| | | | | Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 28-12-2017 à 23:59:41
| Un article du blog histoire et société qui nous concerne aussi dans la mesure où l'impérialisme français est aussi une prison des peuples . On notera que l'article oppose Lénine et Staline sur certains points. Cause commune : Lénine décolonial Par Matthieu Renault 28 DÉC histoire et société PHILOSOPHIQUESHISTOIREN°02 Voici une excellente réponse aux insuffisances manifestes (avoir interdit la représentation de la révolution d’octobre par exemple) du film intéressant par ailleurs de Raoul Peck sur le jeune Marx et les insuffisance encore plus manifestes de Pierre laurent et de l’Humanité sur « ce qui reste de la Révolution d’octobre ». je dois dire que le pCF et l’humanité auraient du éviter cette nouvelle preuve du fait qu’ils ne savent plus où ils habitent et qu’il est temps que le Congrès remette les pendules à l’heure et ouvre un véritable débat. Cause commune apporte souvent des éléments de réflexion. (note de Danielle Bleitrach) L’expérience de la révolution soviétique et les écrits de Lénine lui-même permettent de réexaminer sous un jour nouveau la question toujours plus pressante au sein des sociétés contemporaines de l’émancipation des minorités (nationales, « raciales », religieuses). 1917-2017, un siècle déjà depuis la révolution d’Octobre que certains voudraient enterrer pour de bon, mais dont les dilemmes constitutifs s’évertuent à ressurgir sous des formes renouvelées : structure des organisations, composition et alliances de classes, dialectique de l’horizontalité et de la verticalité, prise de pouvoir et rapport à l’État, autant de « vieilles » questions qui continuent de traverser, ou de hanter, ce qu’il est convenu d’appeler la gauche radicale, ne cessant de démontrer l’actualité de la révolution russe, que celle-ci fasse office de modèle ou de repoussoir ; des débats sur lesquels, qu’on le veuille ou non, continue de planer le spectre de Lénine. Mais l’héritage de 1917 ne se limite pas à ces problèmes « traditionnels » au sein des mouvements révolutionnaires. De manière plus inattendue, l’expérience de la révolution soviétique, et les écrits de Lénine lui-même, permettent de réexaminer sous un jour nouveau la question toujours plus pressante au sein des sociétés contemporaines de l’émancipation des minorités (nationales, « raciales », religieuses) dont il n’est plus possible d’ignorer vertement les formes de mobilisation et d’organisation autonomes, encore moins de les rejeter sous prétexte de « séparatisme » et d’« identitarisme ». L’autodétermination nationale Cette affirmation paraîtra à première vue péremptoire. Certes, on n’ignore généralement pas que les bolcheviks, sous l’impulsion de Lénine, s’étaient fait les défenseurs de l’autodétermination nationale et en étaient venus à concevoir les luttes de libération en contexte colonial et semicolonial comme partie intégrante de la « révolution mondiale » en cours, ainsi qu’en témoigne mieux que tout autre exemple le célèbre Congrès des peuples de l’Orient qui se tint à Bakou en 1920. Mais de là à dire qu’on pourrait tirer de la politique révolutionnaire soviétique à l’égard de l’ « Orient » des enseignements pour « nos » sociétés postcoloniales contemporaines, il y a un pas que la plupart se refuseront à franchir. La raison en est qu’on pense, ou présuppose souvent que la question nationale-coloniale relevait exclusivement pour les révolutionnaires russes de la « politique extérieure ». On a tendance à oublier que ce dont héritèrent bon gré mal gré les bolcheviks en 1917 ne fut pas seulement un État, mais aussi un immense empire, fût-ce un empire subalterne subissant lui-même l’hégémonie occidentale et en pleine décomposition, et que Lénine, reprenant une expression courante, se plaisait à qualifier de « prison des peuples » ; un empire qui, à la veille de 1917, ne comptait pas moins de 16 millions de musulmans (10 % environ de sa population totale) et des colonies au sens propre du terme, comme le Turkestan (Asie centrale) conquis dans la deuxième moitié du XIXe siècle et qu’il arriva à Lénine lui encore de dépeindre comme une « Algérie russe ». Il est temps de reconnaître que la révolution russe fut également, et d’emblée, une révolution impériale, marquée par une irréductible multiplicité de mouvements d’émancipation nationale aux marges occidentales et méridionales de la Russie comme dans son Orient intérieur ; autant de luttes à la fois indépendantes et connectées au grand soulèvement prolétarien « au centre ». Le défi de l’exportation de la révolution en Orient n’exigea pas seulement de la part des bolcheviks des prises de position théoriques et stratégiques, auxquelles les analyses marxistes se limitent trop souvent, mais également une pratique de la décolonisation aux conséquences irréversibles. Les risques de la colonisation socialiste de l’Orient La première authentique expérience en matière d’émancipation nationale fut celle de la formation début 1919 de la République socialiste soviétique autonome du Bachkortostan à majorité musulmane, appuyée par Lénine et Staline, en dépit de la vigoureuse opposition des « internationalistes », Boukharine et Piatakov en tête. Force est néanmoins de reconnaître que ce désir sincère d’œuvrer à l’émancipation des « nations opprimées » de l’(ex-)empire en décentrant la révolution, se heurta immédiatement à une autre exigence : celle de la propagation ou de la simple préservation d’un pouvoir soviétique assailli de toutes parts par les forces impérialistes, tout particulièrement aux frontières de la Russie. D’où le recours à une puissante centralisation dans les affaires militaires et politiques comme dans la production, au risque de reproduire les rapports entre centre (industriel) et périphérie (agricole), caractéristiques du colonialisme, comme ce fut le cas au Turkestan au lendemain de la guerre civile avec la reprise de la monoculture du coton et la relégation des communistes nationaux-musulmans à un rôle subalterne. On peut identifier les racines d’une telle ambivalence dans les écrits de Lénine antérieurs à 1917 où l’impératif d’autodétermination avait coexisté avec un schème de la colonisation intérieure invisibilisant les « indigènes » pour rendre compte de l’irrésistible expansion géographique-territoriale du capitalisme en Russie comme condition de son futur renversement. Le danger était donc que la politique soviétique « à l’est » s’identifie à ce qui était parfois appelé, en étant même souhaité par certains, la « colonisation socialiste de l’Orient ». « On a tendance à oublier que ce dont héritèrent bon gré mal gré les bolcheviks en 1917 ne fut pas seulement un État, mais aussi un immense empire […] que Lénine, reprenant une expression courante, se plaisait à qualifier de “prison des peuples”. » Il semble cependant que Lénine ait eu conscience des funestes conséquences que risquait d’avoir une telle contradiction, sa propre contradiction, sur le processus de décolonisation de l’Empire russe. C’est pourquoi, il ne cessa d’en appeler les bolcheviks à faire preuve de la plus grande prudence dans leurs relations avec les minorités des périphéries orientales, en se gardant d’offenser leurs sentiments nationaux et religieux et de précipiter le processus de différenciation de classe au sein de la population musulmane. Il n’avait pas oublié l’avertissement d’Engels qui, en 1882, écrivait à Kautsky que « le prolétariat victorieux ne saurait imposer un bonheur quelconque à aucun peuple étranger sans compromettre par là sa propre victoire » . Gagner la confiance des autochtones impliquait de mener une lutte féroce contre le chauvinisme grand-russe (ou « chauvinisme de grande-puissance »), c’est-à-dire contre la mentalité coloniale continuant de sévir chez bien des émissaires du pouvoir soviétique dans les périphéries. De cette politique de la prudence, les vastes campagnes staliniennes de dévoilement des femmes musulmanes en Asie centrale, initiées en 1927 et baptisées du nom de hujum , littéralement « l’attaque », furent la pure et simple négation. Traduire dans la langue de chaque peuple le type soviétique Lénine savait en outre que l’exportation de la révolution russe en Orient ne pouvait se réduire à en être la transposition à l’identique, la « copie ». Un patient travail d’adaptation « de la théorie et de la pratique générales du communisme » à des « conditions spécifiques inexistantes en Europe » était indispensable : l’enjeu n’était rien moins que de « traduire dans la langue de chaque peuple » le « type soviétique » tel qu’il s’était incarné pour la première fois en Russie. Cette impérieuse tâche de traduction, articulant universalisme et particularisme au lieu de les opposer, seuls, selon Lénine, les communistes d’Orient eux-mêmes, en tant que sujets de leur propre émancipation, pouvaient la réaliser, fût-ce avec l’aide des communistes européens. C’est ce principe qui guida la formulation des thèses sur la question nationale et coloniale adoptées au IIe Congrès de l’Internationale communiste (1920), qui encourageaient l’établissement immédiat de soviets paysans dans les pays coloniaux et semi-coloniaux où la pénétration du capitalisme était encore faible et la classe ouvrière quasi inexistante. Ce mot d’ordre trouvait sa justification dans la thèse inédite de la possibilité d’un « saut » vers le communisme par-delà le capitalisme, une idée qui venait ruiner les présupposés étapistes-évolutionnistes de la IIe Internationale auxquels Lénine était resté fidèle jusqu’à la Première Guerre mondiale et dont la révolution d’Octobre, en pays arriéré, avait sapé les fondements. Lénine ouvrait ainsi la voie à une conception multilinéaire de l’histoire et polycentrée des luttes d’émancipation qui, si elle ne signifia jamais pour lui rupture avec l’Occident, n’en constituait pas moins déjà une critique radicale de l’eurocentrisme qui avait grevé la théorie et le mouvement révolutionnaires après Marx… Mais cette voie ne tarda pas à être refermée par le « développementalisme » stalinien. Au lieu de s’évertuer à critiquer le prétendu relativisme-culturalisme des théories postcoloniales et décoloniales, les marxistes feraient bien mieux aujourd’hui de rechercher dans leur propre tradition les ressources nécessaires à une décolonisation de la gauche qui est loin d’être achevée. Nul doute que dans cette généalogie décentrée du marxisme, le « Lénine décolonial », dont nous n’avons fait ici qu’esquisser à gros traits le portrait, occuperait une place de premier plan. l Matthieu Renault est philosophe. Il est maître de conférences en philosophie à l’université Paris-8 Vincennes-Saint-Denis. Pour aller plus loin : Matthieu Renault, L’Empire de la révolution. Lénine et les musulmans de Russie, Éditions Syllepse, 2017.
-------------------- contrairement à une opinion répandue, le soleil brille aussi la nuit |
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