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Xuan
Pour comprendre la révolution française, deux livres indispensables :

Finimore
Lu dans L'Humanité du vendredi 5 avril 2013

http://www.humanite.fr/tribunes/guillaume-mazeau-discrediter-la-revolution-sert-ec-519487
l'Humanité des débats. L'entretien

Guillaume Mazeau « Discréditer la Révolution sert à écarter des politiques égalitaires »

Guillaume Mazeau appartient à cette jeune génération d’historiens attentive à la portée politique des usages de l’histoire. Avec Jean-Luc Chappey, Bernard Gainot, Frédéric Régent et Pierre Serna, tous membres de l’Institut d’histoire de la Révolution française, il a participé, l’an dernier, à l’ouvrage collectif Pour quoi faire la révolution, qui explore la dimension de laboratoire du politique de cette séquence historique fondatrice.

Pour la première fois, le Front national et l’UMP ont présenté ensemble une proposition de loi. Celle-ci vise à la reconnaissance du «génocide vendéen». En quoi la criminalisation de la Révolution française peut-elle jeter des ponts entre la droite et l’extrême droite ?

Guillaume Mazeau. La Révolution française reste un marqueur politique. La demande de reconnaissance du «génocide vendéen» n’est pas nouvelle, elle s’exprime régulièrement. Mais elle s’inscrit aujourd’hui dans un processus de recomposition politique, au carrefour de la droite et de l’extrême droite. Cette proposition de loi traduit une alliance entre le Front national et une frange de l’UMP. Elle relève d’une instrumentalisation de la mémoire et de l’histoire.

Pourquoi récusez-vous, comme historien, ?la notion de «génocide» pour cette séquence historique ?

Guillaume Mazeau. Le génocide définit l’extermination massive d’une population en raison de son origine ethnique. Il faudrait déjà prouver, pour parler de «génocide», que les Vendéens sont une population ethniquement distincte du reste de la population française, ce qui semble pour le moins hasardeux. Ceux qui défendent cette notion de génocide, s’agissant des Vendéens, tirent souvent leurs affirmations des discours de l’époque révolutionnaire. Or, comme historiens, nous savons qu’il est indispensable de faire la part des choses entre les discours parfois marqués par la surenchère et la mise en œuvre des politiques. En Vendée, pendant l’an II, se sont produits des massacres de masse. On peut parler de dévastation, ou de massacres de masse, mais en aucun cas de génocide. Évidemment, aucun mal n’était fait aux Vendéens républicains.

Pourquoi la Révolution française, comme l’histoire coloniale, est-elle sujette à ces réécritures obéissant à des logiques partisanes ?

Guillaume Mazeau. La Révolution française est réécrite, instrumentalisée. Pas seulement par l’extrême droite. Je pense à toute la galaxie «antitotalitaire» rassemblant d’anciens communistes ou d’anciens militants de l’extrême gauche et d’autres qui, par rejet, par haine du communisme, révisent l’histoire de la Révolution française jusqu’à réintroduire une historiographie d’extrême droite.

Cette révision de l’histoire de la Révolution française vise-t-elle à disqualifier tout projet contemporain d’émancipation ?

Guillaume Mazeau. C’est certain. Le passé sert aussi à agir sur le présent. Discréditer l’héritage de la Révolution française peut servir à écarter des politiques égalitaires pour aujourd’hui. Dire que la Terreur n’a été que mort, violence et déclin, en oubliant toute la pensée sociale de la Terreur, même si elle est restée largement en chantier et qu’elle s’est accompagnée de politiques répressives, c’est tout jeter avec l’eau du bain.

Vous évoquez dans ce livre la fabrication de la Terreur comme mythe, avec la diabolisation de la figure de Robespierre. Comment s’est bâti ce mythe ?

Guillaume Mazeau. Les bases de ce mythe furent jetées lorsque certains hommes politiques, pendant l’été 1794, ont voulu se débarrasser de Robespierre, pour se maintenir au pouvoir eux-mêmes et stabiliser la Révolution, c’est-à-dire la modérer. Dès avant la mort de Robespierre, les contre-révolutionnaires et les Girondins l’ont accusé d’avoir mis en place une dictature centralisée à Paris, avec le Comité de salut public. Ils ont fini par baliser une période de deux ans, de 1793 à l’été 1794, qui se serait traduite par une politique concertée, planifiée et systématique de violence et de répression et l’ont baptisée «la Terreur». Le mythe a opéré assez rapidement : les mots terreur, terroriste existaient depuis l’Ancien Régime. Ce mythe a réuni les détracteurs de Robespierre et les contre-révolutionnaires. Il reste, encore aujourd’hui, largement répandu.

Est-ce dans ce processus de fabrication du mythe que la Terreur thermidorienne est tombée dans l’oubli ?

Guillaume Mazeau. Oui, si l’on dit que la Terreur s’est perpétuée seulement jusqu’en 1794. Pourtant ce que l’on appelle «la terreur blanche» s’est caractérisée, par la suite, par des massacres perpétrés par les royalistes pour se venger des anciens Jacobins. La guerre civile a donc continué bien après la «Terreur».

Pour vous, la Terreur fut aussi un laboratoire de modernité politique. Qu’ont expérimenté, sur le plan politique, les hommes de l’an II ?

Guillaume Mazeau. Lorsque je parle de modernité politique, mon objectif n’est pas de réhabiliter la Terreur. Un laboratoire est précisément le lieu d’expérimentations. Celles-ci furent très contrastées. Modernité n’est pas mécaniquement synonyme, ici, de progrès. C’est une modernité contradictoire, avec des expériences de progrès social très avancées, doublées de violences de masse. Des politiques pensées et mises en œuvre auparavant, sous l’Ancien Régime ou dans d’autres pays, ont été transposées à l’échelle nationale entre 1793 et 1794. Je pense aux politiques d’égalité, d’obligation et de gratuité scolaires, d’aide aux pauvres. Au mois de février 1794, est aussi votée la première abolition de l’esclavage. Pour la première fois, on tente de construire la nation non pas par le haut, par la volonté du roi comme sous l’Ancien Régime, ou par les élites révolutionnaires, mais en prenant la nation par sa définition la plus humble, en partant des plus fragiles et des plus faibles. Avec des mesures très concrètes, comme la fixation d’un maximum pour les prix et les salaires.

Vous définissez aussi la terreur comme un moment clé dans la genèse du principe de laïcité. Comment les révolutionnaires ont-ils pensé ce principe ?

Guillaume Mazeau. Ils ont, les premiers, construit le principe de laïcité, de mise à distance de l’Église et de la religion par rapport à la sphère publique et à l’État. En reprenant, d’abord, des réformes déjà tentées ailleurs en Europe par les «despotes éclairés». Cette politique se traduit d’abord par la tolérance religieuse et l’abandon de la religion d’État en 1793. On représente toujours les hommes de l’an II comme des antireligieux, des athées : il n’y a rien de plus faux, leur politique n’était pas proprement dirigée contre la religion. Les références religieuses restent omniprésentes, Marat est ainsi vu comme le nouveau Jésus, mais un Jésus qui serait le premier des prolétaires. Il y a là une laïcisation des symboles religieux. En dépit de la répression qui frappe les réfractaires, la liberté des cultes reste importante. L’effacement systématique des signes religieux dans l’espace public ne prend pas la forme d’une opération sauvage, violente et brutale. Cette «déchristianisation» est majoritairement conduite de façon concertée, négociée. Bien sûr, cette séquence ne fut pas exempte de débordements imputables à des groupes radicaux difficilement contrôlables en période de guerre civile. Mais il faut surtout retenir la mutation fondamentale que fut le recul du pouvoir politique et idéologique de l’Église.

Cette laïcisation va de pair avec une forme de spiritualité portée et assumée par la Révolution. On peut par exemple évoquer le culte de l’Être suprême. À quoi cela correspondait-il ?

Guillaume Mazeau. Même en 1793 et 1794, dans sa version la plus laïque, la Révolution reste empreinte de spiritualité. La plupart des révolutionnaires essaient plutôt, dans la lignée d’un Rousseau, d’inventer une sorte de religion civique. Ainsi naît, par exemple, le culte de la déesse Raison. Il s’agissait d’utiliser le lien religieux, toujours présent, à des fins civiques, pour bâtir la nation sur le socle de la République. Cela rejoint la démarche de certains prêtres du bas clergé, qui veulent depuis longtemps rendre la religion plus utile, en faire une sorte de service public. Dans ce contexte, les vues de Robespierre sont singulières. Lui vient à la religion par pragmatisme. Il sait parfaitement que l’attaque frontale contre la religion, les prêtres, n’est pas le meilleur moyen de faire adhérer les Français, encore massivement catholiques, à la République. Mais il y a aussi chez Robespierre une forme de croyance, une sorte de foi républicaine qui explique sa volonté de fonder un nouveau culte, inspiré du déisme. Le culte de l’Être suprême apparaît en mai 1794. Robespierre est assez isolé dans cette tentative, qui déplaît à une partie des Montagnards et des radicaux. Les anticléricaux, les athées comprennent mal cette politique. C’est ainsi que Robespierre est représenté en grand prêtre de la Révolution, ce qu’il n’a pas cherché à devenir. Au contraire, personne ne s’est plus effacé personnellement que Robespierre, qui a toujours refusé le culte de la personnalité, le pouvoir personnel. Avec ce culte républicain, ces fêtes honorant un dieu désincarné, il cherchait plutôt un moyen d’éviter les excès de l’ancienne religion. Surtout, ces cérémonies étaient destinées à souder la communauté des citoyens autour de la mémoire des martyrs de la République. Le culte républicain de la IIIe République s’inscrira plus tard dans cette tentative.

Par quelles nouvelles pratiques se traduit ?cette volonté de transformer la religion ?

Guillaume Mazeau. C’est à ce moment que naissent des formes laïcisées de pratiques chrétiennes, comme le baptême républicain. On s’appuie alors sur des évolutions de la religion chrétienne déjà engagées au XVIIIe siècle.

Il y a aussi cette construction d’un État civil, avec une mise à distance du militaire. Comment était-ce possible, en temps de guerre ?

Guillaume Mazeau. Ce processus est enclenché dès le début de la Révolution. Il s’accélère à partir de l’entrée en guerre, au printemps 1792. L’obsession des révolutionnaires, et surtout des républicains, à partir de septembre 1792, est d’éviter l’instauration d’une dictature militaire, dans un contexte de guerre civile et de fragilité du nouveau régime. Ils ont en tête l’expérience républicaine anglaise du XVIIe siècle, avec Cromwell. Il s’agit d’éviter toute personnalisation du pouvoir, en renforçant la centralité législative au détriment du pouvoir exécutif. La difficulté porte alors sur le contrôle de l’armée, constituée, sous l’Ancien Régime, de cadres nobles. Dans les représentations d’alors, les héros militaires, comme le maréchal de Saxe, Turenne, étaient placés en haut de l’échelle sociale. Sous la Révolution, pour mettre l’armée au service de la nation, on l’épure. De nombreux officiers, des généraux sont destitués. L’armée est réformée, avec l’arrivée de volontaires venus de la société civile. On espère ainsi casser les fidélités envers les généraux pour éviter la prise de pouvoir de l’un d’entre eux. On profite aussi de la trahison de quelques généraux, comme Dumouriez ou Custine, pour mettre l’armée sous surveillance. Se met en place tout un arsenal, pour mettre l’institution religieuse, comme l’institution militaire, au service de la société. Ce n’est ainsi pas un hasard si c’est la prise de pouvoir d’un général, Napoléon Bonaparte, qui met un terme à l’expérience républicaine.

Cette séquence historique est aussi celle de l’intégration à la République de populations jusque-là tenues à l’écart de la citoyenneté, comme les juifs, les immigrés, les comédiens. Comment s’est organisé ce processus ?

Guillaume Mazeau. Ce processus d’intégration de ceux qui étaient tenus dans une infra-citoyenneté a connu plusieurs étapes. De 1789 à 1792,?domine la volonté de construire une révolution modérée, dans le cadre d’une monarchie, autour des élites révolutionnaires. Les pauvres, les esclaves, les marginaux restent alors tenus à l’écart de la participation démocratique. Cela suscite des frustrations. Paradoxalement, pour les femmes, c’est l’âge d’or. Elles s’expriment, écrivent des pétitions, manifestent, fondent des clubs. Les dames de la Halle, en octobre 1789, organisent une grande manifestation, revendiquent leur droit d’être des actrices politiques à part entière. Elles occupent même l’Assemblée la nuit du 5 au 6 octobre. Mais en 1793, on assiste à une sorte de «virilisation» de la Révolution. Les femmes deviennent suspectes, on leur demande de se cantonner au rôle de bonnes mères formant de bons républicains. On exclut donc les femmes, mais on fait entrer dans le jeu politique d’autres exclus, en essayant de penser la citoyenneté par le bas, avec l’institution du suffrage universel masculin. L’émancipation des juifs, elle, s’est faite auparavant, non sans certains obstacles dans l’est, où s’expriment plutôt des revendications communautaires. Cette intégration politique des exclus connaît son apogée sous la Terreur. Brève expérience de participation des mouvements populaires, qui prend fin en 1794, avec le retour d’une République resserrée autour de ses élites.

Laboratoire du politique À la faveur des soulèvements populaires dans le monde arabe, le mot «révolution» a fait un retour dans notre vocabulaire et il semble bien loin, le temps de la «fin de l’histoire». En France, le mot fait sens et résonne de façon singulière, renvoyant à un legs historique malmené par certaines lectures révisionnistes. Dans un ouvrage collectif (1) cinq historiens de l’Institut d’histoire de la Révolution française (Paris I-Sorbonne) interrogent ce phénomène historique qui, à intervalles réguliers, pousse des peuples à faire irruption pour contester l’ordre existant. Loin des réécritures faisant de la Révolution française une expérience «totalitaire», ?ils invitent à explorer ce «laboratoire du politique» où s’est expérimentée une «politique des égaux». Sans en éluder les limites et les échecs, ils mettent ?en lumière la rupture que constitua l’entrée, sur la scène politique, d’acteurs qui étaient jusque-là tenus à l’écart de toute citoyenneté. L’expérience républicaine fut avant tout, nous disent-ils, une expérience inédite de participation politique populaire.

(1) Pour quoi faire la révolution, Jean-Luc Chappey, Bernard Gainot, Guillaume Mazeau, Frédéric Régent et Pierre Serna, Éditions Agone, 2012, 15 euros.

Entretien réalisé par Rosa Moussaoui


Edité le 09-04-2013 à 09:18:34 par Finimore


Xuan
En 1789, l’histoire bascule
Un tel phénomène dans l’histoire du monde ne s’oubliera plus (le conflit des facultées)



sur le site faire "vivre et renforcer le pcf"
vendredi 22 mars 2013
par Gilbert Remond


[introduction au débat du 16 mars à "l'improbable" avec Eric Hazan , pour son livre histoire de la révolution française ]


Tout le monde s’accorde à le dire, en 1789, l’histoire bascule. À cette époque, la France vivait dans le cadre de ce que l’on appelait l’ancien régime. La société était d’essence aristocratique. Elle avait pour fondement le privilège de la naissance et la richesse foncière.

Or, cette structure entrait en contradiction avec celle, naissante, de l’économie et du commerce. La révolution, conduite par la bourgeoisie, détruira l’ancien système de production et les rapports de production qui en découlaient en s’appuyant sur les mobilisations populaires, issues des graves problèmes de subsistance provoquées par la crise et la violence des réactions aristocratiques, elles-mêmes entraînées par les pressions d’un état en faillite, qui cherchait à épurer une dette publique de plus de quatre milliards de francs.

Cette révolution ruina l’ancienne classe dominante ainsi que les fractions de la bourgeoisie qui, à des titres divers, étaient intégrées dans la société d’ancien régime. Elle permit la destruction des structures féodales. Enfin par la proclamation de la liberté économique, elle balayait le terrain devant le capitalisme dont elle accélérait l’évolution en favorisant un mouvement de concentration des entreprises.

Pendant que se transformait les conditions matérielles de la vie sociale, la structure des classes populaires traditionnelles s’altérait. Or s’il ne faut pas exagérer les progrès de la production capitaliste pendant la période considérée, il n’en reste pas moins qu’elle contribuait à réunir les conditions qui transformeront la grande masse des sans-culottes, cette catégorie du peuple regroupant artisans, compagnons et ouvriers des manufactures, en prolétariat.

Au final la révolution, sous la direction de la bourgeoise, livrait les classes populaires sans défense aux dirigeants des formes nouvelles de l’économie. N’empêche, la résistance de l’aristocratie, la guerre civile et la guerre étrangère obligèrent la fraction révolutionnaire de la bourgeoisie à pousser jusqu’au bout l’œuvre de destruction de l’ancienne société.

Il lui fallut pour y parvenir, s’allier aux classes populaires, porter au premier plan le principe de l’égalité d’abord invoqué à l’encontre de l’autocratie. Il en a résulté un bilan contrasté, car si la révolution est à l’origine de la société et de l’état bourgeois, elle a aussi esquissé pendant la période de l’an II, un État démocratique et une société égalitaire, le régime de cette période lui apportant un contenu social qui intégrait véritablement les classes populaires dans une nation unie.

La constitution de 1793, votée le 24 juin sur le rapport de Hérault de Séchelle, en fixait les traits essentiels ; elle précisait par exemple "le but de la société est le bonheur commun, elle affirme les droits au travail, à l’assistance à l’instruction" (art 21), ou encore "les secours publics sont une dette sacrée, la société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler" (art22), ou encore "l’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique et mettre l’instruction à la porté de tous les citoyens" .
Enfin elle reconnaissait le droit à la révolte face à l’injustice en déclarant "quand le gouvernement viole, les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple le plus sacré, le plus indispensable des devoirs" (art 35).

Mais les montagnards, cette partie de la bourgeoisie révolutionnaire qui animait le comité de salut public, entendaient ménager les possédants et les modérés. Pour ces raisons, il n’entrait pas dans leur vue de réaliser l’ensemble du programme politique et social que les militants populaires des comités insurrectionnels mettaient en avant. Une fois débarrassés de la gironde et de ses compromis avec la réaction, elle s’en prenait aux éléments les plus radicaux et brisait l’armature du mouvement populaire pour rétablir la stabilité administrative et asseoir définitivement son autorité absolue sur toute la vie de la nation. Pour eux il fallait d’abord gagner la guerre avant de vouloir appliquer la constitution et construire une république démocratique. Toutes les forces devaient être réunies dans un mouvement centrifuge, et donc contrôlé absolument, réprimé si nécessaire.

Il en résultera que deux stratégies inconciliables s’affrontèrent, l’une réclamant autonomie et mise sous contrôle du gouvernement par les masses, l’autre au contraire la centralité des décisions et de la poigne dans leur application par une minorité organisée en comité. Elles ordonnaient ainsi un antagonisme irréductible entre les sans-culottes et la bourgeoisie jacobine, rompaient le contact direct et fraternel qui unissait jusqu’alors les autorités révolutionnaires et les sans-culottes des sections. Quelque chose se glaçait dans la révolution qui, après avoir accentué ce divorce, permettait à l’opposition réactionnaire de se reformer à l’assemblée où le complot se nouait en une véritable coalition de circonstance dont le ciment était la peur. Le 9 thermidor, poussé par le besoin d’en finir avec la terreur et le désir de pouvoir profiter de leurs affaire une fois le danger de l’invasion repoussée, les brigands, selon le mot de Robespierre, triomphaient contre la république parce que le peuple, désespéré par la répression, n’était pas venu à son secours.

En effet, la terreur, que les victoires semblaient ne plus rendre nécessaire, lassait agir la bourgeoisie d’affaire qui supportait de plus en plus mal les contrôles gouvernementaux sur l’économie. Elle entendait que revienne au plus tôt la liberté totale de production et d’échange qu’elle avait obtenu en 89 et surtout, que ne soit pas menacé son droit à la propriété. Réquisition, taxation, contrôle national du commerce et nationalisation de l’économie, exigés au nom de la solidarité nationale affectaient ses intérêts de classe égoïstes. Tout cet enchevêtrement ne pouvait longtemps coexister ni masquer les enjeux réels de la situation pour les "honnêtes gens", c’est-à-dire les notables. "Il fallait éliminer de la vie politique ces petits bourgeois, ces artisans,ces boutiquiers, ces compagnons, en un mot les sans-culottes qui leur avaient imposé leur loi" . La réaction thermidorienne est le nom de cette tache.

Une nouvelle constitution effacera les dispositions à visée égalitaire de celle de l’an II dont les principes furent posés avec netteté par Boissy d’Anglas en ces termes : "Vous devez garantir enfin la propriété du riche... l’égalité civile, voilà tout ce que l’homme raisonnable peut exiger... L’égalité absolue est une chimère" . Pour atteindre cet objectif, Boissy d’Anglas poursuivait "nous devons être gouvernés par les meilleurs : les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois ; or, à peu d’exceptions près, vous ne trouverez de pareils hommes que parmi ceux qui, possédant une propriété, sont attachés au pays qui la contient, aux lois qui la protègent et la conservent".

Pendant longtemps nous avons vécu sur une représentation de la révolution française qui lui accordait ce que nous sommes devenus. Révolution bourgeoise, son bilan était jugé positivement, même par le camp progressiste qui voyait en elle, les préliminaires à d’autres changements qui cette fois profiteraient au peuple. Un Guizot par exemple, jugeait qu’il était impossible d’éliminer la terreur de ce bilan en tant qu’elle était un élément constitutif de la révolution, élément sans lequel celle-ci n’aurait pu continuer. Mais la célébration du bicentenaire sera l’occasion d’une opération révisionniste prenant appui sur les travaux de François Furet, dont la campagne menée en direction de l’opinion prendra comme point de départ cette pensée de Michel Rocard livrée au monde en 1988 : "la révolution, c’est dangereux, si l’on en fait l’économie ce n’est pas plus mal" , pensée qui, en somme, rejoignait celle d’historiens et de philosophes comme Tocqueville qui estimaient, comme le note Éric Hazan, que "l’essentiel de ce que l’on tient d’ordinaire pour des bouleversements révolutionnaires était déjà en route, sinon accompli, à la fin de l’Ancien Régime" .
Pour eux, "Une évolution à l’américaine, calme et démocratique, aurait donc conduit au même résultat final en évitant le bruit, la fureur de la guillotine" .

Le livre d’Éric Hazan, donnant suite d’ailleurs à celui d’Éric Hobsbaum "Aux armes citoyens" , est le premier livre à diffusion non confidentielle qui contredit et démonte cette relecture de l’histoire. Rendant parfaitement compte des contradictions qui ont travaillé la révolution, il donne en quatorze chapitres, le récit des événements qui se jouent sur les deux principales scènes, celle de l’assemblée et celle de la rue. Il s’appuie alors sur ces acteurs, tribuns hors pair et meneurs tout en gouaille, pour donner à entendre ce qui entrera dans l’histoire comme étant les débuts du discours politique. Ce livre comme il nous l’explique, comporte beaucoup de citations. Il en donne deux raisons : "la première étant que, en allant aux sources, on note que les orateurs les plus illustres ont parfois dit autres choses que ce qu’on leur attribue d’ordinaire. La seconde est qu’au temps de la révolution, la langue est d’une grande beauté, sur la crête entre l’ironie et l’effusion, entre la dureté et les larmes" . Il espère avec son écriture "faire souffler un peu d’enthousiasme révolutionnaire sur notre époque où la tendance est plutôt au relativisme et à la dérision" .

Gilbert Rémond


Edité le 26-03-2013 à 00:21:38 par Xuan


 
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