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Xuan
Un article paru sur Histoire et société de Danielle Bleitrach

BHL, lu et approuvé par la CIA


02
MAI

Bernard-Henri Lévy dans la cour de l’Elysée, en 1978 ((Boccon-Gibod/Sipa))

Nous avons déjà eu l’occasion à partir d’une traduction de l’espagnol de faire état de ce rapport encore inconnu en France, voici que l’OS à son tour en fait un compte-rendu On nous permettra de mettre en doute la remarque qui veut que BHL oeuvre « sans le savoir » pour les Etats-Unis, non seulement il le savait mais on peut considérer que hier comme aujourd’hui il a toujours oeuvré dans le cadre défini par les USA qui y compris lui organisent les contacts dans ses expéditions internationales .Mais l’OBS est peutêtre mal placé pour mettre en lumière les liens avérés et rétribués? (note de Danielle Bleitrach)

http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20170428.OBS8716/bhl-lu-et-approuve-par-la-cia.html

David Caviglioli David CaviglioliPublié le 01 mai 2017 à 16h55

Grâce à une loi américaine sur la déclassification des dossiers de la CIA, on peut découvrir ces jours-ci un rapport intitulé «France: la défection des intellectuels de gauche», remis à l’Agence en décembre 1985. Avec ce mélange de finesse, de naïveté et de paranoïa qui caractérise la littérature des services secrets, il analyse le virage anti-marxiste pris dans les années 1970 et 1980 par les intellectuels français et ses conséquences sur l’atmosphère culturelle et politique du pays.

On y découvre que la CIA surveillait de près notre vie littéraire et intellectuelle. (On se demande si elle le fait toujours.) Les espions américains qui ont écrit ce rapport ont l’air d’avoir lu pas mal de livres, passé pas mal de vendredis soirs devant «Apostrophes» et traîné leurs imperméables dans les couloirs des universités – notamment Nanterre, «où le marxisme chic était la règle suprême jusqu’au milieu des années 1970».

L’espionnage des intellectuels français est en réalité une vieille habitude des services secrets américains. Dès 1945-1946, et jusque dans les années 1970, le FBI a surveillé Sartre, allant jusqu’à dérober des carnets de brouillon. Camus aussi a fait l’objet de rapports. (Dans les premiers, il était nommé «Albert Canus».) En 2013, le chercheur anglais Andy Martin avait pu consulter les dossiers de ces herméneutes de l’ombre qui se grattaient la tête devant «l’Etre et le Néant» ou «le Mythe de Sisyphe», cherchant à savoir «si l’existentialisme et l’absurdisme étaient des masques du communisme».

La CIA était évidemment inquiète de voir que, en Europe comme aux Etats-Unis, la bourgeoisie intellectuelle de gauche était massivement rendue au marxisme. La France était selon elle le lieu matriciel du gauchisme mondial. Dans le rapport de 1985, il est dit que, «dans la période de l’après-guerre, les intellectuels français ont significativement contribué à fabriquer une hostilité internationale à la politique américaine, en Europe comme dans le Tiers-Monde. De Beyrouth à Lisbonne et Mexico, les élites intellectuelles ont écouté et reproduit la pensée et les préconceptions en vogue chez les café savants comme Régis Debray».

Pendant les années 1950 et 1960, la CIA a financé en sous-main le Congrès pour la Liberté de la Culture, un organisme basé à Paris, qui soutenait des revues intellectuelles et des magazines (dont la « Paris Review»). «Conspiration libérale», selon l’expression de l’écrivain australien Peter Coleman, le Congrès reposait sur l’idée que la défaite culturelle du marxisme passerait par la création d’une nouvelle gauche plutôt que par un soutien à la droite.

La thèse principale du rapport de 1985 est que la bataille française a été gagnée. Un «nouveau climat intellectuel» parisien, marqué par l’anti-totalitarisme et incarné par Bernard Henri-Lévy, va désormais œuvrer sans le savoir pour les Etats-Unis.

« Personnalités médiatiques à sensation »

La CIA se félicite que «l’intellocratie gauchiste» qui régnait sur Paris soit morte, «abandonnée à des mandarins vieillissants» et au souvenir des Sartre, Barthes, Lacan et Althusser, désignés comme «la dernière clique des savants communistes». C’est «un secret très mal gardé dans les cercles du PCF» que «tous les intellectuels communistes importants sont morts ou ont quitté le parti».

Les espions américains en accordent le mérite à une «coterie de jeunes agitateurs qui, pendant plus d’une décennie, ont converti à grand bruit dans les cercles militants, en attaquant la gauche française, vue comme dangereuse et intrinsèquement totalitaire»: les Nouveaux Philosophes.

Décrits comme d’anciens communistes ayant abjuré «les sophismes staliniens enseignés à l’Ecole Normale Supérieure», emmenés par Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, ils sont populaires et «ont compensé leur prose abstruse en devenant des personnalités médiatiques à sensation», grâce aux «émissions de télévision et de radio à teneur intellectuelle dont les Français raffolent». La CIA semble déplorer qu’ils «n’acceptent le capitalisme que comme un moindre mal».

Une raison de se réjouir : «Lévy est devenu directeur de collection chez Grasset – une des plus grandes maisons d’édition de France – d’où il a pu s’assurer que les opinions des Nouveaux philosophes trouvent un accès facile au public». Leur essor a selon l’Agence été rendu possible par «un déclin général de la vie intellectuelle en France qui a sapé l’influence politique des penseurs de gauche».

Bonne éducation

Cette «nouvelle gauche» devrait, selon la CIA, accomplir plusieurs œuvres: «Ils soutiendront les socialistes modérés qui peinent à créer une large alliance de centre-gauche», et ils «s’opposeront à tout effort des socialistes extrémistes de ressusciter ‘’l’union des gauches’’ avec le PC». Surtout, elle «devrait aggraver les différends entre les partis de gauche et à l’intérieur du PS, ce qui accentuera probablement la défection des électeurs socialistes et communistes». En clair, la CIA prophétise l’avènement des gauches irréconciliables et de la «non-révolution permanente» – expression attribuée à un étudiant français interrogé.

Mais le grand apport des Nouveaux philosophes est culturel: «En France, l’anti-américanisme jadis considéré dans les cercles huppés comme une preuve indirecte de bonne éducation n’est plus en vogue. La dénonciation automatique des Etats-Unis – que les intellectuels de la Nouvelle Gauche nomment ‘anti-américanisme primaire’ – (…) est vue comme de la grossièreté. L’anti-américanisme passait pour un signe extérieur de richesse intellectuelle, distinguant les penseurs des gens du commun (suspectés d’avoir une bonne opinion des Etats-Unis, même pendant la guerre du Vietnam.) Maintenant, l’inverse est vrai: trouver des vertus à l’Amérique – et même identifier de bonnes choses dans les politiques du gouvernement US – est perçu comme la marque d’un esprit clairvoyant.»

Ainsi, ce «climat» va «rendre difficile la mobilisation d’une opposition significative aux actions américaines en Amérique centrale». (Le rapport évoque ici le soutien des juntes anti-communistes au Nicaragua.) La partie culturelle est même tellement jouée, l’antimarxisme est devenu une part si importante de «l’orthodoxie intellectuelle française» que, selon les mystérieux rapporteurs, «les Nouveaux philosophes semblent de plus rien avoir à dire».

Le retour de la droite

Il est frappant de lire ce document au moment où ce chapitre de notre histoire intellectuelle se termine, où la gauche se re-gauchise et où l’hégémonie du «socialisme modéré» s’écroule. La CIA, ravie de voir BHL remplacer Sartre, n’a pas vu que la gauche «hard line» n’avait pas disparu. Elle n’a pas vu venir la gloire de Pierre Bourdieu, les grèves de 1995, les mouvements altermondialistes et écologistes.

En revanche, elle a bien senti que la droite n’allait pas tarder à se réveiller. Après la guerre, explique-t-elle, «le conservatisme français» s’était trouvé «discrédité par son nationalisme xénophobe, son anti-égalitarisme et sa proximité avec le fascisme». Le rapport voit poindre sa «renaissance intellectuelle».

Il signale que le GRECE et le Club de l’Horloge ont beaucoup recruté chez les «jeunes diplômés de l’ENA». Que «le Figaro Magazine» de Louis Pauwels est devenu la plateforme d’expression des militants de l’identité comme Alain De Benoist, d’écrivains attachés aux racines chrétiennes -voire pré-chrétiennes – du pays, en «demande de renouveau culturel», persuadés que «la culture française a été corrodée par les influences extérieures». C’était il y a trente-deux ans.

Maurras : le nationalisme contre la République

David Caviglioli

Journaliste
Xuan
Un article de l'Humanité qui remet quelques pendules à l'heure sur le stéréotype de l'ouvrier facho, véhiculé par les médias de la bourgeoisie.
"La reconquête des classes populaires" comme dit l'auteur passe d'abord par la reconquête de son parti indépendant des formations bourgeoises.


Moins d’un ouvrier sur sept a voté FN en 2015


PAR GÉRARD MAUGER, DIRECTEUR DE RECHERCHE ÉMÉRITE, CNRS
LUNDI, 6 FÉVRIER, 2017
L'HUMANITÉ


Gérard Mauger Directeur de recherche émérite, CNRS. Photo : Pierre Trovel

Les enquêtes disponibles remettent en cause le stéréotype de l’électeur FN en « beauf machiste et homophobe, raciste et xénophobe » .
Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle de 1995, Libération publiait un scoop au vu d’un sondage postélectoral : le FN serait devenu le "nouveau parti de la classe ouvrière" … Qu’en est-il aujourd’hui"?
Lors des élections régionales de 2015, si plus de la moitié de l’électorat FN se recrute dans les classes populaires (ouvriers, employés et retraités ex-ouvriers ou employés), c’est en fait moins d’un ouvrier sur sept qui a voté pour le FN dès lors que l’on tient compte des abstentionnistes et des non-inscrits. C’est dire que, s’il y a aujourd’hui un "nouveau parti des classes populaires" , c’est – et de très loin – celui de l’abstention.

Le constat ne dispense pas pour autant de s’interroger sur cette fraction des classes populaires qui vote FN. La question est au fond celle que pose Thomas Frank à propos des classes populaires nord-américaines : pourquoi les pauvres votent-ils à droite"(1)? Seules des enquêtes de terrain peuvent permettre d’y répondre. Contre l’idée reçue qui voudrait que le vote exprime le choix d’un programme, il faut rappeler, en effet, la très inégale distribution sociale des compétences politiques et, au-delà, de l’intérêt pour la politique.
Désintérêt qu’accentue la professionnalisation croissante de la vie politique et qui permet de comprendre, au moins pour partie, la très inégale participation électorale.
De ce fait, on ne saurait déduire, par exemple, du vote FN d’un ouvrier ou d’une employée son adhésion au programme du FN (dont, le plus souvent, ils ignorent tout ou ne savent pas grand-chose). Si ces votes FN n’ont, bien sûr, pas rien à voir avec le FN, il faut néanmoins s’interroger sur la signification qui leur est attribuée. Que veut dire l’ouvrier ou l’employée qui vote FN ? Un ouvrier qui vote FN est-il un "ouvrier raciste" et que signifie "raciste" dans son cas ? L’est-il au même sens qu’un bourgeois traditionaliste, qui vote lui aussi FN ?

L’influence délétère de la crise des sociabilités populaires
Les enquêtes disponibles remettent en cause le stéréotype de l’électeur FN en "beauf machiste et homophobe, raciste et xénophobe" qui doit sans doute plus à un "racisme de classe" qui s’ignore qu’à l’enquête de terrain. Mettant en évidence l’influence délétère de la crise des sociabilités populaires, elles interpellent également des interprétations banalisées comme celle du vote FN généralisé de "la France périphérique", ou celle du vote FN comme expression du ressentiment dû au déclassement. Elles montrent les effets de l’exacerbation des luttes de concurrence entre "Français" et "immigrés", du "procès" dont "la respectabilité" est l’enjeu, entre classes populaires "établies" et classes populaires "marginalisées", à propos de la délinquance, des incivilités de l’assistanat ("les cas soces"). Pour la fraction "établie", le vote FN permet de se démarquer – moralement – des fractions précarisées, paupérisées et souvent immigrées, et, pour la fraction "marginalisée", de se distinguer de "plus bas qu’elle". Les enquêtes soulignent également les effets de la perte d’influence des "idées de gauche" et ceux de l’inculcation politico-médiatique des visions racistes ou encore ceux de l’héritage politique familial.

On peut tirer au moins deux conclusions "politiques" de ces enquêtes. L’analyse des données statistiques disponibles met en évidence la très grande dispersion sociale et la volatilité de l’électorat FN. Tout oppose, en fait, sa composante populaire à celle issue des beaux quartiers, qui se retrouve dans la Manif pour tous, tout comme s’opposent, au sommet de l’appareil FN, Florian Philippot et Marion Maréchal-Le Pen. C’est dire, comme y insistent Daniel Gaxie et Patrick Lehingue (2), que "l’électorat FN n’existe pas" : il s’agit en fait d’un "conglomérat" miné par ses contradictions internes.
Il faut donc prendre appui sur ces contradictions et travailler à hâter son implosion. Par ailleurs, les enquêtes sur le vote FN dans les classes populaires mettent en évidence les impasses du militantisme anti-FN, à commencer par sa vindicte contre « les prolos bornés et racistes" qui votent FN.
La reconquête des classes populaires – qu’elles s’abstiennent ou votent FN – passe par la réhabilitation de leur ethos traditionnel, de leur "souci de respectabilité" (la "common decency", si l’on veut, fondée sur l’ardeur au travail, l’honnêteté, le respect de soi-même et des autres) des classes populaires – Français et immigrés confondus.

(1) Pourquoi les pauvres votent à droite, Thomas Frank, Éditions Agone.
(2) Les Classes populaires et le FN, livre coordonné par Gérard Mauger et Willy Pelletier, Éditions du Croquant, collection "Savoir/Agir", 18 euros pour le livre, 14 euros pour l’e-book.


Edité le 16-02-2017 à 09:09:24 par Xuan


Xuan
L’anticommunisme c’est fondamentalement Mitterrand.

La charge de Gastaud contre la GP est justifiée, mais il faut noter que celle-ci s’est auto dissoute fin 1972, tandis que l’opération Glucksmann & Co a été soutenue par la presse et les cercles idéologiques socialos durant de très longues années et la campagne anticommuniste s’est prolongée sous les deux mandats de Mitterrand.
Ce dernier, cagoulard jusqu’à sa dernière heure, avait été soutenu par Waldeck Rochet pour son opposition au régime présidentiel de De Gaulle, ce qui lui a mis le pied à l’étrier, favorisant ses ambitions personnelles, alors qu’il n’a jamais été ni de gauche ni même socialiste mais essentiellement opportuniste et anticommuniste. Sur ce point Gastaud ne dit rien.

Le retour aux principes marxistes-léninistes et la ligne Marchais

L’ambiance dans le PCF devient maintenant irrespirable, alors que la direction se bouffe le nez entre une primaire avec des socialistes et un soutien à Mélenchon.
La perspective d’une dilution de ce parti, d’une liquidation quasiment programmée, pousse un certain nombre de militants à regarder l’époque de Marchais avec nostalgie, croyant revenir par là aux sources du marxisme-léninisme.

Même empreinte de méfiance envers les socialos, la ligne révisionniste a commencé à échouer sous la direction.de Marchais et des dirigeants des années 60.
Par contre il a incarné un sectarisme dit "anti-gauchiste" qui visait notamment les marxistes-léninistes, et se manifestait parfois par des agressions à main armée (comme ce fut le cas à Puyricard, mais aussi à d'autres occasions).

L’alliance avec la social-démocratie préconisée notamment par Marchais s’est traduite par un échec cuisant dans plusieurs domaines :

>Le PCF n’a pas réussi à rester au pouvoir ni à obtenir les réformes qu’il préconisait
>Son allié l’a laminé électoralement
>Ses effectifs ont fondu
>Il a dû balancer les uns après les autres tous les symboles « communistes » dont il se drapait, n’en conservant plus que l’étiquette, pour abuser encore quelques militants sincères mais de plus en plus désabusés.

On notera que ces abandons ont commencé sous la direction de G .Marchais. D’abord la dictature du prolétariat (22e congrès en 1976), puis le marxisme-léninisme (23e congrès en 1979). Gastaud ne dit rien non plus sur ces abandons successifs qu’il a pourtant vécus jusque dans les années 90.
S'arrêter à Marchais c'est s'interdire le retour aux principes marxistes-léninistes.

Suivisme envers la restauration du capitalisme en URSS

Mais surtout c'est le suivisme du PCF vis-à-vis de l'URSS qui a laissé un boulevard à l'anticommunisme, entrainant des numéros d'équilibriste que certains ont peut-être oublié, mais qui ont fait les choux gras de la presse bourgeoise et singulièrement illustré l'expression "langue de bois".
La campagne anticommuniste a trouvé alors un boulevard dans le soutien inconditionnel du PCF au social-impérialisme et à la restauration du capitalisme en URSS toujours présentée comme un pays socialiste.
La défense des interventions soviétiques - qui n'avaient rien en commun avec l'internationalisme prolétarien - a ridiculisé le PCF.
Puis leur condamnation en a remis une couche au lieu de le réhabiliter, parce que cette condamnation s'effectuait non pas comme celle du révisionnisme, de l'impérialisme et de la restauration du capitalisme, mais au nom des libertés bourgeoises.

Le « parti père » et la question de Staline

Ce suivisme envers le "parti père", Marchais ne l'avait pas inventé. Très tôt le PCF en a été imprégné. Les 21 conditions en portaient l'empreinte en quelque sorte, mais cette tutelle a plusieurs fois servi de garde-fou à des dérives opportunistes.

On pourrait se demander si le PCF n’a jamais été adulte, passant d'un extrême à l'autre, de l'adulation au reniement sans jamais juger de façon autonome.
Il est instructif de comparer l'attitude des communistes chinois envers Staline et celle des dirigeants du PCF.
Les premiers n'ont pas craint de le contredire mais ils lui ont toujours conservé leur respect.
Les seconds ont poussé le culte de la personnalité jusqu'à la flagornerie, puis ils l'ont radicalement déboulonné.
Et puis, le père mort et son héritage dispersé, ils ne savent plus où aller.

La reconstitution d'un parti authentiquement communiste ne pourra faire l'économie de l'étude du marxisme et du léninisme, et de la méthode matérialiste-dialectique.
Les communistes français doivent apprendre à faire la révolution dans leur propre pays au lieu d'importer des modèles et des révolutions en prêt-à-porter.


Edité le 26-03-2016 à 23:58:50 par Xuan


DUROC
Gastaud utilise les bassesses des"intellectuels "maoïstes"" proclamés "philosophes" ( comme lui-même!) qui n'ont jamais apporté une once de progrès à la pensée marxiste, pour amalgamer avec ces salopards les militants communistes ouvriers et intellectuels ( et qui le sont restés toute leur vie ) qui ont eu le courage de se lever dans les années 60 contre la trahison révisionniste déclarée ouverte par le XXème congrès du PCUS. A cette époque, G.G. devait penser que Khroutchev avait raison et, avec Duclos et Marchais, qu'il fallait casser du "gauchiste". Comme ils l'ont fait à Puyricard au Congrès fondateur du PCMLF
Ce type d'individu enveloppé dans le drapeau rouge ( et aussi du bleu blanc rouge ! ) est aussi anti-communiste que ceux qu'il, fustige comme "maoïstes" comme Glucksman et beaucoup d'autres.
Xuan
Un article de G. Gastaud sur André Glucksmann.

La critique de Glucksmann est justifiée.

Au passage, Gastaud se plaint des critiques contre le social-impérialisme et des attaques chinoise contre l'URSS.

Mais si on fait le bilan complet de cette période sans se fermer les yeux ni oublier la moitié des faits, il apparaît que la restauration du capitalisme, les ingérences et les agressions répétées de l'URSS, absolument contraires à l'internationalisme prolétarien mais caractéristiques du social-impérialisme, ainsi que le suivisme béat du parti révisionniste ont fait les beaux jours de l'anticommunisme vers lequel la GP et d'autres ont sombré.

Gastaud ment en affirmant que "les marxistes-léninistes issus du PCF qui, à la fin des années 60, crurent nécessaire de rompre avec leur parti" , quand chacun sait qu'ils en furent exclus par la direction révisionniste.

Il faudrait un livre pour commenter les positions farouchement impérialistes de Gastaud contre la résistance khmer face à l'impérialisme US puis grand-russe et ses acolytes vietnamiens.


André Glucksmann, de l’anticommunisme « de gauche » (sic) à l’exterminisme reaganien.

Par Georges Gastaud [1], 10 novembre 2015

« Ne pas rire, ni pleurer, ni détester ni maudire, mais comprendre ». A l’occasion du décès d’André Glucksmann (A.G.), chacun comprendra sans doute que le mieux pour un philosophe marxiste et communiste, est de s’appliquer la célèbre maxime rationaliste de Spinoza…

Du « col mao » à l’atlantisme flamboyant : rupture et/ou continuités !

Dire qu’A.Glucksman. fut un « grand défenseur de l’humanité bafouée », comme le fait à l’unisson la presse « pluraliste » française éplorée, serait pour autant très exagéré.

D’abord assistant du très droitier Raymond Aron, la « plume » philosophique du Figaro, A.Glucksman. est devenu après mai 1968 un des chefs de la Gauche Prolétarienne, la très violente GP qui se faisait une spécialité d’injurier, voire de molester les militants du PCF, de la CGT et de l’Union des Etudiants Communistes (UEC).
Au début des années 1970, les étudiants communistes, de même que les syndiqués non communistes de l’UNEF (dont j’étais alors) se faisaient invariablement traiter de « révisos-collabos » par la « G.P. » ; pourtant, à l’époque, et malgré de premiers glissements, le PCF militait pour le socialisme, combattait l’Europe capitaliste… et se prononçait pour la dictature du prolétariat !
Il est vrai que – crime impardonnable aux yeux des dirigeants de la « G.P. » ! –, les communistes français ne considéraient pas l’URSS comme incurablement « social-impérialiste » et qu’ils étaient loin d’ériger Moscou en ennemi principal des peuples, comme ne tardèrent pas à le faire la plupart des groupes « maos » à l’instar de la direction chinoise (qui ne tardèrent pas à se rapprocher spectaculairement de… Nixon !).

Vrai également que les communistes français n’ont jamais encensé la « Grande Révolution Culturelle Prolétarienne » qui s’abattait alors sur le PCC et sur l’intelligentsia chinoise… sans pour autant déraciner le courant « pragmatique » qui a depuis lors triomphé à Pékin.

Avouons d’ailleurs que les imprécations « antirévisionnistes » d’A.G. ne manquent rétrospectivement pas de sel au regard de l’évolution anticommuniste flamboyante de notre futur « nouveau philosophe » chouchouté par les médias giscardo-mitterrandiens : ce monsieur n’a-t-il pas construit sa fortune politico-littéraire (pour ne parler que d’elle…) sur l’anathème anti-léniniste (La Cuisinière et le mangeur d’homme), sur l’antimarxisme primaire et la condamnation du rationalisme (Les maîtres-penseurs), sur l’exécration guerrière de l’URSS (La Force du vertige), sans parler du ralliement final logique à Sarko, à l’OTAN et aux bellicistes du camp néoconservateur et de ses satellites anti-palestiniens et russophobes…
Au final, les BHL, A.G. et autres « nouveaux philosophes » n’auront pas manqué une seule croisade occidentale contre le socialisme existant (notamment le soutien de la Pologne « ouvrière » de Walesa et de Jean Paul II…), contre les mouvements de libération populaire (A.G. a porté aux nues les « Combattants de la Liberté » afghans, c’est-à-dire les talibans…), contre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (appels récurrents à l’intervention impérialiste en Libye ou en Syrie, avec les résultats dévastateurs que l’on voit aujourd’hui…).

Concédons cependant qu’A.G. aura su prendre son grand virage de l’extrême gauche autoproclamée à l’atlantisme flamboyant en affichant constamment une sincérité fulminante (c’est sans doute meilleur pour conserver l’estime de soi que la posture geignarde du repenti…).
En réalité, A.G. n’aura eu dans sa vie – comme d’autres vedettes soixante-huitardes « passées du col mao au Rotary »[2] – qu’une seule continuité réelle : sa haine bouillonnante contre le PCF de Duclos et Marchais, contre la CGT de classe de Krazucki, contre l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, en un mot, sa guerre à mort contre la classe ouvrière organisée, ce « prolétariat » que nos ex-« maos spontex » mythifiaient tant qu’elle tenait la posture (noble mais inoffensive) du révolté, mais auquel ils interdisaient de s’organiser solidement en parti, d’établir son pouvoir de classe et de le consolider en prenant quelques mesures potentiellement désagréables aux habitués du Fouquet’ s…

Le basculement hégémonique de la « nouvelle philosophie » : du « bloc historique antifasciste de Stalingrad au bloc historique anti-antifasciste de Bitburg.

Au fond, ces gens – qui finirent par compromettre le vieux Sartre dans leur entreprise « antitotalitaire »[3], en fait, vulgairement anticommuniste – auront été très utiles à la grande bourgeoisie française et à l’oligarchie capitaliste mondiale. Au sortir d’une période très menaçante pour l’ordre capitaliste mondial[4].

A l’inverse de tant de jeunes maos, ouvriers et étudiants, qui cherchaient sincèrement les voies de la révolution au moment où le PCF commençait souterrainement à dériver[5], les chefs de file du maoïsme français auront remarquablement su mettre à profit les redoutables équivoques de Mai 68 : car ce mouvement hautement contradictoire vit à la fois la plus grande grève ouvrière de l’histoire[6] et l’émergence d’un courant dit libéral-libertaire (les ancêtres lilis des bobos) qui dissimulait son anticommunisme, mâtiné d’antipatriotisme et d’anti-républicanisme primaires, derrière la rhétorique ultra-révolutionnaire du gauchisme, de manière à prendre toujours « de gauche » les « crapules staliniennes » du PCF (dixit Cohn-Bendit) :
le sociologue Michel Clouscard a du reste admirablement analysé l’émergence du libéral-libertarisme anticommuniste et euro-atlantique dans sa déjà classique étude du Capitalisme de la séduction.

Substituant à l’antifascisme issu de 36 et du CNR un « antitotalitarisme » confusionnel qui faisait fi de toute analyse de classe des phénomènes politiques, BHL, A.G. et leurs épigones à la Bernard Kouchner auront joué un rôle nationalement et mondialement réactionnaire : par leurs bricolages intellectuels fulminants (amalgames, raccourcis historiques ineptes, caricature forcenée de l’histoire soviétique, ton prophétique destiné à intimider les éventuels objecteurs), A.G. et ses pareils auront permis que prenne forme, sur le terrain idéologique, le nouveau bloc historique mondial contre-révolutionnaire dans lequel nous vivons, ou plutôt, étouffons encore : un bloc dans lequel le socialisme réel faisait figure d’Empire du mal (et le sanglant impérialisme atlantique de rempart du Bien), dans lequel le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes cédait la place au « droit » pour l’impérialisme de s’ingérer dans les affaires des Etats petits et moyens (l’humanitarisme atlantique à la mode « ONG » prenant le relais de la « mission civilisatrice de la France » et où pour finir, l’ultra-droite reaganienne et sarkozyste, ce premier étage « libéral-autoritaire » de la fusée néofasciste, disposait d’un rôle stratégique :
BHL convainquant Sarko d’envahir la Libye, BHL et A.G. sanctifiant le dépeçage impérialiste de la Yougoslavie par Kohl et Clinton, et tout ce petit monde accueillant par un silence de plomb le totalitarisme ANTIcommuniste qui, depuis 1989/91, s’est traduit par un euro-maccarthysme dévastateur (Hongrie, Pays baltes, etc.), sans parler du soutien apporté par l’UE/OTAN à l’équipe pronazie et belliqueusement russophobe désormais au pouvoir à Kiev. Bref, derrière cet « antitotalitarisme » d’apparat qui s’accommodait sans états d’âme du bombardement eltsinien du Parlement russe (octobre 93) et du totalitarisme patronal rampant de l’euro-mondialisation « libérale » (libéral-fascisante serait plus juste !), ces idéologues des anti-Lumières que furent les « nouveaux philosophes » auront joué un rôle idéologique majeur :
ils auront en effet contribué au basculement contre-révolutionnaire du bloc historique de Stalingrad[7] vers ce qu’en 1984, j’avais appelé le bloc historique de Bitburg :
Bitburg, c’est en effet le nom d’un cimetière militaire allemand où reposent des corps de Waffen-SS et où Reagan, Thatcher, Kohl et Mitterrand photographiés main dans la main, vinrent afficher leur soutien à l’implantation des euromissiles US en RFA, en Hollande et en Sicile, avec l’objectif affiché de mettre Leningrad à 5 mn de tir des polygones de l’OTAN.

Ainsi est né, dans un climat de revanche contre la défaite US au Vietnam, de réhabilitation de l’impérialisme allemand, de nouvelle croisade antisoviétique et d’intervention US acharnée contre les insurrections centraméricaines du Salvador et du Nicaragua (à la base de l’Irangate), ce nouveau bloc « anti-antifasciste » occidental qui dans les faits, criminalisait le communisme tout en recyclant à petit pas… l’extrême droite fascisante, ce meilleur élève de la classe anticommuniste aujourd’hui à l’offensive dans toute l’Europe..

A.G., ou l’exterminisme capitaliste fait philosophie

Car il est extraordinaire de remarquer que la notice biographique que Wikipédia consacre à A.G. court-circuite entièrement l’aspect le plus central et finalement, le plus intéressant, de son « œuvre » :
surtout pour le pire mais aussi un peu pour le meilleur (ainsi va la dialectique historique !), A.G. aura été l’un des théoriciens les plus conséquents – comme il arrive souvent aux fanatiques – de ce que dès 1984 nous nommions l’exterminisme capitaliste.
En effet nous avons alors développé l’idée, parfois caricaturée et le plus souvent contournée, que l’exterminisme est le stade suprême de la société capitaliste, en entendant par là que le capitalisme étant devenu depuis longtemps « réactionnaire sur toute la ligne » (économiquement, socialement, culturellement, politiquement et, ajoutions-nous dès cette époque, « environnementalement »…), son maintien est tendanciellement devenu incompatible avec la survie et avec le développement de l’espèce humaine en tant qu’humaine.

A notre époque postsoviétique, cet exterminisme capitaliste a provisoirement pris des formes plus subtiles et « présentables » que celles qu’il affichait en 1984 : en effet, la contre-révolution capitaliste – source profonde de l’actuelle mondialisation yankee et de la « construction » germano-européenne ayant réussi provisoirement à éliminer le camp socialiste mondial, les formes de l’exterminisme se sont en quelque sorte assouplies, diversifiées et disséminées :
aujourd’hui, c’est en quelque sorte à petit feu que le capitalisme impérialiste soumet l’humanité et la planète bleue à la torture mortelle du tout-profit et de ses retombées monstrueuses, chaos politique de l’Afrique au Proche-Orient, fascisation rampante de l’Europe, désastres environnementaux à répétition, etc.

Dans les années 80, au moment où la « nouvelle philosophie » glucksmannienne connut son apogée médiatique, Reagan dominait les USA et ses partisans jouaient sur l’ambiguïté du slogan E.R.A. (Elect Reagan again s’interprétait aussi, dans la droite « républicaine », Eliminate Russians Atomically) ; la réaction allemande enfin décomplexée clamait « lieber tot, als rot » (plutôt morts que rouges !). Reagan et Bush Senior lançaient leur projet de « guerre des étoiles » (IDS) destiné à intercepter les missiles soviétiques en cas de première attaque nucléaire « désarçonnante » des USA contre l’URSS.

Peu de temps auparavant, le stratège états-unien Brzezinski – qui s’est depuis lors vanté de son astuce – attirait l’Armée rouge dans un guet-apens en Afghanistan. Quant à Glucksmann, il théorisa l’indicible entreprise exterministe comme seul un philosophe peut le faire.

Dans La Force du vertige (Grasset, 1984), A.G. expliquait en effet que l’Occident devait assumer au nom de ses « valeurs » la « seconde mort de l’humanité », c’est-à-dire la perte de sens absolue qui résulterait pour chacun de l’idée, non seulement de sa mort personnelle, mais de la « disparition de l’humanité en son exhaustivité ».

Et tout cela ne se passait pas dans le Ciel des Idées mais en 1984, en pleine « crise des euromissiles », à un moment où le risque de guerre nucléaire mondiale croissait à toute vitesse.

Pour A.G., qui appelait cela « dissuasion », la « seconde mort de l’humanité » valait mieux que le « risque » de « Sibérie planétaire »[8], c’est-à-dire d’extension du communisme à toute l’humanité (entendez : de propagation des révolutions populaires africaines, centraméricaines, afghane, etc. à l’ensemble des pays du Sud).

Alors que les USA se référaient officiellement à la doctrine du first use (usage en premier par les USA de l’arme atomique contre l’URSS) voire à celles du first strike (engagement de la troisième guerre mondiale antisoviétique par une frappe nucléaire massive et « désarmante » contre l’URSS) et du « linkage » (menacer Moscou d’une guerre nucléaire pour l’empêcher de soutenir les révolutions populaires), Glucksmann a joué un rôle majeur dans la riposte atlantico-exterministe aux pacifistes ouest-européens et américains ; car sans soutenir en rien Moscou, lesdits pacifistes observaient que l’utilisation de 15% des stocks fuséo-nucléaires mondiaux au cours d’une guerre Est-Ouest eût nécessairement conduit à l’ « hiver nucléaire » (on est loin du réchauffement climatique actuel !), c’est-à-dire à l’interception du rayonnement solaire par la masse disséminée des poussières radioactives ; donc à l’interruption de la photosynthèse, donc à la possible extinction des formes supérieures de vie sur la planète Terre.

Traduisant en français laïque les vaticinations guerrières des belliqueux prophètes « évangélistes » yankees qui, à l’instar de Reagan, annonçaient l’ « Harmaghedon » (la bataille finale où Dieu défait les mécréants – en clair, les communistes – et où les « bons » rejoignent le « Royaume »), Glucksmann exécuta le « sale boulot » philosophique que nécessitait la justification de l’exterminisme impérialiste. Il écrivit notamment cette atrocité philosophique sans aucun précédent :

« je préfère succomber avec mon enfant que j’aime (sous-entendu, dans une guerre nucléaire, G.G.) plutôt que l’imaginer entraîné vers quelque Sibérie planétaire ».

Deux réponses à l’exterminisme reagano-glucksmannien : Gorbatchev ou Castro.

Si ce fanatisme anticommuniste maximal – qui obtenait un succès de masse chez les petits-bourgeois de gôôôche : A.G. avait en effet des centaines de milliers de lecteurs et il faisait même école dans le PS[9] – n’a pas abouti à la guerre mondiale nucléaire, ce n’est pas parce que l’impérialisme US « bluffait »[10], mais parce que la direction gorbatchévienne de l’URSS intimidée et surtout, complaisante et félonne, a choisi la capitulation idéologique et diplomatique en rase campagne.

Au lieu de répondre crânement, comme le faisait alors Fidel Castro « socialismo o muerte, patria o morir ! » et qu’il appelait, non pas à attendre l’apocalypse nucléaire mais à développer la lutte de classe révolutionnaire, au lieu de suivre la voie brièvement explorée par Youri Andropov pour construire un large front anti-exterministe mondial (le « front mondial de la raison »), Gorbatchev accepta la problématique exterministe en se contentant d’inverser l’exterminisme US en social-pacifisme de type munichois : le « plutôt morts que rouge » exterministe des Occidentaux devint le « plutôt pas rouges que morts ! », ce qui, traduit en « nouvelle pensée » gorbatchévienne devenait ceci :
« préférer les valeurs universelles de l’humanité aux intérêts de classe du prolétariat ».

En clair, il s’agissait de renoncer au socialisme pour sauver la paix, comme Nixon y invitait au même moment dans son livre sinistrement intitulé Le mythe de la paix.

A l’arrivée, la Russie postsoviétique actuelle, que les USA « cherchent » militairement de l’Asie centrale à la Syrie en passant par l’Ukraine et les pays baltes, aura répudié le socialisme et ses acquis sociaux sans aucunement gagner la paix.

Comme les « Munichois » Chamberlain et Daladier qui, aux dires de Churchill, choisirent le déshonneur pour avoir la paix et n’eurent que la guerre en récompense de leur veulerie, Gorbatchev a simplement remplacé la « guerre froide » par une paix… de plus en plus chaude.

Une « paix » qui, aujourd’hui, pourrait rapidement se transformer en affrontement direct sur les champs de bataille de Syrie ou du Donbass puisque, si le Traité de Varsovie et la Fédération soviétique ont disparu, l’OTAN s’est étendue aux frontières de la Russie et l’ « Union transatlantique » doublée de l’ « Union transpacifique » en gestation visent clairement à isoler et à encercler économiquement les « BRICS », au premier rang desquels la Chine largement décolorée et la Russie totalement décommunisée…

Et si pour finir l’exterminisme reagano-glucksmannien, cette continuation de la guerre de classe par d’autres moyens (et ajouterais-je, cette préparation de la contre-révolution par le chantage à l’extermination), avait seulement changé de forme en s’incarnant dans la mortifère mondialisation néolibérale, dans ses guerres impérialistes incessantes, dans sa fascisation politique rampante, dans sa course au tout-profit maximal, dans sa marchandisation galopante de l’humain et de la nature, qui tout à la fois, comme disait Marx, « épuise la Terre et le travailleur » ? Après tout, il n’est pas qu’une façon de détruire l’humanité et de détruire l’humanité de l’homme…

En quel sens, contrairement à BHL, Glucksmann fut un « philosophe »

C’est en ce sens cependant, répétons-le, que le triste A.G. est, bien davantage que BHL, cet histrion du concept que nul n’a jamais pris au sérieux dans les milieux philosophiques, un philosophe à la triste figure.

Sans valoir moralement et politiquement plus cher que son compère, Glucksmann fut un philosophe au sens où l’est toute personne qui cherche à penser jusqu’au bout, de manière radicale et cohérente, une hypothèse théorique, et plus encore, une conception du monde et de l’existence.

Poussant jusqu’à ses plus noires conséquences le faux humanisme, le faux universalisme et les pseudo-symétries « antitotalitaires » de la bourgeoisie impérialiste, A.G. fut et reste un attracteur négatif du sens.

On peut même s’aider de sa pensée, véritable repoussoir tragique de tout progressisme, pour concevoir en sa cohérence la portée anti-exterministe radicale d’un communisme de troisième génération[11] qui assumerait à la fois – car les deux engagements se conditionnent mutuellement – la transformation de l’humanité et sa conservation (défense anti-impérialiste de la paix mondiale, anticapitaliste de l’environnement, etc.) ; en effet la défense de la survie humaine passe par sa transformation révolutionnaire et symétriquement, la révolution socialiste et anti-impérialiste doit se soucier plus que jamais, non seulement de changer la vie, mais de la sauver.

Et cette dimension ô combien universaliste du communisme n’invite assurément pas à moins de combat de classe, mais à plus d’engagement révolutionnaire ; car n’en déplaise à Gorbatchev… et à Glucksmann, tous deux d’accord pour opposer métaphysiquement ces notion, ce serait plus que jamais une illusion « exhaustivement » mortelle que d’opposer « les intérêts de classe du prolétariat » aux « valeurs universelles de l’humanité » au premier rang desquelles figure le droit à la vie et au développement solidaire de chacun.
Plus que jamais, à la cubaine, « la patrie ou la mort, le socialisme ou la mort, nous vaincrons ! »…

Georges Gastaud

_____________________


[1] Philosophe, dernier ouvrage publié Marxisme et universalisme, Delga, 2015.

[2] On pense à Cohn-Bendit, à S. July, le patron de Libé ; cf aussi, un cran au-dessous A. Finkielkraut, ex-mao devenu le penseur attitré des « nouveaux réacs », ou D. Kessler, qui appelle désormais au nom du patronat à « démanteler le programme du CNR »

[3] Rappelons que les grands défenseurs français des droits des riches bourgeois de Saigon ont ensuite soutenu pendant dix ans les Khmers Rouges : invariablement, la France de Giscard puis celle de Mitterrand votaient pour que ces bourreaux – ennemis farouches du Vietnam voisin ! – conservent leur siège usurpé (celui du Royaume khmer) à l’ONU sous le tutorat grimaçant du pitre Norodom Sihanouk.

[4] Victoire du peuple vietnamien, Révolution portugaise des Œillets, victoires populaires en Afrique et en Amérique centrale, écroulement de plusieurs dictatures fascistes, extension des forces anticapitalistes au Portugal, en France, en Espagne, en Grèce… n’oublions jamais que les années 70 encore toutes proches furent très délicates pour le bloc euro-atlantique…

[5] Il serait injuste d’assimiler à la GP les marxistes-léninistes issus du PCF qui, à la fin des années 60, crurent nécessaire de rompre avec leur parti pour conserver une ligne révolutionnaire qu’incarnait selon eux Mao face aux héritiers soviétiques de Khrouchtchev. Mais combat-on les tendances révisionnistes droitières des uns en exaltant le sectarisme gauchiste des autres… surtout quand pour finir, la direction chinoise finit par s’allier aux USA pour combattre Moscou ou par soutenir Pol Pot pour faire échec au Vietnam jugé trop prosoviétique ?

[6] …laquelle eût été impossible sans l’implantation de la grande CGT de classe de Benoît Frachon et sans les intenses luttes anticoloniales des années 50 et 60, menées, pour l’essentiel par les militants du PCF, de la CGT et du syndicat UNEF.

[7] Géopolitiquement parlant, la défaite historique d’Hitler devant l’odieuse Armée rouge de Staline avait marginalisé les fascistes, du moins en Europe, et elle avait désenclavé politiquement les communistes. En bref, l’antifascisme dominait alors l’anticommunisme dont Hitler était le fer de lance avant 1945.

[8] A supposer que l’extension du communisme soit un risque pour le monde du travail, l’histoire ultérieure – la contre-révolution en URSS ! – a prouvé que le verbiage de Reagan sur la « menace communiste » relevait en fait, soit du mensonge, soit de l’auto-intoxication !

[9] A l’époque, les plans de programmation militaire géants programmés par Mitterrand et par son ministre de la défense d’alors, qui était déjà Le Drian, plombaient comme jamais le budget de la France « socialiste »…

[10] La revue Actualités soviétiques démontrait alors que les « manœuvres » de l’OTAN prenaient une telle ampleur qu’on pouvait de moins en moins les distinguer d’une préparation directe à l’engagement d’hostilités.

[11] Si la première génération est celle qui va de Babeuf à la Commune et la seconde celle qui couvre tout le mouvement historique issu de la Révolution d’Octobre.


Edité le 26-03-2016 à 22:28:36 par Xuan


Eric
Oui ; j'aurais du écrire certains intellectuels .
Car Marx , Engels , Lénine , Staline et Mao étaient des intellectuels .
L'idée de Makhaiski c'est que du fait de leur culture , leur facilité d'élocution et leur situation sociale privilégiée par rapport aux ouvriers , les intellectuels peuvent facilement les duper les et les instrumentaliser afin de faire avancer leurs propres revendications de classe ; en gros ils peuvent se servir des ouvriers afin de prendre le pouvoir .
Pour lui les intellectuels constituent une classe distincte du prolétariat et de la bourgeoisie .
Alain Bihr reprend aussi cette thèse dans son livre 'Entre bourgeoisie et prolétariat , l'encadrement capitaliste ".
En ce qui concerne la traduction des écrits de Makhaiski , je possède la version du Seuil de 1979 .
Il y a aussi une introduction du traducteur Skirda mais sans les travers de la version ultérieure .
A cette époque Skirda semble libertaire plateformiste ( du nom de la plateforme anarchiste d' Archinov )
D'ailleurs il semble admirer Makhno qui était proche d' Archinov .
Skirda a écrit une biographie de Makhno et il a aussi publié ses mémoires et écrits .
En gros pour lui c'est Makhno qui a sauvé le pouvoir soviétique et qui a écrasé les blancs .
Quand on lit l'histoire du PC ( B) de l' URSS de 1949 il est plutôt question de bandes anarchistes makhnovistes qui attaquent dans le dos les troupes soviétiques , souvent de concert avec les blancs .
Je crois d'avantage cette version que celle de Skirda .
Sinon en ce qui le concerne il semble prendre un vilain tournant politique depuis quelque temps .
Mais bon ce ne sera pas le premier ni le dernier libertaire qui passe à l’extrême droite impérialiste par haine du " totalitarisme soviétique et communiste " comme disent les anarchistes .
Xuan
Il faut malgré tout rester prudent. Il ne s'agit pas d'opposer l'ensemble des intellectuels à la classe ouvrière mais de remettre l'accent sur la classe dirigeante, des intellectuels au service du prolétariat et sous sa direction ou l'inverse ?


On lit dans "Dissidences" une critique de ce texte :


Jan Waclav Makhaïski, Le socialisme des intellectuels, critique des capitalistes du savoir, textes choisis, traduits et présentés par Alexandre Skirda, Paris, Spartacus, 2014, 322 pages, 18 €.



Un billet de Florent Schoumacher

Le penseur polonais Jan Waclav Makhaïski (1866-1926) a développé une critique globale des socialismes (communistes ou anarchistes) selon laquelle les révolutions feraient toutes l’objet d’une captation par une nouvelle classe d’individus émergeant dans les mouvements sociaux et politiques, « les capitalistes du savoir », sorte de frange intellectuelle de la petite bourgeoisie. Cette expression n’est pas de l’auteur polonais, mais de son traducteur (présentation de 1978, p. 7).
Pour Makhaïski, Marx, Engels, Lénine seraient tous issus des rangs de cette nouvelle classe. Ainsi tous les courants du socialisme ne viseraient qu’à utiliser les prolétaires comme faire-valoir pour asseoir cette nouvelle classe au pouvoir. Au XXe siècle, d’autres théoriciens invoquent le rôle de la bureaucratie.

Cet ancien étudiant de médecine (p. 21), bientôt converti aux idées socialistes de la fin du XIXe siècle, employé de banque un temps (p. 40), est emprisonné durant onze ans en tout, comme beaucoup de révolutionnaires de l’époque. Lors de sa réclusion, il croise Léon Trotsky (p. 24-25). Pour lui, la lutte de classe entre prolétariat et bourgeoisie n’existe pas vraiment. Il décèle plutôt une lutte entre la masse et l’élite (p. 37). Alexandre Skirda résume ainsi son credo : « L’émancipation des ouvriers, le renversement de l’oppression qu’ils subissent, sont des causes bien plus solides que le socialisme. Celui-ci rassemble des forces pour le seul renversement des capitalistes, mais il veut ensuite les remplacer par la classe des “ cols blancs ” héréditaires, tout en laissant dans la servitude la classe des travailleurs manuels et leurs descendances » (p. 42). Ce texte n’est d’ailleurs pas reproduit dans ce volume.

Autant le concept de Jan Waclav Makhaïski est original et innovant et peut ouvrir des pistes pour comprendre l’échec du socialisme au XXe siècle, autant la citation par l’auteur de penseurs réactionnaires comme Werner Sombart nous laisse dubitatif – doutes qui s’accroissent en découvrant les références de son traducteur dans sa longue introduction (près de cent pages).
En effet, Alexandre Skirda cite longuement Georges Sorel « théoricien important du socialisme » (p. 63) dont on connaît également l’ambiguïté sur l’antisémitisme, et accorde une très large place aux réflexions de Robert Michels dans son ouvrage majeur (Les partis politiques, essais sur les tendances oligarchiques, 1911). Ses réflexions suscitent un certain malaise1.
L’avant-dernier texte de Makhaïski (La conspiration ouvrière, 1908, p. 259-289, reproduit dans ce volume) renforce cette sensation. Le penseur polonais y indique que les intellectuels seraient humiliés par leur dépendance vis-à-vis des capitalistes, qu’ils se « rebiffe[ra]ient » et utiliseraient les travailleurs manuels, toujours prêts à se battre en « s’efforçant de leur prêcher la révolution » (p. 268). Il propose une solution : la grève générale économique (p. 279) et une forme d’organisation : « la conspiration ouvrière » (p. 284). Des passages ne sont pas reproduits mais marqués par ce signe « (…) ». Nous n’en saurons donc pas plus…. Il ne faut sans doute pas éventer la « conspiration ».

En refermant ce livre, réédité2 en 2001 aux éditions de Paris-Max Chaleil et dont les invendus ont été apparemment récupérés par Spartacus si l’on en croit les étiquettes qui y sont maladroitement accolées, on s’interroge. Les textes reproduits de Makhaïski sont parfois tronqués de plusieurs paragraphes (comme si le traducteur et ses éditeurs ne voulaient pas nous dévoiler toute la pensée de l’auteur) sans aucune explication éditoriale, ce qui soulève tout de même un problème épistémologique et déontologique3.

Résumons :

* Un parallèle douteux entre l’URSS et le Troisième Reich (cf. le recto de la couverture, et la préface à la troisième édition), parallèle introduit par le libéral russe Piotr Struve.

* Les références du traducteur à Robert Michels (sociologue allemand qui adhéra au parti fasciste italien vers 1918 et obtiendra un poste de professeur à Pérouse (Italie) jusqu’à sa mort en 1936) ; Gaetano Mosca (juriste, professeur de droit constitutionnel à l’université de Turin de 1896 à 1924, penseur de « l’élitisme » ; Vilfredo Pareto (sociologue mort en 1923, ayant salué l’accession de Mussolini au pouvoir et mis en valeur par la Nouvelle Droite d’Alain de Benoist) ; et Henri de Man (penseur fasciste4 belge condamné à vingt ans de réclusion après guerre pour collaboration et mort en 1953) (p. 323 et suivantes).

* L’ironie obscurantiste contre le socialisme scientifique (Makhaïski, p. 242 et suivantes) résumée ainsi : « les ouvriers devraient donc apprendre tous les sciences durant leurs congés ».

* Le prétendu « hold-up » du projet révolutionnaire perpétré par une « caste » (p. 15 et suivantes).

* L’utilisation du vocable « pillage » pour évoquer cette captation (Makhaïski p.140, 210, 238, par exemple) ou encore de celui de « classe parasite » (traducteur, p. 90).

* L’utilisation d’expressions comme « minorité héréditaire » et « minorité privilégiée » (p. 140) pour évoquer les intellectuels.

* L’utilisation par le traducteur d’un vocabulaire sexiste (« Putanat » p. 13 et suivantes) pour désigner l’action des intellectuels dans la révolution.

* La présentation de l’affaire Dreyfus comme le déclencheur de l’arrivée des intellectuels au sein des mouvements socialistes (le traducteur, p. 62)5, alors que cela concerne principalement la France.

* La négation de la lutte de classe au profit d’une lutte masses/élites (traducteur, p. 37).

* Les citations d’auteurs ayant inspiré le fascisme initial (pour Makhaïski, Sombart p. 152 et suivantes et Struve, p.195 et suivantes).

* Le caviardage des textes de Makhaïski et les « raccourcis » de plus en plus conséquents en fonction de l’année d’écriture du texte (par exemple p. 131, 194, 206, 226, 243, 244, 247, 251, 254, 260, 261, 264, 267, 272, 286, 288…) sans qu’il nous soit permis de comprendre la cause de ces coupes ni de connaître la longueur des paragraphes supprimés.

Tout cela offre un faisceau d’indices inquiétant. Sous un discours anti-autoritaire qui affirme que la social-démocratie historique (c’est-à-dire le mouvement socialiste et communiste initial), le bolchevisme, le marxisme, l’anarchisme ne fonctionnent pas, percent quelques-uns des arguments classiques d’une rhétorique réactionnaire, aux références douteuses, sans que le traducteur ou les éditeurs s’expriment franchement sur cet aspect des thèses de Jan Waclav Makhaïski. Des critiques partielles pertinentes aboutissent à une critique globale qui l’est beaucoup moins.Voilà donc un livre au départ intrigant qui finit par faire émerger une pensée très proche des thèses anticommunistes et assez éloignée des thèses libertaires habituellement défendues par les éditions Spartacus, bien que celles-ci, dans les années cinquante, n’aient pas hésité à publier quelques titres anticommunistes, justement, de tonalité maccarthyste6.

C’est aussi un ouvrage de notre époque, en ce sens que son ambiguïté idéologique ne fait qu’obscurcir un peu plus, dans le champ des idées révolutionnaires ou tout simplement progressistes, une situation déjà bien confuse.

1 Et si l’on se renseigne un peu, on trouvera des éléments singuliers au sujet d’Alexandre Skirda. Ainsi son livre, La Traite des Slaves : l’esclavage des Blancs du VIIIe au XVIIIe siècle, fait l’objet d’une recension élogieuse, sur un site d’extrême droite radicale, Polémia, repris par le site du Front National de Charente-maritime :
http://www.frontnational17.fr/la-traite-des-slaves-lesclavage-des-blancs-du-viiie-au-xviiie-siecle-de-alexandre-skirda/.
Les cahiers du monde russe (http://monderusse.revues.org/7358 ) lui accordent une recension bien plus critique. Ainsi au sujet de sa critique du rôle des juifs, les auteurs de la recension (Aleksandr Lavrov et André Berelowitch) indiquent :
« L’auteur reconnaît que la majorité des juifs médiévaux n’avait rien à voir avec le commerce des esclaves. Malgré cela, une corporation spéciale de marchands juifs (les Radânites, comme les appelle l’auteur) est déclarée responsable de l’organisation de la traite. Ici on décèle très clairement l’influence néfaste des idées de Lev Gumilev sur le rôle des juifs au sein de certaines sociétés médiévales » . Ce à quoi Skirda répondra par lettre en date du 20 décembre 2011 : «Cela dit, je suis surpris par la médiocrité de cette recension, n’y a-t-il pas des membres sérieux et compétents parmi la rédaction de votre revue ? »

2 La première édition est parue en 1979 aux éditions du Seuil, grâce à Jacques Julliard.

3 Dans un article intitulé « Machajsky, A Rightfully Forgotten Prophet » [Makhaïski, un prophète justement oublié], Telos n° 71, printemps 1987, p. 111-128, un auteur trotskyste, Ernest Haberkern, prétend que les textes de Makhaïski auraient été expurgés de sorties antisémites par son traducteur, Alexandre Skirda.
Les textes originaux n’étant disponibles qu’en russe, il nous est impossible de trancher. Marshall S. Shatz, le biographe de Makhaïski, dans le chapitre 4 de Waclaw Machajski: A radical critic of the Russian intelligensia and socialism essaie de répondre à cette critique avec un argument plutôt faible (la femme de Makhaïski était juive donc il ne pouvait pas être antisémite) et surtout en nous fournissant des extraits peu convaincants des positions du penseur polonais à propos du rôle des Cent Noirs en Russie.
La lecture des textes traduits par Alexandre Skirda ne peut qu’entretenir le doute tant que les textes n’auront pas été édités en français dans leur intégralité. De plus un traducteur qui cite autant d’auteurs réactionnaires (que Schatz présente aussi comme une source d’inspiration pour Makhaïski) ne nous rassure vraiment pas.

4 Zeev Sternhell, Ni gauche ni droite : l’idéologie fasciste en France, Paris, Fayard, 2000, Folio, coll. « Folio histoire », 2012.

5 Alexandre Skirda écrira d’ailleurs au sujet de l’Affaire Dreyfus :
« Elle a donné lieu à une agitation confuse dans laquelle un chat révolutionnaire aurait eu beaucoup de difficulté à identifier ses chatons ! La cause de tout cela était la condamnation injuste d’un capitaine, (un millionnaire et fils d’un millionnaire en francs de l’époque) à cause de sa foi juive. Beaucoup d’anarchistes se laissent entraîner dans cet épisode discutable ; Sébastien Faure même mis en place un quotidien avec le soutien du capital juif. » (traduction par nos soins de l’original anglais Facing the Enemy: A History of Anarchist Organization from Proudhon to May 1968, translated Paul Sharkey, Edinburgh & Oakland, AK Press, 2002, p. 70).

6 Par exemple Paul Clerey, Français, voici la Cinquième colonne, Paris, Spartacus, série A, n° 31, 1951 ou Suzanne Labin, La conspiration communiste ; l’hydre totalitaire, comment la museler, Paris, Spartacus, collection « Spartacus », série A n° 33, 1957.
Xuan
Merci, ce courant a parfois produit une critique sérieuse de la "deuxième gauche".
C'est le cas de Michel Onfray.
Le paradoxe est que dans le même courant a proliféré l'antitotalitarisme.
Eric
Sur la nocivité des intellectuels et de l’intelligentsia sur la classe ouvrière lire aussi " Le socialisme des intellectuels " de Jan Waclav Makhaiski .
Certes , c'était un libertaire . Mais ses critiques des intellectuels sont souvent pertinentes .
Xuan
CERCLES D’INFLUENCE ATLANTISTES EN FRANCE
La face cachée de la Fondation Saint-Simon

par Denis Boneau



Voltairenet

Issue des milieux anti-communistes de la Guerre froide, la Fondation Saint-Simon a discrètement rassemblé en France, dans les années 80 et 90, des personnalités politiques, économiques, culturelles et médiatiques. Entre autres membres éminents : Pierre Rosanvallon, Alain Minc, Francis Mer, Serge July, Laurent Joffrin, Luc Ferry, Alain Finkielkraut, ou encore Christine Ockrent. Membre du Club de La Haye, un réseau international de think-tanks animé par la CIA, la Fondation Saint-Simon a éclipsé les intellectuels de la gauche non-atlantiste et imposé une forme de pensée unique en France.




1982 à 1999, la Fondation Saint-Simon exerça un véritable magistère sur la vie intellectuelle et médiatique française. Dans le prolongement de la « Troisième voie » chère à Raymond Barre, Jacques Delors ou Michel Rocard, elle rassembla une centaine de personnalités issues des cercles libéraux et sociaux-démocrates et développa un discours « ni de gauche, ni de droite » [1], qualifié par ses détracteurs de « pensée unique ».

Son fondateur et premier président, l’historien François Furet, ne faisait pas mystère d’avoir noué des contacts avec la CIA après avoir rompu avec le Parti communiste. De plus, il se présentait comme le continuateur de l’œuvre de Raymond Aron, un intellectuel anti-communiste qui anima le Congrès pour la liberté de la culture, une vaste opération de la CIA pour manipuler les intellectuels ouest-européens et les enrôler dans la Guerre froide. Malgré ces indices, les liens éventuels de la Fondation Saint-Simon avec les services états-uniens ne furent jamais discutés. Notre enquête les a mis à jour.

La réactivation des réseaux de la « Troisième voie » anti-totalitaire


Pour comprendre comment la Fondation Saint-Simon a été créée, en 1982, il importe de se remémorer les efforts entrepris depuis la dissolution du Congrès pour la liberté de la culture, en 1975, pour faire vivre le courant intellectuel de la « Troisième voie ».

Dès la fin des années 70, les intellectuels libéraux et les sociaux-démocrates anti-communistes renouvellent leur alliance afin de lutter contre le Programme commun présenté par François Mitterrand. Ainsi, en 1978, Raymond Aron s’entoure de Jean-Claude Casanova [2] Alain Besançon [3] et Kostas Papaioannou pour créer Commentaire , une revue dont la problématique centrale est l’analyse critique du phénomène totalitaire [4]. Elle tire son nom de Commentary la revue mensuelle de l’American Jewish Committee et en inclut des rédacteurs dans son propre comité de rédaction.

Dans le sillage de Contrepoint , revue de Georges Liébert et Patrick Devedjan et de Preuves , publication quasi-officielle du Congrès pour la liberté de la culture, Commentaire rassemble des intellectuels et hommes politiques anti-communistes et pro-états-uniens. Ses réseaux s’étendent de l’IEP [5] (Jean-Claude Casanova, Michel Crozier, Alain Lancelot) à la Sorbonne (Raymond Boudon, Pierre Chaunu), en passant par l’EHESS [6] où François Furet mène une véritable politique de recrutement politique (il fera entrer Pierre Rosanvallon, pourtant diplômé d’une école de commerce, HEC).

Le comité de direction comprend deux aroniens, Pierre Manent, assistant de Raymond Aron au Collège de France et Marc Fumaroli, professeur à la Sorbonne puis au Collège de France. Le comité de rédaction est présidé par Raymond Aron et comprend des personnalités telles que Annie Kriegel, Alain Lancelot, Jean-François Revel, Georges Suffert...

Suivant la trace de Raymond Aron, les intellectuels du Congrès pour la liberté de la culture sont présents dans Commentaire : Manès-Sperber, Georges Vedel, le juriste du Club Jean Moulin, Michel Crozier, le sociologue officiel des planificateurs. L’ancien chef de Preuves, François Bondy, participe au comité de rédaction. De plus, le parrainage états-unien est assuré par l’intermédiaire de figures du Congrès pour la liberté de la culture, Irving Kristol [7] et Norman Podhoretz [8].

Dans une période de pacification relative des rapports Est/Ouest (ce moment prend fin avec la présidence Reagan), la revue constitue le maillon intermédiaire entre le Congrès pour la liberté de la culture et la Fondation Saint-Simon. Résolument pro-états-uniens, les membres de Commentaire contribuent à diffuser les auteurs libéraux américains tels que Allan Bloom, professeur de philosophie politique à Chicago qui annonce, dans L’Âme désarmée , la décadence en pointant du doigt les mouvements étudiants, et Francis Fukuyama, célèbre théoricien de la « fin de l’Histoire ». Dans la logique du réseau du Congrès pour la liberté de la culture, Commentaire consacre un dossier à l’œuvre de Friedrich von Hayek, le fondateur de l’ultra-libérale Société du Mont Pèlerin, un think tank qui contribue à la victoire de Margaret Thatcher en 1979.

La revue Commentaire , constituée des réseaux construits par Raymond Aron durant les deux premières décennies de la Guerre froide, regroupe des intellectuels anticommunistes de la première génération - les membres du Congrès pour la liberté de la culture, les élites des clubs de la « Troisième voie » (club Jean Moulin, club Citoyens 60) - et recrute des jeunes universitaires comme Pierre Rosanvallon ou François Furet. La revue a ainsi permis aux aînés de transmettre un capital de relations sociales à la nouvelle génération des intellectuels pro-états-uniens qui, en créant la Fondation Saint-Simon en 1982, reformulent l’idéal politique des pionniers de la « Troisième voie » (Pierre Mendès-France, Jacques Delors).

À la fin des années soixante-dix, l’école aronienne ( Contrepoint, Preuves et Commentaire ) est « concurrencée » par la création d’un nouveau pôle de réflexion dit « réformiste » composé de jeunes intellectuels en quête de reconnaissance académique. En 1980, Pierre Nora, le patron des éditions Gallimard, et Marcel Gauchet, l’adversaire de Michel Foucault, lancent la revue Le Débat qui va constituer une tribune et un tremplin pour la jeunes génération incarnée par Alain Finkielkraut, Alain Minc, Gilles Lipovetsky, Luc Ferry... Cette équipe, qui plaide pour une « nouvelle gauche », libérale et sociale, rejoindra la Fondation Saint-Simon, en 1982.

Les fondateurs


La mise en place du réseau saint-simonien est le résultat de la rencontre entre deux intellectuels majeurs du courant anti-totalitaire, l’historien François Furet et le porte-parole de la CFDT Pierre Rosanvallon, et deux personnalités du monde économique, l’ultra-catholique Roger Fauroux et l’influent conseiller du patronat français Alain Minc.


François Furet

L’itinéraire politique de François Furet met en perspective les liens unissant les saint-simoniens et les néo-conservateurs états-uniens qui, par l’intermédiaire des fondations, financent les carrières de nombreux intellectuels français. François Furet, soutenu par l’ultra-conservatrice fondation Olin [9] lance un programme de démantèlement de l’historiographie marxiste et parallèlement dénonce l’alliance avec les communistes en créant, avec le soutien états-unien, un think tank destiné à combattre le Programme commun.
Militant communiste jusqu’en 1956 [10], il obtient l’agrégation d’histoire en 1954 en se faisant le défenseur des thèses du marxisme orthodoxe. Il entre au CNRS en 1956, puis à l’EHESS ; après sa rupture avec le PCF, il tente de fabriquer une historiographie tendant à réfuter la doctrine marxiste. Il analyse la Révolution française comme un phénomène achevé avec la IIIe République et entreprend un travail de dénonciation du « totalitarisme » communiste [11].
En quittant le PCF, François Furet devient un libéral intransigeant dans la lignée de Raymond Aron.
Confirmant cette filiation intellectuelle, il crée avec Luc Ferry l’Institut Raymond Aron, qu’il dirige jusqu’en 1992. Président de l’EHESS de 1977 à 85, il part à Chicago en 1982 ; la même année, il crée la Fondation Saint-Simon.
Au moment de la commémoration du bicentenaire de la Révolution française, la Fondation Olin lui verse 470 000 dollars [12] afin de financer son programme de recherche sur les révolutions américaine et française. En 1995, il publie Le Passé d’une illusion, ouvrage qui lui permet de revenir sur la fascination des intellectuels pour le marxisme et d’ériger le communisme comme une forme de totalitarisme équivalente au nazisme. Anti-mitterrandien radical et agent des néo-conservateurs états-uniens, François Furet a construit une œuvre intellectuelle conforme à la volonté de ses mécènes.


Pierre Rosanvallon

Son protégé, Pierre Rosanvallon, appartient à la jeune génération des « anti-totalitaires » formés dans les cercles aroniens de Commentaire.
Pierre Rosanvallon est diplômé d’HEC. Ex-dirigeant des JEC (Jeunesses étudiantes chrétiennes), il entre à la CFDT et lance, avec Edmond Maire et Marcel Gonin, la revue CFDT-aujourd’hui.
Très proche de Jacques Delors avec qui il crée le Centre Travail et Société, il participe à de nombreuses expériences de la « Troisième voie ». Il écrit dans Esprit, Le Nouvel observateur, Commentaire (dés 1978). Grâce à François Furet, il entre à l’EHESS et devient responsable des études politiques jusqu’à la consécration du Collège de France. Auteur d’essai à prétention sociologique et historique [13], Pierre Rosanvallon fut « l’éminence grise » d’Edmond Maire à la CFDT, puis le conseiller de Jacques Delors. Il détient une place clé dans les réseaux saint-simoniens ; il représente la Fondation au comité directeur du Club de la Haye.


Alain Minc

Alain Minc, proche allié de Roger Fauroux, est le trésorier de la Fondation. Inspecteur des finances, major de sa promotion à l’ENA, son ami Fauroux lui offre le poste de directeur financier de Saint Gobain. Remercié après les pertes occasionnées par les opérations manquées de rachat de Bull et de la Générale des eaux, Alain Minc entre dans le groupe Carlo de Benedetti où ses échecs, comme vice-président de Cerus, ne l’empêchent pas d’empocher sept millions d’indemnités. Fort de ces expériences, il crée Alain Minc Conseil [14].
Parallèlement, il publie de nombreux livres dont un lui vaudra condamnation pour plagiat.
Avec le soutien de grands patrons, il organise la recapitalisation du quotidien Le Monde , en 1994, et en préside depuis le Conseil de surveillance. Il coordonne l’écriture du rapport La France de l’an 2000 (Commissariat au Plan), commandé par Édouard Balladur dont il est l’un des soutiens les plus influents.


Roger Fauroux

Ami et conseiller des patrons, Alain Minc a su tirer partie de ses relations et a joué un rôle de recruteur, notamment dans les milieux patronaux.

Le président de la Fondation, Roger Fauroux, est une personnalité au centre de réseaux multiples et étendus. Il est d’abord considéré comme un patron, il fut le Pdg de Saint-Gobain où il repéra son ami Alain Minc. Politiquement, il appartient à la « nouvelle gauche » incarnée par Raymond Barre et Michel Rocard. Ce dernier le désigna, dans son gouvernement, ministre de l’industrie. Il fut directeur de l’ENA. Il conseilla le Cardinal Lustiger et fit ainsi réaliser à l’Église catholique des profits spéculatifs inespérés. Patron ultra-catholique, Roger Fauroux a assuré une partie conséquente du financement de la Fondation en mettant à contribution des entreprises comme Saint-Gobain ou MK2 Production.

La convergence des intellectuels et des patrons


La Fondation Saint-Simon revendique son rôle de liaison entre les intellectuels de la « deuxième gauche » et les patrons de nombreuses entreprises publiques et privées. Cette vocation se traduit par la présence de François Furet et Pierre Rosanvallon au conseil d’administration de Saint-Gobain. Une telle alliance entre les technocrates de la fonction publique ou de l’entreprise et les élites culturelles donne une forme nouvelle au « rêve politique » de la « Troisième voie » incarnée dans les années 60 par le club Jean Moulin [15].

Les saint-simoniens sont des hauts fonctionnaires de la planification (Pierre-Yves Cossé, commissaire général au Plan), des journalistes médiatiques (Françoise Giroud de L’Express , Jean Daniel et Jacques Julliard du Nouvel observateur , Franz-Olivier Giesbert du Figaro , Serge July et Laurent Joffrin de Libération ), des stars de la télévision (Anne Sinclair, Christine Ockrent), des philosophes (Alain Finkielkraut, Edgar Morin, Luc Ferry), des patrons d’entreprise et des banquiers (Francis Mer, directeur général d’Usinor, Jean-Claude Trichet, gouverneur de la banque de France), des éditeurs (Pierre Nora des éditions Gallimard, Yves Sabouret d’Hachette) et bien sûr des politiques (Martine Aubry, Robert Badinter, Jean-Paul Huchon, Bernard Kouchner), etc.

Jouant sur la connivence des élites, les membres de la Fondation Saint-Simon sont en mesure d’échanger des services symboliques et matériels. Les patrons viennent discuter avec les philosophes en vogue et financent les activités de la Fondation, dont les fonds sont exclusivement privés. Les membres donnent une cotisation symbolique (500 francs en 1997) ; la Caisse des dépôts, Suez, Publicis, la SEMA, le Crédit local de France, la banque Wormser, Saint-Gobain, BSN Gervais-Danone, MK2 productions, Cap Gemini Sogeti [16] financent les déjeuners et publications de la Fondation Saint-Simon (soit un budget de 2 500 000 francs).

La collaboration financière entre les entreprises et les intellectuels permet à Pierre Rosanvallon, proche de Jean Peyrelevade (un des auteurs des notes vertes de la Fondation avec d’autres patrons comme Raymond Lévy, Jean-Louis Beffa, Michel Bon), de créer La République des idées grâce aux contacts auprès de grandes entreprises comme Lafarge, Altadis, les AGF, EDF, Air France.

La face cachée de la Fondation Saint-Simon


En réalité, dès sa création et probablement à l’insu de la plupart de ses membres, la Fondation Saint-Simon est organiquement articulée aux réseaux atlantistes. Elle adhère en effet à un réseau de fondations animé par la CIA, puis indirectement par la National Endowment for Democracy : le Club de La Haye.
En 1964 la Fondation Ford, jouant le rôle de bras philanthropique de la CIA, avait organisé à Berlin un symposium en vue de la création en Europe de fondations à l’américaine. Quatre conférences internationales plus tard, les premières fondations européennes furent invitées, en 1969, à un séminaire de travail, sous les auspices des fondations Ford et Rockfeller, à la villa Serbeloni de Bellagio (Italie), à l’issue duquel fut créé un groupe de contact permanent, le Club de La Haye.

Depuis lors, le Club organise plusieurs rencontres annuelles. La première est consacrée à la recherche de financement et les suivantes à l’étude d’un ou deux thèmes de propagande qu’il appartiendra à chaque fondation membre de populariser dans son pays.

En 1982, la Fondation Saint-Simon à peine créée, reçoit le Club de La Haye à Paris. Deux thèmes sont abordés : le chômage et la société multiculturelle. Les réunions suivantes auront pour objet : le sens du travail (Bunnik, 1983) ; favoriser l’excellence à l’université (Londres, 1983) ; l’émergence de la société multiculturelle en Europe (Bruxelles, 1984) ; l’excellence contre l’égalitarisme dans les sociétés multiculturelles (Jérusalem, 1986) ; les implications de la croissance de la population mondiale (Athènes, 1991) ; la société civile (Séville, 1992) ; le financement de l’enseignement supérieure et de la recherche (Londres 1993) ; etc. On devine là la matrice de la rhétorique saint-simonienne où la société multiculturelle se substitue à la laïcité et où l’équité remplace l’égalité, pour ne citer que quelques exemples.

À chaque rencontre du Club de La Haye, les fondations membres envoient un délégué. La Fondation Saint-Simon est représentée, généralement par son secrétaire général, Pierre Rosanvallon. En outre, deux personnalités « extérieures » participent aux débats : James A. Joseph, président du Conseil des fondations des États-Unis et administrateur de la National Endowment for Democracy, et Yehuda Elkana, représentant George Soros.

Les grèves de 1995 : le moment de vérité


L’accès aux médias, presse écrite et audiovisuelle, constitue une autre facette du pouvoir des saint-simoniens. Après l’échec de la candidature d’Édouard Balladur à la présidence de la République, les grèves de 1995 posent à ce titre un véritable défi pour la Fondation Saint-Simon qui devient l’instrument de communication de la CFDT [17].

Le projet Juppé de réforme du système des retraites provoque une vague de manifestations ; Nicole Notat, la secrétaire générale du syndicat, décide d’appuyer le projet en apportant quelques critiques (projet Notat). Afin de soutenir la stratégie de la CFDT, des intellectuels répondent à l’appel des deux principaux animateurs d’ Esprit , Joël Roman et Olivier Mongin, qui lancent une pétition pour soutenir les propositions Notat [18].

Les membres d’Esprit contactent la Fondation Saint-Simon dont les principaux théoriciens considèrent globalement que la réforme Juppé est une « révolution » (Alain Minc) indispensable. Pierre Rosanvallon et Alain Minc mettent en place un plan de soutien médiatique des propositions Notat. La CFDT, dans ce dispositif, défend ses positions en mobilisant les intellectuels du syndicat dispersés, notamment, dans le réseau Esprit et dans le groupe des saint-simoniens. Les relais médiatiques sont, grâce à la Fondation, assurés [19].

Malgré ce plan d’action, qui présuppose des capitaux relationnels importants, les défenseurs de Notat, qui signent l’appel Réforme, se heurtent au mouvement, lancé par Pierre Bourdieu, de soutien aux grévistes. Le sociologue multiplie les initiatives (pétitions, soutien public aux grévistes de la gare de Lyon...) afin de rallier les opposants au projet Juppé. Sur les plateaux de télévision, où Alain Touraine fait office de porte-parole des partisans de la réforme, certains n’hésitent pas à pointer du doigt la Fondation Saint-Simon.

Alain Touraine, normalien, débute sa carrière, après un passage à Harvard, en tant que « sociologue de gauche » en étudiant le travail des ouvriers des usines Renault.
Ami et « rival » de Michel Crozier avec qui il crée la revue Sociologie du travail en 1959, Alain Touraine constitue un cas exemplaire d’intellectuel de la « Troisième voie » de gauche mais engagé sans nuance contre le communisme.
Il est proche des planificateurs qui financent ses recherches par l’intermédiaire de l’Institut des sciences sociales du travail (ISST).
Intellectuel engagé, il soutient le mouvement des étudiants en 1968 à Nanterre. Il est pourtant remercié l’année suivante au même titre que Michel Crozier qui, dans la lignée du maître Aron, s’est opposé sans nuance au « désordre » causée par la contestation. Durant les grèves de 1995, Alain Touraine est désigné officieusement porte-parole de la Fondation Saint-Simon. Ses contacts dans les médias lui permettent d’être l’invité omniprésent des débats politiques.

Le plan de manipulation médiatique imaginé par Pierre Rosanvallon aboutit à un double échec qui va justifier la dissolution du groupe des saint-simoniens : d’une part, les réformes prônées par Juppé et Notat sont bloquées, ce qui constitue une défaite des cadres intellectuels de la CFDT, et d’autre part, la Fondation, en mobilisant ses troupes sur le champ médiatique, a perdu son anonymat.

La dissolution du « temple de la pensée unique »


Désignée comme le « temple de la pensée unique », la Fondation Saint-Simon est la cible de nombreuses critiques. Dès 1992, Régis Debray réunit les opposants à Balladur en créant le club Phare & Balises.
Avec Emmanuel Todd et Alexandre Adler, il attire des chevènementistes et des chiraquiens.
L’expérience se renouvelle par l’intermédiaire de la Fondation Marc Bloch qui deviendra la Fondation du 2 Mars (Philippe Cohen, journaliste à Marianne, Régis Debray, Pierre-André Taguieff...).
En 1996, un « appel pour sortir de la pensée unique » rassemble des opposants à la Fondation Saint-Simon.
Concrétisant cette alliance des membres d’ATTAC, d’AC !, des universitaires syndiqués (CGT, FSU) créent, en 1999, aux côtés de l’historien Jacques Kergoat, le club Copernic.

La Fondation Saint-Simon, devenue trop visible, est dissoute en 1999 [20]. Certains saint-simoniens entrent dans le club En temps réel fondé par Zaki Laïdi et dirigé par Gilles Margerie (Directeur général adjoint du Crédit agricole) ; d’autres se tournent vers des clubs de réflexion réservés aux patrons, comme L’Institut de l’entreprise présidé par Michel Bon. La plupart des intellectuels de la Fondation intègrent La République des idées de Rosanvallon.

La permanence des réseaux saint-simoniens


En France, la Fondation Saint-Simon a permis la construction d’un réseau durable de relations et de soutien mutuel entre des élites culturelles, politiques et économiques. L’échec du soutien à la candidature Balladur à l’élection présidentielle de 1995 n’a pas pour autant disqualifié les membres de la Fondation comme le démontre la composition du gouvernement Raffarin dans lequel on trouve le philosophe Luc Ferry et le patron Francis Mer [21].

D’un point de vue diplomatique, la Fondation Saint-Simon, dans le sillage du Congrès pour la liberté de la culture, a permis de coordonner, pendant près de vingt ans, l’action des réseaux pro-états-uniens en France. L’ancrage néo-conservateur explique les orientations anti-communistes du début de la Fondation, au moment où l’administration Reagan redéfinit la politique étrangère des États-Unis, et les prises de positions libérales défendues après la chute de l’Union soviétique, notamment durant les évènements sociaux de 1995.

Il est éventuellement légitime pour des responsables politiques et des intellectuels d’avoir choisi, au cours de la Guerre froide, de se joindre au camp atlantiste contre le totalitarisme stalinien. Mais cet engagement change de sens après l’effondrement de l’Union soviétique. Il appartient à ceux qui ont prolongé ce compagnonnage d’expliquer aujourd’hui le sens de leur choix.

Denis Boneau

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Notes
[1] Alain Minc, reformulant la rhétorique aronienne, parle d’une alliance entre « la gauche intelligente et la droite intelligente ». Laurent Vincent, « Les architectes du social-libéralisme », Le Monde diplomatique, septembre 1998.

[2] Jean-Claude Casanova, ancien membre du cabinet de Raymond Barre, sera l’un des membres les plus influents de la Fondation Saint-Simon. Disciple de Raymond Aron, il importe la rhétorique néo-conservatrice en vulgarisant des auteurs comme Léo Strauss et Allan Bloom.

[3] Alain Besançon est éditorialiste et administrateur de l’Institut d’histoire sociale (IHS).

[4] Rémy Rieffel, La tribu des clercs, Les intellectuels sous la Cinquième République, Calmann-Lévy, 1993.

[5] Institut d’études politiques de Paris, dit « Sciences-Po Paris ».

[6] École des hautes études en sciences sociales.

[7] Collaborateur de l’American Enterprise Institute où son salaire est financé par John M. Olin, Irving Kristol a dirigé Commentary de 1947 à 1952. Son fils William, actuel directeur du Weekly Standard, est un des théoriciens majeurs du néo-conservatisme. Il est à l’origine, avec Robert Kagan, du Project for a New American Century, le think tank électoral de George W. Bush installé dans les locaux de l’American Enterprise Institute.

[8] Norman Podhoretz a dirigé Commentary de 1960 à 1965. Il présida, de 1981 à 1987, le Comité consultatif des nouvelles directions de l’Agence d’information des États-Unis (USIA) contrôlant notamment La Voix de l’Amérique. Il est aujourd’hui chercheur au Hudson Institute. Son épouse, Midge Decter dirigea le Committee on Present danger, puis avec Donald Rumsfeld, la Coalition for the Free World. Leur fils, John Podhoretz, est éditorialiste du New York Post. Leur gendre, Elliott Abrams, est aujourd’hui en charge du Proche-Orient au Conseil de sécurité nationale.

[9] La Fondation Olin est créée en 1953 par l’industriel John Olin et finance, à partir de 1977, des carrières universitaires et politiques. Les fonds Olin ont ainsi permis le financement des activités de l’American Entrerprise Institute mené par Norman Podhoretz et Irving Kristol, deux anciens directeurs de Commentary. Le continuateur du philosophe Leo Strauss, Allan Bloom, auteur de The closing of the american mind, un des « classiques » de la littérature néo-conservatrice, a bénéficié du soutien de la fondation dont le bastion est l’université John M. Olin (Chicago). Par ailleurs, l’ultra-conservatrice Fondation Olin a contribué à former des membres de l’administration Reagan comme Murray Weidenbaum et Martin Feldstein.

[10] Au PCF, il rencontre Emmanuel Le Roy-Ladurie, Alain Besançon, Annie Kriegel et Jacques Ozouf.

[11] Ces deux entreprises intellectuelles sont intimement liées. Le travail historique de François Furet, compilé dans les deux tomes La Révolution, tend, par exemple à démontrer le caractère totalitaire de la Convention, régime de référence du Parti communiste français. François Furet en décrivant la Ière République comme un moment historique précurseur du totalitarisme contemporain, s’oppose aux historiographes marxistes et règle donc ses comptes avec les alliés d’hier. Il faut noter que ce programme ambitieux d’historien anti-communiste a été financé par la Fondation Olin.

[12] Cf. Laurent Vincent, Les Architectes du social-libéralisme.

[13] L’Age de l’autogestion, 1976 ; La Crise de l’État-providence, 1981 ; La République du centre, 1988 ; La Nouvelle question sociale : repenser l’État-providence, 1995...

[14] En 1999, Alain Minc conseillait Philippe Jaffré (Elf), Louis Schweitzer (Renault), Jean-Louis Beffa (Saint-Gobain), Philippe Bourguignon (Club Med), Gilles Pélisson (Eurodisney)... Avec quinze clients, Alain Minc Conseil perçoit, en 1999, vingt millions de francs.

[15] La filiation entre le club Jean Moulin et la fondation est clairement revendiquée par Roger Fauroux.

[16] Laurent Vincent, Les Architectes du social-libéralisme.

[17] Confédération française démocratique du travail, syndicat social-démocrate

[18] Parmi les intellectuels signant la pétition de soutien aux propositions Notat, on trouve les saint-simoniens Jean-Baptiste de Foucault, Alain Touraine, Alain Finkielkraut, Jacques Julliard, Olivier Mongin, Pierre Rosanvallon, Daniel Lindenberg, André Wormser, Yves Linchtenberger...

[19] Jean Drucker, Président de M6, Jean-Pierre Elkabbach d’Europe 1, Bernard Spitz de la direction de Canal +, Anne Sinclair, Christine Ockrent, entre autres, sont membres de la Fondation Saint-Simon.

[20] Pierre Rosanvallon déclare : « Face à ceux qui nous accusaient par paresse de pensée unique, nous avons plutôt essayé de penser librement et ouvertement, en restant absolument indépendants de tous les pouvoirs (sic) » . Pierre Rosanvallon, « La Fondation Saint-Simon, une histoire accomplie », Le Monde, 23 juin 1999.

[21] Les rapports entre Jacques Chirac et la Fondation Saint-Simon furent pourtant conflictuels, notamment durant la campagne présidentielle de 1995. Le 6 mars 1995, les saints-simoniens reçurent Jacques Chirac, « une rude altercation s’ensuivit » entre le candidat et Alain Minc qui soutenait Édouard Balladur. Cf. Weill Nicolas, « Les "saint-simoniens" tournent la page », Le Monde, Jeudi 24 Juin 1999.

Denis Boneau
 
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