Sujet :

Voltaire et Gabriel Péri, guerre et paix

Xuan
   Posté le 16-11-2014 à 21:05:07   

Je publie ci-dessous deux textes de Michel-Jean Cuny.

Le premier montre les racines philosophiques du bellicisme bourgeois dans les écrits de Voltaire, bellicisme qui se prolonge jusqu’à nos jours dans les interventions à répétition, soit directement soit par peuples interposés, en Afrique, au Moyen Orient, en Europe de l’Est.
La haine colonialiste bourgeoise ne date pas d’hier et n’a jamais de fondement plus puissant que la spoliation des peuples étrangers.
Pour reconstruire son Empire colonial perdu sous Napoléon (et régler ses dettes de 31 ans au bey d’Alger), la république bourgeoise prend prétexte du « coup d’éventail » pour coloniser l’Algérie dans un bain de sang, sous Charles X. L’aventure se poursuit sans discontinuer sous la restauration, la monarchie de juillet, la deuxième république et le second empire. Puis reprendt trois ans après la défaite de Sedan au Tonkin.
On retrouve la même haine destructrice dans la destruction de la Libye révolutionnaire que raconte Françoise Petitdemange (« La Libye révolutionnaire dans le monde (1969-2011) »)

Le second présente le livre de Francis Arzelier Héroïsme politique et désir de pouvoir . Au tout début des années 20, Gabriel Péri (qui sera exécuté par les nazis le 15 décembre 1941 au Mont Valérien) diffusait la propagande pacifiste :
« Camarade de la classe 21 ! Au Maroc, en Syrie, une guerre de rapine t'appelle. »
La guerre et la paix : deux conceptions du monde irréductiblement opposées depuis l’irruption du prolétariat comme classe accoucheuse de l’Humanité.

La France d’aujourd’hui, peut-être maillon faible du club des puissances impérialistes, a-t-elle un autre recours que la guerre

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Voltaire et cette guerre qui s'approche à grands pas


La promotion Voltaire de l'ENA ( Ecole Nationale d'Administration !) est en plein boum, de François Hollande à Ségolène Royal en passant par Jean-Pierre Jouyet .
Ils ont de qui tenir...

Mais chacune et chacun d'entre nous aussi, puisque la bourgeoisie nous a mis dans sa poche, tout particulièrement depuis 1791, où, tout en pliant le roi et la noblesse de cour aux neuves exigences de l'Europe de la finance , elle a tout de suite transporté au Panthéon les cendres de son grand homme à elle - qui est désormais notre héros à tous : Voltaire .
Toute l'Education Nationale en dépend aujourd'hui encore. Mais, avec elle – et la force de frappe en est décuplée d'autant -, l'ensemble de la presse "officielle". Monsieur de Voltaire , après s'être dissimulé sous la marque "Tolérance" , est omniprésent sous le label " Droits de l'homme ".

Pour celles et ceux qui ont eu la curiosité d'aller voir dans l'arrière-boutique de ces firmes-là, il faut tout de suite dire qu'il n'est plus guère possible d'avoir le moindre doute. L'intitulé complet – tel que la grande bourgeoisie se le répète, entre soi et à coup de murmures, c'est, dans le premier cas " Tolérance, les armes à la main ", dans le second " Droits de l'homme, à coups de fusils ".
Voici ce qui se disait dans l'arrière-boutique le 28 mars 1763 de la bouche même de Voltaire :
"Quant au traité véritable de la tolérance, ce sera un secret entre les adeptes. Il y a des viandes que l'estomac du peuple ne peut pas digérer, et qu'il ne faut servir qu'aux honnêtes gens. C'est une bonne méthode dont tous nos frères devraient user."
Faisons-nous, l'espace d'un tout petit instant, grandes bourgeoises et grands bourgeois, et rendons nous à l'école de la "promotion Voltaire "...

Ouvrons le " Traité de métaphysique " ( Voltaire , qui s'enrichit alors à la vitesse grand V, le rédige entre 1734 et 1738, date à laquelle il a 44 ans) :
" Peu de gens s'avisent d'avoir une notion bien entendue de ce que c'est que l'homme [ des droits de l'homme ? ]. Les paysans d'une partie de l'Europe n'ont guère d'autre idée de notre espèce que celle d'un animal à deux pieds, ayant une peau bise, articulant quelque paroles, cultivant la terre, payant, sans savoir pourquoi, certains tributs à un autre animal qu'ils appellent roi, vendant leurs denrées le plus cher qu'ils peuvent, et s'assemblant certains jours de l'année pour chanter des prières dans une langue qu'ils n'entendent point."

Comme on le voit, les paysans décrivant "l'homme" ne font que se décrire eux-mêmes : du pur bétail... S'il en est ainsi, et puisque c'est de leur propre aveu, ne peut-on pas en déduire le pourquoi des guerres (attention à ce que la prochaine, qui se prépare à petit feu, dans cette contrée européenne qui ne sait plus quoi faire de ses millions de chômeurs, ne se trouve justifiée, dans des termes plus ou moins semblables, aux yeux de monsieur Qatar et du personnel politique qu'il finance !) ?

Voici ce qu'en disent, par la plume de Voltaire , la "tolérance-les-armes-à-la-main " et les " droits-del'homme-à-coups-de-fusils " :
" Presque tous les animaux se mangent les uns les autres, et dans l'espèce humaine les mâles s'exterminent par la guerre ."

Voilà pour la théorie. Passons aux travaux pratiques...
Il vint un jour où Voltaire s'avisa de mener l'impératrice de Russie, Catherine II , jusqu'à la plus haute gloire possible pour elle. Il en informa tout d'abord son ami le roi de Prusse, Frédéric II , le 3 mars 1767 :
" Votre alliée l'impératrice a eu la bonté de m'envoyer son mémoire justificatif qui m'a semblé bien fait. C'est une chose assez plaisante, et qui a l'air de la contradiction, de soutenir l'indulgence et la tolérance [ les droits de l'homme ? ] les armes à la main ; mais aussi l'intolérance est si odieuse qu'elle mérite qu'on lui donne sur les oreilles. Si la superstition a fait si longtemps la guerre, pourquoi ne la ferait-on pas à la superstition ?"
C'est on ne peut plus clair... Ça va saigner (combien de morts en Irak, en Libye, en Syrie, etc. ?)

Le 15 novembre 1768, Voltaire écrit à Catherine II qui n'a pas hésité à faire couler le sang en Pologne :
"D'un côté elle ["Votre Majesté Impériale"] force les Polonais à être tolérants et heureux, en dépit du nonce du pape, et de l'autre, elle paraît avoir affaire aux musulmans malgré Mahomet. S'ils vous font la guerre, Madame, il pourra bien arriver ce que Pierre le Grand avait eu autrefois en vue, c'était de faire de Constantinople la capitale de l'Empire russe. Ces barbares méritent d'être punis par une héroïne du peu d'attention qu'ils ont eue jusqu'ici pour les dames. "

Souci que l'on retrouve, bien sûr, chez un Bernard-Henri Lévy et un peu partout ailleurs en France...

D'où l'intérêt de la suite de la lettre de Voltaire :
" Il est clair que des gens qui négligent tous les beaux-arts et qui enferment les femmes méritent d'être exterminés ."
Et que croit-on qu'il arrivât ? Cette lettre du même à la même datée du 7 août 1771 :
" Est-il bien vrai ? Suis-je assez heureux pour qu'on ne m'ait pas trompé ? Quinze mille Turcs tués ou faits prisonniers auprès du Danube, et cela dans le même temps que les troupes de Votre Majesté Impériale entrent dans Perekop ? Cette nouvelle vient de Vienne. Puis-je y compter ? Mon bonheur est-il certain? "
Ne jamais perdre de vue ce lycée Voltaire de Doha (capitale du Qatar), voulu par Sarkozy et inauguré par Hollande ...
Mais Voltaire est encore bien plus ignoble que cela.
Ce qui se retrouvera ici : http://voltairecriminel.canalblog.com
Michel J. Cuny

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Une France qui n'a pas toujours aimé la guerre


Depuis les règnes de Sarkozy et de Hollande , la France est vouée à la guerre, à toutes les guerres, et peut-être à celle qui sera décidément belle et massacrante : elle ferait repartir le taux de croissance vers les sommets anciens... Qu'espérer d'autre de la vie en société capitaliste, colonialiste et impérialiste ?
La guerre sera donc fraîche, et belle à voir... à la télévision. Déjà que celle de 1914-1918 l'est bien devenue, à son tour, en cette année du centenaire de son déclenchement.
Dans son ouvrage, remarquable de finesse et de lucidité : Héroïsme politique et désir de pouvoir publié en 2013 chez Colonna Edition, Francis Arzalier nous offre, par son travail d'analyse de sept destins militants parallèles et contrastés qui ont pour élément commun d'entretenir un rapport plus ou moins affirmé avec la diaspora corse , et de se déployer, pour l'essentiel, dans la première moitié du XXème siècle, une occasion rare de faire le point sur certaines des raisons qui ont conduit le peuple de France au marasme politique actuel.
Dans ce livre, tout se joue en liaison étroite avec l'histoire même du Parti communiste français ... Or, nous allons découvrir, grâce à Francis Arzalier , ce que nous avions peut-être totalement perdu de vue, à moins que nous ne l'ayons jamais su.

Évoquant l'image de la révolution russe dans l'opinion française deux ans après la fin de la première guerre mondiale, Francis Arzalier écrit :
" Elle se résume aux quelques proclamations de Lénine qui entraînèrent indubitablement l'adhésion de la majorité des peuples de Russie en 1917 : « La terre aux paysans, les usines aux ouvriers, et la paix immédiate » . De ces trois annonces léninistes, mises en oeuvre sur le champ de bataille même à l'est, la dernière est la plus importante. " (page 30)
Sans qu'il soit besoin de s'étendre longuement ici sur cette question, nous voyons que les deux premiers thèmes renvoient au travail de production et à l'appropriation collective ou privée des moyens de production. C'est donc la sphère de l'exploitation en temps de paix .
Le troisième thème réduit la même thématique de domination au seul temps de guerre .
En conséquence, voici, pour 1920, une phrase essentielle :
"Le PCF naît donc à Tours, de diverses mouvances, sur une base pacifiste plus que d'une adhésion absolue à toutes les thèses léninistes, comme la suite le prouvera." (page 31)
D'où il nous faut déduire que l'exploitation de l'être humain par l'être humain dans sa version "pacifiée" ne se présentait pas comme un problème à résoudre d'urgence et en y mettant les moyens.
Certains diraient qu'il s'agissait ici de la "douce France"... C'est sur ce terrain qu'est né le futur PCF .
Qui oserait en vouloir à ses militantes et militants ?
Or, voici justement l'un de ces militants. Il est lycéen à Marseille et il participe, au tout début des années 20, à une distribution de tracts qui appellent les conscrits à ne jamais tirer sur les travailleurs en lutte pour leur pain. Il va être condamné à un mois de prison avec sursis... après avoir passé quarante jours à la prison Chave...
Francis Arzalier nous livre ce que pouvait être le contenu de la protestation répandue dans les rues par ce jeune homme qui devait être fusillé par les Allemands le 15 décembre 1941 au Mont Valérien, après avoir été remis à ceux-ci par les autorités françaises : il était communiste et s'appelait Gabriel Péri.
Lisons:
« Camarade conscrit ! Ouvrier ! Paysan !
Tu vas être appelé sous les drapeaux tricolores. Tu es un homme aujourd'hui. Demain tu seras une machine, un jouet entre les mains d'un chef, ton ennemi ! Après-demain, on te fera tuer sans que tu saches pourquoi. On t'a dit que c'était pour accomplir ton devoir envers la Patrie.

On t'a menti !
Pour défendre la Patrie, il te faudrait commencer par en avoir une. Les hommes qui volent le travail des autres leur ont volé leur Patrie. Par suite, sous le régime capitaliste, il n'y a pas de défense nationale pour les travailleurs.
Dans une nation de 37 millions d'hommes, la Patrie est la propriété exclusive de 200 000 privilégiés tout au plus. Ils la font défendre ou ils la trahissent, selon leur intérêt du moment.
Banquiers, chefs d'industrie, actionnaires du rail, de la mine, se sont achetés des ministres, un Parlement et une diplomatie à eux. Maîtres de la paix ou de la guerre, trafiquants de la vie et de la mort des autres, ce sont eux qui, dans tous les pays du monde, ont été les vainqueurs de la grande guerre. »
(pages 38-39)
Songeons à la France d'aujourd'hui, et encore à elle pour ce qui suit :
« Camarade de la classe 21 !
Au Maroc, en Syrie, une guerre de rapine t'appelle. »
(page 39)

Quelques mois plus tard, Gabriel Péri prend lui-même la plume... Francis Arzalier nous raconte de quelle façon :
"Il publie dans le no 22 du Conscrit , un texte ravageur titré sans ambiguïté « nous sommes antimilitaristes », qui lui vaut une inculpation devant la 2e chambre correctionnelle de Paris, avec Vaillant-Couturier . Parallèlement, puisqu'il ne s'agit en rien d'un geste isolé, il multiplie lesinterventions à des meetings, à Montmartre, avec d'autres orateurs des JC [Jeunesses communistes], avec des dirigeants du PCF, Treint et Frossard , Pioch et Méric , et lors de manifestations dans les rues de Paris." (pages 42-43)
La France était-elle donc particulièrement accueillante à cette jeunesse frondeuse des lendemains de la grande boucherie qui avait fauché ses aînés à peine plus âgés qu'elle ? Ici Francis Arzelier nous dit le prix que la bourgeoisie sait faire payer au lendemain de folies meurtrières qui sont pourtant bien le fruit de son règne sur la population travailleuse :
"Son emprisonnement, le deuxième, à Paris, sera plus éprouvant que le séjour carcéral marseillais.
Le 11 mai 1923, il entame une grève de la faim, avec ses co-détenus, l'Allemand Hoellein et cinq anarchistes accusés des mêmes méfaits antimilitaristes. Le dixième jour, il est transporté exsangue, à l'hôpital Cochin, et réalimenté de force. L'instruction se poursuit malgré la campagne de L'Humanité , et finalement Péri est condamné en correctionnelle, le 3 décembre 1923, à six mois de prison, dont il a fait une bonne partie en préventive."
(page 43)
Et pourtant, rien, là, ne venait remettre en cause la domination économique de la bourgeoise.
De même qu'aujourd'hui, intervenir pour mettre un terme aux agissements criminels des présidents de la république française, ce ne serait pas toucher un cheveu du système capitaliste. Essayez donc, pour voir...
Michel J. Cuny

Le livre de Francis Arzalier peut être trouvé et acquis ici :
http://colonnaedition.com/home/94-heroisme-politique-et-desir-de-pouvoir.html