Forum Marxiste-Léniniste
Forum Marxiste-Léniniste
 
Retour au forum
 

Ajouter une réponse

Pseudo :    S'inscrire ?
Mot de passe :    Mot de passe perdu ?
Icône :
                                
                                
Message :
 
 
 
Smilies personnalisés
 
Options :
Notification par email en cas de réponse
Désactiver les smilies
Activer votre signature
 
 
Dernières réponses
marquetalia
le fascisme en asie commenca il y a plus de 70 ans,quand l impérialisme japonais créa l état fantoche du manchukuo en mandchourie et tenta d exterminer le peuple chinois-massacre de nankin,...-
zorba
La victoire sur le fascisme fut aussi celle des chinois de Mao, qui 4 ans après allaient envoyer les nationalistes à Formose, principale base de l'impérialisme américain en Asie.
Face à la Chine, face aux peuples faisant l'expérience du communisme, sous l'oeil américain et aussi sous ses bombes, comme au Vietnam et en Corée.
marquetalia
il est indéniable que la victoire sur le fascisme soit essentiellement l oeuvre des partisans soviétiques,yougoslaves,grecs,c est a dire marxistes léninistes,pas des anglosaxons et des gaullistes qui ont pactisé avec salazar et franco après 1945 pour contrer l urss et les pays du pacte de varsovie;de plus,l espagne et le portugal ont soutenus,avec l aide de la c.i.a,l o.a.s pendant la décolonisation .


Edité le 20-12-2011 à 19:00:40 par marquetalia


zorba
Je m'en tiens à des hypothèses pour des conduites à tenir sur des faits à venir, autrement je m'en tiens, si possible, aux faits.
De préférence avérés et analysés par des historiens s'il s'agit d'événements ou des situations typiques de la lutte des classes. Les plus nombreux et souvent noyés dans l'idéologie cléricale et impérialiste.
marquetalia
c est une hypothèse ...
zorba
"si tel aurait ete le cas,et si de surcroit le portugal de salazar,qui détenait-entre autres- l angola et le mozambique en afrique aurait guerroyé aux cotés des puissances de l axe,les nazi-fascistes auraient gagné la seconde guerre mondiale en europe et en afrique. "
Pas vraiment clair, ni basé sur des faits historiques vérifiables.
marquetalia
si l espagne franquiste a envoyé la division azul-bleu en espagnol- contre l urss,elle n est pas entrée en guerre aux cotés de l italie et de l allemagne qui avaient pourtant contribué a la victoire du fascisme en espagne,car franco voulait s accaparer le maroc francais et l oranie.si tel aurait ete le cas,et si de surcroit le portugal de salazar,qui détenait-entre autres- l angola et le mozambique en afrique aurait guerroyé aux cotés des puissances de l axe,les nazi-fascistes auraient gagné la seconde guerre mondiale en europe et en afrique.
Xuan
Annie Lacroix-Riz répond à L'Humanité Dimanche
sur la guerre d'agression menée par l'Allemagne
contre l'Union soviétique le 22 juin 1941



Cher Bernard,


Je viens de lire votre papier sur « l’opération Barbarossa » dans L’Humanité Dimanche des 23-29 juin 2011, p. 94-97.
Il comporte des erreurs, certes conformes à la présentation qu’on nous fait d’ordinaire de Staline depuis des décennies, mais qui n’en demeurent pas moins des erreurs graves.

D'abord, vous vous trompez sur le cas Toukhatchevski, dont vous faites la victime « d’une vaste manœuvre d’intoxication », avant de citer des chiffres considérables d’épuration (par mort ou emprisonnement) d’officiers, chiffres dont il conviendrait de préciser la source.
Domenico Losurdo, dans son ouvrage par ailleurs excellent sur Staline (récemment paru chez Aden), croit la question encore ouverte (p. 131-132). J’affirme que les archives originales françaises (diplomatiques et militaires) et étrangères publiées que j’ai consultées au début des années 2000 abolissent tout doute sur la réalité du complot du haut état-major de l’armée de l’Ouest : ce complot fut dirigé par Toukhatchevski, entré en négociations avec le haut état-major allemand et disposé, en l’échange de l’éviction des Soviets, à la cession de l’Ukraine, marché qui relevait, en URSS comme en tout autre État, de l’intelligence avec l'ennemi ou haute trahison, crime puni de mort en France également (articles 75 et suivants du Code pénal) :
j’en ai traité dans l’ouvrage Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930 , Paris, Armand Colin, réédition, 2010, p. 391-409.

Comme le répétait vaillamment (vu le comportement de ses autorités hiérarchiques) en 1938-1939 Palasse, l’attaché militaire français nommé à l’automne 1937, c’est précisément parce que l’épuration du haut état-major avait été faite, que l’URSS reconstituait une armée sûre, appuyée sur le peuple soviétique entier, en mesure donc de vaincre qui oserait l’attaquer, en l'occurrence le Reich.

Les propos souvent lyriques de Palasse, que j’ai longuement cités, ont été confirmés par la suite des événements, et les archives diplomatiques et militaires que j’ai consultées renouvellent entièrement le traitement de la question. Je vous remercie de lire les pages consacrées à ce dossier (ainsi que tout ce qui concerne la politique extérieure de l’URSS dans l’ouvrage susmentionné ) pour me donner votre avis.

Notons qu’une épuration du haut état-major de la France ‑ hypothèse naturellement absurde, vu les circonstances françaises ‑ eût précisément évité la défaite ignominieuse de ce pays : chez nous, plus de la moitié de cette structure militaire, au bas mot, pratiquait l’intelligence avec l'ennemi stricto sensu :
voir Le choix de la défaite et De Munich à Vichy, l’assassinat de la 3e République, 1938-1940 , Paris, Armand Colin, 2008.

Ensuite, les inexactitudes portent à la fois sur les préparatifs de guerre et sur le déroulement de la guerre elle-même, à propos desquels il faut absolument lire l’ouvrage de Geoffrey Roberts, Stalin’s Wars: From World War to Cold War, 1939-1953 .

Il balaie sur des bases solides toute la réécriture khrouchtchévienne de l’histoire des décennies précédentes (réécriture dont le grand journaliste Alexander Werth avait signalé la malhonnêteté dès l’époque de son Russia at war , en 1964) : il associe à une importante recherche archivistique personnelle une bibliographie vertigineuse, fournissant une mise au point précieuse sur une historiographie militaire, notamment anglophone, entièrement renouvelée depuis une vingtaine d’années.
Roberts rappelle que l’Armée rouge était passée, sur les frontières de l’Ouest, d’1-1,5 million de soldats à l'époque de Munich, où l’URSS fit tout ce qui était possible pour sauver la Tchécoslovaquie, à 3 (je dis bien trois) millions (et non un) à l’automne 1939.

Je crois avoir également montré l’ampleur de cet effort militaire, sur la base des sources occidentales, dans Le choix de la défaite , en particulier chap. 8-9.

Vous trouverez ci-dessus ma critique de Roberts, dont une partie est consacrée à ce qui m’apparaît la partie la plus incontestable du livre, les années 1939-1945 (la partie relative à la Guerre froide, qui traite des deux côtés de l’affaire, soviétique et américain, est moins convaincante parce que Roberts connaît moins la politique américaine que la soviétique : ainsi accrédite-t-il, très en-deçà des démonstrations effectuées par l’historiographie « révisionniste » américaine dès les années 1960, la thèse d’une mauvaise interprétation mutuelle des intentions respectives des deux pays, négligeant l’analyse de l’expansionnisme de l’impérialisme américain, parfaitement indépendant des pratiques de l’URSS.

Thèse démontrée par les « fondateurs », Denna Frank Fleming ( The Cold War and its origins, 1917-1960 , New York, Garden City, 1961, 2 vol.) et William Appleman Williams, The Tragedy of American Diplomacy , Dell Publishing C°, New York, 1972 (1è éd., 1959), et avec un luxe de détails par leurs successeurs).

L’intégration militaire des territoires annexés de 1939 à 1940 (respectivement après la défaite écrasante de la Pologne, acquise depuis 15 jours au 17 septembre 1939; et après la déroute acquise de la France, pour les Pays Baltes et de la Bessarabie) a constitué, au contraire de ce que vous écrivez à propos d’un blocage stupide sur « la “ligne Staline”, la frontière de 1939 », un élément essentiel des préparatifs militaires : l’avaient annoncé dès 1939 les négociations pied à pied de l’accord secret c'est à dire la délimitation des territoires polonais affectés à l’URSS :
nos diplomates et représentants militaires à Moscou l’avaient parfaitement compris, tel l’attaché de l'Air français, le lieutenant-colonel Charles-Antoine Luguet (futur officier FFL), qui clama sa certitude d’un accord territorial sur la Pologne, décisif pour la protection militaire de l’URSS, au jour même de la signature du pacte de non-agression du 23 août 1939 et dans les jours suivants ( Le choix de la défaite , p. 501-504).

La tactique adoptée à la veille du conflit – éviter toute « provocation » ‑ s’inscrivait dans le souci ancien et constant de ne faire en aucun cas apparaître l’URSS comme responsable du déclenchement d’une guerre. Roberts et Losurdo (et leur bibliographie), comme tous les types d’archives (les françaises incluses) sont de ce point de vue démonstratifs.

La thèse de l’« ancien agent de la CIA » David Murphy selon laquelle « Staline n’a […] pris aucune disposition et proclamé, en public que toutes ces informations [sur l’imminence de l’assaut allemand] relevaient de la “provocation” » ‑ thèse à laquelle vous accordez un paragraphe entier ‑ est de la plus haute fantaisie, confrontée aux documents de la période 1939-1941, sans parler des années antérieures : ce chef du poste CIA de Guerre froide à Berlin de 1950 à 1961 puis chef des « opérations soviétiques » au siège central de l’agence fournit une information intéressée a posteriori dont on ne saurait comparer la fiabilité à celle des sources originales des années 1930-1945.

Votre présentation de l’information du Kremlin sur les intentions militaires allemandes avant l’assaut, réduite aux renseignements fournis à Staline et aux siens par « l’orchestre rouge » et par Roosevelt, est extrêmement sélective.
Le monde entier, à niveau élevé, savait tout de l’attaque allemande prévue, et de longue date, les Français inclus.
Eût-il ignoré les plans allemands, Staline aurait bien été le seul des dirigeants du globe, et cette hypothèse, exclue par la correspondance consultable, serait absurde même si nous n’avions aucune source directe sur la période 1939-1941 : l’intéressé avait passé son temps à prendre des dispositions contre l’assaut considéré comme inéluctable depuis le début des années 1930, dispositions prises, dès cette époque, à la fois

1° contre le Japon, dont l’attaque était alors considérée comme imminente, et qui ne finit par changer d'avis qu’après avoir subi des échecs majeurs contre l’armée rouge d’Orient en 1938-1939 : Palasse, et les diplomates français en Chine et l’ambassadeur d'Allemagne à Moscou von der Schulenburg s’accordrent cette évolution dès l’été 1938 ( Le choix de la défaite , p. 409) – voir surtout Jonathan Haslam, The Soviet Union and the Threat from the East : Moscow, Tokyo and the Prelude to the Pacific War , Pittsburgh, 1992.
C’est cette série d’échecs qui contraignit le Japon, particulièrement agressif dans la décennie précédant la guerre mondiale, à signer et à respecter le pacte de non-agression signé avec Moscou en avril 1941.

Et 2° contre l’Allemagne (voir Jonathan Haslam, The Soviet Union and the Struggle for Collective Security in Europe, 1933-39 , New York, 1984; et les ouvrages précédents de Roberts: The Unholy Alliance : Stalin’s Pact with Hitler , Bloomington (Ind.), 1989 ; The Soviet Union and the origins of the Second World War. Russo-German relations and the road to war, 1933-1941 , New York, Saint Martin’s Press, 1995; Michael Jabara Carley, 1939, the alliance that never was and the coming of World War 2 , Chicago, Ivan R. Dee, 1999, traduction, 1939, l’alliance de la dernière chance. Une réinterprétation des origines de la Seconde Guerre mondiale , Les presses de l’université de Montréal, 2001; et mes propres ouvrages Le choix de la défaite et De Munich à Vichy ).

Vos pages 96-97, qui présentent un Staline pas « si naïf », chef militaire ne songeant qu’à « gagner du temps! », personnage donc sans rapport avec celui des pages 94-95, rendent mieux compte de sa contribution à la victoire d’un pays qui, en 1941, était économiquement et industriellement encore très inférieur au Reich, deuxième puissance industrielle mondiale : nul ne saurait l’imputer à reproche à Staline, qu’on accable d’ordinaire pour la rigueur de l’industrialisation à marches forcées dont la collectivisation des terres avait constitué le préalable.
Mais l’inégalité entre l’agresseur et l’agressé rendait inévitable un début de guerre épouvantable et la tactique prônée de résistance sur place et à tout prix.

Quant au Blitzkrieg , il ne fut pas arrêté devant Moscou mais dans les semaines qui suivirent l’attaque, comme le déclara le général Doyen le 16 juillet 1941 à Pétain. De ce texte rédigé par le très lucide Armand Bérard, futur diplomate en poste à Washington puis Bonn, prémonitoire en tous points (y compris par sa prévision d’une victoire américaine écrasante dans ce conflit général où les États-Unis n’étaient pas encore entrés), je vous cite l’extrait relatif à la guerre sur le front de l'Est :
« Si le IIIe Reich remporte en Russie des succès stratégiques certains, le tour pris par les opérations ne répond pas néanmoins à l'idée que s'étaient faite ses dirigeants. Ceux-ci n'avaient pas prévu une résistance aussi farouche du soldat russe, un fanatisme aussi passionné de la population, une guérilla aussi épuisante sur les arrières; des pertes aussi sérieuses, un vide aussi complet devant l'envahisseur, des difficultés aussi considérables de ravitaillement et de communications.

Les batailles gigantesques de tanks et d'avions, la nécessité, en l'absence de wagons à écartement convenable, d'assurer par des routes défoncées des transports de plusieurs centaines de kilomètres entraînent, pour l'Armée allemande, une usure de matériel et une dépense d'essence qui risquent de diminuer dangereusement ses stocks irremplaçables de carburants et de caoutchouc. Nous savons que l’État-Major allemand a constitué trois mois de réserves d'essence. II faut qu'une campagne de trois mois lui permette de réduire à merci le communisme soviétique, de rétablir l'ordre en Russie sous un régime nouveau, de remettre en exploitation toutes les richesses naturelles du pays et en particulier les gisements, du Caucase. Cependant, sans souci de sa nourriture de demain, le Russe incendie au lance-flammes ses récoltes, fait sauter ses villages, détruit son matériel roulant, sabote ses exploitations. »

Source, La Délégation française auprès de la Commission allemande d'Armistice de Wiesbaden, 1940-1941 , Imprimerie nationale, Paris, vol. 4, texte complet, p. 648-649.

Quelqu'un veut-il comparer ce comportement à ce que fut la guerre française?
Et nous expliquer sérieusement ce qui fit la différence entre les préparations soviétique et française à la guerre allemande?

Le Vatican, meilleure agence de renseignement du monde, comprit au tournant d’ août 1941 ‑ et son secrétaire des Affaires extraordinaires, Domenico Tardini, l’admit devant l’ambassadeur de Vichy à Rome-Saint-Siège ‑ « que Staline serait appelé à organiser la paix de concert avec Churchill et Roosevelt » , puisqu’on ne pourrait exclure « l’allié moscovite qui aurait apporté une contribution décisive à la victoire commune […Il] ne dissimul[ait] pas les craintes qu’un tel dénouement lui inspireraient sur le sort de l’Europe et l’avenir de l’Europe » (dépêche de Léon Bérard, 4 septembre 1941, Vichy-Europe , 551, archives du MAE, citée dans mon ouvrage Le Vatican, l'Europe et le Reich de la Première Guerre mondiale à la Guerre froide (1914-1955) , Paris, Armand Colin, édition complétée et révisée, 2010, p. 531-532).

Losurdo fait une très honnête présentation du dossier p. 27-50, en s’appuyant, entre autres, sur Roberts et sur les mémoires de Göbbels – et en montrant, après Roberts, à quel degré d’intoxication est parvenu le « rapport Khrouchtchev » à propos de « la Grande Guerre patriotique ».
L’auteur du pseudo « rapport secret » ne manifesta pas en Ukraine, comme l’a montré Roberts, des talents militaires particuliers à l’été 1941 (« The Kharkov disaster », op. cit. , 122-123). Son rapport est absurde ou mensonger sur tous les points qu’il a abordés, montre Losurdo ( op. cit., passim ), et il atteint les cimes sur les années de guerre.

Bref, vous devriez, après lecture des ouvrages susmentionnés, faire une nouvelle présentation de « l’opération Barbarossa », qui rendrait plus compréhensible le contenu de vos pages finales, si antagoniques avec les deux premières.

Comme la seconde partie est nettement plus maigre, demeure l’impression communiquée par la première (les p. 94-95 et la 1e moitié de la p. 96), conforme à la vulgate. Or, les travaux de Roberts, comme d’autres, largement cités par Losurdo, sont en voie de balayer quelques décennies d’intoxication sur Staline. Certes, Roberts n'est toujours pas traduit en français, cinq ans après la publication de Stalin’s Wars .
Mais Losurdo l’a été, et de très jeunes historiens sont désormais appelés à faire connaître au public leurs travaux révisant enfin la « légende noire » de la phase démocratique de la révolution française : Alexandre Cousin, 25 ans, doctorant de Paris I, a présenté hier, 28 juin 2011, de façon très convaincante, sur France Culture (La Fabrique de l’histoire, de Laurentin), son étude Philippe Lebas et Augustin Robespierre, deux météores dans la Révolution française , éditions Bérénice, 2010). Historiquement, l’ère Furet, qui a été aussi, et même d'abord , une ère d’intoxication sur la révolution française en général et sur Robespierre en particulier, est dépassée.

Un petit vent frais s’annonce. On va assurément, sous l’effet de la conjoncture générale – plus proche du tsunami ‑, pouvoir, même en France, en revenir dans les décennies à venir aux sources archivistiques directes pour faire de l’histoire sérieuse, sur Staline comme sur Robespierre. Il faut s’y résoudre, ne pas craindre de revenir franchement sur des décennies d’absurdités et accorder dès maintenant aux sources et aux études étayées plus de place qu’aux âneries encore hégémoniques.

Je communique naturellement ce courrier à L’Humanité Dimanche et à ma liste de diffusion, car je présume que votre article aura été lu par nombre des inscrits de cette dernière.

Bien cordialement,

Annie

Source
Xuan
Le Petit Blanquiste signale la mise au pont de Annie Lacroix-Ruiz sur l'article mensonger de l'Humanité Dimanche des 23-29 juin


01/07/2011
A PROPOS DE L’OPERATION BARBAROSSA



Dans une lettre adressée à son auteur, l’historienne Annie Lacroix-Riz conteste une partie de l’article sur « l’opération Barbarossa » qui vient de paraître dans L’Humanité Dimanche des 23-29 juin dernier. [1]
Ce texte « comporte des erreurs, certes conformes à la présentation qu’on nous fait d’ordinaire de Staline depuis des décennies, mais qui n’en demeurent pas moins des erreurs graves » , écrit-elle.

L’AFFAIRE TOUKHATCHEVSKI


Loin d’être la victime « d’une vaste manœuvre d’intoxication » , celui-ci a bien été l’incitateur d’un complot qu’il a négocié avec le haut état-major allemand.
Pour l’historienne, les archives originales françaises (diplomatiques et militaires), qu’elle a consultées au début des années 2000, « abolissent tout doute sur la réalité du complot » . Toukhatchevski tombait bien sous le coup d’une inculpation d’intelligence avec l’ennemi ou haute trahison, passible de la peine de mort en URSS tout comme en France.
Annie Lacroix-Riz ajoute : « c’est précisément parce que l’épuration du haut état-major avait été faite, que l’URSS reconstituait une armée sûre, appuyée sur le peuple soviétique entier, en mesure donc de vaincre qui oserait l’attaquer, en l'occurrence le Reich » .

LA GUERRE


Dans l’article de L’Humanité Dimanche, Annie Lacroix-Riz relève d’autres inexactitudes portant sur les préparatifs et le déroulement de la guerre.
Ainsi, l’article prétend que les Soviétiques n’alignaient qu’un million d’hommes sur le front Ouest en juin-juillet 1941.


Or, associant « à une importante recherche archivistique personnelle, une bibliographie vertigineuse » , l’historien britannique Geoffrey Roberts a établi que l’Armée rouge était passée, sur les frontières de l’Ouest, de un million à un million et demi de soldats à l'époque de Munich (septembre 1938) à TROIS MILLIONS à l’automne 1939. [2]
Quant à la thèse, selon laquelle Staline n’a pris aucune disposition et proclamé en public que toutes les informations sur l’imminence de l’assaut allemand relevaient de la provocation, elle est « de la plus haute fantaisie » si on la confronte aux documents de la période 1939-1941, sans parler des années antérieures.

Si Staline avait ignoré les plans allemands, il aurait été bien le seul des dirigeants du monde. Cette hypothèse est d’autant plus à exclure que l’on sait combien l’intéressé s’était attaché à prendre des dispositions contre l’assaut considéré comme inéluctable depuis le début des années 1930.


En conclusion, Annie Lacroix-Riz se félicite que les travaux de Roberts comme d’autres cités par Domenico Losurdo [3], soient « en voie de balayer quelques décennies d’intoxication sur Staline ».
Elle souhaite d'autres avancées qui privilégient les « sources archivistiques directes pour faire de l’histoire sérieuse » .
JPD

[1] Annie Lacroix-Riz, ancien élève de l'Ecole normale supérieure (Sèvres), est agrégée d'histoire, docteur-ès-Lettres et professeur d'Histoire contemporaine à l'université Paris VII-Denis Diderot. Elle est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment Industriels et banquiers français sous l’Occupation : la collaboration économique avec le Reich et Vichy, Paris, Armand Colin, 1999 et Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Paris, Armand Colin, 2006.
[2] Geoffrey Roberts, Stalin’s Wars : From World War to Cold War, 1939-1953, Yale University Press, 2006. Geoffrey Roberts est membre de la Royal Historical Society et enseigne l'Histoire et les Relations internationales à l'University College Cork (Irlande).
[3] Domenico Losurdo, Staline, histoire et critique d'une légende noire, Ed Aden, 2011. Domenico Losurdo est directeur de l’Institut des Sciences philosophiques et pédagogiques de l'Université d'Urbino et enseigne l’histoire de la philosophie à la Faculté des sciences de l'éducation dans cette même Université.


Edité le 03-07-2011 à 22:16:55 par Xuan


Xuan
Sur le rôle historique de Staline, les Editions Prolétariennes publient plusieurs documents et des vidéos.
Jacques Tourtaux publie également cet article de Domenico Losurdo.

La déclassification des documents historiques démonte les racontars des trotskystes, des révisionnistes et de toute la propagande anti communiste.
En particulier les attaques lancées par Khrouchtchev contre Staline sont ici réduites à néant.



Staline. Histoire et critique d’une légende noire.

Domenico Losurdo

Avec un essai de Luciano Canfora :
De Staline à Gorbatchev : comment finit un empire.

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio.
Ed. Aden (janvier 2011, Bruxelles)

Extraits chap. 1 :
« A partir de Stalingrad et de la défaite infligée au Troisième Reich (puissance qui paraissait invincible), Staline avait acquis un prestige énorme dans le monde entier. Et, ce n’est certes pas un hasard, Khrouchtchev s’arrête sur ce point de façon particulière. Il décrit en termes catastrophiques l’impréparation militaire de l’Union Soviétique, dont l’armée, dans certains cas, aurait été dépourvue de l’armement même le plus élémentaire. Ce qui ressort d’une étude qui semble parvenir des milieux de la Bundeswehr, et qui fait en tout cas grand usage des archives militaires de celle-ci, s’y oppose directement. On y parle de la «supériorité multiple de l’Armée rouge en chars d’assaut, avions et pièces d’artillerie » ; par ailleurs, « la capacité industrielle de l’Union Soviétique avait atteint des dimensions pouvant procurer aux armées soviétiques un armement quasi inimaginable » .

Celui-ci augmente à des fréquences de plus en plus accélérées au fur et à mesure que s’approche l’opération Barbarossa. Une donnée est particulièrement éloquente : si en 1940 l’Union Soviétique produisait 358 chars du type le plus avancé, nettement supérieurs à ceux dont disposaient les autres armées, au premier semestre de l’année suivante, elle en produisait 1.5031.
A leur tour, les documents provenant des archives russes montrent que, du moins dans les deux années précédant l’agression du Troisième Reich, Staline est littéralement obsédé par le problème de l’ « essor quantitatif » et de l’ « amélioration qualitative de tout l’appareil militaire » .
Certaines informations parlent d’elles-mêmes : si dans le premier plan quinquennal, les sommes consacrées à la défense se montent à 5,4% des dépenses totales de l’Etat, en 1941 elles atteignent 43,4% ; « en septembre 1939, sur ordre de Staline le Politburo prit la décision de construire avant 1941 neuf nouvelles usines pour la production d’avions » ; au moment de l’invasion hitlérienne « l’industrie avait produit 2.700 avions modernes et 4.300 chars d’assaut » 2.
A en juger par ces informations, on peut tout dire sauf que l’URSS était arrivée impréparée au tragique rendez-vous avec la guerre.


Par ailleurs, il y a une décennie déjà, une historienne états-unienne a infligé un coup sévère au mythe de l’écroulement et de la fuite de ses responsabilités par le dirigeant soviétique immédiatement après l’invasion nazie : « bien qu’ébranlé, le jour de l’attaque, Staline convoqua une réunion de onze heures avec des chefs de parti, de gouvernement et des militaires, et il fit de même les jours qui suivirent » 3.

D’ailleurs nous disposons à présent du registre des visiteurs du bureau de Staline au Kremlin, découvert aux débuts des années 90 : il en résulte que dès les heures qui suivirent immédiatement l’agression, le leader soviétique s’engage dans un réseau très dense de rencontres et d’initiatives pour organiser la résistance. Ce sont des jours et des nuits caractérisés par une « activité […] exténuante » mais ordonnée. Dans tous les cas, « tout l’épisode [raconté par Khrouchtchev] est totalement inventé » , cette « histoire est fausse » 4.
En réalité, dès le début de l’opération Barbarossa, non seulement Staline prend les décisions les plus délicates, en engageant des dispositions pour le déplacement de la population et des sites industriels qui sont sur la zone du front, mais « il contrôle tout de façon minutieuse, de la longueur et de la forme des baïonnettes jusqu’aux auteurs et aux titres des articles de la ‘ Pravda ‘ » 5.
Il n’y a pas de trace de panique ni d’hystérie.
Lisons la note du journal personnel et du témoignage de Dimitrov : « A 7 heures du matin, je suis convoqué d’urgence au Kremlin. L’Allemagne a attaqué l’URSS. La guerre a commencé […] Calme, fermeté et confiance incroyable chez Staline et chez tous les autres ».
La clarté des idées frappe plus encore. Il ne s’agit pas seulement de procéder à la « mobilisation générale de nos forces » . Il est aussi nécessaire de définir le cadre politique. Oui, « seuls les communistes peuvent vaincre les fascistes » , en mettant fin à l’ascension apparemment irrésistible du Troisième Reich, mais il ne faut pas perdre de vue la nature réelle du conflit : « les partis [communistes] lancent un mouvement pour la défense de l’URSS. Ne pas poser la question de la révolution socialiste. Le peuple soviétique mène une guerre patriotique contre l’Allemagne fasciste. La question est la défaite du fascisme, qui met en esclavage de nombreux peuples et tente de faire de même avec d’autres peuples » 6. (p. 31-33)
[…]


La prudence et la méfiance du Kremlin sont bien compréhensibles : le péril d’une réédition de Munich était aux aguets, à une échelle bien plus large et bien plus tragique. On peut tout à fait émettre l’hypothèse que la seconde campagne de désinformation déclenchée par le Troisième Reich avait joué son rôle. En tous cas, si l’on s’en tient à la transcription retrouvée dans les archives du parti communiste soviétique, tout en donnant comme certaine l’implication à court terme de l’URSS dans le conflit, Staline, dans son discours du 5 mai 1941 aux lauréats de l’Académie militaire, soulignait comment l’Allemagne, historiquement, avait gagné quand elle n’avait combattu que sur un seul front ; alors qu’elle avait perdu lorsqu’elle avait été obligée de se battre en même temps à l’est et à l’ouest 7.
Voilà, Staline pourrait avoir sous-évalué la morgue avec laquelle Hitler était prêt à agresser l’URSS.
D’autre part, il savait bien qu’une mobilisation totale hâtive aurait fourni le casus belli au Troisième Reich sur un plateau d’argent, comme cela s’était produit à l’éclatement de la Première guerre mondiale.
Un point en tous cas reste certain : tout en agissant avec circonspection dans une situation assez embrouillée, le leader soviétique procède à une « accélération des préparatifs de guerre » . En effet, « entre mai et juin 800.000 réservistes sont rappelés, et à la mi-mai 28 divisions sont déployées dans les districts occidentaux d’Union Soviétique » , tandis qu’avancent à rythme accéléré les travaux de fortification des frontières et de camouflage des objectifs militaires les plus sensibles. « Dans la nuit du 21 au 22 juin, cette vaste force est mise en état d’alerte et appelée à se préparer à une attaque par surprise de la part des Allemands » 8.

Pour discréditer Staline, Khrouchtchev insiste sur les victoires initiales spectaculaires de l’armée d’invasion, mais glisse négligemment sur les prévisions formulées à l’époque en Occident.

Après le démembrement de la Tchécoslovaquie et l’entrée à Prague de la Wehrmacht, Lord Halifax avait continué à repousser l’idée d’un rapprochement de l’Angleterre avec l’URSS, en ayant recours à cet argument : cela n’avait pas de sens de s’allier avec un pays dont les forces armées étaient « insignifiantes » . A la veille de l’opération Barbarossaou au moment de son déchaînement, les services secrets britanniques avaient calculé que l’Union Soviétique aurait été « liquidée en 8-10 semaines » ; à leur tour, les conseillers du secrétaire d’Etat états-unien (Henry L. Stimson) avaient prévu le 23 juin que tout se serait terminé dans un laps de temps d’un à trois mois 9.
Par ailleurs, la foudroyante pénétration en profondeur de la Wehrmacht –observe de nos jours un illustre chercheur d’histoire militaire– s’explique aisément par la géographie :

«L’extension du front – 1.800 miles – et la rareté des obstacles naturels offraient à l’agresseur d’immenses avantages pour l‘infiltration et la manœuvre. En dépit des dimensions colossales de l’Armée Rouge, le rapport entre ses forces et l’espace était si faible que les unités mécanisées allemandes purent trouver aisément les occasions de manoeuvres indirectes sur les arrières de leur adversaire. En outre, les villes largement espacées, et où convergeaient routes et voies ferrées, offraient à l’agresseur de jouer sur des objectifs alternatifs et d’abuser l’ennemi sur la direction réellement menacée en le plaçant devant des dilemmes successifs» .10



L’échec de la guerre-éclair se profile rapidement

Ne nous laissons pas aveugler par les apparences : à bien y regarder, le projet du Troisième Reich, de renouveler à l’est le triomphal Blitzkrieg réalisé à l’ouest, commence à se révéler problématique dès les premières semaines du gigantesque affrontement11.
A ce propos le journal de Joseph Goebbels s’avère très éclairant. Il souligne, à la veille immédiate de l’agression, l’irrésistibilité de l’imminente attaque allemande, « sans aucun doute la plus puissante que l’histoire ait jamais connue » ; personne ne pourra sérieusement s’opposer à la « plus forte mobilisation de l’histoire universelle » 12. Et donc : « Nous sommes devant une marche triomphale sans précédents […]. Je considère la force militaire des Russes très basse, plus basse encore que ne la considère le Führer. S’il y avait et s’il y a une action sûre, c’est celle-ci » 13.
En réalité, la morgue d’Hitler n’est pas moins forte, puisque, quelques mois plus tôt, il s’était exprimé ainsi avec un diplomate bulgare, à propos de l’armée soviétique : ce n’est qu’une « plaisanterie » 14.

Si ce n’est que, dès le début, les envahisseurs tombent, malgré tout, sur de désagréables surprises : « le 25 juin, lors du premier raid sur Moscou, la défense antiaérienne se révèle d’une telle efficacité que la Luftwaffe devra dès lors se cantonner à des raids nocturnes en effectifs réduits » 15.
Dix jours de guerre suffisent pour que s’effondrent les certitudes de la veille.
Le 2 juillet, Goebbels note dans son journal : « Dans l’ensemble, on se bat très durement et très obstinément. On ne peut en aucune façon parler de promenade. Le régime rouge a mobilisé le peuple » 16. Les événements s’accélèrent et l’humeur des dirigeants nazis change radicalement, comme il ressort, encore, du journal de Goebbels.

24 juillet :

Nous ne pouvons avoir aucun doute sur le fait que le régime bolchevique, qui existe depuis presque un quart de siècle, a laissé de profondes traces chez les peuples d’Union Soviétique […]. Il serait donc juste de montrer avec une grande clarté, devant le peuple allemand, la dureté de la lutte qui se déroule à l’est. Il faut dire à la nation que cette opération est très difficile, mais que nous pouvons la dépasser et que nous la dépasserons 17.

1eraoût :

Au quartier général du Führer […] on admet ouvertement aussi que nous nous sommes un peu trompé dans l’évaluation de la force militaire soviétique. Les bolcheviques révèlent une résistance plus grande que ce que nous supposions ; surtout, les moyens matériels à leur disposition sont plus grands que nous ne le pensions 18.

19 août :

Le Führer est intimement très irrité contre lui-même sur le fait de s’être laissé à ce point tromper sur le potentiel des bolcheviques par les rapports [des agents allemands] venantd’Union Soviétique. Sa sous-évaluation surtout des chars d’assaut et de l’aviation de l’ennemi nous a créé de nombreux problèmes. Il en a beaucoup souffert. Il s’agit d’une crise grave […]. En comparaison, les campagnes que nous avons menées jusqu’à présent étaient presque des promenades […]. Pour ce qui concerne l’ouest, le Führer n’a aucun motif de préoccupation […]. Avec notre rigueur et avec notre objectivité à nous allemands, nous avons toujours surévalué l’ennemi, à l’exception, dans ce cas, des bolcheviques 19.

16 septembre :

Nous avons calculé le potentiel des bolcheviques de façon totalement erronée 20.


Les chercheurs en stratégie militaire soulignent les difficultés imprévues sur lesquelles tombe immédiatement en Union Soviétique une machine de guerre puissante, expérimentée et prise dans le mythe de l’invincibilité21.
« La bataille de Smolensk, dans la deuxième quinzaine de juillet 1941 (restée jusque là, dans la recherche, largement recouverte par l’ombre d’autres événements) [est] particulièrement significative pour l’issue de la guerre orientale » 22.

Cette observation vient d’un illustre historien allemand, qui rapporte ensuite ces éloquentes notes de journal du général Fédor Von Bock, les 20 et 26 juillet :

L’ennemi veut reconquérir Smolensk à tout prix et y fait sans cesse arriver de nouvelles forces. L’hypothèse exprimée quelque part que l’ennemi agisse sans plan ne résiste pas à l’épreuve des faits […]. On constate que les Russes ont achevé autour du front que j’avais construit un déploiement de forces nouveau, compact. En de nombreux points ils essaient de passer à l’attaque. Surprenant pour un adversaire qui a subi de tels coups ; il doit posséder une quantité incroyable de matériel, de fait nos troupes souffrent encore à présent du fort effet de l’artillerie ennemie.

Plus inquiet et même plus nettement pessimiste, l’amiral Wilhelm Canaris, dirigeant du contre-espionnage, commente, en parlant avec le général Von Bock le 17 juillet : « Je vois tout en noir » 23.
Non seulement l’armée soviétique n’est pas à la dérive, y compris dans les premiers jours et les premières semaines de l’attaque, et oppose même une « tenace résistance » , mais elle s’avère bien conduite, comme le révèle entre autres la « résolution de Staline d’arrêter l’avancée allemande à l’endroit qu’il juge déterminant » .

Les résultats de cet accorte guide militaire se révèlent aussi sur le plan diplomatique : c’est justement parce qu’il est « impressionné par l’affrontement obstiné dans la zone de Smolensk » que le Japon, présent ici avec des observateurs, décide de repousser la demande que lui fait le Troisième Reich de participer à la guerre contre l’Union Soviétique24.
L’analyse de l’historien allemand fièrement anti-communiste est confirmée pleinement par des chercheurs russes dans le sillage du Rapport Khrouchtchev, qui se sont distingués comme champions de la lutte contre le « stalinisme » : « Les plans du Blitzkrieg (allemand) étaient déjà naufragés à la mi-juillet » 25.

Dans ce contexte, l’hommage que rendent le 14 août 1941 Churchill et F. D. Roosevelt à la « splendide défense » de l’armée soviétique n’apparaît pas de pure forme26.
Même en dehors des cercles diplomatiques et gouvernementaux, en Grande-Bretagne –nous indique une note du journal de Beatrice Webb- des citoyens ordinaires voire d’orientation conservatrice montrent un « vif intérêt pour le courage et pour l’initiative surprenants et pour le magnifique équipement des forces de l’Armée rouge, pour l’unique Etat en mesure de s’opposer à la puissance presque mythique de l’Allemagne de Hitler » 27.

En Allemagne même, trois semaines déjà après le début de l’opérationBarbarossa, commencent à circuler des rumeurs mettant radicalement en doute la version triomphaliste du régime. C’est ce qui ressort du journal d’un éminent intellectuel allemand d’origine juive : à ce qu’il semble, à l’est « nous subirions d’immenses pertes, nous aurions sous-évalué la force de résistance des Russes » , lesquels « seraient inépuisables en hommes et en matériel de guerre » 28.

Longtemps lue comme une expression d’ignorance politico-militaire voire de confiance aveugle à l’égard du Troisième Reich, la conduite extrêmement prudente de Staline dans les semaines qui précèdent le déclenchement des hostilités, apparaît maintenant tout à fait différente : « La concentration des forces de la Wehrmacht le long de la frontière avec l’URSS, la violation de l’espace aérien soviétique et de nombreuses autres provocations n’avaient qu’un but : attirer le gros de l’Armée rouge le plus près possible de la frontière. Hitler entendait gagner la guerre en une seule bataille » .

Même de valeureux généraux ont été attirés par le piège, et, en prévision de l’irruption de l’ennemi, font pression pour un déplacement massif de troupes à la frontière : « Staline repoussa catégoriquement la requête, en insistant sur la nécessité de garder des réserves de vaste échelle à une distance considérable de la ligne de front » .
Plus tard, ayant eu connaissancedes plans stratégiques des concepteurs de l’opérationBarbarossa, le maréchal Georgi K. Joukov a reconnu la sagesse de la ligne adoptée par Staline : « Le commandement de Hitler comptait sur un déplacement du gros de nos forces à la frontière avec l’intention de les entourer et de les détruire » 29.

En effet, dans les mois qui précèdent l’invasion de l’URSS, le Führer, discutant avec ses généraux, observe : « Problème de l’espace russe. L’ampleur infinie de l’espace rend nécessaire la concentration en des points décisifs » 30.
Plus tard, alors que l’opération Barbarossaa déjà commencé, il clarifie ultérieurement sa pensée lors d’une conversation : « Dans l’histoire mondiale il y a eu jusqu’à présent trois batailles d’anéantissement : Cannes, Sedan et Tannenberg. Nous pouvons être fiers que deux d’entre elles aient été victorieusement combattues par des armées allemandes » .
Si ce n’est que, pour l’Allemagne, se révèle de plus en plus élusive la troisième, et la plus grande, bataille décisive d’encerclement et d’anéantissement rêvée par Hitler, qui, une semaine après, a été obligé de reconnaître que l’opération Barbarossa avait sérieusement sous-évalué l’ennemi : « la préparation guerrière des Russes doit être considérée comme fantastique » 31.
Le désir du joueur de hasard de justifier l’échec de ses prévisions se révèle ici transparent. Et pourtant, c’est à des conclusions similaires qu’arrive le chercheur anglais en stratégie militaire que nous avons cité plus haut : la raison de la défaite des Français réside « non dans la quantité ou la qualité de leur matériel, mais dans leur doctrine» ; de plus, le déploiement trop avancé de l’armée qui « avait gravement compromis sa souplesse stratégique » joue de façon ruineuse ; une erreur semblable avait aussi été commise par la Pologne, erreur favorisée « par la fierté nationale et la confiance excessive des militaires » . On ne constate rien de tout cela en Union Soviétique32.

Le cadre d’ensemble est plus important que les batailles singulières : « Le système stalinien parvint à mobiliser l’immense majorité de la population et la quasi-totalité des ressources » ; la « capacité des Soviétiques » , en particulier, fut « extraordinaire » , dans une situation aussi difficile que celle qui s’était créée dans les premiers mois de guerre, « à évacuer puis à reconvertir vers la production militaire un nombre considérable d’entreprises » . Oui, « mis en place deux jours après l’invasion allemande » , « le Conseil de l’évacuation parvint à déplacer vers l’Est 1.500 grandes entreprises industrielles au terme d’opérations titanesques d’une grande complexité logistique » 33.
Par ailleurs, ce processus de dislocation avait déjà été initié dans les semaines ou dans les mois qui précèdent l’agression hitlérienne (infra, 7.3), confirmant ultérieurement le caractère fantaisiste de l’accusation lancée par Khrouchtchev.

En outre, le groupe dirigeant soviétique avait d’une certaine manière eu l’intuition des modalités de la guerre qui se profilait à l’horizon dès l’instant où il avait mis en place l’industrialisation du pays : avec une virage radical par rapport à la situation précédente, il avait défini « un point focal en Russie asiatique » , loin et à l’abri des agresseurs présumés34.
En effet, Staline avait insisté là-dessus de façon récurrente et vigoureuse. 31 janvier 1931 : s’imposait « la création d’une industrie nouvelle et bien outillée en Oural, en Sibérie, au Kazakhstan » .

Quelques années après, le Rapport prononcé le 26 janvier 1934 au XVIIeCongrès du PCUS avait attiré l’attention avec satisfaction sur le puissant développement industriel qui s’était entre-temps révélé « en Asie centrale, au Kazakhstan, dans les Républiques des Buriats, des Tatars et des Baskirs, dans l’Oural, en Sibérie orientale et occidentale, en Extrême-Orient, etc. » 35.
Les implications de tout cela n’avaient pas échappé à Trotski, lequel, quelques années après, analysant les dangers de la guerre et soulignant les résultats obtenus par « l’économie planifiée » en milieu « militaire » , avait observé : « L’industrialisation des régions éloignées, de la Sibérie principalement, donne aux étendues de steppes et de forêts une nouvelle importance » 36.
C’est à ce moment-là seulement que les grands espaces prenaient toute leur valeur et rendaient plus problématique que jamais la guerre-éclair traditionnellement rêvée et préparée par l’état-major allemand.

C’est justement sur le terrain de l’appareil industriel édifié en prévision de la guerre que le Troisième Reich est contraint d’enregistrer les surprises les plus amères, comme il ressort de deux commentaires de Hitler. 29 novembre 1941 : « Comment est-il possible qu’un peuple aussi primitif puisse atteindre de tels résultats techniques en si peu de temps ? » 37.
26 août 1942 : « Pour ce qui concerne la Russie, il est incontestable que Staline a élevé la niveau de vie. Le peuple russe ne souffrait pas de faim [au moment du déclenchement de l’opérationBarbarossa]. Dans l’ensemble il convient de reconnaître : des usines de l’importance des Hermann Goering Werkeont été construites là où jusqu’il y a deux ans n’existaient que des villages inconnus. Nous trouvons des lignes de chemins de fer qui n’étaient pas indiquées sur les cartes » 38.

En ce point, il convient de donner la parole à trois chercheurs assez différents entre eux (l’un russe, les deux autres occidentaux). Le premier, qui en son temps a dirigé l’Institut soviétique d’histoire militaire et partagé l’anti-stalinisme militant des années Gorbatchev, semble avoir l’intention de reprendre et radicaliser le réquisitoire du Rapport Khrouchtchev. Pourtant, à partir des résultats mêmes de sa recherche, il se sent obligé de formuler un jugement plutôt plus nuancé : sans être un spécialiste et moins encore le génie décrit par la propagande officielle, Staline, dès les années qui précèdent l’éclatement de la guerre, s’occupe intensément des problèmes de la défense, de l’industrie de la défense et de l’économie de guerre dans son ensemble. Oui, sur le plan strictement militaire, à travers seulement des essais et erreurs parfois graves et « grâce à la dure praxis de la vie militaire quotidienne » Staline « apprend progressivement les principes de la stratégie » 39.
En d’autres domaines, cependant, sa pensée se révèle « plus développée que celle de nombreux leaders soviétiques » .

Grâce aussi à sa longue pratique de gestion du pouvoir politique, Staline ne perd jamais de vue le rôle central de l’économie de guerre, et contribue à renforcer la résistance de l’Urss avec le transfert vers l’intérieur des industries de guerre : « il est à peu près impossible de surévaluer l’importance de cette entreprise » 40.
Enfin, le grand leader soviétique accorde une grande attention à la dimension politico-morale de la guerre. Dans ce domaine, il « avait des idées tout à fait hors du commun » , comme le démontre la décision « courageuse et clairvoyante » , prise malgré le scepticisme de ses collaborateurs, d’ effectuer la parade militaire de célébration de l’anniversaire de la Révolution d’octobre le 7 novembre 1941, dans Moscou assiégée et harcelée par l’ennemi nazi.

En synthèse, on peut dire que par rapport aux militaires de carrière et au cercle de ses collaborateurs en général, « Staline fait preuve d’une pensée plus universelle » 41.
Et c’est une pensée –peut-on ajouter- qui ne néglige pas les aspects même les plus minutieux de la vie et du moral des soldats : informé du fait qu’ils n’avaient plus de cigarettes, grâce aussi à sa capacité de faire face à « une énorme charge de travail », « au moment crucial de la bataille de Stalingrad, il [Staline] trouva le temps d’appeler au téléphone Akaki Mgeladze, chef du parti de l’Abkhazie, la région de culture du tabac : ‘Nos soldats n’ont plus la possibilité de fumer ! Sans cigarettes le front ne tient pas !’ » 42.

Dans l’appréciation positive de Staline en tant que leader militaire, deux auteurs occidentaux vont aller plus loin encore. Si Khrouchtchev insiste sur les succès initiaux bouleversants de la Wehrmacht, le premier des deux chercheurs à qui je me réfère exprime cette même information dans un langage assez différent : il n’est pas surprenant que « la plus grande invasion de l’histoire militaire » ait permis des succès initiaux ;quand l’Armée rouge se releva, après les coups dévastateurs subis en juin 1941, ce fut « la plus grande entreprise d’armes que le monde ait jamais vue » 43.

Le second chercheur, enseignant dans une académie militaire états-unienne, part de la compréhension du conflit dans la perspective de la longue durée et de l’attention réservée aux arrières comme au front, et à la dimension économique et politique comme à celle plus proprement militaire de la guerre : il décrit Staline comme « un grand stratège » , et même comme le « premier vrai stratège du vingtième siècle » 44.
C’est un jugement d’ensemble qui trouve un plein consentement aussi chez l’autre chercheur cité ici, dont la thèse de fond, synthétisée en note de couverture, définit Staline comme le « plus grand leader militaire du vingtième siècle » . On peut évidemment discuter ou nuancer ces jugements si flatteurs ; le fait est que, au moins pour ce qui concerne le thème de la guerre, le cadre tracé par Khrouchtchev a perdu toute crédibilité.

D’autant plus que, au moment de l’épreuve, l’URSS se révèle assez bien préparée d’un autre point de vue aussi. Redonnons la parole à Goebbels qui, dans son explication des difficultés imprévues de l’opérationBarbarossa, outre le potentiel guerrier de l’ennemi, renvoie aussi à un autre facteur :

Il était quasiment impossible à nos hommes de confiance et à nos espions de pénétrer à l’intérieur de l’Union Soviétique. Ceux-ci ne pouvaient pas se faire une idée précise. Les bolcheviques se sont directement engagés à nous tendre un piège. Nous n’avons eu aucune idée de toute une série d’armes qu’ils possédaient, surtout pour les armes lourdes. Exactement le contraire de ce qui s’est passé en France, où nous savions pratiquement tout et ne pouvions en aucune manière être surpris 45.

(p. 38-50)












1 Hoffmann (1995), p. 59 et 21.
2 Wolkogonow (1989), p. 500-4.
3 Knight (1997), p. 132.
4 Medvedev, Medvedev (2003), p. 231-32.
5 Montefiore (2007), p. 416.
6 Dimitrov (2005), p. 478-79.
7 Besyminski (2003), p. 380-6 (et en particulier p. 384).
8 Roberts (2006), p. 66-9.
9 Ferro (2008), p. 64 ; Beneš (1954), p. 151 ; Gardner (1993), p. 92-3.
10 Liddel Hart (2007), p. 414-15.
11 Idem, p. 417-18.
12 Goebbels (1992), p. 1601 et 1609.
13 Idem, p. 1601-2.
14 Fest (1973), p. 878.
15 Ferro (2008), p. 189.
16 Goebbels (1992), p. 1619.
17 Idem, p. 1639-40.
18 Idem, p. 1645.
19 Idem, p. 1656-8.
20 Idem, p. 1665-6.
21 Liddel Hart (2007), p. 417-18.
22 Hillgruber (1988), p. 296-97.
23 Rapporté dans Hillgruber (1988), p. 299-300.
24 Idem, p. 308 et 306.
25 Medvedev, Medvedev (2003), p. 216.
26 In Butler (2005), p. 41.
27 Webb (1982-85), vol. 4, p. 472 (note de journal du 8 août 1941).
28 Klemperer (1996), vol. 1, p. 647 (note de journal du 13 juillet 1941).
29 Medvedev, Medvedev (2003), p. 222-23.
30 Hitler (1965), p. 1682 (prise de position du 30 mars 1941).
31 Hitler (1989), p. 70 (conversation du 10 septembre 1941) et Hitler (1980), p.61 (conversation du 17-18 septembre 1941).
32 Liddel Hart (2007), p. 404, 400 et 392.
33 Werth (2007a), p.352 et 359-60.
34 Tucker (1990), p. 97-8.
35 Staline (1971-73), vol. 13, p. 67 et 274.
36 Trostki (1988), p. 930 (= Trotski, 1961, p. 188).
37 Dans une conversation avec Fritz Todt, rapporté dans Irving (1983), p. 341.
38 Hitler (1980), p. 366 (conversation du 26 août 1942).
39 Wolkogonow (1989), p. 501 et 570.
40 Idem, p. 501, 641 et 570-2.
41 Idem, p. 597, 644 et 641.
42 Montefiore (2007), p. 503.
43 Roberts (2006), p. 81 et 4.
44 Schneider (1994), p. 278-9 et 232.
45 Goebbels (1992), p. 1656 (note de journal du 19 août 1941).
 
Retour au forum
 
créer forum