Sujet :

Cette Révolution qui n'est pas un dîner de gala

Michel J. Cuny
   Posté le 07-12-2013 à 18:53:15   

Ayant posé ailleurs la question de savoir si la Chine est encore un pays socialiste,

https://humaniterouge.alloforum.com/chine-elle-encore-pays-socialiste-t4392-1.html#p45070

Edmond Fanjat
envisage ici une première option : la Chine serait-elle devenue capitaliste ?...


Incontestablement, elle y ressemble de plus en plus par nombre d'aspects. Mais évitons les raccourcis. Sans nous référer aux termes utilisés pour caractériser son système : " Le socialisme à la chinoise ", " le socialisme de marché ", " une économie de marché socialiste "... L'Etat a-t-il la maîtrise de l'essentiel ? Il semble bien que oui ; concernant l'énergie (en partie), les transports, le commerce extérieur, la monnaie, la maîtrise du crédit... par exemple. Même si un secteur privé, à capitaux privés, se développe, il ne peut le faire "anarchiquement" et sans contrainte.

L'économie est planifiée. La planification, aujourd'hui avec le 12ème plan quinquennal , ayant pour but de tendre vers un développement harmonieux, maîtrisant les énormes problèmes posés par ce développement lui-même. Par exemple, l'étape de la transformation des entreprises d'Etat qui étaient devenues obsolètes ou moins utiles. Qu'aurait donné dans cette tâche une économie libérale ? Cela est vrai pour toutes les étapes historiques vécues depuis 1949, ainsi que pour la gestion des transformations dues aux échecs rencontrés.

Enfin, cette méthode permet à la Chine de voir loin, d'avoir une vision à long terme et à très long terme, alors que le capitalisme - par essence : la recherche du profit immédiat -, a une vision à court terme, pour ne pas dire " à courte vue ". Par exemple, la " mondialisation " mise en œuvre par le " capital international ", et qui se retourne contre lui ! On pourrait évoquer la construction européenne entreprise dans les années 50, et qui aboutit aux impasses et aux drames actuels, sans que le " capital " puisse y changer quelque chose !

On peut ajouter aussi que le pouvoir a analysé avec lucidité la réalité du monde, encore dominé par "le capital". Il faut faire avec, agir en fonction de cette réalité pour développer ce qu'ils veulent faire pour leur avenir. On est loin, me semble-t-il, d'un système dont on a décidé d'adopter le "modèle" et de construire, ou de restaurer, le capitalisme.

Edmond Fanjat
Michel J. Cuny
   Posté le 12-12-2013 à 10:13:38   

L'attitude de l'Occident capitaliste par rapport à la Chine nous aide-t-elle à cerner la réalité profonde de celle-ci ? Voici la réponse d' Edmond Fanjat ...

Il est symptomatique d'observer les attitudes diverses face aux "réalités" chinoises, et pas seulement dans le domaine économique. Le pays est apparu d'abord comme un grand danger, à traiter comme on avait traité la jeune URSS, puis le monde socialiste, en ennemi.

Mais, bon gré mal gré, les réalités aidant, une adaptation plus réaliste a vu le jour. Peu à peu, la Chine est reconnue, gagne son siège à l'ONU et apparaît comme un immense réservoir de profits possibles et de marché.

Cette contradiction devait rapidement s'atténuer après les réformes de 1990, ou plutôt se transformer en profondeur. Avec l'ouverture de la Chine, puis son adhésion à l'OMC, l'Occident va s'y engouffrer, s'y installer, avec de l'industrie (par cession de licence surtout) et des capitaux, va produire à bon marché (du moins l'a-t-il cru un temps), et y écouler sa production (comme chez nous les "surplus américains" après la Libération).

Mais il apparaît très vite (en moins de deux décennies) que la Chine maîtrise cette " mondialisation " et s'en sert. Quand on l'accuse de s'en servir, on oublie que ce n'est pas elle qui l'a créée... ce qui ne l'empêche pas de se développer. Dans le même temps, la "crise occidentale" s'aggrave, et prend une ampleur non prévue et de plus en plus ingérable dans les économies capitalistes.

Ces contradictions majeures entre l'état du monde et la montée de la Chine, ainsi qu'au sein même de ce développement chinois entraînent des réalités nouvelles : la Chine est devenue incontournable et on a besoin d'elle, au moins autant qu'elle a besoin de nous... mais elle reste "l'ennemi". Cette notion d'"ennemi" prend un contenu différent de celui du début...
Michel J. Cuny
   Posté le 19-12-2013 à 11:24:13   

La Chine reste un "ennemi" pour l'Occident, écrivait Edmond Fanjat , qui en relève ensuite quelques preuves pour 2011, l'année de rédaction du texte que nous lisons ici...

Je résume le dernier G20 en une image un peu caricaturale, mais qui en a choqué plus d'un : une bande de mendiants, la sébile à la main, pleurnichant " S'il vous plaît, aidez-nous... s'il vous plaît ", s'adressant à la Chine ! Allant même jusqu'à signer un accord avec elle, dans lequel il n'y avait rien, qui fit monter au créneau quelques nationalistes en France, ainsi que l'ineffable Hollande, fustigeant "la France se vendant à la Chine".

En revanche, ce que je n'ai lu nulle part, c'est le passage du discours de Hu Jintao clôturant ce G20, que je n'ai pu noter car écouté sur CCTV, et que je résume ainsi :
" La meilleure aide que la Chine peut vous apporter, c'est en développant notre propre consommation intérieure, ce qui sera profitable à tous (...) un apport financier aux Européens ne peut être efficace qu'en développant l'économie réelle, en investissant dans l'industrie, et non en alimentant la spéculation financière... ", n'y a-t-il pas là matière à réfléchir ?

L'intervention récente du ministre des Finances chinois, traitant les Français de feignants (35h, congés payés...) et d'assistés, prouve qu'il reste encore à la Chine à mieux appréhender notre société et ce que nous appelons, chez nous, les "acquis sociaux", obtenus après d'âpres luttes, voire du Conseil national de la Résistance. Cet "écart" de langage, peu dans la manière chinoise qui, par nature, est peu "donneuse de leçons", indique une méconnaissance totale du Mouvement ouvrier français.

Mon épouse et moi nous en étions d'ailleurs rendu compte lors des compte-rendus à CCTV des grandes manifs sur les retraites qui nous indisposaient (pas les manifs, les compte-rendus!). Cependant, pour bien comprendre ce qu'est la Chine, des modifications d'interprétations eurent lieu avec, notamment, une interview de Bernard Thibault.

Souvent, à chaque détour de phrases ou d'articles, surgissent des illustrations trahissant ces réactions d'" ennemis ". Au lendemain du terrible tremblement de terre qui a secoué une région très reculée, aux confins du Setchouan et du Tibet, un article du Progrès , d'un journaliste dont on pouvait croire qu'il avait fait le déplacement dans la nuit, expliquait doctement qu'il n'y avait même pas un bulldozer sur place et que les sauveteurs lui avaient expliqué que l'on dégageait les victimes à la main ! En effet, en ce cas, ce ne sont pas des bulls qui interviennent aveuglément dans les heures qui suivent un séisme, celles qui permettent de sauver un maximum de vies, et cela dans tous les pays du monde. Cet article n'eut d'ailleurs pas de suite, lorsque les Unités spéciales, formées et équipées en permanence pour faire face à de tels événements arrivèrent sur place.
Michel J. Cuny
   Posté le 04-01-2014 à 13:41:41   

Edmond Fanjat s'interroge : Comment expliquer la rapidité du développement de la Chine et la nature des risques ? Reprenons ici la première partie de sa réponse...

Voilà donc la Chine devenue deuxième puissance économique au niveau mondial... en matière de PIB. Mais, pour autant, cela ne semble pas tourner la tête des dirigeants. À chaque occasion ils le soulignent et s'en réjouissent, que cette deuxième place soit vraie au niveau global, disons d'un point de vue "comptable", mais si l'on rapporte les chiffres au nombre d'habitants, la Chine n'occupe plus que la soixante-quatrième place, et ils restent modestes.

La Chine est également classée dans les "pays en voie de développement". Je préfère ce terme à celui de "pays émergent" - les "BRIC" (Brésil, Russie, Inde, Chine) -, également employé. Mais c'est purement sémantique : émergent signifie "qui sort de l'eau, qui émerge". Il conviendrait donc de préciser de quelles situations ces pays émergent, vers quoi ils tendent, en émergeant ? C'est que les situations des BRIC, voire de l'Afrique du Sud, par exemple, n'ont rien de comparables. Vers quoi se dirigent-ils ? Vers une réalité capitaliste inéluctable, un modèle libéral inexorable ? L'affirmer serait bien présomptueux ! De plus, de nombreuses différences s'affirment.

Comment expliquer le cas de la Chine ?

- Certains auraient tendance à penser que cet essor est dû aux bienfaits de la " Réforme " : la Chine étant devenue capitaliste , et appliquant ses règles, elle bénéficierait des bienfaits efficaces inhérents au libéralisme . Une telle attitude me paraît totalement fausse et infondée car, même si elle pouvait encore faire illusion voici quelques années, aujourd'hui, avec ce que nous connaissons de la situation dans les "pays capitalistes avancés" - qui sont, eux, immergés dans la crise ! -, il est plus difficile de convaincre du bien-fondé de cette explication, ou, à tout le moins, conviendrait-il de la traiter d'une autre manière.

- D'autres pensent que les succès économiques sont dus à la richesse immense de ses matières premières, qu'elle dispose de l'existence d'une main-d'œuvre abondante et "moins chère", sous entendu exploitable et corvéable à merci . Cette approche est déjà plus juste... mais cela est aussi vrai dans d'autres pays, ou a été vrai dans l'histoire, sans que des succès spectaculaires aient suivi.

Nous y reviendrons...
Michel J. Cuny
   Posté le 24-01-2014 à 14:44:28   

S'interrogeant sur la rapidité du développement de la Chine contemporaine, Edmond Fanjat écrit :

Les changements et progrès ne datent pas de la " réforme " des années 70 relancée en 90. Ils n'ont pu être amplifiés que sur la base de changements fondamentaux acquis avec le triomphe de la Révolution de 1949 .

J'ouvre ici une parenthèse, car il convient peut-être aussi de se demander comment cette révolution, aboutie en 49, a pu réussir. Il n'y avait certes pas un " homme nouveau " surgi de l'Armée rouge et des masses paysannes, dressées contre la conquête - d'une rare brutalité, souvent insoupçonnée -, de l'impérialisme japonais. Elle est le fait de " l'homme ancestral ", ainsi qu'on peut le lire dans la préface de Pearl Buck pour " Les enfants du dragon " :

" Les Chinois ont toujours été fascinés par l'histoire : ils y puisent un enseignement dont ils savent tirer profit ", et un peu plus loin :

" Leur civilisation demeure la plus ancienne, celle dont la longévité est la plus grande : c'est aux environs de 210 av. J-C. que le premier empereur de la dynastie Qin a réunifié le pays (la Chine est jusqu'alors divisée en 7 royaumes, l'empereur prend le nom de Qin Shi Huangdi. Il est enterré avec son armée en terre cuite dans son mausolée à Xian) en créant un système de poids et mesures, une écriture et une administration toujours en vigueur de nos jours ."

N'est-ce pas là l'une des clés de la réussite ? Lao Tseu disait :

" Celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas ."

Grande est la place du silence dans le succès. Je ne résiste pas à citer encore un passage :

" Le silence du corps qui se déplace comme une ombre et que l'on n'entend jamais venir, jouant de la surprise de l'adversaire. Image symbole de ce monde asiatique dont le calme apparent mais agissant s'oppose à la vaine gesticulation occidentale. La discrétion, l'humilité, la modestie, deviennent des armes redoutables face à un Occident ostentatoire, orgueilleux, vaniteux ."

La lecture de ce texte me fait irrésistiblement penser à la lutte du peuple Vietnamien face aux puissances déchaînées des impérialistes, qu'ils soient Français ou Américains.

Voilà pour la parenthèse... Bientôt Edmond Fanjat reprendra l'évocation de la Révolution de 1949 et de ses suites.