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Xuan
Henri Alleg, le plus Algérien des Français


Je préviens le lecteur : j’ai titré ainsi mon propos par pure coquetterie intellectuelle et non par respect à la vérité historique, car Henri Alleg n’est ni tout à fait Algérien ni tout à fait Français : il est internationaliste… bien que nous, Algériens, ayons tendance à nous l’approprier !

Par Djamal Benmerad

Cet article a été publié dans :

http://barricades.over-blog.com/

http://jacques.tourtaux.over-blog.com.over-blog.com/article-henri-alleg-le-plus-algerien-des-francais-44158590.html


Il m’échoit deux tâches en une. La première tâche, ingrate celle-là, vise à présenter Harry Salem, plus connu sous son nom de guerre d’Henri Alleg, à une partie du public déjà convaincu et connaisseur de ce dernier, tant la valeur de cet homme a fait le tour des cinq continents.
La seconde tâche consiste en le redoutable privilège de faire connaître Henri Alleg à cette autre partie du public qu’est la jeunesse et qui, peut-être connaît imparfaitement cet homme.

Je le ferai donc en vertu de deux affinités qui me lient à Henry Alleg : l’honneur d’avoir travaillé à Alger républicain en qualité de grand reporter puis de rédacteur en chef - donc son successeur quelques dizaines d’années après lui (ce qui ne rajeunit pas Henri !) - et l’honneur qu’il m’a fait en m’offrant son amitié.

Il faut dire, en passant, que lors de notre intégration à ce journal, chaque jeune journaliste subissait un long speech sur Henri Alleg, par notre directeur de journal, aujourd’hui hélas décédé Abdelhamid Benzine qui lui aussi connut pendant la guerre la torture et les camps de concentration. Ainsi nous, dont « La question » figurait parmi nos livres de chevet, nous connaissions Henri avant même de l’avoir rencontré. Il était devenu un mythe pour les Maghrébins que nous sommes, raffolant de mythes et de légendes. Mais celui qui était pour nous un mythe - devient aussi pour nous une référence en matière de journalisme, le journalisme étant indissociablement lié à l’engagement révolutionnaire.

Nous apprîmes donc que ce natif de Londres a tôt commencé le journalisme, avant de s’installer dans l’Algérie coloniale des années quarante. A l’âge de 19 ans il adhère au Parti Communiste Algérien. La direction de ce Parti, assimilant mal les enseignements de Lénine concernant la question coloniale, était majoritairement composé de pieds noirs , c’est-à-dire des français nés en Algérie, ce Parti donc bégayait à l’époque entre la revendication d’une assimilation des Algériens aux Français et sa demande de promotion des classes ouvrières des deux pays. L’idée de l’indépendance de l’Algérie ne l’effleurait même pas. Il était en somme une annexe du Parti Communiste Français, parti coloniale par excellence, comme le fut du reste toute la gauche française, et qui doit faire retourner tous les jours dans sa tombe son cofondateur, l'illustre Ho chi Minh . Mais passons sur cette digression qui risque de réveiller de vieilles et stériles polémiques.

En 1951, Henri Alleg se voit offrir la direction du journal progressiste Alger républicain . Il renforce sa ligne résolument anticapitaliste. Peu à peu, la ligne de ce journal devient plus radicale et se rapproche des thèses nationalistes, tant le colonialisme est le fils cadet du capitalisme. Le fils benjamin du capitalisme étant l’impérialisme.

1954 : l’insurrection armée Algérienne éclate. Le Parti Communiste Algérien, censé être un parti d’avant-garde est pris au dépourvu. Nombre de militants français, qui seront l’honneur de la France, le quitteront pour rejoindre les patriotes Algériens.
Quelques mois plus tard, Alger républicain est interdit par les autorités coloniales. Apprenant qu’il était recherché, Henri Alleg plonge dans la clandestinité pendant que des communistes réellement communistes créent des cellules armées combattantes dénommées Les maquis rouges , dont le moins méritant n’est pas Fernand Yveton qui sera condamné à la guillotine et exécuté. Il venait à peine d’avoir 20 ans. Soulignons que Fernand Yveton est, jusqu’à aujourd’hui, est une idole et une des références - à l’instar du Che - de la jeunesse algérienne.

Les communistes combattront sous le vocable de Maquis rouges jusqu’en 1956, année où ils vont s’auto dissoudre pour rejoindre l’Armée de Libération Nationale.

Après deux ans de clandestinité, Henri est soudain découvert et arrêté le 12 juin 1957 par la sinistre 10eme division de parachutistes du non moins sinistre général Massu. Il est immédiatement transféré dans une villa des hauteurs d’Alger. Il s’agissait probablement de la villa Susini de triste mémoire. Là, Henri connaîtra dans sa chair les morsures de « la bête immonde. » Il y subira ses tortures les plus grossières aux plus raffinées. Il fera connaissance avec « le torchon mouillé », la « gégène », « la baignoire » et autres joyeusetés les unes pires que les autres. Aujourd’hui, des décennies plus tard, à l’heure où la torture sévit à Abou Ghraieb (en Irak), en Palestine, en Colombie et ailleurs, lisons un extrait de la douleur d’Henri Alleg :

Extrait de La Question d'Henri Alleg

Jacquet, toujours souriant, agita d'abord devant mes yeux les pinces qui terminaient les électrodes. Des petites pinces d'acier brillant, allongées et dentelées. Des pinces « crocodiles », disent les ouvriers des lignes téléphoniques qui les utilisent. Il m'en fixa une au lobe de l'oreille droite, l'autre au doigt du même côté.
D'un seul coup, je bondis dans mes liens et hurlai de toute ma voix. Charbonnier venait de m'envoyer dans le corps la première décharge électrique. Près de mon oreille avait jailli une longue étincelle et je sentis dans ma poitrine mon coeur s'emballer. Je me tordais en hurlant et me raidissais à me blesser, tandis que les secousses commandées par Charbonnier, magnéto en mains, se succédaient sans arrêt. Sur le même rythme, Charbonnier scandait une seule question en martelant les syllabes « Où es-tu hébergé ? »
Entre deux secousses, je me tournai vers lui pour lui dire : « Vous avez tort, vous vous en repentirez ! » Furieux, Charbonnier tourna à fond le rhéostat de sa magnéto : « Chaque fois que tu me feras la morale, je t'enverrai une giclée ! » et tandis que je continuais à crier, il dit à Jacquet : « Bon Dieu, qu'il est gueulard ! Foutez-lui un bâillon ! » Roulant ma chemise en boule, Jacquet me l'enfonça dans la bouche et le supplice recommença. Je serrai de toutes mes forces le tissu entre mes dents et j'y trouvai presque un soulagement.


Fin de citation.

Après un mois de sévices ignobles, un mois qui a dû durer pour lui un siècle, Henri est transféré en divers lieux de détention pour, finalement, aboutir à la prison Algéroise Barberousse . C’est dans cette prison qu’Henri Alleg entreprend de relater son supplice afin que nul ne dise « je ne savais pas. » A mesure qu’il rédige fébrilement « La question » , il en fera sortir un par un les feuillets à l’insu de ses gardiens, par l’intermédiaire de ses avocats qui étaient aussi ses « complices » à l’instar de Leo Mataresso.

Une fois achevé et évacué hors de prison, un homme de bonne volonté et de grand courage entreprit de l’éditer. Il s’agissait de Jérôme Lindon, directeur des Editions de Minuit . Pendant que son auteur est en prison, La question est publié. Les autorités Françaises interdisent le livre mais des centaines d’exemplaires sont déjà répandus sur le territoire. C’est ainsi, et quelques jours avec l’aide La Cité, une maison d’éditions Suisse, que les Français apprennent avec émoi que l’on torture en Algérie et, qui plus est, on torture même des Français ! Des intellectuels et autres personnalités tels que Picasso, Jean-Paul Sartre, Malraux, François Mauriac et tant d’autres protestent vigoureusement auprès de leur gouvernement.

Dans l’Algérie maquisarde, la parution du livre fut d’un apport extraordinaire. « Ce fut pour nous l’équivalent d’un bataillon » me dira, il y a quelques années, le fameux Commandant Azzedine, chef du premier commando de la guérilla algérienne, l’Armée de Libération Nationale .
Après trois années de détention à la prison Barberousse, Henri est transféré en France, dans la Prison de Rennes… d’où il s’évadera peu après, aidé en cela par un réseau communiste qui lui fera rejoindre la Tchécoslovaquie. Il y restera jusqu’en 1962, lors du cessez-le feu conclu entre l’Algérie combattante et la France colonialiste. Il revient dans l’Algérie indépendante pour organiser la reparution d’Alger républicain.
Je termine en rappelant que contrairement aux Occidentaux, nous, Maghrébins, avons le culte des héros.

Henri Alleg est de ceux-là.
Dj. B
 
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