| | | | | Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 29-07-2018 à 20:37:08
| Derrière les thèses idéalistes de la décroissance et du retour à la terre, des intérêts très terre-à-terre ! Le Monde Diplomatique d'août publie un article au vitriol sur "le système Pierre Rabhi". La brochure "Contrairement à une idée répandue le soleil brille aussi la nuit" lui avait consacré un paragraphe beaucoup plus modeste (et beaucoup plus indulgent)[fin page 72] dans le chapitre : La révolution sans le prolétariat […] Il en est de même pour le très modeste apôtre de la « révolution tranquille » Pierre Rabhi : « Nous, croyons profondément qu’un changement de société adviendra par le changement des individus. C’est la raison pour laquelle nous n'aurons recours au vieux réflexe du bouc émissaire, vieux comme le monde, qui nous dédouanerait de notre propre responsabilité. Le poing levé et les barricades ne garantissent pas des tyrannies qui, trop souvent, ont fleuri sur le terreau des révoltes, comme l’histoire nous l’a jusqu’à aujourd’hui abondamment démontré. Certaines dictatures parmi les plus féroces ont pris prétexte, pour s’installer, d’une révolte tout à fait légitime contre l’oppression. Malheureusement les opprimés sont des oppresseurs en devenir, et il en sera toujours ainsi tant que chaque individu n’aura pas éradiqué en lui-même les germes de l’oppression. Nous espérons que tous nos efforts serviront de révélateur aux énergies créatives diffuses sur tout le territoire national et ailleurs, dont la fédération mettra en évidence l’ampleur, mais aussi la puissance. Nous espérons que celles-ci inspireront à la gouvernance politique des options et des décisions qui prennent en compte cette énergie omniprésente et latente, pour orienter le navire-monde vers la bonne étoile… » [août 2011 – éloge du génie créateur de la société civile - p 40] Toutes ces positions aboutissent à des solutions réformistes parce qu’elles considèrent la société de façon idéaliste, une société irréelle, vidée de la réalité de la lutte des classes entre le prolétariat et la bourgeoisie. Et d’autre part elles ignorent la réalité de la classe ouvrière pour soi , sa caractéristique inédite dans l’histoire de n’être pas propriétaire des moyens sociaux de production et de ne pouvoir s’en rendre maître que collectivement, en renonçant à tout autre mode de propriété.
____________________ L'article du Diplo ci-dessous : FRUGALITE ET MARKETING Le système Pierre Rabhi La panne des grandes espérances politiques remet au goût du jour une vieille idée : pour changer le monde, il suffirait de se changer soi-même et de renouer avec la nature des liens détruits par la modernité. Portée par des personnalités charismatiques, comme le paysan ardéchois Pierre Rabhi, cette « insurrection des consciences » qui appelle chacun à « faire sa part » connaît un succès grandissant. PAR JEAN-BAPTISTE MALET Dans le grand auditorium du palais des congrès de Montpellier, un homme se tient tapi en bordure de la scène tandis qu’un millier de spectateurs fixent l’écran. Portées par une bande-son inquiétante, les images se succèdent : embouteillages, épandages phytosanitaires, plage souillée, usine fumante, supermarché grouillant, ours blanc à l’agonie. « Allons-nous enfin ouvrir nos consciences ? » , interroge un carton. Le film terminé, la modératrice annonce l’intervenant que tout le monde attend : « Vous le connaissez tous... C’est un vrai paysan. » Les projecteurs révèlent les attributs du personnage : une barbichette, une chemise à carreaux, un pantalon de velours côtelé, des bretelles. « Je ne suis pas venu pour faire une conférence au sens classique du terme , explique Pierre Rabhi, vedette de la journée « Une espérance pour la santé de l’homme et de la Terre », organisée ce 17 juin 2018. Mais pour partager avec vous, à travers une vie qui est singulière et qui est la mienne, une expérience. » Des librairies aux salons bio, il est difficile d’échapper au doux regard de ce messager de la nature, auteur d’une trentaine d’ouvrages dont les ventes cumulées s’élèvent à 1,16 million d’exemplaires (1). Chaussé de sandales en toute saison, Rabhi offre l’image de l’ascète inspiré. « La source du problème est en nous. Si nous ne changeons pas notre être, la société ne peut pas changer » , affirme le conférencier. Passé la soixantième minute, il narre le fabliau du colibri qui a fait son succès : lors d’un incendie de forêt, alors que les animaux terrifiés contemplent le désastre, impuissants, le petit colibri s’active, allant chercher quelques gouttes d’eau avec son bec pour conjurer les flammes. « Colibri, tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu éteindras le feu ! » , lui dit le tatou. « Je le sais, mais je fais ma part » , répond le volatile. Rabhi invite chacun à imiter le colibri et à « faire sa part » . La salle se lève et salue le propos par une longue ovation. « Cela doit faire dix fois que je viens écouter Pierre Rabhi ; il dit toujours la même chose, mais je ne m’en lasse pas » , confie une spectatrice. « Heureusement qu’il est là !, ajoute sa voisine sans détacher les yeux de la scène. Avec Pierre, on n’est jamais déçu. » L’enthousiasme se répercute dans le hall adjacent, où, derrière leurs étals, des camelots vendent des machines « de redynamisation et restructuration de l’eau par vortex » , des gélules « de protection et de réparation de l’ADN » (cures de trois à six mois) ou le dernier modèle d’une « machine médicale à ondes scalaires » commercialisée 8 000 euros. À Paris aussi, Rabhi ne laisse pas indifférent. Le premier ministre Édouard Philippe le cite lorsqu’il présente son « plan antigaspillage » (23 avril 2018). « Cet homme est arrivé comme une véritable lumière dans ma vie » , affirme son ancienne éditrice, désormais ministre de la culture, Mme Françoise Nyssen (2). « Pierre a permis à ma conscience de s’épanouir et de se préciser. Il l’a instruite et il l’a nourrie. Quelque part, il a été son révélateur » , ajoute M. Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire (3). En se répétant presque mot pour mot d’une apparition à une autre, Rabhi cisèle depuis plus d’un demi-siècle le récit autobiographique qui tient lieu à la fois de produit de consommation de masse et de manifeste articulé autour d’un choix personnel effectué en 1960, celui d’un « retour à la terre » dans le respect des valeurs de simplicité, d’humilité, de sincérité et de vertu. Ses ouvrages centrés sur sa personne, ses centaines de discours et d’entretiens qui, tous, racontent sa vie ont abouti à ce résultat singulier : cet homme qui parle continuellement de lui-même incarne aux yeux de ses admirateurs et des journalistes la modestie et le sens des limites. Rues, parcs, centres sociaux, hameaux portent le nom de ce saint laïque, promu en 2017 chevalier de la Légion d’honneur. Dans les médias, l’auteur de Vers la sobriété heureuse (Actes Sud, 2010) jouit d’une popularité telle que France Inter peut transformer sa matinale en édition spéciale en direct de son domicile (13 mars 2014) et France 2 consacrer trente-cinq minutes, à l’heure du déjeuner, le 7 octobre 2017, à louanger ce « paysan, penseur, écrivain, philosophe et poète » qui « propose une révolution » . Tradition, authenticité et spiritualité L’icône Rabhi tire sa popularité d’une figure mythique : celle du grand-père paysan, vieux sage enraciné dans sa communauté villageoise brisée par le capitalisme, mais dont le savoir ancestral s’avère irremplaçable quand se lève la tempête. Dans un contexte de catastrophes environnementales et d’incitations permanentes à la consommation, ses appels en faveur d’une économie frugale et ses critiques de l’agriculture productiviste font écho au sentiment collectif d’une modernité hors de contrôle. En réaction, l’inspirateur des « colibris » prône une « insurrection des consciences » , une régénération spirituelle, l’harmonie avec la nature et le cosmos, un contre-modèle local d’agriculture biologique non mécanisée. Ces idées ruissellent dans les médias, charmés par ce « bon client », mais aussi à travers les activités du mouvement Colibris, fondé en 2006 par Rabhi et dirigé jusqu’en 2013 par le romancier et réalisateur Cyril Dion. Directeur de collection chez Actes Sud, fondateur en 2012 du magazine Kaizen, partenaire des Colibris, Dion a réalisé en 2015 avec l’actrice Mélanie Laurent le film Demain,qui met en scène le credo du mouvement et qui a attiré plus d’un million de spectateurs en salles. Le succès du personnage et de son discours reflète et révèle une tendance de fond des sociétés occidentales : désabusée par un capitalisme destructeur et sans âme, mais tout autant rétive à la modernité politique et au rationalisme qui structura le mouvement ouvrier au siècle passé, une partie de la population place ses espoirs dans une troisième voie faite de tradition, d’authenticité, de quête spirituelle et de rapport vrai à la nature. « Ma propre insurrection, qui date d’une quarantaine d’années, est politique, mais n’a jamais emprunté les chemins de la politique au sens conventionnel du terme ,explique Rabhi sur un tract de sa campagne présidentielle de 2002. Mon premier objectif a été de mettre en conformité ma propre existence (impliquant ma famille) avec les valeurs écologistes et humanistes » — il n’obtint que 184 parrainages d’élu sur les 500 requis. Le visage caressé d’une lumière or, le candidat présenté comme un « expert international pour la sécurité alimentaire et la lutte contre la désertification » se tient parmi les blés. De l’Afrique du Nord aux Cévennes, en passant par le Burkina Faso, la trajectoire de Rabhi illustre les succès autant que les vicissitudes d’une écologie apolitique. Né le 29 mai 1938 à Kenadsa (région de Saoura), en Algérie, Rabah Rabhi perd sa mère vers l’âge de 4 ans et se retrouve dans une famille d’adoption, un couple de colons formé d’une institutrice et d’un ingénieur qui lui donne une éducation occidentale, bourgeoise, catholique. L’adolescent d’Oran adore « écouter La Flûte enchantée, Othello ou bien un soliste de renom » à l’opéra (4) ; il aime la littérature française et les costumes impeccablement coupés qui lui donnent l’allure d’une « gravure de mode » . Fervent catholique, il adopte à 17 ans son nom de baptême, Pierre. « Je me sentais coupable non pas de renier la foi de mes ancêtres [l’islam], mais de ne point aller propager parmi eux celle du fils de Dieu. » Pendant la guerre d’Algérie, raconte-t-il, « me voici brandissant mon petit drapeau par la fenêtre de la voiture qui processionne dans la ville en donnant de l’avertisseur : “Al-gé-rie-fran-çai-se” » . Il gagne Paris à la fin des années 1950 et travaille chez un constructeur de machines agricoles à Puteaux (Hauts-de-Seine) en tant que magasinier, précise-t-il lors de l’entretien qu’il nous accorde, et non en tant qu’ouvrier à la chaîne, comme on peut le lire dans Pierre Rabhi, l’enfant du désert (Plume de carotte, 2017), un ouvrage de littérature jeunesse vendu à plus de 21 000 exemplaires. C’est dans cette entreprise que le jeune homme rencontre en 1960 sa future épouse. La même année, il expédie une lettre qui changera sa vie. « Monsieur,écrit-il au docteur Pierre Richard, nous avons eu votre adresse par le père Dalmais, qui nous a appris que vous vous préoccupiez de la protection de la nature, que vous avez activement participé à la création du parc de la Vanoise, et que vous essayez d’obtenir la création de celui des Cévennes. Nous sommes sensibles à toutes ces questions et voudrions prendre une part active en retournant à cette nature que vous défendez. » Étudiant en médecine avant-guerre, Richard devient, en 1940, instructeur d’un chantier de la jeunesse près des mines de Villemagne (Gard), sur le mont Aigoual (5). Cette expérience hygiéniste, nationaliste et paramilitaire l’influence durablement. En décembre 1945, il soutient une thèse de médecine qui assume un « parti pris évident » : « La santé de l’homme est atteinte, et celle du paysan en particulier, et, par-delà, celle du pays, de la nation, écrit Richard — santé intégrale du corps, de l’esprit, des biens matériels, de l’âme (6). » Quatorze ans plus tard, en 1959, le docteur Richard joue son propre rôle de médecin de campagne dans un film de propagande ruraliste intitulé Nuit blanche, où il fustige l’urbanisation, l’État centralisateur, les boîtes de conserve et la politique de recrutement des entreprises publiques qui arrache les paysans à leurs « racines ». Sur une photographie du mariage célébré en avril 1961, le docteur Richard offre son bras à la mariée, Michèle Rabhi, tandis que Pierre Rabhi donne le sien à l’épouse du médecin de campagne. « Pierre et Anne-Marie Richard sont les parents que le magicien nous a destinés » , écrit Rabhi dans son autobiographie (7). « À mon arrivée en Ardèche, c’est lui qui m’a pris sous son aile. C’était mon initiateur » ,complète-t-il. « L’homme providentiel » Peu après, l’apprenti paysan rencontre l’écrivain ardéchois Gustave Thibon. Acclamé par Charles Maurras dans L’Action française en juin 1942 comme « le plus brillant, le plus neuf, le plus inattendu, le plus désiré et le plus cordialement salué de nos jeunes soleils » , Thibon fut l’une des sources intellectuelles de l’idéologie ruraliste de Vichy. « Ce n’est pas mon père qui était pétainiste, c’est Pétain qui était thibonien » , affirmera sa fille (8). Bien que ses thuriféraires n’omettent jamais de rappeler que Thibon hébergea la philosophe Simone Weil en 1941, ce monarchiste, catholique intransigeant, antigaulliste viscéral et, plus tard, défenseur de l’Algérie française fit régulièrement cause commune avec l’extrême droite. Entre le jeune néorural et le penseur conservateur se noue une relation qui durera jusqu’aux années 1990. « On voyait chez lui une grande polarisation terrestre et cosmique, relate le premier. (...) J’étais alors très heureux de rencontrer un tel philosophe chrétien et j’ai adhéré à ce qu’il disait (9). » Dans le paysage éditorial français, Thibon a précédé Rabhi en tant que figure tutélaire du paysan-écrivain « enraciné » poursuivant une quête spirituelle au contact de la nature (10). Dans le hameau de Saint-Marcel-d’Ardèche où vécut Thibon, Mme Françoise Chauvin, qui fut sa secrétaire, se souvient : « Pierre Rabhi doit beaucoup à Gustave Thibon. Quand il venait ici, son attitude était celle d’un disciple visitant son maître. » « J’ai fait 68 en 1958 ! » , s’amuse, soixante ans plus tard, l’élève devenu maître, lorsqu’il évoque son « retour à la terre » . Le paysage intellectuel des années 1960 et 1970 ne l’enchantait guère. Quand on lui cite l’œuvre du philosophe André Gorz, auteur des textes fondateurs Écologie et politique (1975) et Écologie et liberté (1977), il s’agace : « J’ai toujours détesté les philosophes existentialistes, nous dit-il. Dans les années 1960, il y en avait énormément, des gens qui ne pensaient qu’à partir des mécanismes sociaux, en évacuant le “pourquoi nous sommes sur Terre”. Mais moi, je sentais que la réalité n’était pas faite que de matière tangible et qu’il y avait autre chose. » L’homme ne s’en cache pas : « J’ai un contentieux très fort avec la modernité. » Sa vision du monde tranche avec la néoruralité libertaire de l’après-Mai. « Je considère comme dangereuse pour l’avenir de l’humanité la validation de la famille “homosexuelle”, alors que par définition cette relation est inféconde » , explique-t-il dans le livre d’entretiens Pierre Rabhi, semeur d’espoirs (Actes Sud, 2013). Sur les rapports entre les hommes et les femmes, son opinion est celle-ci : « Il ne faudrait pas exalter l’égalité. Je plaide plutôt pour une complémentarité : que la femme soit la femme, que l’homme soit l’homme et que l’amour les réunisse (11). » En plus de ses fréquentations vichysso-ardéchoises, Rabhi compte parmi ses influences intellectuelles Rudolf Steiner (1861-1925), fondateur de la Société anthroposophique universelle (12). « Un jour, le docteur Richard est venu chez moi, triomphant, et il m’a mis entre les mains le livre Fécondité de la terre, de l’Allemand Ehrenfried Pfeiffer, un disciple de Steiner, raconte-t-il. J’ai adhéré aux idées de Steiner, ainsi qu’aux principes de l’anthroposophie, et notamment à la biodynamie. Lorsqu’il a fallu faire de l’agriculture, Rudolf Steiner proposait des choses très intéressantes. J’ai donc commandé des préparats biodynamiques en Suisse et commencé mes expérimentations agricoles. » À son arrivée en Ardèche, après une année de formation dans une maison familiale rurale, Rabhi fait des travaux de maçonnerie, travaille comme ouvrier agricole, écrit de la poésie, ébauche des romans, s’adonne à la sculpture. Sa découverte de l’agriculture biodynamique le stimule au point qu’il anime, à partir des années 1970, causeries et formations à ce sujet. Il se forge alors une conviction qui ne le quittera plus : la spiritualité et la prise en compte du divin sont indissociables d’un modèle agricole viable, lequel se place dès lors au centre de ses préoccupations. Une nouvelle fois, un courrier et la rencontre avec un personnage haut en couleur vont infléchir le cours de son histoire. Fondateur de la compagnie de vols charters Point Mulhouse, bien connue des baroudeurs des années 1970 et 1980, l’entrepreneur Maurice Freund inaugure en décembre 1983 un campement touristique à Gorom-Gorom, dans l’extrême nord du Burkina Faso. Grâce à cette « réplique du village traditionnel avec ses murs d’enceinte qui entourent les cours (13) » , Freund compte faire de cette localité un lieu de « tourisme solidaire » . Las ! Quelques semaines plus tard, il découvre que le restaurant « traditionnel » sert du foie gras et du champagne car « des coopérants, mais aussi des ambassadeurs, viennent se détendre dans ce havre de paix » . Au même moment arrive une lettre de Rabhi l’invitant à visiter sa demeure en Ardèche. Devant l’insistance de celui qu’il prend d’abord pour un quémandeur, Freund se rend à la ferme. « Avant même d’échanger une parole, en plongeant mon regard dans le sien, je comprends que Pierre Rabhi est l’homme providentiel » , écrit Freund. « S’inspirant des travaux de l’anthroposophe Rudolf Steiner, Pierre Rabhi a mis au point une méthode d’engrais organiques (...) qu’il a adaptée aux conditions du Sahel. Il ramasse les branches, plumes d’oiseaux, excréments de chameau, tiges de mil... Il récupère ces détritus, en fait du compost, le met en terre » , s’émerveille-t-il. Il place aussitôt Rabhi à la tête de Gorom-Gorom II, une annexe du campement hôtelier où l’autodidacte initie des paysans du Sahel au calendrier lunaire de la biodynamie. Le 6 mai 1986, la chaîne publique Antenne 2 diffuse le premier reportage télévisé consacré à Rabhi (14). « Il y a un vice fondamental, explique le Français à Gorom-Gorom, sur fond de musique psychédélique. On s’est toujours préoccupé d’une planification matérielle, mais on ne s’est jamais préoccupé fondamentalement de la promotion humaine. C’est la conscience, c’est la conscience qui réalise. » Images de paysans au travail, gros plans sur les costumes traditionnels, paysages sublimes : le reportage fait dans le lyrisme. « Je crois que le Nord et le Sud n’ont pas fini de se disputer ma personne » , conclut Rabhi. Aucune précision technique sur les méthodes agronomiques n’est en revanche donnée. Quelques mois plus tard, fin 1986, l’association Point Mulhouse, fondée par Freund, demande à l’agronome René Dumont, bon connaisseur des questions agricoles de la région du Sahel (15), d’expertiser le centre dirigé par Rabhi. Le candidat écologiste à l’élection présidentielle de 1974 est épouvanté par ce qu’il découvre. S’il approuve la pratique du compost, il dénonce un manque de connaissances scientifiques et condamne l’approche d’ensemble : « Pierre Rabhi a présenté le compost comme une sorte de “potion magique” et jeté l’anathème sur les engrais chimiques, et même sur les fumiers et purins. Il enseignait encore que les vibrations des astres et les phases de la Lune jouaient un rôle essentiel en agriculture et propageait les thèses antiscientifiques de Steiner, tout en condamnant [Louis] Pasteur. » Pour Dumont, ces postulats ésotériques comportent une forme de mépris pour les paysans. « Comme, de surcroît, il avait adopté une attitude discutable à l’égard des Africains, nous avons été amenés à dire ce que nous en pensions, tant à la direction du Point Mulhouse qu’aux autorités du Burkina Faso » (16). Deux conceptions s’opposent ici, car Dumont ne dissocie pas combat internationaliste, écologie politique et application de la science agronomique. Rabhi s’en amuse aujourd’hui : « René Dumont est allé dire au président Thomas Sankara que j’étais un sorcier. » Dumont conseillera même d’interrompre au plus vite ces formations. En pure perte, car Rabhi bénéficie de l’appui de Freund, lui-même proche du président burkinabé. Mais l’assassinat de Sankara, le 15 octobre 1987, prive Freund de ses appuis politiques. Rabhi et lui quittent précipitamment le Burkina Faso. Cet épisode éclaire une facette importante d’un personnage parfois présenté comme un « expert international » des questions agricoles, préfacier du Manuel des jardins agroécologiques (Actes Sud, 2012), mais qui n’a jamais publié d’ouvrage d’agronomie ni d’article scientifique. Et pour cause. « Avec l’affirmation de la raison, nous sommes parvenus au règne de la rationalité des prétendues Lumières, qui ont instauré un nouvel obscurantisme, un obscurantisme moderne,accuse-t-il, assis dans la véranda de sa demeure de Lablachère, en Ardèche. Les Lumières, c’est l’évacuation de tout le passé, considéré comme obscurantiste. L’insurrection des consciences à laquelle j’invite, c’est contre ce paradigme global. » Rabhi ne se contente pas d’exalter la beauté de la nature comme le ferait un artiste dans son œuvre. Il mobilise la nature, le travail de la terre et l’évocation de la paysannerie comme les instruments d’une revanche contre la modernité. Cette bataille illustre bien le malentendu sur lequel prospèrent certains courants idéologiques qui dénoncent les « excès de la finance » , la « marchandisation du vivant » , l’opulence des puissants ou les ravages des technosciences, mais qui ne prônent comme solution qu’un retrait du monde, une ascèse intime, et se gardent de mettre en cause les structures de pouvoir. « Que nous soyons riche ou pauvre, affirme Rabhi, nous sommes totalement dépendants de la nature. La référence à la nature régule la vie. Elle est gardienne des cadences justes (17). » Dans Le Recours à la terre (Terre du ciel, 1995), il fait d’ailleurs l’éloge de la pauvreté, « le contraire de la misère » ; il la présente dans les années 1990, lors de ses formations, comme une « valeur de bien-être » . Quelques années plus tard, ce parti pris se muera sémantiquement en une exaltation de la « sobriété heureuse (18) » , expression bien faite pour cacher un projet où même la protection sociale semble un luxe répréhensible : « Beaucoup de gens bénéficient du secourisme social, nous explique Rabhi. Mais, pour pouvoir secourir de plus en plus de gens, il faut produire des richesses. Va-t-on pouvoir l’assumer longtemps ? » Pareille conception des rapports sociaux explique peut-être le fonctionnement des organisations inspirées ou fondées par le sobre barbichu, ainsi que son indulgence envers les entreprises multinationales et leurs patrons. Fondée en 1994 sous l’appellation Les Amis de Pierre Rabhi, l’association Terre et humanisme, dont un tiers du budget provient de dons tirés des produits financiers Agir du Crédit coopératif (plus de 450 000 euros par an), poursuit l’œuvre entamée par Rabhi au Burkina Faso en animant des formations au Mali, au Sénégal, au Togo, ainsi qu’en France, sur une parcelle d’un hectare cultivée en biodynamie, le Mas de Beaulieu, à Lablachère. Entre 2004 et 2016 s’y sont succédé 2 350 bénévoles, les « volonterres » , qui travaillent plusieurs semaines en échange de repas et d’un hébergement sous la tente. Aux Amanins (La Roche-sur-Grane, Drôme), l’infrastructure d’agrotourisme née en 2003 de la rencontre entre Rabhi et l’entrepreneur Michel Valentin (disparu en 2012), lequel a consacré au projet 4,5 millions d’euros de sa fortune, s’étend sur cinquante-cinq hectares. Elle accueille des séminaires d’entreprise, des vacanciers, mais aussi des personnes désireuses de se former au maraîchage. La production de légumes repose sur deux salariés à temps partiel (vingt-huit heures hebdomadaires chacun) qu’épaule un escadron de volontaires du service civique ou de travailleurs bénévoles, les wwoofers (mot composé à partir de l’acronyme de World-Wide Opportunities on Organic Farms, « accueil dans des fermes biologiques du monde entier » ) : « En échange du gîte et du couvert, les wwoofers travaillent ici cinq heures par jour, explique la direction des Amanins. Nous ne payons pas de cotisations sociales, et c’est légal. » Son exercice de méditation terminé, l’un des quatre travailleurs bénévoles présents lors de notre visite gratifie son repas bio d’une parole de louange et confie : « En fait, on travaille plus que cinq heures par jour, mais le logement est très confortable. Être ici, ça ramène à l’essentiel. » Malgré la taille du site et la main-d’œuvre abondante, les Amanins déclarent ne pas atteindre l’autosuffisance alimentaire et achètent 20 % de leurs légumes. « J’ai vu des gens partir en claquant la porte, en se plaignant d’être exploités , témoigne Mme Ariane Lespect, qui a travaillé bénévolement au Mas de Beaulieu, géré par Terre et humanisme, ainsi qu’aux Amanins. Mais je crois qu’ils n’ont pas compris le message de Pierre Rabhi. Sortir du système, retrouver un échange humain, c’est accepter de travailler pour autre chose qu’un salaire, et de donner. » Le prophète-paysan ne tire aucun profit monétaire de ces engagements bénévoles. Mais ces apprentis jardiniers sans grande expérience ni connaissances agronomiques qui bêchent le sol des « fermes Potemkine » donnent du « contre-modèle » Rabhi une image télégénique d’exploitation biologique économiquement viable — alors que ces fermes réalisent une part importante de leur chiffre d’affaires en facturant des formations. Le mouvement Colibris ne supervise aucune exploitation agricole. Toutefois, son actuel directeur, M. Mathieu Labonne, coordonne GreenFriends, le réseau européen des projets environnementaux de l’organisation Embracing the World (ETW), fondée par la gourou Mata Amritanandamayi, plus connue sous le nom d’Amma (19). Sa tâche consiste à développer des « écosites modèles » dans les ashrams français d’Amma : la Ferme du Plessis (Pontgouin, Eure-et-Loir) et Lou Paradou (Tourves, Var). Dans ses comptes annuels de 2017, l’association ETW France, sise à la Ferme du Plessis (six hectares), déclare avoir bénéficié de l’équivalent de 843 710 euros de travail bénévole (20), toutes activités confondues. Et l’association MAM, qui gère Lou Paradou (trois hectares), de 16 346 heures (21) de seva, « l’une des pratiques spirituelles qu’Amma nous conseille particulièrement, le travail désintéressé en conscience, appelé aussi méditation en action, explique le site Internet de l’ashram. Cuisine, travail au jardin, ménage, travaux, couture... les tâches sont variées » . Les réseaux Amma et Colibris se croisent régulièrement, que ce soit lors des venues annuelles de la gourou en France, dans les fermes d’ETW, ou dans la presse des Colibris — Amma a fait la « une » du magazine Kaizen en mars 2015. L’enthousiasme des patrons colibris À partir de 2009, année marquée par la participation de Rabhi à l’université d’été du Mouvement des entreprises de France (Medef), le fondateur des Colibris rencontre des dirigeants de grandes entreprises, comme Veolia, HSBC, General Electric, Clarins, Yves Rocher ou Weleda, afin de les « sensibiliser ». Les rapports d’activité de l’association Colibris évoquent à cette époque la création d’un « laboratoire des entrepreneurs Colibris » chargé « de mobiliser et de relier les entrepreneurs en recherche de sens et de cohérence ». « On peut réunir un PDG, un associatif, une mère de famille, un agriculteur, un élu, un artiste, et ils s’organisent pour trouver des solutions qu’ils n’auraient jamais imaginées seuls » , lit-on. Désireux de stimuler cette imagination, Rabhi a également reçu chez lui, ces dernières années, le milliardaire Jacques-Antoine Granjon, le directeur général du groupe Danone Emmanuel Faber, ainsi que M. Jean-Pierre Petit, plus haut dirigeant français de McDonald’s et membre de l’équipe de direction de la multinationale. « J’admire Pierre Rabhi (...), je vais à toutes ses conférences » ,clame M. Christopher Guérin, directeur général du fabricant de câbles Nexans Europe (26 000 salariés), qui se flatte dans le même souffle d’avoir « multiplié par trois la rentabilité opérationnelle des usines européennes en deux ans » (Le Figaro,4 juin 2018). Rabhi a également déjeuné avec M. Emmanuel Macron durant sa campagne pour l’élection présidentielle. « Macron, le pauvre, il fait ce qu’il peut, mais ce n’est pas simple, nous déclare-t-il. Il est de bonne volonté, mais la complexité du système fait qu’il n’a pas les mains libres. » À force de persévérance, les consciences s’éveillent. Le 8 mai 2018, à Milan, dans le cadre du salon de l’agroalimentaire Seeds & Chips, M. Stéphane Coum, directeur des opérations de Carrefour Italie, disserte devant un parterre de journalistes et d’industriels. Trois mois à peine après que M. Alexandre Bompard, président-directeur général de Carrefour, a annoncé 2 milliards d’euros d’économie, la fermeture de 273 magasins et la suppression de 2 400 emplois, le dirigeant de la succursale italienne fait défiler une présentation. Soudain, une citation appelant à l’avènement d’un « humanisme planétaire » apparaît à l’écran, accompagnée d’un visage au sourire rassurant. « Il y a six ans, j’ai commencé à lire Pierre Rabhi, déclare ce patron colibri. Pour que nous parvenions au changement, il faut que chacun “fasse sa part”. Nombreux sont aujourd’hui ceux qui veulent changer le monde, et c’est aussi la volonté de Carrefour. » Réconcilier grande distribution et sollicitude environnementale, grandes fortunes et spiritualité ascétique : la sobriété heureuse est décidément une notion élastique. JEAN-BAPTISTE MALET Journaliste, auteur de L’Empire de l’or rouge. Enquête mondiale sur la tomate d’industrie, Fayard, Paris, 2017. (1) Résultats GfK, juin 2018. (2) Entretien avec Mme Nyssen, « Pierre Rabhi, la terre au cœur », Kaizen, hors-série spécial anniversaire, Paris, mars 2018. (3) Entretien avec M. Hulot, « Pierre Rabhi, la terre au cœur », op. cit. (4) Pierre Rabhi, Du Sahara aux Cévennes ou la Reconquête du songe, Albin Michel, Paris, 1995 (1re éd. : 1983). Les trois citations suivantes en sont tirées. (5) Karine-Larissa Basset, « Richard Pierre (1918-1968) », Histoire de la protection de la nature et de l’environnement, octobre 2010. (6) Pierre-Claude-Roger Richard, « Considérations sur le rôle social du médecin de campagne », thèse de doctorat en médecine soutenue le 13 décembre 1945. (7) Pierre Rabhi, Du Sahara aux Cévennes…, op. cit. (8) Correspondance de l’auteur avec Philippe Barthelet, coordinateur de Gustave Thibon, L’Âge d’homme, coll. « Les dossiers H », Lausanne, 2012. (9) Entretien avec Pierre Rabhi, Ultreïa !, n° 1, Éditions Hozhoni, La Chapelle-sous-Aubenas, automne 2014. (10) Lire Evelyne Pieiller, « Le terroir ne ment pas », Le Monde diplomatique, juin 2018. (11) « Pierre Rabhi : “Le féminin est au cœur du changement” », Kaizen, 28 mai 2018. (12) Lire « L’anthroposophie, discrète multinationale de l’ésotérisme », Le Monde diplomatique,juillet 2018. (13) Maurice Freund, Charters interdits. Quinze ans d’aventures pour la liberté du ciel, Bueb & Reumaux, Strasbourg, 1987. (14) « Aujourd’hui la vie », émission spéciale Afrique, Antenne 2, 6 mai 1986. (15) Lire René Dumont, « L’agriculture voltaïque dans le piège de la dépendance », Le Monde diplomatique, mars 1978. (16) René Dumont, Un monde intolérable. Le libéralisme en question, Seuil, coll. « L’histoire immédiate », Paris, 1988. (17) Pierre Rabhi et Juliette Duquesne, Les Excès de la finance ou l’Art de la prédation légalisée,Presses du Châtelet, coll. « Carnets d’alerte », Paris, 2017. (18) Pierre Rabhi, Vers la sobriété heureuse, Actes Sud, Arles, 2010, dont plus de 400 000 exemplaires ont été vendus tous formats confondus. (19) Lire Jean-Baptiste Malet, « Amma, l’empire du câlin », Le Monde diplomatique,novembre 2016. (20) « Rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels. Exercice clos le 31 décembre 2017 » (PDF), Embracing the World - PKF Audit Conseil, Journal officiel, 22 juin 2018. (21) « Rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels. Exercice clos le 31 décembre 2017 » (PDF), MAM - PKF Audit Conseil, 16 mai 2018.
Edité le 29-07-2018 à 22:36:45 par Xuan
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| Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 29-07-2018 à 22:34:38
| Dans le Diplo de Juin, un autre article sur le même thème : De gauche à droite, célébrations de l’identité Le terroir ne ment pas L’aspiration à la transformation du monde passe parfois par un retour à des valeurs qu’on croyait périmées. Ainsi, le terroir, auquel on prête une capacité à nourrir l’identité individuelle et collective, une authenticité qu’on oppose à la mondialisation capitaliste, sinon au progrès, est à nouveau tendance. Des conservateurs comme des révolutionnaires font son éloge. par Evelyne Pieiller Célébrer le terroir est longtemps passé pour réactionnaire. Les chantres de la tradition, de l’irréductible spécificité d’un coin de terre, se montraient hostiles aussi bien à l’État centralisateur et à son nivellement des différences régionales qu’à la conception du citoyen abstrait, dépouillé de ses caractéristiques d’individu singulier, riche de ses attaches à son histoire. Les provinces avaient, pour leurs défenseurs, une authenticité que la modernité ne pouvait effacer — cette modernité que symbolisaient la Révolution française et la République « jacobine », coupée des racines multiples qui auraient fait l’identité d’une patrie constituée de petites patries. Contre un État hors sol, le sens charnel de l’appartenance à une terre s’affirmait comme le garant d’une vérité humaine, liée à la mémoire, porteuse de valeurs ancestrales, sensible et vibrante. Ce à quoi faisait écho le maréchal Philippe Pétain, dans son discours du 25 juin 1940, quand il affirmait : « La terre, elle, ne ment pas. » Ces points de vue, Charles Maurras (1) (1868-1952), fondateur de la Ligue d’action française et soutien ardent de la « révolution nationale » contre les valeurs de la révolution de 1789, et Maurice Barrès (1862-1923), romancier lyrique et fiévreux par ailleurs, les avaient, chacun à sa manière, théorisés, pour aboutir à un nationalisme xénophobe et antisémite. Mais, avant de dénoncer la toxicité de l’étranger ou du cosmopolite, une part de cet éloge du terroir renvoyait, notamment chez Barrès, au « refus de la décadence, de la société industrielle et des valeurs bourgeoises » , et à la quête des « sentiments qui donnent un prix à la vie » (2). Aujourd’hui, c’est précisément au nom du refus d’une nouvelle « décadence », suscitée par les conséquences du capitalisme financiarisé et de ses auxiliaires politiques, destructeurs de la diversité de la vie, condamnant au nihilisme faute de donner sens à l’existence, réduisant chacun à une solitude impuissante, que surgissent de nouvelles versions du retour au local, censées s’opposer aux forces mortifères du libéralisme mondialisé. Reste à savoir si ce néorégionalisme antisystème est exempt de toute vieille ambiguïté. Ils sont nombreux, et de tous bords, à s’en réclamer. Ainsi, Patrick Buisson, ancien conseiller de M. Nicolas Sarkozy et journaliste à l’hebdomadaire d’extrême droite Minute dans les années 1980, salue avec bonheur le retour, né de la « grande mutation du capitalisme » , du « village coutumier contre le village planétaire » et des « vertus de la solidarité communautaire » , naturelle, à l’opposé des « sociabilités contractuelles » (3). Dans la mouvance de la Manif pour tous (opposée au mariage homosexuel), la revue Limite , animée par des chrétiens « écolos » branchés, et qui, selon son texte de présentation, refuse « le double empire de la technique sans âme et du marché sans loi » , se montre favorable à la défense et à la « préservation des modes de vie traditionnels, de l’ancrage local, de l’enracinement et quelque part de la décroissance » (4)… ce qui la conduit à soutenir les zadistes (5). « L’enracinement contre l’anéantissement » Proche de M. Julien Coupat et du groupe de Tarnac (6), le Comité invisible l’affirme : « Il n’y a pas moi et le monde, moi et les autres, il y a moi, avec les miens, à même ce petit morceau de monde que j’aime, irréductiblement » ; c’est « ici, maintenant, dans cette ville familière, devant ce vieux Sequoia sempervirens » (7), que se vit l’expérience de la communauté. En écho, les contributions du recueil Constellations (8), récits d’expériences cherchant à réinventer les outils d’un possible mouvement révolutionnaire, proposent des histoires « de transmission contre la dépossession, d’enracinement et de voyage contre l’anéantissement des territoires » . Il y a bien d’autres tenants du local, de Jean-Claude Michéa à Michel Onfray, et les horizons sont divers. Mais ce qui ressort chez tous, c’est l’importance de retrouver les « racines » ; ce qui pose alors, entre autres, la question de l’identité. Question intrinsèque à la droite réactionnaire. Question plus surprenante à l’autre bout du spectre. Cette identité, ce sera, sous le parrainage plus ou moins discret de Martin Heidegger — revendiqué par Buisson comme par les auteurs de Constellations —, celle de la communauté, où « appartenir aux lieux autant qu’ils nous appartiennent » , où bruit le passé, où il est clair que « ce qu’il y a dans la vie, ce sont des attachements, des agencements, des êtres situés qui se meuvent dans tout un ensemble de liens » (9). Cette identité liée à une communauté sensible est revendiquée contre la nation abstraite, et engage à soutenir les identités concrètes : celles des régions, ou des tribus affinitaires, par exemple. Mais, plus largement, elle incarne l’offensive contre « l’idée du détachement de tout lien », attribuée traditionnellement par l’extrême droite à l’universalisme, et que retrouve ainsi une certaine gauche radicale. L’ « anthropologie du monde occidental » , qui inventa « la vision d’un sujet libre de tout attachement, d’un sujet raisonnable et indépendant, mais qui finalement est un sujet amputé du monde » , est vigoureusement dénoncée (10). C’est là confondre la raison, l’universalisme, et le capitalisme, sur fond d’essentialisme anti-« occidental » ; c’est là postuler qu’il n’est d’identité que du groupe, d’authenticité que dans la proximité avec un environnement, de vérité que dans les affects (11) : la désaffiliation de toute appartenance est peut-être bien d’ailleurs « la base des maladies qu’on dit de civilisation » (12). Allons bon. Voilà donc la solution à la décadence. Voilà où peut se dissoudre enfin la question sociale, dans un bel élan mystique, rassemblant ceux qui se ressemblent… Le terroir ne ment pas ? Evelyne Pieiller (1) L’inscription de l’antisémite Charles Maurras Maurras (dont l’anthologie, L’Avenir de l’intelligence et autres textes, vient de paraître chez Laffont-Bouquins), au Livre des commémorations nationales 2018, signe d’une certaine décomplexion, est aujourd’hui effacée, à la suite d’une vague de protestations. Celle du romancier Jacques Chardonne, également antisémite notoire et amoureux des provinces, tant apprécié de François Mitterrand, est restée. (2) Zeev Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français, Pluriel, Paris, 2016 (1re éd. : 1972). (3) Patrick Buisson, La Cause du peuple. L’histoire interdite de la présidence Sarkozy, Perrin, Paris, 2016. (4) Louis Gibory, « Aéroport de Notre-Dame-Des-Landes, un enjeu de société », Limite, 27 janvier 2016. (5) Militants en faveur de la « zone à défendre » (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes et contre le projet d’aéroport. (6) Groupe de jeunes gens poursuivis pour « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme », après que des caténaires de chemin de fer ont été endommagés à l’automne 2008. Ils ont été relaxés en avril 2018. (7) Comité invisible, Maintenant, La Fabrique, Paris, 2017. (8) Collectif Mauvaise troupe, Constellations. Trajectoires révolutionnaires du jeune XXIe siècle, L’Éclat Poche, Paris, 2017 (1re éd. : 2014). (9) Comité invisible, Maintenant, op. cit. (10) Collectif Mauvaise troupe, Constellations, op. cit. (11) Cf. Jean-Luc Chappey, « Constellations : Radicalités irrationnelles », Agone, n° 61, Marseille, 2017. (12) Collectif Mauvaise troupe, Constellations, op. cit.
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| Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 29-07-2018 à 22:50:24
| La brochure citée plus haut prenait aussi le contre-pied du retour aux valeurs d'antan [chapitre "L’histoire des sociétés et la lutte des classes" p 89] en signalant : [...] Trivialement les papa-maman opposés au mariage pour tous prétendaient que la machine à laver était pour les femmes un recul par rapport au lavoir. La négation du progrès historique, au prétexte de taper sur la mondialisation, la social-démocratie libérale, etc. est un leitmotiv de certains théoriciens contemporains réactionnaires, auxquels la droite la plus réactionnaire fait bon accueil. Jean-Claude Michéa très inspiré par Orwell critique le progrès qu’il associe unilatéralement au capitalisme, à la licence sociétale et au dictat intellectuel des bobos. Mais avec pour finalité le retour au « bon vieux temps » : « Dans Les mystères de la gauche Jean Claude Michéa reprend à sa sauce l’histoire de la « gauche » née selon lui dans la révolution de 89 et opposée à l’ancien régime. Il n’ignore pas que cette « gauche » n’était autre que l’expression politique de la bourgeoisie alors révolutionnaire, mais il ne le dit pas. Il enfonce le clou en dénonçant le soutien à Adolf Thiers de cette gauche républicaine, (dont Ferry, Zola et Hugo), lors de la Commune de Paris. Là encore il s’agit de la bourgeoisie devenue réactionnaire, face au mouvement ouvrier naissant. Enfin il conclut sa démonstration en datant du procès Dreyfus le ralliement définitif du socialisme à la « gauche » républicaine c’est-à-dire bourgeoise. Michéa oublie juste de signaler un détail de l’histoire, la fondation du parti communiste au congrès de Tours, sur la base de l’adhésion aux 21 conditions de l’Internationale. Etonnant non ? …pour un fils de résistant communiste et pour un adhérent au PCF jusqu’en 1976. Or l’idéal communiste a pour objectif le développement des forces productives, le progrès industriel en même temps que social, et c’est ici que Michéa révèle des conceptions foncièrement réactionnaires car il rejette à la fois le libéralisme, l’économie de marché et toute forme de progrès, contraires à la décence, à la morale commune et au bon sens populaire selon l’expression d’Orwell de common decency . Rejet du progrès en général qu’on retrouve par exemple dans J-C Michéa « le complexe d’Orphée – la gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès ». Pour lui la révolution c’est le retour au bon vieux temps. » [23 – « Michéa ou le fusil à tirer dans les coins – Vous avez dit antifascisme ? » - les Editions Prolétariennes] On ne sera pas surpris qu’Eric Zemmour, Alain Soral ou Alain de Benoist encensent Michéa pour ce rapprochement entre une « gauche » bourgeoise et la défense de Dreyfus. Mais revenons à Claude-Lévi Strauss, dont la réflexion aurait dit-il « son point de départ chez Marx » …mais pas son point d’arrivée : « L'homme dit de gauche se cramponne encore à une période de l'histoire contemporaine qui lui dispensait le privilège d'une congruence entre les impératifs pratiques et les schèmes d'interprétation. Peut-être cet âge d'or de la conscience historique est-il déjà révolu; et qu'on puisse au moins concevoir cette éventualité prouve qu'il s'agit seulement là d'une situation contingente, comme pourrait l'être la « mise au point » fortuite d'un instrument d'optique dont l'objectif et le foyer seraient en mouvement relatif l'un par rapport à l'autre. » Effectivement il existe une contingence entre la compréhension de l’histoire, l’action immédiate et la société où nous vivons. La lutte de classe est entièrement liée à son époque et à sa société, c’est son aspect relatif. En même temps cette contingence est commune à toutes les sociétés divisées en classes, c’est l’aspect absolu de la lutte de classe dans la mesure où elle apparaît avec l’histoire et la remplit. Le caractère scientifique du matérialisme historique réside dans cette contingence parce qu’aucune compréhension de la société ne peut lui être étrangère.
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| Finimore | Grand classique (ou très bavard) | | 2655 messages postés |
| Posté le 30-07-2018 à 07:31:00
| Ce thème -sujet- est important car il est effectivement en lien avec les questions liées au changement climatique, au nucléaire, à l'alimentation, à toutes les formes de pollutions et leurs incidences sur les conflits économiques et militaires ou les catastrophes liées au climat... J'ai dans plusieurs posts indiqué des liens vers des livres ou des vidéos concernant l'écologie et le marxisme et aussi au sujet de NDDL et sa ZAD (et d'autres...). Je pense que ce sujet est très important et qu'il est très vaste. Le titre "Décroissance et retour vers le passé" pose le problème de la représentation, de l'image et du terme de décroissance lui-même. Il y a autant de divergences, de divisions, de multiplicités dans le courant écolo-anarcho-décroissant qu'il y en a chez les marxistes, les maos, les trotskistes, les libertaires.... Nous devons adopté une démarche politique et scientifique basée sur l'enquête et l'étude. Il faut aussi se garder des affirmation à l'emporte-pièce, des raccourcis faciles.... Le courant se revendiquant de la décroissance est en effet multiple et divers. Il passe par l'extrême-droite, par des écolos, des libertaires etc... Ce qui ne veut absolument pas dire qu'il y aurait une identité d'options et de projets entre toutes ses tendances. Je reviendrai sur tout ça dés que possible, car j'ai connu de très près dans les années 70 sur le mouvement écolo et antinucléaire, et que j'ai participé à plusieurs mobilisations-manifestations avec des membres de la tendance libertaire,écolo,décroissant, zadiste au cours de ces derniers mois (d'avril à juillet 2018).
Edité le 30-07-2018 à 07:50:38 par Finimore
-------------------- Ni révisionnisme, Ni gauchisme UNE SEULE VOIE:celle du MARXISME-LENINISME (François MARTY) Pratiquer le marxisme, non le révisionnisme; travailler à l'unité, non à la scission; faire preuve de franchise de droiture ne tramer ni intrigues ni complots (MAO) |
| Finimore | Grand classique (ou très bavard) | | 2655 messages postés |
| Posté le 05-08-2018 à 08:15:22
| Croissance ou décroissance, c'est peut-être aussi dans les termes mêmes qu'il y a un faux problème. La croissance n'est pas synonyme systématiquement d'avenir et de mieux-vivre, tandis que la décroissance n'est pas forcément "le retour vers le passé, ou le retour de l'âge de la bougie". Voici ci dessous quelques liens sur le sujet de la décroissance. Evidemment, c'est pour alimenter les réflexions, et la liste des liens peut être améliorée. Marxisme et décroissance jeudi 11 janvier 2007 http://ktche.ouvaton.org/spip/article.php3?id_article=653 Démocratie participative, Socialisme et Décroissance samedi 12 novembre 2005. http://ktche.ouvaton.org/spip/article.php3?id_article=262 Moishe Postone, un marxisme (enfin) débarrassé du productivisme ? parFabrice Flipo https://www.cairn.info/revue-mouvements-2009-4-page-145.htm « Décroissance ou socialisme ? » : l'économiste marxiste italien Domenico Moro démonte les fondements de la théorie réactionnaire de la décroissance http://solidarite-internationale-pcf.fr/article-decroissance-ou-socialisme-l-economiste-marxiste-italien-domenico-moro-demonte-les-fondement-79067497.html Halte à la décroissance ! Auteur: Henri Houben http://www.marx.be/fr/content/halte-%C3%A0-la-d%C3%A9croissance Le point de vue de LO sur la décroissance https://mensuel.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/article/la-decroissance-un-point-de-vue La décroissance : une doctrine qui prétend faire avancer la société... à reculons https://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/cercle-leon-trotsky/article/la-decroissance-une-doctrine-qui-8991 wikirouge https://wikirouge.net/D%C3%A9croissance partipourladecroissance https://www.partipourladecroissance.net/?cat=3 La "décroissance" est un poison pour l’agroécologie Guillaume SUING https://www.legrandsoir.info/la-decroissance-est-un-poison-pour-l-agroecologie.html https://germinallejournal.jimdo.com/2018/03/22/la-décroissance-est-un-poison-pour-l-agroécologie/ Présentation par Aurélien Bernier du livre : Décroissance ou décadence (de Vincent Cheynet) aout 2014 https://www.monde-diplomatique.fr/2014/08/BERNIER/50746 Repeindre le capitalisme en vert (par Aurélien Bernier) https://www.monde-diplomatique.fr/publications/manuel_d_economie_critique/a57052 Aurélien Bernier | Ce que démondialiser veut dire Le Média - Fév 8, 2018 | https://lemediapresse.fr/idees-fr/ce-que-demondialiser-veut-dire/
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| Finimore | Grand classique (ou très bavard) | | 2655 messages postés |
| Posté le 27-08-2018 à 07:37:42
| La question de la lutte des classes est assez magistralement (ou volontairement) absente de tout ça, comme le montre divers vidéos. Simplicité volontaire et décroissance https://www.youtube.com/watch?v=oqasgdYnYYo Simplicité volontaire et décroissance (Volume 1: Réflexions) https://www.youtube.com/watch?v=g0X7y6A6OCo Partie 2 https://www.youtube.com/watch?v=6pl5XDCf8Ug
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| Finimore | Grand classique (ou très bavard) | | 2655 messages postés |
| Posté le 28-08-2018 à 07:06:45
| Tourjours sur le même thème Vivre autrement - Documentaire HD autonomie, autarcie, éco-village, décroissance, permaculture https://www.youtube.com/watch?v=CHZBiQ5tZY4
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| Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 28-08-2018 à 13:51:54
| Bien sympathiques mais pas si autarciques que ça parce que tous leurs outils sortent de chez "bricoflex", de la perceuse à la scie sauteuse en passant par la tronçonneuse voire le tracteur. Pour aller au bout il faut se tailler des outils en silex. Ces pseudos îlots de "nature" sont parfaitement artificiels. La division du travail a fait en sorte que l'énergie dépensée pour tout faire soi-même est répartie entre des milliers de mains, de sorte que chaque producteur créée individuellement beaucoup plus et mieux qu'auparavant. On peut regretter le charme du passé, il ne faut pas oublier les chiottes au fond de la cour, l'évier en grès en guise de lavabo, l'absence de douche ou de baignoire, les pièces sans lumière, les kilomètres à pied pour aller à l'école, le lavoir en guise machine à laver, les fruits piqués, etc.
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| Finimore | Grand classique (ou très bavard) | | 2655 messages postés |
| Posté le 29-08-2018 à 06:33:21
| Xuan a écrit :
On peut regretter le charme du passé, il ne faut pas oublier les chiottes au fond de la cour, |
Le principe et la réalité des toilettes sèches illustrent bien la question du gaspillage de l'eau potable dans les chiottes traditionnels.
Xuan a écrit :
l'absence de douche ou de baignoire, |
Préférer les douches qui sont moins gaspilleuses d'eau (et se poser la question de l'agression de la peau par les produits chimiques)
Xuan a écrit :
les pièces sans lumière, |
les ampoules récentes plus durables et plus économiques en termes d'énergie.
Xuan a écrit :
les kilomètres à pied pour aller à l'école, |
marcher ça fait du bien (et d'ailleurs notre cher maitre et président n'a-t-il intituler son mouvement "en marche"
Xuan a écrit :
le lavoir en guise machine à laver, |
rencontrer la mère Denis (qui était une vedette) au lavoir c'était sympa, quoi que la fille...
Xuan a écrit :
les fruits piqués, etc. |
c'est pas si facile de piquer des fruits au supermarché avec toutes les caméras qui te surveilles...
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| Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 29-08-2018 à 08:26:11
| Je veux dire qu'il ne faut pas se faire une idée idyllique du passé, ça ne justifie pas pour autant de faire 500m en 4x4 pour trimballer ses gamins à l'école. Par contre les toilettes sèches à la campagne je veux bien mais en ville, ça craint un peu. Et il y a aussi un snobisme du retour à la nature où des gogos paient 100 balles pour dormir dans un arbre et se soulager dans du sable. D'autre part au passé ou au présent le progrès est diversement partagé. Il y a soixante ans les classes aisées ne se lavaient pas dans une biconque mais avaient plusieurs salles de bain.
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| Finimore | Grand classique (ou très bavard) | | 2655 messages postés |
| Posté le 30-08-2018 à 05:55:36
| Je veux simplement dire que les questions concernant l'écologie (dans tous ses aspects et conséquences) ont souvent été prises comme secondaires et souvent caricaturées (aussi par certains courants écolos). Evidemment que la planète ne sera sauvée (la question du seuil limite se pose aussi) que dans la mesure où le capitalisme/impérialisme sera balayé. Ceci ne doit pas nous empêcher ici et maintenant dans la mesure du possible de changer certains aspects de notre vie individuellement et collectivement. Changer la vie pour changer la société, changer la société pour changer la vie, mais aussi pour changer de société (débarrassée du capitalisme) évidemment à la suite d'une processus révolutionnaire.
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| Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 30-08-2018 à 23:19:39
| Danielle Bleitrach publie un article intéressant sur la question :http://histoireetsociete.wordpress.com/2018/08/29/karl-marx-et-lexploitation-de-la-nature/: Karl Marx et l’exploitation de la nature 29 AOÛT L’écosocialisme, une idée qui vient de loin http://www.monde-diplomatique.fr/2018/06/BELLAMY_FOSTER/58734 Pour certains, la crise écologique invaliderait les analyses de Karl Marx, coupable d’avoir délaissé la question environnementale. Le productivisme débridé des régimes se réclamant de lui a paru conforter cette critique. D’autres, tel l’intellectuel américain John Bellamy Foster, suggèrent au contraire que socialisme et écologie forment, chez lui, les deux volets d’un même projet. par John Bellamy Foster Le Monde diplomatique Karl Marx et l’exploitation de la nature Michaël Borremans. — « Red Hand, Green Hand » (Main rouge, main verte), 2010 Photographie : Peter Cox – Zeno X Gallery, Anvers Ces dernières années, l’influence croissante des questions écologiques s’est notamment manifestée par la relecture à travers le prisme de l’écologie de nombreux penseurs, de Platon à Mohandas Karamchand Gandhi. Mais, de tous, c’est sans aucun doute Karl Marx qui a suscité la littérature la plus abondante et la plus polémique. Anthony Giddens a ainsi affirmé que Marx, bien qu’il ait témoigné d’une sensibilité écologique particulièrement développée dans ses premiers écrits, avait ensuite adopté une « attitude prométhéenne » envers la nature (1). De la même manière, Michael Redclift remarque que, pour lui, l’environnement avait pour fonction de « rendre les choses possibles, mais toute valeur découlait de la force de travail (2) » .Enfin, selon Alec Nove, Marx croyait que « le problème de la production avait été “résolu” par le capitalisme et que la future société des producteurs associés n’aurait donc pas à prendre au sérieux le problème de l’usage des ressources rares » , ce qui signifie qu’il était inutile que le socialisme ait une quelconque « conscience écologique » (3). Ces critiques se justifient-elles ? Au cours des années 1830 à 1870, la diminution de la fertilité des sols par la perte de leurs nutriments constitua la préoccupation écologique majeure de la société capitaliste, tant en Europe qu’en Amérique du Nord. L’inquiétude suscitée par ce problème ne pouvait être comparée qu’à celle provoquée par la pollution croissante des villes, la déforestation de continents entiers et les craintes malthusiennes de la surpopulation. Dans les années 1820 et 1830, au Royaume-Uni, et peu après dans les autres économies capitalistes en expansion de l’Europe et de l’Amérique du Nord, l’inquiétude générale concernant l’épuisement des sols conduisit à une augmentation phénoménale de la demande d’engrais. Le premier bateau chargé de guano péruvien débarqua à Liverpool en 1835 ; en 1841, c’étaient 1 700 tonnes qui étaient importées et, en 1847, 220 000. Au cours de cette période, les agriculteurs retournèrent les champs de bataille napoléoniens, comme ceux de Waterloo et d’Austerlitz, dans une quête désespérée d’ossements à répandre sur leurs champs. [S’intéressant aux États-Unis, le chimiste allemand] Justus von Liebig remarquait qu’il pouvait y avoir des centaines, voire des milliers, de kilomètres entre les centres de production de céréales et leurs marchés. Les éléments constitutifs de l’humus étaient donc envoyés très loin de leur lieu d’origine, rendant d’autant plus difficile la reproduction de la fertilité des sols. Empester la Tamise Loin d’être aveugle à l’écologie, Marx devait, sous l’influence des travaux de Liebig de la fin des années 1850 et du début des années 1860, développer à propos de la terre une critique systématique de l’« exploitation » capitaliste, au sens du vol de ses nutriments ou de l’incapacité à assurer sa régénération. Marx concluait ses deux principales analyses de l’agriculture capitaliste par une explication de la façon dont l’industrie et l’agriculture à grande échelle se combinaient pour appauvrir les sols et les travailleurs. L’essentiel de la critique qui en découle est résumé dans un passage situé à la fin du traitement de « La genèse de la rente foncière capitaliste » , dans le troisième livre du Capital : « La grande propriété foncière réduit la population agricole à un minimum, à un chiffre qui baisse constamment en face d’une population industrielle concentrée dans les grandes villes et qui s’accroît sans cesse ; elle crée ainsi des conditions qui provoquent un hiatus irrémédiable dans l’équilibre complexe du métabolisme social composé par les lois naturelles de la vie ; il s’ensuit un gaspillage des forces du sol, gaspillage que le commerce transfère bien au-delà des frontières du pays considéré. (…) La grande industrie et la grande agriculture exploitée industriellement agissent dans le même sens. Si, à l’origine, elles se distinguent parce que la première ravage et ruine davantage la force de travail, donc la force naturelle de l’homme, l’autre plus directement la force naturelle de la terre, elles finissent, en se développant, par se donner la main : le système industriel à la campagne finissant aussi par débiliter les ouvriers, et l’industrie et le commerce, de leur côté, fournissant à l’agriculture les moyens d’exploiter la terre. » La clé de toute l’approche théorique de Marx dans ce domaine est le concept de métabolisme (Stoffwechsel) socio-écologique, lequel est ancré dans sa compréhension du procès de travail. Dans sa définition générique du procès de travail (par opposition à ses manifestations historiques spécifiques), Marx a utilisé le concept de métabolisme pour décrire la relation de l’être humain à la nature à travers le travail : « Le travail est d’abord un procès qui se passe entre l’homme et la nature, un procès dans lequel l’homme règle et contrôle son métabolisme avec la nature par la médiation de sa propre action. Il se présente face à la matière naturelle comme une puissance naturelle lui-même. Il met en mouvement les forces naturelles de sa personne physique, ses bras et ses jambes, sa tête et ses mains, pour s’approprier la matière naturelle sous une forme utile à sa propre vie. Mais, en agissant sur la nature extérieure et en la modifiant par ce mouvement, il modifie aussi sa propre nature. (…) Le procès de travail (…) est la condition naturelle éternelle de la vie des hommes (4). » Pour lui comme pour Liebig, l’incapacité à restituer au sol ses nutriments trouvait sa contrepartie dans la pollution des villes et l’irrationalité des systèmes d’égouts modernes. Dans Le Capital, il a cette remarque : « À Londres, par exemple, on n’a trouvé rien de mieux à faire de l’engrais provenant de quatre millions et demi d’hommes que de s’en servir pour empester, à frais énormes, la Tamise. » Selon lui, les « résidus résultant des échanges physiologiques naturels de l’homme » devaient, aussi bien que les déchets de la production industrielle et de la consommation, être réintroduits dans le cycle de la production, au sein d’un cycle métabolique complet (5). L’antagonisme entre la ville et la campagne, et la rupture métabolique qu’il entraînait étaient également évidents au niveau mondial : des colonies entières voyaient leurs terres, leurs ressources et leur sol volés pour soutenir l’industrialisation des pays colonisateurs. « Depuis un siècle et demi,écrivait Marx, l’Angleterre a indirectement exporté le sol irlandais, sans même accorder à ceux qui le cultivent les moyens de remplacer les composantes du sol (6). » Les considérations de Marx sur l’agriculture capitaliste et la nécessité de restituer au sol ses nutriments (et notamment les déchets organiques des villes) le conduisirent ainsi à une idée plus générale de durabilité écologique — idée dont il pensait qu’elle ne pouvait avoir qu’une pertinence pratique très limitée dans une société capitaliste, par définition incapable d’une telle action rationnelle et cohérente, mais idée au contraire essentielle à une société future de producteurs associés. « Le fait, pour la culture des divers produits du sol, de dépendre des fluctuations des prix du marché, qui entraînent un perpétuel changement de ces cultures, l’esprit même de la production capitaliste, axé sur le profit le plus immédiat, sont en contradiction avec l’agriculture, qui doit mener sa production en tenant compte de l’ensemble des conditions d’existence permanentes des générations humaines qui se succèdent. » En soulignant la nécessité de préserver la terre pour « les générations suivantes », Marx saisissait l’essence de l’idée contemporaine de développement durable, dont la définition la plus célèbre a été donnée par le rapport Brundtland : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins (7). » Pour lui, il est nécessaire que la terre soit « consciemment et rationnellement traitée comme la propriété perpétuelle de la collectivité, la condition inaliénable d’existence et de reproduction de la série des générations successives » . Ainsi, dans un passage fameux du Capital, il écrivait que, « du point de vue d’une organisation économique supérieure de la société, le droit de propriété de certains individus sur des parties du globe paraîtra tout aussi absurde que le droit de propriété d’un individu sur son prochain » . On reproche aussi souvent à Marx d’avoir été aveugle au rôle de la nature dans la création de la valeur : il aurait développé une théorie selon laquelle toute valeur découlerait du travail, la nature étant considérée comme un « don » fait au capital. Mais cette critique repose sur un contresens. Marx n’a pas inventé l’idée que la terre serait un « cadeau » de la nature au capital. C’est Thomas Malthus et David Ricardo qui ont avancé cette idée, l’une des thèses centrales de leurs ouvrages économiques. Marx avait conscience des contradictions socio-écologiques inhérentes à de telles conceptions et, dans son Manuscrit économique de 1861-1863, il reproche à Malthus de tomber de façon récurrente dans l’idée « physiocratique » selon laquelle l’environnement est « un don de la nature à l’homme », sans prise en considération de la manière dont cela était lié à l’ensemble spécifique de relations sociales mis en place par le capital. Certes, Marx s’accordait avec les économistes libéraux pour dire que, selon la loi de la valeur du capitalisme, aucune valeur n’est reconnue à la nature. Comme dans le cas de toute marchandise dans le capitalisme, la valeur du blé découle du travail nécessaire pour le produire. Mais, pour lui, cela ne faisait que refléter la conception étroite et limitée de la richesse inhérente aux relations marchandes capitalistes, dans un système construit autour de la valeur d’échange. La véritable richesse consistait en valeurs d’usage — qui caractérisent la production en général, au-delà de sa forme capitaliste. Par conséquent, la nature, qui contribuait à la production de valeurs d’usage, était autant une source de richesse que le travail. Dans sa Critique du programme de Gotha, Marx tance les socialistes qui attribuent ce qu’il appelle une « puissance de création surnaturelle » au travail en le considérant comme la seule source de richesse et en ne prenant pas en compte le rôle de la nature. John Bellamy Foster Rédacteur en chef de la Monthly Review, New York. Ce texte est extrait de Marx écologiste, Éditions Amsterdam, Paris, 2011. (1) Anthony Giddens, A Contemporary Critique of Historical Materialism, University of California Press, Berkeley, 1981. (2) Michael Redclift, Development and the Environmental Crisis : Red or Green Alternatives ?, Methuen, Londres, 1984. (3) Alec Nove, « Socialism », dans John Eatwell, Murray Milgate et Peter Newman (sous la dir. de), The New Palgrave : A Dictionary of Economics, vol. 4, Stockton, New York, 1987. (4) Karl Marx, Le Capital, livre I, Éditions sociales, Paris, 1978. (5) Karl Marx, Le Capital, livre III, Éditions sociales, 1978. (6) Karl Marx, Le Capital, livre I, op. cit. (7) « Notre avenir à tous », rapport rédigé en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies sous la direction de la première ministre norvégienne Gro Harlem Brundtland [note de la rédaction].
___________________________ en perspective Repeindre le capitalisme en vert Aurélien Bernier, septembre 2016 Vitalité du marché des éoliennes, diffusion des démarches « éco-responsables », multiplication des labels « bio »… tout indique que les entreprises pourraient devenir les meilleures amies de l’écologie. Pourtant, la (…) → Murray Bookchin, écologie ou barbarie Benjamin Fernandez, juillet 2016 À la mort de Murray Bookchin, en 2006, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a promis de fonder la première société qui établirait un confédéralisme démocratique inspiré des réflexions du théoricien de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire. Une reconnaissance tardive pour ce militant américain auteur d’un projet égalitaire et humaniste. → Créer de la richesse, pas de la valeur Jean-Marie Harribey, décembre 2013 D’où vient cette pratique consistant à attribuer à la nature une valeur économique fondée sur l’utilisation de ses bienfaits par l’homme ? → Idées Marxisme Écologie Pollution Économie Capitalisme LibéralismeEnvironnement
-------------------- contrairement à une opinion répandue, le soleil brille aussi la nuit |
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| Posté le 06-09-2018 à 06:32:46
| Le magazine Partisan n°3 -octobre 2015- (publié par l'OCML Voie Prolétarienne) avait publié plusieurs articles sur le sujet et notamment : "8 choses à savoir sur la COP 21" -pages 6-7-8- "La décroissance : une alternative ? -pages 10-11-12-
-------------------- Ni révisionnisme, Ni gauchisme UNE SEULE VOIE:celle du MARXISME-LENINISME (François MARTY) Pratiquer le marxisme, non le révisionnisme; travailler à l'unité, non à la scission; faire preuve de franchise de droiture ne tramer ni intrigues ni complots (MAO) |
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| Posté le 06-09-2018 à 07:26:47
| Voici l'article du Partisan n°3 -octobre 2015- : "La décroissance : une alternative ? -pages 10-11-12- LA DÉCROISSANCE UNE ALTERNATIVE ? De nos jours, tout le monde s'accorde à dire que la crise écologique est bien là, et que cela ne va pas s'arranger. Si le constat est largement partagé, les solutions avancées pour sortir de cette crise sont évidemment un sujet de débat. Nous avons décidé de nous intéresser aux idées de la décroissance, qui se pose comme une alternative radicale au capitalisme ayant pour objectif de sauvegarder la planète. Cela nous semblait important car ces idées influencent pas mal de monde et il n'est pas rare de rencontrer des anti-capitalistes se revendiquant « décroissants ». Parler de décroissance c'est plutôt parler d'une mouvance que d'un courant politique ou d'une idéologie. En effet on retrouve derrière cette « appellation » des personnes avec des divergences philosophiques et politiques profondes. On parlera ici uniquement des idées défendues par des décroissants « de gauche » qui remettent en cause le capitalisme. On peut situer les origines théoriques du concept dans les années 1970. Trois publications de cette époque font ainsi référence : le Rapport Meadows (1971), La convivialité d'Ivan lllich (1973) et surtout Demain la décroissance de l'économiste Nicholas Georgescu-Roegen. C'est dans ce recueil d'articles publié en France en 1979 que l'on voit apparaître pour la première fois le concept de décroissance. Voilà pour les origines. Le postulat de départ des penseurs de la décroissance, c'est qu'il ne peut y avoir de croissance économique infinie dans un monde où nous disposons de ressources qui ne sont pas infinies. Rappelons ici que la croissance économique est le principal indicateur de la bonne santé d'une économie, et donc d'une société, pour les penseurs et décideurs bourgeois. Ce postulat découle de l'analyse qu'ils font du système capitaliste des années 70 : * Durant les « Trente Glorieuses », la production et la productivité des pays dits « riches » (Europe Occidentale, Amérique du Nord, Japon) ont très fortement augmenté, tout comme la consommation de biens et de services dans ces pays. * Dans un même temps, les inégalités entre le « Nord » (pays riches) et le « Sud » (pays pauvres) augmentent, notamment du fait de l'exploitation des richesses des pays pauvres par les pays riches. * Du fait de cette croissance économique, les dérèglements planétaires (pollution, destruction des écosystèmes, épuisement des ressources...) se multiplient. Ce constat les conduit à dire que la croissance économique aura raison de notre planète. Il y a donc urgence à « se désintoxiquer de la croissance », qui est identifiée comme étant le principal problème de notre société. La remise en cause de la croissance comporte plusieurs aspects. UN REJET DU « PRODUCTIVISME », ET DE LA « SOCIÉTÉ DE CONSOMMATION » Pour les décroissants, on produit et consomme beaucoup trop. Et ce « mode de vie occidental », caractérisé par le gaspillage et la consommation de biens inutiles, n'est pas extensible à l'ensemble de la planète. Ce rejet du productivisme est bien souvent associé d'un rejet de l'industrialisation : comme le dit clairement Paul Ariès « Il faut casser la société productiviste, c'est-à-dire détruire la société industrielle »(1). Il faut par exemple sortir de l'agriculture intensive et préférer l'agriculture paysanne, distribuer les produits via des AMAP(2) plutôt que dans des supermarchés. C'est aussi promouvoir l'artisanat ou encore préférer le vélo et les voiliers plutôt que la voiture et les paquebots. 1 Paul Ariès, Décroissance ou Barbarie, 2005 2 Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne UN REJET DE LA « MONDIALISATION » Les décroissants considère la « mondialisation » comme une composante centrale du capitalisme. Elle est synonyme d'inégalités entre les pays riches et les pays pauvres, et contribuent fortement à la destruction de la planète (pillage des ressources, destruction des écosystèmes des pays. Contre cette mondialisation, les décroissants appellent à relocaliser les activités humaines (produire localement, consommer localement...). UNE CRITIQUE DU « PROGRÈS » C'est une autre idée forte des décroissants, chez qui la science et le progrès technique sont perçus d'un mauvais oeil. D'une manière plus ou moins radicale suivant les personnes, ils avancent que s'opposer à la croissance économique, c'est s'opposer à la course à « modernité ». Le progrès technique et la science n'apporteraient ainsi rien de bon, si ce n'est du superflu, de l'abrutissement ou du contrôle social. ALORS COMMENT SE « DÉSINTOXIQUER DE LA CROISSANCE » ? Le principal moteur du changement pour les décroissants c'est le changement des mentalités (« une décolonisation de l'imaginaire »(3) ), et l'action individuelle, ce que certains appellent « simplicité volontaire ». Ainsi ils en appellent à la responsabilité de chacun pour changer le système. Le problème, c'est que le capitalisme s'accommode très bien de ces petites actions individuelles, et il n'est pas non plus menacé par les AMAP. Et puis le capitalisme avant d'être un imaginaire à décoloniser, c'est quelque chose de très concret, et violent pour les prolétaires. 3 S. Latouche, Le pari de la décroissance, 2006 DÉCROISSANCE ET RÉVOLUTION ? En fait, si les décroissants dénoncent certains aspects du capitalisme, leur critique reste très superficielle. A vrai dire ils oublient l'essentiel : le coeur du capitalisme, c'est l'exploitation et l'aliénation du plus grand nombre, par une minorité de personnes. C'est la domination sans partage d'une classe sociale, la bourgeoisie, sur une autre, le prolétariat. Au niveau mondial, le développement inégal entre pays impérialistes et pays dominés est la conséquence de la guerre économique que se livrent les capitalistes entre eux afin d'assouvir leur recherche de profit. Et ce profit se fait sur le dos du prolétariat qui produit les richesses, au « Nord » comme au « Sud ». Les décroissants ne font pas de différence entre exploiteurs et exploités. Ainsi pour eux dans les pays impérialistes, c'est l'ensemble de la population qui est coupable : tout le monde fait le jeu du productivisme et de la « société de consommation ». Des fois, cela sent bon le mépris de classe envers ces « consommateurs ordinaires » qui se gavent de nourriture achetée au supermarché. Parce qu'ils n'ont pas une boussole de classe et une analyse matérialiste de la société, les décroissants se trompent sur la science et le progrès technique. La science n'est fondamentalement ni « bonne », ni « mauvaise » : comme le progrès technique, dans notre société de classes, elle est avant tout au service des capitalistes et de la recherche du profit. Pour prendre un exemple, si aujourd'hui machine rime avec exploitation et aliénation pour les ouvriers, c'est aussi le progrès technique qui nous offrira la possibilité de travailler tous et moins dans la société que nous voulons construire. Ce sera d'ailleurs une de nos tâches sous le socialisme que de mettre la science et le progrès technique au service de notre émancipation. Il en est de même quand les décroissants rejettent la mondialisation. Si nous sommes d'accord quand ils avancent que tout le monde doit pouvoir « vivre et travailler au pays », le problème n'est pas que les rapports humains et les échanges soient mondialisés. Ce qui nous faut combattre, c'est la domination politique, économique d'une poignée de pays sur le reste du monde. C'est la division internationale du travail toujours plus poussée, l'asservissement économique des pays dominés. Ce que nous voulons c'est une société où les échanges et des rapports humains soient basés non plus sur la concurrence mais sur la solidarité et la coopération. Enfin, contrairement aux décroissants, nous ne sommes pas « anti-productivistes ». Et nous ne sommes pas non plus « productivistes » ! Oui, le constat est sans appel, le capitalisme détruit la planète. Il broie des hommes et des femmes aussi. Oui, le capitalisme est caractérisé par l'abondance de produits et de services sans aucune utilité sociale (produits de luxe, armement...). A vrai dire, des pans entiers de l'économie des pays impérialistes sont complètement parasitaires (banques, assurances, marketing...). Sous le socialisme, il y aura donc des secteurs où la production baissera voir disparaîtra parce qu'inutile socialement. Il y aura aussi peut-être des secteurs où la production augmentera. Nous ne savons pas précisément, nous ne sommes pas devins. Ce que nous savons, c'est que nous voulons produire autrement, des choses utiles, sans détruire la Terre où nous vivons. Bref, nous voulons une société où la production réponde à nos besoins et non plus à la recherche de toujours plus de profits. Une société où nous aurons transformé les rapports de production, débarrassée de l'aliénation et de l'exploitation. Pour nous c'est la seule voie pour la sauvegarde de la planète
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| Posté le 20-08-2019 à 15:51:48
| (dé)croissance de quoi pour qui ? http://www.reveilcommuniste.fr/article-pour-une-critique-marxiste-de-la-de-croissance-capitaliste-107941514.html mercredi 20 juillet 2011 par pam sur lepcf.fr La brutalité d’une bourgeoisie prête à une guerre de grande ampleur pour maintenir ses privilèges en écrasant les peuples au Sud comme au Nord a un double effet contradictoire. - D’un coté, les révoltes, les mobilisations massives peuvent créer des situations révolutionnaires, et le printemps arabe est venu rappeler à tous que ce sont les peuples qui font l’histoire. - De l’autre, le sentiment de toute puissance du système rend justement difficile la pensée ce que que peut être une révolution qui mettrait en cause réellement le pouvoir pour se libérer de ce système. Elle nécessite de penser au concret un autre système, un socialisme du XXième siècle. La recherche d’une issue de secours est tentante, une solution qui n’oblige pas à affronter la dureté de la bourgeoisie, mais qui permette de lui échapper dans une "troisième voie", une "alter-quelquechose", surtout si cela permet de s’y engager localement, à petite échelle, et sans avoir besoin justement de ces "mobilisations de masse" qui seules font l’histoire. Ces alternatives peuvent être pertinentes, utiles pédagogiquement pour former des citoyens avertis sur certains sujets. Elles peuvent même préfigurer des solutions possibles pour une société non capitalistes. Mais elles sont toujours "digérables" par ce capitalisme qui continue de fait à les dominer, comme il l’a fait des expériences socialistes de plus larges échelles, par les idées de la bourgeoisie qui restent naturellement les idées dominantes. Le concept de décroissance fait bien sûr partie de ces "alternatives" et il est utile de comprendre à la fois en quoi il peut sembler répondre à des militants cherchant à dénoncer le capitalisme et en quoi il est tout autant une arme idéologique pour détourner des questions centrales du socialisme comme libération du joug capitaliste, du développement des forces productives comme moyen du développement humain, développement qui n’a rien à voir avec le productivisme capitaliste. Une analyse rapide conduit en général à constater un gouffre idéologique entre « décroissance durable » et « construction du socialisme ». - D’un coté, dénonciation du socialisme historique qui n’aurait été qu’une variante du même "productivisme". - De l’autre, dénonciation de l’origine de la décroissance dans le club de Rome ce qui conduit à négliger, voir oublier les immenses besoins sociaux des peuples. La situation politique le conforte avec des mouvements de la décroissance souvent anticommunistes, cherchant à s’affirmer politiquement et électoralement comme une alternative à la critique communiste, et dans le même temps, une évolution de l’orientation nationale du PCF qui, dans la remise en cause de son héritage communiste et de ses liens internationalises, s’ouvre de plus en plus aux thèses anti-productivistes. Mais est-ce que pour un marxiste, cela conduit à nier tout intérêt aux critiques de la croissance, et à laisser ces questions à ceux qui se présentent comme porteurs d’une critique anticapitaliste de la croissance ? Tentons au contraire d’identifier ce que la critique du contenu de la croissance capitaliste, jusqu’à mettre en cause la croissance définie comme accroissement monétaire d’un PIB marchand, peut avoir d’actuel pour une analyse marxiste du monde d’aujourd’hui, et pour favoriser le rassemblement large sur des bases ouvertes aux mouvements de masses qui font seuls les révolutions. Un socialisme réel productiviste, social et culturel ! Certes le communisme a pu être largement identifié comme un productivisme. Quand les soviétiques s’exclamaient sur les réalisations socialistes, c’était en général autour de chiffres toujours plus élevés de production d‘acier, de machines, de tracteurs… D’abord, il ne faut pas réduire le communisme à la construction historiquement marquée par son origine du socialisme dit réel. Car ce "modèle" qu’on peut dire productiviste est d’abord celui du projet stalinien de « rattrapage » du capitalisme développé dans une Russie paysanne loin des niveaux de développements capitalistes de l’occident, d’un projet de rattrapage marqué par les guerres d’où est né et qu’a traversé ce régime. Mais on ne peut limiter le cas russe (et son extension à l’Europe de l’Est) au productivisme ! Comme le montre avec humour le film « Good Bye Lénine », les habitants de ces pays ont découvert que ce « socialisme étatique » ne s’occupait pas uniquement de la production d’acier. mais répondait aussi à des besoins sociaux vitaux (des crèches aux personnes âgées) que la « libération » capitaliste a vite détruit, recréant des couches de pauvres en même temps d’ailleurs que dans les pays occidentaux ou le compromis social de l’époque de la guerre froide volait aussi en éclat ! Dans les représentations du communisme, chez ceux qui le défendaient comme chez les autres, l’avenir radieux était d’abord une société d’abondance où les inégalités étaient vaincues par le progrès social et technique, ce qui était un luxe devenant populaire ! le lave-linge et la télévision complétait l’électricité et les soviets comme définition du socialisme, bref une société qui se présente d’abord comme la croissance des moyens matériels du cadre de vie. - C’est oublier que ce socialisme avait aussi permis un incroyable développement culturel et social, du bouillonnement initial qui a contribué fortement aux révolutions intellectuelles et artistiques du XXième siècle à la maitrise de l’espace, en passant par l’élévation massive du niveau d’éducation et d’accès à la culture. - C’est cacher aussi que ce socialisme "productiviste" avait développé des réponses moins individuelles à ce confort naissant. La collectivisation de moyens que ce soit de lingeries d’immeubles ou de services d’entreprises était aussi porteur d’une approche moins individualiste et moins consumériste de ce développement du niveau de vie. De plus, les expériences cubaines ou chinoises sont sur de nombreux sujets bien différentes, que ce soit la place de la révolution culturelle dans l’histoire chinoise ou celle des biotechnologies et de la santé dans le développement cubain sous le blocus, dont les résultats sur la santé oculaire en Amérique Latine ou le choléra à Haiti sont impressionnants avec de très faibles moyens de production... S’il est évident que le socialisme réel a été marqué par les conditions de sa naissance et de sa survie, on ne peut donc le réduire à un productivisme aveugle. Les questions des usages étaient bien déjà posées en URSS. [1]. Pour une critique marxiste de la croissance capitaliste Plus profondément, d’un point de vue théorique, le marxisme considère que c’est le développement des forces productives, c’est à dire l’accumulation des moyens techniques incorporant la somme de tout le travail passé qui petit à petit transforme les conditions des rapports entre les hommes et peut créer les conditions d’une société plus juste. Cela conduit en général à dire que, c’est le « progrès » qui libère l’humanité, car c’est ce développements des forces productives qui permet de libérer du temps de travail contraint et de créer ainsi les conditions nécessaire au "libre développement de chacun", l’abondance permettant l’égalité d’accès aux biens et services. Or, le développement du capitalisme de la fin du 20ème siècle ne peut que créer des interrogations, quand le progrès automatise largement de plus en plus de tâches humaines alors que le volume horaire de travail contraint continue à croitre, tout en ayant des masses toujours plus larges d’hommes et de femmes considérés comme « inemployables ». L’armée de réserve identifiée par Karl Marx est bien une caractéristique structurelle du capitalisme, permettant d’organiser massivement la division des prolétaires pour faire pression sur le coût du travail. Ne faut-il pas constater aussi que la concentration record du capital et son organisation à l’échelle mondiale lui permet de maintenir de larges masses exploitées mais éloignées du cœur de la production du profit, dans un travail parcellisé, standardisé et subsituable à l’extrême, comme ces techniciens de centre d’appel qui doivent suivre scrupuleusement un script préétabli, et peuvent être remplacés et délocalisés au pied levé. Le taylorisme s’est étendu à toutes les activités de transformation, distribution ou gestion en permettant une automatisation toujours plus large. La classe ouvrière qualifiée intègre massivement les techniciens et ingénieurs alors que la masse des "opérateurs" sont émiettés dans des situations de surexploitation précarisées à l’extrême. Ce développement là des forces productives semble bien porter toujours plus loin la dépossession des travailleurs des résultats de leur travail, qui devient de plus en plus "invisible" à chacun. De plus, on voit toujours plus clairement l’incroyable distance entre l’explosion des biens et services que le marché et la technique diffuse et l’immense pauvreté qui s’installe y compris dans les pays développés. Le marché développe toujours plus de moyens de créer artificiellement des besoins, cherchant à les rendre solvables, en même temps qu’il en écarte des millions de pauvres ! La comparaison des étagères des "hard discount", des grandes surfaces classiques, des supérettes de quartiers aisés, et des commerces de haut de gamme est édifiante. Et que penser de cette profusion d’objets de consommation qui élargissent les linéaires de grande surface, dont la durée de vie est toujours plus courte ! Peut-on raisonnablement considérer comme un progrès d’avoir chaque jour un « packaging » différent d’un produit de base identique, mais qu’une forte dépense publicitaire présente comme indispensable ? Le capitalisme consacre une part toujours plus importante de ses moyens à faire vendre. 50% des dépenses des grands éditeurs de logiciels sont consacrées au marketing ! Il y a plus dans ce secteur d’offres d’emplois de vendeurs que de développeurs ! Quand aux grands projets, les relations internationales fourmillent d’exemples de marché post-coloniaux ou un financement artificiel permet la vente d’armes lourdes ou de constructions pharaoniques au service des grands groupes capitalistes occidentaux, tout en enfermant le tiers monde dans la dette. Un marxiste ne peut qu’être convaincu que le socialisme ne peut pas être le prolongement de cette société de consommation capitaliste sans le capitalisme ! Les trois premiers marchés du capitalisme sont les armes, la drogue et le sexe ! Qui peut penser construire un autre monde sur ces bases ? D’autant qu’il faut ajouter qu’une autre part importante des dépenses organisées par le capitalisme , donc du PIB concerne le contrôle et la répression ! A commencer bien sûr par le militaire qui est le principal facteur de cette puissance économique américaine qu’on nous vente [2]. Mais pas seulement ! Quand on dit que 70% du PIB en France est réalisé dans le service, on peut penser bien sûr à la santé et à l’éducation. Mais au contraire, les libéraux affirment sans arrêt qu’il y a trop d’emplois dans ces secteurs. En fait, ils veulent dire trop d’emplois publics dans ces secteurs fondamentalement utiles pour tout ce qui concerne la réalisation des êtres humains en tant qu’être humain… Par contre, une part essentielle du développement des services réside dans le développement d’une société toujours plus contrôlée et gérée d’en haut. C’est d’ailleurs le principal usage de l’informatique qui permet en fait la seule dématérialisation qui intéresse le capital… la dématérialisation du contrôle social et économique. A quoi servent, socialement, les innombrables sociétés de surveillance mais aussi de courtage, d’affacturage, d’administration judiciaires, d’avocats d’affaires, d’intérim ou de portage salarial, sans parler de ce que permettent les réseaux sociaux qui intègrent des millions d’individus dans des systèmes contrôlables mondialement ? Cette croissance là des services est avant tout au service d’un capitalisme qui a besoin de contrôler les flux, notamment financiers, pour extraire et maitriser la valeur créée dans la production, notamment là ou le capital fixe est le plus important décuplant la valeur produite, sans être contraint par les structures de production elles-mêmes, mais au contraire, en les rendant toutes les plus précaires possibles, un site pouvant être détruit à tout moment, pour s’adapter toujours plus vite à la guerre de tous contre tous ! L’externalisation massive de fonctions toujours plus diverses est un facteur de croissance apparente, mais ne sert qu’à faciliter les restructurations. A quoi sert le secteur des services financiers aux entreprises ou aux particuliers ? A quoi servent les sociétés qui organisent l’endettement des ménages ? Si comme le propose Bernard Friou, on imaginait une cotisation économique, sur le modèle des cotisations sociales qui permettrait du niveau local au niveau global, de rendre transparent les profits générés par les activités en autorisant une gestion démocratique de leur utilisation… le principe même du crédit, et de toute les entreprises associées serait bouleversé ! une gestion transparente des comptes d’exploitation et de la répartition des moyens de la collectivité supprimerait tous les spécialistes du montage financier, de la recherche de niches fiscales.. ou même (j’en connais) de « l’optimisation des coûts sociaux ». Ce n’est pas une nouveauté marxiste. Expliquant dans le célèbre prix, salaires, profits qu’une augmentation massive des salaires n’aurait pas d’impacts négatifs sur l’emploi, Marx montre qu’elle conduirait le capital à déplacer ces investissements de la production de biens pour les riches, vers la production de biens pour les travailleurs. En quelque sorte, le rapport des forces entre le capital et le travail conduit à faire décroitre certaines activités ou en développer d’autres. Alors, oui, il faut envisager une décroissance durable de nombreuses activités économiques ; militaires, policières, parasitaires, publicitaires, financières, "orwelliennes"...activités qui représentent une part importante du PIB des USA par exemple ! Cette critique du contenu de la croissance capitaliste, complémentaire de celle concernant la société de consommation, est utile et nécessaire à ceux qui continuent d’inscrire l’autre monde dans la nécessité d’une rupture permettant de sortir du capitalisme. Il s’agit donc de points de convergences possibles entre marxistes et décroissance. Une critique marxiste de la décroissance capitaliste ! - Reste que la décroissance était déjà là en 2008 avec la récession ! - Reste que la famine tue des milliers de personnes, d’enfants en Afrique ! - Reste que dans la majorité des pays du monde, l’accès à l’eau, à l’électricité, au chauffage est incertaine et précaire ! - Reste que les promoteurs de la décroissance ne prenne les exemples de l’imbécilité de certaines productions capitalistes que comme ils le font de l’imbécilité de la planification socialiste (il en a bien sûr existé !), comme des exemples pour dénoncer non le capitalisme, mais le progrès lui-même, c’est à dire l’affirmation que l’humanité peut se libérer de contraintes "naturelles" en construisant par son travail son cadre de vie, que toute l’humanité a droit au confort, au déplacement, à l’énergie, à la connaissance... Un de ses promoteurs, Serge Latouche qui rêve « à une société de petites cités fédérées », et en attendant propose « un compromis à trouver entre l’autonomie, quasi totale mais très frugale, du chasseur-cueilleur et la techno-aliénation non moins quasi totale de nos contemporains. » . La question des conditions de vie des 8 milliards d’êtres humains n’est visiblement pas son problème ! La réponse des décroisseurs est ainsi celle de la frugalité [3], la simplicité, l’autonomie, dont ils se demandent comment les rendre "désirables" aux peuples... Kyoto est un exemple éclairant des conséquences de cette non dénonciation du ressort du capitalisme dans la prise en compte de contraintes environnementales. Les objectifs de Kyoto prévoyait pour 2012 des baisses d’émissions de gaz à effet de serre pour chaque pays développé. Tout le monde sait désormais que les objectifs ne seront pas atteints, et de très loin pour les USA malgré les violentes restructurations industrielles qui ont conduit à délocaliser massivement, notamment au Mexique. Les seuls pays qui sont proches des objectifs seront les anciens pays de l’Est, car ils ont connus dans les années 90 une décroissance brutale et profonde ! L’industrie socialiste a été laminée et les investissements de l’Ouest n’ont que partiellement relancé la production, la Russie notamment restant encore une économie de matières premières. La France qui est plutôt un bon élève de Kyoto a elle-même "bénéficié" d’une décroissance forte d’activités fortement émettrices (minières, métallurgiques...) Kyoto ne comportait bien sûr aucune critique du capitalisme, au contraire, il reposait justement sur des mécanismes de marché pour rendre le capitalisme vertueux au plan environnemental ! Il a simplement permis d’inventer ce capitalisme vert qui se révèle tout autant destructeur pour les hommes et la terre que ce vieux capitalisme que dénonçait Marx. En fait, le capitalisme connait déjà la décroissance notamment industrielle, quand il joue de la spécialisation dans la concurrence. Le capitalisme sait aussi ne pas produire ! Il ne produit jamais pour répondre à un besoin, pour combler une pénurie ! Il ne produit que pour une et une seule raison, extraire du profit pour s’accroitre ! Quand il ne voit pas de rentabilité pour lui, quelque soit la taille du débouché potentiel, il ne produit pas ! De fait, il n’est pas vraiment productiviste et est tout autant destructeur que constructeur à grande échelle. Contrairement à ce qu’en disent les "décroissants", le capitalisme ne produit pas "pour produire", mais pour son profit ! Or, la réponse aux besoins sociaux gigantesques sur toute la planète ne peut se satisfaire de demi-mesures ! Et tout montre que le capitalisme n’est pas capable de répondre à ces besoins ! Comment une critique du capitalisme pourrait porter les masses à ces mouvements qui font l’histoire si elle n’affirme pas clairement qu’elle propose de répondre à ces besoins ? Combien de logements de qualité faut-il construire en France pour répondre aux besoins ? Quels logements ? avec quel niveau de qualité ? quelle densité urbaine pour répondre aux millions de mal logés ? (4000 demandes de logements non satisfaites à Vénissieux, ville de 23000 logements !). Les revendications légitimes des syndicats, associations de locataires, de défense des SDF représentent le doublement de l’activité de construction de logements... une croissance de 100% de ce marché ! La majorité des logements collectifs existants sont très peu performants énergétiquement. Les exemples les plus avancés de rénovation énergétique en collectif conduisent à des coûts de l’ordre de 20K€ par appartement pour diviser par deux les consommations, ce qui représentent pour 1 million de logements en France une croissance considérable de la rénovation et donc de production pour les fabricants d’isolants, d’aluminium utilisé pour l’isolation extérieure... A quel niveau de droit au transport faut-il répondre ? Si tous les habitants avaient le même droit de voyager, de partir en vacances, en weekend-end, d’aller voir facilement leur famille dans tous les coins de France ou du Monde, combien faudrait-il d’avions, de bateaux, de trains ? Prenons l’exemple de l’avion. Certains disent qu’il ne faut pas "trop" voyager, et qu’il faut en urgence limiter drastiquement l’avion trop consommateur et pollueur. On peut déjà observer que, par passager, un A380 plein et un jet privé n’ont pas du tout le même impact environnemental. Une partie de la réponse tient donc aussi à la part de planification et à la part de marché dans l’organisation du transport aérien, sujet que les "décroissants" aborde rarement, concentrés en général sur le rejet de l’avion lui-même, symbole de la technique. Faut-il dans un cadre planifié d’égalité dans l’accès, limiter la consommation énergétique affectée au transport aérien. Sans doute. De toute façon, sans alternatives au pétrole, il faudra bien la limiter. Mais pourquoi s’interdire de travailler à des alternatives énergétiques pour l’aviation ? (voire la démonstration récente d’un avion totalement solaire qui est plus un symbole qu’une solution certes, mais qui a bien valeur de démonstration du possible d’un avion sans pétrole...). La question est donc non pas de savoir s’il faut limiter ou non l’affectation de combustibles fossiles à l’aviation, mais qui et comment décide de développer telle ou telle ligne, dans telles conditions économiques et environnementales, pour répondre à tel ou tel besoin social. Les comoriens frappés par le drame de l’accident d’une compagnie aérienne pour pauvres se battent pour réclamer le droit à une ligne sûre, cette demande sociale est légitime, et c’est bien au politique de décider d’y répondre ! Et pour fabriquer ces logements et ces moyens de transports, combien de ciment, d’acier, d’aluminium, de bois, de plastique, d’énergie… ? Pour inverser réellement la part du transport public et automobile dans les zones urbaines, il faudrait doubler le nombre de lignes de métro, tram, bus... donc doubler le nombre de rames ! Prenons encore un exemple d’aménagement du territoire. Est-il légitime de proposer une liaison ferroviaire rapide et de qualité transversale reliant l’Ouest à l’Est, de Toulouse à Strasbourg et de Bordeaux à Lyon ? Une telle réalisation supposerait sans doute deux ou trois tranches de centrales électriques... Car pour répondre à tous ces besoins, y compris de réduction des consommations énergétiques, quel est le besoin énergétique ? Il y faut des réponses diversifiées, combinant la production et la consommation locale, comme avec les réseaux de chaleur, avec une infrastructure dense assurant le développement de tous les territoires. Il faut prioriser l’efficacité énergétique et la réduction des consommations pour un même besoin. Il faut développer les énergies renouvelables en empêchant tout effet d’aubaine pour les spéculateurs, il faut investir sur la rechercher d’énergies du futur... Mais il faut aussi dire la vérité sur le bilan global. Le besoin en énergies continuera à croitre fortement SI on répond réellement à ces immenses besoins humains ! C’est dans ce cadre que se pose la question du nucléaire, de sa part dans le mix énergétique global, de sa durée de vie et de la gestion de ses déchets qui est nécessaire quelque soit sa part en hausse ou en baisse. Là encore, impossible de prétendre prendre une décision rationnelle dans le capitalisme ! On le voit avec l’évolution d’EDF devenu de plus en plus une entreprise de logique privée, développant la sous-traitance, même dans les activités les plus sensibles, faisant travailler des sans-papiers sur-exploités sur son chantier phare de l’EPR... La première question du nucléaire est bien celle des décisions nécessaires pour garantir une réelle maitrise publique, transparente, citoyenne, de l’ensemble des activités de conception, production, exploitation, démantèlement, traitement des déchets. Pour un développement socialiste, donc de l’homme pour les générations futures ! Bref, décroissance durable des activités parasitaires ou de contrôle social au profit d’une croissance durable des réponses aux besoins humains ! décroissance durable des activités commerciales au service de l’offre au profit d’une croissance durable des moyens de la démocratie économique au service des consommateurs-producteurs… ? Faut-il poser la question en terme de choix entre croissance ou décroissance, ou faut-il poser la question essentielle du pouvoir économique, du pouvoir de décider QUOI, COMMENT et pour QUI produire ? Poser cette question, c’est dire que ce sont les travailleurs, qui sont tout autant consommateurs et usagers que citoyens qui doivent s’organiser pour décider d’investir ou pas sur telle ou telle activité, de générer de la croissance et de la décroissance. Certes, il restera toujours pour longtemps une mesure comptable de l’activité et des échanges, donc une certaine mesure du "PIB", mais l’essentiel sera de mesurer comment on répond aux besoins réels des êtres humains. De ce point de vue, nous aurons besoin d’indicateurs de taux d’équipement, de taux d’accès, de taux d’usages par les hommes et les femmes des biens et services produits par eux-mêmes, et certains pourront trouver ces indicateurs bien "soviétiques"... Le concept de décroissance peut être un moment d’une critique des gabegies capitalistes, mais il enferme la pensée critique dans une question de choix de production que le capitalisme peut digérer, après tout, les capitalismes verts sont prêts à stopper le nucléaire si cela leur permet de grossir encore plus vite, même si cela laisse encore plus d’êtres humains dans la misère. En ne mettant pas au centre de la critique, l’appropriation privée d’une production sociale, en ne mettant pas au centre de l’alternative la construction d’une réelle appropriation sociale, la décroissance sert de masque au capitalisme. Il a existé un projet politique de « retour au village » , de dénonciation de la gabegie des villes et de la société de consommation des élites… c’est un certain Pol Pot qui l’organisa au nom du socialisme dans la terreur que l’on sait depuis…Pour un communiste qui continue à s’interroger sur les causes des crimes du stalinisme, c’est un conseil a un ami écologiste ! Nos plus belles utopies peuvent servir aux plus terribles réactions ! Bibliographie Web - Le capitalisme vu par les fondamentaux - Pour la planète, l’urgence du socialisme - La Révolution informationnelle, une critique - Production matérielle et production non matérielle - La décroissance, une idée qui chemine sous la récession Avec une pensée pour notre camarade Raphaël, qui aurait certainement réagi à ce texte et m’aurait conduit à le corriger, avec plus de rigueur pour prétendre ainsi à une critique marxiste... [1] sans doute insuffisamment, mais il faudrait un vrai travail historique sur la place de la consommation dans le mode de vie soviétique pour en parler plus sérieusement [2] pas sûr qu’on nous la vente longtemps... ! [3] les africains connaissent !
-------------------- Ni révisionnisme, Ni gauchisme UNE SEULE VOIE:celle du MARXISME-LENINISME (François MARTY) Pratiquer le marxisme, non le révisionnisme; travailler à l'unité, non à la scission; faire preuve de franchise de droiture ne tramer ni intrigues ni complots (MAO) |
| Finimore | Grand classique (ou très bavard) | | 2655 messages postés |
| Posté le 20-08-2019 à 15:57:22
| LA DÉCROISSANCE, UN POINT DE VUE PARFAITEMENT RÉACTIONNAIRE http://lesenrages-antifa.fr/2019/04/25/la-decroissance-un-point-de-vue-parfaitement-reactionnaire/ LA DÉCROISSANCE, UN POINT DE VUE PARFAITEMENT RÉACTIONNAIRE 25 avril 2019 La décroissance, un point de vue parfaitement réactionnaire Si les années quatre-vingt-dix ont vu émerger et se développer les idées de l’altermondialisme, ce courant est aujourd’hui concurrencé, chez un certain nombre de jeunes et moins jeunes plus ou moins contestataires, par un courant qui s’est baptisé : la décroissance. Refus de la croissance économique, « antiproductivisme », lutte contre la consommation, volonté de revenir à une économie locale, rejet du progrès technique, démarche de « sobriété » ou de « simplicité volontaire », sont les piliers de ce nouvel évangile. Il est difficile de savoir si le relatif succès de ce courant sera un phénomène durable. Mais il est incontestable qu’il est, pour l’instant, à la mode. Certes, cela ne s’est pas vu lors des récentes élections européennes, où les listes Europe Décroissance n’ont recueilli que des scores insignifiants – entre 0,02 et 0,04 % suivant les circonscriptions. Mais la percée électorale des listes Europe-écologie reflète, en partie du moins, cette tendance, car nombre de partisans de la décroissance ont apporté leurs voix, au nom d’une sorte de « vote écologique utile », aux listes menées par Daniel Cohn-Bendit. L’intérêt pour la décroissance d’une partie de la petite bourgeoisie intellectuelle, d’une frange de la jeunesse étudiante, paraît indéniable. En témoigne entre autres le relatif succès du journal La Décroissance, qui tire à quelque 50 000 exemplaires – ce qui est conséquent pour un journal politique. Il est clair que le glissement vers la décroissance d’une partie des partisans de l’altermondialisme serait un recul, du point de vue des idées. L’altermondialisme en effet, malgré ses limites et son caractère profondément réformiste, se situe au moins sur le terrain de la dénonciation des inégalités, et prétend vouloir mieux répartir les richesses entre les différentes régions de la planète. La décroissance, elle, ou plutôt la nébuleuse d’organisations, de journaux et d’individus qui se réclament d’elle, se situe sur un tout autre terrain : celui des idées franchement réactionnaires. Ses partisans ne le nient d’ailleurs pas vraiment : Serge Latouche, le principal porte-parole de la décroissance en France, dénonce par exemple, dans l’introduction de son Petit traité de la décroissance sereine, « le totalitarisme développementiste et progressiste ». Le « totalitarisme progressiste » ! Il faut se pincer pour y croire. Il est peu probable que les femmes africaines qui font des dizaines de kilomètres à pied pour trouver un peu d’eau potable, ou les centaines de milliers de gens dans le tiers-monde qui meurent du sida faute de trithérapies, se réjouissent de ne pas être victimes du « totalitarisme progressiste ». On retrouve le même type de propagande anti-progrès dans un numéro de la revue décroissante Silences, qui a publié en Une un dessin montrant trois personnages monstrueux, mi-humains mi-reptiles, sous la légende : « Ils veulent détruire le monde ». Ces trois personnages étaient ainsi présentés : « La trilogie maléfique : croissance, consommation, progrès. » Le décor est planté. Le courant décroissant affiche clairement non seulement son refus du progrès, mais sa volonté de revenir en arrière : un certain nombre de partisans de la décroissance ont pris par exemple le nom de « rétrogradeurs ». Il n’y a rien de surprenant à ce qu’un courant de ce type apparaisse, ou plutôt réapparaisse, dans une période de crise comme celle que nous vivons. Les idées de « lutte contre la croissance », ainsi que leur pendant en matière de démographie, le malthusianisme, refont régulièrement surface pour tenter de répondre aux angoisses nées des crises. Cela n’a rien de réjouissant pour autant. Et nous pensons que les communistes révolutionnaires, même s’ils ne sont nullement des partisans de la croissance à tout prix, ni des « productivistes » acharnés, doivent militer résolument contre de tels courants. Tout simplement parce que nous nous plaçons, nous, sur le terrain du progrès humain et scientifique plutôt que sur celui d’un retour en arrière général de la société. Le recyclage de vieilles idées Les idées de décroissance sont apparues il y a une trentaine d’années. Des auteurs des années soixante et soixante-dix—–, économistes, sociologues ou… théologiens, en ont posé les bases : Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994), le « révérend père » Ivan Illitch (1926-2002), ou le malthusien Paul Ehrlich (né en 1932). Ce courant s’est développé en même temps que la crise du capitalisme, au début des années soixante-dix, s’approfondissait. C’est à cette même époque que des groupes de réflexion, dont le plus célèbre s’appelait le Club de Rome, ont remis au goût du jour les théories de Malthus (1766-1834), qui professait que l’accroissement de la population conduisait forcément l’humanité à sa perte. Rien de nouveau sous le soleil : il y a plus d’un siècle, le socialiste Bebel écrivait déjà que les idées malthusiennes se développaient toujours « dans les périodes de décadence de l’ordre social, [où] le mécontentement général est toujours attribué à l’abondance d’hommes et au manque de vivres et non pas à la manière dont on les obtient et les divise ». Ce sont également les années soixante-dix qui ont vu émerger, dans la mouvance hippie, les idées plus ou moins farfelues de retour à la nature, d’une plus grande communion avec celle-ci, d’un rejet de la technique et du « productivisme », de constitution de petites communautés indépendantes – toutes idées que l’on retrouve aujourd’hui dans la décroissance. Un courant aux idées confuses Parmi les penseurs de la décroissance, on trouve de tout. Car la décroissance n’est pas une théorie scientifique, mais un conglomérat d’idées parfois totalement contradictoires. Cette hétérogénéité permet à ce courant de dire tout et n’importe quoi, et explique que certains de ses partisans se réclament de l’extrême gauche et d’autres, comme Alain de Benoist, clairement de l’extrême droite. Citons, à titre d’exemple et sans chercher à généraliser ce type de propos à tout le courant décroissant, le théologien Jacques Ellul, considéré comme un des pères de la décroissance, qui écrivait en 1986 : « Nous constatons que dans la Bible, l’intervention divine a lieu quand l’inhumanité, quand le mal moral et physique dépasse les bornes. Dieu provoque un événement approprié à cet excès d’inhumanité, qui placera l’homme devant le choix de se repentir ou de mourir. Je suis convaincu que l’apparition du virus du sida correspond à cet ordre d’action de Dieu .» La décroissance se résume à un mélange confus d’écologie, d’anarchisme, d’anticapitalisme et de malthusianisme. Partant de l’affirmation que les ressources naturelles sont limitées et que la production s’accroît sans tenir compte de ces limites, la décroissance prône la lutte contre la croissance économique, contre la consommation de masse et le développement de la technique. Elle préconise le retour à l’artisanat contre l’industrie, la production locale et la vie à la campagne – s’inspirant en la matière de l’anarchisme proudhonien. Certains intégristes de la décroissance vont jusqu’à prôner le refus du développement pour les pays les plus pauvres, et même… de la médecine, pour certains d’entre eux. Exagération ? Pas du tout : l’un des principaux théoriciens de la décroissance, Ivan Illich, dénonçait la médecine moderne sous prétexte qu’elle détourne de l’autodiagnostic et de l’automédication. Notons au passage que le même Illich militait contre l’école – une « drogue » censée préparer les futurs adultes à consommer et à en faire des esclaves. Illich a par exemple publié, en 1971, un article sur « le potentiel révolutionnaire de la déscolarisation ». Même si tous les décroissants ne partagent pas forcément ce point de vue, se réclamer aujourd’hui d’un tel auteur est choquant, à une époque où des dizaines de milliers de jeunes des quartiers pauvres, en France, sont « déscolarisés », sans que le « potentiel révolutionnaire » de cette catastrophe sociale saute aux yeux… Tout naturellement ce type d’élucubrations conduit certains décroissants à lutter contre l’idée qu’il faudrait construire des hôpitaux et des écoles dans le tiers-monde. Pour eux, les pays pauvres sont des îlots préservés du vice de la consommation – forcément – et y implanter écoles et hôpitaux reviendrait à les pervertir. D’ailleurs, si l’on suit cette logique, les pays pauvres sont forcément, du point de vue des décroissants, des endroits merveilleux, justement parce qu’ils sont pauvres et préservés des dérives consuméristes. La décroissance, sous le vocabulaire pudique d’un retour à la « simplicité volontaire », prône le retour à la pauvreté. Serge Latouche cite par exemple dans un de ses ouvrages un livre dont il estime qu’il est « le précurseur des idées de la décroissance ». Ce livre s’appelle : « La pauvreté, richesse des peuples ». Bien entendu, tous les décroissants ne profèrent pas de semblables insanités. Si une partie de ce courant considère le sous-développement comme un bienfait, d’autres disent vouloir combattre celui-ci, mais en préconisant que les habitants des pays dits riches… se serrent la ceinture. L’idée étant que, le gâteau n’étant pas assez gros pour tout le monde, il faut que les pays occidentaux mangent moins pour que les pays pauvres mangent plus. Il s’agit ici de culpabiliser les prétendus « riches » que seraient les habitants des pays développés. Cette façon de raisonner, finalement pas très éloignée d’une conception chrétienne de la charité, n’est évidemment pas non plus la nôtre. Comme l’écrivait Bertolt Brecht dans sa Chanson de Salomon : « Saint Martin a donné la moitié de son manteau à un pauvre. Comme ça ils sont morts de froid tous les deux ». Serions-nous d’odieux « productivistes », parce que nous préférons lutter pour un système qui permettrait de produire autant de manteaux qu’il y a de gens qui ont froid ? Quelle que soit la tendance à laquelle ils appartiennent, cette thématique du retour à la pauvreté est constamment présente dans la propagande des décroissants. Jusqu’à la nausée : la Une du journal La Décroissance, en septembre 2004, osait clamer sur cinq colonnes : « Vive la pauvreté ! ». Il n’est pas sûr que les six millions de personnes en France qui vivent des minima sociaux, que les 3 000 chômeurs supplémentaires par jour, qui vont s’inscrire en ce moment au Pôle emploi, apprécient. De même qu’il n’est pas évident que les millions de travailleurs qui ne parviennent pas à boucler leurs fins de mois adorent la Une récente du même journal : « Merde au pouvoir d’achat ! » Mais c’est que tous ces pauvres ne veulent pas comprendre, selon les décroissants, que toutes les choses confortables et pratiques qu’ils veulent avoir, telles qu’une machine à laver, une voiture, un ordinateur, une connexion Internet, etc., ne sont que des gadgets stupides qui éloignent de la simplicité, de la spiritualité et du retour sur soi. D’ailleurs, il faut croire que les plus pauvres des travailleurs sont les meilleurs pratiquants de la décroissance, puisqu’ils expérimentent régulièrement – bien contre leur gré il est vrai – des « actions » prônées par les décroissants telles que les « journées sans achat » ou les « Noël sans cadeaux ». Il y a beaucoup d’indécence à prôner ainsi la misère dans une société où tant de gens n’ont rien. Mais cela ne dérange visiblement pas trop les décroissants, qui affichent, pour beaucoup d’entre eux, un mépris assez sidérant pour les plus pauvres, les moins cultivés, ceux qui n’auraient pas, comme eux, assez d’intelligence ou de culture pour comprendre que le confort ne sert à rien ; ou que pour économiser l’eau des chasses d’eau, aller aux toilettes dans une litière sèche, comme les chats, est le comble du bonheur. Lire : La Décroissance ou l’hôpital qui se moque de la charité Une doctrine individualiste… La décroissance apparaît comme une doctrine individuelle et individualiste, dans ses constats comme dans ses modes d’action. Pour une bonne partie de ses promoteurs, il faut « se changer soi-même pour changer le monde » – ce qui revient à nier toute possibilité d’un changement de société par des moyens de lutte collective. Les modes d’action prônés oscillent, pour la plupart, entre le ridicule et le choquant. Ainsi le « manuel du bon rétrogradeur » publié dans La Décroissance préconise-t-il de « se libérer de la télévision, de l’avion et du téléphone portable ». De l’automobile également, bien sûr, qu’il conviendra de remplacer par « des charrettes à cheval ». Au passage, pour ceux qui se demanderaient ce qu’il adviendra des travailleurs qui produisent lesdites automobiles, un rédacteur du journal La Décroissance a écrit un article en 2004 intitulé : « Fermons les usines Citroën ! ». Il faut également arrêter d’utiliser les ascenseurs, les réfrigérateurs, les machines à laver, ne plus manger de viande, etc. Le rêve des décroissants, c’est la vie à la campagne, près de la terre, en autarcie, sans technologie, en harmonie avec la nature et avec soi-même – la pauvreté ou la « simplicité » permettant de mieux ressentir cette harmonie. Si un certain nombre de décroissants prétendent n’avoir pas renoncé à l’action collective, ils n’en citent pas moins comme modèles des comportements qui rejettent celle-ci. Paul Ariès, par exemple, dit dans une interview qu’il est « un militant politique qui veut changer le monde ». Dont acte. Mais cela ne l’empêche pas, dans le journal qu’il dirige, de consacrer une pleine page à « Anne, psychologue », adepte de la simplicité volontaire, qui déclare : « On est plus heureux en possédant moins. Je ne crois plus à l’impact de notre action sur le plan planétaire. J’ai arrêté de croire que j’allais sauver le monde. On vit simplement, parce que ça nous fait du bien. » Mais même ceux qui, parmi les décroissants, ne donnent pas dans cet affligeant individualisme, prônent l’action individuelle, la « réflexion individuelle sur les comportements de consommation » … ce qui revient, au fond, à rejeter la responsabilité des problèmes de la société sur les consommateurs, c’est-à-dire sur les plus pauvres, et surtout pas sur les capitalistes. Lire La Décroissance par l’incohérence? …ou totalement inefficace Certains décroissants prônent, comme modèle d’action collective, le boycott des marques, le fait de refuser de faire ses courses dans les hypermarchés pour préférer le « lien direct avec le petit producteur », celui de cultiver soi-même ses légumes ou de fabriquer ses vêtements, bref, appellent à « changer leurs modes de consommation ». L’idée étant d’étouffer le grand capital en lui coupant l’oxygène que lui procure la vente de ses marchandises. Un tel mode d’action serait inaccessible aux plus pauvres ? « Alibi égoïste ! », répondent les décroissants. C’est ainsi que dans un article de La Décroissance de juin 2009, l’auteur évoque certaines épidémies récentes, vache folle, grippe aviaire ou grippe porcine. Selon lui, la grippe porcine aurait pour origine l’élevage industriel des porcs (ce qui est discutable, mais c’est un autre débat). Voici son raisonnement : l’élevage industriel vise à produire de la viande peu chère, à destination des ménages qui ne peuvent, ou plutôt ne veulent selon lui, pas trop dépenser. Si ces ménages acceptaient de payer plus cher leur viande, il n’y aurait plus de marché, donc plus d’élevage en batterie, donc plus de maladies de ce type. CQFD. Nous n’inventons rien. L’auteur de l’article écrit : « En tant que citoyens des pays développés, il conviendrait de nous poser la question de notre responsabilité personnelle. Parce que, si à l’achat d’un produit le prix est l’un de mes critères importants, je suis personnellement responsable de ce genre de crise. En achetant le poulet à 6 euros le kilo ou un T-shirt à 5 euros, qui peut honnêtement croire que les méthodes de production puissent être écologiquement ou socialement acceptables ? » Vandana Shiva et Boris Aubligine, directeur de l’école alternative Etika Mondo, en lien avec la mouvement sectaro-religieux de l’anthroposophie via le magazine des Colibris Kaizen dirigé par Cyril Dion. Faudrait-il donc boycotter les produits bon marché ? De toute façon, un tel système serait impossible à généraliser dans une société où les capitalistes régentent toute la vie économique et sociale, où ce sont eux qui maîtrisent et la production, et les prix, et les salaires. Mais même érigé en doctrine, pour une société future, ce système est réactionnaire : le vieux Proudhon (même habillé de fibres bio), avec ses communes indépendantes et son retour à la production artisanale, n’est pas plus séduisant aujourd’hui qu’il ne l’était du temps de Marx. Prôner la fin de la grande production industrielle et de l’agriculture mécanisée, la « relocalisation de l’économie », c’est vouloir faire revenir le monde trois siècles en arrière. Pour nous, l’avenir est à la mondialisation communiste et pas, comme le prétend le décroissant Paul Ariès, à « une Europe dont chaque pays aurait ses propres moyens de vivre ». Lire La Décroissance ou l’hôpital qui se moque de la charité Un nouvel avatar du Malthusianisme Le courant décroissant est en fait une nouvelle version, repeinte en vert, du vieux malthusianisme, ce qui le rend réactionnaire – et dangereux – par définition. Malthus était un ecclésiastique anglais du 18e siècle, effrayé par l’explosion démographique des débuts de la révolution industrielle, qui écrivit un traité devenu célèbre dans lequel il expliquait que l’humanité ne pourrait survivre à l’accroissement de la population, puisque le nombre d’êtres humains progressait infiniment plus vite que la quantité de richesses produites. Conclusion, selon Malthus : il fallait limiter les naissances ou, pour être tout à fait précis, laisser mourir les pauvres. « Un homme qui est né dans un monde déjà possédé, écrivait Malthus, s’il ne peut obtenir de ses parents la subsistance qu’il peut justement leur demander, et si la société n’a pas besoin de son travail, n’a aucun droit de réclamer la plus petite portion de nourriture, et, en fait, il est de trop au banquet de la nature ; il n’a pas de couvert vacant pour lui. » Les idées de Malthus – déjà violemment critiquées par Marx et Engels en leur temps comme une « infâme, une abjecte doctrine, un blasphème hideux contre la nature et l’humanité » – ont connu nombre de continuateurs depuis deux siècles. Et, nous l’avons dit, chaque période de crise produit presque automatiquement son lot de malthusiens expliquant doctement qu’il faut limiter le nombre des naissances – plutôt que de se demander pourquoi le système économique n’est pas capable de donner à chacun « une place au banquet de la nature ». Aujourd’hui, certains courants anarchistes et nombre d’écologistes sont plus ou moins ouvertement malthusiens. Le Vert Yves Cochet a par exemple récemment proposé, dans le but de limiter les naissances, de couper les allocations familiales aux familles ayant plus de trois enfants, au prétexte qu’un enfant européen aurait « un coût écologique comparable à 620 trajets Paris-New-York ». Sans commentaire. Portrait dithyrambique du confusionniste de droite radicale Alexandre Lecouillard sur le “journal Minimal” d’Emmanuelle Veil, qui, après un passage à l’Express, à Charlie Hebdo puis à la rédaction en chef de Siné Hebdo, a lancé un clone vaporeux de Reporterre, cette écologie pour cadres armée de bonnes nouvelles et “d’alternatives” toutes plus éco-spirituelles les unes que les autres. Dans un article consacré à l’emballement démographique mondial, évocation qualifiée de “tabou”, Emmanuelle Veil assume ses propositions malthusiennes regrettant que l'”on n’est pas près de redescendre à 1 milliard d’humains, la jauge idéale selon l’amiral Paul Watson, fondateur de Greenpeace et de Sea Sheperd.”, des références réactionnaires fort compatibles avec celles d’Alexandre Lecouillard. Le raisonnement de Malthus est de dire qu’il y a trop de monde pour pas assez de ressources. Celui des décroissants, qu’il n’y a pas assez de ressources pour que tout le monde vive dans le confort. Les termes du raisonnement sont inversés, mais c’est le même. Certains théoriciens décroissants se revendiquent d’ailleurs ouvertement de Malthus, mettant en parallèle la décroissance économique et la décroissance démographique, jugées toutes les deux nécessaires. Ivan Illich écrit ainsi que « le surpeuplement rend plus de gens dépendants de ressources limitées. L’honnêteté oblige chacun de nous à reconnaître la nécessité d’une limitation de la procréation [et] de la consommation ». Quant au pape actuel de la décroissance, Serge Latouche, il a osé signer récemment un article au titre sans équivoque : « Il faut jeter le bébé plutôt que l’eau du bain ». Nous avons donc un tableau à peu près complet de la décroissance : une théorie individualiste, prônant la pauvreté volontaire, la baisse de la productivité et de la croissance économique, la limitation des naissances et le retour à la terre. Quand intellectuels et politiques se découvrent décroissants Ce courant, dont on voit qu’il ne dépasse guère le degré zéro de la réflexion politique, est-il vraiment en train de se développer ? En tout cas, il séduit un certain nombre de jeunes dans les milieux intellectuels. Et le petit succès des écologistes aux élections européennes a visiblement donné envie à beaucoup de commentateurs de prendre en marche le train – ou la charette à cheval – de la décroissance. Ainsi un éditorialiste politique de France Inter, le 8 juin au matin, expliquait-il : « Les Verts (…) estiment que l’écologie offre une occasion de changer la vie, les rapports entre les gens, le rapport à l’argent. (…) Et surtout, ils commencent à remettre en cause la notion même de croissance. On parle de « nouvelle frugalité », de « croissance sélective » ou de « décroissance sélective ». Quelques jours après, le 13 juin, c’est cette fois dans une double page du quotidien Le Monde que trois éminents intellectuels s’exprimaient sur le sujet de « l’écologie politique ». Sur les trois articles, deux adoptaient le point de vue des décroissants, avec plus ou moins de nuances. Jean Gadrey, « membre du conseil scientifique d’Attac », dénonçait « le paradigme actuel de développement, fondé sur l’impératif de croissance ». Selon ce savant économiste, il va falloir apprendre à créer des emplois « sans gain de croissance ni de productivité ». Et c’est à un vaste retour en arrière qu’il appelle ses lecteurs, avec par exemple « le remplacement progressif de l’agriculture industrielle (…) par de l’agriculture biologique de proximité ». Naturellement, tout ce discours est émaillé de bonnes paroles sur les « créations d’emplois » que généreraient de telles mesures. Certes. De la même manière, le remplacement des automobiles par des chaises à porteurs, ou des cargos par des galères, générerait un bon nombre d’emplois. Mais serait-ce vraiment un progrès ? Dans la même double page du Monde, le sociologue Edgar Morin soutient plus franchement encore les thèses décroissantes – et dans ce qu’elles ont de plus ridicule. Le but ultime de l’écologie politique, c’est selon lui de « poétiser la vie ». Tout un programme, qui passe par la lutte contre les « intoxications consuméristes » et la nécessité de « changer nos vies dans le sens de la sobriété ». Morin se réfère explicitement dans son article au théoricien de la décroissance, le « révérend père » Ivan Illich. Et il conclut avec ces propos assez niais : « Toutes les solutions envisagées sont quantitatives : croissance économique, croissance du PIB. Quand donc la politique prendra-t-elle en considération l’immense besoin d’amour de l’espèce humaine perdue dans le cosmos ? ». Remplacer la croissance par de l’amour, cela ne remplira pas le ventre des millions d’enfants qui meurent de faim dans le monde chaque année, mais cela permettra au moins, selon Morin, de « poétiser leur vie ». Ou leur mort, en l’occurrence. Au-delà des écologistes eux-mêmes, la plupart des partis de gauche, PS, PCF, et même le NPA, flirtent avec les idées de « décroissance », « rupture avec la croissance » ou « antiproductivisme ». Le PCF par exemple, dès 2005, déclarait lors d’un forum à la Fête de l’Humanité, par la bouche de Alain Hayot : « Il faudrait quatre à cinq planètes si toute la population mondiale produisait et consommait sur le même modèle que l’actuel monde dit développé. La croissance actuelle génère autant de dégâts sociaux qu’environnementaux ». La croissance, vraiment, pas la logique du profit ? Et Alain Hayot pousuit : « Il nous faut repenser le type même de développement et de croissance dans ses finalités comme dans ses modes opératoires,(nous) inscrire dans le dépassement des modes de production et de consommation actuels. » Dans les « principes fondateurs » du NPA – texte dans lequel il n’y a pas une seule occurrence du mot « communisme » – on trouve le paragraphe suivant : « En opposition aux modes de production et de consommation actuels, nous proposons la relocalisation de l’économie, la redistribution des richesses, la décroissance de la consommation des ressources non renouvelables… » : « Relocaliser l’économie », qu’est-ce que cela veut dire ? Que les différentes régions de la planète devraient vivre en autarcie ? Voilà qui va compliquer quelque peu « la redistribution des richesses », vu que certaines régions de la planète sont totalement incapables, pour des raisons géographiques, climatiques et géologiques, de produire un certain nombre de richesses. Mais certains membres du NPA vont bien plus loin. Philippe Corcuff, enseignant à Sciences Po Lyon, sociologue et « spécialiste de philosophie politique », membre de la direction du NPA après l’avoir été de celle de la LCR, a ainsi participé, le 2 mai dernier, à un colloque organisé par le journal La Décroissance sur le thème : « Non au capitalisme vert ». Dans son intervention, il souligne « les nouvelles convergences » entre « anticapitalisme et antiproductivisme ». Dans le charabia prétentieux qui est souvent la langue des sociologues, Corcuff se félicite que chacun (anticapitalistes et antiproductivistes) ait « amorcé une autoanalyse critique de ses propres impensés ». Et de poursuivre : « Depuis la fin du XIXe siècle, les différentes variantes de socialisme ont souvent été imbibées de productivisme, d’une croyance (…) qu’il suffisait de se débarrasser des chaînes de l’exploitation capitaliste pour résoudre tous les problèmes ». D’où viennent ces « croyances » ? De Marx, bien sûr. Corcuff dénonce les « ambivalences » d’un Marx qui, d’une part, « semblait marqué par une fascination productiviste pour le développement industriel qu’il avait sous les yeux », et de l’autre dénonçait la production capitaliste qui « épuise en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur » (Le Capital). Ce raisonnement de Corcuff sur les « ambivalences » de Marx ne prouve qu’une chose : c’est que l’on peut être docteur en sociologie sans être capable de comprendre le BA-ba du marxisme. Oui, Marx était « fasciné » par les extraordinaires forces productives que le capitalisme était capable de faire sortir de terre ; et oui, il était révolté par l’exploitation du prolétariat et par l’irresponsabilité avec laquelle les capitalistes traitaient la nature. Il en concluait donc qu’il fallait mettre les forces productives au service de la population en les arrachant aux capitalistes, par le moyen d’une révolution sociale. Il n’y a ici pas plus d’ambivalence qu’il n’y a de marxisme dans la tête de Philippe Corcuff. Marxisme et décroissance Il n’y a en fait que ceux qui ne connaissent ni Marx ni le marxisme qui pensent que celui-ci était un « productiviste » acharné, incapable de se poser la question de l’épuisement des ressources naturelles ou de la lente destruction de la planète par le système capitaliste. Bien au contraire : Marx et Engels ont sans doute été parmi les premiers à poser ces problèmes. Parler de risque d’épuisement des ressources naturelles – et en particulier des sources d’énergie fossiles comme le pétrole – est aujourd’hui un lieu commun. Le propre des énergies fossiles étant d’être non renouvelables, elles arriveront nécessairement à épuisement un jour. Tout juste peut-on noter que les délais qui nous séparent de cette date sont probablement plus longs que les écologistes et les décroissants le prédisent : dans les années soixante-dix, les mêmes courants prévoyaient la fin définitive des ressources pétrolières en l’an 2000. Mais cette question de l’épuisement des ressources est évidemment pertinente. Tout comme sont pertinentes bien des questions que posent les décroissants : oui, le capitalisme pousse ceux qui en ont les moyens à la consommation, par le biais de la publicité et de la création de modes artificielles. Oui, le capitalisme fabrique volontairement des produits qui deviennent obsolètes très rapidement pour pousser les acheteurs à les renouveler. Oui, le capitalisme transforme tout ce qu’il touche en marchandise, et pousse, par mille biais, les êtres humains solvables (et même de moins solvables, grâce au crédit) à acheter des objets parfois inutiles. Est-ce une découverte ? Certainement pas. La « marchandisation » tant critiquée par les écologistes, les altermondialistes et les décroissants, c’est finalement le fait que le capital ne considère jamais un objet pour son usage, mais en fonction de ce qu’il peut rapporter lorsqu’il sera vendu. Le capitalisme ne produit pas pour satisfaire les besoins mais pour vendre en vue de faire un profit. Il n’y avait pas besoin des décroissants pour savoir cela, puisque Karl Marx l’a longuement expliqué dans Le Capital, il y a plus d’un siècle. On sait également grâce au même Karl Marx que le capitalisme ne peut fonctionner qu’en réutilisant une partie de la plus-value gagnée lors de la production pour réinvestir dans le but d’accroître sa production. Ce que l’on appelle la « croissance », c’est-à-dire le fait qu’en dehors des périodes de crise la production de richesses augmente d’une année sur l’autre, est en réalité ce que Marx a défini sous le terme de « reproduction élargie du capital ». Dans l’économie capitaliste, des périodes de décroissance sont des périodes de crise – la stagnation et à plus forte raison le recul de la production, ne résultant pas d’une évolution consciemment maîtrisée, mais se traduisant par des catastrophes sociales. Parler, comme le fait Jean Gadrey cité plus haut, de renoncer aux gains de productivité, tourne en fait le dos à tout ce qui a permis à l’humanité de progresser pendant des dizaines de milliers d’années. Qu’ont fait les premiers hommes qui ont taillé des silex, sinon inventer des moyens d’accroître la productivité du travail ? Toute l’histoire de l’économie humaine est celle d’une longue bataille pour augmenter la productivité par l’amélioration des techniques de production – ce qui a permis, excusez du peu, de donner les moyens à l’humanité de s’affranchir peu à peu des contraintes imposées par la nature. Voilà donc ce que la décroissance veut jeter par-dessus bord ? Vandana Shiva et José Bové Et en quoi la « croissance », c’est-à-dire le fait que les richesses produites par la société humaine s’accroissent, pose-t-elle un problème ? Ce constat devrait au contraire être plutôt réjouissant : plus la quantité de richesses produites augmente, plus se rapproche la possibilité pour l’humanité d’offrir « à chacun selon ses besoins ». Et plutôt que de chercher à réduire la quantité de richesses produites par un retour à l’artisanat de village, il serait peut-être nécessaire de se demander comme faire profiter l’ensemble de l’humanité de cette abondance de richesses. À cela, les décroissants répondent que c’est de toute façon impossible et utopique, puisque la terre ne peut produire assez de richesses pour satisfaire tout le monde. La théorie récente de « l’empreinte écologique », souvent brandie par les décroissants, va dans ce sens : si tous les humains vivaient avec le standard de vie des classes moyennes américaines, « il faudrait quatre planètes pour pouvoir y faire face ». Poser la question de cette manière revient, au fond, à dire aux habitants des pays sous-développés qu’ils doivent rester dans la misère. Car il évident que l’ensemble de la population des États-Unis, d’Europe et du Japon ne va pas revenir à la charrette à cheval et à la bougie – et tant mieux. Mais au-delà, c’est le raisonnement lui-même qui est absurde. Exactement comme les malthusiens qui prévoyaient « l’extinction de la race humaine » au-delà d’un milliard d’habitants sur la terre, les partisans de ces théories ne tiennent aucun compte des possibilités que le progrès scientifique et technique pourra offrir à l’humanité. Malthus pensait que l’humanité s’éteindrait au-delà d’un milliard d’individus parce qu’il ne pouvait pas imaginer ce que serait un jour l’agriculture intensive et la productivité de l’industrie actuelle. Au moins avait-il quelque excuse, en 1780. Les décroissants d’aujourd’hui, qui sont témoins de ce que la technologie est capable de réaliser et des espoirs qu’elle offre, n’en ont, eux, aucune. Essayer d’imaginer ce que seront les capacités productives de la société dans cinquante ans est impossible. Le raisonnement des malthusiens sur ce sujet est aussi absurde que le dialogue d’une plaisanterie célèbre : deux hommes de Cro-Magnon bavardent en revenant de la chasse aux mammouths. L’un dit : « Tu sais, je crois qu’il y aura six milliards d’être humains dans 40 000 ans. » – « Tu es fou, répond l’autre. Il n’y aura jamais assez de mammouths. Il faudrait au moins 6 000 planètes ! » Alors, non, nous ne pensons pas que l’avenir de la société soit dans la réduction de la croissance à tout prix. Pas plus que nous ne pensons qu’il réside dans l’augmentation de la croissance à tout prix. Cette augmentation est, de fait, une des lois du capitalisme, système dans lequel le seul régulateur de la production est le marché aveugle. Personne, pas même les capitalistes eux-mêmes, n’a réellement de contrôle sur la production. Seule une société libérée de la concurrence, où la production serait démocratiquement planifiée en fonction des besoins, pourrait être une société où la croissance est maîtrisée – ce qui supposerait une croissance de la production de certaines marchandises si la hausse des besoins existe, et une décroissance de la production dans d’autres secteurs le cas échéant. Mais tout cela serait décidé et contrôlé par la population elle-même. Une telle société, cela s’appelle une société socialiste ; et elle ne pourra voir le jour qu’à la suite d’une profonde révolution mondiale, qui mettra fin à la dictature des capitalistes sur la société. L’imagerie du vampire est un classique des stéréotypes antisémites, vampire et banquier mondialiste suçant prétendument le sang des économies nationales. On retrouve ici le vampire associé à BHL, fixette habituelle des antisémites et personnifiant un Capital fictif, si difficile à se figurer pour ceux qui n’entendent en rester qu’à une critique superficielle du capitalisme, se positionnant au dessus de la sphère politique et médiatique. Pour l’antisémite, BHL devient ce Juif de l’intérieur pilotant et complotant contre les intérêts de la France et de “l’économie réelle”. Ce n’est pas, on l’a compris, le but des décroissants. Bien dans l’air du temps où les idées de lutte collective n’ont pas le vent en poupe, les décroissants prônent l’action individuelle, le chacun pour soi. La plupart d’entre eux ne préconisent nulle lutte collective, mais conseillent à chacun de se retirer du monde moderne pour sauver sa propre peau… certainement sans ignorer qu’il y aura toujours des ouvriers, malgré tout, pour fabriquer les ordinateurs et le papier qui leur permettent d’écrire des âneries dans leurs journaux. Avec les décroissants, les capitalistes n’ont pas de souci à se faire. Bien au contraire : si, ce qui est fort peu probable, les idées décroissantes dépassaient le cercle fermé de la petite bourgeoisie écologiste, ce serait une bénédiction pour les capitalistes : ils auraient face à eux des travailleurs qui non seulement accepteraient leur sort, mais seraient tout joyeux de voir leur pouvoir d’achat se dégrader, au nom du retour à la simplicité. Des habitants des bidonvilles qui ne feraient plus d’émeutes de la faim, mais qui remercieraient leurs exploiteurs de n’avoir ni écoles, ni hôpitaux, ni médicaments, ni confort. Nous sommes bien convaincus que cela n’arrivera jamais – car il faut avoir le ventre plein pour prôner de telles idées. Mais quand, comme l’a fait un Gandhi par exemple (une autre idole des décroissants), on prône la résignation aux pauvres en leur disant que leur misère est une richesse, et qu’on arrive à les convaincre, les peuples n’ont à y gagner qu’un accroissement de cette misère. Les décroissants veulent faire croire qu’il n’y a pas d’autre alternative pour l’humanité que de se noyer dans la graisse de la surproduction capitaliste d’un côté ou de rejeter tout progrès en acceptant, voire en se réjouissant, de sa misère. C’est au mieux une stupidité, au pire, un mensonge. Il existe une autre alternative – seule capable non seulement de résoudre les problèmes de pauvreté mais aussi ceux de la destruction de l’environnement par un capitalisme irresponsable et criminel : une révolution sociale, et l’instauration d’une société dirigée et contrôlée par la population elle-même : le communisme. 24 juin 2009 source Union Communiste Internationaliste
-------------------- Ni révisionnisme, Ni gauchisme UNE SEULE VOIE:celle du MARXISME-LENINISME (François MARTY) Pratiquer le marxisme, non le révisionnisme; travailler à l'unité, non à la scission; faire preuve de franchise de droiture ne tramer ni intrigues ni complots (MAO) |
| Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 20-08-2019 à 20:14:40
| J'ai vu pendant les nuit debout ce type d'écolo proposer le troc comme solution : "Je t'échange mon pull en laine du Diois contre tes Picodons" Et l'assemblée de l'écouter dans un silence religieux... Là c'est le côté comique, mais la confusion des esprits est une entrave au combat contre le capitalisme et aussi pour l'écologie.
-------------------- contrairement à une opinion répandue, le soleil brille aussi la nuit |
| Finimore | Grand classique (ou très bavard) | | 2655 messages postés |
| Posté le 23-08-2019 à 07:14:48
| A propos des 2 textes publiés plus haut ( " La décroissance, un point de vue parfaitement réactionnaire " et " (dé)croissance de quoi pour qui ? " Il faut préciser que celui signé de l'Union Communiste Internationaliste est en fait d'une organisation trotskiste (UCI) dont est membre Lutte Ouvrière (LO). Le texte ne mentionne pas l'URSS de Staline, contrairement à celui signé par pam publié sur pcf.fr qui n'hésite pas à écrire " un projet politique de « retour au village » , de dénonciation de la gabegie des villes et de la société de consommation des élites… c’est un certain Pol Pot qui l’organisa au nom du socialisme dans la terreur que l’on sait depuis…Pour un communiste qui continue à s’interroger sur les causes des crimes du stalinisme, c’est un conseil a un ami écologiste ! ".
-------------------- Ni révisionnisme, Ni gauchisme UNE SEULE VOIE:celle du MARXISME-LENINISME (François MARTY) Pratiquer le marxisme, non le révisionnisme; travailler à l'unité, non à la scission; faire preuve de franchise de droiture ne tramer ni intrigues ni complots (MAO) |
| Plaristes | Communiste et Français ! | Militant expérimenté | 867 messages postés |
| Posté le 18-03-2020 à 01:47:41
| Les interventions de finimore sont plus en racor avec le problème qu'est cette roue de secour du cpaital. On voit un esprit dialectique qui se pose les bonnes questions. Même si Xuan tente de rappeler cette notion anthropologique essentiel du travail où l'homme adapte la nature à lui au lieu de s’adapter à elle... Il aurait pu évoquer l'expérience cubaine ou l'agroforesterie sous Staline (techniquement le gas qui a testé l'agroforesterie en Russie était le Poulain de Staline donc là c'est accord..) De très beaux exemples de pourquoi la décroissance est une idiotie. Vous voulez que je m'y mette à la tâche? Je peux le faire en y mettant du mien (on CTL C + V des articles de personens plus compétences que moi sur le sujet... zau choix)
-------------------- |
| Finimore | Grand classique (ou très bavard) | | 2655 messages postés |
| Posté le 14-12-2020 à 07:04:53
| « La décroissance permet de s’affranchir de l’impérialisme économique » 21 décembre 2013 / Entretien avec Serge Latouche https://reporterre.net/La-decroissance-permet-de-s Dans un entretien avec Reporterre, Serge Latouche rappelle l’histoire de la décroissance, et prend ses distances avec la gauche. Serge Latouche est professeur émérite d’économie et un des principaux inspirateurs du mouvement de la décroissance. On avait envie de le revoir, pour retracer les racines de la décroissance, entre Club de Rome, Illich et Gorz, et savoir où il en est par rapport au pouvoir, aux économistes altermondialistes, et à la gauche. Reporterre - Quelle est l’histoire de la décroissance ? Serge Latouche - L’histoire de la décroissance, en tant qu’étiquette, est très brève. Cette appellation a été inventée dans les années 2000 par des « casseurs de pub ». Elle a pour fonction de casser la langue de bois. Comme le dit Paul Ariès, c’est un « mot-obus ». Mais derrière ce mot, il y a tout un projet d’objection de croissance. Et ce projet a une assez longue histoire. Elle débute en 1972 avec la publication du rapport au Club de Rome Les limites de la croissance. En tant que projet de société socialiste anti-productiviste et anti-industraliste, la décroissance est alors proche de l’écosocialisme qui apparaît dans les mêmes années avec André Gorz. Cette première phase de la décroissance est essentiellement une phase de critique de la croissance : on veut l’abandonner car elle n’est pas soutenable. C’est une phase « écologique ». Mais un second courant, porté par Ivan Illich – qui a d’ailleurs refusé de participer au Club de Rome –, est apparu en disant que ce n’est pas parce que la croissance est insoutenable qu’il faut en sortir, mais parce qu’elle n’est pas souhaitable ! C’est la critique du développement – terme que l’on utilise dans les pays du Sud comme équivalent de la croissance au Nord –, c’est le mouvement post-développementiste. Personnellement, je me rattache à ce courant-là depuis que j’ai viré ma cuti au milieu des années 1960 alors que j’étais au Laos. La fusion de ces deux courants s’est opérée à l’occasion du colloque organisé en février-mars 2002 à l’Unesco « Défaire le développement, refaire le monde ». Pourquoi la croissance n’est-elle pas souhaitable ? Elle n’est pas souhaitable parce qu’elle est, comme le disait Illich, la destruction du vernaculaire. C’est la guerre aux pauvres. Une guerre qui transforme la pauvreté en misère. La croissance développe les inégalités, les injustices, elle détruit l’autonomie. Illich a développé cette thèse avec la critique des transports, de l’école, de la médecine, en analysant la façon dont les institutions engendrées par le développement et la croissance acquièrent un monopole radical sur la fourniture de ce qui permet aux gens de vivre et qu’ils se procuraient jusqu’alors par leurs propres savoir-faire traditionnels. Ayant travaillé sur le Tiers-Monde, j’ai effectivement vu, en Afrique, en Asie, comment le rouleau compresseur de l’occidentalisation détruisait les cultures. Quel regard portez-vous sur les économistes ? L’économie est une religion, et non pas une science. Par conséquent, on y croit ou on n’y croit pas. Les économistes sont des prêtres, des grands ou des petits, des orthodoxes ou des hétérodoxes. Même mes amis Bernard Maris ou Frédéric Lordon – les meilleurs d’entre eux. Les altermondialistes, par exemple, dont la plupart sont des économistes, ont tendance à réduire tous les malheurs du monde au triomphe du néo-libéralisme. Mais ils restent dans le productivisme et la croissance. Or le mal vient de plus loin. La décolonisation de l’imaginaire que je préconise vise précisément à extirper la racine du mal : l’économie. Il faut sortir de l’économie ! Quelle est votre définition de la décroissance ? C’est très difficile de définir la décroissance car je considère que ce n’est pas un concept, c’est une bannière, un drapeau. Pour moi, c’est un mot d’ordre qui permet de rallier les objecteurs de croissance. C’est aussi un horizon de sens vers lequel chacun chemine comme il l’entend. La décroissance permet surtout de s’affranchir de la chape de plomb de l’impérialisme économique pour recréer la diversité détruite par l’occidentalisation du monde. Elle n’est pas à proprement parler une alternative, mais plutôt une matrice d’alternatives : on ne va pas construire une société décroissance de la même façon au Chiapas et au Texas, en Amérique du Sud et en Afrique... Il y a des histoires et des valeurs différentes. Avec la décroissance, on n’est plus dans l’intérêt, l’égoïsme, le calcul, la destruction de la nature, dont l’homme serait maître et possesseur, ce qui définit le paradigme occidental. On veut vivre en harmonie avec elle et, par conséquent, retrouver beaucoup de valeurs des sociétés traditionnelles. On sort aussi de la vision « économiciste » de la richesse, de la pauvreté, de la rareté. D’où l’idée d’« abondance frugale », qui semble être un oxymore du fait de la colonisation de notre imaginaire, mais qui dit en réalité qu’il ne peut y avoir d’abondance sans frugalité et que notre société dite d’abondance est au fond une société de rareté, de frustration et de manque. La décroissance implique aussi évidemment une autre répartition des richesses, une autre redistribution, le changement des rapports de production, une démondialisation, pas seulement économique – à la Montebourg –, mais aussi culturelle. Il faut retrouver le sens du local et, naturellement, réduire notre empreinte écologique, réutiliser, recycler, etc., ce que l’on a définit par les « 8 R ». Comment les idées décroissantes peuvent-elles avancer dans notre société ? Pour moi, même si on a en face de nous à une énorme machine médiatique qui matraque et qui manipule, tous les terrains sont bons. Comme le terrain politique, par exemple. Je crois beaucoup, non pas à la politique de participation, mais à la politique d’interpellation. On ne veut pas le pouvoir. Le pouvoir est toujours mauvais, mais c’est une triste nécessité. On veut seulement que le pouvoir respecte nos droits. La décroissance doit être un mouvement d’interpellation du pouvoir, qu’il soit de droite ou de gauche. A la différence de mes camarades du journal La Décroissance, qui passent leur temps à exclure, je pense que nous devons faire un bout de chemin avec des gens comme Pierre Rabhi, Nicolas Hulot, le mouvement Slow Food, etc. La décroissance, c’est comme une diligence. Même s’il y a un cheval qui tire à hue et l’autre à dia, l’important est que la diligence avance. Les initiatives des villes en transition et de simplicité volontaire – comme ce qu’Illich appelait le « techno-jeûne » – s’inscrivent aussi parfaitement dans la décroissance. La décroissance contient-elle en germe un « risque de pureté » ? Oui. Toute culture a un double mouvement, centrifuge et centripète. Et une culture n’existe que dans le dialogue avec les autres cultures. Par conséquent, soit elle est ouverte et accueillante, soit elle a tendance à se replier sur elle-même et à s’opposer, c’est l’intégrisme. On trouve cela dans les mouvements politiques et religieux. Même dans les sectes philosophiques. La décroissance est quelque fois dénoncée comme étant autoritaire. Les décroissants seraient des catastrophistes, des « prophètes de malheur ». Que répondez-vous à ce genre de critiques ? C’est n’importe quoi. Il est vrai aussi que les gens qui adhèrent à la décroissance ne sont pas très différents de ceux qui adhéraient autrefois au socialisme, au communisme, au mouvement Occident... Il y a de tout : le bon grain et l’ivraie ! Via leur histoire personnelle, certains sont intolérants, d’autres sectaires, d’autres encore ont une vision manichéiste des choses. Il ne faut pas pour autant accuser le projet de la décroissance des vices de ceux qui la diffusent. Au contraire, la décroissance nous permet de renouer avec ce qui était la base de toutes les philosophies de toutes les sociétés et cultures humaines : la sagesse. Comme dans le stoïcisme, l’épicurisme, le cynisme, le bouddhisme, etc. Le fondement de tout cela est ce que les Grecs appelaient la lutte contre l’hubris. L’homme doit discipliner sa démesure, s’auto-limiter. C’est seulement ainsi qu’il peut espérer mener une vie saine, heureuse, juste, équilibrée. Alors si c’est cela un projet autoritaire... Vous avez écrit un ouvrage intitulé L’âge des limites. Quelle pourrait être cette nouvelle ère ? Avec la modernité, les limites sont devenues bidon. Il faudrait s’en émanciper. Mais s’il n’y a plus de limites, il n’y a plus de société. Certes, certaines limites doivent être remises en cause, mais on s’en donne de nouvelles. On déplace les frontières, mais on ne les abolit pas. Je suis viscéralement attaché aux libertés individuelles, mais à l’intérieur de certaines limites. Est-ce qu’une société démocratique peut exister avec une absence totale de limites à l’enrichissement et à l’appauvrissement personnel ? Jean-Jacques Rousseau a écrit qu’une société démocratique est telle que personne ne doit être riche au point de pouvoir acheter l’un de ses concitoyens, et aucun ne doit être pauvre au point d’être obligé de se vendre. Dans notre société, on en est loin... L’idéologie moderne stipule qu’on ne doit subir aucune atteinte à notre liberté, jusqu’à pouvoir choisir son sexe, la couleur de sa peau, sa nationalité, etc. C’est donc refuser l’héritage. Tout cela nous mène au transhumanisme : on n’accepte plus la condition humaine, on s’imagine être des dieux. La liberté, au contraire, c’est d’abord accepter les limites de sa propre culture, en être conscient et agir en conséquence, quitte à les remettre en question. La décroissance est-elle de droite ou de gauche ? Pour moi, elle est à gauche. Mais le débat est biaisé. Comme le dit Jean-Claude Michéa, finalement, ne faut-il pas abandonner la dichotomie droite-gauche qui tient à notre histoire ? Par exemple, dois-je interdire à Alain de Benoist de se revendiquer de la décroissance sous prétexte qu’il est classé à droite ? Est-ce qu’il est condamné ad vitam aeternam à être enfermé dans cette catégorie ? Sa position pourrait être réévaluée, rediscutée. - Propos recueillis par Anthony Laurent
-------------------- Ni révisionnisme, Ni gauchisme UNE SEULE VOIE:celle du MARXISME-LENINISME (François MARTY) Pratiquer le marxisme, non le révisionnisme; travailler à l'unité, non à la scission; faire preuve de franchise de droiture ne tramer ni intrigues ni complots (MAO) |
| Finimore | Grand classique (ou très bavard) | | 2655 messages postés |
| Posté le 14-12-2020 à 07:09:09
| Pourquoi nous n’avons jamais été mieux placés pour sortir de la crise globale Damien Detcherry Aug 23, 2017 https://atterrissage.org/occasion-sortir-crise-globale-5a69fd9b94df En 1972 est publié le premier rapport scientifique remettant en cause la prospérité matérielle illimitée que prône notre société (ce qu’on désigne alternativement par les termes “Productivisme”, “Consumérisme”, “Capitalisme”, voire plus récemment “Néo-libéralisme”). Intitulé “Limits to Growth” (traduit en Français par “Halte à la croissance”), ce rapport commandé par le groupe de réflexions “Club de Rome” et rédigé par des scientifiques du MIT détaille plusieurs scénarios qui aboutissent tous à la même conclusion: Notre croissance matérielle heurtera vers 2030 les limites indépassables de notre planète. Manque de ressources, de terres arables ou excès de pollution feront non seulement plafonner mais s’effondrer production de biens, de services et population. Pour empêcher cette crise globale d’arriver, le rapport recommande de substituer au “Productivisme” la recherche d’un équilibre durable. Malgré l’écho mondial que le rapport reçut et le dynamisme des intellectuels qui critiquaient à cette même époque la société de consommation (Guy Debord, Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, Ivan Illich, Andre Gorz, …), nous savons aujourd’hui que la trajectoire n’a pas été infléchie. En 2012, l’actualisation du rapport a confirmé notre progression quasi-parfaite (cf graphique ci-dessous) du scénario “Business as usual” formalisé … 40 ans auparavant et cela en dépit des mobilisations répétées de plusieurs générations de militants politiques, de scientifiques et de personnalités de la société civile. Image for post Logiquement, vous pourriez en conclure que rien n’a changé, que nous partons du même point de départ qu’il y a 40 ans et que par conséquent nos chances de changer de modèle de société avant l’effondrement annoncé sont proches de zéro. Et pourtant, à y regarder plus attentivement, vous pourriez observer que de nombreux paramètres ont évolué depuis 1972, créant les conditions presque parfaites pour faire émerger, voire même amener au pouvoir, un nouveau projet capable de nous assurer un avenir durable. Un projet qui ne remplit plus ses promesses Abondance, puissance, confort, plaisir, longévité, liberté. Ce qui a fait triomphé le “Productivisme”, c’était sa capacité à satisfaire les promesses qu’il portait. En 1972, nous étions justement à l’apogée des “Trente Glorieuses”. Aussi imparfait soit-il, ce modèle avait reconstruit la France, relevé son économie et rétabli son influence sans accroc ni effet secondaire notable. Le plein emploi était la norme, les Français se jetaient dans la consommation et le tourisme de masse tout en voyant leur espérance de vie s’allonger. Bref, le décalage avec les discours alarmistes du Club de Rome était total. Alors que les masses venaient juste “d’accéder au bonheur”, une bande de scientifiques rabat-joies leur annonçaient que cela n’allait pas durer. Même si c’est regrettable, l’absence de remise en cause du modèle n’avait donc rien d’étonnant. Or, en 2017, nous sommes dans une situation totalement inédite. Comme le prédisait le Club de Rome, limités par les ressources de la planète dans leur croissance matérielle, les Français sont englués dans une crise économique interminable: chômage de masse depuis 30 ans, baisse du pouvoir d’achat depuis 10 ans et même, récemment, diminution de l’espérance de vie. Cette dégradation touche notamment les Français jeunes, issus de classes populaires ou habitants en France périphérique, premiers et principaux perdants des transformations récentes de l’économie (mondialisation, informatisation). Bref, le “Productivisme” ne remplit plus ses promesses de prospérité matérielle pour une part grandissante de la population. De fait, s’il n’y a pas eu de remise en cause du modèle actuel sur le plan écologique, la critique est désormais possible sur le plan économique. Et c’est ce que l’on observe déjà. Un projet remis en cause 46.5% est le score atteint en 2017 au 1er tour de l’élection présidentielle par l’ensemble des candidats critiques du “Néo-libéralisme” (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan et François Asselineau). Le “Néo-libéralisme” est la doctrine que les économistes partisans du “Productivisme” ont peu à peu admise comme la plus optimale pour assurer leur objectif (i.e. la croissance matérielle illimitée). Logiquement, celle-ci promeut la suppression de toutes les limites entravant le bon fonctionnement de l’économie marchande (dérégulation des marchés, réduction du rôle de l’Etat, privatisations des entreprises publiques, libre-échange, …etc). Or, malgré leurs différences parfois fortes sur certaines thématiques, le point commun de ces candidats contestataires était justement de vouloir rétablir des limites (les frontières) pour au choix: Lutter contre le dumping social, environnemental ou fiscal (“Protectionisme”) Préserver le terroir, la culture et l’identité Française (“Patriotisme”) Redonner aux Français la maitrise des décisions politiques et donc de leur destin (“Souverainisme”) Vote de protestation ou vote d’adhésion ? La moitié des Français n’est en tout cas plus sensible à l’apparente logique du discours dominant qui désigne toutes les limites comme des freins, des obstacles à la croissance. A l’inverse, elle lui préfère la rhétorique “populiste” qui elle au moins les valorise comme des protections. De par l’ampleur du nombre de Français concernés, cette situation est, à nouveau, totalement inédite depuis les années 70. A l’époque, seule une minorité d’intellectuels, de gens des classes supérieures ou de militants politiques radicaux prenaient ses distances par rapport au discours dominant. Nous noterons cependant que cette critique est encore très superficielle. Focalisée sur les mesures “néo-libérales”, la critique “populiste” ne remet jamais en cause l’objectif “néo-libéral”: la croissance matérielle illimitée. Derrière la planification écologique de Jean-Luc Mélenchon et le patriotisme économique de Marine Le Pen, l’un et l’autre se glorifiaient dans leur chiffrage d’une hypothétique croissance économique supérieure à 2% par an pendant tout leur quinquennat. Du chemin reste donc à parcourir pour faire émerger un modèle tel que le préconisait le Club de Rome. Heureusement le contexte futur devrait l’y aider. Une tendance qui va s’accélérer L’aggravation des problèmes économiques (chômage, …) et la remise en cause du modèle dominant (bien que superficielle pour l’instant) ne sont en effet pas des phénomènes épisodiques. Il s’agit de tendances lourdes qui, malgré des creux, progressent depuis 30 ans. Comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, il y a fort à parier que cette double tendance va s’accélérer, notamment en France. En effet, le président et la majorité qui ont été élus pour 5 ans représentent la fusion “Néo-libérale” des 2 partis qui dirigeaient la France depuis 30 ans. Disposant de la majorité absolue, ils vont pouvoir appliquer à la lettre leurs fameuses “mesures optimales pour favoriser la croissance matérielle” (flexibilisation du marché du travail, baisse des dépenses de l’état, ratification des traités de libre-échange) malgré la très grande méfiance de la population à leurs égards. Si le produit de ces mesures d’efficacité ne sont pas captés intégralement par la minorité des ultra-riches et des classes supérieures, il est possible que la prospérité matérielle des classes moyennes et populaires s’améliore momentanément. Néanmoins, tout cela sera très vite rattrapée par une réalité physique: nous n’avons plus les ressources naturelles à la hauteur de nos ambitions. Comme le décrivait le Club de Rome, les capacités de notre planètes ne nous autorisent plus à croitre matériellement: Dans le pire des cas, une crise se produira. Dans le meilleur, nous reviendrons à notre marasme actuel. Les classes populaires et moyennes qui auront probablement consenti à de nombreuses concessions tant au niveau de leur protection juridique (code du travail) que de leurs allocations sociales (minimums sociaux, pensions de retraites) seront dès lors très remontées. Dans 10 ans, dans 5 ans voire avant, l’occasion sera donc immense pour capturer ce mécontentement au service d’une véritable alternative. Une occasion inédite Plusieurs décennies après la remise en cause par le Club de Rome du modèle “Productiviste” , nous n’avons jamais été aussi bien placés aujourd’hui pour le remplacer car: Intrinsèquement inadapté à notre environnement, son dernier avatar, le “Néo-libéral”, ne remplit plus ses promesses de prospérité pour tous. Logiquement une part grandissante de la population le remet en cause en votant pour des partis dits “populistes”. Encore au pouvoir actuellement, les élites “néo-libérales” souhaitant surenchérir, cette double tendance ne peut que s’accentuer. Si l’origine de la crise est écologique, les “populistes” nous montrent que c’est davantage en partant des réalités concrètes des citoyens (donc des aspects économiques) que l’on pourra ébranler l’édifice. Or, à la différence des “populistes” qui n’offrent qu’une critique superficielle, la remise en cause du “Productivisme” a la force de posséder le bon diagnostic. Il ne tient donc qu’à ceux qui la portent de bâtir autour de celle-ci un projet positif, crédible et rassembleur. Les difficultés à relever sont bien sûr immenses mais, grâce à ce récent “alignement récent des planètes”, cela semble désormais possible. — Damien
-------------------- Ni révisionnisme, Ni gauchisme UNE SEULE VOIE:celle du MARXISME-LENINISME (François MARTY) Pratiquer le marxisme, non le révisionnisme; travailler à l'unité, non à la scission; faire preuve de franchise de droiture ne tramer ni intrigues ni complots (MAO) |
| Xuan | Grand classique (ou très bavard) | 18602 messages postés |
| Posté le 14-12-2020 à 08:37:55
| La crise sanitaire et l'arrêt des productions n'a pas notablement diminué l'effet de serre. La théorie de Detcherry s'en prend à des situations qui ne concernent pas l'ensemble de la planète "Abondance, puissance, confort, plaisir, longévité, liberté." mais une minorité. D'autre part l'accroissement de la production n'est pas une conséquence du néo-libéralisme mais aussi une conséquence directe du développement économique des nations agricoles. Le développement des sociétés est un processus qui précède les modes de production et qui prend leur forme à chaque période historique. Depuis les années 90 il a pris la forme néo libérale et cette tendance parvient à un tournant avec l'émergence de la Chine, qui amorce un nouveau développement, planifié et orienté vers la préservation des écosystèmes. Un développement écologique ne consiste donc pas à diminuer la production mais à la transformer, et en particulier à remplacer le développement néo libéral anarchique par un développement dirigé et orienté vers la préservation des écosystèmes. La thèse de Xi Jinping sur une communauté de destin trouve une application immédiate dans la crise sanitaire et dans un développement écologique. Il est clair par exemple que la lutte contre le covid ne peut pas être strictement nationale puisque chaque situation nationale se répercute sur celle des autres pays. Dans le domaine écologique il en est de même. Elle s'oppose directement au néo libéralisme, au chauvinisme, à l'hégémonisme et à l'impérialisme.
-------------------- contrairement à une opinion répandue, le soleil brille aussi la nuit |
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