supernova | "rêver, mais sérieusement" | Jeune Communiste | 53 messages postés |
| Posté le 25-02-2025 à 11:59:12
| L'islam politique entre résistance et conformisme La religion est trop souvent considérée par la gauche comme une affaire du « passé », « réactionnaire » ou « ethnique », ou encore comme un élément secondaire. En réalité, les religions ont toujours traversé le mouvement d'émancipation des masses populaires. Le catholicisme a produit sur des continents, comme par exemple, en Amérique latine des courants tels la « théologie de la libération ». Ce courant a influencé une partie des expériences de guérilla marxiste-léniniste dans les années 1960-70 et radicalisé les composantes ouvrières chrétiennes en Europe. On retrouve la même dynamique dans l'Islam. Dans cet article, nous nous concentrerons sur le rôle politique que l'islam politique a pu jouer et joue actuellement et ce en soulignant ses principales contradictions. Il y a environ un milliard et demi de musulmans dans le monde, dont plus de 85% sont sunnites, l'autre partie est chiite. À partir de ces deux grands courants, une série de sous-courants, jugés hérétiques, se sont développés, comme les alaouites, répandus principalement en Syrie, en Turquie et au Liban, d'obédience chiite. Ces deux grands courants partagent de nombreux fondements religieux : le credo, les cinq piliers de l'islam, les obligations fondamentales que tout croyant, selon la charia (loi religieuse), est tenu d'observer : les témoignages de foi, les prières rituelles, l'aumône, le jeûne pendant le mois de Ramadan et le pèlerinage à la ville sainte de La Mecque au moins une fois dans sa vie, pour ceux qui sont en mesure de l'entreprendre. Les sunnites et les chiites s'accordent sur l'unicité de Dieu et sur le fait que Mahomet, qui a vécu entre 570 et 632 après J.-C., est son prophète. Il a été l'initiateur politique de la renaissance et de l'expansion des peuples arabes qui les a conduits, notamment sous la conduite des califes qui lui ont succédé, à construire un empire s'étendant de l'Espagne aux confins de l'Inde. L'idéologie qui accompagne ce mouvement politique extraordinaire est celle de l'Islam. Il s'agit d'un retour au monothéisme pur d'Abraham, contre le polythéisme tribal des peuples arabes, qui doivent être unifiés sous un seul dieu et donc sous un seul commandement politique. Il s'est également développé en opposition au judaïsme et au christianisme, accusés de trahir les enseignements des prophètes, justifiant ainsi le djihad, ou guerre sainte, contre les tribus juives et les puissances chrétiennes, comme Byzance. Le Coran, ainsi que les paroles attribuées par la tradition au prophète, représente la référence principale de tous les courants sunnites et chiites depuis les origines de l'islam jusqu'à nos jours. Le texte sacré de l'islam fusionne la doctrine spirituelle, les normes juridiques, sociales et coutumières, ainsi que la lutte politique et militaire soutenue par Mahomet et sa faction. Celle-ci fut socialement ancrée dans la bourgeoisie naissante de la ville de Médine, en opposition aux classes dirigeantes de La Mecque, principal centre de pouvoir économique et politique de la péninsule arabique à l'époque. La naissance de l'islam politique Pour comprendre l'importance politique de l'islam aujourd'hui, il faut nécessairement remonter aux origines et aux développements de la pénétration coloniale européenne dans le monde arabe. Le colonialisme a détruit les marchés orientaux, l'artisanat local et brisé les structures traditionnelles, répandant dans les masses arabes un sentiment d'humiliation et un désir de vengeance contre les envahisseurs. L'islam a pris une importance considérable en tant qu'arme identitaire pour contrer la « civilisation » coloniale. L'ère de l'éveil islamique a commencé avec l'expédition de Napoléon en Égypte en 1799 et, deux ans plus tard, le premier soulèvement national égyptien contre l'occupation française a eu lieu. De nombreux soulèvements ont eu lieu contre la domination coloniale des Britanniques et des Français qui, au cours des décennies suivantes, se sont employés à diviser et à échanger une grande partie des territoires d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. À la tête de ces révoltes se trouvaient principalement des factions féodales dont les intérêts entraient en conflit avec la prédation impérialiste, tandis que ce sont les classes les plus opprimées, les classes paysannes, qui se sont soulevées matériellement. L'idéologie qui a soutenu la rébellion est l'identité religieuse musulmane, opposée à la fois à la version chrétienne traditionaliste et aux courants rationalistes des Lumières. L'éveil de l'islam politique a fusionné dans de nombreux cas avec les aspirations « nationales » des différentes régions arabes, pendant plusieurs siècles sous la domination de l'empire turc ottoman (de matrice sunnite, mais avec de forts éléments de syncrétisme asiatique) (1). Avec la fin de l'Empire ottoman, diverses révoltes ont éclaté dans le monde arabe entre 1919 et 1927. La France et la Grande-Bretagne ont cherché à calmer la situation par des concessions d'indépendance formelle, en intégrant de plus en plus les classes dirigeantes féodales locales dans leurs structures de pouvoir. Dans les masses qui aspiraient à l'indépendance contre les puissances coloniales, la haine des dirigeants indigènes collaborateurs s'est accrue : la grande aristocratie foncière, qui avait d'abord participé aux révoltes, est devenue un agent de la Grande-Bretagne et de la France. À la place et contre les traîtres, les rênes du mouvement anticolonial ont été prises par des factions de la bourgeoisie locale qui n'étaient pas politiquement compromises avec l'impérialisme, mais qui avaient été structurées par l'expansion économique de ce dernier. Ce “bloc” de classes, notamment marchandes, a surfé sur les sentiments des masses et a développé une idéologie de défense, de retour à la tradition islamique originelle, l'affirmant non plus comme un simple reflet identitaire, mais comme une vision politique globale à opposer à celle des colonialistes et des classes collaborationnistes. En substance, les théorisations et le programme politique alors formulés postulaient que la charia, la loi religieuse, devait redevenir la source fondamentale du droit public et privé, régulant la vie de l'Etat. Une vision donc de restauration de l'ordre islamique intégral (fondamentalisme) et de retour à ses fondements (intégrisme), basée sur la richesse qu'offrent le Coran et les traditions prophétiques dans la régulation des lois sociales. C'est dans cette optique qu'est né en 1928 le mouvement des Frères musulmans, parti transnational dans le monde arabo-musulman. Ils se sont opposés à d'autres forces anticoloniales, telles que le mouvement communiste en tant qu'expression de la classe ouvrière et des masses laborieuses, et les factions bourgeoises nationalistes laïques, liées aux classes “bureaucratiques” et militaires, qui aspiraient plutôt à une modernisation des pays arabes, capable de les émanciper économiquement et politiquement de l'impérialisme des puissances européennes et, plus tard, des États-Unis. Ces factions ont ensuite convergé vers le nationalisme arabe et le baathisme, avec une approche laïque et opposée au traditionalisme religieux, dominant la vie de la plupart des pays de la région, à commencer par l'expérience de l'Égypte de Nasser (2). L'affirmation du nationalisme arabe a effectivement privé les Frères musulmans de leur rôle de mouvement bourgeois représentant les revendications anticolonialistes et anti-impérialistes. En fait, une partie de la bourgeoisie et des représentants politiques et intellectuels qui se sont référés à la confrérie ont assumé ce rôle. Cela n'a pas représenté la fin du mouvement, dont la continuité était basée sur la représentation des intérêts de secteurs de la moyenne et petite bourgeoisie en opposition à la bourgeoisie d'État qui, à travers l'interventionnisme du capital public dans l'économie, dominait des pays comme l'Égypte, la Syrie et l'Irak, où des régimes nationalistes laïques s'étaient établis. Idéologiquement, la confrérie, en antagonisme avec la laïcité promue par ces gouvernements ou pour se distinguer de l'islam officiel des hiérarchies religieuses qui leur sont liées, vise à hégémoniser les cercles religieux les plus conservateurs et fondamentalistes à travers les courants islamiques dits salafistes. Dans la contradiction inter-bourgeoise entre les forces islamistes et nationalistes, les premières ont tenté de se placer à la tête des autres contradictions auxquelles le pouvoir des secondes était confronté, dans le scénario interne des différents pays et dans l'arène régionale et internationale. D'une part, il y avait la contradiction sur le front extérieur par rapport à l'impérialisme américain et aux puissances européennes, avec lesquelles les Frères musulmans ont accepté de collaborer contre l'ennemi commun représenté par les régimes nationalistes. D'autre part, il y avait les contradictions sur le front intérieur, en particulier les contradictions avec la classe ouvrière et les masses populaires vis-à-vis de régimes qui, bien que connotés dans un sens anti-impérialiste, étaient toujours capitalistes. Les islamistes ont tenté, et en partie réussi, à se placer à la tête du mouvement de masse, disputant ce rôle aux communistes, proposant la vision d'un « islam social » que l'on pourrait comparer à la pensée sociale catholique en Europe. Les relations avec les monarchies arabes conservatrices sont consolidées - bien que les Frères musulmans restent en principe partisans d'un régime républicain - au nom de la lutte contre le nationalisme laïc et le mouvement communiste. En 1970, le mouvement islamiste se range aux côtés du roi Hussein dans la répression sanglante de « Septembre noir », contre la résistance palestinienne, alors hégémonisée par des positions progressistes et révolutionnaires. Plus généralement, dès le début des années 1970, la progression de la crise du capitalisme international a contraint les régimes arabes laïques, comme la Syrie, la Tunisie, l'Égypte, à promouvoir des politiques d'attaque contre les conditions de vie des masses et, en partie, à s'ouvrir aux investissements des pays impérialistes ou des monarchies conservatrices du Golfe. Cela a permis aux Frères musulmans de gagner un nouveau consensus et un nouvel espace. D'une part en se plaçant à la tête de la protestation sociale et d'autre part en empêchant, même avec des accords tacites avec les régimes, que la mobilisation aille vers la lutte des classes et le développement du mouvement communiste. En particulier, dans la même période, ce sont surtout les capitulations des régimes laïques devant l'impérialisme américain et l'occupation de la Palestine qui ont permis aux Frères musulmans et à d'autres factions islamistes de les exploiter pour se placer à la tête du mécontentement de masse, comme dans le cas de l'opposition au régime de Sadat, puis de Moubarak, en Égypte. C'est précisément dans ce pays, dans les années 1980 et 1990, que l'on a assisté à une cooptation progressive des Frères musulmans, ou du moins de leurs factions les plus disposées au compromis. À la fin des années 1990 et au début du nouveau siècle, les classes bourgeoises représentées par les Frères musulmans ont connu une ascension économique en Égypte et dans une grande partie du monde arabe et musulman. Cela est principalement dû à ses liens avec la haute finance, en particulier celle qui est aux mains de l'émirat du Qatar, qui a commencé à utiliser la confrérie comme outil politique. En Turquie, le processus de croissance économique du pays a entraîné un changement de la classe dirigeante, qui est passée de l'ancienne bourgeoisie d'État kémaliste à de nouveaux secteurs d'activité, représentés par le parti d'inspiration islamiste “Justice et développement“, proche de la confrérie, qui gouverne toujours le destin du pays à travers le régime fasciste d'Erdogan. Les soulèvements des masses en 2010-2011, en l'absence d'autres organisations et surtout en l'absence d'autonomie et de capacité de direction politique du prolétariat, représentent une opportunité pour les Frères musulmans de capitaliser sur des années d'opposition, certes en partie faite de compromis, aux régimes laïcs autocratiques. L'essor financier des secteurs bourgeois qu'ils représentaient et leurs relations avec le Qatar et la Turquie, deux alliés des puissances américaine et européenne, ont fait perdre à la confrérie ses ambitions anti-impérialistes. Mais, à l'épreuve du pouvoir dans des pays comme l'Égypte, la Tunisie et la Libye, ils n'ont pas réussi à garder le contrôle des sociétés. Partout, les Frères musulmans ont perdu le rôle de pouvoir qu'ils avaient acquis en menant des mouvements de masse, balayés par le coup d'État militaire en Égypte, contraints à un rôle minoritaire en Tunisie et poussés à la guerre civile en Libye. Aujourd'hui, ils jouent un jeu transversal : d'une part, ils sont les instruments de l'impérialisme occidental, luttant contre les mouvements anti-impérialistes de matrice chiite ou laïque ; d'autre part, ils recherchent leur propre autonomie par rapport aux mouvements sunnites contrôlés par les gouvernements du Golfe. Sunnites et chiites Le schisme entre sunnites et chiites remonte à la mort du prophète Mahomet (632 après J.-C.) et à la querelle sur sa succession, entre la faction des membres de la famille, dirigée par le cousin et gendre du prophète, Ali, et celle des membres de la tribu. Pour les premiers, seuls ceux qui ont un lien de sang direct ont droit à la succession, alors que pour les seconds, tous les membres du groupe tribal y ont droit. Parmi ceux qui avaient été les plus proches de Muhammad et qui dirigeaient la politique du nouvel État fondé par lui, la ligne qui prévalait était d'élire le calife (en arabe « successeur » parmi les membres de la tribu et non sur la base de la parenté, ce qui isolait la position d'Ali. Le clivage entre les dirigeants de ce qui allait devenir l'empire arabe devint progressivement plus complexe et plus sanglant. Le champ de bataille entre les classes dirigeantes des terres nouvellement conquises est l'Irak, qui devient le centre des « chiites », c'est-à-dire des « partisans » d'Ali, et la Syrie, qui, avec la dynastie des Omeyyades, rétablit le califat sur une base héréditaire, légitimé uniquement pour les « sunnites », ainsi appelés parce qu'ils prétendent se référer à la « sunna », c'est-à-dire à l'enseignement transmis depuis Mahomet. Le conflit a atteint son paroxysme en 680 après J.-C., lorsque Husayn, le deuxième fils d'Ali, alors chef de la faction chiite, a été tué et décapité par la faction sunnite lors de la bataille de Kerbala, en Irak. L'affrontement au niveau idéologique entre sunnites et chiites sur la conception du pouvoir politique. Si pour les sunnites, le califat a pour fonction de détenir le pouvoir temporel et de veiller à l'observance de la religion telle qu'elle a été établie par Mahomet, pour les chiites, le pouvoir temporel doit être subordonné au pouvoir spirituel. Selon la version chiite, après la mort du prophète, seul Ali - et plus tard ses descendants en ligne directe - en raison de leurs liens de sang et de leur proximité avec le fondateur de l'islam, devrait détenir le pouvoir politique au nom de leur pouvoir spirituel supérieur, puisqu'ils sont des imams, des guides de la communauté musulmane. Pour les chiites, en effet, la direction (imam) de la communauté islamique doit être assumée par les descendants du prophète dans la lignée de sa fille Fatima et de son mari Ali. Dans la lignée de ce dernier, douze imams se sont succédés, chacun engendrant et désignant son successeur. Mais le douzième imam, al Mahdi, a disparu à Samarra, en Irak, en 873, donnant naissance au mythe de la « grande dissimulation » qui perdure encore aujourd'hui. L'imam absent règne toujours, mais sa direction est temporairement confiée à la communauté cléricale. On parle donc, par opposition au califat, d'imamat. Cette différence a influencé la pensée et la pratique politique des sociétés musulmanes jusqu'à aujourd'hui, fondée fondamentalement sur les intérêts et les contradictions entre les classes. Par une provocation historique, on pourrait comparer l'opposition entre sunnitisme et chiisme à l'opposition entre Athènes et Sparte dans la Grèce antique. Sparte, l'autoritaire, était en fait beaucoup plus égalitaire que l'Athènes démocratique, qui était en fait extrêmement élitiste. Une fois l'ère du colonialisme européen terminée, le modèle de la société à majorité sunnite était celui d'un pouvoir étatique-temporel qui exigeait la reconnaissance et la suprématie du pouvoir religieux, en se basant soit sur une structure plus ou moins laïque, comme par exemple en Égypte, soit sur une structure fondamentaliste, comme en Arabie Saoudite. Bien que fondamentalistes, les régimes islamistes sunnites ne sont fondés ni sur le pouvoir des oulémas, les érudits de la charia, ni sur un rôle prépondérant de l'État en matière religieuse, mais uniquement sur l'imposition par son appareil des règles et de la morale coraniques. À l'inverse, ils exigent une loyauté politique de la part des personnes impliquées dans les affaires religieuses et les considèrent comme des éléments fonctionnels de leur propre renforcement. Tout ceci représente une continuité avec le rôle du calife, tel que le conçoivent les sunnites, dans la période post-Mohammad. D'autre part, en Iran, c'est-à-dire dans le seul pays musulman à forte majorité chiite, un modèle de république dite islamique a été établi avec la révolution de 1979, dans lequel le clergé, détenteur du pouvoir spirituel, dirige le pouvoir d'État. Le processus de transformation mené par Khomeini après le renversement du régime pro-impérialiste du Shah a placé le contrôle du pouvoir d'État entre les mains du clergé, en en faisant la superstructure d'un processus d'indépendance économique et politique et de souveraineté de la Perse face au grand Satan américain. Si l'Iran chiite représente l'exemple d'un islam politique fonctionnel, dans un sens général, à l'anti-impérialisme, l'Arabie saoudite sunnite constitue, en revanche, l'exemple d'un islam politique, historiquement et généralement, enclin ou du moins allié à l'impérialisme américain et aux puissances européennes, ainsi qu'au régime sioniste israélien. Le pouvoir de la dynastie des Saoud s'est progressivement affirmé au cours des trois premières décennies du XXe siècle, sur les décombres de l'Empire ottoman et avec le soutien décisif de l'impérialisme britannique, en fondant un régime monarchique absolutiste et fondamentaliste. Cet État représentait la dictature de la classe féodale regroupée autour de la couronne, qui, au fil des décennies, s'est progressivement transformée en une bourgeoisie compradore, soumise à la bourgeoisie impérialiste des États-Unis et du camp atlantique. La classe dirigeante saoudienne s'est structurée comme un acteur social et politique médiateur dans l'exportation du pétrole et du gaz naturel, dont le pays est respectivement premier et sixième au monde en termes de réserves détenues. Les gigantesques revenus tirés des hydrocarbures ont constitué et constituent la principale source économique grâce à laquelle les monarques saoudiens ont pu exercer une influence décisive sur les affaires de la plupart des pays arabes et islamiques ainsi que sur les communautés musulmanes du monde entier, en projetant leurs intérêts en tant que bourgeoisie compradore soumise à l'impérialisme américain à l'échelle régionale et mondiale. Sur le plan intérieur, l'islam politique poursuivi par la couronne saoudienne et les oulémas qui lui sont fidèles depuis le début s'inspire de la doctrine wahhabite, c'est-à-dire d'un islam sunnite extrêmement rigide, différent de l'islam arabe et ottoman classique, qui considère les chiites et les autres minorités confessionnelles du monde islamique comme des infidèles (ce que l'on appelle le « takfirisme »). Cette idéologie, fonctionnelle à l'emprise du royaume, condamne les chiites, qui représentent 15 % de la population, principalement concentrée dans les provinces orientales riches en pétrole, à une sorte d'apartheid. En réalité, la discrimination à l'égard de la minorité chiite est une tendance constante dans l'histoire et l'actualité du monde arabo-musulman, en raison du mécanisme typique par lequel les classes dominantes exploiteuses détournent le mécontentement social vers le « différent ». En raison du fait également que cette confession de l'islam est très souvent pratiquée par la partie la plus opprimée de la population, soit parce qu'elle est la perdante dans l'affrontement avec les clans sunnites depuis la dispute du califat, soit parce que cette confession prend la valeur d'un symbole de rébellion contre les orligarchies et la religion officielle. En 1979, année de la victoire de la révolution en Iran, hégémonisée par la bourgeoisie islamique chiite (3), est une année cruciale dans l'histoire de l'ensemble du monde musulman. A l'intérieur du royaume saoudien, une opposition islamiste sunnite armée fait son apparition, accusant la monarchie de trahir la cause musulmane en se vendant aux Etats-Unis. En novembre, un groupe de combattants « djihadistes » a occupé la Grande Mosquée de La Mecque, exigeant l'arrêt des exportations de pétrole vers les États-Unis et l'expulsion de tous les « étrangers » infidèles - techniciens, civils et militaires - de la péninsule arabique. L'action fut écrasée dans le sang par l'intervention des maroquins français, appelés à la rescousse par les flics saoudiens, convertis à la hâte à l'islam parce que, sinon, ils n'auraient pas pu “mettre les pieds” dans le lieu saint. D'autre part, la victoire de Khomeiny a galvanisé toutes les masses chiites du monde arabe, au Liban, en Irak, en Arabie Saoudite, dans les pays du Golfe Persique, etc. Elle a donné naissance à des mouvements politiques organisés, comme le Hezbollah au Liban. Dans le même temps, l'Arabie saoudite et d'autres régimes sunnites réactionnaires, soutenus par la direction sous-jacente de l'impérialisme américain, commençaient à soutenir l'opposition armée au gouvernement pro-soviétique en Afghanistan, organisant l'afflux de moudjahidines (combattants du djihad), composés principalement de jeunes chômeurs et sous-prolétaires, mais aussi de fils de la bourgeoisie, comme l'était Ben Laden. Outre la volonté de combattre l'URSS et ses alliés, il s'agissait pour les classes dirigeantes saoudiennes, pakistanaises, jordaniennes, etc. de lancer une puissante opération contre-hégémonique, face à la force déstabilisatrice de la rébellion interne que la montée du djihadisme sunnite et du khomeinisme faisait peser sur l'ensemble des masses arabo-musulmanes. Mais il faudra attendre plus de deux décennies pour arriver à l'affrontement direct entre les deux variantes fondamentales de l'islam politique, le sunnite et le chiite. Ils étaient généralement l'expression de la rivalité entre les bourgeoisies saoudienne et iranienne, détentrices respectivement de la première et de la deuxième plus grande réserve de pétrole au monde. C'est l'invasion américaine de l'Irak, en 2003, qui a créé les conditions de cette confrontation directe, ressurgissant là où elle avait commencé, plus de mille trois cents ans auparavant. Une fois la Mésopotamie occupée, les Etats-Unis ont été contraints de favoriser la montée en puissance de la communauté chiite, c'est-à-dire des classes tribales, bourgeoises et cléricales qui la dominent, étroitement liées à l'Iran, pour remplacer le régime du sunnite Saddam Hussein. Les stratégies politiques et militaires de l'impérialisme américain sont ainsi entrées, pour la première fois, en collision brutale avec les intérêts vitaux de l'Arabie saoudite et des autres régimes sunnites, dont les classes dirigeantes ont commencé à influencer négativement le processus de résistance à l'occupation de l'Irak, qui était principalement animé par les masses sunnites du centre-nord du pays et a progressivement été dominé par des positions sectaires anti-chiites, jusqu'à ce qu'il soit hégémonisé par le groupe takfrista « État islamique ». En 2011, en Syrie, avec l'éclatement de la révolte des masses sunnites contre le régime du “baasiste” de Assad, l'affrontement déjà observé en Irak, s'est étendu au pays voisin, mais dans ce cas, les États-Unis se sont rangés du côté du front sunnite, afin d'abattre l'Iran et l'allié clé de la Russie dans le monde arabe (Syrie). En 2015, la dynamique de l'affrontement interconfessionnel a investi le Yémen, déjà marqué par cinq années de révolte et de guerre civile, l'Arabie saoudite intervenant pour soutenir sa marionnette, le sunnite Hadi, contre la rébellion menée par les milices chiites Houthi soutenues par l'Iran. Dans ce cas également, les États-Unis ne manqueront pas de soutenir l'Arabie saoudite politiquement et militairement, tout en concluant l'accord nucléaire avec Téhéran au moment même où ce dernier lançait son intervention guerrière. Les États-Unis cherchent à jouer le rôle d'arbitre et de garant pour le Moyen-Orient, en essayant de maintenir leur propre hégémonie par le biais d'une politique flexible. En 2016, l'exécution de l'iman chiite et opposant politique Nimir al Nimr en Arabie saoudite, ainsi que de 46 autres prisonniers accusés de terrorisme, a constitué une provocation évidente. Ce crime témoigne de la volonté saoudienne de diviser davantage les sunnites et les chiites et de provoquer de nouvelles tensions régionales avec l'Iran. Al Nimir était en effet une figure marquante et un symbole de l'activisme chiite dans le monde islamique, notamment en Iran (où l'ambassade saoudienne a été attaquée), au Bahreïn, au Soudan, au Liban, au Pakistan, au Yémen et au Cachemire indien. Parmi les 46 personnes condamnées à mort en Arabie saoudite en janvier 2016, outre Nimir, figuraient de nombreux militants d'Al-Qaïda, considérés comme responsables d'attentats perpétrés dans le royaume entre 2003 et 2006. Il s'agit d'une véritable boucherie contre l'organisation dirigée par Ben Laden. Al Quaeda Al Quaeda est un mouvement djihadiste, c'est-à-dire un mouvement qui postule idéologiquement le devoir politique et militaire pour les musulmans de lutter au niveau international pour la restauration de l'ordre divin sur terre, celui qui appartenait à Mahomet et aux premiers califes, contre les puissances infidèles telles que les Etats-Unis et contre les gouvernements qui leur sont liés. L'organisation est née en 1989 et s'est donné un nom qui signifie littéralement « la base », dérivé des camps d'entraînement des moudjahidines en Afghanistan, soutenus dans leur fonction antisoviétique par les États-Unis, l'Arabie saoudite, le Pakistan et d'autres régimes sunnites. La naissance d'Al-Qaïda est le résultat de l'incapacité des États-Unis et des autres gouvernements qui leur sont alliés à maîtriser la mobilisation réactionnaire qu'ils avaient menée pour lutter contre l'URSS, puisque le programme politique d'Al-Qaïda était que les combattants musulmans, une fois l'Union soviétique vaincue, devaient lutter contre les États-Unis. L'organisation a été fondée par le rejeton d'une des plus riches familles d'Arabie Saoudite, Osama Ben Laden, et par le médecin Ayman al Zawahiri, originaire d'une famille bourgeoise égyptienne et déjà militant dans des groupes islamistes, ceux qui, à la différence des Frères musulmans, avaient rejeté toute conciliation avec les régimes laïques. Cette paternité en dit long sur la nature de classe d'Al Quaeda, qui entend représenter les tendances les plus radicales de la bourgeoisie sunnite afin de rompre avec l'impérialisme américain et tous les gouvernements « infidèles ». Pour ce faire, le groupe a commencé à agir comme un réseau international avec un commandement centralisé, visant à mener des attaques dans le monde entier, à soutenir des groupes islamistes armés actifs dans des pays individuels, tels que les talibans en Afghanistan, jusqu'à finalement les intégrer dans son propre réseau organisationnel, comme cela s'est produit avec le mouvement syrien Janhat al Nusra, ou à créer des groupes locaux qui se réfèrent directement à l'organisation, comme dans le cas de ce qui était autrefois al Qaeda en Irak ou al Quaeda au Yémen. Quant à ISIS (État islamique), le groupe est issu d'Al-Qaïda en Irak. Ce dernier, après avoir d'abord promu le Conseil de la Choura des moudjahidines, à la suite d'une fusion avec d'autres groupes de résistance irakiens, a pris le titre d'État islamique en 2006, revendiquant le contrôle des provinces sunnites de l'Irak. Avec la tentative de déstabilisation de la république syrienne, le groupe est entré dans le pays voisin, se proclamant État islamique de Syrie et d'Irak, revendiquant le contrôle des régions orientales du pays, à la frontière irakienne, riches en gaz et en pétrole, où s'était plutôt établie la branche syrienne d'Al-Quaïda, à savoir Jabhat al Nusra. Une querelle interne à Al Quaeda s'est ouverte entre les deux groupes, avec des milliers de morts. Elle concernait concrètement le contrôle des sources d'énergie syriennes, elle s'est terminée par l'expulsion de l'État islamique de l'organisation internationale, décrétée par Ayman Al Zawahiri, parce qu'il s'était éloigné des frontières de son propre front de djihad - l'Irak - en attaquant les « frères moudjahidines » d'Al Nusra. L'État islamique, en tant qu'organisation à part entière, est donc né d'une rupture interne avec Al-Quaïda. Les deux organisations ont poursuivi des stratégies différentes, chacune représentant les intérêts de différentes factions bourgeoises. D'une part, al Quaeda déploie principalement une stratégie militaire d'attaques déstabilisatrices dans des pays individuels et au niveau international, appelant les masses musulmanes (sunnites) à la révolte et se présentant comme le bras armé de la bourgeoisie arabe et islamique qui veut rompre son asservissement aux États-Unis. D'autre part, l'État islamique s'est structuré comme une véritable armée-État, pour le contrôle politique du territoire, structurant une bourgeoisie de commandement qui exploite les ressources économiques conquises par la guerre. Cela l'a conduit, après avoir conquis de vastes zones de l'Irak et de la Syrie, à se proclamer nouveau califat islamique. Les premiers succès remportés par cette organisation s'expliquent également par sa capacité à obtenir un consensus au sein des masses populaires sunnites, en se positionnant comme une alternative aux régimes traditionnels. Dans le périodique en anglais publié par ISIS, Dabiq, à côté de la propagande de guerre, il y avait une quantité considérable de matériel de propagande sociale : l'inauguration d'écoles, de services publics gratuits, d'hôpitaux, l'imposition de prix politiques sur les produits de première nécessité, la construction d'infrastructures et l'administration de la loi par le biais de tribunaux. L'État islamique a ainsi pu démontrer sa capacité réelle à offrir de meilleures conditions de vie aux classes populaires que les gouvernements de Damas et de Bagdad. Sa pratique de la guerre et de la gouvernance implique le recours à la terreur de masse et à l'épuration ethnique à l'égard des autres composantes religieuses et confessionnelles, ainsi que des ennemis politiques. La propagande et l'action militaire du groupe ont accentué la dérive sectaire et takfiriste, déjà historiquement présente dans l'islamisme sunnite, dans une fonction anti-chiite et contre toutes les minorités religieuses, comme les Yazidis en Irak, aspirant au nettoyage confessionnel. Cependant, la défaite du projet territorial de l'État islamique, aidée par une convergence parallèle des principales forces impérialistes et de leurs alliés sur le terrain, n'a pas anéanti cette organisation. La Palestine Une fois de plus, c'est la « question palestinienne » qui a repositionné les différentes factions de l'islam politique. Le front de la résistance palestinienne à Gaza dirigé par le Hamas (organisation sunnite) avec la participation d'autres forces politico-militaires palestiniennes panarabes et marxistes, n'a été soutenu d'un point de vue politico-militaire que par les organisations de l'islam politique chiite. Le soutien des nations sunnites (du Maghreb au Golfe arabe) a été symbolique et opportuniste. Prenons l'exemple de l'Algérie, une nation qui a même interdit les manifestations de soutien à la Palestine, prétextant que le gouvernement étant pro-palestinien, le soutien populaire est inutile... Les gouvernements arabes sunnites ont peur du soutien populaire à la Palestine. Leur politique gouvernementale est basée sur une extrême retenue en ce qui concerne les actes concrets de soutien à la résistance armée palestinienne. Nous assistons donc à une nouvelle « soumission » aux principaux mécanismes de l'hégémonie impérialiste et sioniste des forces politiques et étatiques sunnites. Les principales forces de l'Islam politique qui soutiennent activement la Palestine (un pays à écrasante majorité sunnite) s'avèrent être les organisations politiques islamiques chiites comme le Hezbollah ou les « rebelles » yéménites, et bien sûr l'Iran. L'exportation de la « révolution islamique » a toujours été un objectif du régime iranien qui, depuis les années 1980, soutient les mouvements rebelles chiites dans plusieurs pays où ils sont traditionnellement exclus socialement et politiquement. Bien qu'ils n'aient remporté de victoire complète dans aucun autre pays, et qu'à ce jour la République islamique d'Iran soit le seul pays de ce type dans le monde, ces mouvements constituent des forces considérables là où ils opèrent. Au Yémen, les Ansarallah (Houthi) gouvernent 40 % du territoire, après avoir vaincu non seulement les partisans de l'ancien président Hadi, mais aussi la coalition des monarchies du Golfe dirigée par l'Arabie saoudite. Ils ont récemment imposé un blocus naval à Israël, même sous les bombardements anglo-américains. Au Liban, ils ont consolidé le Hezbollah (4) en tant que principale force armée du pays, responsable de la mise en échec des invasions israéliennes à trois reprises. En Irak, avant même l'invasion du pays en 2003, l'Iran a soutenu des groupes rebelles chiites qui, après la défaite du gouvernement islamique majoritairement sunnite de Saddam Hussein, sont devenus la principale force politique organisée du pays, occupant le parlement en tant que partis politiques. Les milices chiites irakiennes forment l'épine dorsale des Forces de mobilisation populaire, une coalition composée principalement de milices chiites, mais aussi de milices catholiques assyriennes, sunnites et yazidies, responsables non seulement de la défaite de l'État islamique dans le pays avec le soutien de l'Iran, mais aussi de l'attaque des bases américaines dans le pays et du bombardement d'Israël dans le cadre de l'opération Al-Aqsa. À côté d'eux, il existe des mouvements rebelles chiites plus modestes au Pakistan, en Afghanistan, en Syrie, en Azerbaïdjan, en Arabie saoudite et à Bahreïn. Ces mouvements constituent le noyau dur de l'« axe de la résistance », qui a toutefois évolué dans les années 2010, passant d'une coalition internationale d'insurgés chiites dirigée par l'Iran à un système beaucoup plus complexe d'alliances dirigées par l'Iran. L'axe de la résistance regroupe l'Iran, les mouvements armés chiites, la République arabe syrienne et les différentes factions de la résistance armée palestinienne. Sous sa direction, l'État islamique a été vaincu en Irak et en Syrie (à l'exception de quelques poches dans le désert où il survit) et le déluge d'Al-Aqsa initié à Gaza par la résistance palestinienne a été élevé au rang de guerre sur plusieurs fronts contre Israël. Cette dernière a été la grande victoire politique internationale de l'Iran et de l'Axe de la Résistance qui a consolidé son statut de front international hétérogène anti-impérialiste au Moyen-Orient. Il suffit de regarder le front de la résistance palestinienne pour s'en convaincre. La Palestine est aujourd'hui composée à 90 % de religion sunnites, les chiites ne représentant qu'une petite minorité, encore moins représentative des chrétiens. Les trois principaux mouvements de résistance sont : - Le Hamas, un courant issu des Frères musulmans. Les Frères musulmans sont une organisation considérée comme terroriste en Iran, alors qu'en Turquie et au Qatar, ils bénéficient du soutien du gouvernement ; - Le Jihad islamique, issu des Frères musulmans, mais plus proche de l'Iran. - Le Front populaire de libération de la Palestine et d'autres organisations d'inspiration marxiste et de gauche. Toutes ces organisations, malgré leurs origines différentes, ont fait partie de l'Axe de la Résistance et ont été soutenues. Cependant, la crise en Syrie, avec la fuite d'Assad, a réduit l'Axe de la Résistance et redonné du souffle et de l'agilité aux organisations sunnites radicales. La république baasiste syrienne du gouvernement d'Assad était une partie intégrante et essentielle de l'Axe de la Résistance en raison de son positionnement stratégique, facilitant les actions du Hezbollah et la logistique et l'approvisionnement en armes des mouvements de guérilla palestiniens (en particulier les organisations de la Gauche palestinienne). L'opposition syrienne, dont les « djihadistes » sont le fer de lance, a submergé le gouvernement Assad. Coïncidence ou non, ils ont lancé leur offensive le jour même de l'entrée en vigueur du cessez-le-feu entre le Hezbollah et Israël, obligeant le mouvement de résistance libanais à s'engager sur un second front au nord alors qu'il se remettait à peine des pertes subies sur le premier front. Les « djihadistes » syriens, issus des rangs de l'État islamique d'Al-Quaïda, sont désormais décrits comme des « rebelles démocratiques » et, tout en conservant leur propre niveau d'indépendance, ils suivent le vieux modèle d'antan, des forces sunnites radicales utilisées par les forces occidentales dans une fonction « anti- » anti-impérialiste. La trahison flagrante de la cause palestinienne, avec l'attaque des camps de la gauche palestinienne en Syrie, la soumission à l'invasion des forces sionistes (5), qui ont facilement pénétré le pays , sont des faits visibles par tous. Dans ce « grand jeu », les forces sunnites radicales, avec un « Al Quaeda modéré » syrien, ont participé à l'affaiblissement du front de résistance contre le sionisme, en intervenant directement dans la déstabilisation de la Syrie, une nation qui, pour le meilleur ou pour le pire, a toujours représenté une base logistique pour la résistance pro-palestinienne antisioniste et anti-impérialiste (6). L'islamophobie Nous vivons dans un monde où l'argent est tout, où l'économie mange la politique, où la dématérialisation, la flexibilité, la rapidité et la finance dominent. La présence de nouveaux acteurs, comme la Chine, et l'exacerbation de la concurrence mondiale avec la riposte rageuse du bloc impérialiste atlantique avec les États-Unis en son centre, conduisent l'Arabie saoudite, la Turquie, l'Égypte, les États du Golfe et l'Iran à jouer de nouveaux rôles auprès des bourgeoisies locales qui cherchent à se doter de leur propre stratégie monopolistique, à s'affranchir de l'État semi-colonial. La Mecque, la Pierre Noire, lieux et symboles de culte du monde musulman, sont rejoints par les néons et les gratte-ciel de Dubaï... Dans ce cadre, cependant, deux facteurs restent centraux et fixes : - la défense intransigeante de l'impérialisme sioniste comme plate-forme de contrôle de l'ensemble du Moyen-Orient - l'incapacité de l'Islam politique, surtout dans ses composantes sunnites, à se donner un véritable plan d'action indépendant de l'impérialisme, écrasé par ses contradictions de classe. Au cours des 60 dernières années, l'islam politique, dans ses principales composantes, a bénéficié et subi le soutien enthousiaste ou modéré des principaux pays atlantiques dans une fonction anticommuniste et anti-panarabe, pour ensuite se retrouver considéré comme l'« ennemi numéro un », l'essence du « terrorisme » moderne... pour ensuite redevenir un interlocuteur « progressiste », comme dans le cas du récent tournant en Syrie, où de terribles « terroristes » deviennent comme par magie des libérateurs « démocratiques » du peuple et de la condition des femmes.... L'islam politique a tenté d'« utiliser » ce soutien « atlantique » et a été écrasé. Il n'y a pas de libération possible quand elle vient de ceux qui ont construit vos chaînes. C'est la leçon dramatique des cycles anticoloniaux précédents, où un fossé existe entre les expériences anticoloniales indépendantes et celles contrôlées par les colonisateurs eux-mêmes. L'islam politique dans les masses arabo-islamiques en Occident existe et représente dans de nombreux cas une défense de la communauté contre les mécanismes de désintégration de la métropole impérialiste. Dans les prisons, la « politisation », la rédemption sociale, considère souvent l'Islam et l'Islam politique comme le principal, voire l'unique vecteur de rédemption. Ceux qui crient au scandale, dans les rangs du mouvement communiste, devraient s'interroger, non pas tant sur la politisation du prolétariat extra-légal, mais sur les raisons de l'absence du mouvement communiste... Le poids de l'islam politique dans les métropoles occidentales est cependant dépassé par la propagande de guerre faite par les démocraties impérialistes, à la recherche d'un ennemi identifiable, faible et surtout minoritaire au sein de l'ensemble de la société. Les projets de l'Islam politique, dans les démocraties impérialistes, oscillent entre la recherche d'une stratégie pour faire émerger une bourgeoisie arabo-islamique et lui faire de la place, et la re-proposition d'une approche « tiers-mondiste », qui ne voit dans les démocraties impérialistes qu'un terrain de recrutement et de perturbation. Les prolétaires arabo-musulmans représentent une grande partie des masses populaires urbanisées dans les métropoles des démocraties impérialistes, une des parties les plus criminalisées. L'islamophobie qui se fomente aujourd'hui est une nouvelle tentative des classes dominantes de semer la peur de l'autre pour mieux imposer sur le plan intérieur des mesures politiques et sociales toujours plus dures touchant tous les prolétaires, autochtones et immigrés, et pour pouvoir, sur le plan extérieur, légitimer la poursuite des agressions impérialistes contre les peuples. Les serviteurs intellectuels et politiques de l'impérialisme ont même inventé des catégories fictives comme l'islamo-gauchisme, pour attaquer la possible conspiration entre les revendications de classe et le marxisme avec les masses populaires musulmanes en Occident. La bataille contre l'islamophobie joue donc un rôle central pour ceux qui s'appuient sur des bases de classe. La fascisation se manifeste par la restriction des libertés et des garanties sociales et politiques, comme l'extension des lois antiterroristes et le recours à l'apologie du terrorisme. Il est important de contrer l'islamophobie non pas tant d'un point de vue antiraciste générique, mais sur la base de la revendication identitaire et de la lutte des classes, qui doit unir tous les prolétaires, indépendamment de leur origine, de leur religion et de leur culture, en s'opposant à la rhétorique militariste et raciste qui veut justifier la guerre entre les pauvres et la guerre impérialiste. Nous devons affirmer et lutter pour soutenir la résistance des peuples opprimés, qu'elle soit menée par des composantes bourgeoises, comme l'islam politique dans ses différentes variantes, lorsque celles-ci jouent un rôle véritablement anti-impérialiste. Afin de renforcer notre pratique de la lutte dans ce sens, la compréhension, en termes dialectiques matérialistes et de classe, ce phénomène nous aide d'une part à rompre avec la culture et la propagande impérialistes, voir toute la rhétorique conspirationniste et l'obsession islamophobe. Et d'autre part à aborder la contradiction entre la ligne de la gauche prolétarienne et révolutionnaire et celle de l'islam politique, parfois concrètement et principalement anti-impérialiste, mais par nature fondamentalement réactionnaire, étant donné les intérêts de classe dont il est l'expression. L'islam politique est l'expression de factions de la bourgeoisie des pays arabes et musulmans qui, en raison de leurs intérêts spécifiques et concrets dans différentes phases historiques, sont plus ou moins en contradiction les unes avec les autres et avec les intérêts et les stratégies des bourgeoisies monopolistes impérialistes, en premier lieu les États-Unis. Se référer à la religion, élément supra-strict qui relie inévitablement des sociétés divisées en classes, est une façon de se donner une ligne identitaire de masse par rapport au peuple, comme c'est le cas pour les nationalistes de se référer à la patrie. L'histoire de l'islam politique est aussi l'histoire des limites de la gauche panarabe et du mouvement communiste dans les pays arabes et islamiques. De son incapacité à se placer à la tête des mouvements anticoloniaux des peuples du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord au siècle dernier, à son manque d'autonomie politique par rapport au nationalisme arabe et, dans certains cas, à l'islam politique lui-même, en passant par son extrême faiblesse en tant que mouvement politique organisé. Marx a déclaré que « la misère religieuse est à la fois l'expression et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, le sentiment d'un monde sans cœur, tout comme elle est l'esprit d'une condition sans esprit. Elle est l'opium du peuple. Éliminer la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c'est exiger son bonheur réel. L'exigence de l'abandon des illusions sur sa condition est l'exigence de l'abandon d'une condition qui a besoin d'illusions » Pour la critique de la philosophie du droit de Hegel, Introduction 1844. Ces expressions, qui font référence à la religion en tant que superstructure, peuvent également être utilisées pour désigner la religion qui devient une politique active, comme dans le cas de l'islamisme. L'histoire nous apprend que si les communistes veulent poursuivre ce « bonheur réel du peuple », ils ne peuvent se contenter d'affirmer qu'il est illusoire pour les masses de « prendre de l'opium », mais qu'ils doivent le remplacer par la lutte de classe du prolétariat, avec sa capacité à diriger la lutte des masses dans un sens révolutionnaire. C'est vrai ici, « dans l'Occident rationaliste », qui consomme beaucoup d'opium politique et culturel autre que la religion... et là, « dans l'Orient traditionaliste », où les masses cherchent avec force une voie de libération authentique et se placent sous la direction de ceux, comme les islamistes, qui la promettent et sont prêts à tout donner pour elle. En d'autres termes, soit les communistes se libèrent d'abord du “soporifique” et “opportunisme” politique et parviennent à s'imposer face au sédatif du conformisme, de la répression et de la réaction, soit les masses continueront à chercher dans un soi-disant « opium » une cause de libération illusoire, mais légitime en ce qu'elle est concrète. Les damnés de la terre et de la « métropole » n'ont pas le temps, contrairement à la bourgeoisie qui peut évaluer, étudier, attendre… Supernova, revue communiste, n.8 2025 https://revuesupernova.blogspot.com/ note 1 Cependant, ce processus de libération « nationale » arabe contre la domination ottomane et turque devait être utilisé par les forces impérialistes occidentales, conduisant au traité Sykes et Picot qui détermine encore aujourd'hui les différentes frontières des principaux pays arabes du Levant. Thomas Edward Lawrence, Les Sept Piliers de la sagesse, 1922 2 En décembre 2024, avec l'éviction du gouvernement Assad et la « balkanisation » de la Syrie, l'expérience internationale baasiste s'est pratiquement achevée. Il n'est pas anodin de souligner que les derniers dirigeants de ce courant politique, qui comportait de nombreuses nuances, ont tous été détruits par la force militaire après 1989 : Saddam Hussein, Gueddafi, etc. 3 Ce courant a été la principale force qui a permis la chute du régime de Scia (pro-US) et qui a ensuite marginalisé et détruit la gauche marxiste iranienne. La gauche marxiste iranienne avait un poids réel, était politiquement et militairement active, avec un réel consensus de classe, concentré dans les villes. Cependant, elle était incapable d'offrir une alternative viable au mouvement islamique chiite. La répression dure et cruelle qui a frappé le mouvement communiste en Iran a conduit à une énorme diaspora et, dans de nombreux cas, à l'adoption de positions de plus en plus opportunistes et pro-impérialistes. Aujourd'hui, l'Iran est un État capitaliste, traversé par des contradictions de plus en plus féroces liées à la concurrence mondiale et au développement urbain capitaliste, mais il conserve son rôle anti-impérialiste. 4 Le Hezbollah (Parti de Dieu) est un parti qui, pendant des années, a réussi à contrôler la vie politique et sociale au Liban, en incorporant une grande partie de la méthode de travail de la gauche marxiste arabe, à travers la création d'un réseau dense de structures sociales et une vision moderne de l'organisation visant à soutenir les masses populaires. Grâce au soutien iranien, la force de l'aile paramilitaire du Hezbollah s'est accrue au fil des ans au point d'être considérée comme plus puissante non seulement que l'armée régulière libanaise, mais aussi, selon Israël, que la plupart des forces armées arabes du monde, et ce de manière continue depuis le début de la guerre civile syrienne, qui a vu le Hezbollah entrer en scène en tant qu'allié clé du gouvernement Assad. En 1997, le Hezbollah a été inscrit sur la liste des organisations terroristes par les États-Unis et Israël ; en 2013, l'Union européenne a inscrit sa branche militaire sur la liste des organisations terroristes ; en 2016, il a été déclaré organisation terroriste par le Conseil de coopération du Golfe et la Ligue arabe. 5 Les Israéliens n'avaient pas envahi les frontières de la Syrie depuis 1975. 6 La crise et la chute de la république syrienne s'expliquent par des raisons internes liées à sa nature de classe, à l'incapacité du régime à se rapprocher des intérêts des masses populaires. Cependant, il serait aveugle de ne pas voir comment ces contradictions ont été utilisées et dirigées par des forces étrangères, les États-Unis, l'UE et Israël, pour déstabiliser un pays qui était non seulement organiquement dans l'Axe de la Résistance mais aussi sous l'influence de la Russie. La Syrie est devenue un autre terrain de compétition mondiale et de la nouvelle guerre impérialiste qui balaie le monde. Nous trouvons donc tragique la position de ceux qui ont prôné la fin du gouvernement syrien en décembre et qui, dans le même temps, ont soutenu la Palestine. La chute de la Syrie a été un coup de poignard dans le dos des peuples palestinien et libanais et représente un nouvel acte de trahison de l'islam politique sunnite et des gouvernements arabes à l'égard de la cause palestinienne.
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