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 18 mars !

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Xuan
Grand classique (ou très bavard)
18356 messages postés
   Posté le 18-03-2014 à 20:14:26   Voir le profil de Xuan (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Xuan   

18 mars !


Ça s’arrose !

Ci-dessous ce petit extrait du « cri du peuple » de Tardi – Vautrain.
A quelques jours près l’élection de la Commune de Paris, organe législatif et exécutif à la fois, expression et bras armé de la volonté populaire et prolétarienne en particulier, met en relief la déconfiture de la démocratie bourgeoise, ses piteuses transactions électorales et ses inévitables malversations, son asservissement au Capital et à nos exploiteurs.

L’histoire nous rappelle à cette occasion qu’il n’y a pas davantage de
"partage des richesses" entre les opprimés et leurs oppresseurs que de partage du pré entre les moutons et les loups .


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Jean Vautrin - Le cri du peuple - Le grand bivouac de la révolution




Cependant, à Paris, il s'en était passé de belles.
Bannis les politiciens à faux nez ! Emportés les fantômes des tyrans ou des pleutres ! Le temps des saignées, de la lancette et des tisanes bourgeoises avait fait long feu !
Le 26 mars, le peuple avait voté.

Les Parisiens, acteurs du triomphe de leurs idées, avaient exprimé dans les urnes leur volonté d'un changement inondé de lumière. La Commune était bien là désormais! Elle aurait les couleurs de la liberté, elle s'épanouirait dans le respect des plus démunis. Elle s'exprimerait enfin par la bouche de la classe ouvrière qui devenait adulte. Et, puisque tout était à réapprendre, elle sécréterait un nouveau citoyen. Un résistant. Un juge. Un partenaire. Un acteur de sa propre force.

Bienvenue donc aux élus dans la maison silencieuse et grave du peuple souverain !

Composée d'un tiers d'ouvriers, la nouvelle assemblée a trente-huit ans de moyenne d'âge. Raoul Rigault en est le benjamin, il a vingt-cinq ans. A soixante-seize ans, Beslay - déjà député sous la monarchie de Juillet - en est le doyen.

Ces élus ne sont pas constitués en partis. Même s'ils se reconnaissent, - unis dans un même élan à vouloir réformer la société - blanquistes, jacobins, romantiques, indépendants, socialistes ou représentants de l'Internationale ne parlent pas forcément d'une même voix. Qu'importe ! Et qu'importe également que l'éventail de leurs convictions, la diversité de leurs dogmes, la finalité de leur engagement soient souvent mouvants, voire contradictoires. Pour l'heure qui est solennelle et qui tourne à la fête pourpre, au vermillon fraternel, au dépassement de soi-même, l'essentiel est que dans un trémolo de colère commune la fièvre des énergies a hissé ces représentants du peuple à la hauteur de leurs aspirations.
Oubliées donc, les disparités ! Chacun met de côté ses rancunes et ses haines, ses fièvres de revanche et ses ambitions d'aventurier du pouvoir.

L'installation de la Commune du 26 mars n'est pas conforme à l'idée cérémonieuse et amidonnée des fastes de nouveau régime. Elle est gueuse. Elle est crâne. Elle est spontanée. Elle est piquante comme un rire heureux. Elle n'est pas coiffée. Elle n'a pas trop de redingote. Pas de raie au milieu. Elle ne commande pas à une réunion de beaux messieurs cravatés de blanc. C'est un troupeau d'inconnus lâchés dans les rues. C'est un bouillon rouge. Elle est le rassemblement des malheureux, des bannis de la spéculation, des exploités de fabriques, des habitants des faubourgs et de la grande réserve des pauvres. L'ombre des modalités du devenir de cette foule en marche cède le pas à la fraternité du moment.
Comment d'ailleurs ne pas s'enthousiasmer à la vue d'un peuple aux cent mille têtes qui coule et houle dans les rues en direction de l'Hôtel de Ville comme le sang remonte au cœur? Comment ne pas s'émerveiller de voir se retrouver côte à côte les tourneurs de la Bièvre, les dockers du quai d'Ivry, les étudiants de la Huchette, les rebutés des impasses de misère, les penaillés de la Brèche-aux-Loups, les ébénistes de Picpus et tous ces gens du Petit Charonne stupéfaits de se compter si nombreux? Ah, le grand vertige! Et comme l'Histoire est puissante qui conduit les citoyens vers de nouveaux soleils à l'heure où ils allaient dormir de découragement !

Le mardi 28 mars 1871, la pluie et la neige ont disparu comme par enchantement. Le ciel bénit les communards. Il est bleu comme une affiche de printemps.

En début d'après-midi, aussi paisible qu'un troupeau de broutards, une nuée espacée et laineuse fait son chemin à petit vent sur fond de pâturage azuréen. Ces gros nuages blancs flottent, musardent et bourgeonnent au-dessus de la foule en liesse. Les cuivres des musiciens rutilent. Les gens s'interpellent joyeusement. Les cliques sonnent à s'en percer les joues. Les tambours battent à s'en crever la peau. La grande kermesse du petit Thermidor peut commencer !

Ce matin de bonne heure, ceux de Montmartre, ceux de la rue de Lévisse, ceux qui ont voté pour Ferré, pour Theisz, pour Vermorel ou pour Dereure se sont mobilisés pour marcher vers le centre de Paris. Ils ont rejoint par groupes et affinités ceux qui ont voté pour l'ouvrier Hubert, pour le chaudronnier Chardon, pour les métallurgistes Duval, Assi, Avrial, Chalain et Langevin, pour les cordonniers Serraillier, Trinquet et Léopold Clément, pour Eudes, le correcteur, pour les relieurs Varlin et Adolphe Clémence, pour le menuisier Pindy ou le chapelier Amouroux.

— Une fois de plus, le sang des ancêtres est en nous ! s'est écriée Jeanne Couerbe, l'amie de Louise Michel, en s'adressant aux occupants de son immeuble. En cette circonstance, il sourd à notre cœur !
Ceux de la rue de Lévisse ont répondu :
— Femme a raison !
Ils ont crié :
— Jeanne a raison !
Jeanne du 7 de la rue Lévisse - autant dire toutes les femmes !

Elles.
Elles, prêtes à se battre jusqu'à la dernière goutte de leur sang. Elles, en quête d'éternelle justice. Elles - dont c'est aussi la fête, ce jourd'hui.
Femmes citoyennes. Femmes du Faubourg et de la Halle. Femmes des manufactures et des quartiers de misère de l'Est parisien. Femmes barricadières. Femmes de gardes nationaux à soixante-quinze centimes de subside par jour. Ambulancières, cantinières, employées des fourneaux et des hôpitaux, amazones rouges. Femmes en cheveux, en camisole à pois, en robes grises à volants noirs. Femmes nombreuses, femmes à châles, les cheveux relevés sur les tempes, un chignon aplati sur la nuque, femmes au cou blanc où pend une croix de chrysocale. Femmes guerrières - à tambour, à pistolets. Soldats en jupons, un petit chapeau sur les yeux, - mutines, zézayeuses, en écharpes rouges, la voix enfantine - femmes furies nues sous le caraco, jurant comme des chattes de gouttière, courant à la barricade, saoules de rhum et prêtes à mourir pour l'émeute.
Femme a raison !

Le sang court! Le sang ne fait qu'un tour. Quel beau coup de gueule, ce fameux cri du peuple ! Une immense rumeur rythme les poitrines.
— Vive la Commune ! Vive la Sociale !
Jeanne a pris la tête du cortège des gens du XVIIIe.
Elle a fabriqué un bonnet phrygien pour elle-même. Elle a enfilé un manteau rouge. Autour d'elles, les gardes nationaux piquent leurs képis au bout de leurs longues baïonnettes et les agitent au-dessus des tètes.

Jeanne se retourne sur ceux qui la suivent :
— Gueulez plus fort, tas d'animaux ! Il faut qu'ils nous entendent jusqu'à Versailles !
Ils sont tous là, ils lui répondent. Ils s'éraillent.
Ah ! ça ira, ça ira ça ira,
Les aristocrates à la lanterne...


Ils sont là.

Fil-de-Fer avec sa rangée de dents en moins depuis le fameux coup de pied de Tarpagnan, Œil-dé-Velours qui a retourné sa bosse et qui est gagné à la cause. Abel Rochon, le va-de-la-gueule, le peintre en bâtiment, main dans la main avec sa jolie marmite, Adélaïde Fontieu, qui pour l'occasion a piqué une cocarde dans ses cheveux.
Ils scandent, ils gueulent, ils lampionnent, ils revivent.

Ils sont là.

Et les filles de la rue Girardon, les pensionnaires des Abbesses qui défilent derrière eux ont des fraîcheurs de joues. Elles sont pimpantes au milieu des jolis marins en col bleu, au chapeau de cuir verni qu'elles décoiffent avec une hardiesse rieuse. Elles laissent percer des cris de sauvageonnes en liberté. Elles se tiennent par le bras, elles naviguent, elles se bouchent les oreilles en passant devant les cuivres qui couaquent, les hélicons qui barrissent.
Et puis, elles sont là aussi, plus douces, plus rangées, Léonce et sa fille Marion qui suivent les délurées. Et Marceau. Et Ferrier et Voutard. Et Blanche aux seins plus émouvants que des collines du matin, Blanche, on s'en souvient, qui travaille avec Jeanne Couerbe à l'atelier de couture.

A tout moment, la Marseillaise éclate.
Tout de même, quel pouvoir sur les êtres cet hymne vengeur repris en chœur par des milliers de voix résolues ! Quel génial ressort de l'homme acculé à la misère, de l'homme humilié, catégorie, fêlé jusqu’à l'ossaille, cette faculté qu'il a de se redresser ! De reconquérir les rues d'une voix universelle à l'heure où il allait dormir de découragement !

Ils sont tous là, deux cent mille au moins, au pied de l'estrade où le Comité central vient de remettre ses pouvoirs à l'assemblée élue.

Du fond de leurs gorges jaillit une clameur unique, tendre et forte, ils crient :

— Vive la Commune !

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contrairement à une opinion répandue, le soleil brille aussi la nuit
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