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 faut-il brûler les écoles ?

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Xuan
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   Posté le 05-07-2023 à 10:47:59   Voir le profil de Xuan (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Xuan   

C'est un sujet qui mérite bien des débats parce qu'il est assez complexe, même si la réponse apparemment évidente est non.
Pour commencer cet article tiré du 'courrier des maires', (d'autres articles portent aussi sur cette actualité ) :

Mais pourquoi les « jeunes de cité » brûlent-ils donc... leurs cités ?


Les éditorialistes et responsables politiques s'interrogent sur le sens à donner aux épisodes de violences urbaines consécutifs à la mort le 27 juin d'un mineur à Nanterre. Pourquoi brûler des écoles, se confronter à la police nationale, s'en prendre à des mairies ? Par simple nihilisme ? Auteur de « Les quartiers (im)populaires ne sont pas des déserts politiques », le sociologue lillois Eric Marlière soumet quelques pistes d'explications. Il voit dans les actes désespérés de ces jeunes un moyen de défier les institutions et de dénoncer les politiques n'ayant pas su empêcher leur exclusion ou leur marginalisation de la société française. Dans l'espoir de mieux les réformer ? Son point de vue.


La mort de Nahel.M, 17 ans, abattu par un tir policier lors d'un contrôle de véhicule à Nanterre mardi 27 juin au matin a déclenché une série d'émeutes dans plusieurs communes populaires en Ile-de-France et une vague d 'indignation dans le pays. Les destructions et dégradations ont conduit le chef de l'Etat jeudi 29 à dénoncer « des scènes de violences » contre « les institutions et la République » qui sont « injustifiables » . Pourquoi tout casser, tout détruire ? Les histoires de bandes ou de violences dans les quartiers populaires, notamment lors d'événements déclencheurs (interpellations, blessures ou comme ici, un décès après une intervention policière) défrayent régulièrement la chronique.

Si les parcours sociaux des individus sont plus hétérogènes qu'il n'y paraît, comme je le montre sur mon terrain mais aussi comme le font de nombreux travaux universitaires dont ceux de la sociologue Emmanuelle Santelli , il existe également des déterminismes sociaux mais aussi ethno -raciaux qui scellent la plupart des destins des jeunes des quartiers populaires urbains qui les conduisent, certes en fonction des trajectoires spécifiques, à des confrontations avec les institutions d'encadrement comme la police, l'école ou le travail social.

Nous sommes donc en droit de nous demander si ces différentes manifestations de violence et d'agressivité véhiculées par certains jeunes adultes ne sont-elles pas en quelque sorte l'expression de formes politiques par le bas ? Une forme de résistance infra-politique qui prend la forme d'incivilités, que l'anthropologue James C. Scott appelle le « texte caché » . Cette question nous parait désormais centrale dans la mesure où les revendications politiques et sociales de la majorité des habitants des quartiers populaires et notamment des différentes générations de jeunes n'ont jamais été prises en compte par les institutions.

L'exemple des révoltes urbaines récurrentes depuis les années 80

L'un des moments marquants illustrant cette hypothèse est l'épisode des « émeutes de 2005 ». Les médias avaient ainsi relayé leur incompréhension, indignation et condamnation morale face aux incendies de nombreuses écoles primaires. Or comme l'explique le sociologue Didier Lapeyronnie, le fait d'incendier les écoles – parfois occupées par les petites sœurs ou petits frères – ne peut être appréhendé comme un geste de violence « gratuite », mais plutôt comme un sentiment de revanche contre une institution, l'école, perçue comme humiliante et exclusive.

Cette forme d'ostracisme n'est pas sans conséquence pour ces jeunes dans la mesure où la sélection sociale cautionnée par l'institution scolaire a condamné définitivement leur avenir notamment pour celles et ceux qui en sortiront sans diplôme.

INA, Emeutes, 2005, Villers le Bel.

L’action de brûler les écoles constitue pour ces jeunes le moyen d’occasionner un mouvement de rébellion, écrit Lapeyronnie, bien que dépourvus d’idéologie et de règle, mais visant à provoquer une « réaction » ou des « réformes » de la part de ces mêmes institutions.

Se faire entendre par des institutions qui ne vous écoutent plus

Il s’agit également de se faire entendre par des institutions qui ne vous écoutent plus et de stopper momentanément un « système » qui tourne sans vous et se passe de votre existence depuis des années comme l’affirme Didier Lapeyronnie un peu plus loin :

« L’émeute est une sorte de court-circuit : elle permet en un instant de franchir les obstacles, de devenir un acteur reconnu, même de façon négative, éphémère et illusoire et d’obtenir des « gains » sans pour autant pouvoir contrôler et encore moins négocier ni la reconnaissance ni les bénéfices éventuels. »

Les formes de provocations et autres « incivilités » véhiculées par certains jeunes des « quartiers » envers les enseignants pourrait être appréhendée comme une réponse quotidienne au rôle central de l’école comme moyen verdict social pour l’avenir des jeunes.

Affrontements permanents avec la police
Sur nos terrains d’enquête, nous avons aussi constaté des attitudes quelque peu ambiguës de la part d’agents de police dans l’espace public à l’égard de jeunes et parfois même de moins jeunes.

Par exemple, tel dimanche, en début d’après-midi, lorsque cinq jeunes adultes âgés de trente à trente-cinq ans, qui sont pour la plupart mariés et ont une situation professionnelle plus ou moins stable, se retrouvent dans la cité comme à l’accoutumée, avant d’aller voir jouer l’équipe municipale de football plus tard. Survient alors une 106 blanche « banalisée », avec à son bord des inspecteurs qui regardent de façon soupçonneuse les jeunes adultes en pleine conversation ; l’un des policiers baisse la vitre de la voiture et lance de manière impromptue : « Alors, les petits pédés, ça va ? ! » La réaction des jeunes adultes et des trentenaires présents se mêle de rires et d’incompréhensions face à une interpellation insultante et gratuite mais qui traduit aussi un ordinaire.

Cet ordinaire reflète une forme de négligence vis-à-vis de ces « quartiers populaires » où l’exception en matière de régulation policière, mais aussi en termes de politique de la ville, du logement, de marché du travail…

La recherche de la confrontation avec la police

Il est également vrai que certains jeunes ne sont pas en reste avec les forces de police. L’historique et l’expérience sociale ont fait que certains jeunes récemment n’hésitent pas non plus à provoquer ou à narguer la police. Si certains trafiquants sont parfois dangereux en raison des enjeux économiques inhérents aux trafics, d’autres jeunes ayant intériorisé les pratiques agonistiques de rue perçoivent la police comme un ennemi.

Il existe donc des représailles de la part des jeunes : au bout de plus de 30 ans de confrontations, une sorte de cercle vicieux s’est ainsi instauré entre certains jeunes et certains policiers.

Pour autant si la prise de recul est nécessaire pour appréhender la nature de ces rapports de force – qui tourne le plus souvent à l’avantage des policiers à moyen terme – nous observons que les tensions étudiées qui ont cours dans les quartiers populaires sont liées à un quadrillage policier spécifique à l’encontre de ses jeunes perçus comme indésirables qui est sans commune mesure entre la police et les autres groupes sociaux (hormis les groupes extrêmes et récemment les « gilets jaunes »).

Du côté du bras gauche de l’État

Du côté des politiques sociales, on a constaté une suspicion générale des jeunes envers les formes d’accompagnement proposés par le travail social par exemple.

En effet, contrairement aux discours médiatiques, beaucoup de jeunes adultes en grande difficulté préfèrent le plus souvent contourner les institutions et fuir les conflits notamment avec les forces de l’ordre et les institutions en général car leur survie sociale et/ou physique en dépend.

Les questions relatives à l’illégalité, à la déviance, au mensonge se situent aux confins de la débrouillardise et du « système D » et constituent un moyen de défense et de survie pour les classes populaires en grande difficulté.

Mais lorsque ces stratégies de survie entre des économies parallèles ne peuvent plus s’opérer en raison de conjonctures économiques défavorables ou d’institutions trop répressives dans les quartiers populaires urbains, le « système D » s’efface au profit des résistances, de révoltes ou des formes d’agressivité à l’égard d’agents de l’État appréhendés comme opposés aux possibilités de s’en sortir des personnes rencontrées sur le terrain.

Une situation de tensions permanentes

Depuis les années 1970, une fraction des classes populaires urbaines se retrouve de plus en plus confrontée aux forces de police en période pourtant stable du point de vue politique. Si auparavant des conflits éclataient entre paysans et agents royaux durant l’Ancien Régime, et à partir du milieu du XIXe siècle entre ouvriers et la police, c’était le plus souvent en périodes de troubles sociaux ou politiques conséquence d’émeutes à répétition.

Même constat au sujet de la naissance du mouvement ouvrier à la fin du XIXe siècle – période de déstabilisation pour les classes populaires assujetties aux travaux rugueux et normatifs du monde industriel naissant – où les résistances et parfois les révoltes se développent à l’encontre des pouvoirs.

Au sujet des quartiers populaires urbains, la question semble quelque peu différente, car même en période d'« accalmie » ou stable, la police paraît toujours présente pour contrôler les jeunes, et ce que sont leurs activités.


TRIBUNE ÉCRITE PAR ERIC MARLIERE, PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE À L'UNIVERSITÉ DE LILLE. L’AUTEUR A RÉCEMMENT PUBLIÉ « Les quartiers (im)populaires ne sont pas des déserts politiques Incivilités ou politisation des colères par le bas », AUX ÉDITIONS DU BORD DE L’EAU. CET ARTICLE EST REPUBLIÉ À PARTIR DE The Conversation SOUS LICENCE CREATIVE COMMONS. LIRE L’article original.


Edité le 05-07-2023 à 12:52:12 par Xuan




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   Posté le 05-07-2023 à 12:55:32   Voir le profil de Xuan (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Xuan   

Je signale pour info cette étude récupérable moyennant finance sur cairn

Pourquoi ont-ils brûlé les écoles ?

Laurent Ott
Dans Quand les banlieues brûlent... (2007), pages 126 à 144

Durant les émeutes de novembre 2005, les observateurs n’ont cessé de s’interroger sur le caractère autodestructeur des cibles choisies par les « jeunes en colère », en particulier le fait qu’ils s’en prennent à des écoles (surtout maternelles). Dans certains textes, on a même parlé d’« automutilation » ; le fait de s’en prendre à ce que l’on considérait il y a dix ans encore comme le « fleuron du système éducatif français », cette école maternelle que « l’Europe nous enviait », ne semble pouvoir recevoir aucune explication. Ou plutôt si, une seule, absurde par excellence : il n’y aurait justement aucun sens à rechercher dans le choix des cibles de la violence de ces jeunes, car celle-ci serait « gratuite », anomique, « aveugle », ce qui démontre que leurs auteurs ne sauraient être en fin de compte que des « barbares ».

Peu nombreux ont été les commentateurs qui se sont demandé si, derrière cette violence contre les institutions, il n’y aurait pas une sorte de démenti cinglant des représentations courantes concernant les lieux d’éducation. En effet, il est fort possible que les jeunes n’aient pas gardé un si bon souvenir de ces structures et qu’ils les aient vécues bien davantage comme des lieux d’exclusion ou de répression que comme des lieux d’accueil et d’éducation.

À la suite de ces émeutes, la lecture « unique obligatoire », susurrée par les politiques et confirmée par les médias, semble être la triste reprise d’un refrain répété depuis de nombreuses années : le communautarisme et le « manque de repères » des enfants et des jeunes, la « démission parentale » et l’« échec de l’école » à leur apporter les bases de la culture classique, voire les ravages d’une introuvable « méthode globale » d’apprentissage de la lecture ... etc.

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   Posté le 05-07-2023 à 13:23:53   Voir le profil de Xuan (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Xuan   

A propos de "l'école bourgeoise".

En mai 68, un des slogans issu des facultés et répandu jusque dans les lycées s'en prenait à l'"école bourgeoise" et dénonçait son enseignement. Au même moment le PCF et l'UEC manifestait en réclamant "des plumes et des crayons".

La revendication purement économique est juste une caricature, mais ce qui est apparu par la suite, c'est que la dénonciation de l'école bourgeoise, exactement le contenu bourgeois de l'enseignement, n'a absolument pas débouché sur une école prolétarienne.

Certaines expériences ont essayé de mettre en avant les luttes prolétariennes ou anti impérialistes dans l'enseignement lui-même, mais plus souvent l'enseignement a été vidé de sa substance, parfois de tout contenu scientifique, pour devenir un charabia de coquilles vides.
De sorte que l'indigence de l'enseignement s'est combiné avec le manque de moyens matériels et la mercantilisation.

Mais aujourd'hui, il me semble que l'enseignement bourgeois critiqué à cette époque apparaît aujourd'hui comme un enseignement colonial, et rejeté avec autant de violence.
Mais il n'y a pas d'enseignement révolutionnaire en face.


Edité le 05-07-2023 à 15:02:25 par Xuan




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