| | | | | Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18465 messages postés |
| Posté le 21-06-2025 à 13:28:44
| L’impérialisme et le développement chinois (Première partie) https://lepcf.fr/L-imperialisme-et-le-developpement-chinois-Premiere-partie Samedi 7 juin 2025, par Jean-Claude Delaunay, Ce texte porte sur la coexistence entre l’impérialisme et le socialisme chinois, et vise à rendre compte, à très grands traits, de l’un et de l’autre. Il est divisé en deux parties. Dans la première, on cherchera à rendre compte des évolutions de l’impérialisme, du dernier quart du XXe siècle à aujourd’hui. Dans la deuxième partie, on montrera comment la Chine s’est trouvée dans l’obligation de se développer dans le ventre même de l’impérialisme, mais qu’elle en est sortie au début des années 2010. On cherchera notamment à interpréter ce que l’on sait de la stratégie du nouveau président des Etats-Unis. Première partie L’IMPÉRIALISME, LE DOLLAR ET LA GLOBALISATION FINANCIÈRE Après la défaite de l’armée japonaises, en 1947, puis celle de Jiang Jieshi, en 1949, Mao Zedong devint Président de la République populaire de Chine. Une fois accomplie la réforme agraire, Mao et ses camarades, qui observaient combien la population chinoise était nombreuse et fertile, crurent qu’ils pouvaient construire le socialisme de manière encore plus rapide que ne l’avaient fait les soviétiques. On indique ici seulement quelques traits de l’histoire de la Chine populaire pour rappeler que, pendant les années 1950, « le camp socialiste » fut soumis à un choc sévère, constitué du Rapport Kroutchev (1956) et de ses divers effets (Budapest, etc.), suivi par la rupture complète entre l’URSS et la Chine, au début des années 1960. Or, pendant les années qui s’écoulèrent, entre cette période de rupture et la mort de Mao Zedong (1976), la politique mise en œuvre pour développer la Chine se révéla inappropriée. Ce fut un double échec, celui du Grand bond en avant (fin des années 1950) et celui des Communes populaires, qui avaient été créées sur la lancée du Grand bond. 25 ans après l’instauration de la République populaire, la Chine avait certes remporté quelques succès importants. Elle avait mis à mal l’arrogance américaine en gagnant la guerre de Corée (1950-1954). C’est en 1964 qu’elle devint une puissance nucléaire. Mais elle n’avait pas encore gagné la bataille générale du développement et elle était en retard sur de nombreux fronts. Après 1976, ses dirigeants se sont trouvés dans l’obligation de réfléchir à une nouvelle stratégie de développement. Il paraît donc justifié, dans cette première partie, d’étudier ce qu’était l’impérialisme autour des années 1970 et comment il évolua par la suite. En effet, après la mort de Mao et la clôture de la Révolution culturelle, fut lancée, en 1978, la politique de la Réforme et de l’Ouverture. Cette politique commença d’être mise en œuvre au cours des années 1990, une quinzaine d’années après son lancement officiel. Pendant ce temps, l’Impérialisme sous direction nord-américaine, mettait au point une nouvelle stratégie d’accumulation, la globalisation financière. On se propose de rendre compte de l’environnement impérialiste de la Chine en distinguant 2 sous-périodes. La première couvre la fin des années 1960 et les années 1970. L’impérialisme est en difficulté économique et politique. La deuxième couvre les années 1980 et 1990, pendant lesquelles l’impérialisme est réorganisé économiquement et politiquement sous la direction de sa composante la plus puissante. Au cours de ces années prend forme cette nouvelle stratégie d’accumulation qu’est la « globalisation financière ». Enfin, à partir des années 1990, l’impérialisme remporte d’importants succès économiques et politiques. C’est le climax de cet intervalle impérialiste. Mais ce sont aussi les manifestations de sa crise en tant que système. L’Impérialisme est en difficulté Après la deuxième guerre mondiale, les pays constitutifs de l’impérialisme connurent environ 30 années de relative prospérité. Ce fut une phase ascendante d’un cycle long de type Kondratieff. Ces années ne furent pas sans problèmes, en particulier ceux de la décolonisation. Mais globalement, le capitalisme s’est développé, et la France, par exemple, est devenue un pays techniquement moderne. La situation a commencé à se gâter à la fin des années 1960 lorsqu’apparut un phénomène que l’on n’attendait pas, à savoir le ralentissement de la croissance de la productivité du travail associé à un processus inflationniste fortement croissant. C’est ce que l’on appela la stagflation, combinaison de la stagnation et de l’inflation. Au plan extérieur, on observa, pendant ces années, la désorganisation à peu près complète des relations monétaires internationales. La rupture du rythme de développement de l’après-guerre devint évidente lorsque les États pétroliers du Moyen-Orient décidèrent, en 1973 puis en 1979, d’augmenter le prix du baril de pétrole. Cette augmentation se traduisit par un important transfert de revenus, des pays acheteurs vers les pays vendeurs. Cette augmentation ne fut pas à l’origine de la crise de l’Impérialisme. Elle en fut plutôt la conséquence. Cela dit, elle obligea ses dirigeants à penser au recyclage de ces revenus pour leur propre développement. Au fur et à mesure que la stagflation prenait de l’ampleur, le chômage refit son apparition dans les pays développés, qui furent traversés de mouvements revendicatifs et politiques très importants. Le tableau 1 est une illustration de cette rupture à l’aide des taux de variation moyens annuels de la Production intérieure brute (PIB) dans 6 pays de l’impérialisme. Tableau 1 : Taux de variation moyens annuels (%) par grands intervalles, de 1960 à 1980(J-C Dutailly, p.4) [1] Pays et Intervalles Pays et Intervalles FRANCE ROYAUME-UNI 1960-1973 5.3 1960-1973 2.9 1973-1980 2.9 1973-1980 1.0 ITALIE ALLEMAGNE FÉDERALE 1960-1970 5.3 1960-1970 4.3 1970-1973 3.8 1970-1973 3.8 1973-1980 2.6 1973-1980 2.6 JAPON ÉTATS-UNIS 1960-1970 10.3 1960-1965 4.6 1970-1973 7.9 1965-1973 3.2 1973-1980 4.5 1973-1980 2.7 La Chine est alors isolée du monde développé. La rupture du camp socialiste est un fait accompli. Un point important, cependant, est sa reconnaissance diplomatique par la France en 1964. À cette époque, l’Impérialisme nord-américain est le plus fort au sein de l’Impérialisme global. Il y tient donc un rôle politique dominant et dirigeant. L’Impérialisme se concentre et s’organise Les années 1970 furent, dans le monde, des années de transition, idéologiquement turbulentes, socialement mouvementées, et nourries d’illusions. L’une d’elles était que la puissance du système impérialiste était entrée dans la phase de son déclin, eu égard à l’avancée irréversible de la décolonisation, à la défaite de l’armée des États-Unis au Viêt-Nâm (1975), à la force dont l’URSS et les démocraties populaires d’Europe centrale semblaient dotées. En réalité, la fin de l’Empire américain n’a pas eu lieu. On a au contraire assisté à la formation de ce que Michael Hudson a appelé, avec un sens différent de celui donné par Kautsky, un Super-Impérialisme [2] et à de considérables succès de sa part, même s’il ne faut pas en oublier les échecs. On peut se demander, rétrospectivement, si ceux qui critiquaient ce système n’avaient pas sous-estimé ce que les guerres mondiales avaient pu lui apporter. D’une part, elles avaient détruit suffisamment de capital pour relancer le processus de sa valorisation et en faciliter la modernisation technique. D’autre part, elles firent que sa composante américaine devint de plus en plus forte dans cet ensemble. L’impérialisme global est devenu plus vigoureux face à un système socialiste encore sous-développé industriellement, et qui, sur le continent européen, venait de supporter le choc principal de cette guerre. La crise traversée à la fin des années 1960, n’a pas empêché ses dirigeants de réagir pour la surmonter. Leur première réaction est ce qui se passa en 1971 et fut entériné en 1976 sous le nom d’Accords de la Jamaïque. Après 1945, les États-Unis apparurent comme la première puissance impérialiste du monde. Mais au sein de l’Impérialisme global régnait encore une sorte de multipolarité, en sorte que le régime monétaire des relations internationales fut celui du dollar gagé sur l’or. Les accords de Bretton-Woods furent mis a mal par les mouvements de capitaux en provenance des États-Unis et par les dépenses tant de guerre (Viêt-Nâm) que sociales (Le rêve américain) du gouvernement de ce pays. Or ces flux sortants de dollars étaient jugés excessifs par les autres pays impérialistes, qui n’étaient plus en manque de cette monnaie comme ils l’avaient été après 1945. Théoriquement, le gouvernement des États-Unis aurait dû réduire ses dépenses et les mouvements sortants de capitaux, dévaluer le dollar US par rapport à l’or. Mais le rapport des forces au sein de l’État entre les capitaux monopolistes et leurs représentants politiques eut pour effet le rejet de ces conclusions. L’argument invoqué fut que la dévaluation du dollar US aurait favorisé l’URSS, productrice d’or. Mais elle aurait également réduit la capacité des investisseurs américains à investir en Europe, en utilisant les « balances dollars » qui s’accumulaient à Londres sous le nom d’eurodollars. Ce refus entraîna une crise importante du dollar à la fin des années 1960. Pour la surmonter, le Président de l’époque entérina une autre solution, à savoir couper le lien entre le dollar US et l’or, qui fut démonétisé [3]. Les États-Unis avaient parfaitement le droit d’agir ainsi, isolément. En réalité, les classes dirigeantes de ce pays savaient parfaitement que cette décision aurait des conséquences pour le monde entier, qui s’y plierait. La première conséquence fut que, en raison de la puissance des États-Unis, le dollar US, détaché de l’or, deviendrait le centre monétaire du monde [4]. On a parlé de semi étalon dollar pour indiquer qu’une partie seulement des pays du monde étalonnèrent leur monnaie à l’aide du dollar. La deuxième conséquence fut que, n’ayant plus à satisfaire d’objectifs de change, et donc à équilibrer leurs échanges commerciaux puisque leur monnaie devenait équivalent universel, les États-Unis furent en mesure de devenir débiteurs illimités du reste du monde. Telle était la double situation que la Chine avait à considérer à cette époque : Une occasion de vendre apparemment sans limite, dans la mesure où les États-Unis se préparaient à importer sans limite ; Une double contrainte monétaire, consistant d’une part à lier le yuan au dollar US et à en suivre attentivement le rapport, et à faire du dollar sa monnaie de réserve. Par l’intermédiaire de leur monnaie, les États-Unis prenaient la complète direction de l’Impérialisme global et accroissaient leur capacité à dominer directement le monde entier. Cela dit, la décision de 1971-1976 n’était pas suffisante pour faire à elle seule et durablement du dollar une monnaie mondialement efficace pour le capital monopoliste d’origine américaine. D’une part, il y eut une sorte de liaison établie entre le dollar et le pétrole. On a parlé de « pétrodollar ». L’Arabie saoudite s’engageait pendant 50 ans à facturer son pétrole en dollars en contrepartie d’une protection politique sans faille. Cela obligeait les acheteurs de pétrole à constituer des réserves de dollars pour effectuer leurs achats en cette matière indispensable. Cela suggérait par ailleurs que le dollar, bien que détaché de l’or, ne variait pas de manière complètement folle, mais que sa valeur variait, au plus, comme le prix du pétrole. D’autre part, pendant les 20 années qui suivirent (1980-1990), le gouvernement des États-Unis consolida la domination exercée à l’aide de sa monnaie à l’aide d’un processus complexe appelé « globalisation financière ». On trouvera, dans la thèse doctorale soutenue par Grégory Vanel, la description précises de la façon dont fut construit ce phénomène [5]. Il faut compléter cette description économico-juridique par une description militaire. La mondialisation impérialiste devait être protégée. Pour montrer pourquoi la financiarisation caractérise l’impérialisme contemporain, il a semblé utile de fournir deux explications. La première vise à montrer l’intérêt que les États-Unis trouvent dans le fait que leur monnaie soit utilisée comme monnaie universelle. La deuxième a trait à la transformation que le capitalisme industriel, dans sa phase de maturité, apporta au rapport social monétaire. La financiarisation contemporaine en est le prolongement. Le dollar US monnaie universelle, quel intérêt pour le capital monopoliste des USA ? L’impérialisme n’est pas seulement un effet de puissance exercé sur d’autres pays ou d’autres peuples. À notre époque de décolonisation, ce système doit « enrichir » la panoplie de ses moyens d’exploitation. C’est pourquoi la monnaie est devenue de plus en plus importantes pour le fonctionnement même de l’impérialisme [6]. Mais comment peut-on exploiter le travail d’autres peuples avec de la monnaie ? Imaginons un marchand dans une situation de circulation simple : M1 - A - M2. Il vend une marchandise qu’il a produite (M1) pour en acheter une autre, qu’il veut consommer (M2). Un pays peut être comparé à ce marchand. Le pays vend des marchandises (ses entreprises exportent) et, avec l’argent gagné, il en achète d’autres (ses entreprises importent). Or ces deux moments de la circulation simple ne sont pas identiques. Importer est facile, car c’est utiliser la monnaie que l’on a obtenue à la suite de la métamorphose de ses marchandises. Exporter suppose au contraire de prouver que l’on vend de « bons » produits. Si les entreprises d’un pays exportent au moins autant qu’il est importé de marchandises, cela veut dire que le niveau de productivité des produits et services vendus est au moins égal à celui des produits et services achetés. Si la valeur des exportations dépasse celle des importations, le travail dépensé dans le pays exportateur est de meilleure qualité. Et réciproquement. Au terme de ces rappels, il vient que si la monnaie US est mondiale, les États-Unis n’ont pas besoin de prouver que les marchandises qu’ils produisent en valent la peine et peuvent être achetées. Le schéma de la circulation simple est raccourci de moitié. Ils n’ont même pas besoin d’exporter puisque leur monnaie permet de tout acheter, et partout. Ils peuvent acheter sans vendre. Ils peuvent, en tant que nation, être en déficit permanent. L’émission de crédits (et donc de dollars au sein des États-Unis) remplace l’acte de production et l’achat à l’extérieur permet de s’approprier de la plus- value produite ailleurs. La monnaie devient moyen universel d’appropriation gratuite du travail d‘autrui. Elle n’est plus seulement moyen d’échange. Elle est aussi moyen de prédation. Ce qui vient d’être exposé est très simplifié. Que les États-Unis puissent acheter sans vendre ne veut pas dire qu’ils ne vendent rien. Ils vendent, mais moins qu’ils n’achètent. En outre, que leur monnaie soit la référence de toutes les monnaies ne signifie pas que les habitants de ce pays se lèvent tous les matins, très tôt, pour aller ramasser des dollars dans la rue, avec lesquels ils achèteraient des produits importés. En réalité, ils s’endettent et devront rembourser. Le privilège monétaire dont bénéficient les États-Unis est un privilège macro- économique. Mais de ce privilège, les ménages de ce pays tirent quand même un certain avantage. Les gens vivant dans le Sahel, par exemple, n’ont pas la possibilité de s’endetter quand ils meurent de faim. C’est dire que les ménages américains contribuent eux-aussi à former la dette extérieure des États-Unis, même s’ils le font pour d’autres quantités et motifs que l’État fédéral ou les entreprises. Le tableau 2 montre la tendance longue des dépenses sociales et de santé en % du GDP. L’État trouve, dans l’émission de la dette, un moyen de financement de ces dépenses. Tableau 2 : Dette fédérale et Dépenses militaires, de santé, sociales ( % du GDP) (1980-2024)(Source : Office of management and budget) Années 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 2024 DetteFéd 33.3 43.9 55.0 67.2 57.8 61.6 90.0 99.8 126.3 123.3 Militaire 4.9 6.1 5.2 3.7 3.0 3.9 4.7 3.2 3.4 3.2 Santé 2.3 2.7 3.1 4.1 3.8 4.8 6.2 6.3 7.8 6.8 Social 7.3 7.4 6.7 7.4 6.6 6.8 8.9 7.7 11.1 7.9 Pour conclure ce point, on dira que les dirigeants de la Chine ont immédiatement compris cette dimension de l’impérialisme, et que le coût relativement bas de la main- d’œuvre, associé à un temps de travail relativement élevé, à une qualification de bon niveau, permettraient d’accéder sans difficulté aux riches marchés de l’Europe et de l’Amérique. Ils seraient exploités, car la valeur de leurs produits serait sous-évaluée. Ils seraient payés en dollars qu’ils devraient stocker dans leur Banque centrale. Mais ils ont accepté cette situation. C’était le prix de leur développement. L’Impérialisme contemporain et sa financiarisation Que la monnaie soit un véhicule de l’exploitation était clair dès les années 1960. De même le détachement du dollar par rapport à l’or, permettait d’entrevoir que l’émission de monnaie par l’État fédéral entraînerait un excès de liquidités. Comment le gérer ? Au cours de ces années, d’autres facteurs ont émergé. Le plus important fut l’apparition de forces productives nouvelles, reposant sur l’informatique et laissant prévoir de considérables besoins d’investissements par rapport à l’époque productive précédente, ainsi qu’un niveau de production considérablement accru. Comment prendre en compte toutes ces données dans un monde fini, en voie de décolonisation ? Il fallait trouver d’autant plus rapidement réponse à ces questions que la rentabilité des pays de l’impérialisme global était en baisse (cf. Tableau 1). La solution fut élaborée par tâtonnements au cours des années 1970-1990. Elle a reçu les noms de globalisation financière, « d’accumulation financiarisée », que je crois plus exact [7]. Il semble utile de définir le concept même de finance. Qu’est-ce qui différencie la monnaie de la finance ? Monnaie et Titres Dans tous les modes de production, la monnaie est un droit de tirage sur la valeur des produits et services pour les consommer ou pour en produire d’autres. Mais au fur et à mesure que les capitaux nécessaires pour produire ont augmenté en taille, est apparue la dissociation entre le capital réel de production et le capital de titres, ou capital fictif. La première révolution industrielle a pu être réalisée sur les bases d’un auto- financement familial. La seconde révolution a nécessité de rassembler un grand nombre d’épargnants. La troisième révolution industrielle en cours suppose des mises de fonds encore plus grandes. Or si nous avons l’habitude de concevoir que le caractère de plus en plus social des forces productives désigne le besoin de marchés d’acheteurs des produits de plus en plus larges, nous ignorons souvent combien la socialisation désigne aussi le besoin de capitaux initiaux de plus en plus étendus. Le volume des titres financiers s’est développé en même temps que les forces productives matérielles prenaient de l’ampleur et socialisaient non seulement leur marché mais leur financement. À la fin du XIXe siècle, « la valeur nominale des titres cotés à la Bourse de Londres (le London Stock Exchange) passe de 2.3 milliards de livres en 1873 à 11,3 milliards en 1913... » [8]. Surmonter l’obstacle de la liquidité tout en la maintenant. Le processus de financiarisation dans lequel fut engagé l’Impérialisme global, à partir des années 1980, a pris place dans le contexte de la socialisation des forces productives, induite par la troisième révolution scientifique et technique, la révolution numérique. D’une part, on avait alors une masse de liquidités, alimentée par le déficit de la balance courante américaine mais réticente à s’investir en raison de la suraccumulation existante et durable du capital. D’autre part, les forces productives nouvelles nécessitaient (et nécessitent toujours) l’immobilisation d’une énorme quantité de capitaux pour devenir opérationnelles. La financiarisation a consisté à mettre en place un mécanisme mondial de transformation en titres financiers, par le biais des marchés, des liquidités existantes. Ces liquidités ont donc reçu une rémunération. En même temps, leurs détenteurs n’ont plus eu peur de les investir à la condition que les titres les représentant puissent redevenir liquides très rapidement. Ce que les impérialistes américains ont inventé fut donc un mécanisme de transformation réciproque des liquidités et des titres [9]. L’Impérialisme est passé d’une économie d’endettement (crédits accordés par les banques), la dette étant quelque chose de plutôt rigide, à une économie de financement (concentration de l’épargne, ensuite allouée sur les marchés à l’aide de titres, ceux-ci étant par la suite convertibles sur ces marchés). Le monde s’était couvert de liquidités. Il lui fallait désormais se couvrir de marchés financiers, reliés entre eux par la technologie et fonctionnant d’une certaine manière en continu. La quête de la plus-value par le marché des titres Depuis plus d’un siècle, les composantes nationales de l’Impérialisme global ont expérimenté et porté la deuxième révolution industrielle jusqu’à son terme, dans le cadre contraignant des rapports capitalistes. La troisième révolution pourrait engendrer une production de valeurs d’usage considérable. Mais sa mise en œuvre supposerait la création de conditions générales (investissements d’infrastructure et investissements collectifs) que l’impérialisme global est incapable de réaliser. Cette révolution scientifique et technique est trop coûteuse en capital technique, en capital humain et en dépenses collectives, trop gigantesque en production de valeurs d’usage, pour être rentable dans le cadre des rapports sociaux capitalistes. La financiarisation de la vie économique et sociale a pour objectif de faire face à cette difficulté majeure. La rentabilisation du capital par l’exploitation du travail se ferait non seulement de manière directe, dans l’entreprise, mais aussi par le biais indirect de la finance et des marchés. Comment ? En faisant en sorte que la valeur des actifs représentatifs des activités soient des moyens de prélever de la plus-value, par l’achat ou par la vente, sans avoir à la produire ou de contraindre indirectement à la produire pour ensuite pouvoir la prélever. La monnaie elle-même devient un actif que l’on se procure pour faire des bénéfices de court terme, en écrémant les sources de plus-value existantes, par exemple en achetant des entreprises dites malades puis en les revendant avec bénéfice, soigneusement « nettoyées » de la fraction de leur personnel tenue pour excédentaire. Je signale dès à présent une proposition conceptuelle que fit Jean-Marie Harribey il y a une vingtaine d’années, celle de « valeur captée » [10]. Pour lui, la théorie marxiste de la valeur dans le capitalisme est, certes, au plan global, une théorie de la valeur travail mais nécessairement, au plan de chaque entreprise,une théorie de la valeur captée. En effet, la valeur produite globalement est répartie entre les entreprises en fonction du montant de leurs capitaux et non de la valeur produite localement. Les phénomènes contemporains de captation de la valeur ne seraient donc, selon lui, qu’une extension des processus inhérents au capitalisme de la fin du XIXe siècle, compte tenu, d’une part, de l’ampleur des capitaux aujourd’hui accumulés ainsi que du montant des titres financiers qui en résultent, et d’autre part, des mouvements de concentration de capitaux, destinés à devenir plus fort dans la lutte concurrentielle. Voici trois exemples illustrant la stratégie du capital monopoliste dont la financiarisation serait le moyen de rétablir sa rentabilité. C’est par l’intermédiaire de la finance que l’on peut extraire de la plus-value sans produire. Le premier est celui des Fonds de Pension. Les systèmes de retraite par capitalisation sont tels que les sommes déposées par les intéressés sont concentrées par des Institutions qui les placent en titres divers. Ces titres rapportent des bénéfices et sont vendus au moment du départ à la retraite des bénéficiaires. La retraite des salariés cotisants dépend en partie, dans ce cadre juridique, de la capacité de leur manager à faire exploiter de la main-d’œuvre et à pomper la plus-value produite par ailleurs. Le slogan des Fonds de Pension, pourrait être : « Prolétaires de tous les pays, pour bénéficier d’une vieillesse confortable, exploitez-vous les uns les autres le plus durement possible pendant que vous êtes encore jeunes ». Le deuxième est celui de « la valeur actionnariale ». Les actionnaires d’une entreprise lui apportent le capital (l’épargne) dont elle a besoin pour se développer et ils en retirent un profit en proportion de leur apport. Dans le dernier demi-siècle, les entreprises capitalistes sont devenues des marchandises, au même titre que les salades et les manuels de mathématiques, et elles peuvent être achetées à tout moment par d’autres entreprises. Augmenter la valeur des actions d’une entreprise a donc signifié l’augmentation de sa rentabilité de façon que les actionnaires en soient les premiers bénéficiaires en cas de vente ou qu’ils en soient les premiers défenseurs si d’autres capitalistes voulaient la racheter à leur insu. Par l’intermédiaire de « la valeur actionnariale », le capital monopoliste a très sensiblement accru, de manière marchande, le taux d’exploitation des salariés, et ses actionnaires en ont bénéficié. Le troisième exemple est celui des Bons du Trésor américain. Le dollar est un moyen, pour les États-Unis considérés globalement, de pomper de la plus-value par l’achat de marchandises pas chères ou de matières premières, sans avoir à en vendre. Mais il y a plus. En effet, si l’économie américaine a acheté des marchandises, par exemple à l’économie chinoise, cette dernière ne lui a rien acheté. Il reste donc, dans les ordinateurs de la Banque populaire de Chine, l’inscription d’une créance accordée par la Chine aux États-Unis pour lui avoir vendu des marchandises sans rien lui acheter. Ces créances deviennent « des créances immobiles » grâce aux Bons du Trésor délivrés par l’État américain en contrepartie de leur montant. Les créances du reste du monde sur l’économie américaine sont transformées en titres, stockés par les Banques centrales extérieures. L’épargne des pays qui stockent des bons du Trésor américain (la Chine par exemple) est en quelque sorte « pompée » par les États-Unis, qui eux, n’ont pratiquement plus d’épargne. Il existe d’autres pratiques que celles que je viens d’indiquer expliquant comment la globalisation financière s’accompagne de procédés, visant à capter la plus-value au lieu de la produire. Les très grandes entreprises industrielles, par exemple, agissent comme des Fonds de pension et investissent dans l’achat de titres, en espérant que leurs gains seront supérieurs à ce que leur rapporteraient des investissements normaux. Par ailleurs, elles se séparent des lieux de production. Elles sous-traitent les activités productives et se transforment en lieux de contrats. La Chine fut pendant un certain temps un lieu de sous-traitance. En bref, le capital monopoliste tend à devenir « rentier ». Au total, il apparaît que : La financiarisation des économies ne fut pas la seule transformation importante de l’Impérialisme à partir des années 1970. La Révolution numérique a donné naissance à des phénomènes rentiers comparables à ceux observés au niveau de la finance mais néanmoins distincts d’eux [11]. La stratégie monétaire et financière adoptée par le capital monopoliste américain au cours des années 1970 obtint un réel succès. Non seulement l’Empire américain ne s’est pas effondré. Mais le partenaire avec lequel la Chine se préparait à coopérer pour se développer était apparemment « en pleine forme ». La croissance du PIB des États- Unis fut, au cours de ces années, plus forte qu’en Europe, d’environ 1 point de pourcentage. On parla même de « Nouvelle Économie ». Surtout, en 1991, l’Impérialisme global, et celui des États-Unis en premier lieu, obtinrent un succès gigantesque sur le socialisme avec l’effondrement du socialisme de type soviétique. C’est dans ce contexte que, après la mort de Mao Zedong, fut repensé le développement de la Chine. [1] Jean-Claude Dutailly, « La Crise du Système Productif », Économie et Statistique, n°138, p.3-20. [2] Michaël Hudson, Super Impérialism, The American Strategy of American Empire, 2021, Pluto Press, 3rd edition (1rst edition, 1972). [3] Ivo Maes, « La Genèse du Système Monétaire actuel », Reflets et Perspectives de la Vie Économique, 2010, 4 (Tome XLIX), p.17-27. [4] Michel Aglietta, « La Gouvernance du Système Monétaire International », Regards Croisés sur l’Économie, 2008, n°3, p.276-285. [5] Grégory Vanel, L’Économie Politique de l’Étalon Dollar, Les États-Unis et le nouveau régime financier international, Thèse doctorale soutenue le 17/11/2005. [6] Cheng Enfu, Lu Chunyi, « Research on the Mechanism of Dollarization and De-Dollarization under the Global Financialization System », BRIQ Belt and Road Initiative, 2023, Quaterly, 5(1), p.6-29. [7] François Chesnais (sous la direction de), La Finance Mondialisée, Racines sociales et Politiques, Configuration, Conséquences, 2013, La découverte, Paris. [8] Youssef Cassis, « Londres, New-York et la Dynamique des Places financières Internationales, fin XIXe-début XXe siècle », Monde(s) ; n°13, mai 2018, p.25-47, (p.28). [9] Michel Aglietta, La Globalisation Financière, 1999, La Découverte, Paris, p.53-54. [10] Jean-Marie Harribey, « La Financiarisation du Capitalisme et la Captation de Valeur », in Jean-Claude Delaunay (sous la direction de), Le Capitalisme contemporain, Questions de Fond, 2001, L’Harmattan, Paris, p.67-111. [11] Bernard Gerbier, « Crise Financière ou Crépuscule du Capitalisme Rentier » ; Recherches Internationales, 2008.
Edité le 21-06-2025 à 13:33:44 par Xuan
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| Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18465 messages postés |
| Posté le 21-06-2025 à 13:33:00
| L’impérialisme et le développement chinois (Deuxième partie) par Jean-Claude Delaunay Vendredi 13 juin 2025, par Jean-Claude Delaunay, [voir les illustrations sur site : https://lepcf.fr/L-imperialisme-et-le-developpement-chinois-Deuxieme-partie#nb1 Ce texte porte sur la coexistence entre l’impérialisme et le socialisme chinois, et vise à rendre compte, à très grands traits, de l’un et de l’autre. Il est divisé en deux parties. Dans la première, on cherchera à rendre compte des évolutions de l’impérialisme, du dernier quart du XXe siècle à aujourd’hui. Dans la deuxième partie, on montrera comment la Chine s’est trouvée dans l’obligation de se développer dans le ventre même de l’impérialisme, mais qu’elle en est sortie au début des années 2010. On cherchera notamment à interpréter ce que l’on sait de la stratégie du nouveau président des Etats-Unis. Deuxième partie DANS LE VENTRE DE L’IMPÉRIALISME Pour dîner avec le Diable, disait Raymond Barre, il faut une longue cuillère. Mais pour se développer grâce à lui, que faut-il ? La réponse à cette question fut apportée par Deng Xiaoping, un compagnon de route de Mao Zedong. Les Chinois savent tirer leçon des erreurs qu’ils commettent, ayant une culture de la pratique plus que de la théorie. Cela ne signifie pas que pour eux la théorie soit sans importance, mais que la pratique en a encore plus et qu’ils savent aller de l’une à l’autre. Deng Xiaoping a su tenir compte des erreurs commises, sans jeter aux orties la mémoire de Mao Zedong et le socialisme. Il a fait ce que nous, Français, aurions dû faire avec Staline Dans une première sous-partie, je vais évoquer comment les Chinois ont défini cette stratégie que l’on a appelé « le développement tiré par les exportations ». Je montrerai ensuite comment elle fut insérée dans le tissu de l’Impérialisme, avec quelles contradictions et quelles conséquences. Après 1976, quelle stratégie de développement ? La Chine des années 1970 présentait 3 grandes caractéristiques. Ce pays débordait de population. Il était plein de filles et de garçons dont le socialisme avait la charge. Comment nourrir cette population, quel avenir lui proposer ? Le paradoxe des pays industriellement sous-développés est que la révolution y est réalisée par des paysans, qui la font pour cultiver leurs navets, mais pas pour y développer l’industrie. Comment les intégrer au développement général ? Les tentatives d’augmenter fortement la productivité agricole de façon à financer le développement industriel avaient échoué. Sur quel autre financement fallait-il compter ? La dialectique du développement chinois [1] La première grande décision de développement de la Chine fut démographique : contrôler aussi rapidement que possible la natalité. La deuxième a concerné l’agriculture et a constitué un changement radical relativement aux conceptions antérieures. Le développement industriel socialiste était censé devoir reposer sur l’accroissement de la productivité agricole, laquelle devait financer l’industrie tout en lui fournissant la main-d’œuvre nécessaire. Or les changements dont Mao Zedong fut l’initiateur désorganisèrent l’agriculture chinoise au lieu d’en accroître la productivité. Mais alors, si l’agriculture ne finançait pas l’industrie, qui allait la financer ? Tirant leçon de leurs échecs, les dirigeants de la Chine ont conçu que leur développement industriel pouvait prendre appui sur la multinationalisation des économies (années 1970) issue de la crise de l’Impérialisme. Inversement, les dirigeants des États-Unis ont compris que la Chine pourrait être un lieu de profits élevés pour le capital monopoliste eu égard au bas coût de la main-d’œuvre de ce pays et à l’ampleur prévisible de son marché. Le choix d’une économie de marché semble donc avoir été la conséquence de deux exigences complémentaires. L’une était liée à l’idée que le secteur socialiste n’allait pas s’occuper de tout mais qu’il fallait l’orienter vers les tâches les plus importantes pour la nation et le peuple chinois. L’autre découlait de ce que le développement proviendrait de capitaux étrangers, qui devaient être rassurés. À la fin des années 1970, il fut donc conçu que le développement chinois, tout en prenant appui sur un secteur public puissant, accorderait une grande place au secteur privé, composé d’entreprises étrangères et chinoises, d’inégale compétence. Le secteur agricole lui-même fonctionnerait en partie grâce au marché. Cela dit, nombre de questions étaient soulevées. La Chine ne tournait-elle pas le dos au socialisme ? Cette stratégie, énoncée à la fin des années 1970, commença à être appliquée dans les années 1990. Les dirigeants de la Chine énoncèrent que leur économie serait « une économie de marché socialiste ». Entre temps s’était produit le soulèvement de la place Tian An Men. L’époque était à la décision et non à l’attente. Ce n’était pas la première fois que l’on se posait la question d’introduire le marché, dans un pays socialiste. Mais avec Lénine, il s’était agi de faire face à la pénurie qui prévalait alors des produits industriels et agricoles. L’expérience fut arrêtée en 1928. Ensuite, lorsque les travaux académiques d’Oskar Lange (années 1930) impulsèrent la réflexion sur la nature marchande du socialisme, il fut admis que ce système reposait entièrement sur la propriété publique. Le rôle du marché était seulement d’allouer les ressources. Le socialisme était marchand, il n’était pas « de marché ». L’élément nouveau qu’introduisit l’expérience chinoise fut de dire que la propriété privée pouvait être l’un des piliers durables de la production socialiste. Mais le capitalisme n’allait-il pas ronger le système socialiste ? L’expérience a montré que le socialisme disposait d’une longue cuillère pour dîner avec le Diable : la dictature du peuple. L’Économie Triangulaire et le Keynésianisme International Les dirigeants de la Chine eurent l’intelligence de faire que les investisseurs étrangers disposent de zones économiques spéciales pour déployer leur activité. Comme le montre le graphique 1, les arrivées de capitaux n’ont guère commencé avant les années 1990, Jiang Zemin ayant reçu mandat d’appliquer la politique de réforme et d’ouverture. Graphique 1 : Investissements Directs Etrangers en Chine (100 Million USD) ( China Yearbook 2024) Les années 1990-2010, d’application en Chine de la stratégie de développement par les exportations, furent aussi celles au cours desquelles le Super-Impérialisme atteignit les sommets de sa gloire. Il se mit en place une sorte de keynésianisme international entre la Chine et les États-Unis. Chaque année la Chine lance, avec les entreprises installées sur son territoire, un programme de production, ce qui crée de l’emploi et du revenu en Chine. Mais trouvera-t-elle preneur en Amérique ? La réponse est positive car les banques de ce pays accordent aux ménages et aux entreprises les crédits dont ces agents ont besoin pour acheter les produits chinois. Le dollar étant monnaie mondiale, il peut être émis sans restriction. C’est donc le système bancaire américain qui détermine le niveau de production, de revenu et d’emploi de la Chine. Ce mécanisme de stimulation internationale de la production chinoise correspond bien au statut mondial du dollar. Mais il rend l’économie chinoise prisonnière de la politique monétaire et financière américaine et suppose que la Chine engrange des dollars au-delà de ses besoins en réserves de change. À l’intérieur de ce mécanisme international de type keynésien, fonctionnant avec des monnaies différentes, se forme, au cours de ces années, un autre mécanisme faisant de la Chine une plate-forme assemblant des pièces en provenance de différents pays d’Asie du Sud-Est et revendant les produits obtenus sur les marchés des pays riches. Il s’agit de ce que l’on a appelé le commerce triangulaire (ASEAN+/Chine/USA (Europe)). Comme le montrent les graphiques 2 et 3, cette stratégie fut couronnée de succès. Elle démarra après la signature par la Chine du traité de l’OMC et se développa jusqu’au moment où éclata une très grave crise du système impérialiste. L’excédent commercial de 2009 est positif mais il est inférieur à celui des années immédiatement précédentes. Graphique 2 : Excédent Commercial de la Chine sur les États-Unis Après 2009, il y eut, aux États-Unis, reprise de la tendance, avec une pente plus faible et sans progression régulière. On perçoit sur le graphique 2 l’effet des hausses importantes de taxes sur les exportations chinoises, décidées par le Président Trump en 2018. On observe que pendant la pandémie, le surplus commercial chinois augmente à nouveau. L’élan de cette reprise est interrompu en 2023. Il en fut de même du surplus commercial dégagé grâce aux échanges avec les pays européens (cf. Graphique 3). La croissance de ce surplus est arrêtée en 2009. Elle reprend pendant la période où sévit la pandémie puis décroît en 2023. Graphique 3 : Excédent Commercial de la Chine sur l’Europe ( 10.000 USD) (China Yearbook 2024) Quel bilan peut-on tirer à cette époque de la stratégie chinoise de développement par les exportations ? Bilan du Développement chinois au début des années 2010 Voici trois remarques concernant le développement chinois de cette période, dont je ne fais ici qu’effleurer la présentation. Ce fut un développement effectif, durable dans ses effets économiques et politiques. Il reposa à la fois sur l’existence d’un large secteur privé chinois, sur la production d’entreprises étrangères réexportant dans les pays riches les productions effectuées en Chine, et sur la production publique proprement dite. D’horizontale et d’agricole qu’elle était, la Chine devint de plus en plus verticale et urbaine. Elle se couvrit de villes nouvelles, d’aéroports, de routes et d’écoles de toutes sortes. Cela ne veut pas dire que la Chine ait atteint le niveau des pays développés de l’Impérialisme. Françoise Lemoine, économiste au CEPII, estimait alors qu’au début du XXIe siècle, elle était à peu près au niveau des États-Unis du début du XXe siècle, ou encore de la France des années 1950 et du Japon des années 1960. Ce pays a, en effet, la double caractéristique d’être en développement (résultats par habitant) et d’être développé (résultats globaux). En 2005 est décidé le principe d’une rencontre annuelle de haut niveau entre la Chine et les États-Unis (dialogue stratégique) [2] . Les dirigeants du Super-Impérialisme, alors triomphant, adoptent apparemment un autre comportement que celui dont ils avaient témoigné en 1999, en larguant « par erreur » une bombe sur l’Ambassade de Chine, à Belgrade. Cela dit, la notion de G2 est, pour la Chine, une notion politiquement douteuse. Ce développement fut durement gagné. Les Chinois ont la religion du travail. Mais avec le grand capital monopoliste, ils ont à nouveau expérimenté un type particulier de relation, à savoir la dureté implacable des relations de travail capitalistes. Contrairement à ce qui avait été anticipé, ces grandes entreprises ne diffusèrent pas leurs technologies de pointe. Leurs managers ont tiré avantage de la fraîcheur rurale de la main-d’œuvre chinoise et de son désir de gagner de l’argent pour ramener quelques yuans au village, pour l’exploiter le plus durement possible sur la base du temps de travail absolu. Au début, les dirigeants locaux du PCC ne disent rien, ou ne voient rien. Mais en 2010, le scandale éclate. A l’usine taïwanaise Foxconn, de Shenzhen, une vingtaine de jeunes travailleurs tentent de se suicider et la plupart décèdent. Les conditions de travail et de vie, dans cette entreprise, qui fabrique des IPhones et des IPads pour le compte d’Apple, de Hewlett-Packard, d’IBM ou d’autres, sont insupportables. Ces suicides attirent l’attention sur un phénomène plus général. Dans cette période, de nombreuses contradictions se font jour. Le développement économique a élevé en moyenne le niveau de vie des habitants de la Côte Est et de ses zones économiques spéciales. Mais ceux des provinces de l’Ouest ressentent un retard croissant de développement, et forment un terrain propice au mécontentement, utilisé par des forces extérieures qui le transforment en actions violentes, antichinoises et antisocialistes, au Tibet en 2008, au Xinjiang en 2009. Le socialisme de marché et la stratégie de réforme et d’ouverture, inaugurés par Jiang Zemin et Zhu Rongji, ont bouleversé la vie en Chine. Hu Jintao, qui dirige ce pays entre 2004 et 2013, a cherché à panser les plaies ouvertes par cette stratégie, en particulier dans les campagnes. En effet, l’urbanisation mange des terrains. Les paysans sont souvent lésés dans ce processus. La corruption est alors un phénomène qui, avec le développement industriel de la Chine, est devenue de taille elle aussi industrielle. Les entreprises chinoises privées, de leur côté, ressentent combien elles sont dominées par les entreprises étrangères. Elles sont tout juste aptes, pour la plupart, à produire selon les directives qu’on leur donne, en sous-traitance. Elles ne savent pas ce qu’est « une marque ». Elles ont tout à apprendre. C’est dans ce contexte chinois, à la fois en réel développement mais soumis à des contradictions nombreuses et fortes, qu’éclate la crise de 2008. Les dirigeants de l’Impérialisme global, ceux des États-Unis en premier lieu, se croyaient invincibles puisqu’ils avaient fait exploser le socialisme de type soviétique. La réalité semblait différente, en sorte qu’il devenait urgent, pour les dirigeants de la Chine, de se demander si la stratégie d’un développement tiré par les exportations convenait encore. La réponse à ces questions et la réorientation de la réforme vers une « Nouvelle ère » fut apportée par Xi Jinping et son équipe à partir de 2014. Voici les résultats d’une recherche effectuée par Rémy Herrera et trois chercheurs Chinois sur la période (1978- 2018) [3]. Les dirigeants américains sont intervenus plusieurs fois auprès du gouvernement chinois pour protester contre les dommages que la sous-évaluation du yuan aurait causés à l’économie des États-Unis, en particulier l’aggravation du déficit de son commerce extérieur. Il n’existe guère d’économistes, académiques ou autres, ayant soutenu les accusations américaines [4] . Herrera et son équipe ont cherché à les critiquer en mesurant les avantages respectifs de la Chine et des États-Unis dans leurs échanges commerciaux sur un intervalle de 40 ans (1978-2018). Ils ont utilisé 2 méthodes. La première, évaluant les temps de travail contenus dans les exportations chinoises et les exportations américaines, aboutit au résultat moyen suivant : une heure de travail des USA se serait échangée contre 40 heures de travail chinois pendant cet intervalle. La productivité du travail aurait été, en moyenne, en faveur de l’économie américaine et il est peu vraisemblable que l’économie chinoise ait été en mesure de causer un quelconque dommage à son homologue, compte tenu des écarts de productivité du travail entre les deux pays. Un résultat intéressant ressort de cette première évaluation. À partir de la fin des années 1990, l’heure de travail américaine aurait valu de moins en moins d’heures de travail chinoises. En 2018, 1 heure de travail US aurait valu 7 heures de travail chinois. La productivité du travail en Chine aurait été croissante. Il ne faut pas accorder à ces évaluations plus de confiance qu’elles n’en méritent. On peut considérer, cependant, qu’elles donnent une image correcte des tendances. La deuxième est une évaluation monétaire, après harmonisation en parité de pouvoir d’achat. L’intérêt de cette méthode est qu’elle fournit des résultats globaux et sectoriels (55 produits). Globalement, les États-Unis auraient retiré un avantage monétaire substantiel de ces échanges. Mais si l’on considère les résultats secteur par secteur, il vient que pour 20% d’entre eux, l’avantage aurait été, au cours de l’intervalle, inversé en faveur de la Chine. Parmi ce sous-groupe figurent les produits informatiques et pharmaceutiques. On comprend, dans ces conditions, les grommellements américains relatifs à la Chine. Les États-Unis perdent peu à peu leurs avantages comparatifs sur les produits-pilotes de la révolution numérique. Le développement chinois dans le ventre de l’Impérialisme fut une rude épreuve. Mais l’époque de la dépendance est terminée. Il ne s’agit plus pour les Chinois d’assembler des produits mais de les concevoir et de les faire. C’est ce qu’ils appellent « la Nouvelle Normalité » [5]. Les Américains auraient bien aimé, également, accéder à l’épargne des ménages chinois pour qu’ils leur achètent des titres financiers, de plus en plus toxiques. Malheureusement pour eux, la dictature du peuple a donné quelques coups sur le nez d’Alibaba et de ses amis, les 40 voleurs. La dictature du peuple, dans un pays, sert à faire que les capitaux privés ou les envoyés de l’Impérialisme ne fassent pas la loi mais qu’elle soit faite par le peuple et ses représentants. Cela dit, il reste à construire et consolider une ère nouvelle. Dans quel environnement la Chine se trouve-t-elle pour le construire ? L’Impérialisme Rentier Le développement déréglementé et mondialisé de la finance et des marchés financiers, impulsé par les États-Unis, fut certainement le phénomène le plus apparent du fonctionnement du capitalisme pendant les dernières décennies du XXe siècle. Mais le concept d’Impérialisme rentier paraît plus approprié pour rendre compte de l’environnement impérialiste de la Chine et présente deux avantages par rapport à celui de globalisation financière. Le premier est de décrire le fonctionnement capitaliste contemporain de façon plus large que le concept de globalisation financière. Centrée sur « la liquidité », les phénomènes rentiers qui l’accompagnent ne sont qu’une partie de ceux caractérisant l’Impérialisme contemporain. Aux côtés de la finance, existent les nouvelles forces productives. Leur mise en valeur par la vente de leurs usages, engendre des rentes [6]. Le brevet permet la rente. Cédric Durand a mis en lumière la capacité organisatrice que la propriété privée de ces technologies confère aux groupes qui en ont le monopole. Il souligne « la domination numérique » qu’ils exercent et le bénéfice marchand qu’ils en retirent [7]. Le deuxième avantage est le suivant. L’élément donnant au concept d’Impérialisme rentier toute son ampleur est la valeur. C’est parce qu’il y a dépense de travail et valeur des marchandises qu’existent les phénomènes de captation rentière de la valeur. Michel Husson a écrit un excellent texte à ce propos [8]. Nos sociétés sont encore des sociétés de rareté. Le travail « laborieux », si l’on peut dire, y est une exigence et la majorité de la population mondiale cherche à se développer, à utiliser sa force de travail pour produire, consommer, se reproduire. Et l’on voudrait que le concept de valeur des marchandises ait perdu toute signification ? L’Impérialisme rentier, mondialisé et contrôlé par les États-Unis, est la forme actuelle observable de l’Impérialisme global. Elle est située à la confluence de trois grands phénomènes. Le premier est la tendance à la baisse durable de la rentabilité du capital. C’est le phénomène de suraccumulation durable du capital ayant engendré la mutation des années 1970. Le deuxième est l’impossibilité pour le capital monopoliste de faire face, dans le cadre des rapports sociaux capitalistes, aux implications de la révolution numérique (investissements nécessaires, volume de la production et baisse nécessaire de son prix pour qu’elle puisse être consommée). Le troisième est la crise de la surexploitation du travail productif à l’échelle mondiale. Au début du XXe siècle, l’Impérialisme était encore productif. Cela ressort de l’examen de la première globalisation financière. À la fin de ce siècle, il est devenu complètement parasitaire. C’est pourquoi il est arrivé aujourd’hui aux dernières limites de son existence. Il est facteur de crises et il perd en productivité. Ses dirigeants ont le pressentiment que leur règne est en train de se terminer. Mais ils se battent et sont dangereux. Être le Premier dans le Monde, quelle signification ? Comment, dès lors, interpréter le comportement de la Chine au sein de l’Impérialisme actuel ? Cherche-t-elle à remplacer les États-Unis ? Supposons que le niveau du PIB exprime la puissance d’un pays. En 2023, le PIB américain était de 25.400 Mds USD et celui de la Chine atteignait 17.800 Mds USD. Mais le PIB chinois calculé en parité de pouvoir d’achat (harmonisé avec celui des États- Unis en ce qui concerne les prix) aurait dépassé celui des États-Unis en 2014. La force respective des protagonistes semble donc imprécise, puisqu’ils sont, alternativement, premier et second, second et premier. Les dirigeants américains estiment cependant qu’ils détiennent encore le leadership mondial. Mais ils savent aussi qu’ils sont en train de le perdre. Les Chinois raisonnent et agissent de manière différente. Pour eux, il est conforme à la nature des choses que la production chinoise devienne supérieure à celle des États- Unis puisque leur population est 4 à 5 fois supérieure à celle des États-Unis. Mais tout , pays, quelle que soit sa taille, a droit à l’existence et au respect. La seule différence est que les grands pays ont plus de responsabilités que les autres dans la conduite des affaires du monde, de la même façon que, dans une famille, les aînés doivent veiller sur les cadets et plus tard sur les parents quand ils seront âgés. Or la Chine, les États- Unis, sont de grands pays. Ils devraient l’un et l’autre, disent-ils, veiller au bien-être de l’humanité. La qualité de ce comportement confucéen échappe totalement aux dirigeants de l’Impérialisme. Autant le système rentier vise à la domination solitaire, autant le système chinois cherche à promouvoir l’existence de tous. Si les dirigeants de la Chine ont un comportement confucéen et réintroduisent dans la politique ce dont Machiavel a justifié l’oubli, ce ne sont pas des naïfs pour autant. Ce sont des individus moraux et réalistes. Ils sont, grâce au socialisme, ancrés solidement sur la pratique et non sur l’idéologie. Si l’on comprend bien ces caractéristiques, on dispose de toutes les clés nécessaires pour connaître le secret du comportement chinois dans le contexte de l’Impérialisme rentier. L’Impérialisme rentier prélève sur la production et l’empêche de se développer. Les Chinois développent autant que possible leur propre production, agricole et industrielle. Ils agissent pour le développement de la production mondiale. Ils ne s’appuient pas sur le « brain drain » pour développer les connaissances scientifiques. Ils forment leur jeunesse aux sciences les plus diverses et de leurs universités sortent de grands talents, comme l’a récemment montré l’entreprise Deepseek, de Hangzhou. L’Impérialisme rentier est solitaire. Les dirigeants des États-Unis n’ont pas d’amis et pas même d’alliés. Ils n’ont que des serviteurs, instantanément licenciables, comme le sont les dirigeants de la France, de l’Allemagne ou du Canada. Les Chinois cherchent, au contraire, à rassembler, comme ils l’ont fait en septembre 2024, à l’occasion du 9e Forum de la Coopération Sino-Africaine (FOCAC). 53 pays d’Afrique ont participé à ce Forum. Il faut savoir qu’il existe 54 pays reconnus en Afrique. Ils cherchent à résoudre les conflits, comme ils l’ont fait avec l’Arabie Saoudite et l’Iran. Ils entretiennent, avec cet autre grand pays qu’est la Russie, un « partenariat stratégique ». Le gouvernement de la Chine a lancé plusieurs grands projets de portée mondiale : en 2013, celui de la Ceinture et de la Route en cours de réalisation ; en 2022, alors que sévissait la pandémie du Covid 19, celui du développement mondial, en coopération avec l’ONU ; en 2023, celui de la Sécurité mondiale. En mars 2023, lors d’une importante réunion à Beijing de différents partis du monde, Xi Jinping, Président de la Chine, a lancé l’idée d’une Initiative pour la civilisation mondiale. Dans un ordre d’idées différent, mais complémentaire, le gouvernement de la Chine développe, sur son territoire, une politique efficace de protection de la nature et de gestion du climat. Par contraste, l’Impérialisme rentier estime que tout lui appartient ou que tout est à vendre, les consciences comme les territoires et leurs populations, cela dans un but totalement égoïste et prédateur. Pour les Chinois, leur territoire n’est pas à vendre et il en cuirait à l’Armée comme à la Flotte des États-Unis si les dirigeants de ce pays, leader de l’Impérialisme rentier mondial, cherchaient à s’en emparer. Conclusion Quelles sont donc les évolutions que l’on peut discerner aujourd’hui ? L’arrivée d’un nouveau Président des Etats-Unis risque-t-elle de modifier notre analyse de l’Impérialisme ? Comment apprécier le comportement des uns et des autres dans ce contexte ? 1) Considérons la première question. Le Président Trump a déclaré vouloir mettre en œuvre 3 sortes de grandes décisions : 1) nettoyer l’État, gangréné par la corruption ; 2) en finir avec la guerre en Ukraine et accessoirement avec celle en Palestine ; 3) protéger et reconstruire l’industrie nationale à l’aide d’une politique tarifaire agressive. On laisse de côté d’autres annonces (Groenland, par exemple). À ce jour, des rencontres ont eu lieu entre son administration et la partie Russe. Mais rien n’est réglé, les pays européens déclarant stupidement vouloir poursuivre cette guerre. Quant au combat génocidaire mené par les dirigeants israéliens contre les Palestiniens, momentanément arrêté, il peut reprendre à tout instant. Les seules décisions concrètes ayant été rapidement prises sont relatives aux taxes sur les importations. Elles frappent 3 pays (Canada, Mexique, Chine) et devraient s’appliquer à ceux de l’UE. En réalité, elles visent d’abord la Chine, qui est sortie du ventre de l’Impérialisme et qui est désormais « un ennemi stratégique ». Le coût immédiat de ces taxes est de 160 Mds USD. Lorsque l’ensemble des mesures annoncées auront été prises, ce coût sera de 600 Mds USD (1.6% du PIB des EU). La Chambre de Commerce Internationale des États-Unis est très inquiète. Le risque est grand d’une récession mondiale dont les prolétaires des États-Unis seront les premières victimes. La Chine a immédiatement fait savoir que ces décisions ne lui faisaient pas peur et elle a riposté. Les taxes sur les produits agricoles américains ont été augmentées et les importations de 25 entreprises ont été mises sous surveillance, tandis que le Ministre Wang Yi dénonçait le double visage des dirigeants américains. Il est clair que cette guerre des tarifs, qui risque de causer de grands dommages, est techniquement ridicule. Nous ne sommes plus à l’époque de Frédéric List et de ses recommandations pour développer l’industrie allemande. Le monde est devenu fini et interdépendant. Aujourd’hui, existent deux façons de défendre une industrie nationale. La première, quand on est un pays impérialiste, consiste à élever des barrières, en limitant les quantités produites et en maintenant les prix à un certain niveau. C’est le développement par la création de rentes. On affirme ainsi la domination du travail passé sur le travail vivant. La deuxième, quand on est un pays socialiste, consiste à stimuler la connaissance scientifique et l’innovation pour augmenter les quantités produites et abaisser les prix unitaires. L’objectif est de produire en abondance pour le monde entier. On affirme ainsi la domination du travail vivant sur le travail passé. Au total, le Président Trump semble bien percevoir certains défauts de l’Impérialisme dont son pays est le leader. Mais sa vue est très courte et son programme n’a aucune chance de redorer le blason écaillé des États-Unis. 2) Comment, dès lors, évaluer les comportements de la Chine et celui de l’Impérialisme nord-américain dans ce nouveau contexte ? Je propose, pour ce faire, d’utiliser les concepts de « force matérielle » et de « force morale ». Dans tout système vivant existe ce que Bergson a appelé « un élan vital ». C’est ce que l’on appelle ici « une force matérielle », une direction de vie engendrée par le mouvement des structures. Cette force matérielle est tantôt poussée, tantôt freinée par « la force morale » qui l’accompagne. Force matérielle et force morale vont de pair et forment tantôt un couple harmonieux et tantôt se neutralisent et se détruisent l’une l’autre. C’est ainsi que le capitalisme a libéré l’énergie des marchands et en a fait des industriels, exploiteurs féroces du travail d’autrui. Ce fut sa force matérielle. Celle-ci prit alors appui sur des idéologies visionnaires, comme celle des Saint-Simoniens, produisant une force morale dynamisant la force matérielle dont ils étaient les agents. Avec l’Impérialisme, au début du XXe siècle, le capital monopoliste et financier a été poussé hors des territoires nationaux par la force matérielle du profit. Cette force matérielle fut l’amorce de la mondialisation économique prenant appui sur la force morale d’une idéologie libératrice, supposée apporter l’industrie et la civilisation à tous les peuples. Aujourd’hui, l’impérialisme est devenu prédateur. Il contrôle et punit. Mais il ne produit plus. Une séparation franche est intervenue entre la production de la valeur et sa captation. C’est ce que, dans ce texte, on a appelé l’Impérialisme rentier. Mais si, dans un premier temps, la prédation s’est révélée rentable, elle a abouti rapidement à la régression productive et à la sous-production mondiale. C’est l’indication de la limite historique de ce système. Les dirigeants de l’Impérialisme sont en train de voir s’échapper leur force matérielle, et de perdre leur statut de Puissance Internationalement Dominante [9]. Ils ne savent pas comment faire pour les récupérer. Quant à la force morale accompagnant leurs tentatives, elle est devenue explicitement contreproductive. Qu’est-ce qu’un ordre mondial bâti selon des règles quand ces règles sont uniquement celles définies par les impérialistes et changent ainsi que leurs décisions, au gré des circonstances ? La Chine socialiste est l’incarnation actuelle d’une force matérielle et d’une force morale, orthogonales de celles de l’impérialisme rentier décadent. Alors que ce dernier est la source d’une relation mondiale de type hégémonique et guerrière pour le bénéfice d’une classe sociale peu nombreuse, cela pour maintenir la domination du travail passé sur le travail vivant, la Chine se donne pour objectif, sur une base nationale mais avec une perspective planétaire, de faire en sorte que le travail vivant domine désormais le travail passé, et que tous les peuples puissent en bénéficier. La puissance de la Chine socialiste vient de ce qu’elle est la conjugaison novatrice d’une force matérielle d’avant-garde, et d’une force morale nourrie par plusieurs millénaires de civilisation, qui se dynamisent et se confortent mutuellement. [1] Jean-Claude Delaunay, « La Chine et l’Économie Socialiste de Marché », in Maxime Vivas et Jean-Pierre Page (dir.), La Chine sans Œillères, 2021, Delga, Paris, p.91-99. [2] Les Grands Événements des Relations entre la Chine et les États-Unis (Chronologie), Xinhua, 2009/04/02. [3] Rémy Herrera, Long Zhiming, Feng Zhixuan, Li Bangxi, « Guerre Commerciale Sino-Américaine, le Vrai Voleur Enfin Démasqué », Recherches Internationales, n°119, janvier-mars 2021, p.29-40. [4] Cf. par exemple, la critique de ces accusations par Michel Aglietta, « Le Dollar, le Yuan, et le Système monétaire international », L’Économie Politique, 2010/1, n°45, p.6-25. [5] Cheng Enfu, China’s Economic Dialectic, The Original Aspiration of Reform, 2021, International Publishers, NY(NY), (première édition en langue chinoise : 2019). [6] Ahmed Henni, Le Capitalisme de Rente, De la Société du Travail Industriel à la Société des Rentiers, 2012, L’Harmattan, Paris. [7] Cédric Durand, Techno-féodalisme, Critique de l’Économie Numérique, 2020, Éditions Zones, Paris. [8] Michel Husson, « Pourquoi une Théorie de la Valeur ? », Contretemps, 2016. [9] Bernard Gerbier, « Pour une Théorie de la Dynamique du Capitalisme », in Gilles Rasselet, Les Transformations du Capitalisme Contemporain, 2007, L’Harmattan, Paris, p.143-164.
-------------------- contrairement à une opinion répandue, le soleil brille aussi la nuit |
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