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 Population active, un bouleversement considérable

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Xuan
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   Posté le 26-01-2018 à 19:18:58   Voir le profil de Xuan (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Xuan   

Ci-dessous un article de Robert Kissous publié dans l'édition électronique de l'Humanité


Population active, un bouleversement considérable


VENDREDI, 26 JANVIER, 2018
l'Humanité - numérique


Au recul du nombre et de la proportion d’ouvriers en France répond la croissance considérable des professions intellectuelles et des employés. Photo : Franck Fife/AFP

Une tribune de Robert Kissous, statisticien-économiste, consultant auprès des Comités d’entreprise.

La population active en France a connu des bouleversements considérables particulièrement depuis les années 60.
A noter en premier une formidable extension du salariat. Malgré la croissance de la population active le nombre des indépendants diminue même en valeur absolue.

Les non-salariés représentaient en 1946 le tiers de la population active, aujourd’hui ils ne représentent que 11%. Le recul a principalement touché les agriculteurs exploitants (4,5 millions en 1936 et dix fois moins en 2015 soit 1,8% de la population active) mais pas uniquement puisque le nombre de petits commerçants et artisans a diminué d’environ un tiers. Seules les professions libérales sont en croissance. Amusant de noter que les petits patrons à qui l’on répétait qu’ils seraient expropriés par « les rouges » l’ont été par le capitalisme.

Mais l’évolution ne s’est pas limitée au recul de petits producteurs et commerçants.

Après la crise de 1974-75 la classe ouvrière était attaquée. Des plans de « restructurations » se succédaient : sidérurgie, naval, textile… L’appareil productif était sur la sellette. Le capitalisme français commençait sa mue industrielle ou plus exactement entamait la désindustrialisation de la France. Toutes les industries ne dégageant pas un taux de profit suffisant c’est-à-dire étant ou pouvant être trop concurrencé notamment par des pays de l’ex Tiers Monde devaient être redimensionnées(1). Puis les gains de productivité notamment par l’automation, les robots, ont accéléré la baisse du nombre d’ouvriers : 38,7% de la population active en 1968, 32,6% en 1982 et 20,4% en 2015. La réduction des effectifs a porté essentiellement sur les ouvriers non qualifiés. Ce sont particulièrement les grandes concentrations industrielles qui ont été démantelées.

Le contre-coup a été encore plus brutal pour le secteur industriel qui regroupait 29,8% des emplois en 1962 et 13,9% en 2015. Cette chute bien plus brutale que celle des effectifs ouvriers découle de la politique de sous-traitance, externalisations, cessions d’activité et repli sur le « cœur de métier » dans tous les secteurs d’activité. Toujours évidemment avec dégradation des situations des salariés : conditions de travail, rémunérations, précarisation et chômage de masse.
L’affaiblissement de la classe ouvrière n’est pas qu’en nombre, il tient peut-être davantage encore à une dispersion plus grande dans des établissements plus petits y compris dans le secteur des services.

Après les années 80 le développement des marchés financiers a imprimé plus fortement sa marque sur les entreprises industrielles. Vint du Japon le « juste à temps » pour limiter les stocks et les besoins en fonds de roulement. Puis surtout s’est développé la « théorie du cœur de métier ». Les entreprises, particulièrement industrielles devaient céder le plus possible d’activités pour se replier sur ce qu’elles savaient faire le mieux. Toutes une série d’activités étaient alors cédées ou constituées en compagnies indépendantes : nettoyage, entretien, gardiennage et étaient sous traitées à des entreprises informatiques le maintien du parc informatique et autres services. Puis la sous-traitance développée à outrance transformant progressivement certaines entreprises, comme dans l’automobile, le matériel d’imagerie médicale mais pas uniquement, en concepteur puis assembleur.

Mais plus encore : il fallait dépecer tous les conglomérats, toutes les entreprises à multi-activités pour en faire de nouvelles « pure player » c’est-à-dire des entreprises ayant un seul cœur de métier, sans toujours forcément bien définir ce cœur. Par exemple à la fin des années 90 la Compagnie Générale d’Electricité est divisée en trois entités Alcatel, Alstom et Cegelec. Plus récemment l’exemple du dépeçage de HP est presque un cas d’école : cessions d’activités successives, fusions et au passage partage de la trésorerie par des fonds vautours. Et bien souvent ces différentes cessions sont l’occasion pour les actionnaires de se partager la trésorerie sous forme de dividende exceptionnel avant la mise en bourse comme dans le cas d’Alstom. Les fonds d’investissement poussent systématiquement dans le sens de la séparation d’activités. Les entreprises, davantage ou le plus possible mono-activité, sont d’une part plus faciles à évaluer en terme de risque et d’autre part deviennent plus sensibles aux variations conjoncturelles, plus volatiles en Bourse et donc plus spéculatives.

Par la suite est venu s’ajouter le rêve de l’entreprise industrielle sans usine ou plutôt le cauchemar vue la descente aux enfers qu’a connue Alcatel. Le PDG d’Alcatel, Serge Tchuruk, en était un apologue. Désormais l’entreprise devait concevoir et vendre, la fabrication n’étant qu’un centre de coût elle devait être sous-traitée. De nombreuses entreprises ont été inspirées par cette nouvelle religion. Si l’entreprise avait une usine de production, elle devait la traiter dans ses comptes internes comme un centre de coût. C’est-à-dire qu’elle cédait au service marketing sa production avec une marge de 5%. Ainsi le marketing, conception incluse, engrangeait l’essentielle de la plus-value. C’était l’auto-validation de cette thèse par la comptabilité interne et en même temps l’affirmation que les cadres commerciaux et concepteurs sont les seuls ou les véritables créateurs des richesses. Ce fétichisme se nourrit de la possibilité de sous-traiter à bas prix la production dans un pays asiatique par exemple. Sauf que dans ce cas, une fois le savoir-faire parti, les évolutions technologiques, les gains de productivité et la relation conception réalisation échappent à l’entreprise pour se retrouver chez les sous-traitants.

Ceci étant dit il faut nuancer le recul des effectifs ouvriers. En effet l’externalisation à des sociétés de service d’un certain nombre d’activités autrefois internes a fait bascule une partie de la catégorie ouvrier à la catégorie employé par exemple dans le nettoyage ou le gardiennage.

A noter que les firmes multinationales françaises ont plus de la moitié de leur effectifs à l’étranger, la France ayant davantage pratiqué l’exportation de capitaux, l’investissement à l’étranger, que l’exportation de marchandises. En 2015 elles ont 4,1 millions de salariés en France et 5,5 millions à l’étranger (dont 2 M dans l’industrie). Alors que la division du travail est de plus en plus internationale peut-on analyser l’évolution des effectifs ouvriers sans prendre cela en compte ?

Au recul du nombre et de la proportion d’ouvriers en France répond la croissance considérable des professions intellectuelles et des employés. Et la tertiarisation, s’appuyant sur une féminisation considérable de la population active souvent dans la précarité, répond à la désindustrialisation. Alors que la population active augmente de 6 millions entre 1975 et 2014, la part des femmes est de 5M et les hommes 1M.
Alors que les cadres représentaient en 1962 4,7% de la population active soit 900.000 personnes, leur part est plus que triplée avec 15,8% en 2007 (4 M).
De même pour les professions intermédiaires (enseignantes, infirmières, techniciens, professions administratives et commerciales intermédiaires …) qui sur la même période passent de 11,1% à 24,8% (de 2,1 M à 6 M).

Et enfin les employés (agents dans la fonction publique, administratifs dans les entreprises, employés de commerce, services aux particuliers …) représentaient en 1962 18,3% et 28,4% en 2007 (de 3,5 à 7,6 M)


L’accentuation de la division du travail intellectuel/manuel, avec la révolution numérique et les progrès techniques qui supposent la croissance de la formation et l’enseignement, entraîne le développement des professions intellectuelles dans tous les domaines.
La concentration capitaliste dans le commerce chasse les petits commerçants au profit des grandes surfaces, spécialisées ou pas. Elle entraîne aussi un accroissement des fonctions d’administration et de gestion.

Sans oublier le développement du secteur de la santé et de l’action sociale grâce à la Sécurité Sociale et malgré les attaques qu’elle a subit et continue de subir.

Ces mutations sociales profondes se traduisent forcément sur le plan politique. Car même si les ouvriers plus les employés, considérés parfois comme les classes populaires, représentent la majorité de la population, le dynamisme et l’influence sociale est plutôt du côté des professions intellectuelles supérieures et intermédiaires qui subissent aussi une dégradation considérable de leurs conditions de travail et de vie. Que dire de la vie au travail étroitement contrôle d’employés de call center qui sont supposés ne prendre aucune initiative et doivent suivre des instructions précises sur leur écran ? Que dire de tous ces jeunes travaillant à la création de jeux vidéos en faisant 12 à 14 heures par jour ? Que dire encore du travail à Amazon, où l’homme doit se soumettre à des robots qui commandent sont travail, plus proche de celui d’une usine à la chaîne tout comme dans les entrepôts des centrales d’achat des grandes surfaces commerciales. Ce sont tous ceux-là que l’on qualifie de classe moyenne pour gommer le lien avec le restant des classes populaires !

Si l’on peut voir plus facilement une proximité d’intérêt avec les professions intermédiaires, on ne peut négliger le rôle des cadres. La notion de cadre est une notion fourre tout. Qu’y a-t-il de commun entre un cadre supérieur du siège d’une multinationale et l’ingénieur informatique qui travaille dans un site informatique d’une entreprise sous-traitant sa maintenance ? Rien !
Reste l’essentiel : la traduction d’une politique d’alliances qui ne soit pas une fausse addition d’intérêts souvent convergents mais réduits à un slogan - les 99% contre les 1% - qui ne peut tenir lieu d’une compréhension de ceux que sont les classes sociales dans la France d’aujourd’hui, de leurs intérêts, leurs aspirations.

Autrement dit comment les intérêts des classes populaires dans leur ensemble peuvent être pris en compte et mis au premier plan dans un ensemble d’alliances pour ?

(1) L’Allemagne a fait un choix différent du fait d’un positionnement autre de son industrie. L’absence d’empire colonial, après avoir été sortie d’Afrique par ses concurrents franco-britanniques, l’a conduite à développer son marché intérieur. L’impérialisme français, et le britannique, avaient d’autres horizons avant guerre puis beaucoup moins ensuite. N’ayant plus de chasse gardée la concurrence y devenait plus rude.

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