Sujet : à propos de Lorraine coeur d'acier | | Posté le 01-01-2013 à 09:55:11
| L'émission d'arrêt sur image consacrée à Lorraine coeur d'acier mérite quelques précisions historiques concernant en particulier la lutte de classe au sein de la CGT et de la CFDT à l'époque. Mon camarade Finimore a rédigé ce commentaire sur le forum de cette émission : "L’émission consacrée à Radio Lorraine Cœur d’acier, m’a laissé un peu dubitatif. J’ai dans les années 1978 et 1979 défendu et soutenu la lutte des sidérurgistes (surtout Longwy – Denain) et il me semble que la présentation qui en est faite tout au long de l’émission, passe volontairement ou pas à côté de points essentiels de cette histoire et de son contexte. Le lancement de Radio LCA par la CGT se fait plusieurs mois après le lancement de Radio SOS Emploi par la CFDT. Entre le 16 décembre 1978 création de Radio SOS – Emploi et le 17 mars 1979 pour le lancement de Radio LCA, il faut bien comprendre ce qui s’est passé. La présentation qui est faite dans l’émission d’ASI occulte pas mal de choses et simplifie à outrance certains faits notamment au sujet de Radio SOS – Emploi présentée uniquement sous l’angle d’une radio pirate émettant dans les bois. La CGT, le PCF était certes traversé par des « courants » des lignes qui s’opposaient, mais c’était aussi le cas de la CFDT qui sur le plan locale Longwy – Denain était animé par des militants radicaux (aujourd’hui on dirait « gauche de la gauche » ) « gauchistes » voir marxistes-léninistes (du PCRml…). Durant les 3 mois qui sépare la création de SOS et de LCA, il faut bien comprendre que la lutte des sidérurgistes de Lorraine va devenir quasiment insurrectionnel, que son caractère populaire et de masse est déterminant. La situation pour le pouvoir de l’époque (Giscard-Barre) devient difficile, la CGT et le PCF contrôle très très difficilement les actions (notamment les actions « coup de poing » ) des sidérurgistes (et des syndicalistes radicaux de la CFDT locale). Ces actions s’appuyant sur une véritable unité populaire, vont à plusieurs reprises par exemple s’en prendre au symboles patronaux et étatique ou par exemple attaqué le commissariat. La CGT voyait que la radicalisation de la lutte se développait souvent en s’opposant à ses propres conceptions de la lutte. Le PCF à travers son député Antoine Porcu était de plus en plus critiqué voir conspué publiquement par les travailleurs (et notamment le chauvinisme développé par la CGT et le PCF). C’est dans ce contexte le développement d’une révolte violente, le désaveu du PCF par les militants les plus radicaux et aussi avec l’approche des élections européennes que CGT et PCF vont lancé Radio LCA, qui dans un premier temps brouilla la Radio SOS – Emploi. La création de LCA est en fait une tentative de réponse du PCF pour contrôler, encadrer la lutte des sidérurgistes en les enfermant dans l’électoralisme, l’union de la gauche, la légalité bourgeoise. Pour y arriver, la CGT lance l’idée d’une grande marche des sidérurgistes sur Paris le 23 mars et c’est effectivement des conceptions assez différentes de la lutte menée depuis décembre qui sont mises en avant ( conception qui s’appui sur une campagne chauvine pour ne par dire raciste) pour la préparation de la manif du 23. Le courant radical de la CFDT se trouvera marginalisé et tout cela finira dans les bras de la CGT. Après la manif du 23 est une belle provocation policière, permettant au PCF de se lancer dans une dénonciation et l’amalgame (voir par exemple le livre « La provocation » Editions Sociales par Régis Castelnau, Daniel Voguet, François Salvaing –mars 1980 ) et de reprendre en main le contrôle de la lutte. C’est petit à petit un effritement et l’abandon. Il y aura dans les années 83-84 un petit retour sur la lutte, mais celle-ci n’atteindra pas la mobilisation des années précédentes. Dans l’émission de ASI, la présentation de « la ligne Séguy » contre « la ligne Krasucki » me semble aussi très caricaturale et ne recouvre pas la réalité. Alors, oui il y a eu un soutien populaire de Radio LCA, des débats précurseurs qui par la suite ont été vite repris en main par la direction CGT et PCF." |
| | Posté le 03-01-2013 à 15:37:59
| Voici un message de Gérard Privat (que je publie avec son accord) au sujet de LCA. Gérard Privat était dans les années 78-79 membre du PCRml et envoyé spécial en Lorraine pour le Quotidien du Peuple. "Salut Tu sais sans doute que j'ai "vécu de l'intérieur" les évènements de Longwy en 78/79. Le Parti m'avait envoyé là-bas. J'y suis resté plusieurs mois quasiment en permanence. J'ai très bien connu LCA, son histoire, j'ai réalisé un interview commun de Félix, animateur de Radio SOS-emploi et Marcel Trillat pour le QDP. J'ai même été interviewé par Trillat sur LCA après mon arrestation avec 4 gars de Longwy, justement lors de la fameuse nuit d'affrontements suite au brouillage de LCA. C'est vrai que la CGT a lancé cette radio en même temps que d'autres initiatives, pour tenter de reprendre le contrôle d'une situation qui lui échappait. Cela dit, la suite des évenements a montré que les "pontes" CGT qui avaient eu cette idée s'en sont longtemps mordu les doigts. En même temps qu'elle servait en partie leurs objectifs, LCA a très largement participé à "l'insurrection ouvrière" du bassin de Longwy. Au point d' échapper pratiquement à leur contrôle. Aujourd'hui, ils réécrivent l'histoire. Oui, on les connaît... Au début, comme beaucoup, je me suis dit: "Cà y est, ils arrivent avec leur grosse machine, çà va être Radio-CGT. Il faut savoir que LCA a été mise sur pieds avec du matériel qui dormait depuis des mois à la mairie de Bagnolet suite au refus de Trillat de prendre la direction de la radio que le PCF voulait créer là-bas. Viré de la télé après 68, il vivotait quand on lui a fait cette proposition. On lui avait donné de vagues assurances sur l'ouverture et la liberté d'expression qu'il mettait comme conditions. Quand il s'est rendu compte que ce ne serait pas le cas, il a refusé. Du coup, "radio M. le maire de Bagnolet", comme il le disait, n'a jamais vu le jour. Je pense que l'on peut dire que, même si la CGT était très prèsente sur les ondes de LCA, elle y était en minorité et que la liberté de parole était la règle. Je l'ai vu de mes yeux et sur une longue période. A tel point que l'appareil CGT était en grave crise interne. Pas seulement au sujet de LCA bien sûr, mais la radio était devenue un très gros point de divergences internes. Pour la petite histoire, j'ai réalisé, à sa demande, une interview de Michel Olmi, secrétaire de l'UL-CGT dans laquelle il étalait ouvertement les divisions. Pour faire taire cette voix, la haute direction a commencé par s'en prendre aux salaires des deux journalistes (Trillat et Dupont). Puis, la chance leur sourit: l'émetteur de la radio tomba un jour en panne. Aussitôt, ils se proposèrent pour le faire réparer à Paris. Longwy ne revit jamais l'émetteur. Ainsi, se termina cette expérience. Dans le même temps, l'appareil reprenait les rênes par les moyens bien connus. J'ai connu pas mal de militants CGT qui se sont volatilisés, Michel Olmi avait été poussé dans la dépression... Voilà quelques souvenirs qui me reviennent sur cette période de l'histoire de la CGT de Longwy et de LCA, pas aussi simple qu'on pourrait le penser." |
| | | | Posté le 12-11-2021 à 10:37:35
| Depuis le début de l’année, le Parti (PCRml) est engagé dans le soutien à la lutte des sidérurgistes de Lorraine. Il popularise cette lutte à travers le QDP (le Quotidien Du Peuple), des affiches, des réunions. Le PCRml a des militants dans la région Lorraine1 (et sur Denain et Longwy). Un journaliste du QDP est envoyé pendant 6 mois dans la région pour couvrir de l’intérieur cette importante lutte ouvrière. Il s’agit de Gérard Privat (de son vrai nom Maurice Le Bouder). L’UCFML enverra des militants sur place. En octobre elle publiera le résultat de ce travail d’enquête dans une brochure : LONGWY 1979 : illusions et réalité de la lutte de classe ouvrière2 Tous les partis et organisations ML, mais aussi le PCF, les syndicats CGT, CFDT vont se positionner3 sur cette importante lutte. La CGT va organiser une marche des sidérurgistes à Paris le 23 mars 1978. Plusieurs milliers de sidérurgistes manifestent ce jour-là, mais aussi plusieurs centaines d’autonomes. Ces autonomes (ancêtres des Black Blocs) s’en prennent à certaines vitrines et affrontent les CRS. La direction de la CGT et le PCF présentera ces autonomes, gauchistes, comme des provocateurs, car un des casseurs avait été filmé lançant des pavés sur les flics, puis plus tard rejoindre le cortège de la police (l’infiltration est une pratique utilisée par les flics et les renseignements). Il n’en fallait pas plus pour que la direction CGT et le PCF se lance dans des amalgames dont ils étaient assez coutumiers. Un livre reprendra l’argumentaire CGT-PCF en mars 1980, il s’agit de La provocation, Régis de Castelnau, Daniel Voguet, François Salvaing, Editions Sociales. Il est aussi important de noter comment ce livre manipulera et réécrira l’Histoire. J’y reviendrai plus loin. Cette lutte qui se déroule au moment où les divisions internes dans la CFDT sont importantes, pose la question de la violence4, celle des masses, celle de l’Etat et de ses flics. Elle éclaire aussi les positions politiques et économiques du PCF, sur l’Europe. La question du monopole de l’information et des médias est posée notamment par la radio SOS Emploi (lancée par la CFDT) et Radio Lorraine Cœur d’Acier (CGT). Les élections européennes sont prévues pour le 10 juin 1979, les 2 principaux partis ml appellent à voter blanc ou nul. Dans la nuit du jeudi 17 mai au vendredi 18, à Longwy une manifestation de protestation contre le brouillage de Lorraine Cœur d’Acier se confronte au CRS. Le QDP n°919 titre en une : Sauvagerie policière à Longwy5. Le numéro suivant6, titre : Arrêt de toute poursuite contre les 5 inculpés de Longwy ! l’article de la une informe : « Plus d’une dizaine de travailleurs blessés, dont certains très gravement, deux journalistes atteints, cinq manifestants inculpés, voilà le lourd bilan de la sauvagerie policière qui s’est abattue sur Longwy, dans la nuit de jeudi à vendredi dernier. ». La suite de l’article qui se poursuit en page 5, précise que « La liberté de la presse aussi est attaquée et ce n’est pas le moins grave. Parmi les cinq inculpés de Longwy figure Maurice Le Bouder, connu sous la signature de Gérard Privat. Envoyé spécial du Quotidien du Peuple, il ne faisait que son travail, celui d’informer largement les lecteurs sur ce qui se passe à Longwy. En inculpant ainsi notre envoyé spécial, le pouvoir crée un très dangereux précédent. C’est au droit, élémentaire lui aussi, à l’information qu’il s’attaque, au travers de l’inculpation de Gérard Privat. (…) Plus que jamais, nous devons être solidaires de la lutte des sidérurgistes pour l’emploi. Plus que jamais nous devons nous mobiliser très largement pour défendre les libertés démocratiques, aujourd’hui largement attaquées. Nous exigeons la libération des emprisonnés du 23 mars et du 1er mai, nous exigeons la levée de toute poursuite contre notre envoyé spécial Gérard Privat. ». La double page centrale de ce numéro 920, titre : Arrêt de toute poursuite contre les 5 inculpés de Longwy ! (p4-5), Une nuit de provocations policières - De notre envoyé spécial Gérard Privat – Maurice Le Bouder. (page 4), Deux journalistes blessés(page 4), Violences policières sans précédent (page 4), Comment on fabrique des coupables(page 5), Communiqué de presse (page 5), Communiqué de presse de l’Union nationale des syndicats de journalistes (page 5). Le 20 mai, dans le cadre de la campagne du parti sur l’Europe, Les dirigeants des deux partis sont présents (André Druesne, Pierre Bauby…etc.. pour le PCML). J’achète le disque 45 T de l’UIS (Union Interprofessionnelle du secteur) CFDT de Longwy « La colline rouge » édité chez Vendémiaire. Le QDP n°920 du 22 mai, fait un compte-rendu du meeting7 unitaire. Sous l’article de Jean Lermet, un encadré sur la composition de la tribune du meeting, et un autre : « Contre les atteintes aux libertés à Longwy ». Celui-ci indique : « La présidence du meeting a vigoureusement condamné les brutalités policières commises à Longwy dans la nuit de jeudi. Elle a dénoncé l’intolérable atteinte aux libertés démocratiques que constitue l’arrestation arbitraire de cinq personnes, dont Maurice Le Bouder, l’envoyé spécial du Quotidien du Peuple. » Le n°922 du QDP du 25 mai 1979, annonce Une victoire pour les sidérurgistes : Les 5 inculpés de Longwy relaxés –« Les condamner serait condamner la population de Longwy » - Plusieurs centaines de travailleurs acclament leurs camarades à la sortie du tribunal. La page 3 est consacrée à ces relaxes. Dans le QDP n°923 (sam 26, dim 27, lundi 28 mai 1979), la page 3 revient sur l’après du verdict de Longwy, avec des interviews réalisées par François Marchadier. La première interview est celle d’un animateur de Radio SOS Emploi, qui affirme « On est persuadé que l’action des travailleurs à été déterminante ». La deuxième interview est celle de Gérard Privat qui déclare « Je n’avais jamais vu un tel enthousiasme ». Un petit encadré signé d’un correspondant de Longwy est titré « Quatre ou cinq ? » donne des éléments intéressants sur les manœuvres du PCF. Voici pour l’info : « Quatre ou cinq ? Dans l'enceinte du tribunal les conversations vont bon train. Tous ceux qui sont là sont venus pour soutenir les cinq inculpés et exiger l'arrêt des poursuites. Tous... sauf quelques-uns ? Un militant syndicaliste rapporte une conversation entendue près de lui entre M. Falcetta et une autre personne : - Falcetta : " il faudrait relaxer les quatre copains de Longwy et condamner le gars de Paris". L'autre personne : "Oui mais c 'est un journaliste... " Falcetta : "Oui, dans le fond ça lui ferait de la publicité pour lui et pour son petit journal de merde. Et nous (?) on serait obligé de le défendre... ". M. Falcetta est un membre bien connu du PCF, adjoint au maire de Mont Saint Martin ; il est aussi délégué CGT des grands bureaux de Mont-Saint-Martin a Usinor. Voilà peut-être qui explique que certains militants de la CGT aient jusqu'au dernier moment apporté le soutien à quatre inculpés, ignorant le cinquième. Alors que dans le même temps, aussi bien la FTM-CGT que les animateurs de Lorraine Cœur d'Acier affirmaient justement leur soutien aux cinq. Correspondant Longwy » Le contexte de cette lutte c’est la désunion de la gauche, les rivalités CGT-CFDT, les luttes internes au sein de la CFDT, crise du PCF, les critiques et le rejet de certaines positions et attitudes du PCF (son député Porcu se fera huer et siffler par les sidérurgistes)… Donc rien d’étonnant qu’en mars 1980, le livre La provocation8, donne une version pour le moins curieuse des événements liés à la lutte des sidérurgistes. La thèse de ce livre c’est celle d’une provocation visant le PCF et la CGT. C’est celle d’une vision policière de l’Histoire. Les provocateurs sont les autonomes « le phénomène autonome… » page 128, la « galaxie autonome » pages 131-132, le groupe de rock « Trust » pages 135 à 137, « Jean-Edern Hallier » page 142, la CFDT qui « c’est notoire, est dirigée par des ‘‘maoïstes’’ » page 172, Le ‘‘maoïste’’ Le Bouder page 174, « Le Bouder » page 187, « Me Rigoulot, la jeune avocate de Maurice Le Bouder» page 194, « Jean Daniel » du Nouvel Observateur. 1 Sur le sujet de la lutte des sidérurgistes de Lorraine, lire Deuxième gauche – réformisme et lutte de classe : chapitre 3 Chronologie page 34, chapitre 10 La lutte des sidérurgistes p133-134. Annexe 65 sur Radio SOS Emploi et Radio Lorraine Cœur d’Acier, pages 364 à 366. Message de Gérard Privat, page 366. 2 LONGWY 1979 : illusions et réalité de la lutte de classe ouvrière, Editions Potemkine, 1979 : http://editions-proletariennes.fr/Dochml/presse/brochures/ucfml/longwy/longwy.htm 3 PCRml, PCML, UCFML, OCML-VP, PCOF : Les ML et la lutte des sidérurgistes : voir Deuxième gauche, pages 134 à 138. 4 Concernant l’utilisation de la violence ou de l’illégalisme de certaines actions, et les divergences CGT/CFDT dans la lutte, lire -« Chômage et violence – Longwy en lutte » -Claude Durand- Galilée- 1981- qui donne énormément d’informations. 5 Le Quotidien du Peuple n°919, samedi 19, dimanche 20, lundi 21 mai 1979. 6 Le Quotidien du Peuple n°920, mardi 22 mai 1979. 7 Paris : Succès du meeting « Europe : solidarité des prolétariats et des peuples » (page 1 et page 7) QDP n°920, du 22 mai 1079. 8 La provocation, Régis de Castelnau, Daniel Voguet, François Salvain, Editions Sociales |
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