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Palestine : un nouvel épisode de la guerre de cent

supernova
   Posté le 11-01-2024 à 23:18:23   

Palestine : un nouvel épisode de la guerre de cent ans


L’opération « déluge Al Aqsa » et la nouvelle guerre de Gaza

La liquidation de la cause palestinienne n’aura pas lieu car elle vient de loin. Tout ce qui se déroule au Proche-Orient depuis octobre 2023 doit être compris comme un épisode d’une guerre coloniale de 100 ans, une guerre qui n’a toujours pas été soldée grâce aux efforts telluriques d’un peuple palestinien qui refuse sa dépossession définitive, sa soumission et son anéantissement progressif.

L’opération « déluge Al Aqsa » s’est déroulée le 7 octobre et a frappé le monde de stupeur tout en brisant le statu quo à l’échelle locale et globale. Les forces combattantes palestiniennes de Gaza ont mené de concert1 une opération inédite dans son ampleur, sa préparation et ses retombées. En une journée, les Palestiniens sont redevenus les porte-drapeaux de l’insoumission des déshérités du monde et de leur capacité d’initiative malgré un rapport de forces entièrement à leur désavantage. Cette capacité de renversement est la première leçon que doivent retenir tous ceux pour qui l’ordre du monde capitaliste est un enfer et qui aspirent sincèrement au renversement de l’ordre établi. Le 7 octobre des milliers de Palestiniens ont franchi le mur qui encercle et enferme totalement la petite bande de Gaza et les enfants et petits-enfants des dépossédés de 1948 sont retournés sur les terres volées, et ont attaqué les casernes, les postes frontières, une improbable rave-party, les « villes interdites » et diverses implantations coloniales. Les systèmes de surveillance les plus sophistiquées et la domination militaire écrasante n’ont pas résisté à cet assaut.

Les objectifs de l’opération du 7 octobre ont été présentés avec une grande clarté par ses initiateurs : remettre la question palestinienne à l’ordre du jour de la scène internationale en poussant chaque force politique à se positionner, obtenir la libération des prisonniers palestiniens, faire échouer le rapprochement des Etats arabes qui abandonnent une nouvelle fois la cause palestinienne à travers les « accords d’Abraham »2, répliquer aux vagues de violences en Cisjordanie (dont la tuerie de Huwara est l’emblème) et à Jérusalem, infliger une importante défaite militaire à l’occupant en attaquant ses casernes et en capturant des dizaines de soldats et d’officiers, faire sentir aux israéliens qu’ils ne sont pas tout-puissants, invincibles et protégés à tout jamais par leur « dôme de fer » et leur protection inconditionnelle par les forces armées des principaux Etats impérialistes. Nombre d’analystes bourgeois sont contraints de reconnaître que ces objectifs ont été atteints et qu’ils doivent évoquer la colonisation rampante de la Cisjordanie, la nature fasciste de nombre de dirigeants du gouvernement qu’ils soutiennent pourtant, l’absence de toute perspective pour le peuple palestinien dans l’ordre des choses actuel. Le 7 octobre a produit un gigantesque effet de vérité. La pratique a éclairé la théorie.

Quelle que soit le déluge de feu actuellement engagé par la « riposte » israélienne qui est en réalité une punition collective assumée et qui vise à détruire la possibilité même de la vie civile à Gaza et ainsi à perpétrer une seconde Nakba (l’objectif de chasser plus de deux millions Palestiniens de Gaza étant tout à fait programmé deux constats peuvent déjà être faits :

Le « déluge d’Al Aqsa » est une victoire politique et militaire, vécue comme une défaite affligeante par le camp israélien et tous ses soutiens

Le mythe d’Israël comme « refuge pour les juifs du monde entier » est mort le 7 octobre. Or, cette idée que l’on peut venir des quatre coins du monde et au nom d’une appartenance religieuse (ou ethnique) chasser les Arabes de leur terre et vivre sa meilleure vie en les humiliant est constitutive du sionisme lui-même.

Les guerres de Gaza ne sont pas nouvelles3. Depuis la mort du leader paysan Ezzedine Al Qasseem en 1935, elles ont lieu sans interruption avec le grand soulèvement de 1936, les guerres de 1948, 1956, 1967, 1973, les deux Intafadas et l’intensification du siège, blocus et bombardements de la bande de Gaza depuis 2006. Mais il faut percevoir aussi les spécificités de la situation actuelle. Pour la première fois depuis 1948, mis à part des opérations limitées, la guerre entre Arabes et Israéliens a été menée sur le territoire israélien. En 1956, 1967 ou 1973, la guerre est menée sur des territoires appartenant alors à l’Égypte et à la Syrie, principalement le Sinaï et le Golan. En 1982, la guerre est menée sur le territoire libanais. La perception politique et la conduite de la guerre change. L’ampleur des pertes civiles du côté israélien est elle aussi inédite, plus des deux tiers tués ne portait pas d’uniformes (un nombre important de tués viennent d’ailleurs des raids des forces israéliennes pour reprendre les localités prises par les insurgés). C’est en tout cas la journée la plus meurtrière de l’histoire de la colonie israélienne. Le 7 octobre a finalement chassé l’idée profondément ancrée que les Palestiniens avaient définitivement perdu et qu’il était possible de les maintenir comprimés par millions sur des territoires privés de tout comme à Gaza ou dans des bantoustans de Cisjordanie sans qu’ils réagissent.

C’est malheureusement et précisément cette image de victimes passives qui nourrit un certain soutien compassionnel pour les victimes palestiniennes de ce conflit, mais aussi israéliennes. Un soutien de cette nature qui voudrait se présenter comme acte de solidarité pour les droits palestiniens n’a pourtant aucun sens. La compassion pour les victimes « civiles » va généralement de paire avec la condamnation horrifiée de la résistance armée, à plus forte raison quand des « civils » du camp adverse sont touchés. Toute une logorrhée obscurcit ainsi ce qui est en jeu. Le 7 octobre définit en fait une ligne de démarcation nettement délimitée. En effet, la déploration des victimes civiles ne vaut rien sans un soutien de principe à la lutte de libération nationale du peuple palestinien, une lutte qui comme toutes celle de ce type est amenée à user de contrainte et de violence. De l’autre côté, le soutien occidental à Israël (et sa propagande permanente qui assimile tout israélien tué au martyr juif sous la botte nazie) n’est pas dû à un sentiment d’horreur face à la terrible mort de civils désarmés. La seule raison du scandale est qu’il s’agit de civils juifs israéliens. Il n’y a jamais eu d’horreur comparable face aux massacres délibérés de dizaines de milliers de civils palestiniens ou arabes ou d’autres déshérités du monde. Cela est extrêmement clair pour des centaines de millions de cerveaux en Asie, Afrique et Amérique du Sud et cela peut le devenir, espérons-le, dans les centres impérialistes d’Europe et d’Amérique du Nord.

Les mots « civils », « terrorisme », « juifs » sont brandis par tout le chœur des pro-israéliens pour réduire au silence sous peine de sacrilège. Ils ne le sont que pour effacer la nature du conflit et pour lier imaginairement la situation à une « menace existentielle » qui justifie toutes les exactions à venir. La puissance militaire écrasante du en faveur d’Israël devrait pourtant interdire aux puissants du jour de s’identifier aux misérables juifs des ghettos de Varsovie ou de Vilnius.

La riposte israélienne au 7 octobre a entraîné la mort de plus de 20000 personnes à Gaza, 40 000 civils et combattants palestiniens blessés et provoqué le déplacement de plus de 1 500 000 civils et au moins 1 000 personnes seraient portées disparues. La « légitime défense » marche à plain régime. Mais si en 1973, Les États-Unis se sont contentés d’assurer un pont aérien pour ravitailler l’armée israélienne, en 2023, cinquante ans plus tard, l’Amérique a dû dépêcher deux porte-avions et une dizaine de bâtiments d‘escorte, 16.000 marins et 300 avions, pour contenir les adversaires d’Israël, signe indiscutable de l’érosion de la dissuasion israélienne et de la montée en puissance de ses ennemis.

La conduite de la guerre côté israélien se fait selon la doctrine « Dahiya », une doctrine d’éradication du « Mal ». Parmi les déclarations multiples de déshumanisation et de démonisation des Palestiniens, citons l’ancien premier ministre israélien Naftali Bennett devant un journaliste de la chaîne Sky News : « Sérieusement, vous allez continuer à me poser des questions sur les civils palestiniens ? Qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? (…) Nous combattons des nazis ». En fait, les membres du conseil de guerre sont les mêmes que ceux des guerres récentes. Benny Gantz était chef d’état-major lors de la guerre de Gaza en 2014 et Gadi Eisenkot était le chef des opérations de l’armée israélienne lors de la guerre menée contre le Liban et le Hezbollah en 2006. Il a affirmé à l’époque qu’il avait développé ce qu’il nommait la « doctrine Dahiya ». L’armée de l’air israélienne avait rasé tout le quartier de Dahiya, un quartier chiite de Beyrouth. Et Eisenkot avait alors assumé appliquer « une force disproportionnée » et causer de nombreux dégâts humains et destructions, car, de son point de vue, « ce ne sont pas des villages civils, ce sont des bases militaires ». Il avait également promis que « ce qui s’est passé dans le quartier Dahiya de Beyrouth en 2006 se reproduira dans chaque lieu depuis lequel Israël est visé ». Les trois généraux qui mènent aujourd’hui la guerre à Gaza - Yoav Gallant, Benny Gantz et Gadi Eisenkot - sont les principaux artisans, avec Ariel Sharon, de la doctrine militaire qui prétend assurer la sécurité d’Israël depuis vingt ans en ne faisant aucun cas des vies palestiniennes, civils et enfants inclus. Il n’y a donc rien de surprenant dans la campagne actuelle de destruction sans limites par « l’armée la plus morale du monde »

L’éradication du Hamas, objectif déclaré des représailles israéliennes, a produit un effet inverse : L’Autorité Palestinienne est durablement discréditée. Pour le dire autrement, le Hamas a dans les faits pris la direction du mouvement national palestinien. Sur la nature actuelle du Hamas, il faut s’écarter du discours inutile sur le « terrorisme » et le « fanatisme ». Rachid Khalidi, historien à l’université de Columbia explique parfaitement ce qui est en jeu : « la véritable différence entre le Hamas et le Fatah est davantage tactique que stratégique. Si on regarde ce que dit le Hamas depuis la seconde Intifada jusqu’à récemment, on peut juger qu’il accepte la solution à deux États dans les frontières de 1967 et qu’il serait prêt pour cela à une trêve. Avant les affrontements meurtriers entre ces deux partis en 2007, il accepte de participer à un gouvernement d’union nationale qui sera autorisé à négocier avec Israël en concertation avec le président Mahmoud Abbas. Les Israéliens et les Américains ont refusé cette tentative. La différence tactique entre le Fatah et le Hamas tient principalement au fait que le premier a renoncé à la lutte armée, tandis que le second combine actions pacifiques, par exemple lors des « marches du retour » de 2018 qui se sont finies en bain de sang et ont pu marquer les limites d’une protestation seulement pacifique, et actions militaires et violentes. Cette importante différence tactique ne semble pas invalider les convergences dans l’incarnation d’une conscience nationale palestinienne, notamment dans l’affirmation de la nécessité d’un État palestinien distinct d’Israël et non d’un seul État rassemblant Palestiniens et Israéliens. C’est tout cela qu’on oublie quand on réduit le Hamas à une organisation terroriste. Le but de ce mot « terroriste » est d’abord de faire oublier l’histoire en prétendant la remplacer par un combat entre le bien et le mal ». Tout mouvement qui revendique la direction nationale de la cause palestinienne est ainsi amené à reprendre à son compte un certain nombre de questions et d’engagements qui sont les données de base de la situation coloniale et du projet de libération. Décrivons ces données aussi clairement que possible.

Le sionisme et l’Etat palestinien

Les nombreux changements dans l’ordre du monde depuis 1948 n’ont pas fait varier la question palestinienne. C’est une question de libération nationale d’un peuple arabe car c’est une histoire de dépossession, d’exil forcé et d’occupation militaire. La Palestine a subi le destin apparemment anachronique d’une colonisation de peuplement essentiellement européenne concentrée dans la seconde partie du XXème siècle. La création de toutes pièces par les états vainqueurs de la seconde guerre mondiale d’un nouvel état colonial, « Israël », par un vote de 1947, puis leur soutien militaire et financier contre le nationalisme arabe, explique l’expansion continu de ce projet qui s’est vu renforcé suite à l’effondrement de l’URSS par la venue d’un million supplémentaire d’habitants juifs brusquement devenus israéliens.

L’histoire récente de la Palestine est beaucoup plus simple que ce que l’on prétend habituellement. Les Palestiniens musulmans et chrétiens qui vivaient en Palestine depuis des centaines d’années (et qui sont d’ailleurs peut-être les seuls descendants des Hébreux selon la démonstration implacable du fameux livre de Schlomo Sand Comment le peuple juif fut-il inventé ont été expulsé en 1948 par un mouvement qui voulait en finir avec la persécution des juifs en Europe et qui pour cela a mis au point la doctrine moderne du sionisme. Ce projet a été un incontestable succès pour ses promoteurs qui se sont appuyés successivement sur les grande puissances impérialistes (anglaise, puis française, puis américaine) en utilisant tous les moyens nécessaires et en s’appuyant aussi sur les régimes compradores arabes.

La première contradiction qui apparaît est donc celle entre le colonialisme juif et le peuple arabe palestinien puisque l’Etat juif en tant que tel est littéralement basé sur le déni de l’existence de la Palestine historique. La spoliation s’est opérée au nom du sauvetage des victimes du nazisme. Une population palestinienne essentiellement rurale sous la férule d’une bourgeoisie marchande et de grands féodaux a été chassée par une décision européenne qui visait à repeupler, recomposer et reconquérir cette terre pour des populations juives en premier lieu d’Europe. Or, jamais cette nouvelle conquête n’a été acceptée et la réalité palestinienne est devenue très tôt une résistance à ce colonialisme spécifique.

La projet colonial du sionisme et sa composition sociale spécifique, à dominante ashkénaze et donc européenne, sont à l’origine d’une image occidentale d’une population israélienne civilisée, avancée, qui met en valeur un pays et qui mène des guerres technologiques face aux barbares orientaux. La double image du sionisme promue ici, dans les centres impérialistes, est celle d’un refuge d’anciens persécutés et celle d’un avant-poste de la civilisation. Un slogan sioniste célèbre le résume, il a été forgé par un révérend écossais dès 1843 : « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Israël a d’abord été une « terre promise » par l’impérialisme européen dans la droite ligne des « missions civilisatrices » avec des mythes comme ceux des « kibboutz » qui vont en réalité le plus souvent fonctionner avec une main-d’œuvre extérieure bon marché sur des terres confisquées. En fait, entre l’occident euro-américain et le sionisme il existe une communauté de langage et d’idéologie, les peuples attardés ne peuvent pas s’auto-gouverner comme le disait déjà le philosophes raffiné John Stuart Mill dans ces textes sur le gouvernement représentatif. Malgré ces spécificités, le sionisme repend tous les archétypes de l’ethnocentrisme européen et de l’idée que pour régler un problème européen la solution coloniale est la bienvenue. De là vient l’anomalie politique, même d’un point de vue libéral-bourgeois, d’un Etat qui n’est pas celui de ceux qui s’y trouvent mais de « tout le peuple juif » dont la majorité ne s’y trouve pas.

Mais si le succès du sionisme se mesure à sa légitimation internationale impérialiste et non à son acceptation par le monde arabe, ce n’est pas seulement par accointance idéologique mais parce qu’il remplit un rôle stratégique de premier plan. Si les USA accordent une si grande place à Israël depuis plusieurs décennies, ce n’est pas pour réparer l’holocauste des nazis, ni pour faire plaisir aux lobbys. Le soutien inconditionnel rentre dans la logique du projet de la classe dirigeante étatsunienne : le contrôle militaire de la planète dont les zones stratégiques du pétrole. Ce n’est pas une réponse émotionnelle, encore moins la conséquence d’un « complot », vieux thème fantasmatique antisémite. Israël ne contrôle pas les Etats-Unis, cette thèse grotesque inverse les faits. Israël a un rôle de chien de garde quel que soient ses propres marges de manœuvres. Israël est d’abord utile en menaçant militairement tous les récalcitrants, tous ceux qui prétendent à un développement national capitaliste plus ou moins autonome. Comme Israël l’a fait en 1967 contre les régimes nationalistes arabes de Nasser en Egypte et d’Assad en Syrie. L’objectif n’est pas seulement le contrôle du pétrole géré par les Etats vassalisés du Golfe mais c’est surtout de rendre impossible la résistance d’une nation arabe face à l’impérialisme. Le contrôle mondial des oligopoles capitalistes exige que les pays arabes soient morcelés, dominés et affaiblis. En 1981, Israël a bombardé avec des F16 la centrale nucléaire d’Ossirak comme elle souhaiterait bombarder aujourd’hui l’Iran. En fait, Israël est dans le même rapport avec les centres impérialistes principaux qu’elle l’est avec les juifs de la diaspora : elle a besoin d’eux, de leur soutien (chaque bombe qui tombe en ce moment sur Gaza sort des usines et stocks américains).

L’Etat palestinien n’existera qu’en confrontation avec cette double réalité d’une colonie de peuplement avec ses spécificités et d’un ordre impérialiste qui lui est foncièrement hostile.

La solution naîtra du conflit

Le mouvement national palestinien est passé par diverses étapes et a connu de multiples vies. La plus décisive a été de se constituer comme force combattante après la défaite arabe de 1967 et de créer une OLP (Organisation de la libération de la Palestine) structurée autour d’un programme4 et inspirée sur le plan militaire par les guérillas d’Algérie, du Vietnam et de Cuba. Dès cette période, dans les camps de réfugiés de Jordanie et du Liban où se trouvait l’essentiel des forces de la résistance palestinienne, d’intenses débats sur la stratégie et sur la politique du mouvement national ont eu lieu. Un de ces débats a concerné le fait d’articuler la lutte de libération palestinienne et la lutte révolutionnaire dans le monde arabe. Le Fatah d’Arafat défendait le statu quo dans les pays arabes alors que le FPLP de Georges Habache affirmait que le chemin de Jérusalem passait par la libération des autres capitales arabes car le maintien de régimes compradores liés à l’impérialisme ne peut pas être favorable à la cause palestinienne. La définition des ennemis de la cause palestinienne était donc en jeu. Les forces de gauche ont tenté de lier libération nationale et sociale et de proposer une critique cohérente des bases économiques du sionisme. Le but des forces de la gauche palestinienne était la libération totale de la Palestine et dès les années 1970, elles dénoncent les projets défaitistes de la direction de l’OLP, notamment celle de la création d’une autorité palestinienne sur une partie du territoire alors que se maintient le régime sioniste. Sur cette question Georges Habache dira que l’on peut penser la libération du territoire de façon progressive, si et seulement si, le rapport de forces international est favorable, comme ce fut le cas pour les Vietnamiens au nord-Vietnam avec Hanoï. En l’absence de ce rapport de force, il prévoit de façon prémonitoire que toute autorité palestinienne ne peut être qu’une cogestion avec l’occupant d’un fait accompli défavorable. Il n’y a pas d’aménagement possible du sionisme. D’autre part, le but stratégique est celui de la création d’un « Etat laïc, national, multiconfessionnel et démocratique » qui fait de chaque habitant un citoyen quelle que soit sa religion. Cette position est d’ailleurs celle de l’ensemble de L’OLP comme on peut le voir dans le remarquable livre de Bichara et Naïm Kader, Textes de la Révolution palestinienne et du texte du Fatah, La révolution palestinienne et les juifs. Or, c’est bien sur cette question précise, celle d’accepter une « autorité palestinienne », en renonçant de facto au retour des réfugiés de 1948 et à l’Etat multiconfessionnel sur toute la Palestine historique que le mouvement national palestinien s’est affaibli et divisé dès les années 1974 et à plus forte raison en 1988 à Alger puis dans les rounds de négociations de Madrid en 1991 et d’Oslo en 1993. Des fractions importantes de la bourgeoisie palestinienne ont alors voulu prendre leur part du gâteau, en renonçant à la lutte armée et en négociant les calamiteux « accord d’Oslo » en 1993 qui ont instauré une AP (Autorité Palestinienne) collaboratrice avec les forces d’occupation et tenue à bout de bras par les bailleurs de fonds euro-américains. Oslo a été une trahison de plus dans l’histoire de la cause palestinienne. Ces accords n’ont été qu’une façon d’affaiblir un peu plus les forces palestiniennes et de préparer l’implantation des actuels 750000 colons israéliens en Cisjordanie.

La fameuse solution à deux états est devenue un leurre de plus en plus évident, outre le fait qu’elle donne 78% de la Palestine u fait accompli colonial. Son impossibilité actuelle a d’ailleurs développé tout un arc de « solutions  alternatives » à un seul Etat sans que ne soit démantelée la nature coloniale de l’Etat d’Israël. Le véritable projet pour ce conflit est la libération de la Palestine, et non la solution d'un seul État dont rêvent les nouveaux illusionnistes « amis de la Palestine ». Penser à cette option c’est affirmer que les opposés vont s’entendre dans une coexistence pacifique, une solution qui est une illusion depuis cent ans. La solution d'un seul État est historiquement inévitable, après la libération, lorsque les droits du peuple palestinien sur sa terre et ses maisons seront rétablis. Les Juifs restant en Palestine seraient traités comme des citoyens. Mais ce programme exige de toute évidence la renaissance d’un mouvement révolutionnaire qui porte ces aspirations.

Participer aujourd’hui au combat pour la Palestine libre c’est évidemment s’opposer au sionisme et à ses soutiens internationaux et c’est nécessairement soutenir l’autodéfense, l’autodétermination, la résistance armée et toutes les formes de lutte de ceux qui subissent le joug colonial. Précisons et soyons concrets. Qu’est-ce qu’on entend par la Résistance Palestinienne aujourd’hui ? C’est en premier lieu les factions armées de chaque organisation palestinienne : Les Brigades Ezzedine Al Qassam du Hamas, les brigades Al Quds du Jihad islamique, les brigades Abu Ali Mustapha du FPLP, les brigades de la résistance nationale du FDLP et les brigades Al Aqsa du Fatah. Ces forces matérialisent la volonté de résistance d’un peuple. Sans elles la cause palestinienne aurait disparue dans les limbes de l’histoire. Elles sont un rempart contre le nettoyage ethnique pratiqué par les sionistes depuis des décennies. Ces forces armées ont fait du réfugié exclu de sa patrie un combattant, parfois un révolutionnaire. Les actions armées montrent aussi que quelle que soit la disproportion des forces, il est toujours possible d’infliger des pertes à l’ennemi, de toucher ses points faibles et de réduire en cendres son mythe de l’invincibilité. Le mouvement de solidarité se doit de mettre en avant ces faits héroïques et riches d’enseignements. On ne peut s’en tenir à dénoncer les atrocités de l’armée d’occupation et à appeler au boycott et aux sanctions internationales. Le droit de se défendre par les armes est primordial. Aujourd’hui, les forces militaires de la Résistance palestinienne se coordonnent ponctuellement pour répondre aux agressions de l’occupant mais elles ne partagent pas comme nous allons le voir de stratégie commune de libération de la Palestine depuis l’autodestruction de l’OLP ou son remplacement par l’Autorité Palestinienne à travers les accords d’Oslo en 1993.

La question du soutien au Hamas, la bête noire du moment, est à la fois une question concrète et une question de principe. Les révolutionnaires soutiennent sans ambigüité les forces qui agissent et qui résistent objectivement à l’impérialisme sans pour autant nécessairement partager leurs conceptions. En fait, dans une situation d’oppression, les idées qu’ont en tête ceux qui résistent ne constituent pas la question principale. Ce qui compte c’est ce qu’ils font. Ce qui compte, c’est leur lutte objective. C’est le point de vue du matérialisme historique comme l’a magnifiquement montré Engels dans La guerre des paysans en Allemagne. Il faut participer à cette lutte objective pour influencer le combat dans un sens progressiste ou révolutionnaire. C’est là une des grandes leçons du marxisme.

Nous rappelons donc ici une question de principe. Les révolutionnaires des pays impérialistes soutiennent les soulèvements contre l’impérialisme y compris lorsque leur direction politique effective propage des conceptions erronées. Cette position est celle de l’internationalisme prolétarien. Le mouvement communiste a toujours appelé à défendre ceux qui luttent contre les ennemis des masses populaires y compris en l’absence de mouvement révolutionnaire du prolétariat. Devait-on condamner au XIXème siècle la résistance à la colonisation française en Afrique de l’Ouest dirigé par l’Almamy El Hadj Samory Touré ?  Devait-on condamner Abdelkrim El Katthabi, grand dirigeant de la guerre du Rif dans les années 1920 au Maroc ? Ces deux dirigeants étaient les plus redoutables opposants à la colonisation française dans cette région, mais il n’est pas sûr qu’ils partageaient entièrement les conceptions démocratiques modernes. D’ailleurs, les conceptions « modernistes » des colonisateurs européens ont toujours été un argument phare pour, au nom de la lutte contre l’obscurantisme, exercer la pire domination « civilisée » et même l’extermination des autres peuples.

D’autre part, aujourd’hui en Palestine occupée, le problème principal ce n’est pas le Hamas mais l’Autorité Palestinienne (AP). La mise en place de l’AP a littéralement détruit le mouvement national palestinien et elle signifie le renoncement à tous ses objectifs de libération nationale. Cette situation concrète, apparue clairement depuis 1993, ne permet pas au mouvement de solidarité avec la Palestine de garder le même discours « neutraliste » que dans les années 1980. Toutes les forces qui acceptent le cadre politique et le leadership de l’AP ont rompu avec le programme de libération de la Palestine. C’est pour cette raison précise qu’il ne sert à rien d’opposer aujourd’hui le projet d’une Palestine démocratique (multiconfessionnelle, multiethnique) défendue historiquement par l’OLP au projet islamiste du Hamas. Ce projet démocratique ne correspond pas à la pratique actuelle des forces de l’OLP, y compris de son aile gauche. Si on ne part pas de cette réalité, on vend des illusions.  L’Autorité Palestinienne, mise en place par les accords d’Oslo, a toujours été la négation même de la Palestine libre et démocratique. En effet, l’AP entérine le fait accompli de la colonisation, elle accepte la défaite et elle se construit sur la reconnaissance de la « légitimité » du sionisme. Les accords d’Oslo et les élections palestiniennes sous occupation de 2006 ont créé une grande démoralisation. Les colons sionistes contrôlent 42% de la Cisjordanie et ¼ des Palestiniens de cette zone dépendent des emplois de l’AP. L’AP condamne toute réaction populaire à l’occupation, qu’elle soit armée ou non, elle représente la docilité sans limite de la grande bourgeoisie palestinienne. Ce n’est même pas un semblant d’Etat car il n’y a pas de droit sur l’eau, sur la terre et sur l’espace aérien. L’AP exerce une oppression intérieure. Elle est le bras armé d’une autogestion de la répression par la bourgeoisie compradore palestinienne.

C’est pour cette raison concrète que présenter aujourd’hui sans analyse critique la gauche palestinienne et son mot d’ordre de Palestine démocratique comme une alternative au Hamas est une imposture qui n'aide malheureusement en rien le peuple Palestinien. Cela ne permet ni de comprendre les enjeux actuels, ni de soutenir efficacement la lutte du peuple Palestinien. Certes, les conceptions historiques et les actions de la gauche palestinienne (principalement le Front Populaire de Libération de la Palestine –FPLP- et le Front Démocratique de Libération de la Palestine-FDLP) sont de loin les plus avancées de ce qu’a produit la Résistance palestinienne dans les années 1970 et 1980. Après 1993, il y a même eu des tentatives de construire un nouveau « front du refus » des accords d’Oslo.

Mais aujourd’hui, la pratique principale des forces de la gauche palestinienne c’est leur participation critique aux instances issues des accords d’Oslo et la dilution du combat populaire dans les ONG qui encadrent la population. Ces forces ont majoritairement abandonné la lutte armée, leurs militants sont financés par des ONG qui dépendent de l’impérialisme, elles ont accepté la répression de l’AP contre le Hamas. C’est cette capitulation qu’il faut en premier lieu critiquer. Se servir du mouvement révolutionnaire palestinien des années 1970 pour cacher ce qu’il est devenu ne sert en rien la cause des peuples. Si les masses palestiniennes se sont tournées vers le Hamas c’est pour des raisons concrètes de résistance à l’occupation et non par abandon du beau projet démocratique. En résumé, la force relative du Hamas n’est qu’une conséquence de la capitulation de l’OLP. Il existe certes des tentatives de réunir les factions palestiniennes mais cette unité ne concerne pas un projet de libération globale. Cette situation délétère vient du fait que la solution des « deux Etats » adoptée par les dirigeants de l’OLP depuis 1977 et entériné par la déclaration d’Alger en 1988 a échoué. Et les solutions issues de cette orientation de la bourgeoisie palestinienne ont échoué. Il ne reste aujourd’hui qu’un seul Etat qui recouvre de sa domination totale la Palestine historique. Et pourtant, les forces et la créativité des luttes fait renaître sans cesse de nouvelles possibilités inaperçues. « Toute solution passe par le conflit » disait le dessinateur martyr Naji Al Ali. Il n’y aura pas d’Etat démocratique en Palestine sans démantèlement effectif du sionisme.

La nouvelle guerre contre Gaza montre que c’est encore là-bas que bat le cœur de la résistance d’un peuple qui refuse sa négation. C’est à Gaza que les tournants de la lutte palestinienne ont eu lieu, du moins sur le territoire de la Palestine historique. Ce carrefour historique devenu un vase clos fermé par les sionistes et par le régime égyptien est encore aujourd’hui le centre vivant qui refuse la capitulation. C’est le berceau des pères fondateurs du mouvement national palestinien et des fedayins. Les réfugiés qui vivent à Gaza ont été expulsés de leurs villages et de leurs terres par des colons juifs européens en 1948. Chassés de Ramla, Beersheba, Ashkelon, Isdod, Najd (remplacé par Sdérot aujourd’hui). Ces villes sont ciblées aujourd’hui par des fils des réfugiés qui ne peuvent plus retourner sur la terre natale de leurs parents tandis que tout colon juif venu de n’importe quel pays peut s’y installer en étant sponsorisé. Les tirs de roquettes et les tunnels sont la forme actuelle du droit à se défendre et à survivre des palestiniens. Et ce n’est sûrement pas la dernière.

supernova revue communiste n.5 2024

note
1)Le regroupement des forces combattantes de Gaza se fait depuis 2018 au sein de la « Chambre commune des opérations » (Ghurfatal-mushtaraka). Les forces armées des groupes politiques islamiques (Hamas et Djihad islamique), de la gauche palestinienne (FPLP et FDLP) ainsi que des factions du Fatah détachées de l’arche croulante de l’AP (Autorité Palestinienne) coordonnent leurs actions dans cette structure. La réduction des opérations à un conflit Israël-Hamas fait partie intégrante de la propagande de la guerre. Il nous faut aller à contre-courant et retenir l’unité actuelle des forces combattantes.
2) Depuis quelques années la liquidation de la cause palestinienne a atteint une nouvelle étape par le renoncement au principe de « la paix contre les territoires conquis en 1967 » et la reconnaissance demandée aux forces palestiniennes du droit d’Israël de s’approprier 78 % du territoire de la Palestine historique contre 22% du territoire laissés à une « souveraineté » palestinienne collaboratrice et désarmée. Même ce « deal » totalement défavorable aux Palestiniens n’est plus à l’ordre du jour puisque la colonisation continue, l’annexion rampante de la Cisjordanie et le blocus de Gaza vont de paire avec des accords de « normalisation israélo-arabes. Ces accords signés en 2020 et 2021 par les Emirats, Bahreïn, le Soudan et le Maroc signifient que les états arabes signataires reconnaissent le bienfondé du colonialisme israélien en échange d’entente diplomatique et commerciale. Il s’agit de la suite de la trahison de la cause palestinienne par les bourgeoisies compradores arabes dont les accords de Camp David en 1978 avec l’Egypte puis la Jordanie ont constitué un précédent.
3) Il faut noter que la confrontation déborde largement le traditionnel champ de bataille, avec l’implication outre le Hezbollah du Liban des Houthis du Yémen qui se sont distingués par des tirs de missiles et de drones contre Eilat et des opérations maritimes en Mer rouge, Il y a eu aussi des opérations du groupe Hachd Al Chaabi en Irak contre les bases américaines dans le Nord Est syrien et en Irak, y compris la base aérienne américaine d’Irbil, dans le Kurdistan irakien.
4) La Charte de l’OLP dans sa version de 1968 affirme les points suivants qui seront au cœur des débats dans le mouvement national palestinien. Nous citons les articles 19 à 22. 19. Le partage de la Palestine en 1947 et l'établissement de l'État d'Israël sont entièrement illégaux, quel que soit le temps écoulé depuis lors, parce qu'ils sont contraires à la volonté du peuple palestinien et à son droit naturel sur sa patrie, et en contradiction avec les principes contenus dans la Charte des Nations Unies, particulièrement en ce qui concerne le droit à l'autodétermination.

20. La Déclaration Balfour, le mandat sur la Palestine et tout ce qui en découle sont nuls et non avenus. Les prétentions fondées sur les liens historiques et religieux des juifs avec la Palestine sont incompatibles avec

les faits historiques et avec une juste conception des éléments constitutifs d'un État. Le judaïsme, étant une religion, ne saurait constituer une nationalité indépendante. De même, les juifs ne forment pas une nation unique dotée d'une identité propre, mais ils sont citoyens des États auxquels ils appartiennent.

21. S'exprimant par la révolution armée palestinienne, le peuple arabe palestinien rejette toute solution de remplacement à la libération intégrale de la Palestine et toute proposition visant à la liquidation du problème palestinien ou à son internationalisation.

22. Le sionisme est un mouvement politique organiquement lié à l'impérialisme international et opposé à toute action de libération et à tout mouvement progressiste dans le monde. Il est raciste et fanatique par nature, agressif, expansionniste et colonial dans ses buts, et fasciste par ses méthodes. Israël est l'instrument du mouvement sioniste et la base géographique de l'impérialisme mondial, stratégiquement placé au cœur même de la patrie arabe afin de combattre les espoirs de la nation arabe pour sa libération, son union et son progrès. Israël est une source constante de menaces vis-à-vis de la paix au Proche-Orient et dans le monde entier. Etant donné que la libération de la Palestine éliminera la présence sioniste et impérialiste et contribuera à l'instauration de la paix au Proche-Orient, le peuple palestinien compte sur l'appui de toutes les forces progressistes et pacifiques du monde et les invite toutes instamment, quelles que soient leurs affiliations et leurs croyances, à offrir aide et appui au peuple palestinien dans sa juste lutte pour la libération de sa patrie.