Sujet :

L'organisation politique

Vassine
   Posté le 12-11-2007 à 12:07:34   

Suite à l'extrait de Badiou posté par Armenak:


L'organisation politique

Qu’est-ce que l’Organisation politique ?
2001


1. La situation de notre pays, la France, n’est pas bonne du tout. La politique des gouvernements dans les dernières décennies, qu’elle soit de droite ou de gauche, de Giscard d’Estaing ou de Mitterrand, de Jospin ou de Chirac a quatre caractéristiques. Premièrement, sous prétexte de "nécessité" et de "science économique", elle est au service de la Bourse, des circuits financiers et des profits des actionnaires et des propriétaires. Deuxièmement, elle est hostile aux ouvriers sous prétexte de restructuration, de 35 heures, et de menace du chômage. Troisièmement, sous prétexte de rentabilité, de "modernité" et de "mondialisation", elle est hostile à toute pensée critique, et demande que tous - intellectuels en tête - soient ou apolitiques, ou asservis à l’Etat. Quatrièmement, sous prétexte de paix mondiale, d’Europe et de "droits de l’homme", elle est complètement servile par rapports aux USA et à l’OTAN.


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2. Notre pays, à raison de cette politique gouvernementale, peut se décrire ainsi : capitalisme déchaîné, persécution des ouvriers, en particulier des prolétaires les plus récents, souvent venus d’Afrique, abaissement des intellectuels et de la pensée, absence d’indépendance politique, non seulement nationale, mais aussi européenne et mondiale.


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3. Certains diront : "Vous dites cela, qui est très dur. Mais vous n’êtes pas très nombreux à le dire. Il y a, autour de la politique gouvernementale que vous critiquez si violemment, une sorte de consensus. Les gens, dans l’ensemble, sont d’accord, en tout cas, ils votent aux élections pour Jospin ou pour Chirac. C’est la démocratie. Et puis la situation est bien pire ailleurs."


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4. Nous disons tout d’abord : que la situation soit pire ailleurs n’est vraiment un argument que pour les imbéciles ou les paresseux. Car cela n’empêche en rien qu’elle soit ici fort mauvaise, et qu’il faille absolument la changer. Et qu’ailleurs il y ait des dictatures féroces ne prouve absolument pas qu’il y a ici la "démocratie". Nous démontrerons plus loin que ce n’est pas le cas. Pour dire que la France aujourd’hui est un pays démocratique, il faut une idée tout à fait faible et basse de la démocratie. Une idée qui tient pour rien la pensée politique des gens.


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5. Nous disons ensuite que le nombre ne fait rien à l’affaire. Sur la plupart des problèmes les plus importants dans le passé, le petit nombre, voire le très petit nombre, avait raison contre le consensus du grand nombre. En 1940, une poignée de résistants avait raison contre la résignation pétainiste de la grande majorité. En 1956, une poignée de gens hostiles à la guerre d’Algérie avait raison contre le gouvernement de gauche qui venait d’être largement élu en promettant la paix et déclenchant une guerre à outrance. En général, la majorité numérique a tort, tout simplement parce qu’elle est résignée à une politique qui n’est pas la sienne. Parce qu’elle ne pense pas la politique de façon indépendante, mais suit le pouvoir en place. Toute idée juste, au moment où elle apparaît, est portée par un tout petit nombre de gens. Et pendant longtemps, surtout en politique, l’idée juste, l’idée libre, doit combattre contre les idées qui dominent.


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6. Ce n’est pas une raison pour ne rien faire. La situation est toujours pire quand personne ne fait rien sous prétexte que la majorité est résignée. Nous le redisons : la situation de ce pays sous le gouvernement Jospin et sous la présidence Chirac va du médiocre au très mauvais. Pour l’instant, un petit nombre d’intellectuels militants et de prolétaires nouveaux venus portent, seuls, une autre politique et son avenir. Ils sont l’unique liberté politique véritable de ce pays. La situation serait bien pire s’ils renonçaient.


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7. Nous vous invitons plutôt à augmenter ce petit nombre. Ce qui signifie : partager la pensée et la pratique politiques de ceux qui sont déjà engagés. Dans une distance absolue par rapport à la détestable politique Jospin/Chirac. Et pour mener des batailles politiques victorieuses.


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8. Nous pouvons, nous devons, donner de la puissance à notre politique, lui donner du pouvoir. Ce n’est pas du pouvoir d’Etat qu’il s’agit. Il s’agit cependant d’une puissance tout à fait réelle, à la fois sur nous-mêmes, et sur certaines situations. C’est la puissance, qui est possible, de la pensée des gens sur le pouvoir de l’Etat, qui est un pouvoir aveugle. C’est la puissance de la politique contre le pouvoir de l’Etat.


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9. Il y a toujours plusieurs politiques. Mais en définitive, il y en a de deux sortes. Il y a les politiques qui se font à partir de l’Etat, à partir du pouvoir gouvernemental. Et il y a les politiques qui se font, dans des situations réelles, à partir de la capacité des gens, de ce qu’il pensent, et de ce qu’ils sont prêts à faire avec ce qu’ils pensent.


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10. La politique de l’Organisation politique est de la deuxième sorte. Nous disons qu’elle est une politique "du point des gens", et non du point de l’Etat.


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11. Les politiques qui se font à partir de l’Etat sont obligatoirement organisées en partis, comme le Parti socialiste, le Parti communiste, le RPR, l’UDF, les Verts, le Front national, la Ligue communiste révolutionnaire, Lutte ouvrière, etc. Le parti est nécessaire pour mener des campagnes électorales, pour conquérir et négocier des places de pouvoir dans le gouvernement, ou dans l’Etat, pour monter des alliances, y compris dans l’opposition.


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12. Une politique qui se fait à partir des gens, à partir de l’idée que les gens pensent, est organisée (la politique est toujours collective et organisée). C’est pourquoi il y a l’Organisation politique. Mais ce n’est pas un parti. Nous ne cherchons en effet aucune place de pouvoir, ni une place dans l’opposition qui attend de remplacer le pouvoir en place. Nous ne nous présentons jamais à aucune élection. Nous travaillons dans des situations réelles, comme les foyers ouvriers, ou les usines, ou certaines situations internationales, ou certains débats d’opinion. Dans ce travail, chacun parle en son nom, et la politique est en partage. Ce qui veut dire que ce n’est pas l’Organisation qui est la source de la politique. Dans chaque cas il y a des décisions collectives, qui ne sont pas les conséquences d’un programme, d’une stratégie électorale, mais qui sont créées par la discussion politique elle-même. Il s’agit en effet de découvrir dans la situation des possibilités inconnues, et d’en faire le mot d’ordre politique du moment. Et ce travail (découverte d’une possibilité, mise en forme de son contenu, action réfléchie pour sa réalisation) est le travail de tous ceux qui participent au processus, de tous ceux qui désirent se mêler de la situation.


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13. Au fond, toutes les politiques qui se font à partir de l’Etat, et non à partir des gens, forment une seule et même idée de la politique, que nous appelons le parlementarisme. Cette idée est que le seul moment où les gens participent vraiment à la politique est l’élection, du président, des députés, des maires, etc. Parce que le cœur de la politique, ce sont les places de pouvoir. Les gens sont tout au plus consultés de ci de là, surtout au moment des élections, mais on leur refuse la décision, parce qu’on leur refuse la pensée politique, et donc la capacité politique. Cette capacité n’est accordée qu’aux femmes et hommes des partis, aux politiciennes et politiciens. Le parlementarisme est ainsi une politique mutilée, une politique qui éloigne l’écrasante majorité des gens de toute décision collective sur leur propre vie publique.


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14. Les militants de l’Organisation politique ne se présentent à aucune élection et ne votent pas, parce que c’est une façon claire de montrer qu’ils sont absolument en dehors de la distribution des places de pouvoir dans l’Etat. En ce sens, notre politique est bien sûr opposée à celle du parlementarisme. Mais nous voulons surtout que dans des situations réelles, et autour des possibilités nouvelles et enthousiasmantes que le travail de pensée politique dégage dans ces situations, le plus de gens possible s’associent et agissent. Parce que notre politique n’est pas une politique de parti, elle est extrêmement ouverte. Si quelqu’un partage notre politique sur un point, qu’il vienne, qu’il décide, comme tout autre. Pour être un militant de l’Organisation politique, la condition première, et finalement unique, est d’être un militant de la politique de l’Organisation politique, là où cette politique existe.


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15. Certains, tout en pratiquant le parlementarisme (partis, programmes, élections, places de pouvoir etc.), tout en votant "à gauche" chaque fois qu’on le leur demande, estiment qu’il sont des "révolutionnaires", ou qu’ils sont "la gauche de la gauche", parce qu’ils s’opposent à telle ou telle décision des gouvernements de la gauche plurielle, de Jospin, Hue, Chevènement et Voynet. Nous appelons cette attitude l’attitude "oppositionnelle". Un oppositionnel proteste tous les jours contre la politique des partis parlementaires, tout en refusant absolument de rompre avec le parlementarisme. Dans l’opinion, en particulier chez nombre d’intellectuels, cette attitude oppositionnelle est très répandue. Elle permet d’être très radical en paroles, tout en respectant les règles du jeu "démocratique", c’est-à-dire la règle de distribution des places de pouvoir.


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16. L’Organisation politique n’est pas une organisation oppositionnelle, elle n’est pas à la gauche de la gauche, ni à l’extrême gauche. Il est à notre avis impossible de s’opposer à une politique de l’intérieur de cette politique. On ne peut pas faire une politique à partir de la pensée des gens, tout en continuant à penser et à agir dans le cadre de la politique de parti, de la politique faite à partir du pouvoir et de l’Etat. Si sur un point vous voulez vous opposer à la politique du gouvernement, il faut déployer sur ce même point une autre politique, et non pas être un oppositionnel. Si, par exemple, le gouvernement Jospin refuse de régulariser les ouvriers sans papiers, on ne va pas passer son temps, au nom d’une "gauche" imaginaire, à le lui reprocher. On ne va pas le menacer de ne plus voter pour lui. On ne va pas s’allier, dans les partis, aux manœuvres des ennemis parlementaires de Jospin. On va directement organiser, à partir de la pensée des ouvriers sans papiers et de leurs amis, la politique qui dit "des papiers pour tous les ouvriers", ou "celui qui travaille ici est d’ici", ou "il faut une nouvelle régularisation sans conditions ni critères". Le but est de constituer en situation la puissance de cette politique. Une puissance politiquement libre, totalement indépendante, et dont tous les acteurs politiques, y compris le gouvernement, devront inévitablement tenir le plus grand compte.


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17. Un énoncé de notre politique, qui est la mise en forme d’une possibilité nouvelle dans la situation, nous l’appelons une prescription. Pourquoi ? Parce que c’est une exigence que nous adressons à tout le monde. Aux gens pour qu’ils la fassent leur, et entrent dans la politique qui agit en conséquence ; aux politiciens du pouvoir ou de l’Etat pour qu’ils changent leur façon de faire. Quand nous disons par exemple : "Il faut une nouvelle régularisation de tous 6 les ouvriers sans papiers", c’est à la fois adressé à tous ceux qui peuvent partager cette exigence et en devenir des militants, et au gouvernement, aux partis, pour qu’ils reviennent sur leurs positions réactionnaires. Nous disons ainsi ce qu’est pour nous un Etat démocratique ! : un Etat qui compte tout le monde, y compris les ouvriers, au lieu de les jeter dans le non-droit, le fichage et la rafle. Nous "prescrivons sur l’Etat", ce qui signifie : ce que nous disons et organisons, puisqu’il s’agit d’une possibilité, pourrait être aussi une façon de faire de l’Etat. Notre politique prescrit l’Etat depuis la pensée des gens, depuis ce qui est extérieur à l’Etat. Et c’est la bonne façon de faire, celle qui permet à n’importe qui d’exercer une capacité politique. Et aussi de partager, et donc de créer, non seulement une nouvelle idée de la politique, mais, à travers elle, à partir d’elle, et du dehors, une nouvelle idée de l’Etat, sur tel ou tel point qui décide si l’Etat est démocratique ou non.


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18. En général, il y a toujours un point principal qui décide si la politique du gouvernement est démocratique ou non. Par exemple, à l’époque de la guerre d’Algérie, le point était de savoir si on soutenait ou si on s’opposait absolument à la guerre coloniale. Tous les autres points, comme les réformes sociales, étaient subordonnés. Après Mai 68, le point était de savoir si on militait ou non pour une liaison politique directe des jeunes intellectuels et des ouvriers et des gens du peuple, dans les usines et les quartiers. Tous les autres points, comme la liberté sexuelle ou la réforme de l’Université, étaient absolument subordonnés. Aujourd’hui, le nombre de femmes qui sont ministres ou le nombre de pistes cyclables dans le douzième arrondissement de Paris, cela peut être des revendications intéressantes. Mais ça ne fait pas avancer d’un pouce la démocratie, si par ailleurs on ne fait rien pour que les ouvriers proscrits de tout droit aient leurs droits. Celui qui ne fait rien, ne dit rien, sur les centaines de milliers d’ouvriers privés de tout droit est discrédité quant à la démocratie. C’est là le point central de toute détermination démocratique de l’Etat. C’est comme ça.


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19. Par exemple, que la politique est une activité entièrement désintéressée, qui, comme toutes les formes de la pensée libre, a sa fin en elle-même ; qu’il ne faut jamais entrer dans la servilité à l’égard du pouvoir ; que la démocratie revient à ce que les pouvoirs comptent tout le monde, et singulièrement les derniers venus dans le pays, c’est-à-dire les ouvriers d’origine étrangère ; que personne ne représente personne, et que donc chacun parle en son nom ; que le seul attribut commun reconnu à ceux qui s’engagent dans la politique étant la possibilité de penser les situations, il n’y a aucune détermination objective particulière de la volonté militante. Pas de détermination racialiste bien sûr, pas de détermination sexuelle bien sûr, mais pas non plus de détermination sociale. Lorsque nous disons qu’il faut reconstruire en politique une figure ouvrière, quand nous constatons que tous ceux qui ne le font pas, ou ne le font plus, contribuent à la réaction générale et à la servilité capitaliste et parlementaire, nous ne voulons pas du tout dire que les ouvriers sont un sujet politique prédestiné. L’époque de la « classe ouvrière » et de son Parti comme sujet émancipateur est certainement révolue. Nous voulons seulement dire que si, dans le champ général de la politique, on absente le mot « ouvrier », les conséquences sont inévitablement, pour tout le monde, ouvrier ou pas, totalement néfastes. En ce sens, l’idée de figure ouvrière est, elle aussi, un principe.


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20. Dire que l’Organisation politique a des principes ne veut pas dire qu’elle prétend pouvoir faire de la politique sur toutes choses. Bien au contraire. La politique existe dans des processus politiques, eux-mêmes articulés sur des situations dont on a tiré, par enquête militante organisée et actions expérimentales de toutes sortes, une nouvelle possibilité. Les conditions matérialistes de la politique sont donc, en termes d’intervention et de pensée collective, très astreignantes. C’est une maladie oppositionnelle, au sens du paragraphe 15, que de s’imaginer que le bavardage hargneux sur tout ce qui se passe fait partie de la politique. La politique est une activité de pensée qui, le plus souvent, suppose des trajets, des déplacements, des ruptures mentales, tout à fait singuliers. Aujourd’hui, l’Organisation politique a une politique déployée sur la question, absolument cruciale pour toute conception positive de la démocratie, des ouvriers sans papiers. Elle a eu, entre 85 et 95, une politique indiscutable sur le doublet ouvrier-usine, et elle en cherche actuellement les nouveaux termes. Elle intervient sur la scène mondiale, en bilan notamment des guerre d’Irak et de Serbie, sur une ligne qui identifie les formes actuelles de l’impérialisme, et propose la dissolution de l’OTAN. Sur le Chiapas et la Palestine aussi. Tenir ces points est à soi seul une vaste entreprise. Nous essayons en ce moment de trouver la voie sur deux questions encore l’école, à partir du principe "un enfant, un élève", et le logement ouvrier et populaire, à partir du principe "la ville pour tous".


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21. Lorsqu’on a enfin trouvé, sur un point, la bonne voie politique, cela se voit concrètement, matériellement : apparaissent de nouveaux endroits où on discute, où on décide, où des gens que ne faisaient pas de politique se mettent à penser et à agir collectivement. Nous appelons cela des lieux politiques. Il y a des lieux politiques nouveaux à chaque fois qu’une politique faite à partir des gens se met à exister. Par exemple, notre politique concernant la régularisation des ouvriers sans papiers a été créatrice d’un nouveau lieu : le Rassemblement des collectifs des ouvriers sans papiers des foyers et de l’Organisation politique. Dans des dizaines de foyers, il y a un collectif. Et ces collectifs se réunissent, selon le principe : "vient qui veut", dans le Rassemblement, qui décide, après de larges discussion méthodiques, les étapes de la politique et les actions à mener (manifestations, meetings, délégations, etc.). Ce lieu - comme tous les lieux politiques véritables - est démocratique au sens fort. Chacun peut parler, chacun est partie prenante de la décision. Il n’est pour cela besoin ni de délégation ou représentation, puisque vient qui veut,(les collectifs n’ont pas de délégués), ni de vote. Au cours d’une discussion, ou bien il y a une décision, qui est évidente pour tous, ou bien tous sont d’accord qu’il faut encore chercher, pour être en mesure de décider.


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22. C’est en ce sens que nous avons animé le mot d’ordre ! : "faire de l’usine un lieu politique". Et nous y sommes parvenus pendant quelques séquences, comme à la Steco à la fin des années quatre-vingt, ou au moment de la fermeture de l’usine Renault de Billancourt, entre 1990 et 1993. Il y a eu à ce moment ce que nous appelions "les rendez-vous de Billancourt" : le lieu était constitué devant l’usine, avec des ouvriers de l’usine, des militants de l’Organisation politique, de gens de toutes sortes.


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23. Le lieu politique est la preuve matérielle de l’existence d’une politique. Et quand il s’agit d’une politique du point des gens, ce lieu est totalement en dehors de l’Etat, de ses appareils, de ses institutions. C’est un lieu libre et inventé.


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24. La politique a une sorte de rareté : elle existe toujours par séquences, qui ont un début et une fin. La fin, c’est quand le lieu cesse d’exister. L’Organisation politique assure le lien entre plusieurs séquences, et donc le lien entre plusieurs lieux, simultanés ou successifs. C’est pourquoi nous devons dire que toute politique libre connaît plusieurs lieux. Il y a multiplicité des lieux dans notre politique. Au fond, le lieu politique fait exister matériellement un possible de la situation.


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25. Mais quand la politique se fait du point de l’Etat, elle mutile et supprime la multiplicité des lieux, au profit de l’unicité du lieu de pouvoir. Dans la politique stalinienne, cet unique lieu était le Parti. Dans la politique parlementaire, cet unique lieu est l’Etat lui-même. Les partis parlementaires, la gauche et la droite, c’est un faux multiple, qui ne renvoie nullement à des choix politique véritables. Les partis sont des appendices de l’Etat. Admettre la multiplicité des possibles non-étatiques, et construire les lieux appropriés,voilà la puissance de notre politique. Elle suppose une libre association dans une certaine idée de la politique, et le partage de ses lieux. Voilà la fonction de l’Organisation politique.


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26. Les partis sont organisés à partir de l’Etat. Ils sont donc dirigés par ceux qui vont prétendre à des fonctions dans l’Etat. Ils n’ont là-dessus aucune autonomie. Le dirigeant national, c’est le futur candidat à l’élection présidentielle. Le dirigeant local, c’est le candidat à la mairie d’une grande ville, ou à la députation. Les "grosses pointures" du parti, ce sont les ministres, ou encore ceux qui ont la langue bien pendue, et qu’on envoie aux débats publics et filmés. Ou alors ce sont les oppositionnels médiatiques, qui vitupèrent le gouvernement à la télévision. Même le plus petit groupuscule oppositionnel, trotskiste ou autre, s’organise autour des élections, des postes syndicaux, de la présence dans les media. C’est à dire autour des miettes laissées, aux marges des grosses machines parlementaires, par l’Etat.


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27. L’Organisation politique est organisée à partir de sa politique, et donc à partir des situations où les gens pensent et déclarent, et à partir desquelles peut s’envisager la démocratie d’un lieu. Comme chacun parle en son nom, chacun mesure aussi ce qu’il fait, étant entendu que notre principe est qu’il faut assumer les conséquences de ce qu’on déclare faire. Autrement dit, un militant de l’Organisation politique est dans la discipline de sa pensée et de ses conséquences dans la situation, et non dans la discipline formelle de l’Organisation. Nous ne sommes pas un parti, ni parlementaire, ni stalinien. Si quelqu’un écrit un tract, c’est qu’il est convaincu de la nécessité de ce tract. Il le discute et le distribue. Et s’il prend la parole dans une réunion d’ouvriers (il est du reste peut-être lui-même un ouvrier), c’est qu’il pense que sans sa prise de parole, quelque chose aurait manqué quant au résultat politique de la réunion.


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28. Les tâches sont nombreuses, variées, flexibles. On peut accompagner un sans-papiers à la préfecture, on peut être partie prenante des réunions d’un collectif de foyer, on peut écrire dans le journal, on peut intervenir dans les situations d’usine, être actif dans l’organisation des manifestations, monter une rencontre internationale, écrire une affiche, protester devant une préfecture, expliquer une idée de la politique... Dans tous les cas, on doit penser pourquoi on le fait, le raccorder à quelques principes, et se dire qu’il faut faire avancer à la fois la politique en situation, et l’idée qu’on se fait de la politique.


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29. Une réunion véritable est une intelligence en acte. On ne sait pas avant la réunion ce qu’elle sera capable de présenter et de décider. D’une réunion politique véritable, on sort grandi et habile.


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30. Dans tous les partis, il y a une organisation qui va de la "base" vers le "sommet". Il y a des sections, des fédérations, un comité national, un secrétariat, etc. Dans l’Organisation politique il y a des processus politiques singuliers, ceux dont nous avons parlé. Un militant de l’Organisation politique choisit librement le (ou les) processus dans lequel il mène des enquêtes, se lie aux gens, convoque des réunions, propose des objectifs, etc. Chacun peut aussi suggérer un processus nouveau, dans le cadre de l’idée que nous nous faisons de la politique.


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31. Il y a aussi un journal, la Distance politique. "Distance" veut dire que nous construisons notre pensée à distance du pouvoir, à distance de l’Etat.


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32. Notre liberté, peut-être la vôtre, est cette distance.


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Note historique
L’Organisation politique a été fondée publiquement en 1985, par un meeting à la Mutualité qui précisait sa nouveauté, à la fois en ce qui concerne l’idée de la politique et les différents engagements militants.

Ceux qui ont fondé l’Organisation politique avaient déjà une longue expérience. Ils avaient en effet d’abord partagé l’expérience de l’UCFML (Union des Communistes de France Marxiste-Léniniste), elle-même créée en 1970, au cœur des "années rouges" qui virent, dans la décennie 1965-1975, et à échelle mondiale, se développer l’idéologie révolutionnaire sous toutes ses formes.

Dans cette généalogie, l’UCFML faisait certes partie de la "mouvance" maoïste, qui reconnaissait l’importance primordiale en politique du mouvement de masse, et singulièrement de la liaison directe entre intellectuels, ouvriers et gens du peuple, telle que depuis Mai 68 elle avait été largement expérimentée. Mais l’UCFML suivait une ligne absolument originale, ce qui explique qu’elle ait pu, quand tous les autres abdiquaient et se ralliaient au capitalo-parlementarisme, poursuivre, fût-ce dans des inventions et des renouvellements de grande envergure, un processus politique indépendant. En effet, dès le début des années soixante-dix, l’UCFML s’est opposée aux deux organisations "maoïstes" les plus connues. Elle a pris ses distances tant par rapport à la ligne tapageuse, médiatique et opportuniste, de la Gauche prolétarienne, qui promettait le pouvoir tout de suite, qu’à la ligne conservatrice et mortifère du PCMLF, qui ne voulait que refaire le PCF des années trente. Aussi étions nous prêts à traverser, nous accrochant à la moindre aspérité, restant aux portes des usines, déployant une forte intellectualité, les sinistres années quatre-vingt, qui virent les intellectuels "révolutionnaires" de la décennie précédente s’aplatir devant Mitterrand.

Aujourd’hui toutefois, il ne s’agit que d’évaluer ce que nous sommes, ce que nous pensons, ce que nous faisons. Quand il s’agit de juger une politique, son histoire est un élément important, mais jamais essentiel. Une politique se pense et se juge à partir d’elle-même. Ce qui compte est le présent de l’Organisation politique, et ce que, dans la situation, elle discerne de possibilités par tous les autres inaperçues.


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