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marquetalia
Ils m irritent à force ces "rouges bruns","nationalistes révolutionnaires",et autres "nazbols"comme Soral-qui est monarchiste tout en se revendiquant comme un héritier du Pcf-,qui ne sont confusionnistes ,dont l unique objectif est d entretenir l amalgame entre communisme et fascisme !


Edité le 29-02-2020 à 16:31:21 par marquetalia


Plaristes
Position anarchisante mais aussi fascisante :

https://youtu.be/BjoruwgdbVk

Peut parler des rouges bruns tel que Charles-Robin et Francis-Cousin, il n'est pas blanc non plus, et c'est pas juste par association..
(Par contre je ne savait pas qu’Alain de Benoist était rouge brun je croyais qu'il était juste brun...)


Personnellement moi j’ai Clouscard pas besoin de Michéa ce qui ne nous empêche pas de le citer de temps à autre.

Ceci dit cet article était passionnant.



"J’y vois malheureusement le signe de l’influence grandissante des “idées” (si l’on peut dire !) d’un Bernard-Henri Levy sur la nouvelle intelligentsia “progressiste” ! Lui qui, récemment encore, n’hésitait même plus à définir les classes populaires par leur « mépris de l’intelligence et de la culture »et leurs « explosions de xénophobie et d’antisémitisme » (il faut dire que la révolte du “peuple d’en bas” et de ses Gilets jaunes l’avait immédiatement plongé dans le même état de panique haineuse que les riches bourgeois parisiens de 1871 face aux insurgés de la Commune !). Or la plupart des enquêtes empiriques dont nous disposons sur ce point confirment, au contraire, de façon massive que c’est bel et bien dans les milieux populaires que le sens des limites et les pratiques concrètes et quotidiennes d’entraide et de solidarité demeurent, aujourd’hui encore, les plus répandus et les plus vivaces. Ce qui s’explique, après tout, très facilement. "



Moi j'y vois juste l'idéologie de la bourgeoisie impérialiste américaine qui a travers ses écoles en Californie ses pseudo philosophes mais surtout des rites d'initiation au capitalisme et au libéralisme dès l’enfance.
Finimore
BALLAST | Jean-Claude Michéa : " On ne peut être politiquement orthodoxe "

http://benoitbohybunel.over-blog.com/2017/05/critique-radicale-de-michea-glorification-de-la-valeur-d-usage-critique-tendancieuse-du-liberalisme-culturel-recuperation-par-les-ro


Semaine Présents libertaires Poursuivons, après Colson et Ciccariello-Maher, notre exploration des anarchismes contemporains (leurs enjeux, leurs lignes de force et de fracture). Le débat élèv...

https://www.revue-ballast.fr/jean-claude-michea-on-ne-peut-etre-politiquement-orthodoxe/

La complaisance inquiétante de la revue Ballast

Le populisme transversal traverse la gauche et la droite, pour réaffirmer les droits de quelque « peuple » abstraitement conçu. Il n'est pas nécessairement « rouge-brun », même s'il peut être soutenu par les rouges-bruns.

Ainsi, en France, Michéa appartient à cette frange idéologique confuse. L'une de ses spécificités théoriques : la glorification de la valeur d'usage.

Il s’agirait avec Michéa de revendiquer, pour le « peuple », une « économie » post-capitaliste (contradiction dans les termes, étant donné que toute « économie » en tant que telle, en tant que secteur séparé concentrant tous les autres, est capitaliste) ; une « économie » donc plus « vertueuse » en laquelle les « valeurs d’usage » et le travail devenu « concret » seraient des valeurs admises et « reconnues ».

Ces revendications sont des contradictions en elles-mêmes. En effet, le « travail concret » n’existe pas sans son pôle complémentaire et opposé, le « travail abstrait », il renvoie lui-même à une abstraction, au fait de subsumer sous une unité intelligible opaque et indifférenciée une diversité d’activités productives multiples et différenciées qui seraient toutes dites « utiles en général » (de ce fait, le « travail abstrait » en lui-même sera l’abstraction d’une abstraction). De même, l’idée de « valeur d’usage » n’existe pas sans son pôle opposé, la « valeur », et cette « valeur d’usage » n’est qu’une conception indifférenciée de ce qui satisfait des besoins « en général » (la valeur, ou valeur d’échange, sera donc également l’abstraction d’une abstraction).

Une société réellement post-capitaliste, qui auto-organiserait qualitativement la création de la vie, ne saurait, dans ce contexte, reposer sur la détermination de « valeurs d’usage » (elles-mêmes des abstractions), ni sur la requalification du « travail concret », mais plutôt sur l’abolition de tout système de valorisation séparé, de toute segmentation de « l’activité productive » conçue comme « travail ». L’utilitarisme ou la glorification du « travailleur » « vertueux socialement » ne sont pas des systèmes qui abolissent l’économie en tant que telle, soit le principe capitaliste, mais c’est seulement l’auto-abolition des individus réifiés/exclus/dissociés comme liés négativement à la structure du « travail en soi » et de la marchandise, de la « valeur en soi » (utile ou échangeable), qui semble pouvoir engendrer le dépassement de ce système. Que l'individu prolétarisé ou dissocié puisse pénétrer le contenu « concret » (dit « qualitatif » et « subjectif », mais en un sens encore partiel) de la marchandise comme valeur d’usage, chez Lukacs, implique un avantage stratégique et une légitimité certaine dans la dynamique d’autodépassement du capitalisme, mais pour autant, la société qu’il annonce aura, également, dépassé, il faut l’espérer, ces dimensions encore abstraites de la « concrétude » et de l’« usage ».

A ce sujet, nous pouvons proposer un extrait d’un ouvrage de K. Hafner, intitulé Le Fétichisme de la valeur d’usage, qui exprimera les choses très synthétiquement : « Ainsi on arrive au paradoxe suivant : dans toutes les sociétés humaines on peut parler d’usage et d’utilité, mais c’est seulement là où la notion d’une virtus propre à la chose s’est complètement effacée, et où on lui a conféré la marque de la capacité universelle à être échangée et valorisée, qu’on peut parler de valeur d’usage au sens strict (…). Il est aussi significatif que la notion d’utilité pure, telle qu’elle se présente dans les doctrines utilitaristes, ne se développe pas avant que la production de marchandises se soit imposée socialement à un certain degré et qu’ait disparu le dernier reste d’aristotélisme, au sens de l’idée d’une détermination particulière inhérente à la chose spécifique en question ».1

Ces remarques apparemment très théoriques ont en fait des enjeux réels, et on ne saurait les prendre à la légère. Pour suggérer ce fait, prenons un exemple parlant, et contemporain.

De fait, un penseur comme Jean-Claude Michéa, souvent désireux de voir advenir une société « décente », considérera qu’une telle société devra être fondée sur une production économique qui reconnaîtrait le primat des « valeurs d’usage » (la valeur d’échange étant par lui moralement associée au « Mal », et la valeur d’usage, de ce fait, indirectement, associée au « Bien »). Un exemple, parmi tant d’autres, de cette tendance de Michéa à fétichiser la valeur d’usage, se trouvera dans une interview du philosophe diffusée dans la Revue-Ballast le 4 février 2015, intitulée : « On ne peut plus être politiquement orthodoxe ».

Extrait : « Le problème, c’est qu’au fur et à mesure que la dynamique de l’accumulation du capital conduisait inexorablement à remplacer la logique du métier par celle de l’emploi (dans une société fondée sur le primat de la valeur d’usage et du travail concret, une telle logique devra forcément être inversée), le socialisme libertaire allait progressivement voir une grande partie de sa base populaire initiale fondre comme neige au soleil. »

Jean-Claude Michéa

La fétichisation de la valeur d’usage rejoint ici, comme on le voit, la naturalisation de la catégorie du travail, à travers une glorification implicite et idéologique du « métier », subtilement favorable à une bourgeoisie qui a tout intérêt à ce qu’une nostalgie liée à des formes idéales et naturalisées du « travail » perdure.

Michéa donc sur ce point sera en soi inepte, et pseudo-critique (il favorisera malgré lui un capitalisme national éternel et idéalisé). Ce « critique » aimera pourtant à rappeler qu’il faut éviter de rétro-projeter les catégories capitalistes sur des réalités précapitalistes. Il n’est en rien cohérent, de ce fait, puisqu’il considérera que l’abstraction économique désignant une « valeur d’usage », qui n’émerge pourtant que lorsque son opposé (la valeur d’échange) devient une fin en soi, c’est-à-dire au sein du capitalisme, serait une catégorie propre à toute société humaine, une catégorie transhistorique, qui aurait donc concerné les sociétés précapitalistes elles-mêmes. Le moralisme se réclamant de quelque « bon sens » obscur, en tant que formel et partiel (rattaché à la niaise « common decency » orwellienne) que prônera cet auto-proclamé populiste, sur la base d’une tendresse angéliste pour ceux qu’il nomme les « gens ordinaires » (abstraction indécidable, et inconsciemment méprisante, de surcroît, puisque tout individu est en soi une exception vivante tendant vers la singularité), renvoie très certainement à cette glorification tendancieuse et naturalisante d’un utilitarisme « en soi » et d’un principe « économique » qu’on voudra garantir dans sa « pureté ». Sur cette base, bien sûr, certaines dynamiques sociales (libération sexuelle, libération féministe des mœurs, droit à l’avortement, émancipation homosexuelle, etc.), dynamiques définies, de façon douteuse, comme « inutiles », pourront être moralement discréditées par certains de ses lecteurs, des rouges-bruns donc (Charles Robin), trop « fidèles » à la lettre du texte, en tant qu’elles seraient rattachées à quelque libéralisme vague (« libéralisme culturel » qui ne valoriserait que « l’échange abstrait » et non les « vertus » humaines réellement « utiles ». Mais ce sera toujours à partir d’un économisme formel, qui pense abstraitement l’usage, et de façon transhistorique (ce qui autorise de tels « utilitaristes » à insérer n’importe quels contenus politiques ou idéologiques dans ces valeurs d’usage sacralisées, même des contenus discriminants, comme on le voit). Tout ceci préparera donc les bases (malgré Michéa lui-même, mais on lui reprochera alors sa confusion, ce qui est un grave défaut en philosophie politique), d’un conservatisme soit disant anti-libéral, mais réellement pro-capitaliste (donc patriarcal et raciste), qu’un certain courant national-socialiste identitaire, antisémite, homophobe et sexiste se fera un plaisir de développer (Charles Robin, Alain Soral).

Et, de façon cohérente, on retrouve aujourd’hui, parmi d’autres « éloges », une interview de Michéa (publiée en janvier 2013), qui n’est plus « de gauche » depuis bien longtemps, comme il l’avouera lui-même, qui est reprise sur le site d’Egalité et Réconciliation, ceci n’étant donc pas étranger à sa naturalisation de l’usage, et ainsi à son anticapitalisme tronqué.




Note 1 : Une invitation éloquente est formulée par le site d’Egalité et Réconciliation, juste en-dessous de cette interview filmée : « pour compléter l’analyse de Jean-Claude Michéa, lisez Comprendre l’Empire, d’Alain Soral. »

Ceci expliquant cela.

Note 2 : Michéa lui-même rejette bien sûr, en « humaniste », la « pensée » de Soral. Il condamne aussi, bien sûr, régulièrement, l’antisémitisme et le racisme, car il conserve un esprit « tolérant » « de gauche ». Mais cela n’a pas l’air de le déranger tant que cela d’être relayé essentiellement, aujourd’hui, par des rouges-bruns qui n’ont que les discours de Francis Cousin, de Charles Robin, d’Alain Soral, et d’Alain de Benoist à la bouche. A vrai dire, il semble que le succès récent de Michéa tienne en bonne partie au fait qu’il a été grandement récupéré par les rouges-bruns, qui sont assez efficaces au niveau de la diffusion des « idées », du moins sur Internet. Profiter, quoique sans l’assumer, de cette publicité nauséabonde nous paraît particulièrement tendancieux, et inconséquent. Michéa devrait se désolidariser très explicitement de ces individus, et redéfinir très précisément le sens de sa critique du dit « libéralisme culturel », par exemple, pour qu’il ne soit plus possible d’utiliser cette critique à des fins discriminantes, patriarcales, homophobes, antisémites ou identitaires. Lorsqu’on a sa vidéo sur un site fascisant (Egalité et Réconciliation), et que l’on acquiert une certaine notoriété grâce à ce medium (plus de 26000 vues aujourd’hui, en ce qui concerne cette vidéo), on est censé s’en informer, et faire cesser cette situation, si l’on s’oppose vraiment à de telles dérives qui, aujourd’hui, plus que jamais, nous menacent tous. Manger de fait à tous les râteliers, c’est brouiller les pistes, c’est semer la confusion, et c’est être finalement nuisible du point de vue de la lutte anticapitaliste, qui est aussi une lutte antiraciste, contre l’antisémitisme, et anti-patriarcale, comme nous l’avons déjà montré.

1 Hafner, K., Gebrauchswertfetischismus, p. 64
Finimore
L’écoute des propos de Michéa sur les 5 liens indiqués ci-dessus est intéressante.
Dans la partie 2, Michéa indique qu’il était antistalinien, proche des situationnistes et qu’il fut proche des maoïstes (encore faut-il préciser lesquels). Il précise sa vision de mai 68 (présenté unilatéralement) et il explique être retourné au PCF sous Marchais de 1969 à 1976. Il affirme également qu’en 1968 les « maoïstes » soutenaient l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie (ce qui est totalement faux d’ailleurs !).

Le passé PCF de ses parents (permanents du parti) lui donne une certaine caution, mais ne fait pas de lui un marxiste-léniniste. D’ailleurs à aucun moment dans les entretiens, Michéa ne parle ni n’évoque la question du révisionnisme moderne, alors que c’est un point très important dans l’analyse de Mao et quand on réfléchit à l’histoire du PCF.

En 2014 Charles Robin (ancien élève de Michéa) auteur d’un livre intitulé : La gauche du capital – Libéralisme culturel et idéologie du marché (publié chez Krisis qui est une « revue d'idées et de débats » créée en 1988 par Alain de Benoist et aussi sa maison d’éditions) consacre plusieurs chapitre à la pensée de Michéa (évidemment à l’époque Charles Robin avait cotoyer des milieux très proche de l’extrême-droite, ce qui lui avait valut d’être mis à l’index par certains –voir notamment cet épisode rappeler dans la brochure publiée aux EP : http://editions-proletariennes.fr/Actu/antifascisme/antifascisme.htm
« Vous avez dit antifascisme ? Analyses et réflexions sur trente cinq années de luttes contre l'extrême droite : chapitre page 28 et annexes 26 et 27» -. Mon propos n’est pas de faire payer ad vitam aeternam Charles Robin qui semble depuis quelques années avoir pris certaines distances avec le courant soralien.
Donc dans « La gauche du capital », Robin écrit au sujet de Michéa dans le chapitre : « Non à la gauche, oui au socialisme ! Regards sur la pensée de Jean-Claude Michéa » -page 202- : « Il est issu d’une famille de résistants communistes et s’initia au marxisme-léninisme dés l’âge de quatorze ans ». En fait bien que n’ayant jamais été marxiste-léniniste, Michéa entretien un flou qui permet ce genre d’affirmation.
Finimore
France culture : À VOIX NUE – JEAN-CLAUDE MICHÉA
20 janvier 2019
https://miscellanees01.wordpress.com/2019/01/20/a-voix-nue-jean-claude-michea/

Jean-Claude Michéa (1/5) La chance d’avoir des parents communistes
https://www.youtube.com/watch?v=MffU0Yur19M

Jean-Claude Michéa (2/5) – Paris avant les bobos
https://www.youtube.com/watch?v=XLZNjGCuFEs

Jean-Claude Michéa (3/5) – Qui n’a pas connu Montpellier dans les années 80
https://www.youtube.com/watch?v=57qU1Q-zn9s

Jean-Claude Michéa (4/5) – Devenir un auteur par accident
https://www.youtube.com/watch?v=epL9nRFF5C0
Finimore
Lu sur le blog :

https://blogs.mediapart.fr/martinestorti/blog/241018/l-imposture-michea

L’imposture Michéa

 24 OCT. 2018

PAR MARTINE STORTI

Jean-Claude Michéa présente, livre après livre, la même ligne idéologique, avec un fonctionnement intellectuel lui aussi toujours identique, où les sarcasmes, les amalgames, les manipulations se font passer pour une pensée libre. Mais il ne fait qu'arpenter en long en large et en travers des sentiers battus et rebattus, et tracés dans seul but : s’émanciper de l’émancipation.

D’année en année Jean-Claude Michéa publie à peu près le même livre sous un titre différent. C’est son droit. D’ailleurs écrire au long d’une vie le même livre est un projet qui ne manque pas d’intérêt. Il peut être en effet fécond de séjourner dans une réflexion, de la ruminer, de l’approfondir, de la déployer dans tous ses sens, de la complexifier, de la soumettre à l’épreuve des faits, ou à celle d’autres pensées ou analyses.

Mais tel n’est pas le cas de Michéa. De livre en livre – titre du dernier paru cet automne, Le loup dans la bergerie - il ne s’agit ni d’approfondissement ni de complexité mais bien de répétition puisque nous sont livrés, quasiment inchangés, affirmations, analyses, exemples qui viennent en appui de la thèse martelée, rabâchée même et désormais bien connue, selon laquelle libéralismes économique, politique et culturel sont indissolublement liés, forment donc un tout, surtout lorsque l’économique prend la forme qu’il a depuis quarante ans, celle de l’hybris néolibérale.

Etre en désaccord avec cette analyse, oser différencier néo-libéralisme économique et libéralisme politique et culturel, c’est, selon Michéa, être au mieux dans « le déni »[1] – c’est commode, le renvoi au « déni », ça permet d’éviter le débat - au pire complice de tous les méfaits du capitalisme.

Mais du libéralisme économique, prétendument affiché comme ennemi principal, les ravages, livre après livre, ne sont guère énoncés. Est-il question de la financiarisation de l’économie, de la dérégulation, de la course aux profits, des manipulations boursières répétées et impunies, des salaires exorbitants, de la précarité du salariat, des inégalités croissantes, du saccage de l’environnement, de l’évasion fiscale, des retraites chapeaux, de la corruption ? Oui mais peu et comme en passant, tant l’urgence est pressante de dénoncer les méfaits du libéralisme culturel et sociétal, idiot utile du marché

Et peu importe qu’aux Etats-Unis, le néo-libéralisme revenu en force depuis les années Reagan se soit accompagné d’une évidente poussée conservatrice dont Trump est l’expression. Ou que les Saoudiens combinent fort bien excellente adaptation au libéralisme économique et moeurs rétrogrades, comme d’ailleurs les tenants du dit « Etat islamique » qui maîtrisaient fort bien la modernité économique et technologique ! Ou encore que Jair Bolsonero, candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle brésilienne soit à la fois ultra-libéral en économie et pas du tout au plan politique et sociétal. J’ajoute qu’il ne me semble
pas que Le Figaro ou Valeurs actuelles, pourfendeurs réguliers des réformes sociétales, le soient aussi du néolibéralisme.
Sans doute a-t-il échappé au professeur de philosophie que le capitalisme peut s’accommoder de tout, tant du conservatisme sociétal que du libertarisme le plus échevelé.

Si l’on retrouve livre après livre la même ligne idéologique, on retrouve aussi un fonctionnement à l’oeuvre dans chaque ouvrage. C’est à ce fonctionnement que cet article s’attache, tant il relève d’une malhonnêteté intellectuelle qui, je l’avoue, me laisse pantoise. Un fonctionnement où les sarcasmes, les amalgames, les manipulations se font passer pour une pensée libre, non inféodée au si détestable « politiquement correct » ce qui, quoiqu’il en dise, ajuste Michéa au monde communicationnel tel qu’il est, celui du punchline, de la formule qui fait mouche pour être mise en bandeau ou retweetée !

Pratique de l’amalgame, livre après livre, page après page

La pratique de l’amalgame est caractéristique de sa méthode. Pourquoi s’embarrasser de nuances, faire un sort aux désaccords, aux distinctions entre les uns et les autres, quand il est tellement plus facile de mettre tout le monde dans le même sac, un sac fort grand, jamais totalement rempli, ce qui permet ainsi, de livre en livre, d’ajouter des noms, manière d’actualiser le propos. Selon Michéa, la gauche – car c’est à elle qu’il réserve ses vindictes, en restant silencieux sur la droite et l’extrême droite - la gauche donc est homogène. De François Hollande à Olivier Besancenot, pas l’ombre d’une différence, nous avait-il déjà expliqué, pas plus d’ailleurs qu’entre Jean-Luc Mélenchon et Jacques Attali, ou Pierre Bergé, ou les Femen, ou Edwy Plenel !
Après avoir dans un ouvrage précédent, présenter Alain Badiou comme une figure majeure du libéralisme, ce qui ne manquait pas d’audace, il s’autorise dans Le loup dans la bergerie, un festival avec des noms qui, actualité oblige, ont été ajoutés. Ainsi Emmanuel Macron, Serge Audier, George Soros, Caroline de Haas, Raphaël Glucksmann, Rockhaya Diallo, Frédéric Lordon, Benoît Hamon, Ruwen Ogien, Sandra Muller, tous dans le même sac, tous tenants de l’horrible libéralisme culturel, et donc tous complices des ravages du néolibéralisme économique. Et peu importe que Glucksmann ait quitté Le Nouveau Magazine Littéraire par anti-macronisme ou que Caroline de Haas, pour ne prendre que ces deux noms, n’a de cesse de combattre l’actuel président de la République comme le précédent d’ailleurs. Mais pourquoi s’embrasser de nuances quand plus c’est gros, plus ça éblouit des lecteurs, par exemple Jack Dion qui dans Marianne se délecte de celui qui est « détesté par l’intelligentsia germanopratine ». Car évidemment être en désaccord avec Michéa, c’est germanopratiner !

Pourquoi se fatiguer à prêter attention aux différences, aux désaccords, aux débats quand il est plus facile d’affirmer que les tenants du libéralisme culturel pensent tous la même chose. Facilité accentuée par la définition bien pratique du libéralisme culturel que s’est concocté Michéa, non pas l’affirmation des libertés individuelles, conquêtes de la modernité, mais bien plutôt la disqualification de toutes les traditions, la critique de toutes les normes parce que toutes jugées oppressives, la légitimation de toutes les transgressions, la destruction de toutes les limites, « la régularisation de principe, au nom des « droits de l’homme » et de la liberté individuelle, de tous les choix « privés » et de toutes les lubies personnelles [2] ».

Les tenants du libéralisme culturel –autre nom de la gauche d’aujourd’hui pour Michéa – sont donc forcément partisans de la gestation pour autrui (alors que cet enjeu est un sujet permanent de désaccords), de l’abolition de l’inceste, mais oui, Michéa vous l’affirme, forcément hostiles à la pénalisation de la pédophilie, forcément opposés à une « forme quelconque de filiation », forcément fanas de jeux vidéo, forcément indifférents au passé, quand ils ne l’ignorent pas complètement, forcément admiratifs de Canal + et « lecteurs béats de Libération », forcément d’accord avec Nicolas Sarkozy pour cesser de s’intéresser à La princesse de Clèves, et cerise sur le gâteau, forcément en accord avec « un monde livré aux fantasmes foncièrement eugénistes d’une Christiane Taubira[3]». Des développements, des éléments de preuve, pour étayer une accusation aussi grave, énoncée à plusieurs reprises ? Non, aucun !

Comme certains voyaient en 1975 dans la loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse, le droit à « l’euthanasie du bon plaisir » et « le droit à l’eugénisme », il faudrait voir, dans le libéralisme culturel version Michéa, la libéralisation du « marché de l’adoption », « l’ouverture d’écoles privées de prostitution [4]», et pourquoi pas la revendication du « droit d’allaiter pour tous », ou du « droit à la beauté physique pour tous[5] » ! Ou bien - et là c’est dans la récente cuvée -, du droit de vote des enfants dès l’âge de neuf ans, ou du choix de nouveaux parents dès la douzième année[6], ou encore de changer de lieu et même de date de naissance !

La pratique constante de l’amalgame s’accompagne donc d’un autre procédé qui consiste à prendre des dérives et des stupidités pour la vérité du libéralisme culturel. Il est alors aisé de construire un réquisitoire, même paradoxal, par exemple dans la dénonciation des sites permettant « la location de filles pour approvisionner de riches hommes d’affaires[7] ». La technologie donne certes de nouvelles formes au marché de la prostitution, pour autant on s’étonne que « le plus vieux métier du monde » soit pris comme exemple de l’actuel libéralisme culturel ! Dans le si regretté temps d’avant, tout le monde le sait, pas de prostituées, pas de trafic de femmes et d’enfants, pas d’esclaves sexuelles!

Tout à son unique grille de lecture, Michéa met homosexuels sortis de la clandestinité et femmes émancipées au rang des complices de premier plan du néolibéralisme, parce qu’agents du consumérisme effréné, puisqu’« il est clair que les progrès historiques du capitalisme ont certainement quelque chose à voir avec le meurtre du père [8] ». Si c’est clair, à quoi bon en dire davantage ! Les homosexuels consommeraient-ils, par nature en quelque sorte, plus que les hétéros ? J’ai beau chercher, je ne parviens pas à comprendre en quoi le fait qu’ils se fassent moins tabasser, soient moins l’objet de sarcasmes ou d’injures, puissent ou non se marier, a une quelconque incidence sur le néolibéralisme ! Quant aux femmes elles sont des agents du consumérisme et donc du Grand Marché libéral ! Ainsi les femmes qui font souvent et depuis très longtemps le marché et les courses font aussi, qui l’eut cru, le Grand Marché ! C’est que leur émancipation vue par Michéa, n’est qu’une nécessité de la société capitaliste contrainte « de soustraire progressivement les femmes du joug familial traditionnel (joug qui avait, de surcroît, l’inconvénient de diviser par deux le nombre de consommateurs possibles), pour encourager toujours du même pas leur soumission parallèle au règne de la Marchandise et de la Mode[9]» !

La stupide opposition social/sociétal

Il arrive cependant que notre contempteur du libéralisme soit gêné aux entournures, puisqu’il reconnaît qu’il est impossible « de nier les progrès humains évidents que peut favoriser ici ou là le droit libéral abstrait : il va de soi, par exemple, qu’un mariage librement consenti sera toujours plus émancipateur qu’un mariage forcé[10] ».

Comment sortir de cet embarras ? D’abord en affirmant que l’émancipation des dernières décennies, et en particulier celle des femmes, s’est faite dans le mouvement même du capitalisme, et juste parce qu’elle lui était utile. Oubliées les luttes des femmes, durant des siècles, précisément contre ce que Michéa vénère : les traditions, les habitudes, la loi symbolique, le passé, les religions, les valeurs morales qui sont souvent l’habillage du contrôle du corps des femmes et de leur oppression. Et puisqu’il nous dit que cette émancipation convient si bien au capitalisme, comment expliquer qu’elle ait pris tant de temps, que les femmes se soient heurtées – et se heurtent encore - à tant de résistances, tant d’oppositions ?
Mais une chose est de reconnaître, comme n’importe quelle féministe de gauche le fait, que la conquête de droits nouveaux et réellement émancipateurs ne signe pas l’abolition du capitalisme et la fin de toute aliénation, autre chose est de prétendre qu’elle conforte la marchandisation du monde. Je m’étonne que soient stigmatisés certains changements et pas d’autres. Pourquoi Michéa s’arrête-t-il en si bon chemin ? Pourquoi ne récuse-t-il pas toutes les réformes obtenues après de longues et difficiles luttes, qui, sans abolir le capitalisme, ont cependant amélioré la vie des gens ? Pourquoi ne pas mettre en cause, par exemple, les congés payés qui, depuis 1936, ont développé de façon exponentielle le marché du tourisme ?

Autre manière de répondre : reprendre à son compte l’opposition sociétal/social –Michéa est loin d’être seul sur ce champ !- en faisant croire que l’un empêche l’autre, que le sociétal est la cause du déficit de social. Il analyse cette opposition en particulier du côté des femmes en se livrant à un tour de passe-passe assez culotté et à une réécriture de l’histoire des luttes féministes des dernières décennies qui ne seraient que des luttes menées au sein des classes dominantes, à leur profit, dans l’oubli des « femmes du peuple ».
Est-ce que ça peut rentrer dans la tête de cet auto-proclamé défenseur des « femmes du peuple » que les luttes pour l’avortement ont concerné aussi bien les « femmes du peuple » que « les bourgeoises », ces dernières pouvant aller avorter en Angleterre ou en Suisse tandis que les premières devaient se contenter de la faiseuse d’anges ou de l’aiguille à tricoter. Ou encore que la lutte pour la parité n’a pas concerné que la place des femmes dans les conseils d’administration des entreprises du CAC 40 mais aussi leur place dans les organisations syndicales, les partis politiques, leurs programmes et leurs revendications. Ou encore que le combat contre les violences, même s’il n’est pas initié par « des femmes du peuple » peut avoir aussi des conséquences positives pour celles qui s’autorisent enfin à dénoncer sexisme et harcèlement dans leur entreprise, leur grande surface ou leur bureau ! S’il y a un domaine où l’opposition social/sociétal n’a aucun sens, c’est bien à propos de la situation des femmes.

Ajoutons que Michéa a une vision très restrictive du peuple, quand il daigne d’ailleurs avancer sur ce terrain. Dans les rangs du peuple en effet ne se trouvent ni la bourgeoisie, ni les bobos, ni les soixante-huitards, ni les apôtres du sociétal, ni les tenants de la gauche libérale, ni les immigrés, ni leurs descendants, ni les gays, ni les féministes, ni les familles qui ont abandonné le schéma traditionnel, ni « les élites », ni les nomades, ni les défenseurs du
gender, ni les sansfrontièristes, ni les lecteurs de Libération, ou des Inrocks, ou de L’obs, ou Monde, ni les téléspectateurs de Canal+ …
Non le « peuple », c’est « la femme de ménage qui joue au loto tous les vendredis, l’ouvrier plongé dans la lecture de l’Equipe, l’employé amateur de pêche à la ligne ou la petite veuve qui promène son teckel [11]», c’est-à-dire les « gens ordinaires ». Mais j’ai l’intuition que pas un seul instant notre professeur de philosophie n’est traversé par l’idée que la « petite veuve » est peut-être inscrite sur un site de rencontres, que le pêcheur à la ligne est peut-être gay et donc concerné par le droit des homos, que la femme de ménage a peut-être une fille qui heureusement a pu avorter dans de bonnes conditions, et que le lecteur de l’Equipe est peut-être un immigré qui se réjouit qu’il y ait encore des antiracistes en France !

Pour lutter contre les méfaits du si nocif libéralisme que propose Michéa ? Il nous invite à la « décence commune », reprise d’Orwell mais jamais précisée, au respect des traditions - sans indiquer lesquelles, ce serait trop risqué -, à la distinction entre le « ça se fait » et « ça ne se fait pas ». Mais voilà qui est bien relatif et pour le coup très variable.
Par exemple ça se faisait pour une femme d’être considérée comme une « trainée » en étant enceinte sans être mariée, mais heureusement « ça ne se fait plus » en tout cas dans un pays comme la France. Ça se faisait aussi de devoir accoucher dans la souffrance, ça ne se fait plus. Ça se faisait aussi pour une femme d’être et violée et coupable de l’avoir été, après tout elle l’avait bien cherché, on espère que ça se fait moins… Je pourrais multiplier les exemples. D’autres encore, actuels, ainsi là « ça se fait » que les femmes soient sous la burqa et là « ça ne se fait pas », là « ça se fait » que l’on commette des crimes d’honneur et là « ça ne se fait pas », là « ça se fait » de condamner à cent coups de fouet pour athéisme et là « ça ne se fait » plus etc.
Sinon on a quoi ? L’incantation au retour du « socialisme des origines », celui qui a été trahi dès l’affaire Dreyfus, quand, après bien des hésitations, les socialistes d’alors s’engagèrent dans la défense d’un bourgeois, de surcroît militaire et juif. Libre à Michéa de préférer l’antisémite et le misogyne Proudhon à Jean Jaurès. C’est que pour lui, de la défense de Dreyfus à la gauche d’aujourd’hui, la continuité serait totale, les droits et les émancipations dites sociétales jouant le même rôle, si l’on comprend bien, que la lutte contre l’antisémitisme : détourner le peuple de ses intérêts, de ses priorités, de lui-même.

Autre proposition : le retour aux valeurs morales, là encore peu explicitées, auxquelles sont attachées les classes populaires. Il ne me semble pas que ces valeurs morales si ancrées avant mais bafouées, nous dit-il, par le libéralisme culturel des dernières décennies, aient été d’un grand secours pour faire obstacle à la barbarie du siècle précédent ! Il convient en outre de se méfier de ce renvoi aux valeurs qui succède à une critique des droits, complices du marché, affirmée page après page, livre après livre. Quoi de plus fragile que les valeurs, de plus aléatoire ? Les droits écrits, institués, inscrits dans des lois, dans une constitution sont des protections bien plus sérieuses.
Si l’ennemi principal est la mondialisation néo-libérale, ou encore « la dynamique aveugle et insensée de l’accumulation sans fin du capital » comme le prétend Michéa, il est aisé de comprendre qu’avec un opposant de cette envergure, elles ont encore de beaux jours devant elles.
Mais non, l’hostilité au néolibéralisme et l’habillage marxiste servent à camoufler une entreprise de brouillages, où l’on se construit un flanc « gauche de la gauche », ou « vrai socialisme » en séduisant ceux qui sortent leur marxisme de comptoir dès qu’ils entendent le mot « libéralisme ». Aussi un flanc « droite de la droite », par l’exaltation des traditions, de la famille, de la morale. Au nom de la défense des « petites gens », des « gens ordinaires », c’est à une attaque en règle des droits et des émancipations conquis au prix de luttes séculaires qu’il se livre.

La critique que conduit Michéa du néolibéralisme est un leurre, raison pour laquelle il fait du libéralisme un tout. Raison qui explique son succès du coté de Marianne, de Valeurs actuelles, d’Eléments, des sites Boulevard Voltaire et Egalité et réconciliationautant de titres qui font l’éloge de Michéa à chaque parution de ses ouvrages. « Une pensée hors des sentiers battus » nous dit-on ici ou là. Non, Michéa, comme pas mal d’autres aujourd’hui, arpente en long en large et en travers des sentiers battus et rebattus, et tracés dans seul but : s’émanciper de l’émancipation.
Je développe ces considérations et d'autres dans mon livre Sortir du manichéisme, des roses et du chocolat, (Ed Michel de Maule)

[1] Le loup dans la bergerie, Ed. Climats, 2018 p.100
[2] J.C Michéa, Le complexe d’Orphée, p.179
[3] J.C.Michéa, J.Julliard, La gauche et le peuple, p.58
Outre Christiane Taubira, deux autres figures – trois femmes, fruit du hasard, à n’en pas douter – symbolisent pour Michéa « une effarante régression politique, morale et intellectuelle » : Najat Vallaud Belkacem et Cécile Dufflot parce qu’elles n’ont pas la stature de Louise Michel, Flora Tristan et Rosa Luxembourg. C’est exact, bien qu’il soit très difficile de prévoir comment telle ou telle personne peut se comporter dans une situation tragique. Mais enfin admettons que les unes et les autres ne jouent pas dans la même cour. De même, me semble-t-il, Michéa, comme philosophe, ne joue pas dans la même cour que …Je ne cite aucun nom, tant la prétention, l’arrogance et la suffisance qui suintent à chaque page de ses livres rendent malheureux pour la philosophie.
[4] Les mystères de la gauche, pp.117, 118, 119
[5] La gauche et le peuple, p.223
[6] Le loup dans la bergerie, p.33
[7] La gauche et le peuple, p.244
[8] J.C. Michéa, La double pensée p. 226.
[9] La gauche et le peuple, p.90
[10]Le loup dans la bergerie, p.132
[11] Le complexe d’Orphée., p. 67
Xuan
Je publie cet article de Michéa bien qu'il affiche ici des positions anarchisantes (la société sans classe remplaçant directement le capitalisme), et une référence constante chez lui à Orwell qui a mangé à tous les râteliers.
Il avait notamment refilé une liste de communistes à Celia Kinwan du département de la recherche d'information , unité de propagande du gouvernement travailliste.

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Jean-Claude Michéa : « Il est grand temps de refermer la triste parenthèse politique de la gauche libérale »


Jean-claude Michéa

Source : Le Comptoir, Jean-Claude Michéa, 20-06-2019

Repris par la site les Crises



Après un article rédigé par Michael C. Behrent sur sa pensée, le magazine américain Dissent publie un grand entretien du philosophe Jean-Claude Michéa. Celui-ci a été accordé en janvier 2019, alors que les gilets jaunes fêtaient leurs deux mois. Le gouvernement commençait à discréditer le mouvement et à le couper de ses bases populaires en pointant notamment la présence des « Black blocs » et de groupuscules d’extrême droite lors des rassemblements parisiens. Alors que Michael Behrent a décidé, avec l’accord de Michéa, de laisser de côté quelques passages risquant d’être incompréhensibles pour des lecteurs américains, notre site propose la traduction intégrale de l’entretien. Dans la 1ère partie, le penseur est revenu sur la critique du libéralisme et sur sa défense des Gilets jaunes. Dans cette 2ème partie, il développe sa critique de la gauche libérale.

Dissent : La xénophobie et l’’intolérance sont en train de monter. Combattre le racisme, dans ce contexte, semble plus nécessaire que jamais. Je pense, par exemple, à cette critique du “privilège blanc” qui est très répandue chez les Américains progressistes. Pour vous, au contraire, l’antiracisme et les luttes sociétales symbolisent tout ce qui est faux dans le libéralisme culturel. Cette façon de voir ne risque-t-elle pas de délégitimer ces combats à un moment où ils semblent particulièrement nécessaires ?

Jean-Claude Michéa : C’est effectivement sur cette question du racisme et de la défense des “minorités” (sexuelles ou autres) que le nuage d’encre répandu depuis des décennies par l’intelligentsia de gauche est devenu aujourd’hui le plus difficile à dissiper. Car il ne s’agit évidemment pas de “délégitimer” le moindre de ces combats dits “citoyens” (ne serait-ce que par fidélité à Marxqui, dans le Capital, rappelait déjà que « le travail sous peau blanche ne peut s’émanciper là où le travail sous peau noire reste stigmatisé et flétri »). Ce qui fait problème, en revanche, c’est la façon incroyable dont la nouvelle intelligentsia de gauche – sur fond, tout au long des années 1980, de néolibéralisme triomphant, de “guerre des étoiles” et de déclin irréversible de l’empire soviétique – s’est aussitôt empressée d’instrumentaliser ces combats (on se souvient par exemple du rôle décisif joué sur ce plan par Bernard-Henri Levy, Michel Foucault et les “nouveaux philosophes”) dans le but alors clairement affiché de rendre définitivement impossible tout retour de la critique socialiste du nouvel ordre libéral, critique à présent assimilée au “goulag” et au “totalitarisme” (et le fait que l’actuelle génération d’intellectuels de gauche ait été élevée dans l’idée que Marx était un auteur “dépassé” − combien ont réellement lu le Capital ? − n’a certainement pas arrangé les choses !). Le cas de la France me paraît d’ailleurs ici, une fois de plus, emblématique.


Manifestation d’SOS racisme

Plus personne n’ignore, en effet, que c’est bien François Mitterrand lui-même (avec la complicité, entre autres, de l’économiste libéral Jacques Attali et de son homme à tout faire de l’époque Jean-Louis Bianco) qui, en 1984, a délibérément organisé depuis l’Elysée (quelques mois seulement, par conséquent, après le fameux “tournant libéral” de 1983) le lancement et le financement de SOS-Racisme, un mouvement “citoyen” officiellement “spontané” (et d’ailleurs aussitôt présenté et encensé comme tel dans le monde du showbiz et des grands médias) mais dont la mission première était en réalité de détourner les fractions de la jeunesse étudiante et lycéenne que ce ralliement au capitalisme auraient pu déstabiliser vers un combat de substitution suffisamment plausible et honorable à leurs yeux. Combat de substitution “antiraciste”, “antifasciste” et (l’adjectif se généralise à l’époque) “citoyen”, qui présentait de surcroît l’avantage non négligeable, pour Mitterrand et son entourage, d’acclimater en douceur cette jeunesse au nouvel imaginaire No Border et No limit du capitalisme néolibéral (et c’est, bien entendu, en référence à ce type de mouvement “citoyen” que Guy Debord ironisait, dans l’une de ses dernières lettres, sur ces « actuels moutons de l’intelligentsia qui ne connaissent plus que trois crimes inadmissibles, à l’exclusion de tout le reste: racisme, anti-modernisme, homophobie » ).

Or cette instrumentation cynique des différents combats dits “sociétaux” s’est révélée, à l’usage, doublement catastrophique pour la gauche. Sur le plan intellectuel, d’abord, parce qu’il est évident qu’une lutte pour “l’égalité des droits et la fin de toutes les discriminations” finira toujours par se voir récupérée et détournée de sons sens par la classe dominante dès lors que tout est fait, en parallèle (et comme c’est justement le cas de la plupart des associations “citoyennes”), pour la dissocier radicalement de toute forme d’analyse critique de la dynamique du capital moderne (et notamment de celle de Marx – aujourd’hui plus éclairante que jamais – sur les effets psychologiques, politiques et culturels du règne de la marchandise, cette « grande égalisatrice cynique »). Un peu, en somme, comme si on appelait à combattre le désastre écologique actuel – à l’image de cette jeune Greta Thunberg devenue, en quelques mois, la nouvelle idole des médias libéraux – tout en se gardant de dire un seul mot de cette dynamique d’illimitation qui définit de façon structurelle le mode de production capitaliste !

« À la différence des classes supérieures, pourtant si promptes à mettre en avant la mobilité transnationale et la tolérance aux autres, les classes populaires sont dans les faits beaucoup plus métissées et mélangées que tous les autres groupes sociaux. »

Et sur le plan pratique, ensuite, parce que les classes populaires n’ont évidemment pas mis longtemps à comprendre − dans la mesure où elles voyaient parfaitement que c’est, pour l’essentiel, la bourgeoisie de gauche (et notamment ses universitaires, ses journalistes et ses artistes) qui avait pris, dès le début, le contrôle de la plupart de ces nouvelles luttes “sociétales” − que les progrès réels que ces dernières allaient rendre enfin possibles (sous réserve, là encore, qu’on ne confonde pas l’émancipation effective d’une “minorité” avec la seule intégration de ses membres les plus ambitieux dans la classe dominante !) se feraient presque toujours sur leur dos et à leur frais.

Sous ce rapport, rien n’illustre mieux cette dialectique de l’émancipation régressive que l’élection de la nouvelle Assemblée nationale française de juin 2017. À l’époque, l’ensemble des médias avaient en effet salué avec enthousiasme le fait que jamais dans l’histoire de la République française, un parlement élu n’avait compté autant de femmes (près de 40 %) ni de députés issus des “minorités visibles”. Qu’il s’agisse là d’un progrès considérable sur le plan humain, je ne songe évidemment pas à le nier un seul instant. Le problème, c’est qu’il faut également remonter à l’année 1871 (autrement dit à cette assemblée versaillaise qui avait ordonné le massacre de la Commune de Paris – cette « Saint-Barthélemy des prolétaires » disait Paul Lafargue – sous la direction éclairée d’Adolphe Thiers et de Jules Favre, alors les deux chefs incontestés de la gauche libérale) pour retrouver une assemblée législative présentant un tel degré de consanguinité sociale (les classes populaires, pourtant largement majoritaires dans le pays, n’y sont plus “représentées”, en effet, que par moins de 3% des élus ; et, pour la première fois depuis 1848, on n’y trouve même plus un seul véritable ouvrier !).

Ce n’est donc pas tant parce qu’ils seraient “par nature” sexistes, racistes et homophobes que “ceux d’en bas” accueillent généralement avec autant de réticence les combats dits “sociétaux” (une récente étude sociologique sur Les classes sociales en Europe, parue en 2017 aux éditions Agone − montrait même qu’« à la différence des classes supérieures, pourtant si promptes à mettre en avant la mobilité transnationale et la tolérance aux autres, les classes populaires sont dans les faits beaucoup plus métissées et mélangées que tous les autres groupes sociaux« ). C’est bien plutôt parce qu’elles font chaque jour la triste expérience concrète de cette “unité dialectique” du libéralisme culturel et du libéralisme économique sur laquelle la gauche académique en est encore à s’interroger doctement. C’est, du reste, une des raisons pour lesquelles j’en suis venu à accorder, dans mes derniers livres, une importance pédagogique majeure à Pride, ce petit chef d’œuvre du cinéma politique britannique réalisé, en 2014, par Matthew Warchus.


Pride de Matthew Warchus

Pride montre en effet de façon exemplaire que si le soutien apporté aux mineurs gallois du petit village d’Onllwyn, au cours de l’été 1984, par de jeunes militants socialistes du groupe londonien Lesbians and Gays Support the Miners a pu finalement réussir à modifier de façon aussi efficace le regard de ces mineurs sur l’homosexualité, c’est bien d’abord parce qu’à la différence des militants LGBT traditionnels (lesquels sont, du reste, presque toujours issus de la nouvelle bourgeoisie de gauche des grandes métropoles), l’idée ne leur était jamais venue un seul instant de considérer ces syndicalistes gallois comme autant d’esprits “arriérés” qu’il convenait d’évangéliser sur le champ à coup de sermons moralisateurs. Ils les voyaient avant tout, au contraire, comme de véritables camarades de combat, engagés en première ligne contre le sinistre gouvernement de “Maggie la sorcière” (une démarche assez semblable, en somme, à celle qui avait conduit Orwell en 1936 − face à la menace franquiste − à prendre tout naturellement sa place aux côtés des républicains espagnols).

De ce point de vue, la leçon politique de Pride dépasse donc le cadre de la seule lutte contre l’homophobie. Et on pourrait en résumer le principe de la façon suivante. Vous voulez vraiment faire reculer le racisme, l’homophobie, le sexisme et l’intolérance ? Alors remettez d’abord en question tousvos préjugés de classe envers les milieux populaires – à commencer par ceux qui vous portent spontanément à n’y voir qu’un « panier de déplorables » (ou « des gars qui fument des clopes et roulent en diesel », si on préfère la version plus soft de Benjamin Griveaux − porte-parole du gouvernement d’Emmanuel Macron et ancien bras droit du “socialiste” Dominique Strauss-Kahn). Vous pourrez alors découvrir par vous-mêmes à quel point “ceux d’en bas” − quelles que soient, par ailleurs, leur orientation sexuelle ou leur couleur de peau – peuvent se révéler très vite au moins aussi capables d’humanité, de tolérance et d’intelligence critique – dès lors qu’on accepte enfin de les traiter en égaux et non plus en enfants agités à qui on doit faire sans cesse faire la leçon − que ceux qui se perçoivent en permanence comme the best and the brightest. Reste, bien sûr, à savoir si la bourgeoisie de gauche a encore les moyens moraux et intellectuels, en 2019, d’une telle remise en question. Rien, hélas, n’est moins certain.

Vous critiquez – ou du moins vous pointez les limites – de l’idée de “neutralité axiologique” et de la place qu’elle occupe dans la pensée politique contemporaine. Mais une sorte de variante de cette idée ne s’avère-t-elle pas nécessaire pour une société bonne – et particulièrement pour une société tolérante et ouverte à la différence ?

Le problème c’est qu’il me paraît très difficile de mobiliser ce concept de “neutralité axiologique” sans avoir à réintroduire aussitôt l’ensemble des présupposés du libéralisme politique, économique et culturel ! Derrière toutes les constructions de la philosophie libérale, en effet, on trouve toujours l’idée (née de l’expérience traumatisante des terribles guerres civiles de religion du XVIe siècle) que les hommes étant par nature incapables de s’entendre sur la moindre définition commune de la “vie bonne” ou du “salut de l’âme” (le relativisme moral et culturel est logiquement inhérent à tout libéralisme), seule une privatisation intégrale de toutes ces valeurs morales, philosophiques et religieuses qui sont censées nous diviser irrémédiablement – ce qui implique, entre autres, l’édification parallèle d’un nouveau type d’État, minimal et “axiologiquement neutre” − pourra réellement garantir à chacun le droit de choisir la manière de vivre qui lui convient le mieux, dans un cadre politiquement pacifié. Sur le papier, un tel programme est incontestablement séduisant (surtout si l’on admet, avec Marx, que « le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous »). L’ennui, c’est que c’est précisément cet impératif de “neutralité axiologique” (ou, si l’on préfère, cette idéologie de la “fin des idéologies”) qui contraint en permanence le libéralisme politique et culturel (les deux sont forcément liés puisque si chacun a le droit de vivre comme il l’entend, il s’ensuit qu’aucune manière de vivre ne peut être tenue pour supérieure à une autre) à devoir prendre appui, tôt ou tard, sur la “main invisible” du Marché pour assurer ce minimum de langage commun et de “lien social” sans lesquels aucune société ne serait viable ni ne pourrait se reproduire durablement.

C’est ce que Voltaire avait, pour sa part, parfaitement compris lorsqu’il écrivait en 1760 − en bon libéral opposé à la fois aux principes inégalitaires de l’Ancien régime et au populisme républicain de Rousseau − que « quand il s’agit d’argent, tout le monde est de la même religion ». Et de fait, si le seul moyen de neutraliser la dynamique des guerres de religion et de pacifier la vie commune, c’est de rejeter définitivement hors de la sphère publique et de la vie commune toutes les valeurs susceptibles de nous diviser sur le plan religieux, moral ou philosophique, alors on ne voit pas comment une telle société pourrait trouver son point d’équilibre quotidien ultime ailleurs que dans cette “religion de l’économie” et cette mystique de l’“intérêt bien compris” qui définissent, depuis l’origine, l’imaginaire du mode de production capitaliste.

« La liberté sans le socialisme, n’est pas la liberté. » Charles Rappoport


Pierre Leroux

On comprend du coup beaucoup mieux pour quelle raison les premiers socialistes − il suffit ici de relire Pierre Leroux, Proudhon, Marx ou Bakounine – accordaient une place aussi importante à la critique de cette « idéologie de la pure liberté qui égalise tout » (Guy Debord) dont ils avaient très vite compris – et Dieu sait si les faits ultérieurs leur ont donné raison ! – qu’elle conduirait inéluctablement une société libérale à devoir noyer l’ensemble des valeurs humaines dans « les eaux glacées du calcul égoïste » et à « désagréger l’humanité en monades, dont chacune a un principe de vie particulier et une fin particulière » (Engels). C’est du reste pourquoi il n’y a strictement aucun sens, selon moi, à se réclamer encore du “socialisme” (ou du “communisme”) là où les concepts fondamentaux de “vie commune”, de “communauté” et de “commun” ne conservent pas un minimum de sens et de légitimité philosophique. La seule question politique importante étant, dès lors, de s’accorder démocratiquement sur ce qui, dans une société socialiste décente, devrait nécessairement relever de la vie commune (fondant ainsi le droit de la collectivité à intervenir en tant que telle sur un certain nombre de questions précises) et sur ce qui, au contraire, ne saurait relever que de la seule vie privée des individus, sauf à sombrer dans un régime totalitaire. C’est d’ailleurs sur cette question cruciale (mais qui n’a de sens que si l’on rejette d’emblée le postulat nominaliste et “thatchérien” selon lequel il « n’existe que des individus » et qu’en conséquence « la société n’existe pas » que n’ont cessé de s’affronter, depuis le XIXe siècle, les deux courants majeurs du socialisme moderne.

D’une part, un socialisme autoritaire et puritain (à l’image, par exemple, de Lénine affirmant, dans l’État et la Révolution, qu’une fois le socialisme réalisé, « la société toute entière ne sera plus qu’un seul bureau et un seul atelier, avec égalité de travail et égalité de salaire » et, de l’autre, un socialisme démocratique et libertaire (celui que défendait, par exemple, Pierre Leroux lorsqu’il mettait en garde, dès 1834, le prolétariat français contre la tendance d’une partie du mouvement socialiste naissant à « favoriser, consciemment ou non, l’avènement d’une papauté nouvelle » dans laquelle l’individu « devenu fonctionnaire, et uniquement fonctionnaire, serait enrégimenté, aurait une doctrine officielle à croire et l’Inquisition à sa porte »). Éprouvant, pour ma part, infiniment plus de sympathie pour le socialisme anarchisant de Proudhon, de Kropotkine ou de Murray Bookchin que pour celui de Cabet, de Staline ou de Mao, il va de soi que je partage entièrement votre souci d’une société “tolérante” et aussi ouverte que possible sur toutes les “différences” (n’est-ce pas d’ailleurs Rosa Luxemburg qui rappelait dans La Révolution russe – contre Lénine et Trotsky − que « la liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement » ?). Mais pour autant, je ne vois pas ce qu’on pourrait gagner sur le plan philosophique – sinon quelques confusions politiques supplémentaires – à retraduire dans les vieilles catégories de l’idéologie libérale tout ce qui fait, depuis le début du XIXe siècle, la merveilleuse originalité du socialisme populiste, démocratique et libertaire. Car s’il est incontestable – comme le rappelait naguère le militant révolutionnaire Charles Rappoport − que « le socialisme sans la liberté n’est pas le socialisme », il est tout aussi incontestable – s’empressait-il aussitôt d’ajouter – que « la liberté sans le socialisme, n’est pas la liberté ». J’imagine qu’Orwell aurait applaudi des deux mains !

J’ai le sentiment que beaucoup à gauche (et je pense particulièrement, encore une fois, aux États-Unis) éprouvent une méfiance spontanée envers des idées telles que la “common decency” de George Orwell – qui joue un rôle important chez vous – parce qu’ils y voient une façon détournée de défendre les préjugés et l’intolérance . Comment réagissez-vous face à de telles inquiétudes ?

J’y vois malheureusement le signe de l’influence grandissante des “idées” (si l’on peut dire !) d’un Bernard-Henri Levy sur la nouvelle intelligentsia “progressiste” ! Lui qui, récemment encore, n’hésitait même plus à définir les classes populaires par leur « mépris de l’intelligence et de la culture »et leurs « explosions de xénophobie et d’antisémitisme » (il faut dire que la révolte du “peuple d’en bas” et de ses Gilets jaunes l’avait immédiatement plongé dans le même état de panique haineuse que les riches bourgeois parisiens de 1871 face aux insurgés de la Commune !). Or la plupart des enquêtes empiriques dont nous disposons sur ce point confirment, au contraire, de façon massive que c’est bel et bien dans les milieux populaires que le sens des limites et les pratiques concrètes et quotidiennes d’entraide et de solidarité demeurent, aujourd’hui encore, les plus répandus et les plus vivaces. Ce qui s’explique, après tout, très facilement.


Bernard Henri-Lévy

Quand vos revenus sont beaucoup trop faibles – ce qui est le cas, par définition, de la majorité des classes populaires – vous ne pouvez, en effet, avoir la moindre chance de surmonter les multiples aléas de la vie quotidienne que si vous pouvez habituellement compter sur l’aide de la famille et la solidarité du village ou du quartier. Ayant moi-même choisi de vivre – en partie, d’ailleurs, pour des raisons de cohérence morale et philosophique − au cœur de cette France rurale et “périphérique” abandonnée (là où la plupart des équipements collectifs ont disparu – néolibéralisme oblige – et où il faut souvent parcourir des kilomètres – dix dans mon cas personnel ! – pour trouver le premier café, le premier commerce ou le premier médecin), je peux ainsi vous assurer que la façon dont se comportent la plupart des gens qui m’entourent (ce sont essentiellement des petits paysans, des viticulteurs et des petits éleveurs) correspond beaucoup plus, aujourd’hui encore, aux descriptions de George Orwell dans The Road to Wigan Pier ou Homage to Catalonia qu’à celles de Hobbes, de Mandeville ou de Gary Becker (je n’en dirais évidemment pas autant, en revanche, de ces grandes métropoles – telles Paris ou Montpellier – où j’ai si longtemps vécu !).

« Il me paraît donc grand temps de refermer, une fois pour toutes, la triste parenthèse politique de la gauche libérale et de redécouvrir au plus vite, avant qu’il ne soit trop tard, cette critique socialiste de la société du Spectacle et du monde de la Marchandise qui est clairement redevenue aujourd’hui plus actuelle que jamais. »

Ce qui ne surprendra d’ailleurs pas les lecteurs de Marcel Mauss (comme vous le savez, je me suis beaucoup appuyé sur son Essai sur le don pour expliciter les fondements anthropologiques du concept de common decency), d’E.P.Thompson (je pense, entre autres, à ses analyses décisives sur l’“économie morale” des classes populaires et sur leurs “customs in common”), de Karl Polanyi, de Marshall Sahlinsou de James C. Scott. Et encore moins ceux de David Graeber qui − dans Debt : the first 5000 years – n’hésitait pas à forger les concepts de baseline communism ou d’everyday communism (une version particulièrement radicale, comme on le voit, de la common decency de George Orwell !) pour décrire ce « fondement de toute sociabilité humaine (…) qui rend la société possible »).

Ce n’est donc pas tant l’hypothèse d’une décence commune ou ordinaire – quels que soient par ailleurs les indispensables développements philosophiques et anthropologiques qu’elle appelle par définition – qui devrait faire aujourd’hui problème ! C’est bien plutôt le retour en force, au sein de l’intelligentsia de gauche moderne, de la vieille arrogance de classe et du vieux préjugé élitiste – y compris, hélas, chez certains partisans de la décroissance − selon lequel « postuler une décence ordinaire relève d’une vision paternaliste et fantasmée d’un peuple qui, de fait, n’a jamais existé » (j’emprunte cette formule ahurissante − mais qui en dit très long sur le rapport aux classes populaires d’une grande partie de la nouvelle faune universitaire − à l’honnête “républicain critique”, c’est ainsi qu’il se présente lui-même, Pierre-Louis Poyau). À tel point que j’aurai même tendance à voir dans cet étrange renouveau des thèses les plus défraîchies d’un Gustave Le Bon, d’un Taine ou d’un H. L. Mencken (qu’on songe par exemple à quel point le terme, jadis glorieux, de “populisme” est aujourd’hui devenu, pour la plupart des journalistes et des intellectuels de gauche, un quasi-synonyme de “fascisme” ; ou encore aux délires démophobes et “transhumanistes” de l’idéologue macronien Laurent Alexandre) l’un des signes les plus irrécusables, et probablement les plus désespérants, du naufrage moral et intellectuel absolu de la gauche “moderne” et “progressiste”.

À l’heure où le système capitaliste mondial s’apprête à connaître la décennie la plus critique et la plus turbulente de son histoire – sur fond de désastre écologique grandissant et d’inégalités sociales de plus en plus explosives et indécentes – il me paraît donc grand temps de refermer, une fois pour toutes, la triste parenthèse politique de la gauche libérale (comme avant elle, celle du stalinisme) et de redécouvrir au plus vite, avant qu’il ne soit trop tard, cette critique socialiste de la société du Spectacle et du monde de la Marchandise qui est clairement redevenue aujourd’hui plus actuelle que jamais.

Propos recueillis Michael C. Behrent

Source : Le Comptoir, Jean-Claude Michéa, 20-06-2019
 
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