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Xuan
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   Posté le 30-10-2013 à 14:46:45   Voir le profil de Xuan (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Xuan   

Cette dernière partie décrit le processus de noyautage social-démocrate et de destruction du Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France


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Je considère avoir maintenant écrit l'essentiel de ce qui mérite d'être rapporté de mes souvenirs. Pour l'Histoire, qui roule à une vitesse vertigineuse en cette fin de siècle où je me trouve, assis devant le clavier de mon ordinateur, il y a certes encore pas mal d'événements qui méritent d'être retenus « pour la mémoire », mais ceux qui précèdent auront été les plus marquants. En tout cas, ceux où j'ai tenu un rôle actif, fondé sur mes convictions et ma sincérité.

Je ne saurais assurer que je ne me suis jamais trompé, je suis même convaincu du contraire, j'ai conscience d'avoir aujourd'hui des doutes sur des certitudes antérieures. Mais évidemment nullement sur tout ce que je conserve dans les casiers de mes souvenirs et dans les dossiers de mes archives. Je ne suis pas encore en mesure de tirer le bilan ultime de mes actes, j'ignore s'il sera positif ou négatif. Une assurance s'impose : mon existence n'aura pas été passive, mais presque continuellement active.

Au mois de juin 1979, alors que je commençais à mieux supporter les invisibles pollens de graminées, d'herbes ordinaires, de coquelicots, de platanes ou de poussière qui provoquaient mes rhumes, ma toux, mes œdèmes, je dus rester à Paris un certain temps pour m'occuper de deux questions très importantes, le soutien à la grève des résidents des Foyers Sonacotra d'une part, la situation du PCML en Bretagne que nous devions nommer ultérieurement la « crise de Bretagne » .

Une répression sévère avait pour but de dissuader les grévistes des foyers Sonacotra de poursuivre leur mouvement. Les CRS étaient fréquemment envoyés contre leurs manifestations ou pour les déloger des misérables chambres dont ils ne payaient plus les loyers. Un événement allant dans ce sens se produisit à Garges les Gonesse, où s'élevait un foyer, une tour de nombreux étages. Au petit matin, tous les locataires furent expulsés par les CRS, sans ménagement, leurs pauvres affaires d'ouvriers immigrés furent jetées à même le terrain vague situé devant le bâtiment. Toutes les forces antiracistes et anticolonialistes, et pour être plus simples, disons humanistes, se mobilisèrent pour aider ces hommes à s'installer et vivre sous des «marabouts » rapidement montés sur les lieux. Nous eûmes pour tâche précise de fournir tous les lits de camp et toutes les couvertures nécessaires. Ce fut pour le PCML l'occasion de ressortir de je ne sais plus quelle cachette, peut être des greniers de notre imprimerie elle-même nullement clandestine, le matériel que nous avions utilisé en décembre 1967 pour permettre la tenue à Puyricard de notre Congrès fondateur. Nos militants offrirent donc aux grévistes une centaine de lits et deux ou trois fois plus de couvrantes grises, du genre « militaire ». Et chaque jour, je me rendis sur place, accompagné d'autres militants, pour assurer une solidarité dont les bénéficiaires excluaient à juste titre qu'elle puisse justifier la moindre ingérence dans leurs propres décisions. Je fournis cette précision parce qu'il fallut mener des luttes de caractère idéologique contre certains groupes qui croyaient le moment venu de « récupérer » à leur compte le puissant mouvement qui durait depuis plusieurs années, avec, ça et là, des succès inégaux et des revers. Evidemment le vieux Parti révisionniste n’approuvait en rien les initiatives et formes de revendications des résidents des foyers Sonacotra. Cette attitude provoqua quelques incidents lorsque ses militants se présentèrent dans ce qui était devenu un véritable camp retranché, surveillé de jour et de nuit par des pelotons des forces dites « de l'ordre » installées à proximité dans leurs fourgons. Bientôt des activités artistiques bénévoles purent être organisées pour apporter aux travailleurs immigrés le soutien d'artistes français et étrangers. Il y avait une majorité de maghrébins, et notamment d'Algériens. Aux heures rituelles, on pouvait apercevoir des hommes en train de faire leur prière, tournés en direction de La Mecque.

Souvent Fatima Brahmi qui assurait alors mon secrétariat, m'accompagnait, mais bien qu'elle soit une jeune fille ouverte et avancée, parlant et lisant couramment l'arabe, y compris l'arabe coranique, les traditions l'empêchaient d'établir des contacts directs avec les hommes venus de son pays d'origine.
La crise de Bretagne se développa chronologiquement de juin 1978 à fin 1979. A mon avis rétrospectif elle ne fut que le début du processus de décomposition et disparition du Parti communiste marxiste-léniniste.
Elle atteste à mes yeux du fait que n'existaient pas encore les conditions historiques de l'existence en France d'un Parti recourant à la voie révolutionnaire et délaissant la voie réformiste. Elle pose une question essentielle sur la possibilité d'édifier un parti tel que je l'imaginais avec quelques autres vieux communistes dans la mesure où les réalités économiques, sociales et politiques n'étaient pas réunies. Parce que les trois cents adhérents qui nous avaient ralliés n'avaient jamais reçu la moindre formation communiste, appartenaient en majorité à la CFDT au point de vue syndical, leurs cadres étaient presque tous passés pour leurs études secondaires par des écoles libres, catholiques. Ils entrèrent peu à peu tous en opposition avec la ligne du PCML, et j'entends bien qu'ils pouvaient avoir raison sur certains points.
Il y avait en réalité un malentendu entre ces militants et la vieille garde que je représentais, attachée aux principes et structures d'organisation léninistes. J'avais pour nombre d'entre eux une considération qui se situait au niveau de leur activité militante, mais je comprenais bien que je ne me trouvais pas sur la même planète qu'eux. Deux d'entre eux, des universitaires de Rennes, avaient été élus au Comité central par le IIIe Congrès, l'un d'eux avait aussi été promu au Bureau politique.

A partir d'un certain moment les cellules placées sous leur responsabilité commencèrent à envoyer au Secrétariat national des textes, résolutions et questions diverses et multiples qui portaient sur tous les points politiques et organisationnels que nous mettions en œuvre.
Il apparut bientôt que l'ensemble de nos forces dans cette région exigeait une remise en cause approfondie de tout ce que soutenait le PCML. Des discussions serrées, mais toujours correctes m'opposèrent avec les camarades bretons au Bureau politique et au Comité central. En vérité ces camarades avaient une certaine confiance en moi, au moins dans mon honnêteté et je leur rendais la pareille.
Finalement à force de discuter sans aboutir à des éléments permettant de surmonter les contradictions, d'un commun accord fut décidé que j'allais venir dans leur région pour une « tournée-enquête » de caractère politique et organisationnel. Le 23 juin 1979 se tint ainsi une réunion large, à Rennes ou à Saint-Brieuc, je ne me souviens plus. Plusieurs dizaines de camarades cadres locaux y participaient, en présence de leur dirigeants régionaux. Seul membre du Secrétariat politique du PCML, m'accompagnait Pierre Burnand.
Le membre du Bureau politique dont le pseudonyme était Richard et qui je crois se nommait réellement Huet, un homme que j'appréciais pour sa franchise et aussi son intelligence, déballa d'entrée de discussion le fond de la crise. « Vu la gravité des problèmes, il y avait une seule solution : la venue de Jacques Jurquet en Bretagne. Il joue un rôle dans l'unification des camarades, mais la direction réelle du parti, ce n'est pas lui qui l'a ». Après quoi dans un assez long rapport, rempli de détails concrets, il exposa qu'il s'agissait d'une crise non pas de la seule Bretagne, mais de l'ensemble du Parti dans toute la France. Et là apparut le malentendu qui avait conduit ces militants, certes sincères et honnêtes dans leur immense majorité, à entrer dans le PCML. Ils n'étaient pas d'accord avec le fonctionnement centraliste démocratique, ils remettaient en cause les positions adoptées vis-à-vis des luttes syndicales, vis-à-vis du Parti communiste français, sur les élections, sur la question de Staline, sur la question du socialisme et de la dictature du prolétariat, sur le programme et sur bien d'autres points encore. Avec le recul de l'histoire je peux considérer qu'ils avaient raison sur quelques points, mais que sur d'autres tous les événements qui ont suivi cette époque n'ont nullement confirmé le bien fondé de leurs positions. Burnand et moi même discutâmes jusqu'à trois heures du matin, en conservant le souci de trouver de justes solutions à ces contradictions. Mais l'idéologie de ces militants, souvent issus du PSU, et la nôtre ne s'identifiaient pas. Le 3 décembre le Comité de Parti régional de Bretagne diffusa un texte qui prenait position contre la ligne du Comité central. Je ne me souviens plus de la manière exacte dont prit fin cette crise. Mais je pense qu'elle fut extrêmement préjudiciable au PCML. Dans une session du Comité central, avec l'appui du Bureau politique, j'eus à demander l'écartement non du Parti, mais des organismes de direction des deux camarades de Bretagne. C'était l'impasse et il n'y avait plus d'autre issue. Mais ce fut l'occasion d'autres ruptures dont je souffris profondément comme celle d'Annie Brunel, qui s'opposait à ce qu'elle considérait comme une sanction vis-à-vis de ces dirigeants, sans pour autant approuver la totalité de leurs thèses.
Après la crise « albanaise », celle de Bretagne ne pouvait que provoquer un nouvel affaiblissement sensible du PCML. J'en étais tout à fait conscient, mais je considérais que mon devoir idéologique consistait à soutenir toute lutte de ligne selon ma conscience et mes convictions politiques.
Par ailleurs, les événements internationaux liés à la « guerre froide » entre les deux superpuissances ne manquèrent pas. Début 1980, l'armée de l'Union soviétique lança une attaque d'envergure contre l'Afghanistan et réussit à occuper presque immédiatement la capitale Kaboul. Pierre Burnand rédigea plusieurs éditoriaux pour dénoncer l'ambition d'hégémonie mondiale du social-impérialisme soviétique.
Le 1er février se tint à la Mutualité un meeting commun PCML et PCR (ml) contre l'agression et pour le soutien au peuple afghan, à l'issue duquel l'auditoire vota, à l'unanimité comme de coutume, une motion commune. Parallèlement l'O.N.U. condamna la même invasion par une large majorité réunissant 104 pays, dont bien évidemment les Etats-Unis.
Nous étions dans une situation financière difficile. Aussi dûmes-nous renoncer à faire paraître notre organe central quotidiennement. Il devint hebdomadaire et sa numérotation se rattacha à nos précédentes publications. En relisant la première édition ressortie sous le numéro 1203, pour la semaine du 26 avril au 7 mai 1980, je peux prendre connaissance du remaniement de l'équipe rédactionnelle. Je demeurais « Directeur politique », le Rédacteur en chef devenait le jeune Pierre Burnand, tandis que le Directeur de publication, succédant à Suzanne Marty, n'était autre que Jean-Luc Einaudi. Mais tout le monde sait bien maintenant que Burnand et Einaudi n'était en réalité qu'un seul et même personnage. Il allait rédiger tous les éditoriaux de cette nouvelle série, d'une plume que j'ai toujours plaisir à retrouver parce que je la sais aussi sincère que désintéressée. Même si depuis lors mon camarade remet en cause, avec une grande honnêteté, nombre des assurances qui étaient les siennes, les nôtres à l'époque. A vrai dire nous bénéficions alors d'un Comité de rédaction de grande qualité. En tout cas tel est mon avis. Je ne vais pas citer tous les noms ou pseudonymes des militants qui constituaient cette brillante équipe, parce que je ne voudrais pas en omettre un seul. À vrai dire nombre d'entre elles et d'entre eux avaient des niveaux d'études assez élevés, qui leur permirent plus tard de se réintégrer rapidement dans des professions diverses sans aucune difficulté. Certains et certaines redevinrent enseignants, agrégés, agrégatifs ou capétiens, d'autres passèrent assez aisément des concours administratifs les propulsant dans le cadre A de différentes administrations.
Je désire cependant rappeler ici notre camarade Marceau, de sa véritable identité Eric Guitton, qui nous a quittés en juillet 2000 à l'issue d'une cruelle maladie. Un homme de qualité, de cœur et d'esprit et d'un humour exceptionnel que nous avons accompagné, avec Jean-Luc Einaudi et d'autres, lors de son incinération à Sète.
À vrai dire, à partir des années 80, je soutins, de façon de plus en plus évidente, une dure lutte de lignes contre le courant petit bourgeois qui s'installa progressivement dans nos rangs à tous les niveaux, des cellules de base jusqu'au secrétariat du comité central.

En fait, je devenais plus une personnalité connue sur le plan international dans les milieux qui avaient partie liée avec les camarades chinois qu'un dirigeant ayant en France une popularité politique suffisante. Je suppose que nombre des jeunes influencés par notre PCML étaient avant tout hostiles au PCF et, sans l'exprimer ouvertement, hostiles à tout le passé révolutionnaire de l'Union soviétique. D'ailleurs à un certain moment Bauby commença à demander que notre Comité central étudie « la question de Staline ». Je ne fus pas mal à l'aise en la circonstance parce que je connaissais maintenant dans ses détails l'analyse matérialiste dialectique avancée par Mao Zedong à ce sujet.

Au mois de septembre 1980, une nouvelle délégation de Français effectua une visite au Kampuchea démocratique, je suppose dans les maquis où vivaient les forces repliées qui s'opposaient à l'agression et à l'occupation vietnamienne. Ce groupe était composé du Professeur Edmond Jouve, du Père Cardonel et de mon camarade Georges Afanassiev, médecin spécialiste encore non installé.

C'était une période où des événements importants se succédaient : par exemple en Chine la réhabilitation de feu Lieou Chao chi, ou encore au Maroc la libération de 45 emprisonnés politiques dont le poète Adellatif Laâbi, ou encore la publication par l'Humanité-rouge d'une interview de l'ancien proche compagnon du Président Ho Chi minh, le camarade Hoang Van Hoan, réfugié à Pékin, ou encore l'assassinat à Marseille d'un jeune footballeur algérien, Houari Ben Mohamed, par un brigadier de police, proclamant lui-même qu'il avait la «gâchette facile «. Est-il besoin de préciser que dans toutes ces situations le PCML intervenait de manière spécifique ?

Du 16 octobre au 4 novembre 1980, j'effectuai mon onzième voyage en République populaire de Chine, en compagnie de Jean Quercy, qui dirigeait la section des relations internationales de notre comité central. Ce camarade, membre de notre Bureau politique, s'appelait en réalité Georges Afanassiev. Originaire d'une famille russe immigrée en France depuis longtemps, il avait pour frère l'un des plus célèbres vainqueurs de l'Himalaya.
Après avoir soutenu une thèse de psychiatrie sur la condition des femmes dans l'île de la Guadeloupe, il avait préféré se consacrer entièrement aux luttes que nous menions dans notre pays et sur le plan mondial.
Pendant le vol intercontinental, nous fîmes de nombreuses parties d'échec. Je dois reconnaître qu'il était beaucoup plus fort que moi et que je ne parvins pas à gagner une seule fois.

Chi Peng fei, vétéran communiste nous présenta un exposé sur la politique intérieure de la Chine.
Le lendemain ce fut à mon tour de prononcer l'intervention politique que j'avais préparée consciencieusement, comme d'habitude.

Je dis avec sincérité les inquiétudes qui étaient les miennes et fournis des exemples de l’essor de l’influence du parti socialistes dirigés par Mitterrand.

Le chef de la délégation chinoise nous laissa comprendre que la tactique chinoise consistait à isoler le plus possible le chef de file des révisionnistes dans le monde, le Parti d'Union soviétique, qui mettait en œuvre la stratégie social-impérialiste et agressive que nous savions. Il était intéressant de remarquer que les socialistes et les révisionnistes français ne soutenaient pas de manière enthousiaste l'agression contre l'Afghanistan.
Mais le souci principal de nos interlocuteurs concernait alors, prioritairement, la dénonciation des excès et crimes commis par la « bande des quatre ». Il ne s'agissait pas d'une lutte entre deux lignes au sein du peuple, mais d'une lutte antagonique contre des ennemis. Je compris que depuis mon dernier séjour, des changements importants étaient intervenus en Chine, et notamment au sein du Parti communiste chinois.

Le soir, après le repas, nous fûmes amenés dans la salle de cinéma d'un organisme particulier. On nous y présenta le film « Trace de larmes », qui relatait les péripéties de la réhabilitation d'un secrétaire de district du Parti assassiné pendant la Révolution culturelle en tant que partisan présumé de Lin Piao. Sa veuve feignait la folie pour échapper aux tracasseries et à la mort que préparaient pour elle les gardes rouges du fait qu'elle était une « chinoise d'outre-mer », donc pour eux une « étrangère ».
Je tins le contenu de ce film pour extrêmement manichéen. Les personnages négatifs étaient tous des anciens partisans de la « Bande des quatre », désireux d'empêcher que soit découverte la vérité, à savoir que le secrétaire, leur victime, n'était pas du tout un « linpiaoiste », mais un militant communiste valeureux qui agissait pour parvenir à dévoiler leurs trafics et vols aux dépens de la communauté, à l'occasion de la construction d'un barrage. Au début de la projection, je me sentais réellement très fatigué et somnolais. Mais au bout d'un moment, le personnage de la veuve, simulant la folie, finit par retenir mon attention. Je vis alors des scènes tout à fait classiques de l'art scénique chinois, comme celle de l'enfant qui retrouve sa mère et se précipite dans ses bras en hurlant et pleurant d'émotion et de joie. Au passage, je peux affirmer que j'ai vu des séquences du même contenu aussi bien dans des pièces traditionnelles du vieil Opéra de Pékin, que dans des pièces de l'Opéra à thèmes révolutionnaires contemporains, et enfin dans les films réalisés après la Révolution culturelle. Sincèrement ce film n'avait pas le souffle des grandes séquences que j'avais visionnées naguère, présentant les souffrances et les luttes du peuple chinois contre les propriétaires fonciers, les seigneurs féodaux cruels et implacables, ou les occupants japonais criminels.
Je ne ressentais pas la même profondeur historique que dans les films spécifiques de la période de la Révolution chinoise proprement dite.

Le 21 octobre 1980, départ le matin, de bonne heure, pour une visite « de repos » dans la région autonome du Kouangsi Tsouang, à Koueilin.
Pendant le parcours de l'aéroport d'arrivée à l'hôtel où nous allions séjourner, le secrétaire du comité provincial du Parti m'apprit que cette ville comptait deux cent quatre-vingt mille habitants et quatre cent mille avec ses environs. Il m'indiqua avec une certaine fierté que 280 usines non polluantes s'y élevaient. La province comptait trente quatre millions d'habitants dont onze millions de Tsuans, minorité nationale également présente de l'autre côté de la frontière, au Vietnam.

Notre séjour à Koueilin fut agréable. Le site était différent de ce que j'avais déjà pu visiter dans d'autres provinces de Chine. Nous nous trouvions dans un des endroits les plus panoramiques du pays, où des foules de chinois et chinoises venaient parfois d'assez loin effectuer des séjours de détente, en même temps que des groupes de touristes étrangers.
Cette région était couverte de pics élevés en forme de cierges géants. D'après les images que j'ai pu voir à la télévision en France, il me semble que ce panorama exceptionnel était un peu du même genre que celui de la baie d'Along au Vietnam, mais celle-ci se situe sur la mer.
Pour notre dernière journée à Koueilin, nous fumes reçus au « Bonsaï Garden », où nous pûmes admirer une quantité de petits jardins « à la japonaise » et d'innombrables arbres nains. Le matin du jour où nous devions repartir pour Pékin, nous fûmes conduits à l'institut des minorités nationales de Nanning, doté d'une École supérieure, où 840 professeurs prodiguaient leur enseignement à 2100 élèves, dans six facultés différentes : politique, chinoise, de langues étrangères, de mathématiques, de physique et de chimie. 90 à 95% des étudiants provenaient des minorités nationales du Kouangsi, les autres étant des Hans. Les critères de recrutement étaient plus difficiles pour ces derniers que pour les jeunes gens provenant des onze minorités recensées dans la province. Il y avait des Tsuangs, des Yaos, quelques Queulans habitués à vivre dans les montagnes, des Muongs, des Coréens. Il avait fallu créer une écriture pour certaines de ces ethnies qui n'en possédaient pas jusque-là. Nous fîmes à pieds une visite de l'immense campus universitaire.

Le 27 octobre 1980, nous sommes revenus en deux heures quarante cinq dans la capitale chinoise avec un Trident de la Compagnie aérienne civile chinoise. Et, dès le lendemain matin, nous reprenions nos entretiens politiques avec les représentants du Parti communiste chinois.

Au cours de ces entretiens ces derniers nous informèrent de l'arrivée à Pékin d'un représentant du Parti socialiste, un membre du Comité directeur, de tendance mitterrandiste nommé Robert Pontillon.
Ce visiteur demandait à rencontrer le département international du Parti communiste chinois, qui n'avait pas encore donné de réponse. Le solliciteur exprimait l'idée que François Mitterrand pourrait effectuer une visite en Chine à son tour.
Comme nos interlocuteurs attendaient notre réaction sur ce point, je me contentai de leur déclarer un peu sèchement peut-être : « A vous de jouer ! »

L'orateur du côté chinois fut Chou Ta chen, qui reprit dans le détail l'exposé qu'avait déjà amorcé Chi Peng fei sur la situation immédiate et l'histoire ancienne de la révolution en Chine. En fait, il avait mission de nous expliquer les critiques que son Parti adressait à certaines directives et initiatives de Mao Zedong.
Son intervention porta sur « le grand bond en avant » , sur « l'élargissement erroné de la cible dans la lutte antidroitière » , notamment contre Peng Teh huai, et enfin, point le plus important et le plus récent, sur la « Révolution culturelle » qui avait « sévi » de 1966 à 1976.

Mais il consacra l'essentiel de ses propos à un bilan des 31 années passées depuis la victoire de la Révolution chinoise en 1949.
Il développa son analyse historique en distinguant quatre périodes : du début de 1949 à 1957, de juillet 1957 à 1965, de 1966 à 1976, et enfin d'octobre 1976 à maintenant c'est-à-dire octobre 1980.
Je détiens les notes précieuses que je pris en l'écoutant, et je projette de les remettre avec une foule d'autres documents un jour futur à la Grande Biliothèque de France.
Du bilan essentiel de ces quatre périodes historiques, Chou Ta chen dégagea deux enseignements :
le premier concernait le fait qu'après la prise du pouvoir révolutionnaire, le Parti n'avait pas bien su régler le rapport entre les luttes de classes et l'édification économique. La lutte de classes contre les ennemis présumés s'était trouvée élargie, surtout entre 1957 et 1976.
Même au niveau du Comité central, le centralisme démocratique avait été mal appliqué. Les masses populaires n'avaient pas bénéficié de suffisamment de droits démocratiques. Le système socialiste, système nouveau, n'avait pas été la perfection.
À partir de là, Chou Ta chen s'engagea dans un débat sur la démocratie prolétarienne et la démocratie bourgeoise, expliquant qu'il ne fallait pas rejeter la seconde en bloc, mais retenir de son fonctionnement tout ce qui pouvait contribuer au développement de la première.
Il convenait de mieux régler les questions des rapports entre Parti et État, entre Parti et Gouvernement, entre Parti et masses.
Il conclut que toutes ces difficultés devraient être solutionnées dans une amélioration constante de la pratique. Il évoqua aussi le « culte de la personnalité « dans le Parti, le pouvoir trop concentré en un seul individu.
Les erreurs dans ces domaines entraînaient des aspects négatifs du système socialiste, ce qui ne mettait pas en cause ce système en lui-même.
Il en vint à énoncer deux objectifs :
la nécessité de soutenir de grands efforts pour une productivité socialiste, il était indispensable d'enrichir la société socialiste pour que les masses populaires bénéficient de conditions d'existence plus aisées. En Chine, une priorité devait être accordée à l'élimination de la pauvreté.
il était nécessaire de parfaire la vie politique de l'État en élargissant la démocratie socialiste, en renforçant la législation socialiste. Dans une vie démocratique large, il serait plus facile d'élever la conscience politique du prolétariat et des masses.

Je retins aussi un passage clef de son exposé :
« La démocratie bourgeoise a permis d'effectuer un grand pas en avant par rapport à la dictature féodale. Le socialisme ne doit pas faire un pas en arrière par rapport à la démocratie bourgeoise. Aussi le problème de la démocratie prolétarienne doit être réglé en largeur et en profondeur. Le Parti doit donner le pouvoir de gestion à l'ensemble des travailleurs. Il importe de refuser l'égalitarisme sur la base de la pauvreté ancienne. C'est là une paupérisation qu'il importe de refuser. »
Il ajouta « Après trente ans d'expérience, nous constatons que l'économie socialiste reste une économie de marchandises. Il faut étudier la loi et le rôle de la valeur. Il nous faut attacher une grande importance à l'étude et à la compréhension de la production sociale de l'Occident.
Lénine lui-même avait indiqué que le socialisme devait partir des progrès capitalistes et non de la situation du féodalisme... Il nous faut tirer les leçons des expériences passées, parfaire le système socialiste lui même et développer sa supériorité. Les communistes chinois ont une grande confiance dans le socialisme. »


Je compris que ces derniers se trouvaient à un nouveau tournant de l'histoire de leur Parti, de leur peuple, de leur pays. Je fis quelques réflexions dubitatives et posais quelques questions auxquelles le chef de la délégation chinoise répondit en substance, avec beaucoup de chaleur :
« Camarades, faites-nous confiance ! Actuellement nos forces demeurent insuffisantes pour que nous puissions aider efficacement tous les peuples du Tiers monde à se libérer définitivement de la domination impérialiste, actuellement nous ne sommes pas encore en état d'aider les prolétariats et les peuples du monde entier à réaliser victorieusement leurs révolutions.
Mais faites nous confiance. Nous allons accumuler toutes les forces nécessaires pour que demain la Chine socialiste soit une puissance ou le peuple aura vaincu la pauvreté... Nous nous en tenons au principe suivant lequel chaque Parti communiste doit appliquer le marxisme-léninisme à la pratique concrète de la Révolution dans son propre pays. »


Le matin du 31 octobre 1980, notre délégation rencontra Hoang Van Hoan, ancien Vice-Président de l'Assemblée Nationale Populaire de la République Démocratique du Vietnam et membre du Bureau politique du Parti des Travailleurs du Vietnam du vivant de Ho Chi minh. Il parlait assez bien le français et nous indiqua qu'il l'avait appris au bagne de Poulo-Condor où les colonialistes l'avaient détenu plusieurs années.
Il nous exposa le processus de prise du pouvoir dans le Parti vietnamien par Le Duan, homme des Révisionnistes soviétiques. Il nous expliqua ses points de vue sur la politique suivie par Hanoï. Il conclut en affirmant qu'il fallait faire une nouvelle Révolution au Vietnam. Je lui dis notre admiration et notre entière solidarité. Nous prîmes des décisions de mesures pratiques pour l'aider dans la propagande auprès des Vietnamiens résidant en France. Nous allions effectivement diffuser des brochures écrites en langue vietnamienne. Nous nous séparâmes de ce dirigeant non sans émotion, car nous voyions en lui un vieux compagnon du Président Ho Chi minh et un vieil adversaire du colonialisme français. Il était âgé et malade, mais inflexible.

Le soir du 31 octobre 1980, à 17 heures, nous fûmes officiellement reçus par le Vice-Président du Parti communiste chinois, déjà ou futur Président de la République, Li Sien nien. Il avait bien meilleure mine que deux ans plus tôt et nous fûmes d'abord placés sous les projecteurs de la télévision chinoise. Il nous parla de l'économie du moment, déplorant inondations et sécheresse qui entravaient la production des céréales. Puis à 18 heures, il nous offrit le « banquet » traditionnel de fin de séjour.
Encore que le jour suivant, Feng Shuan nous fît un exposé très détaillé et complet sur la situation internationale. La cible principale de son Parti restait la politique de l'Union soviétique, caractérisée comme plus agressive à l'égard de la Chine que celle des Etats-Unis, du Japon ou de l'Europe. Les perspectives de la décennie des années 80 n'étaient nullement à la détente mais au contraire à l'aiguisement des contradictions et permettaient d'évoquer la possibilité d'une guerre. Le tout sur fond d'armements nucléaires.
L'orateur du Comité central du Parti frère chinois insista pour souligner que « la politique extérieure de la République populaire de Chine restait pour l'essentiel fondamentalement telle qu'elle avait été définie par Mao Zedong et Chou En lai. Il fallait tout faire contre l'hégémonisme, en se fondant sur l'analyse des trois mondes, »
Il répéta les cinq principes de la coexistence pacifique avec les autres pays et peuples. Puis il développa cas par cas les problèmes correspondant à des situations particulières dans le monde :
celui de l'Afghanistan, celui du Vietnam et du Kampuchea, celui de l'Iran et de l'Irak, celui de la situation intérieure de la Pologne, celui du Laos.

Puis il en vint à un point extrêmement important pour nous Français. Il parla du rétablissement des relations du Parti communiste chinois avec le Parti communiste italien. Au printemps précédent, Berlinguer avait visité la Chine, discuté avec les camarades Houa Kouo feng et Deng Xiao ping, ainsi qu'avec Yu Pao bang. Les relations avaient été rétablies entre les deux partis. A ce sujet il précisa :
« Nous estimons que depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le monde a connu des changements considérables. Le Mouvement communiste international et le Mouvement Ouvrier mondial aussi. Des situations très compliquées sont apparues. Dans ce cas, exiger des points de vue identiques sur le Mouvement communiste et les problèmes de politique intérieure et extérieure n'est ni réaliste ni possible. Il est inévitable qu'il y ait des points de vue et des différences entre parti et parti.
Tout cela ne doit pas et ne peut pas constituer des obstacles au développement des relations entre partis communistes... Où en est, en Occident, l'eurocommunisme à l'heure actuelle ? Quelle sera sa pratique dans l'avenir ? On ne le saura qu'à travers la vérification de la pratique.

On ne peut qu'affirmer que la méthode chinoise ne peut pas être transmise en Europe. Quelle voie doit suivre la Révolution en Europe ? Il faut laisser chaque parti européen choisir, avoir son expérience particulière, ses tâtonnements et sa pratique... Le rétablissement de nos relations avec le Parti communiste italien est dans l'intérêt des deux partis et du Mouvement communiste international, et tout spécialement de la lutte contre l'hégémonisme, pour la paix mondiale. »


À ce moment là je l'interrompis et posai la question : « Le Parti communiste chinois garde-t-il des relations avec le Parti communiste marxiste-léniniste d'Italie ? » .
Feng Shuan répondit aussitôt : « Oui, il les conserve », puis il enchaîna en expliquant qu'un processus identique était engagé avec le Parti communiste espagnol.
Carrillo était attendu avec une délégation entre le 1er et le 10 novembre. Après quoi, il précisa « Quant à ceux qui restent alignés sur l'U.R.S.S. et s'opposent à la Chine, il n'existe pas de base pour que s'ouvre un tel développement. » Et il indiqua ce qui nous intéressait avant tout : « Par exemple, pour le Parti communiste français, c'est encore prématuré. »
Il conclut en affirmant que pour les partis marxistes-léninistes créés et développés depuis 1963, les communiste chinois estimaient qu'ils constituaient toujours une force au sein du Mouvement communiste international.

Enfin il nous avança une information surprenante et inattendue :
« Nous sommes prêts à établir des relations avec le Parti socialiste. Ce ne sera pas une relation entre partis marxistes-léninistes. Peut-être Mitterrand viendra en Chine. Il nous l'a demandé pour les mois de janvier ou février 1981. »
Sur nouvelle question de ma part, il devait me trouver têtu, il précisa encore :
« le Parti communiste italien n'a pas demandé que nous rompions nos relations avec les partis marxistes-léninistes d'Italie. Pour le Parti communiste français, c'est une question qui ne s'est pas posée, puisque nous n'avons pas de relations avec lui.»
Mon retour à Marseille exigea 25 heures 30, avec une escale de trois heures à Karachi parce que la tour de contrôle de Bahrein n'autorisait pas le décollage en raison de la guerre entre l'Irak et l'Iran. Alain Castan m'attendait et me ramena chez moi en voiture

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Le Congrès de notre Parti redevenu « légal » tint ses assises du 29 janvier au 1er février 1981 en présence de cent délégués dans un lieu public spécialisé dans l'accueil de réunions et séminaires à Versailles.
Le moins que l'on puisse dire est que les adhérents de base ne manquaient pas de textes, de projets, de résolutions proposées, ils en étaient littéralement submergés. Je lisais avec attention tous ces documents qui m'étaient communiqués. Le rapport d'orientation sur la situation internationale me paraissait correct et je n'avais pas de critique à lui adresser. Mais le projet d'orientation du rapport politique me sembla confus et rempli de points de vue avec lesquels je n'étais absolument pas d'accord.

Le Comité central, majoritairement, approuva tous ces documents. Je compris que désormais je me trouvais minoritaire, bien que détenant encore sur le papier et pour la galerie, la fonction de secrétaire général. Pendant les séances du IVème Congrès, je restai muet, en dehors d'une intervention précise au cours de laquelle je m'efforçai de freiner la dérive en cours. Finalement lors de l'élection du Comité central, à bulletins secrets pour la première fois, j'obtins un nombre de suffrages proche de l'unanimité des délégués. Personne d'ailleurs n'atteint celle-ci, en dehors d'un camarade de Lorraine, Grégoire, que je tenais pour un militant ouvrier très compétent.
Lors de la première session de ce nouveau Comité central, le 14 février 1981 je fus élu au Bureau politique ainsi que membre d'un Secrétariat politique collectif de cinq membres. Les titulaires de cet organisme furent Pierre B., Alain Quarante, Camille Granot, Jean-Luc Einaudi et moi-même.
Contre l'avis unanime des camarades de la région de Marseille, j'avais moi même demandé à être relevé de la fonction de secrétaire général en avançant plusieurs raisons, notamment mon état de santé et mon âge, proche de la soixantaine, et le fait que désormais ma résidence éloignée de Paris rendait difficile ma participation aux réunions quotidiennes de nos organismes.

Le 10 mai 1981, François Mitterrand fut élu Président de la République.
Malheureusement, la 3ème session de notre comité central ne me soutint plus du tout. Une décision d'abandon de toute influence sur les organismes dirigeants des AAFC obtint une assez large majorité. J'étais plus que perplexe et me demandais ce que pouvaient présager ces changements auxquels je ne m'attendais pas du tout.

Ce fut dans ces circonstances que le Congrès de cette association réunit ses assises les 6,7 et 8 juin 1981 dans une période où mes contradictions avec les autres membres de la direction du PCML ne cessaient de s'exacerber.
J'y soutins une lutte de tous les instants avec l'appui de Régis Bergeron, de Claudette Castan et de quelques autres amis sincères de la Chine communiste. Mais plusieurs adhérents du PCML agirent ouvertement en totale complicité avec certains sinologues et autres représentants de la bourgeoisie anti communiste. Lors de ma première intervention, j'entendis des voix proclamant « Voilà la vieille garde qui monte à la tribune ! » . Je crois que j'étais devenu l'homme à abattre.

La petite bourgeoisie à laquelle j'avais affaire était complètement folle et fanatique.
Finalement, avec la complaisance, sinon avec la complicité de plusieurs de mes propres camarades, le courant anticommuniste et antichinois réussit à s'emparer de la direction de cette association.
Je fus néanmoins réélu à la Présidence d'honneur.
Mais l'organisme exécutif réel, secrétariat, trésorerie et comité de rédaction de la revue passa intégralement aux mains des gens qui avaient préparé cette mutation.

Je considérais les résultats de ce Congrès comme une défaite complète des marxistes-léninistes, porteuse de perspectives négatives pour une amitié réelle et honnête avec la République populaire de Chine.
D'ailleurs, l'une des premières décisions de ce nouvel aréopage fut de demander qu'entre dans la présidence d'honneur de l'Association un député et conseiller municipal de Paris, Adjoint au Maire chargé de la culture, nommé Pierre Bas, politicien de droite aux activités tendancieuses totalement différentes de celles de gens de hautes statures, comme Maurice Schumann ou Mme de Lipkowski.

Je dus bientôt remonter à Paris pour participer à une session de notre Bureau politique. Je dois dire que je ne me sentais plus du tout d'accord avec les activités proposées et mises en œuvre par les dirigeants parisiens, parce qu'ils étaient très fortement influencés par la vague montante de l'idéologie social-démocrate qui remettait tout en question et visait à détruire tout ce qu'avec quelques autres, j'avais contribué à édifier depuis presque vingt ans.

À mes côtés, le seul qui résistait à la dérive entraînant le PCML sur des positions opportunistes et petites-bourgeoises n'était autre que Jean-Luc Einaudi. Au sein du Comité central, la situation était identique, mais en plus de mon camarade, un autre membre s'indignait comme moi de la ligne politique et pratique impulsé par trois membres du secrétariat collectif, c'était le camarade Robert K.

Le 3 octobre 1981, j'appris de mes homologues du secrétariat du PCML que nous étions invités à envoyer une délégation assister au Congrès du Parti socialiste, convoqué à Valence, dans la Drôme à partir du 23 octobre suivant.

Ici je tiens à faire une mise au point. Je n'étais pas du tout d'accord pour répondre favorablement à la proposition intéressée du Parti au pouvoir. Mais je me résolus finalement à m'y rendre pour mieux voir, écouter et comprendre la magouille politicienne qui se développait en vue de faire disparaître le PCML.
Les découvertes que je fis en effet me confirmèrent que j'avais bien fait d'agir ainsi.
Nous prîmes place parmi les associations françaises invitées. Sur notre gauche arrivèrent bientôt les dirigeants du Parti communiste français, conduits par Maxime Gremetz.
Georges Lazzarino en faisait partie et dès qu'il m'eut aperçu me désigna ouvertement à ses deux camarades, le chef de délégation et une femme conseillère municipale de Valence, Mme Pellegrin.
Les groupes d'invités étrangers étaient installés derrière nous sur une tribune spéciale.
La délégation chinoise était conduite par Feng Hshuan, accompagné de Li Meï et de Tang. Je me levai, le premier des Français, pour aller saluer ces camarades chinois avec lesquels je m'étais si souvent entretenu dans leur propre pays. Il n'y eut entre nous que de simples civilités mais pas d'entretien prolongé, pour tenir compte que nous n'étions pas « chez nous ».
J'aperçus alors Samdech Norodom Sihanouk et me rendis aussitôt auprès de lui, suivi de mes compagnons. Il me reconnut sans hésitation. Je fis signe de s'approcher à Georges Afanassiev, présent à la tête de la délégation invitée de l'association d'amitié France-Cambodge. Mon camarade n'avait jamais rencontré le prince.

Ce Congrès du Parti socialiste ne fut en définitive qu'une grande messe célébrant la victoire électorale de François Mitterrand à la Présidence de la République.

Un mois plus tard, je décidai encore de répondre favorablement à une demande des trois autres secrétaires, B., G. et D. pour les accompagner au siège du Comité directeur du Parti socialiste. Je désirais savoir à quelle sauce nous allions être dévorés. Je fus bien inspiré, car je fis à cette occasion une découverte sans aucune ambiguïté en écoutant les propos de nos interlocuteurs.
Les dirigeants du PS qui nous reçurent étaient Pierre Brana, Marcel Debarge, et Thierry Geoffroy. Le second nommé, secrétaire national du Parti socialiste, nous expliqua que, comme nous, il aspirait à voir diminuer l'influence du Parti communiste français, et, dans ce but, il nous proposait d'auto dissoudre notre PCML et d'entrer en masse dans les rangs du Parti socialiste. Il précisa qu'il y avait à l'époque, je crois trois ou quatre tendances à l'intérieur de sa formation, et que nous pourrions facilement constituer une tendance de plus, la tendance prochinoise du PS !

Je ne pus me retenir de lui rétorquer que ses propositions ne sauraient en aucune façon être acceptées ni par nous ni par nos adhérents.
Mais mes trois accompagnateurs ne soufflaient mot, sauf peut être Camille Granot qui s'efforçait de conserver à la rencontre un caractère amical.
A la sortie du siège national du PS, nous prîmes un café au coin du boulevard Saint-Germain et je réaffirmai calmement mais fermement que je n'avais rien à faire avec ces politiciens social-démocrates.
Mes camarades m'écoutèrent et éludèrent toute discussion, sans doute pour ne pas provoquer de ma part une colère qu'ils sentaient bien monter. Au demeurant, le matin de ce même jour, nous avions déjà échangé des propos extrêmement contradictoires sur l'orientation qu'ils donnaient à notre parti.
Je redescendis à Marseille, la tête et le cœur remplis d'inquiétude.

Courant décembre 1981, j'appris que le chef du gouvernement albanais, le vieux combattant communiste, ancien des Brigades internationales en Espagne et compagnon d'André Marty, Mehmet Chehou, que j'avais rencontré naguère sur la grande place Skanderbeg à Tirana, venait de se suicider !

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Le 20 Février 1982 un événement assez inattendu, mais parfaitement normal en soi, provoqua ma tristesse et installa en moi un sentiment de pessimisme. Jean-Luc annonça devant la 8e session du comité central du PCML sa démission du secrétariat ainsi que de ses fonctions de rédacteur en chef de l'Humanité-rouge. Il refusait également de demeurer permanent. Ses désaccords avec les trois autres secrétaires lui paraissaient insurmontables et il ne voulait plus cautionner des initiatives et décisions qu'il n'approuvait pas. En vérité, mon absence de Paris laissait mon camarade complètement isolé.
Je fus désappointé, mais dès le lendemain il m'appela à Marseille pour m'informer qu'il revenait sur sa décision.

Ce n'était que la poursuite du processus de lutte prolongée entre deux lignes au sein de la direction du PCML. À Marseille, Alain Castan et d'autres camarades responsables passaient par des alternatives de critique et de soutien à ce qu'ils appelaient la «ligne parisienne » . Ces faits ne manquaient pas de provoquer des réactions diverses parmi les camarades des cellules de base.

À la suite de la 9 e session du comité central le 28 avril 1982, la coupe de ses désaccords étant cette fois-ci plus que pleine, Jean-Luc donna sa démission du Parti lui-même. Il exposa ses raisons accusant les trois autres secrétaires de prendre des positions unilatérales de manière antidémocratique.
Je me mis d'accord avec lui sur le principe que nous nous rencontrerions le plus souvent possible. Ce que nous fîmes périodiquement.

Le 7 octobre suivant, il adressa au comité central une lettre expliquant concrètement où il en était de ses réflexions critiques. Je lui conservais une estime de haut niveau que je ne lui ai jamais plus retirée.
Je fus extrêmement sensible à un passage de sa lettre où, après avoir fustigé « les ravages, les méthodes, le style de direction de certains dirigeants qui avaient un souverain mépris des militants... » il ajoutait aussitôt : « Devant vous tous je tiens à dire que je rends hommage au camarade Jurquet. Je pense qu'il s'est beaucoup trompé comme je me suis beaucoup trompé moi-même et sans doute pense-t-il différemment de moi sur beaucoup de points. Mais je veux rendre hommage à la sincérité de ses convictions profondes et à l'intérêt que, je crois, il porte aux militants et aux hommes. »

Une nouvelle rencontre fut organisée entre dirigeants du PCML et du Parti socialiste. Je refusai catégoriquement d'y participer, mais mes homologues retrouvèrent, le 10 novembre 1982, je suppose au siège du Comité directeur du Parti gouvernemental, les secrétaires Huntzinger et Pierre Brana. On m'a assuré depuis lors qu'ils étaient allés aussi à l'Elysée où ils avaient été reçus par j'ignore quelle personnalité du cabinet du Président de la République, mais je n'en ai pas eu personnellement la preuve formelle. En tout cas, si c'est là une réalité, elle me fut dissimulée.

Une nouvelle visite en Chine fut alors annoncée. La délégation choisie par le Bureau politique fut savamment dosée : Jacques Jurquet, Pierre B. et Alain Castan.
C'était mon treizième voyage. Je n'en parlerai pratiquement que fort peu, parce que dès mon arrivée à Pékin je fus hospitalisé. Du fait de ces circonstances, je ne pus participer aux entretiens politiques avec les représentants du département international du comité central du Parti communiste chinois. Seuls mes deux compagnons purent s'entretenir avec les camarades chinois.

Entre-temps nous avions appris que le Parti frère chinois venait de normaliser ses relations avec le Parti communiste français. J'avais aussitôt diffusé une déclaration qu'aucun membre de la direction du PCML ne put remettre en cause. Je me félicitai de l'événement qui relevait de la tactique des Chinois pour isoler les Soviétiques. Alain D. publia lui aussi un article sur ce point dans le périodique Travailleurs qui remplaçait désormais notre vieille Humanité-rouge.

À notre retour, le secrétariat parisien convoqua une conférence de presse qu'assura seul Pierre B. Il y rencontra des journalistes que je connaissais déjà comme adversaires redoutables du communisme et de la Chine communiste, je cite ici Alain Jacob du Monde, et un nommé Vincent de l'AFP.

Désormais le PCML courait à sa disparition. Les crises successives de toutes sortes qui l'avaient envahi avaient écartés un grand nombre de ses adhérents. Je considérais que d'un point de vue tactique il importait que je parvienne à le préserver à Marseille dans la mesure où il était né dans cette ville et y avait compté un nombre appréciable de militants.
Par ailleurs, je commençai à m'engager davantage dans les activités du MRAP, où Baya m'avait largement précédé. Malheureusement, parmi mes camarades de la région provençale certains, et parmi les meilleurs, déstabilisés par les événements aussi bien dans le Parti que sur le plan international, et en Chine en particulier, remettaient aussi leurs convictions passées en doute et cherchaient de nouvelles voies.
Je nie consacrai surtout à l'écriture de la suite de mes ouvrages sur l'Algérie et achevai le récit autobiographique de l'existence exceptionnelle de ma femme, sous le titre « Les oreilles en pointe »
Je préparai aussi la rédaction de mes propres mémoires et pensai leur donner pour titre « Les hurlements de la vie » . À travers mes recherches en histoire contemporaine, je rencontrai à Marseille, Mahfoud Kaddache et à Paris Mahmed Yazid.

Lorsque je participai à une session du Bureau politique ou du comité central, mes contradictions avec les trois secrétaires parisiens éclataient immédiatement. Elles ne se manifestaient pas de manière antagonique, mais se révélaient irrémédiables. Nous n'avions plus du tout les mêmes valeurs.

Ainsi le 3 septembre 1983, une discussion insoluble se poursuivit longuement autour de la façon d'analyser la politique suivie par le Parti socialiste qui détenait la présidence du gouvernement et par le Parti communiste français qui avait accepté de fournir quatre Ministres à ce gouvernement dirigé par le vieux cheval de retour Pierre Mauroy.
J'estimais que dans l'organisme dirigeant du PCML coexistaient trois tendances, une droite majoritaire, un centre (Marseille et quelques autres) et une gauche, limitée à Robert K.et moi-même, appuyée dans certains cas par Grégoire et, plus rarement, par quelques autres comme Dastar. J'essayai de rallier le centre pour combattre la droite, mais la confusion dominait tellement les esprits que cette tactique n'était pas souvent efficace.

La veille, je venais d'achever la correction de mon tome IV intitulé « Algérie 1945-1954 - des élections à la lutte armée » . Il était bon à tirer.

Je n'étais pas tenu au courant de la poursuite des contacts de mes camarades du secrétariat résidant à Paris avec les représentants du Parti socialiste, mais je supposais évidemment que des tractations plus ou moins avouables étaient en cours.
L'organe du groupuscule fasciste du Parti des Forces nouvelles, futur constituant du Front national de Le Pen, consacra une page entière dans son édition du 1er au 15 octobre 1983 à un article ayant pour titre « Les Maos chez Jospin « . Ce fut seulement ainsi que j'appris, avec force détails, vrais ou mensongers, que Pierre B. avait conduit une délégation au siège du PS le mercredi 13 juillet précédent. Aucun des trois dirigeants concernés ne démentit cette information présentée de manière évidemment plus que tendancieuse.

Après l'été, le Ve Congrès du PCML se réunit, en présence d'environ 75 à 80 délégués, du 29 octobre au 1er novembre 1983 à Saint Germain au Mont d'Or dans la banlieue lyonnaise. Le rapport d'orientation fut présenté par B. Je soutins une lutte idéologique active et parvins non sans difficulté à faire réintégrer l'énoncé de l'objectif stratégique de « dictature du prolétariat » dans la Résolution finale.
Mais B. et ses amis infléchirent sensiblement le contenu de cette dernière de façon à ne pas apparaître comme trop hostiles à l'expérience Mitterrand.

Je dus mener une lutte point par point, phrase par phrase, quelquefois mot par mot. Finalement je réussis à contenir mieux que je ne l'espérais la dérive sociale-démocrate du PCML et considérai qu'il me fallait encore y rester afin de poursuivre jusqu'à la plus extrême limite le combat pour lequel j'avais engagé toutes mes forces depuis mon exclusion du PCF en 1964.
Mais maintenant l'adversaire n'était plus le Parti auquel j'avais adhéré pendant la Résistance, mais le Parti socialiste que mon père avait quitté en 1940 après l'effondrement de la France quand le secrétaire général Paul Faure et d'autres dirigeants tournaient leurs vestes pour soutenir le maréchal félon Pétain et son régime de collaboration avec les Nazis.

Peu après, B. organisa une conférence de presse à laquelle je me forçai d'assister. Il présenta à sa manière les résultats du Congrès, mais fut cependant contraint de ne pas aller trop loin du fait de ma présence.
À cette occasion je m'entretins un assez long moment avec plusieurs invités, comme l'Ambassadeur d'Irak et différentes personnalités et journalistes de Belgique, des Pays-Bas, des Comores, de Chine et d'Algérie.
Le bulletin quotidien de l'Agence Chine nouvelle annonça la tenue de notre Congrès.
Les quotidiens Libération et Le Monde publièrent des articles concernant ce Congrès, tendancieux pour le premier signé Eric Dupin, sérieux pour le second signé de simples initiales P.J. A noter que l'organe de Serge July présenta sur deux colonnes une photographie de bonne facture de Pierre B. en la gratifiant du titre de « principal dirigeant du PCML«.
Ce journal indiquait que ce dernier s'était opposé au stalinisme que j'avais défendu.
La réalité était beaucoup plus nuancée, mais de la sorte cet article permettait de mettre mes positions en opposition avec «l'ouverture» de B. et de me présenter comme un vieux dogmatique irrécupérable.


Edité le 25-11-2013 à 16:47:26 par Xuan




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contrairement à une opinion répandue, le soleil brille aussi la nuit
Xuan
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   Posté le 25-11-2013 à 16:54:31   Voir le profil de Xuan (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Xuan   

La dernière séance, le 1er novembre, avait constitué de fait la 1ère réunion du nouveau Comité central composé de 26 membres. Le Parti comptait alors environ mille adhérents. Il était d'ores et déjà en recul quantitatif sensible.

L'élection de la nouvelle direction eut lieu à bulletins secrets. J'avais été élu au Comité central par 65 voix sur 72 votants, je le fus ensuite au Bureau politique et au Secrétariat collectif par la quasi unanimité des membres du Comité central. Je pense qu'au moins l'un d'entre eux me refusa son suffrage. Il demeurait évident que ma présence était était encore une caution pour la survivance d'une organisation dont on voulait modifier les raisons d'être et les objectifs, mais que l'on n'avait pas encore complètement retournée.
Je conservai une influence dans le midi et particulièrement dans la région marseillaise. Ainsi, quelques semaines plus tard, j'assurai un meeting public à Nice à la demande des camarades de la cellule de cette ville. Je dormis chez Joël C. et son épouse, tous deux militants actifs venus du PSU.
Par la suite, le matin du 3 décembre, Baya et moi arrivions à Paris, elle pour participer à une session du Bureau national du MRAP, moi même pour effectuer des recherches à la Bibliothèque nationale.
En début d'après midi je rejoignis la place de la Bastille pour assister à l'arrivée de la marche pour l'Egalité et m'intégrer dans le cortège des organisations qui l'attendaient. Avec B. et Gilbert R., nous entrâmes dans les premiers rangs regroupant les personnalités de tous les partis, formations et autres mouvements. J'y serrai quelques mains connues, celles d'Alain Krivine, du Professeur François Grémy, d'Albert Lévy. Je rencontrais ensuite plusieurs camarades du PCML, Saly S. et son ami, ainsi que sa sœur Ferouggia et son époux Gérard P. Lorsque je retrouvai Baya, elle me présenta Yasmina Attab, qui faisait partie à cette époque du secrétariat national du MRAP. Cette manifestation regroupa m'assura-t-on plus de cent mille marcheurs qui s'étaient joints à l'arrivée des quelques 30 à 40 jeunes gens et jeunes femmes qui avaient tenu le coup pour parcourir toute la France. Le gouvernement délégua l'un de ses Ministres, Madame Georgina Dufoix, pour les accueillir, et une délégation fut reçue au Palais de l'Elysée par François Mitterrand.

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Comment suis-je resté encore plus de deux ans dans ce groupuscule dont les effectifs se réduisaient comme une peau de chagrin ? D'autant que le départ de Jean-Luc Einaudi, bientôt suivi de la démission de Robert K. et de la retraite délibérée de plusieurs autres militants, les meilleurs bien entendu, me laissaient seul en face d'une camarilla dont les éléments n'avaient plus rien à voir avec le marxisme-léninisme ? Que l'on me comprenne bien, je n'adresse ici aucun reproche à ces deux camarades qui agirent en leurs pures consciences. Je compris très bien leurs réactions et fis tout pour ne pas me couper d'eux.
Je n'ai jamais reculé devant l'adversaire, sinon par tactique.
Mais, dans les circonstances de l'époque, où nulle répression dangereuse ne me menaçait plus, je désirais trouver le moment, l'événement le plus propice pour me démarquer de cette dérive et lui porter un coup que je voulais décisif.
Avant le Verne Congrès, B. et ses comparses prônaient une ligne opportuniste vis-à-vis du PCF, certainement parce que le Parti communiste chinois avait rétabli ses relations avec le Parti français. Mais à la suite de ce dernier Congrès, ces curieux dirigeants changèrent leur fusil d'épaule et se mirent plus ouvertement que jamais à soutenir une ligne de rapprochement avec le Parti socialiste. De ce fait, à part une poignée de militants et militantes, notamment parmi les journalistes qui avaient tenu le coup jusqu'au passage de l'Humanité-rouge au périodique hebdomadaire Travailleurs, et poursuivaient avec courage leurs activités rédactionnelles, les membres de la direction du PCML s'abandonnaient à toutes sortes de tendances «nouvelles » qui tournaient le dos au marxisme-léninisme. Il m'était évident que leurs rapports avec le Comité directeur du Parti socialiste n’étaient pas pour rien dans leurs tergiversations.

Indigné par différents procédés du secrétariat parisien, Alain Castan, à son retour d'une session du Bureau politique, le 15 avril 1984, m'avait déclaré textuellement qu'il fallait « donner un coup de pied dans cette fourmilière ». Il considérait que « le PCML n'existait plus en tant que parti ». Bien entendu, il avait raison et je ne pensais pas différemment, mais je poursuivais l'intention de dénoncer en temps le plus opportun possible et avec le maximum d'effet l'opération sociale-démocrate qui avait abouti à ce résultat.

En attendant, à Marseille, je ne restai pas inactif. J'avais commencé une émission hebdomadaire sur les antennes de Radio-Galère depuis le 1er janvier 1984. Peu de temps auparavant, un an environ je suppose, Fathi Bouraoua, responsable d'un centre social, et d'autres militants issus de l'extrême gauche avaient lancé cette radio libre. Le directeur était Jacques Soncin, un homme qui avait naguère abandonné ses études de médecine presque terminées pour se consacrer aux luttes sociales et politiques. Je connaissais Fathi depuis le bidonville de la Timone où, enfant, il se trouvait parmi « mes petits princes » lorsque j'assurais en ce lieu de misère une solidarité active aux familles dont les hommes étaient pour la plupart emprisonnés ou internés. Du coup je me trouvais bien parmi ces animateurs de radio, qui apprenaient par la pratique dans la mesure où ils n'avaient aucune formation professionnelle préalable. Mon émission prit bientôt le nom « d'Histoire, Culture et Littérature ». Les sujets abordés furent extrêmement éclectiques et je poursuivis leur présentation pendant plus d'une dizaine d'années. À l'occasion j'effectuai dans leur cadre des interviews de personnalités de passage à Marseille.

Je soutenais Baya dans ses nombreuses activités antiracistes. Le 22 décembre je rédigeai, dactylographiai et diffusai le premier numéro d'un modeste bulletin auquel je donnai le titre d'INFO-MRAP-13. Décidément, je ne pouvais pas me passer de participer à l'édition de périodiques, petits ou plus importants.
Mais l'Humanité-rouge n'existait plus. Plus de quinze années plus tard, Info-mrap 13 existe toujours sous le titre d' INFO-Mrapseille, édité par le Comité de Marseille du MRAP.

Début janvier 1985, B. me téléphona pour m'informer qu'il revenait d'un voyage en Chine. Je crois que je n'étais pas au courant de cette invitation. Peut-être l'intéressé avait-il sollicité lui même cette rencontre. Bien que responsable de la section internationale, je n'étais pas au courant ! De fait une session du comité central était prévue pour les 12 et 13 janvier au siège de l'Ageca, rue de Charonne à Paris. Donnant suite à la réception de trois résolutions de la cellule de Port de Bouc-Martigues, je donnais lecture d'une « première déclaration solennelle ». Ce fut un peu comme si je « pissais dans un violon », la majorité des membres du CC s'en fichaient comme de leur première chemise. Par contre une initiative d'Alain D. alla tout à fait dans le même sens que la ligne qui avait conduit à la débâcle de l'AAFC, l'abandon du contrôle du Parti, cette fois-ci sur un organisme créé en son temps à son initiative. D., qui en était le directeur de publication, annonça que désormais les Editions du Centenaire ne dépendaient plus du PCML, mais devenaient indépendantes. Il ajouta que cette maison d'éditions avait rapporté 7 millions de centimes au Parti au cours de l'année 1984.

Cette décision unilatérale me sembla avoir été préparée à l'occasion du voyage de B. en Chine, mais je n'en étais pas certain. Je me rendais compte que ceux qui invoquaient à cor et à cris la « démocratie », étaient les premiers à agir de façon autoritaire. Les contradictions commencèrent à prendre un tour antagonique. Les parisiens s'étaient mis en tête de convoquer un « Congrès spécial ». Ils le verrouillèrent à leur convenance et réussirent notamment à faire abandonner les anciens sigles du PCML, en premier bien entendu celui des cinq têtes de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao. Puis le sous-titre du périodique et même le nom du Parti qu'ils décidèrent de remplacer par « Parti pour une alternative communiste ». Je m'opposai de toutes mes forces à ces extravagances suicidaires, mais je n'avais plus la majorité.
Le 8 février 1985, je publiai à Marseille une « deuxième déclaration solennelle ». Je me prononçai contre le principe de ce « Congrès spécial », déclarai refuser ses conclusions et décisions, entendais m'en tenir au respect des Statuts du PCML et je mis en avant le célèbre texte de Mao « Contre le libéralisme ». Je contre-attaquai sur tous les points. Comme je n'avais pu empêcher la tenue de ce prétendu Congrès, je rédigeai un texte dans lequel je rappelai nos principes fondamentaux et critiquai la position des Editions du Centenaire vis-à-vis du PCML. Mais je me mis à soutenir beaucoup plus d'activités à Marseille qu'à Paris ou ailleurs.

Le 20 février 1985, le MRAP participa à une manifestation contre Le Pen au carrefour des cinq avenues à Marseille. En présence de cinq cent personnes environ, je pris la parole au nom des différentes associations qui avaient appelé à ce rassemblement. Puis, le 13 mars, je fis adopter une résolution exigeant l'interdiction du Front national par un collectif de formations antifascistes. Deux jours plus tard, je reprenais la parole devant cette fois trois cent manifestants, toujours contre Le Pen dont on avait annoncé la venue dans notre ville. De fait j'appartenais en même temps au MRAP et à un groupe constitué à partir de Radio-Galère qui avait pris le titre de « Groupe antifasciste », le GAF.

À Marseille, j'appris avec satisfaction que le Parti communiste français et la CGT appelaient à participer à la manifestation que le MRAP avait annoncée pour le 26 mars. Cette fois, il y eut davantage de monde, entre mille et mille cinq cent personnes. Mais ce n'était qu'un début. À Miramas, un jeune Algérien venait d'être assassiné par un cafetier raciste. Le GAF et le MRAP soutinrent à fond les organisations locales appelant à une riposte de masse. Je m'y rendis naturellement avec Baya et nous défilâmes à trois mille cinq cent ou quatre mille manifestants. La lutte contre le racisme et le fascisme était en train de se développer. À Marseille même, une nouvelle manifestation sur la Canebière réunit environ six mille personnes, au milieu d'une réelle émotion, une délégation dont fit partie Baya, fut reçue à la Mairie par le député-maire Gaston Defferre.

Ensuite nous participons à une puissante manifestation à Marignane en présence de René Mazenod, secrétaire national du MRAP, à la suite de l'assassinat d'un autre jeune Algérien. Le MRAP joue un rôle dirigeant dans ces activités et nous nous trouvons en premières lignes au moment où les CRS chargent le défilé dont quelques participants excités ont lancé des pierres. Rien de grave en définitive. Le plus triste est la mort de ce jeune homme. Quelques jours après, je me rends de nouveau à Paris. Quand je reviens j'apprends que ma mère est fatiguée, ma sœur propose de la confier à un établissement de vieilles personnes, aux Blacassins, dans la banlieue nord de Marseille. Il fait très chaud, nous commençons le mois d'août et la température estivale ne va pas cesser de monter. Naturellement Baya et moi nous rendons chaque jour auprès de « Mamy », qui supporte très mal sa situation qu'elle considère comme une hospitalisation. Elle a presque 85 ans, mais est très amaigrie et épuisée. Un jour, quand nous arrivons aux Blacassins, l'infirmière en chef nous apprend qu'elle a essayé de s'enfuir pendant la nuit et qu'elle est tombée, dans l'obscurité. Elle a un traumatisme à la tête. Effectivement, elle a sur le visage un hématome important et impressionnant. Nous acceptons de la faire transporter en urgence à l'hôpital de la Conception. Là elle va lutter quelques jours contre la mort, encore qu'elle dise la souhaiter parce qu'elle a «marre » de la vie. Son agonie commence par une hémiplégie, mais elle peut encore parler, puis le mal s'étend et elle devient pratiquement aphasique. Elle entre dans le coma. Je la tiens par une main et lui dis « Si tu m'entends, maman, serre moi la main très fort, je suis ton fils ». Ce sera le dernier signe de vie qu'elle donnera. Elle me serre la main plusieurs fois. Elle va mourir la nuit suivante, vers le petit matin. L'administration de l'hôpital avertit immédiatement ma sœur, qui nous appelle à son tour. À 6 heures, nous nous trouvons sur place. Je réagis devant la dépouille de ma mère comme devant celle de mon père il y a maintenant dix huit ans. Je ne dis pas un mot, l'embrasse, elle est déjà froide. Elle est transférée à la morgue de l'hôpital et l'enterrement a lieu le lendemain. Nous l'accompagnons en voiture funéraire jusqu'au crématorium du cimetière Saint-Pierre. Et là les croque-morts font glisser son cercueil dans le four. Mais auparavant, ils ont demandé à la famille de venir la voir une dernière fois derrière la salle où se trouvent réunis quelques amis et parents. Ma sœur, comme Baya ne désirent pas s'y rendre, pas plus que ceux de mes enfants présents. J'y vais donc seul. Elle repose dans ce cercueil de bois de sapin ordinaire qui va brûler avec elle. Je l'embrasse une dernière fois et je lui demande pardon pour tous les soucis que j'ai pu lui causer pendant sa longue vie. C'est à ce moment que je craque et ne peux plus retenir mes larmes. Le corps qui va partir est celui qui m'a donné la vie, mais aussi c'est l'esprit qui a su me transmettre un certain nombre de valeurs comme l'antiracisme et l'amour de l'humanité. Si je suis devenu communiste, elle y a été pour beaucoup. Elle a aussi caché quatre enfants juifs pendant l'occupation nazie. Elle m'a toujours offert l'exemple du courage. Ma mère, je te demande pardon pour tous les tracas que je t'ai imposés. Je ne t'oublierai jamais.

Le Groupe antifasciste auquel ne participaient pas mes camarades du PCML décida d'occuper par surprise le siège du Consulat de l'Afrique du Sud ségrégationniste. J'essayai de convaincre les adhérents du PCML d'y participer, mais ne trouvai que bien peu d'écho auprès d'eux. Ils tenaient déjà le GAF pour un groupuscule gauchiste. Finalement je me résolus à être le seul de notre Parti réduit à la portion congrue à m'associer à cette initiative. Avec d'autres militants et animateurs d'émission de Radio-Galère, nous envahîmes les escaliers publics de ce consulat, non éloignés de la plage des Catalans, pénétrâmes en force dans la pièce d'accueil, déployâmes une banderole contre l'apartheid depuis le balcon sur la façade, nous prîmes les nombreux fascicules et prospectus de publicité touristique placés sur des étagères et les déchirâmes en mille morceaux. Le consul, un homme de petite taille s'exprimant en anglais exclusivement, bondit d'une pièce latérale pour essayer de s'opposer à nous, saisit la bombe colorante que détenait l'un d'entre nous et commença à l'utiliser pour barbouiller d'encre noire les visages de quelques uns, nous le maîtrisâmes et poursuivîmes notre action. Il se retira et appela la police qui mit près de trois quarts d'heure à arriver. Déjà à l'extérieur, devant la porte se tenaient une vingtaine d'antiracistes venus là pour nous soutenir. Les agents de police eurent quelques difficultés à se frayer un passage sous les huées antiracistes. Arrivés à l'étage où nous étions, ils nous intimèrent l'ordre de sortir mais nous refusâmes catégoriquement en invoquant le fait qu'il s'agissait d'un lieu public. Comme ils étaient peu nombreux, six à huit au maximum, ils se retirèrent et redescendirent dans la rue. Nous nous attendions à voir arriver un ou plusieurs cars de CRS, mais aucun d'entre eux ne fit son apparition. Si bien qu'au bout de deux heures, de guerre lasse, après avoir détruit toute la propagande de ce Consulat du pays le plus raciste du monde, nous n'eûmes plus qu'une issue, celle de nous retirer et de partir, satisfaits d'avoir agi pour exprimer notre solidarité aux populations noires opprimées et persécutées.

Fin 1985, les dirigeants du « PAC » convoquèrent un Congrès. Je ne m'y rendis que pour les combattre et leur assurer que je ne me sentais en rien adhérent de leur nouvelle fantaisie associative.

Mais, pour en finir sans doute avec la gêne que j'opposais, encore appuyé par quelques camarades, à leurs manœuvres de nature sociale-démocrate, ils convoquèrent enfin le sixième Congrès du Parti communiste marxiste-léniniste. Celui-ci se réunit les 20, 21 et 22 juin 1986 au centre de loisirs de la Snecma à Dammarie-les-Lys, près de Melun, en - Seine-et-Marne. Une région et une ville que je connaissais fort bien puisque j'y avais habité, travaillé et milité pendant sept années consécutives. Pour tous ces gens, ce Congrès avait pour but essentiel de confirmer les décisions prises lors du fameux Congrès spécial de 1985 que je tenais pour un faux Congrès. Je m'étais opposé à ses décisions en récusant la légitimité statutaire des assises concernées. Il était donc nécessaire pour B., D. et C. de donner une apparence de régularité à leur orientation. D'où ce Congrès de Dammarie-les-lys. Leur rapport d'ouverture donna le ton en répétant toutes leurs positions que je considérais comme extravagantes.

En définitive, ils cherchaient à détruire complètement le mouvement politique que nous avions créé vingt ans plus tôt. Ils voulaient que son titre soit définitivement remplacé par celui de « Parti pour une Alternative communiste » (PAC), ils entendaient confirmer le bien fondé de leurs pratiques antérieures consistant à supprimer notre périodique central tout en effaçant le sigle des cinq têtes de « Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao », ils reniaient la formule significative de «marxisme-léninisme ».

Etaient présents 38 délégués, venus de différentes régions, mais surtout de Paris. Dans cette ville en effet, B. avait réussi à faire éliminer de la délégation les militants qui s'opposaient à lui, et seuls ceux qui allaient apporter leur soutien à sa « ligne » avaient reçu un mandat. En fait, apparaissaient dans ce Congrès trois courants : celui des dirigeants parisiens, soutenus par une partie des délégués de province, qui voulaient aboutir à la création officielle du PAC, celui des marseillais qui restaient inquiets devant le développement en cours et se seraient volontiers transformés en conciliateurs, enfin le courant fidèle aux principes du marxisme-léninisme et de la pensée-maozedong que je représentais, soutenus par les délégués de Grenoble, ses partisans de province, minoritaires, n'ayant pas été délégués.

Dans le cadre de la discussion faisant suite à l'intervention d'ouverture, je fis une première déclaration, dont voici l'essentiel, en substance seulement parce que je ne retrouve pas dans mes archives les notes qui la sous-tendaient : « J'écoute vos interventions et suis en complet désaccord avec l'orientation et l'ordre du jour de ce Congrès. Membre du Secrétariat politique collectif issu des précédents Congrès, je suis dans l'obligation de vous informer que depuis un certain temps mes positions ne sont même plus écoutées, sinon avec la condescendance de ceux et celles qui sont assurés d'avoir raison et de bénéficier de soutiens incontournables. En vérité, en tant que militant communiste, je ne me sens rien de commun avec un grand nombre d'entre vous. En ce qui me concerne, je n'ai jamais cotisé ni adhéré à ce PAC dont certains d'entre vous se réclament aujour¬d'hui. Je ne suis ici qu'en tant que membre du Parti communiste marxiste-léniniste.
Je vais écouter jusqu'au bout vos interventions et ce ne sera qu'à la fin de ce Congrès que je vous ferai part de la décision définitive que je prendrai par rapport à la ligne qui en sortira...»


En effet le dernier jour, peu avant les votes pour élire un nouveau « comité central », je pris de nouveau la parole et déclarai ce qui suit, dont le texte se trouve dans mes archives : «Le Parti communiste marxiste-léniniste de France est né des contradictions internes au sein du PCF sur deux points : la ligne concernant les luttes anticolonialistes, essentiellement celle mise en œuvre pendant la guerre d'Algérie, d'une part, la pratique d'une unité sans principe avec le Parti socialiste d'autre part. Sa naissance, préparée pendant près de quatre années, fait partie des phénomènes correspondant aux contradictions intervenues au niveau international entre le Parti communiste d'Union soviétique suivi par le Parti communiste français et d'autres Partis communistes comme le Parti communiste chinois et le Parti du Travail d'Albanie.

Depuis maintenant des années, ces contradictions n'ont plus le caractère principal qu'elles avaient à cette époque et ce ne sont plus cent militants communistes issus du Parti communiste français qui constituent la direction et la base activiste et idéologiques du Parti communiste marxiste-léniniste. Ce Parti s'est transformé dans son contenu global comme dans son recrutement. Ses références idéologiques et politiques se sont modifiées au fil des années. Vous, la majorité des délégués à ce Congrès, récusez son histoire et taisez ce qui fit sa raison d'être et les justes prises de position historique dont il eut le mérite. Vous ne rappelez que ses erreurs. Il est donc normal, que, privé de ses raisons d'origine, vous ayez normalisé des mutations en abandonnant dans son sigle la référence au marxisme-léninisme pour lui donner un sigle dont la référence, à la mode actuelle, porte sur une alternative à laquelle vous n'avez fourni jusqu'ici aucun élément composant sérieux et fondamental.
À mon avis, ce n'est pas une injure, mais un constat, la tendance majoritaire qui ressort de ce Congrès comme des derniers qui l'ont précédé est une tendance sociale-démocrate de gauche. Le « PAC » ne m'a servi et ne me sert en rien à l'occasion des très importantes activités politiques de masse auxquelles je participe.

Si j'ai pu faire un bout de chemin avec vous, et si, à l'avenir, je me retrouverai dans des actions en commun avec certains d'entre vous, notamment avec mes camarades de Marseille à l'occasion d'actions ponctuelles, mes convictions communistes ne me permettent nullement, tant sur le plan idéologique que politique et organisationnel, d'être membre d'une formation comme la vôtre.

Je garde amitié et sympathie pour la majorité d'entre vous et pour ceux que je critique le plus vivement, je m'abstiens de toute position de caractère antagonique et outrancier.

D'ailleurs, vous le savez, je n'ai ni participé à l'institution du PAC, ni adhéré à cette formation. Je poursuis le combat de classe dans lequel je me suis engagé depuis 43 ans, à l'époque de la Résistance armée à l'occupant nazi, combat combien varié, difficile parfois, et qui intégra cette région de Melun et Dammarie-les-Lys où je connus la prison en 1949 et dans les rues de laquelle mourut entre mes bras en 1952 le camarade communiste Alfred Gadois, écrasé au cours d'une manifestation par un camion de l'armée impérialiste américaine alors stationnée à Fontainebleau.

Je vais poursuivre dans d'autres structures où je suis déjà engagé, essentiellement dans des structures antiracistes et antifascistes. Je contribuerai par ailleurs, dans la mesure de mes modestes moyens, à ce qu'existé et agisse en France un Parti communiste français fondant sa théorie et son action sur les principes du marxisme et du léninisme actualisés, appliqués aux conditions spécifiques de la France et du monde actuel, et sachant pratiquer l'autocritique tout en se liant profondément à la classe ouvrière et aux masses populaires.
Vive le marxisme-léninisme et la pensée-maozedong ! »


Puis je me levai pour quitter ce Congrès, accompagné par les délégués de Grenoble. Je vis alors que mon camarade Alain Castan pleurait et remarquai des visages aussi bouleversés que le sien chez quelques autres militants comme Yves V, Gilbert R. ou Mireille C. et d'autres encore dont j'oublie les noms, par donnez-moi, mais à l'âge que j'ai maintenant on oublie assez souvent les patronymes.

En gare de Melun, nous prîmes le premier train venu en direction de Paris.
J'étais assez perturbé. Je voyais cette gare, cette place sur laquelle elle s'ouvre et quantité de souvenirs se précipitaient dans ma pensée. J'imaginais que mon camarade Maurice Houy, secrétaire fédéral politique avec qui j'avais milité tous les jours pendant sept années, de 1947 à 1954, devait se trouver physiquement pas trop loin de là. À quelques centaines de mètres à vol d'oiseau. Quel jugement pouvait porter sur moi ce camarade qui, avec Laurent Casanova, avait assumé ma formation politique ? Quelles étaient les positions politiques qu'il défendait maintenant ? Je considérais qu'il ne pouvait pas être un « révisionniste », mais que peut-être « l'esprit de discipline du Parti » que j'avais moi-même si souvent invoqué conditionnait ses opinions proclamées ou ses silences. Je lui conservais des sentiments fraternels sincères et profonds.
Mais il importait que nous rendions public rapidement un communiqué de presse avant que B. et ses comparses ne produisent le leur. Serge Casey et moi même le rédigeâmes ensemble. Le voici tel qu'il fut présenté par Le Monde :

« À l'issue du Congrès de l'organisation ayant pour sigle P.A.C. (Parti pour une alternative communiste), M. Jacques Jurquet, secrétaire politique sortant, mais également ancien secrétaire général et fondateur en 1967 du Parti communiste marxiste-léniniste de France (maoïste - sic dixit le quotidien du soir) et M. Serge Casey, membre du Comité central sortant, font connaître qu'ils se sont retirés des rangs de cette organisation en raison de désaccords fondamentaux avec les décisions adoptées à la majorité relative de 70% des 38 délégués présents représentant un peu plus de 200 adhérents. La section de Grenoble, la cellule de Martigues (Bouches-du-Rhône) et des militants de base dans plusieurs villes dont Paris (ou le PAC ne conserve plus qu'une dizaine d'adhérents) ont également quitté ce groupement, qualifié par M. Jurquet d'organisation " sociale-démocrate de gauche ", par conséquent non-communiste. Cette scission n'a pas revêtu un caractère de rupture gravement antagoniste, mais elle met fin à une lutte de lignes qui durait depuis plusieurs années. »


Paris, 22 Juin 1986 - Communiqué transmis à l'Agence France-Presse (AFP) et aux journaux Libération, Le Monde et l'Humanité.



Ces quotidiens évoquèrent l'information, sauf peut être
l'Humanité.
Le Monde « du 26 juin 1986 titra : « Le père du maoïsme français désavoue ses héritiers. »

Le PAC ne dura pas plus de six mois.



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Post-scriptum.
Premier décembre 1999.

En l'an 2000 Baya aura 80 ans, et moi 78.
Nous continuons à lutter contre le racisme, contre le fascisme, contre les intégrismes religieux.
Nous ne regrettons rien de nos passés respectifs et de notre vie commune.
Nous sommes toujours communistes et donc internationalistes. Nous conservons des relations d'amitié irréversible et profonde avec de nombreux anciens militants du Parti communiste marxiste-léniniste de France.
Nous avons des rapports avec des militants de base et des dirigeants du Parti communiste français, sans que nous approuvions la stratégie de ce Parti.
Nous conservons des relations avec les camarades chinois, avec des amis algériens et d'autres pays.
Nous souhaitons que la Chine devienne une très grande puissance toujours socialiste.
Nous sommes persuadés que tôt ou tard le capitalisme disparaîtra du monde entier.
Nous le souhaitons pour la paix et pour les peuples du monde comme pour nos propres descendances.
Pour nos 12 arrière-petits enfants et pour nos 10 petits enfants, qui ont dans leurs veines respectives du sang italien, polonais eskenaze, algérien séfarade, algérien kabyle, tunisien arabe, vietnamien, corse... et français marseillais.

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