout l’essentiel : l’idée de la dictature du prolétariat, sur laquelle nous reviendrons.

La question qu’il faut poser aux “rénovateurs” est la suivante : qu’est-ce qui a essentiellement changé dans la position du prolétariat depuis l’époque de Karl Marx et de Friedrich Engels ? Oui, le travail de l’ouvrier s’est intellectualisé, mais pas complètement. La robotisation et la numérisation peuvent-elles “abolir” le travail humain et son exploitation dans la production capitaliste ? En d’autres termes, une intelligence artificielle peut-elle remplacer le travail humain ? Les philosophes soviétiques E. Ilyenkov, V. Davydov, A. Arseniev, dans leur ouvrage fondamental Machine et homme, cybernétique et philosophie (Moscou, 1966), ont répondu à cette question : non, car ce n’est pas le cerveau qui pense, mais l’homme, qui se trouve dans le système des relations sociales et a assimilé les connaissances de base développées par l’humanité.

C’est pourquoi le grand capital entrave par tous les moyens possibles la nouvelle industrialisation, qui conduit à l’amélioration de la culture de l’individu prolétaire. C’est pourquoi, en Russie, le processus d’empêchement de l’acquisition de nouvelles connaissances et du développement d’une pensée indépendante est si évident dans le milieu prolétarien : il suffit de mentionner le système établi du fameux EGE et de la licence pour les enfants issus de familles prolétariennes et la maîtrise pour les enfants issus de familles bourgeoises jusqu’à aujourd’hui. Le clivage de classe est ici évident. Certes, il y a des exceptions, mais elles n’annulent pas les règles.

Le facteur psychologique joue également un rôle : ni les professeurs d’université, ni les enseignants, ni les médecins, ni les programmeurs ne se reconnaissent comme prolétaires, considérant cette appartenance comme humiliante (non, non, nous sommes des intellectuels). La prise de conscience de l’unité des intérêts de classe des prolétaires du travail mental et physique est la tâche des communistes de Russie.

Comment le “milliard d’or” a-t-il émergé et que nous réserve l’avenir ?

Et une dernière question pour les “rénovateurs” : avec l’expansion de l’armée des prolétaires du travail intellectuel, ces travailleurs de l’enseignement supérieur, ingénieurs et techniciens de l’industrie manufacturière, qui n’appartiennent pas à l’élite (très bien payée et devenus bourgeoise depuis longtemps), les travailleurs du travail physique salarié ont-ils disparu ? Le travail des prolétaires des deux sexes reste un travail salarié, exploité, donnant de la plus-value au capital. Autrement dit, le profit capitaliste. Ou bien les semi-prolétaires ont-ils disparu ? Selon Lénine, ce sont toujours les masses laborieuses – la petite bourgeoisie des villes et des campagnes (la paysannerie), ruinée par le grand capital (l’oligarchie).

“Mais, nous dira-t-on, le “milliard d’or” de l’Occident collectif est apparu, et avec lui le socialisme français, suédois et norvégien ! Oui, le “milliard d’or” est un fait historique. Mais comment les États bourgeois sont-ils arrivés à ce “milliard” ? Dans le deuxième programme de notre Parti (PCR(b)) en 1919, il était dit : “En volant les nations coloniales et faibles (les États bourgeois avancés – Y.B.), permettent à la bourgeoisie, aux dépens du superprofit obtenu par ce vol, de placer la couche supérieure du prolétariat dans une position privilégiée et de corrompre ainsi le prolétariat, pour lui assurer en temps de paix une prospérité bourgeoise modérée “.

À notre époque, le colonialisme s’est transformé en néocolonialisme, mais rien n’a changé sur le fond : le pillage des peuples faibles se poursuit. En voici quelques exemples.

L’énergie nucléaire de la France (qui en a plus que jamais besoin) est totalement dépendante de l’uranium africain, qu’elle exploite sans pitié, tout comme l’extraction du pétrole africain.

La Grande-Bretagne possède une grande partie de l’industrie minière africaine. Les partenaires mineurs des Britanniques en Afrique sont les Suisses et les Australiens. Le Royaume-Uni est également impliqué dans le raffinage du pétrole en Afrique. Ses partenaires les moins importants sont les Néerlandais et les Irlandais.

La célèbre société de diamants De Beers appartient à l’Afrique du Sud, mais les bénéfices de son exploitation vont à Israël, aux Pays-Bas et à la Belgique. Il s’agit bien entendu de capitaux suisses, australiens, néerlandais, israéliens et belges.

L’exploitation brutale du prolétariat africain (et pas seulement) a permis le “socialisme” français. Cela n’empêche pas l’exploitation des travailleurs salariés en France. Le mouvement de protestation des “gilets jaunes” et la résistance croissante à la réforme des retraites de Macron en témoignent.

Mais la crise s’est installée et les avantages des travailleurs des pays du “milliard d’or” ont commencé à se réduire comme peau de chagrin. Une vague de grèves a déferlé sur ces pays : Angleterre, France, Allemagne, Italie, Grèce, Portugal, Israël ? Leur caractère politique est déjà dans l’air, comme on dit.

Les États du “milliard d’or” n’ont pas dépensé d’argent (et il s’agit de sommes considérables) pour le soutien militaro-technique de leur sécurité nationale pendant longtemps, ayant laissé la résolution de ce problème aux États-Unis. Aujourd’hui, en raison des hostilités en Ukraine, ils sont contraints par les Américains de faire des dépenses. Depuis longtemps, depuis au moins un demi-siècle, leur économie, et avant tout leur industrie, est approvisionnée en gaz et en pétrole russes relativement bon marché (aux prix du marché). Là aussi, sous la pression des États-Unis, ils sont contraints d’abandonner les sources d’énergie russes. Leur industrie est délocalisée aux États-Unis, incapable de faire face à la crise énergétique. Le “milliard d’or” disparaît : le chômage augmente, les prix du gaz et des produits de base aussi.

Le capital mondial mise sur l’opportunisme

L’impérialisme américain a surtout besoin du “milliard d’or” pour affaiblir et finalement miner le mouvement ouvrier international. Aux dépens des superprofits néocoloniaux, le capital mondial a réussi à corrompre avec le bien-être bourgeois non seulement la classe ouvrière supérieure, mais aussi la majorité du prolétariat de l’Ouest (oui), et pas dans certains pays européens, mais dans la plupart d’entre eux. La peur de l’URSS, dont l’influence a été considérable sur le mouvement ouvrier dans le monde entier, ainsi que sur le mouvement anticolonial et la lutte pour la paix, l’exemple de la reconstruction des villes et villages détruits en Union soviétique dans un laps de temps d’une rapidité sans précédent, le début de la conquête de l’espace (les premiers satellites) – tout cela a contraint le capital mondial à faire des concessions sociales substantielles aux travailleurs. Il convient de noter que dans les années 40 et 50 du siècle dernier, la puissance du mouvement ouvrier dans de nombreux pays d’Europe occidentale a joué un rôle déterminant dans ces concessions. Au cours de ces années, des représentants des partis communistes de France, d’Italie, de Finlande et d’Autriche étaient membres des gouvernements de ces pays.

Autre point à noter : l’impérialisme européen ne peut pas rivaliser avec l’impérialisme américain. La plupart des pays d’Europe sont couverts par des bases militaires américaines. Ils leur sont également subordonnés, puisqu’ils font partie de l’OTAN, où Washington décide de tout.

Mais à la corruption matérielle du prolétariat s’ajoutait une corruption spirituelle, idéologique – le renforcement de l’influence de l’idéologie opportuniste petite-bourgeoise en son sein, toujours, à commencer par Bernstein (avec Plekhanov et Martov en Russie), dissimulée sous une phraséologie marxiste. Lénine a appelé cela une trahison du marxisme sur le terrain du marxisme. Il a mis en garde les communistes à ce sujet en 1917 dans son génial essai populaire intitulé L’impérialisme, stade suprême du capitalisme. Lénine écrivait alors, en particulier : “Les relations économiques et patrimoniales privées constituent une enveloppe qui doit inévitablement se décomposer si son élimination est artificiellement retardée – qui peut rester dans un état de décomposition pendant une période relativement longue (au pire, si la guérison d furoncle opportuniste est retardée), mais qui sera néanmoins inévitablement éliminée”. Le capital a réussi à retarder la guérison du mouvement communiste et ouvrier du furoncle opportuniste en utilisant la forme moderne de son existence – l’eurocommunisme.

Le VIIIe Congrès du PCI : le début de l’eurocommunisme

Attardons-nous sur le VIIIe congrès du Parti communiste italien (1956). Il avait déjà formulé les conditions idéologiques et théoriques de l’eurocommunisme, bien que ce concept lui-même n’ait pas encore été déclaré. Le Parti communiste italien (PCI) a développé le concept de la “voie italienne vers le socialisme”. Sous ce couvert, il s’éloignait du marxisme-léninisme. Sous la direction de P. Togliatti, la stratégie et la tactique de la “voie italienne vers le socialisme” sont définies. Il aborde également le problème de la spécificité de l’Europe occidentale, en élaborant non seulement la voie “nationale” mais aussi la voie générale ouest-européenne vers le socialisme. Lors du VIIIe congrès du PCI, le “culte de la personnalité” de Staline a été vivement condamné, et le socialisme soviétique s’est vu nier sa signification historique mondiale. On peut dire que le PCI a jeté les bases, au sein du mouvement communiste international, d’un antisoviétisme militant et, partant, d’une russophobie. Le socialisme soviétique n’était pas seulement nié, il était évalué de manière impitoyablement négative.

Quant à Staline, P. Togliatti, qui a été en contact avec lui pendant des années en tant que membre du présidium du CEIC (Comité exécutif de l’Internationale communiste), s’est permis en 1964 de dire ce qui suit à propos du dirigeant soviétique : “Le problème qui retient le plus l’attention – cela vaut pour l’Union soviétique et les autres pays socialistes – est cependant de surmonter les limitations et la suppression des libertés démocratiques et individuelles que Staline a imposées”. Mais ensuite il dit le contraire. Togliatti déplore “qu’une impression générale se dégage de lenteur et d’opposition à un retour aux normes léninistes qui assuraient à l’intérieur comme à l’extérieur du Parti une grande liberté d’expression”, alors qu’il “n’y a plus d’environnement capitaliste” et qu’en URSS “la construction économique a fait d’énormes progrès”.

Mais tout cela s’est passé sous le “régime stalinien”… L’aversion de Togliatti pour Staline était si grande qu’il n’a pas remarqué qu’il se contredisait lui-même. D’où lui venait cette aversion pour Staline ? N’était-ce pas de Boukharine, avec qui Togliatti était en bons termes et qui avait proposé de l’élire au Présidium du CEIC ? Il est prématuré de l’affirmer tant que leurs points de vue idéologiques et théoriques n’ont pas été examinés de manière comparative. Mais il y a des raisons de supposer une parenté idéologique entre Togliatti et Boukharine. La conception de ce dernier, à savoir l’intégration pacifique du koulak dans le socialisme, n’est-elle pas la forme “pacifique” de la révolution socialiste qui, selon Lénine, est la révolution en paroles et l’opportunisme en actes ?

C’est aussi la voie “évolutive” vers le socialisme qui a été adoptée par le Parti communiste italien à l’initiative de son président. De plus, selon le secrétaire général du PCI, le concept d’une voie évolutive vers le socialisme dans un certain nombre de pays est également réaliste sans la direction du Parti communiste. Togliatti, comme la majorité du PCI, professe l’idéal du “socialisme démocratique” et croit à la réalité de la réalisation du pouvoir ouvrier par des moyens démocratiques (parlementaires), en utilisant la démocratisation des institutions politiques de l’État bourgeois (?!).

A l’initiative du Parti communiste espagnol, trois dirigeants des principaux partis communistes d’Europe occidentale – S. Carrillo (Espagne), E. Berlinguer (Italie) et G. Marchais (France) – se sont réunis à Madrid le 3 mars 1977. Cette réunion, telle que conçue par ses participants, devait donner un nouvel élan au développement des idées du communisme européen. En réalité, elle a marqué le début de son déclin. À la fin des années 1970, les trois partis perdent la plupart de leurs électeurs lors des élections législatives et se retrouvent à la périphérie de leurs parlements respectifs. Ils tournent le dos à la classe ouvrière et celle-ci leur tourne le dos.

La conception de la transition graduelle vers le socialisme adoptée par le VIIIe Congrès du PCI envisageait une lutte non pas pour la dictature du prolétariat, mais pour son hégémonie, selon Gramsci. Arrêtons-nous ici pour parler au moins brièvement du légendaire Antonio Gramsci. C’était un révolutionnaire professionnel qui a donné sa vie pour la cause du prolétariat. Un exemple de sa lutte politique contre le pouvoir bourgeois suffirait à le démontrer.

Le leader prolétarien Antonio Gramsci

Le 16 mai 1925, Antonio Gramsci, membre du PCI au Parlement fasciste italien, prononce un discours, sans avoir aucun doute qu’il irait en prison pour ce qu’il a dit. Il parlait doucement et calmement, mais tous les députés, y compris les fascistes (qui formaient l’écrasante majorité), se rapprochèrent des bancs d’extrême gauche où se tenait Gramsci. Voici quelques extraits de son discours :

“Nous voulons faire comprendre aux larges masses que vous (les fascistes – J.B.) ne parviendrez pas à supprimer les manifestations organisationnelles de leur lutte de classe, tout le cours de la société italienne est contre vous… Malgré toute la démagogie de vos discours, vous, les fascistes, vous, le gouvernement fasciste, n’avez pas encore surmonté les profondes contradictions de la société italienne, au contraire, vous les avez fait ressentir encore plus fortement aux classes et aux masses populaires… Vous pouvez “conquérir l’Etat”, vous pouvez changer les codes de lois, vous pouvez essayer d’interdire aux organisations d’exister sous la forme où elles ont existé jusqu’à présent, mais vous ne pouvez pas devenir plus forts que les conditions objectives dans lesquelles vous êtes obligés d’agir. Vous ne ferez que forcer le prolétariat à chercher une nouvelle voie de lutte”.

C’était le discours d’un politicien-scientifique. Il est peu probable que tous les députés fascistes l’aient bien compris. Mais ils ont ressenti la terrible puissance de la logique d’un orateur inhabituel. Quant à Gramsci, il savait qu’après ce qu’il avait dit, il passerait de longues années en isolement. Et c’est ce qui arriva.

En novembre 1926, malgré son immunité parlementaire, Gramsci est arrêté et emprisonné, puis condamné à cinq ans d’exil sous surveillance policière. Le 28 mai 1928, un tribunal spécial entame son procès contre lui et le groupe dirigeant du PCI et dès le 4 juin, Antonio Gramsci est condamné à 20 ans, 4 mois et 5 jours de prison avec la formulation “conspiration militaire pour le renversement violent du gouvernement”. Sur quoi se fondait une accusation aussi grave ? Plusieurs brochures imprimées avec l’autorisation de la “Garde publique” et de la préfecture. Quant à la brochure La guerre civile (dont le procureur a tant parlé), elle reproduisait intégralement un texte imprimé dans Politika, la revue dont le ministre de tutelle [de la presse] était le rédacteur en chef. La justice selon Mussolini n’était pas différente de la justice selon Hitler, ce qui est compréhensible : le fascisme italien n’était pas différent du fascisme allemand, si ce n’est que le premier était plus ancien que le second.

Au cours de l’été 1931, la santé de Gramsci devient critique. Il subit sa première crise grave. Le matin du 9 août, il est victime d’une hémorragie soudaine. Pendant plusieurs jours, il est incapable de sortir de son lit sans aide. En 1934, Gramsci est transféré de la prison et admis (en tant que prisonnier) dans une clinique à Formia, puis dans une clinique à Rome en 1935. Mais même dans la clinique, il est soumis à une surveillance méticuleuse et mesquine. Il y avait toujours un carabinier à la porte et des gardes dans le couloir et à l’extérieur du bâtiment.

Antonio Gramsci passe ses journées en prison et à la clinique de la prison à lire et à écrire, écrire, écrire. Et ce, tout en souffrant de tuberculose pulmonaire et vertébrale, d’hypertension et de crises de goutte. Il écrit les fameux Cahiers de prison. Il en a écrit 32 : 4000 pages dactylographiées – toute une collection d’œuvres en 10-12 volumes.

Le 27 avril 1937, le cœur du grand révolutionnaire prolétarien s’est arrêté. Un parti ressemble toujours au leader qu’il a choisi. Tant que Gramsci a vécu, et jusqu’en 1956 (VIIIe congrès du PCI), le parti communiste italien a été le parti de Gramsci. Il représentait l’épine dorsale de toutes les forces antifascistes en Italie.

La tragédie du PCI et du PCUS

Non, ce n’est pas un hasard si nous avons donné à nos lecteurs, bien que dans les grandes lignes, un portrait politique et moral d’Antonio Gramsci. Son autorité politique, intellectuelle et morale, non seulement au sein du parti mais aussi dans la société italienne, était extrêmement élevée. Il est aujourd’hui encore l’esprit, l’honneur et la conscience de tous les Italiens pensants et honnêtes.

Ses successeurs, Palmiro Togliatti et Enrico Berlinguer, sont dignes de la mémoire des descendants reconnaissants pour les années de leur lutte antifasciste. Leur rôle de premier plan dans cette lutte est universellement reconnu. Mais quant à leur utilisation de l’héritage théorique de leur grand prédécesseur, il nous semble qu’ils sont restés en deçà de son analyse marxiste. Certes, il y a une raison objective à cela : Gramsci, dit-on, était contraint d’écrire dans un langage ésotérique parce qu’il savait que chaque ligne de ses “Cahiers de prison” serait relue par la police et les censeurs catholiques. Mais nulle part on ne trouve chez lui le rejet de la dictature du prolétariat et l’affirmation d’une forme évolutive de transition vers le socialisme, sans parler du “compromis historique” des communistes avec les socialistes bourgeois et les démocrates-chrétiens. Ce compromis a eu lieu dans les années 1970 à l’initiative d’E. Berlinguer. Certes, les classiques du marxisme n’ont pas exclu une forme pacifique de révolution prolétarienne sous certaines conditions (c’est un sujet particulier), mais ils n’ont jamais exclu une forme non pacifique de percée révolutionnaire vers le socialisme, si les conditions objectives en étaient réunies.

La direction du PCI a repris certains des points que Gramsci avait formulés comme des absolus, sans les soumettre à une analyse critique. Il s’agit avant tout de l’idée de créer un “nouveau bloc historique”. Selon Gramsci, la classe ouvrière doit lutter simultanément pour la conquête d’une position forte dans l’économie et la politique et pour la conquête de la suprématie idéologique et morale dans la société. Pour atteindre cet objectif, l’intelligentsia “organique”, c’est-à-dire communiste, doit attirer à ses côtés l’intelligentsia “traditionnelle”, c’est-à-dire libérale-bourgeoise. De cette manière, le “nouveau bloc” serait en mesure d’assurer l’hégémonie de la classe ouvrière dans la “société civile”.

Dans la pratique, c’est l’inverse qui s’est produit : l’intelligentsia libérale-bourgeoise plus expérimentée et surpassant de beaucoup en nombre l’intelligentsia du PCI, a inculqué le virus du libéralisme bourgeois, en particulier à la direction du parti communiste italien. Le PCI était l’un des grands partis du mouvement communiste international. Il comptait plus d’un million de membres. Pendant des décennies, des années 40 aux années 70, le parti communiste italien a obtenu 30 à 34 % aux élections législatives et… En 1990, il a disparu de la scène politique italienne parce qu’il avait perdu ses électeurs – les travailleurs qui ne pouvaient pas faire la différence entre lui et les socialistes bourgeois et les démocrates-chrétiens. La principale raison de sa disparition pacifique était qu’il n’était plus le parti du prolétariat.

La même chose, mais dans des conditions historiques concrètes différentes, s’est produite pour le PCUS. Sa désintégration idéologique et morale a commencé après la mort de Staline avec la “condamnation” du soi-disant culte de sa personnalité. Le rejet de l’idée de la dictature du prolétariat lors du XXIIe congrès en 1961 a inauguré un dégel libéral-bourgeois. Plus tard, on peut dire que Gorbatchev, Yakovlev et Kº ont baigné dans les principes de l’eurocommunisme et prôné un socialisme à “visage humain”. Le Secrétaire général répétait comme un mantra : “Plus de démocratie, plus de socialisme”. La tragédie du parti communiste de l’Union soviétique s’est produite presque simultanément à celle du parti communiste italien. Au début, les deux partis ont accusé Staline d’avoir prétendument perverti le marxisme, tout en lui opposant Lénine en tant que marxiste cohérent. Mais assez rapidement, l’héritage théorique de Lénine, surtout la théorie de la révolution socialiste, a été relégué aux oubliettes. Le léninisme, en tant que développement créatif du marxisme sous l’impérialisme, a été presque simultanément retiré de l’arsenal idéologique du PCI et du PCUS. Le marxisme est toujours utilisé de manière sélective et spéculative par les partis victimes de l’eurocommunisme, ainsi que par les partis socialistes bourgeois, ignorant l’essentiel : l’inévitabilité de la dictature du prolétariat et, par conséquent, de la révolution prolétarienne. En outre, la contre-révolution bourgeoise de la perestroïka a été imposée en URSS sous le slogan de la révolution. Souvenons-nous de l’hypocrisie avec laquelle Gorbatchev s’est écrié : “La révolution continue !”.

Lénine a sarcastiquement appelé les pseudo-marxistes “également marxistes”. M. Gorbatchev et A. Yakovlev étaient les représentants classiques des “également marxistes” au sein du PCUS. En Italie, c’était Giorgio Napolitano, l’un des principaux dirigeants du parti communiste. Après l’effondrement du parti communiste italien, il a été élu à deux reprises président de l’Italie bourgeoise.

La dictature de la classe ouvrière en URSS

La question fondamentale de l’abandon du marxisme-léninisme sous le couvert de son développement “créatif” était et reste la question de la dictature du prolétariat. Chez Lénine, elle est synonyme de pouvoir soviétique. Il est malheureux d’admettre que cette question a longtemps été omise des programmes d’histoire et d’études sociales des écoles soviétiques. Le concept de dictature du prolétariat a été simplifié et dénaturé en une formule très répandue : “Celui qui n’est pas avec nous est contre nous”, alors que les écrits léninistes de la période de la guerre civile affirmaient : “Le pouvoir soviétique, c’est-à-dire la dictature du prolétariat”, “Le pouvoir soviétique, ou la dictature du prolétariat”.

L’approche dialectique de l’essence de la dictature du prolétariat est contenue, en particulier, dans la caractérisation qu’en fait Lénine dans la préface de son discours “Sur la tromperie du peuple par les slogans de la liberté et de l’égalité”. En pleine guerre civile, il y écrit : “La dictature du prolétariat est une forme particulière d’alliance de classe entre le prolétariat, l’avant-garde des travailleurs, et les nombreuses couches non prolétariennes des travailleurs (petite bourgeoisie, petits propriétaires, paysannerie, intelligentsia, etc. Une union contre le capital, une union pour le renversement complet du capital, pour la suppression complète de la résistance de la bourgeoisie et des tentatives de restauration de sa part, une union pour l’établissement final et la consolidation du socialisme. Il s’agit d’une alliance particulière, formée dans une situation particulière, précisément dans une situation de guerre civile furieuse, une alliance entre les partisans acharnés du socialisme et ses alliés hésitants, parfois “neutres” (alors l’accord de lutte devient un accord de neutralité), une union entre des classes qui diffèrent économiquement, politiquement, socialement et spirituellement”.

Soulignons, selon notre conviction, le point essentiel de la définition de la dictature du prolétariat par Lénine : “C’est… une union pour le renversement complet du capital, pour la suppression complète de la résistance de la bourgeoisie et des tentatives de restauration de sa part” et, de façon cruciale, c’est “une union entre des classes qui diffèrent économiquement, politiquement, socialement et spirituellement”.

Venons-en à la période stalinienne de l’histoire soviétique. Ses détracteurs accusent la direction du parti de ces années-là, Staline en premier lieu, de répression politique massive. Oui, c’est un fait historique et on ne peut détourner les yeux des victimes innocentes, bien qu’elles n’aient en aucun cas constitué la majorité des réprimés, comme le prétendent Soljenitsyne et ses semblables. En 1937, il était objectivement nécessaire d’écraser complètement les éléments bourgeois et leurs tentatives de restaurer l’ordre bourgeois en Russie, utilisant à cette fin l’opposition trotskyste-zinovievienne au sein du VKP(b). C’est la définition trotskiste, primitive et frontale, de la dictature du prolétariat (rejetant l’union des masses de travailleurs prolétaires et non prolétaires) selon la formule “qui n’est pas avec nous est contre nous” (la neutralité était exclue) qui aurait tué le pouvoir soviétique dans la pratique, si Trotski avait gagné contre Staline dans la lutte idéologique de classe au sein du Parti.

Pour illustrer ce qui précède, voici un fragment du discours de Trotsky lors d’une réunion du Comité de Moscou du PCR(b) en 1920 :

“Et lorsque nous avons dû dire, il y a un an et demi, que nous prendrions les ouvriers de Saint-Pétersbourg comme base et que nous forcerions ensuite le moujik paresseux à aller au combat, les mêmes bavards ont dit à l’époque qu’il n’en sortirait rien, que l’ouvrier était trop gentil pour forcer le moujik à aller au combat. Mais il l’a fait. Il en ira de même dans l’industrie…. Tant que nous manquerons de pain, le paysan devra donner à l’économie soviétique une taxe en nature sous forme de pain, sous peine de représailles impitoyables. Le paysan s’y habituera en un an et donnera du pain”.

Cette déclaration de Trotsky devant le parti de Moscou, un an avant l’approbation de la nouvelle politique économique par le dixième congrès du PCR(b), contredisait son élément central, à savoir le passage de la Prodrazverstka à la “taxe en nature”. Selon Trotsky, la dictature du prolétariat pouvait se passer d’une union de la classe ouvrière et de la paysannerie, qui constituait 80% de la population de la Russie soviétique. Quelle sorte d’union pouvait-il sous la menace d’un massacre impitoyable des paysans par les ouvriers ? En fait, tout s’est déroulé non pas selon Trotski, mais selon Lénine. S’il en avait été autrement, le pouvoir soviétique se serait effondré, privé de son principal soutien social – la confiance de la paysannerie russe, c’est-à-dire de l’immense majorité du peuple qui constituait le pays.

Quant à l’alliance entre classes, économiquement, politiquement et spirituellement différentes, limitons-nous à trois faits historiques pour l’illustrer. Premièrement, il s’agit de l’union du prolétariat et de la paysannerie petite-bourgeoise (à l’exclusion du prolétariat rural) ; deuxièmement, 50 % de l’état-major de l’armée tsariste, dont de nombreux généraux, et 60 % des officiers, principalement de la noblesse, ont servi dans l’Armée rouge à la fin de la guerre civile ; troisièmement, la composition sociale des congrès du parti bolchevique avant 1917 et après, y compris le 10e congrès du PCR(b), où environ un tiers des délégués provenaient de la noblesse et d’autres classes aisées, tandis que la plupart des délégués étaient des travailleurs.

Sous l’ère Staline, la dictature de la classe ouvrière (et non plus du prolétariat) n’a pas seulement été préservée mais renforcée, devenant la base de l’unité du peuple soviétique multinational. Les intérêts de classe des ouvriers, des paysans et de l’intelligentsia fusionnent avec les intérêts nationaux des peuples et des nations de l’URSS. Tout d’abord, avec les intérêts de la nation russe dirigeante, qui se sont concrétisés de la manière la plus visible, naturellement historique, dans les années de la Grande Guerre patriotique et dans les années d’avant-guerre. À cet égard, reproduisons les propos tenus par Staline en 1952 lors du XIXe congrès du PCUS. S’adressant aux représentants des partis communistes et démocratiques – participants au congrès, il a notamment déclaré : “Avant, la bourgeoisie était considérée comme le chef de la nation, elle défendait les droits et l’indépendance de la nation, les plaçant “au-dessus de tout”. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune trace du “principe national”. Aujourd’hui, la bourgeoisie vend les droits et l’indépendance de la nation pour des dollars. La bannière de l’indépendance nationale et de la souveraineté nationale a été jetée par-dessus bord. Il ne fait aucun doute que vous, les représentants des partis communistes et démocratiques, devrez relever cette bannière et la porter si vous voulez être les patriotes de votre pays, si vous voulez devenir la force dirigeante de la nation”.

Qui aurait pensé alors que ces paroles auraient une incidence directe sur le PCUS pendant les années de la perestroïka ? Ayant cessé d’être l’avant-garde de la classe ouvrière, le parti a également cessé d’être la force dirigeante des peuples et des nations de l’URSS, et en premier lieu de la nation russe.

Le modèle stalinien de l’économie soviétique

L’internationalisme socialiste, garant de la dictature de la classe ouvrière, avec son affaiblissement extrême sous l’ère Khrouchtchev et sa liquidation complète sous la perestroïka de Gorbatchev, a été relégué dans les archives de l’histoire. L’heure du nationalisme bourgeois et de la russophobie a sonné dans les anciennes républiques soviétiques. Le capital criminel ne s’est pas fait attendre : après août 1991, il a brandi la bannière du nationalisme corrompu.

Nous nous arrêtons ici pour attirer l’attention du lecteur sur le modèle stalinien d’économie socialiste, qui a une incidence directe sur la dictature de la classe ouvrière soviétique. Ce modèle était basé sur la trinité de la propriété étatique, collective et coopérative et, hélas, les cours d’histoire dans les écoles et les universités à partir de 1960 ne parlaient plus de la propriété des coopératives de consommation. Elle était la propriété des artisans et des artels de production, ce qui représentait au moins 2 millions de personnes, et encore plus avec leurs familles.

Il y avait 150 000 artels, 114 000 ateliers et petites entreprises industrielles, 82 000 entreprises coopératives de restauration, 256 000 magasins et près de 90 000 tentes de la société coopérative de consommateurs.

Cent bureaux d’études, 22 laboratoires expérimentaux et deux instituts de recherche scientifique fonctionnaient selon les principes coopératifs. L’ensemble du secteur de la coopération de consommation fonctionnait conformément à la résolution du comité central du PCUS et du gouvernement soviétique, adoptée à l’initiative de Staline.

Ainsi, le modèle économique stalinien était en parfait accord avec la définition de Lénine de la dictature du prolétariat comme une forme spéciale d’union entre la classe ouvrière et les nombreuses couches non prolétariennes du peuple travailleur.

La gestion de l’économie socialiste sous Staline présupposait une planification étatique, une discipline stricte et une initiative créative de la part des travailleurs, c’est-à-dire une prise de décision collective pour mieux atteindre les objectifs planifiés. La propriété d’État était dominante, mais elle ne supprimait pas la propriété collective et coopérative avec des éléments de relations de marché. Certes, la terre appartenait à l’État, mais elle était attribuée à des fermes collectives pour une utilisation perpétuelle et libre. Cela ne s’était jamais produit dans toute l’histoire économique de l’humanité ! Les terres étaient attribuées aux exploitations collectives, mais sans droit de cession ou de location. En d’autres termes, l’exploitation dans les fermes collectives était exclue.

Les terres étaient cultivées à leur demande par des entreprises d’État – les stations de machines et de tracteurs (MTS). Ainsi, le gouvernement soviétique, ou la dictature de la classe ouvrière, était au service des fermes collectives, de la paysannerie agricole collective. Mais il faut noter que les structures, les bâtiments (parcs à bestiaux, étables, etc.) et le bétail étaient la propriété des membres des fermes collectives.

Le mythe noir du système administratif rigide de gestion de l’économie soviétique est né lors du dégel khrouchtchévien. Il s’agissait d’un de ces mythes libéraux à orientation antisoviétique. Il a été soutenu et propagé par les eurocommunistes de l’Ouest. Oui, la formation de personnes qui avaient travaillé pendant des siècles sous la tutelle d’un propriétaire terrien, d’un capitaliste ou d’un koulak et qui étaient imprégnées de la psychologie de la propriété privée (“morveuse mais mienne”) à la gestion de l’État et de l’économie collective était un processus dramatique, qui nécessitait la résolution de la contradiction entre “mien” et “nôtre”. Mais c’est au cours de ce processus qu’est né l’homme soviétique.

Il suffit de lire le roman de Mikhaïl Cholokhov “Les terres vierges” pour s’en convaincre. Il a fallu des années de difficile transformation socialiste du pays pour que le pouvoir soviétique (dictature de la classe ouvrière) entre, comme on dit, dans la chair et le sang du peuple, devienne un déterminant de sa psychologie, de sa conscience morale. Il a fallu les années 20 et 30 du vingtième siècle pour y parvenir. “C’est un fait !” – disait l’ouvrier bolchevique Davydov, héros du roman de Cholokhov.

À partir de 1960, ce type particulier d’alliance, dont Lénine avait parlé et que Staline s’était efforcé de former, a été victime de la “course au communisme” lancée par Khrouchtchev pour le réaliser dans les 20 années suivantes : les exploitations privées des agriculteurs collectifs ont été pratiquement détruites, l’agrandissement des fermes collectives et leur transformation en fermes d’État ont signifié la fin des principes coopératifs de la vie dans les fermes collectives ; les MTS ont été transférées aux fermes collectives, qui ne pouvaient techniquement pas assurer leur travail sans interruption ; les coopératives de consommateurs ont été liquidées.

L’union de la classe ouvrière, de la paysannerie et des artisans, qui avait été une pratique de vie dans la société soviétique, était sapée et devenait formelle (elle n’existait que dans les postulats idéologiques du PCUS). En 1961, le XXIIe congrès du PCUS supprime l’idée de la dictature de la classe ouvrière de son ordre du jour. La dictature elle-même existait toujours dans l’organisation soviétique du pouvoir d’État, mais elle était déjà dans un état végétatif. À partir des années 1960, un processus de formation d’un parti bureaucratisé et d’une nomenclature soviétique s’est mis en place. Même les communistes honnêtes et consciencieux, bien qu’ils aient résisté à ce processus, n’ont pas été en mesure de l’arrêter. Hélas, les cadres de la perestroïka, les restaurateurs du capitalisme, ont été formés au sein du PCUS. Mikhaïl Gorbatchev et consorts ne sont pas un hasard. La trahison a été massive, avec la particularité que certains ont trahi discrètement et d’autres ont trahi bruyamment. En août 1991, le nouveau pouvoir a entamé la désoviétisation, qui s’est achevée par le bombardement par les chars de la Maison des Soviets le 3 octobre 1993. Ce qui s’est passé ensuite est connu de tous.

La restauration du pouvoir soviétique, c’est-à-dire de la dictature du prolétariat, du pouvoir des travailleurs, en lieu et place de la dictature du grand capital, criminel par son origine et sa nature, est-elle possible en Russie ? Elle est inévitable. Aucun prophète ne nous dira quand et comment cela se produira – pacifiquement ou non. Le KPRF vise une forme pacifique de restauration du pouvoir soviétique (en association avec la nationalisation de la propriété oligarchique) par le biais de la volonté du peuple. Le programme du KPRF stipule : “La question de la restauration du système soviétique de pouvoir d’Etat dans son intégralité sera soumise à un référendum”.

Cependant, le cours objectif des événements peut dicter une voie non pacifique. L’humeur sociale et l’acuité de la contradiction de classe entre le travail et le capital décideront de tout. L’histoire est faite par la base. Ses leçons sont bien connues : lorsque la base ne veut pas vivre à l’ancienne et que le sommet n’est pas en mesure de la gérer à l’ancienne. Les personnes au pouvoir doivent se souvenir de ces leçons. Dans la situation actuelle – surtout lorsque la Russie se trouve dans une confrontation mortelle avec la coalition nazie de l’Occident impérialiste – tout ce qui s’oppose à la victoire de la Russie doit être pris en compte. Tout ce qui fait obstacle à la victoire – et nous n’avons besoin que de la victoire – doit être versé dans les archives de l’histoire. Et surtout, l’injustice sociale criante de la société russe : l’existence d’une infime minorité exploiteuse (l’oligarchie et son entourage élitiste) et de l’immense majorité de la classe ouvrière (prolétaires et semi-prolétaires) exploitée par elle.

L’histoire a prouvé que le capitalisme est incapable d’assurer la justice sociale. Seul le socialisme peut faire face à cette tâche historique, également prouvée par l’histoire. Le passage de la dictature du capital à la dictature du prolétariat est inévitable. Est-il possible aujourd’hui ? Non, les conditions ne sont pas réunies. Mais la taupe de l’histoire creuse, même si ce n’est pas aussi vite que nous le souhaiterions. Elle creuse sans relâche.

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