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| Posté le 23-01-2020 à 17:51:15
| Mondialisation capitaliste, eurocentrisme et immigration Une prolétarisation du monde qui démasque le pseudo « postmodernisme » [Première partie] Publié le 3 janvier 2020 par bouamamas https://bouamamas.wordpress.com/2020/01/03/mondialisation-capitaliste-eurocentrisme-et-immigration-une-proletarisation-du-monde-qui-demasque-le-pseudo-postmodernisme-premiere-partie/ L’année 2019 a été marquée par des mouvements populaires sans précédents depuis des décennies dans de nombreux pays de la planète. De l’Algérie au Soudan en passant par le Liban, la France ou Haïti ces mouvements mettent en action des millions de manifestants. Dans la même année les coups d’Etat et offensives réactionnaires se sont multipliés, de même que les tentatives d’instrumentalisations et de détournements des grands mouvements populaires. La perception chronologique de ces luttes que diffusent les médias empêche de prendre la mesure des enjeux communs que signifient ces mobilisations. De même la prégnance d’une grille de lecture euro-centrique masque l’entrée dans une nouvelle séquence historique du système impérialiste mondial et la reprise de l’initiative populaire qui l’accompagne. Comment comprendre ce nouveau cycle de lutte ? Peut-on les relier à une base matérielle commune ? Sont-elles déconnectées des discours idéologiques dominants ? Etc. Mondialisation capitaliste et prolétarisation du monde Les discours dominants sur la « mondialisation » et/ou la « globalisation » présentent celle-ci comme le résultat des progrès des sciences et des techniques mettant en interactions inédites les différents espaces de la planète. Les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication auraient, selon ce roman idéologique international mis en obsolescence les Etats-nation, rendu caduque les « grands récits » de l’émancipation (socialisme, anticolonialisme, anti-impérialisme, etc.) et abolit la lutte des classes. Un tel discours masque la nature de cette mondialisation et son origine. Loin d’être une conséquence logique des progrès techniques, la dite « mondialisation » est le résultat des stratégies des grandes puissances impérialistes de la triade (Etats-Unis, Union Européenne et Japon) pour le repartage du monde. Nous ne sommes pas en présence d’une « mondialisation » mais d’une « mondialisation capitaliste » reproduisant et accentuant la division du monde en centres dominants et périphéries dominées à l’échelle mondiale et la polarisation des classes sociales dans chacun des pays. De nature capitaliste, ayant pour cause des décisions politiques et économiques précises (par le biais du G8, du FMI, de la Banque Mondiale, de l’Organisation Mondiale du Commerce, etc.) la « mondialisation » signifie une offensive généralisée contre tous les conquis sociaux et politiques des peuples depuis la fin de la seconde guerre mondiale, rendue possible dans le contexte de disparition des équilibres et des rapports de force issue de la seconde guerre mondiale et de la décolonisation. La disparition du monde bipolaire avec la fin de l’URSS a été perçue et analysée comme une opportunité par les classes dominantes pour débarrasser la logique capitaliste et impérialiste de toutes les concessions arrachées par les luttes populaires du vingtième siècle. Le projet de retour à une logique capitaliste et impérialiste « pure » est devenu le cri de ralliement de ces classes dominantes et l’ultralibéralisme en est la traduction économique. Les mouvements populaires massifs qui secouent la planète constituent, indépendamment de leur diversité et de la spécificité des déclencheurs nationaux, une tentative de s’opposer à cette contre-révolution programmée. Si les déclencheurs de chaque révolte sont spécifiques, les causalités sont, elles, largement communes : le refus de la paupérisation massive que suscite ladite « mondialisation ». La prise en compte de la base matérielle des révoltes actuelles est incontournable pour comprendre notre époque. Loin d’être des seulement des mouvements pour la « démocratie », contre le « système » ou pour la « liberté », ces mouvements populaires massifs reflètent, selon nous, un mouvement sans précédent de prolétarisation du monde produite par cette « mondialisation. Cette dernière se déploie en effet sous la logique de la disparition des entraves à la libre circulation des capitaux, à la destruction des obstacles à la liberté du commerce, à l’éradication des freins douaniers et des « pesanteurs » législative à la « libre concurrence ». Derrière ces formules ressassées à longueur d’antenne dans nos médias se cache tout simplement une dérégulation généralisée ayant pour moteur la baisse des coûts de main d’œuvre comme mécanisme de hausse du taux de profit. Les pays dominés de la périphérie ont été « préparés » à ce processus par les plans d’ajustement structurel qui leur ont été imposé par le FMI et la Banque mondiale durant les trois dernières décennies. Pour accéder au crédit ces périphéries ont été contraintes de liquider leurs protections douanières, de libérer les prix, de privatiser les services publics, de facilité l’investissement étranger, etc. Les conséquences sont aujourd’hui évidentes : une désindustrialisation dans les centres impérialistes du fait des délocalisations massives et une prolétarisation dans les périphéries dominées avec comme point commun une paupérisation des classes populaires. Seule la prégnance d’une vision euro-centriste entretenue par les médias dominants a pu faire apparaître ce vaste mouvement de redistribution des forces de travail comme étant le signe de la fin de la classe ouvrière et de la lutte des classes, comme la preuve de l’entrée dans une société postindustrielle, comme l’indicateur d’une mutation profonde du capitalisme. Or non seulement la classe ouvrière ne diminue pas mais elle augmente pour peu que le regard ne se centre pas seulement sur les centres impérialistes mais s’élargit à l’ensemble de la planète. Quelques chiffres suffisent à le démontrer : En 1950 la part des ouvriers de l’industrie travaillant dans un pays de la périphérie dominée était de 34 %. Cette part est de 53 % en 1980 et de 79 % en 2010 (soit en chiffre absolu 541 millions d’ouvrier contre 145 millions dans les pays du centre). Le transfert de main d’œuvre est encore plus important si on centre l’analyse sur le travail de manufacture : « 83 % de la main d’œuvre de manufacture dans le monde vit et travaille dans les pays du Sud[i] » résume l’économiste John Smith. Et cette hausse de la part des pays de la périphérie s’est déployée sur fond d’une hausse importante de la « main d’œuvre mondiale effective » entre 1980 et 2006 selon les propres chiffres du FMI[ii]. Celle-ci est passée de 1.9 milliard en 1980 à 3.1 milliards en 2006. Dans son excellent ouvrage « Modernité, religion et démocratie. Critique de l’eurocentrisme, critique des culturalismes[iii] » , Samir Amin a synthétisé le lien entre le développement à un pôle de la planète et le sous-développement à un autre pôle. Cette polarisation mondiale du passé connaît aujourd’hui un nouvel âge se traduisant par une prolétarisation du monde. Dans le même temps où il accroît la classe ouvrière des pays périphériques, le capitalisme détruit les emplois agricoles de ces pays. L’ouverture des marchés et la libéralisation du commerce extérieur imposée par les plans d’ajustement structurel a ainsi fait chuter la part de l’emploi agricole dans la population active des pays périphériques de 73 % en 1960 à 48 %[iv] en 2007. Hausse sans précédent du nombre de travailleurs industriels et hausse tout aussi impressionnante du nombre de chômeurs s’entassant à la périphérie des grandes agglomérations du fait de la destruction des agricultures et de l’exode rural qui en découle, sont les deux caractéristiques de la prolétarisation des pays périphériques dominés. Dans les pays du centre impérialiste la situation n’est guère meilleure. Contrairement au mythe d’une « économie de service » prenant le relais d’une « économie industrielle » la baisse des emplois industriels se traduit par un chômage structurel grandissant. Ici aussi nous sommes en présence d’une prolétarisation. D’Alger à Paris et de Khartoum à Beyrouth, des Gilets Jaunes aux Hiraks[v], c’est cette prolétarisation qui se traduit dans les colères populaires massives de l’année 2019. Les débats sur l’immigration, les politiques répressives qui les accompagnent et les drames humains qui en découlent sont au service de cette prolétarisation du monde. Les barrières à l’immigration sont d’une rigueur sans précédent dans l’histoire du capitalisme. La « surpopulation » des pays périphériques ne pouvant pas migrer vers les pays du centre s’accumule dans des bidonvilles géants[vi] qui ne sont pas sans rappeler les descriptions des logements que faisait Engels en 1845 pour la classe ouvrière anglaise[vii]. Les restrictions à l’émigration visent à maintenir captive cette « surpopulation » afin qu’elle reste disponible pour les emplois de la délocalisation massive. Les fermetures armées des frontières ne reflètent aucune crainte d’un « grand remplacement » mais traduisent un calcul économique froid transformant la méditerranée et la frontière mexicaine en cercueils géants. Le comble du cynisme est atteint avec le discours sur « l’immigration choisie » qui n’est rien d’autre que le choix de vider les pays périphériques de leurs travailleurs qualifiés sans supporter les coûts de formation de cette force de travail complexe. Ici aussi les chiffres sont parlants comme en témoigne une étude de 2013 portant sur la « fuite des médecins africains » vers les Etats-Unis : « La fuite des médecins de l’Afrique subsaharienne vers les Etats-Unis a démarré pour de bon au milieu des années 1980 et s’est accéléré dans les années 1990 au cours des années d’application des programmes d’ajustement structurel imposé par […] le Fond Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale[viii]. » Les médecins algériens ou moyen-orientaux dans les hôpitaux français témoignent du même processus en Europe. « Fuite des cerveaux » , hausse de la paupérisation au centre et encore plus à la périphérie, politiques migratoires restrictives et multiplications des assassinats institutionnels de masse en méditerranée et à la frontière mexicaine sont des facettes indissociables de ladite mondialisation. C’est ce que rappelait Fidel Castro à Durban en 1998 : La libre circulation du capital et des matières premières que l’on nous annonce doit également s’appliquer à ce qui doit impérativement continuer de dominer tout le reste : les êtres humains. Finis, ces murs maculés de sang comme celui que l’on est en train de construire le long de la frontière américano-mexicaine, où des centaines de personnes perdent la vie chaque année. Il faut mettre un terme à la persécution des migrants ! C’est la xénophobie qui doit cesser, pas la solidarité ![ix] De l’exploitation à la surexploitation La prolétarisation de la périphérie dominée ne lui a apporté aucune amélioration. La baisse du pouvoir d’achat des travailleurs des centres impérialistes ne s’est pas traduite par une hausse de celui des travailleurs de la périphérie mais par une hausse des profits. Elle signifie le passage d’une exploitation de la force de travail à une surexploitation ou encore le passage de la domination d’une forme de plus-value à une autre. Revenons sur ces concepts de Marx qui restent incontournables pour comprendre le monde barbare contemporain. Marx, rappelons-le, considère que la force de travail est sous le capitalisme une marchandise qui comme toutes les autres a une valeur correspondant à la quantité de travail nécessaire à la production des biens permettant sa production et sa reproduction (nourriture, logement, vêtement, formation, etc.). Cette valeur a une expression monétaire qui est le salaire réel. Par ce salaire, le capitaliste achète le droit d’utiliser cette force de travail pour une certaine durée. Cette durée permet à la fois de produire l’équivalent du salaire de l’ouvrier et une survaleur (la plus-value) qui se transformera en profit au moment de la vente des marchandises produites. Chaque journée de travail se divise en conséquence en deux durées : le travail nécessaire (correspondant au salaire) et le surtravail (correspondant à la plus-value). L’intérêt du capitalisme est donc de maximiser le surtravail ou de minimiser le travail nécessaire. L’exploitation pour notre auteur désigne ce surtravail ou cette plus-value. Même quand le salaire est payé à son prix, il y a donc exploitation. Le second apport de Marx est d’avoir formalisé les moyens par lequel le capitaliste tente de maximiser le surtravail ou la plus-value. Il en étudie en particulier deux qu’il appelle « plus-value absolue » et « plus-value relative » La première est maximisée par l’allongement de la journée de travail et la seconde en augmentant la productivité des travailleurs. Si Marx n’étudie longuement que ces deux formes, cela ne signifie pas qu’il n’y en a pas d’autres. Il s’en explique à de nombreuses reprises en précisant qu’il pose une hypothèse : celle que la force de travail est payée à sa valeur. Autrement dit son objectif est d’analyser la logique du système capitaliste (indépendamment des formes concrètes qu’il prend dans tel ou tel pays ou à telle ou telle époque) et non le capitalisme réellement existant. Ce dernier n’hésite pas, à chaque fois que le rapport de force le lui permet, à faire baisser le salaire en dessous de la valeur de la force de travail c’est-à-dire en dessous du minimum nécessaire pour vivre dignement. « La grandeur du surtravail , souligne Marx, [ne pourrait s’allonger] que par la réduction du salaire du travailleur au-dessous de la valeur de sa force de travail. […] Or, quoique cette pratique joue un rôle des plus importants dans le mouvement réel du salaire , elle n’a aucune place ici où l’on suppose que toutes les marchandises, et par conséquent aussi la force de travail, sont achetées et vendues à leur juste valeur[x]» . Tout le chapitre 8 du volume premier du capital est consacré à des exemples concrets de situations où la force de travail est rémunérée en dessous de sa valeur avec en conséquence « l’épuisement et la mort précoce de cette force[xi] » . Dans ces situations nous ne sommes plus en présence simplement d’une exploitation mais face à une surexploitation. Parmi les exemples donnés par Marx, deux revêtent une actualité importante dans le contexte de mondialisation capitaliste actuel. Le premier est celui des forces de travail immigrées fortement touchées par la surexploitation et le second est celui des situations esclavagistes, coloniales et semi-coloniales dans lesquelles la surexploitation est la règle. Le premier exemple conduira Marx à insister sur l’importance pour les syndicats de « s’occuper avec le plus grand soin des intérêts des métiers les plus mal payés » afin de contrer la désunion des ouvriers « engendrée et perpétuée par la concurrence inévitable qu’ils se font les uns aux autres.[xii] » . Le second le mènera à une dénonciation de plus en plus virulente de l’esclavagisme et du colonialisme, ceux-ci constituant en quelque sorte l’idéal type du capitalisme en matière de fixation du prix de la force de travail : « Quant aux capitaux investis dans les colonies, etc., ils sont d’autre part en mesure de rendre des taux de profit plus élevés parce qu’en raison du moindre développement le taux de profit y est d’une façon générale plus élevé et plus élevé aussi, grâce à l’emploi d’esclaves, de coolies, etc.[xiii]. » rappelle Marx. Ces deux exemples soulignent l’inanité d’une lutte anticapitaliste qui exclurait de son programme la lutte contre les discriminations racistes qui touchent les travailleurs immigrés avec ou sans papier d’une part et l’internationalisme d’autre part. En insistant dans son analyse de l’impérialisme sur son caractère parasitaire, Lénine reprend cette analyse de Marx pour un capitalisme devenu monopoliste. L’exportation des capitaux à la recherche d’un taux de profit maximum, explique l’auteur, conduit à l’émergence d’un comportement « rentier » et parasitaire des propriétaires du capital : Le monopole de la possession de colonies particulièrement vastes, riches ou avantageusement situées, agit dans le même sens. Poursuivons. L’impérialisme est une immense accumulation de capital-argent dans un petit nombre de pays, accumulation qui atteint, comme on l’a vu, 100 à 150 milliards de francs en titres. D’où le développement extraordinaire de la classe ou, plus exactement, de la couche des rentiers, c’est-à-dire des gens qui vivent de la « tonte des coupons », qui sont tout à fait à l’écart de la participation à une entreprise quelconque et dont la profession est l’oisiveté. L’exportation des capitaux, une des bases économiques essentielles de l’impérialisme, accroît encore l’isolement complet de la couche des rentiers par rapport à la production, et donne un cachet de parasitisme à l’ensemble du pays vivant de l’exploitation du travail de quelques pays et colonies d’outre-mer[xiv]. Les délocalisations à répétition en fonction des variations du coût du travail, les fermetures d’entreprises rentables mais ayant un taux de profit jugé non maximum, les pressions des plans d’ajustement structurel (pour alléger le cout du travail, diminuer la place de l’Etat et faire disparaître les obstacles à la circulation des capitaux), etc., qui caractérisent notre contemporanéité, sont une illustration de ce parasitisme désormais généralisé. Ces caractéristiques de la mondialisation capitaliste sont le signe d’un capitalisme centré non plus sur une simple exploitation mais sur une tendance à une surexploitation généralisée. Pour être généralisée cette surexploitation n’en est pas moins inégale entre le centre impérialiste et les périphéries dominées. Dans son analyse du parasitisme de l’impérialisme, Lénine soulignait déjà que les surprofits tirés des colonies donnaient à la classe dominante une marge de manœuvre importante pour acheter la paix sociale par la redistribution de miettes quand le rapport des forces l’impose. C’est ce que rappelle Fidel Castro dans les termes suivants : « Dans un pays du Tiers-monde, l’exploitation a de bien plus terrible connotation que dans un pays capitaliste développé, parce que c’est précisément par peur de la révolution, par peur du socialisme que le capitalisme développé en est arrivé à des schémas de distribution qui, à un certain degré, se débarrassent des grandes famines qui étaient courantes dans les pays européens du temps d’Engels, du temps de Marx[xv]. » Des trois formes de plus-values qu’aborde Marx, seuls deux sont désignées par un nom, à savoir la plus-value absolue pour celle obtenue par allongement de la durée du travail et plus-value relative pour celle issue d’une hausse de la productivité. La troisième est mentionnée à plusieurs reprises mais ne fait pas partie de l’analyse pour la raison évoquée plus haut d’une part. Nous l’appellerons plus-value de surexploitation obtenue par paiement de la force de travail en dessous de sa valeur. La mondialisation capitaliste actuelle tend à la généraliser pour un nombre grandissant de travailleurs dans les pays du centre impérialiste et encore plus intensément pour les travailleurs des périphéries dominées. A la domination de la plus-value absolue des débuts du capitalisme et à celle de la plus-value relative du capitalisme de maturité succède ainsi la plus-value de surexploitation du « capitalisme sénile » pour reprendre l’expression de Samir Amin[xvi]. Le capitalisme semble ainsi achever un cycle et revenir au début de son émergence c’est-à-dire à la période où se réunissaient les conditions de son installation par la destruction barbare des civilisations indigènes des Amériques et l’esclavage, par le travail des enfants et la surexploitation des premiers prolétaires issus de la paysannerie dépossédée. Il semble retrouver une « forme pure », celle d’avant que l’organisation des travailleurs n’impose le passage de la surexploitation à l’exploitation c’est-à-dire n’impose le paiement de la force de travail à sa valeur. La centralité de la politique de la frontière Le capitalisme mondialisé centré sur la plus-value de surexploitation fonctionne sur la base de chaînes de valeur mondiales. Un même produit final peut ainsi être le résultat de l’assemblement d’éléments provenant de plusieurs sites géographiques répartis sur plusieurs continents. Ce qui distingue les productions de la périphérie dominé et du centre impérialiste n’est pas une différence de productivité mais une différence de salaire. A productivité tendanciellement équivalente, la même force de travail sera payée différemment selon qu’elle est employée au centre ou à la périphérie. Les thèses expliquant les écarts salariaux comme résultat du différentiel de productivité sont tout simplement euro-centrique ou occidentalo-centrique c’est-à-dire qu’elles occultent la dimension mondiale des chaînes de valeur des principales industries ou encore qu’elles font disparaître ce qui caractérise essentiellement le capitalisme mondialisé : « le moteur fondamental qui délimite les contours de la mondialisation de la production [est] l’arbitrage mondial du travail[xvii] » résume l’économiste John Smith. C’est à ce niveau qu’intervient la question des frontières et de la politique des frontières. Deux vecteurs existent en effet pour accéder à cette main-d’œuvre sous-payée : faire migrer la production vers la périphérie dominée ou faire migrer la main d’œuvre vers les pays du centre. « Les économies avancées peuvent accéder à la réserve mondiale de main d’œuvre grâce aux importations et à l’immigration[xviii] » résume le Fond Monétaire International. Avant la fameuse « mondialisation » (c’est-à-dire avant la nouvelle phase de la mondialisation qu’inaugure la disparition du monde bipolaire et de ses rapports de forces) c’est l’immigration qui était le vecteur principal et l’externalisation qui était le vecteur secondaire. Depuis c’est l’inverse. C’est en prenant en compte cette inversion que l’on peut saisir la logique de la politique des frontières : 1) Ouverture forcée des frontières pour les marchandises et les capitaux par la FMI, la banque mondiale, l’OMC et les pays du centre dominant à coup de Plans d’ajustement structurel- PAS, d’Accords de Partenariat Economique (les fameux APE de l’Union Européenne), de conditionnalités pour accéder à « l’aide », etc. ; 2) Ouverture des frontières pour les « cerveaux » sous la forme du discours sur « l’immigration choisie » articulé à une imposition de la conditionnalité d’une privatisation des services publics (principal employeur de ces « cerveaux » jusque-là des PAS dans les pays de la périphérie dominée ; 3) Fermeture brutale et militaire des frontières conduisant aux crimes institutionnels de masse de la méditerranée et de la frontière mexicaine légitimée par la légende d’une « crise migratoire » ; 4) Gestion des rescapés de la fermeture des frontières au profit des secteurs économiques ne pouvant pas être délocalisés ou externalisés par la production de « sans-papiers » contraint de vendre leur force de travail en dessous de sa valeur.
xxxxxxxxxx La signification de la nouvelle phase de mondialisation capitaliste enclenchée par la mutation des rapports de forces découlant de la fin du monde bipolaire fait revenir le capitalisme à sa forme « pure » c’est-à-dire celle d’avant les conquis sociaux liés aux luttes sociales et aux luttes de libération (abolition de l’esclavage, lutte de libération nationale, droits sociaux des politiques nationalistes des pays de la périphérique dominée des deux premières décennies des indépendances) qui ont imposées tendanciellement une vente de la force de travail à sa valeur. La mondialisation capitaliste actuelle exprime la domination de la plus-value de surexploitation par le biais d’un arbitrage mondial du travail ou du salaire rendu possible par une politique de la frontière idoine. Le reste n’est qu’une conséquence logique : paupérisation massive au centre comme à la périphérie mais de manière inégale, transformation de la méditerranée et du Mexique en cimetière de masse, création d’une masse de nouveaux « errants » sous la forme des figures du « sans-papier » ou du « réfugié ». C’est ce mouvement d’ensemble qui constitue la base des révoltes massives de l’année 2019. Pour qu’une telle régression soit possible, il fallait l’accompagner d’une offensive idéologique de grande ampleur. Ce fut la fonction de l’idéologie postmoderne que nous aborderons dans notre prochain papier. [i] John Smith, L’impérialisme au XXIème siècle, Editions critiques, Paris, 2019, p. 144. [ii] Fond Monétaire International, World Economic Outlook, avril 2007, p. 162. [iii] Samir Amin, Modernité, religion et démocratie. Critique de l’eurocentrisme, critique des culturalismes, Parangon, Paris, 2008. [iv] Bureau Internationale du Travail, Indicateurs Clés du Marché du Travail, Genève, 2007, chapitre 4. [v] Le terme « Hirak » signifiant littéralement « mouvement » et l’auto-nomination que se sont donnés les mouvements populaires massifs dans plusieurs pays ayant comme une de leur langue l’arabe. [vi] Mike Davis, Le pire des mondes possibles. De l’explosion urbaine au bidonville global, La Découverte, Paris, 2007. [vii] Friedrich Engels (1845), La situation de la classe laborieuse en Angleterre. D’après les observations de l’auteur et des sources authentiques, Éditions sociales, Paris, 1960, [viii] Akhenaten Benjamin, Caglar Ozden, et Sten Vermund, Physician Emigration from Sub-Saharan Africa to the United States, PLOS Medicine, volume 10, n° 12, 2013, p. 16. [ix] Fidel Castro, discours au douzième sommet du mouvement des non-alignés du 2 septembre 1998, http://www.fidelcastro.cu/es/discursos/discurso-pronunciado-en-la-primera-sesion-de-trabajo-de-la-xii-cumbre-del-movimiento-de, consulté le 1er janvier 2020 à 13 h 15. [x] Karl Marx, Le Capital, livre 1, éditions du Progrès/éditions sociale, Paris, 1976, p. 306. [xi] Karl Marx, Le Capital, volume 1, op.cit., p. 258. [xii] Karl Marx et Friedrich Engels, Instructions pour les délégués du Conseil central provisoire de l’AIT sur les différentes questions à débattre au Congrès de Genève (3-8 septembre 1866), in Jacques Freymond, La Première Internationale: Recueil de documents, Volume 1, Droz, Paris, 1962, p. 34. [xiii] Karl Marx, Le Capital, livre 3, éditions du Progrès/éditions sociale, Paris, 1976, p. 253. [xiv] Lénine, L’impérialisme. Stade suprême du capitalisme, Editions sociales, Paris, 1945, p. 89. [xv] Fidel Castro, discours de clôture de la IVème Rencontre Latino-américaine et des Caraïbes du 28 janvier 1994, http://www.fidelcastro.cu/fr/citas/28-janvier-1994-0, consulté le 3 janvier 2020 à 9 h 00. [xvi] Samir Amin, Au-delà du capitalisme sénile, PUF/Actuel Marx, Paris, 2002. [xvii] [xvii] Mike Davis, Le pire des mondes possibles. De l’explosion urbaine au bidonville global, op. cit., p. 264. [xviii] FMI, Perspectives de l’économie mondiale 2007, Washington, p. 180.
Edité le 23-01-2020 à 17:58:37 par Xuan
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| Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 23-01-2020 à 17:54:28
| Mondialisation capitaliste, eurocentrisme et immigration Une prolétarisation du monde qui démasque le pseudo « postmodernisme » [Deuxième partie] Publié le 23 janvier 2020par bouamamas https://bouamamas.wordpress.com/2020/01/23/mondialisation-capitaliste-eurocentrisme-et-immigration-une-proletarisation-du-monde-qui-demasque-le-pseudo-postmodernisme-deuxieme-partie/ La régression sociale que constitue la mondialisation est d’une ampleur inégalée depuis le nazisme. Elle marque une mutation des rapports de force héritée justement de la victoire contre celui-ci. Elle accompagne la disparition des équilibres issus de la seconde guerre mondiale avec son axe bipolaire « est/ouest » mais aussi ses dynamiques de luttes de libération nationale et pour un « nouvel ordre économique international » c’est-à-dire contre le néocolonialisme, d’oppositions aux guerres impérialistes, d’exigences d’un traitement égalitaire pour les composantes surexploitées des classes populaires (jeunes, femmes, immigrés et héritiers de l’immigration, etc.). Une telle régression n’a été possible qu’avec une préparation et un accompagnement idéologique de longue durée visant à perturber les repères théoriques et idéologiques des dominés de la planète. La galaxie des théories dites « postmodernes » fut, selon nous, le véhicule principal de ce combat pour réimposer l’hégémonie culturelle des classes dominantes. L’Eurocentrisme L’offensive idéologique qui accompagne la contre-révolution que constitue, la dite « mondialisation » ne pouvait être efficace qu’en s’appuyant sur des éléments de vérité c’est-à-dire sur des cécités et occultations antérieures au sein même des mouvements de lutte contre l’ordre dominant à l’échelle mondiale. Dénoncer ces occultations pour, non pas les faire disparaître dans le cadre d’une analyse plus large prenant en compte la dynamique mondiale du capital, mais pour parcelliser l’analyse de la réalité et les luttes qui en découle, fut la méthode principale mise en œuvre. Parcellisation de l’analyse et des luttes constituent ainsi le tronc commun et le point d’aboutissement partagé de toute la galaxie postmoderne. Parmi les cécités et occultations ayant servi de base d’offensive à cette lutte idéologique se trouve l’eurocentrisme c’est-à-dire une lecture de l’histoire confondant l’universalisme tronqué du capitalisme né en Europe et universalisme réel. Dans le passé cela a conduit pêle-mêle à l’idée d’une colonisation humanitaire pouvant s’opposer à la colonisation barbare du capitalisme, à la thèse de la mission civilisatrice de « gauche » encore vivace dans le discours de nombreuse ONG « d’aide au développement », à celle de « l’intégration » des immigrés c’est-à-dire à une lecture de leurs conditions d’existence référée à leurs caractéristiques culturelles et non à leurs conditions matérielles d’existence et les inégalités qui les caractérisent, à la justification contemporaine ou à l’inaction face aux guerres impérialistes au prétexte de lutte contre la barbarie ou contre un « tyran » dans un pays du sud de la planète, etc. Au cœur de l’erreur euro-centrique se trouve, selon nous, la non prise en compte ou la sous-estimation du caractère mondial du capitalisme et ce dès ses premiers pas. Ce mode de production né en Europe a comme caractéristique nous rappelle Aimé Césaire d’être « une forme de civilisation qui […] se constate obligée, de façon interne, d’étendre à l’échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes» . Immanuel Wallerstein utilise lui la métaphore du cancer soulignant le développement exponentiel par métastases, sans autres limites que la mort, qui spécifie le capitalisme[ii]. La mondialisation capitaliste est une tendance existant dès le début du capitalisme du fait de la concurrence entre capitaux à des fins de maximisation du profit. La destruction des civilisations amérindiennes, l’esclavage, la colonisation, le néocolonialisme et la mondialisation actuelle, ne sont que des formes successives de cette logique d’expansion imposées par les mutations du rapport des forces. Dès l’aube du capitalisme celui-ci polarise le monde en un centre dominant et des périphéries dominées faisant de la pauvreté à un pôle la condition de l’amélioration des conditions d’existence à un autre, du sous-développement ou plus exactement du mal-développement des périphéries la condition du « développement » du centre, de la guerre dans les pays du Sud la condition de la paix dans les pays du Nord, etc. « La polarisation est une constante depuis l’origine du capitalisme. Mais dire que c’est une constante n’est pas dire qu’elle a vêtu une forme inchangée. Elle est passée par des étapes avec des formes adaptées au développement du capitalisme et au résistances des peuples à ses effets » résume Samir Amin[iii]. La polarisation en classes à l’intérieur de chaque pays et la polarisation à l’échelle mondiale reflète ainsi une même constante et une même logique du système capitaliste. La sous-estimation euro-centrique de cette polarisation mondiale a conduit la « gauche » dans les pays du Nord à une sous-estimation de l’impérialisme (et en conséquence de l’internationalisme comme nécessité incontournable) issu du fonctionnement cancéreux du capitalisme. Il a fallu ainsi attendre qu’un pays européen (la Grèce) soit touché par les mécanismes de la dette impérialiste pour que ce thème et ce combat se diffuse alors que la dette et les plans d’ajustement structurel qui l’ont accompagnés avaient déjà depuis plusieurs décennies ravagés la quasi-totalité des pays de la périphérie dominée. Il a fallu également attendre que le capitalisme prenne la forme contemporaine de la « délocalisation » des entreprises vers la périphérie pour que l’on entende parler de «mondialisation » alors que celle-ci plongeait déjà depuis des décennies les pays périphériques dans la misère. La même sous-estimation conduit aujourd’hui aux thèses postmodernistes du remplacement de l’impérialisme par « l’empire ». Cet « empire » qui remplacerait l’impérialisme serait caractérisé par la prédominance du « travail immatériel » sur le « travail industriel » qui serait elle-même le signe du passage de la société industrielle à la société postindustrielle : «« Dans la dernière décennie du XXe siècle, écrit Antonio Negri, le travail industriel a perdu son hégémonie, et c’est le “travail immatériel” qui a émergé à sa place, c’est-à-dire un travail qui crée des produits immatériels : le savoir, l’information, la communication, les relations linguistiques ou émotives. [iv] » Cette approche limite son regard aux pays dominants du centre et occulte l’existence d’une division internationale du travail concentrant la production industrielle dans les pays de la périphérie. Elargissons le regard à l’échelle planétaire et le tableau d’ensemble se transforme pour faire apparaître une prolétarisation du monde et un travail industriel largement dominant. La thèse postmoderne de l’Empire porte une négation des relations inégalitaires entre le centre dominant et les périphéries dominées. Celles-ci seraient remplacées par une réalité mondiale unique : Dans l’actuelle phase impériale, il n’y a plus d’impérialisme – ou, quand il subsiste, c’est un phénomène de transition vers une circulation des valeurs et des pouvoirs à l’échelle de l’Empire. De même, il n’y a plus d’État-nation : lui échappent les trois caractéristiques substantielles de la souveraineté – militaire, politique, culturelle –, absorbées ou remplacées par les pouvoirs centraux de l’Empire. La subordination des anciens pays coloniaux aux États-nations impérialistes, de même que la hiérarchie impérialiste des continents et des nations disparaissent ou dépérissent ainsi : tout se réorganise en fonction du nouvel horizon unitaire de l’Empire. La subordination des anciens pays coloniaux aux Etats-nations impérialistes, de même que la hiérarchie impérialiste des continents et des nations disparaissent ou dépérissent ainsi : tout se réorganise en fonction du nouvel horizon unitaire de l’Empire.[v]. Une telle analyse fait disparaître les notions de « classes » et de « nations » qui céderaient la place à un nouveau « sujet historique » appelé « multitude » qui serait devenue la « classe globale » remplaçant la « classe ouvrière » qui serait le propre de la phase antérieure du capitalisme, la société industrielle. Cette « multitude » définie comme « la totalité des individus qui travaillent et produisent sous la loi du capital[vi] » se caractérise pour ces deux auteurs par la diversité extrême en opposition avec les concepts de « classe » et/ou de « peuple » postulant une certaine homogénéité. Comme le fait remarquer Samir Amin une telle lecture n’est qu’un retour à l’individu de l’idéologie libérale : « son fondement est que les nations sont en voie de disparition, et à leur place, l’individu est devenue l’agent actif dans l’histoire. Ça c’est une vision idéaliste qui ne correspond à rien. C’est l’idéologie libérale tout simplement, qui a cours aujourd’hui[vii]. » Ce qui disparaît au passage en effet n’est rien que moins que l’idée de classe sociale d’une part et celle de « nation dominée » d’autre part. Cette « disparition » entraîne logiquement avec elle la lutte des classes et la lutte anti-impérialiste d’autre part. A la place il ne reste que la lutte de multiples groupes sociaux juxtaposés sans aucune articulation avec un même système de domination, celui du capitalisme mondialisé. La segmentation généralisée du prolétariat mondialisé La galaxie des théories postmoderne a réussi à s’imposer en s’appuyant sur des cécités et occultations antérieures des forces de « gauche ». Elle met ainsi en avant la diversité et la hiérarchisation des situations d’exploitations et/ou de domination et leur occultation par une grande partie des forces de « gauche ». La critique est pertinente mais la conclusion tirée est erronée. La mise en concurrence des forces de travail a toujours été une constante du capitalisme dès sa naissance. Elle utilise pour ce faire tous les facteurs possibles et imaginables : le sexe, l’origine, l’âge, etc. Racisme, sexisme et âgisme sont de ce fait, non des tares morales mais des modes de gestion de la force de travail. Il en découle une segmentation du travail et des statuts et une stratification des exploités. L’approche essentialiste de la classe sociale ou du capitalisme a largement freinée la prise en compte des dominés parmi les dominés. Il n’y a jamais eu de classe ouvrière ou de capitalisme homogène. La première a toujours été constituée de plusieurs niveaux d’exploitation (discriminations sexistes, racistes ou âgistes) et le second a toujours juxtaposé certaines formes d’exploitation au centre dominant et d’autres dans les périphéries dominées (esclavagisme, engagisme, différentiel de droit du travail et de conditions d’existence entre le centre et la périphérie). La nouvelle phase de mondialisation capitaliste actuelle n’apporte rien de nouveau sur le fond. Elle ne fait que pousser à l’extrême la logique de mise en concurrence des forces de travail et avec elle la segmentation des travailleurs (Entre les pays du centre et les pays de la périphérie, entre les pays de la périphérie, au sein des pays du centre, etc.). La mondialisation capitaliste est une séquence historique de généralisation de la segmentation. Elle suscite logiquement une série de conséquences pouvant donner l’apparence d’une juxtaposition de situations d’exploitation sans lien systémique. Pour ne prendre que l’exemple de la situation française, la même logique de segmentation généralisée des travailleurs conduit au volant permanent de travailleurs sans-droit que constituent les « sans-papiers », à l’exacerbation des discriminations racistes qui assignent les immigrés et leurs enfants français à certains segments du marché du travail, à une multiplication des statuts pour l’ensemble des travailleurs, etc. Loin de constituer une « multitude » ces différentes catégories sont toutes le résultat de la concurrence exacerbée entre travailleurs qui caractérise notre séquence historique. La conséquence des approches postmodernistes est l’abandon de la lutte pour l’unification des dominés c’est-à-dire de la prise de conscience d’être en opposition avec un même système d’exploitation stratifiant pour mieux exploiter, hiérarchisant pour mieux se reproduire et s’étendre. L’unité d’exploitation n’a jamais signifié son unicité. Si dans le passé et encore aujourd’hui l’aspect unitaire est fallacieusement utilisé pour masquer et/ou sous-estimer et/ou euphémiser la surexploitation spécifiques de certains segments, la galaxie postmoderne inverse simplement la logique (qui reste de ce fait tout aussi fallacieuse) en affirmant l’absence d’aspect unitaire au prétexte de la diversité des situations d’exploitations. En lieu et place du combat pour faire reculer le chauvinisme, le racisme, le sexisme, etc., il est proposé à chacun des groupes sociaux concernés de se percevoir (et de percevoir l’oppression spécifique qui est la sienne) comme spécifiques par essence et non plus par construction historique et politique. Ce qui disparaît au passage c’est la dimension, systémique du capitalisme qui est à dimension commune à tous les segments du prolétariat mondialisé. Ce faisant c’est une des tâches essentielles posées à nos luttes qui est évacuée, celle que Samir Amin résume comme suit : « comment articuler les luttes segmentaires dans une stratégie de combat ample et généralisé ?[viii] » La réponse à cette question ne peut pas être la négation des luttes segmentaires, de leur importance et de leur légitimité. De même qu’il était complétement farfelue d’appeler les esclaves à s’insurger contre le capitalisme sans prendre en charge concrètement le combat pour l’abolition, il est complétement hallucinant d’exiger des victimes de la discrimination racistes ou sexistes d’occulter leurs oppressions spécifiques au prétexte de la lutte contre le capitalisme. L’unification des victimes d’un même système d’exploitation passe inévitablement, non par l’occultation des oppressions spécifiques, mais au contraire par la lutte contre elles. Il ne s’agit pas ici d’appeler à une « solidarité » extérieure mais à la conscience de l’existence d’un même système d’exploitation et de domination. Marx posait ainsi comme suit la question : « Dans les États-Unis du nord de l’Amérique, toute velléité d’indépendance de la part des ouvriers est restée paralysée aussi longtemps que l’esclavage souillait une partie du sol de la République. Le travail sous peau blanche ne peut s’émanciper là où le travail sous peau noire est stigmatisé et flétri[ix]. » Dans un autre texte Karl Marx souligne les effets concrets de la négation des oppressions spécifiques ou de leur renvoie à un statut secondaire et négligeable : « Chaque centre industriel et commercial d’Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles : les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. L’ouvrier anglais moyen déteste l’ouvrier irlandais en qu’il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l’ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l’Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les travailleurs irlandais. Il se comporte à peu près comme les Blancs pauvres vis-à-vis des Nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L’Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans l’ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument stupide de la domination anglaise en Irlande[x] ». Il en est de même sur le plan international. Les carences d’internationalisme ne favorise pas la lutte des classes nationales mais l’affaiblisse. L’oppression et l’exploitation impérialiste des périphéries dominées renforce la force du capitalisme et rend plus difficile son renversement. Ici aussi, il ne s’agit pas d’une solidarité morale extérieure mais d’une prise de conscience systémique. Voici comment Marx pose la question de l’intérêt pour la classe ouvrière anglaise de l’indépendance de l’Irlande en reconnaissant au passage ses erreurs d’analyses antérieures : « Pendant longtemps, j’ai cru qu’il était possible de renverser le régime irlandais grâce à la montée de la classe ouvrière anglaise. J’ai toujours défendu ce point de vue dans le New York Tribune. Or une analyse plus approfondies m’a convaincu du contraire. La classe ouvrière anglaise ne fera tant qu’elle ne se sera pas défaite de l’Irlande. C’est en Irlande qu’il faut placer le levier. Voilà pourquoi la question irlandaise est si importante pour le mouvement social en général[xi]. » Il en est de même aujourd’hui sur la question de l’indépendance des dits « DOM », du Franc CFA ou de la présence militaire française en Afrique. A la prolétarisation du monde correspond donc la nécessité de rompre avec le fatras de théorisations postmodernistes qui obscurcissent l’intelligence des enjeux de notre séquence historique et des luttes qu’elle exige. [i] Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Présence Africaine, Paris, 2004, p. 9. [ii] Immanuel Wallerstein, L’occident, le capitalisme et le système-monde moderne, Sociologie et sociétés, volume 22, n° 1, printemps 1990, pp. 15-52. [iii] Demba Moussa Dembelé, Samir Amin, Intellectuel organique au service de l’émancipation du Sud (entretien avec Samir Amin), CODESRIA, Dakar, 2011, p. 39. [iv] Toni Negri, Traversées de l’Empire, L’Herne, Paris, 2011, p. 53. [v] Toni Negri, L’ « Empire stade suprême de l’impérialisme, Le Monde Diplomatique, janvier 2001, p. 3. [vi] Michael Hardt et Toni Negri, Multitude. Guerre et Démocratie à l’âge de l’Empire, La Découverte, Paris, 2004, p. 133. [vii] Demba Moussa Dembelé, Samir Amin, Intellectuel organique au service de l’émancipation du Sud (entretien avec Samir Amin), op. cit., p. 36. [viii] Samir Amin, Au sujet des thèses de Michael Hardt et d’Antonio Negri. Multitude ou prolétarisation ?, http://www.medelu.org/Au-sujet-des-theses-de-Michael, consulté le 23 janvier 2020 à 11 h 30 [ix] Karl Marx, Le Capital, livre 1, éditions du Progrès/éditions sociale, Paris, 1976, p. 292. [x] Karl Marx, lettre à Siegfried Mayer et August Vogt du 9 avril 1870, in Marx-Engels, Correspondance, tome X, éditions sociales, Paris, 1984, p. 345. [xi] Karl Marx, lettre à Friedrich Engels du 10 décembre 1869, Correspondance, tome X, éditions sociales, Paris, 1984, pp. 232-233.
Edité le 23-01-2020 à 17:57:45 par Xuan
-------------------- contrairement à une opinion répandue, le soleil brille aussi la nuit |
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