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Xuan
AGROÉCOLOGIE · 25. juillet 2019
LES ÉCOLOGISTES VONT FINIR PAR PROVOQUER LA CATASTROPHE QU'ILS PRÉTENDENT ÉVITER


germinal - G. Suying



Face aux politiques et grands patrons larmoyant devant les remontrances d’une jeune fille débarquée de Suède pour assister aux spectacles du cirque ultralibéral, de Davos aux Parlements des Etats les plus impérialistes du monde, personne ne s’étonne d’une telle renommée fulgurante ? Evidemment dans le piège à deux mâchoires que nous tend la propagande bourgeoise « soit du coté de Macron, soit du côté des fascistes », tout le monde est paralysé ou perd le courage de dire les choses en face : On assiste ces derniers mois à une montée assez nette du « péril climatique » dans les esprits (comme à d’autres moments on plaçait en priorité les migrants, l’insécurité, etc. selon les circonstances et l’acharnement médiatique). Ce consensus, qu’on y adhère ou non, devient clairement un outil supplémentaire d’exploitation pour le pouvoir capitaliste, pourtant aux premières loges sur le banc des accusés du dérèglement climatique.

Car tout ce qui permet de maintenir le capitalisme en crise sous perfusion quelques années encore, ce sont sans doute les taxes qu’on arrive à extorquer des travailleurs avec leur consentement, partie de plus-value volée indirectement sous le masque d’une abstraite protection du climat. Résultat : le Ministre de l’écologie s’engraisse aux homards avec notre argent, pendant que les entreprises absorbent les subventions publiques les suppliant de moins polluer, tout en polluant toujours plus… (On connait cette mécanique, avec les torrents d’argent public donnés aux patrons par les Régions pour les supplier de ne pas délocaliser, et que ces patrons encaissent avant de délocaliser finalement !). Ce circuit est un jeu de dupe, et il ne sert à rien de larmoyer devant les premiers pollueurs pour qu’ils polluent moins : C’est de cela qu’ils vivent et s’engraissent ! Où alors c’est que ces « larmes » sont utiles au capital ! Par exemple pour que l’opposition des « jeunes » contre les « vieux » que Greta Thunesberg dénonce inlassablement, puisse masquer la réelle opposition des patrons, toujours sortis d’affaire, contre les travailleurs, seules victimes d’un environnement dégradé.

Les écotaxes qui ont soulevé le mouvement des bonnets rouges il y a quelques années, aux insupportables hausses du prix du carburant qui furent l’étincelle des légitimes révoltes populaires des Gilets Jaunes ces derniers mois, le vol pur et simple des travailleurs sous couvert d’écologie peut fonctionner un temps, mais à la longue le peuple n’en pourra plus… et sans politisation correcte, sans conscience de classe suffisante, ce peuple peut se retourner par des soulèvements de plus en plus violent contre la cause elle-même qu’on invoque pour les pressurer.

On voit maintenant les vignettes « CIT’air » devenir les signes visibles, les étoiles, d’une stigmatisation des « vieux tacos » dans lesquels on roule quand on n’a pas les moyens. Dans la métropole lilloise par exemple, les voitures de catégorie 4 seront, comme par hasard, bientôt interdites dans les communes les plus riches (Lambersart, Bondues, etc.), et quand on sait qu’un gros 4x4 neuf peut être moins polluant, mieux « noté », qu’une vieille voiture diesel…

Mieux, à l’heure où on ne prend plus les autoroutes à péage pour certains longs trajets faute de moyens, on prévoit maintenant de mettre des péages aussi sur les routes nationales ! Toujours sous couvert de protection du climat bien sûr !

Bref, à force de détourner le regard du grand patronat, responsable plus qu’évident de toutes les atteintes graves à l’environnement, les « militants écolo », consciemment ou non, finiront par créer au sein du peuple un sentiment de rejet profond… qui « accompagnera » concrètement la fuite en avant du capital agonisant, que le désastre soit social ou écologique.

C’est donc de dialectique que les militants écologistes sincères manquent cruellement aujourd’hui, car si la cause de la protection de l’environnement, sur l’aspect du climat comme sur celui de l’agriculture, qu’on oublie trop souvent à dessein, ce sont d’autres pays qui montrent clairement l’exemple et dont, bizarrement, personne ne parle dans la sphère militante « verte » des pays impérialistes, toujours autocentrés, avec leur « décroissance » malthusiano-réactionnaire et « humanophobe » : Cuba, leader depuis des années de l’agroécologie, et la Chine qui, parce que son Etat possède encore l’essentiel et y planifie ce qu’il veut, reste le numéro Un mondial pour toutes les énergies renouvelables existantes actuellement.

Dans les deux cas, quelle est la leçon à tirer ?

Il s’agit surtout de reconnaître que l’Etat, quand il n’est pas sous la botte du capitalisme financier impérialiste, peut panifier sur des décennies des projets couteux et complexes (quand chez nous on couvre le territoire d’éoliennes, cet aveu d’impuissance qui n’également jamais aucune énergie alternative sérieuse, mais a au moins l’avantage de se voir de loin) : Seul le socialisme le peut, pendant que le capitalisme on seulement ne le peut pas mais encore ne le voudra jamais. Il s’agit ensuite de constater que c’est l’implication des masses, et non les seules et maigres couches de la petite bourgeoisie millénariste occidentale, qui peut changer la donne et rendre concrètes et tangibles les impulsions de l’Etat, comme c’est le cas à Cuba avec les progrès de l’agroécologie sans pesticide, garante de leur sécurité alimentaire nationale.

Plus que tout, ce qui nous sauvera, ce n’est pas un anti-humanisme vert considérant que « l’homme » est une espèce « parasitaire » sur Terre susceptible de détruire celle-ci, profondément méchant et immature, une véritable « humanophobie » stérile et, disons-le, ridicule, mais au contraire un élan pour la connaissance, pour la science et pour la planification rationnelle impulsée par le collectif (jamais par l’individu isolé et donneur de leçon) !

Pendant que des individus en mal de notoriété cherchent aujourd’hui à briller sur la mode écolo en chantant l’humanophobie sur tous les tons jusqu’à demander aux Etats de « prendre leurs responsabilités d’urgence sans tenir compte des décisions populaires » (Aurélien Barrau) donc de passer directement au fascisme vert, les militants sincères doivent retrouver foi en l’homme et prendre exemple sur ce qui se fait concrètement aujourd’hui : Même si c’est difficile à admettre pour ceux qui sont fascinés par les « pays du Nord », c’est bien du Sud que viennent les exemples à suivre, et à plus forte raison quand les pays en question sont issus de l’héritage socialiste ! Ce n’est pas un hasard, n’en déplaise aux plus anticommunistes !
Xuan
Egalement :
Duterme: Notre civilisation s’effondre... et alors?


Piero San Giorgio: Interview de Renaud Duterme, auteur du livre “De quoi l’effondrement est-il le nom ?”
pour infos Piero San Giorgio est dans une mouvance facho.
Xuan
Une très intéressante conférence de Renaud Duterme en 2016 signalée par finimore :

De quoi l'effondrement est-il le nom ? Les inégalités au cœur de la catastrophe

Conférencier : Renaud Duterme, enseignant, actif au sein du CADTM Belgique, il est l’auteur de Rwanda, une histoire volée , éditions Tribord, 2013 et co-auteur avec Éric De Ruest de La dette cachée de l’économie, Les Liens qui Libèrent, 2014.

La remarque du post précédent "Dans les faits la fuite en avant n’est pas générale mais réservée aux pays impérialistes, et même là, elle ne concerne pas toute la société." y est développée avec de nombreux exemples et la conférence aborde de nombreux sujets actuels (démographie, réfugiés, ghettos, résidences sécurisées, privatisation, etc.)
Il dit aussi que le modèle antique d'effondrement par épuisement des ressources ne vaut plus dans la société capitaliste. De fait le mode capitaliste de production provoque des crises de surproduction, tandis que les crises antérieure et encore à l'époque féodale relèvent de la disette.


Edité le 29-07-2019 à 20:38:07 par Xuan


Xuan
Bohler : la catastrophe écologique et le cerveau reptilien


La théorie de Bohler s’appuie les propriétés de la zone la plus profonde et la plus archaïque du cerveau, celle qui échappe à la pensée (qui elle est localisée dans le cortex cérébral) et qui guide nos actes instinctifs : le striatum.
Chez d’autres auteurs on trouvera le cerveau limbique ou reptilien peu importe.


Selon Bohler le striatum protégeait l’homme préhistorique à l’aide de cinq objectifs nécessaires à sa survie, en produisant la dopamine, hormone du plaisir. Mais aujourd’hui, et parce qu’il poursuivrait toujours les mêmes objectifs, il devient un principe destructeur qui menace la planète entière : réchauffement climatique, montée du niveau des mers et migrations, épuisement des ressources mondiales, disparition des espèces animales, etc. et nous serions « Effacés, quelques millénaires à peine après avoir existé » .
Bohler préconise donc de maîtriser ce cerveau primitif et de s’imposer une vie économe, un régime alimentaire sobre, décrocher d’internet, et promouvoir la décroissance par un développement du savoir.

Sur les « objectifs » du striatum

Dans le livre « Le bug humain – pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher », il écrit :

« Le cerveau humain est programmé pour poursuivre quelques objectifs essentiels, basiques, liés à sa survie à brève échéance : manger, se reproduire, acquérir du pouvoir, le faire avec un minimum d’efforts et glaner un maximum d’informations sur son environnement. Ces cinq grands objectifs ont été le leitmotiv de tous les cerveaux qui ont précédé le nôtre sur le chemin accidenté de l’évolution des espèces vivantes. Et ce, depuis les premiers animaux qui ont vu le jour dans les océans à l’ère précambrienne, il y a un demi-milliard d’années, jusqu’au dirigeant d’entreprise qui règne sur des milliers d’employés et gère le cours de ses actions depuis son smartphone. Ils n’en ont pas dévié. Les mécanismes qui régissent leurs actions sont à la fois simples, robustes, et ils ont traversé le temps en conservant certaines caractéristiques essentielles » .

Si on s’interroge sur les cinq objectifs de Bohler, on s’aperçoit qu’ils ne sont pas du même ordre, qu’ils sont contestables ou qu’il en manque. Il écrit aussi :

« Comme chez le rat, les neurones à dopamine irriguent les différentes parties de notre cortex et dictent leur loi. Ainsi, même si le cortex est l’arme fatale qui a assuré le succès des mammifères et notamment des primates évolués que nous sommes, acquérant chez nous une puissance inégalée, le striatum continue à tenir les commandes. Il poursuit toujours les mêmes objectifs qu’il y a dix millions d’années : trouver de la nourriture, des partenaires sexuels, se procurer un statut social, acquérir du territoire et des informations permettant d’augmenter sa survie, le tout en dépensant le moins d’énergie possible. »

On est passé d’un demi-milliard d’années à dix millions, tandis que l’effort minimum est remplacé par l’agrandissement du territoire. Les « cinq grands objectifs » peuvent donc changer : pas rigoureux.

Dans sa vidéo « Rééduquez notre cerveau pour sortir de la crise écologique » Bohler nous explique « On peut savoir dans quelles conditions le striatum nous donne du plaisir. Et la première c’est…quand on arrive à accumuler un maximum d’informations autour de nous. »
Ensuite c’est quand on se goinfre comme un cochon ou bien quand on a un harem ou mieux encore quand on est chef.
Du coup le rapport avec l’information devient confus de même sa qualité de première condition du plaisir. Du reste la démonstration du striatum qui-recherche-des-informations est plutôt cavalière :

« Il y a quelques années, les neuroscientifiques se sont aperçus que la connaissance en elle-même pouvait constituer une forme de nourriture pour le striatum. Ils ont fait cette découverte en proposant, dans certaines expériences, non plus de la nourriture ou de l’argent à des volontaires qui passaient des tests en laboratoire, mais des « récompenses cognitives ». En l’occurrence, il s’agissait tout simplement de petites lumières vertes accompagnées du commentaire : « Vous avez réussi. » À chaque réponse fournie par le participant, le voyant était rouge en cas d’erreur, et vert en cas de succès. En plaçant les sujets dans une IRM, les expérimentateurs ont alors observé que ces récompenses cognitives activaient précisément les neurones dopaminergiques du striatum, révélant l’existence d’une prime à l’agilité mentale et à la capacité de résolution de problèmes, prime qui stimulait en partie les mêmes aires cérébrales que les grands renforceurs primaires que sont la nourriture, le sexe, le statut social ou la paresse. »
Rien ne prouve que le striatum préfère le vert et sache lire, ou bien qu’il le fasse indirectement et sur ordre du cortex cérébral. Dans ce cas le striatum se contrefout de la connaissance Ensuite parler de « connaissance en elle-même» à propos d’un message amical ou d’un voyant qui s’éclaire est un abus de langage.

Survivre avec un minimum d’efforts n’implique pas nécessairement un striatum parce que même les plantes le font systématiquement. Nous reviendrons plus loin sur le « minimum d’effort » assimilé par Bohler à la paresse.

On aurait pu croire que la survie dépendait aussi d’un minimum de protection, comme un abri ou des vêtements ou la préservation de la santé. Mais non, Bohler n’a pas retenu ça comme source de plaisir, donc pas de caverne ni de peau de bête ni d’onguent dans le striatum...on cherchera un autre cause à l’inflation dans l’immobilier urbain.

Egalement Bohler a dû trouver un biais spécial pour interviewer l’homo erectus et conclure à son besoin impérieux et jouissif d’obtenir du pouvoir. Le bon sens indique plutôt que la hiérarchie résulte historiquement d’une division des tâches et qu’elle relève d’un besoin social et non individuel ou instinctif. Du reste la position élevée dans la société ne concerne pas tout un chacun mais doit correspondre à une nécessité sociale et historique, sinon elle cesse d’exister. Le désir de « statut social » ne date pas des chasseurs cueilleurs, il a explosé dans les années 80 quand Tapie a fait la promo des winners et qu’on a ridiculisé les Deschiens.

Se reproduire est aussi un acte social qui relève très vite de la morale et des lois sociales parce que la survie de la société prime celle de l’individu.

Quant au fait de manger ce n’est pas un acte isolé mais il dépend des conditions naturelles dans laquelle vit la société et des transformations qu’elle opère sur la nature, des plus simples comme la chasse, la cueillette ou la pêche, jusqu’à l’élevage et la culture. La volonté de se nourrir diffère en fonction du développement des forces productives

D’emblée il apparaît que les « objectifs » source de plaisir, et définis par Bohler pour assurer la survie, ont suivi les besoins des sociétés, comme le sentiment de danger diffère en fonction des dangers. Et ces « objectifs » ne peuvent pas avoir d’existence en dehors des besoins sociaux.
Il est donc absurde d’affirmer Ils n’en ont pas dévié .
Mis à part l’habillage biologique moderne, la démarche de Bohler n’apporte pas grand-chose de nouveau en matière de philosophie, c’est toujours le schéma sommaire de l’opposition « bas » instinct versus l’intelligence, celui-là figé depuis 500 millions d’années et celle-ci pouvant évoluer :
« N'est-ce pas indignement traiter la raison de l'homme, et la mettre en parallèle avec l'instinct des animaux, puisqu'on en ôte la principale différence, qui consiste en ce que les effets du raisonnement augmentent sans cesse, au lieu que l'instinct demeure toujours dans un état égal ? » [Blaise Pascal - Traité du vide]

Si on prend le volant d’un cabriolet et qu’on appuie sur le champignon, la vitesse peut provoquer un plaisir que l’homo sapiens ignorait complètement. Est-ce que le striatum a intégré un plaisir non répertorié par Bohler ? Par contre un autre objectif lié à la survie du conducteur aboutit à l’effet inverse en face d’un platane. Et là il vaut mieux ne pas trop réfléchir : c’est bien le cerveau reptilien qui peut sauver la mise, sinon on n’a rien compris aux explications de Bohler.
Si le striatum ou le cerveau « reptilien » vise la survie alors ce n’est pas un ennemi absolu de l’homme parce que sans lui on est mort, il est donc aussi positif et négatif à la fois que le cortex cervical et il est absurde de concevoir un mauvais striatum et un bon cortex.
Au passage on notera que la recherche du plaisir et le stress interagissent, et qu’une théorie du comportement fondée uniquement sur la libération de la dopamine est bancale.

Il ressort que nos instincts se sont nécessairement adaptés aux besoins sociaux et aux transformations de la société, et qu’un minimum d’honnêteté intellectuelle oblige à ne pas sauter des étapes entre les premiers vertébrés et le « dirigeant d’entreprise qui règne sur des milliers d’employés et gère le cours de ses actions depuis son smartphone » .
Dans « Evolution : la preuve par Marx » , Guillaume Suying démontre que la matière vivante doit « évoluer pour se maintenir » . En ce qui concerne le striatum l’évolution est claire et Bohler en donne lui-même de nombreux exemples, qu’il raccroche aux cinq objectifs initiaux avec des bouts de ficelle. Mais nous ne vivons plus à l’âge des cavernes, la réponse instinctive réagit à d’autres sources de plaisir ou de stress.

Sur la catastrophe écologique et ses causes

Dans la première partie de son livre, Bohler annonce la catastrophe écologique dont nous sommes TOUS responsables.
Pour donner une idée de l’Apocalypse qui nous attend, il cite une expérience où les bactéries se multiplient de façon exponentielle dans un tube à essai jusqu’à ce que la surpopulation entraîne destruction et pourriture.
La menace de la catastrophe écologique est un argument d’autorité qui efface tout le reste voire interdit tout débat. Mais cette expérience artificielle dans un milieu complètement isolé et homogène ne peut être appliquée à l’espèce humaine.
Les bactéries n’ont aucun cerveau et vivent dans un tube à essai fermé où elles ne peuvent rien transformer. Dans la réalité quand une population est trop importante elle migre ou se régule à la baisse, modifie son mode de production, etc. Et si un groupe échoue, un autre aboutit et perpétue l’espèce.
Il compare la fin des Akkadiens avec celle des bactéries. Mais la cause de la chute du royaume d’Akkad par la surexploitation de l’environnement n’est pas établie, et peut résulter des divisions, des invasions ou d’un changement climatique vers – 2200 AC.
Quant à l’effondrement de la civilisation de Pâques, la thèse de surexploitation des sols ne fait pas autorité non plus.

Précisément, dans l’histoire des sociétés, la combinaison du cerveau reptilien et de la réflexion, face à des facteurs collectifs comme les guerres, les épidémies, les famines, ont conduit à sortir du hameau où tout le monde est cousin, de sorte qu’on ne se retrouve plus dans la situation du « tube à essai » . Et ce brassage est un aspect de la mondialisation qui a commencé avec le troc des premières tribus.

Concernant l’origine des incohérences, le cerveau existait déjà dans la tête des chasseurs-cueilleurs, tandis que le capitalisme date de deux siècles pendant lesquels la population est passée d’un milliard à 8 milliards comme il le signale lui-même. Mais selon Bohler c’est la « boite noire du cerveau » qu’il faut incriminer. Il ignore la course au profit maximum et l’exploitation de l’homme par l’homme, mais retient l’opposition entre deux zones du cerveau où il trouve « Un principe destructeur qui a fait son succès contre les prédateurs pendant des millions d’années, mais qui menace à présent de le tuer, lui et ses huit milliards de semblables. »
Selon Bohler le cerveau est à l’origine de la « fuite en avant de surconsommation, de surproduction, de surexploitation, de suralimentation, de surendettement et de surchauffe » .
Bien sûr Bohler apporte des éléments biologiques scientifiques sur le striatum, mais les liaisons et les comparaisons avec la société ne sont pas démontrées, d’autant plus qu’il n’analyse jamais les sociétés et leurs divisions en classes. Dans la société imaginaire de Bohler, tous les individus sont équivalents et se comportent suivant le même schéma, de sorte que nous sommes tous également responsables.

Concernant le développement technologique des sociétés, Bohler nous explique tout ça en quelques mots :
« Parler, imaginer ce que pense autrui et fabriquer ensemble des outils, tels sont les piliers du développement de technologies hyperperfectionnées. »
Plutôt court comme explication, pour un scientifique c’est même d’une indigence pathétique. Il ne se pose aucune question sur l’organisation sociale de la production, sur les modes de production, l’esclavage, le servage, le travail salarié.
L’histoire montre que le développement des forces productives se produit quand des rapports sociaux de production sont balayés et remplacés par d’autres. Cela indique que le développement de la production et le progrès technologique ne sont pas annonciateurs de catastrophe mais au contraire qu’ils signent la fin de rapports sociaux périmés et de formes successives d’oppression et d’exploitation de l’homme par l’homme.

Dans les faits la fuite en avant n’est pas générale mais réservée aux pays impérialistes, et même là, elle ne concerne pas toute la société. Parce que l’extrême pauvreté dans le monde concerne presque un milliard d’individus et que la pauvreté progresse ici même.
Dans les faits aussi, la course au profit maximum est la cause des crises de surproduction, comme l’économie féodale engendrait les disettes. C’est la course au profit qui génère l’obsolescence programmée, ce sont les monopoles agroalimentaires qui pourrissent les sols, la grande distribution et les banques qui provoquent et entretiennent le surendettement, c’est l’impérialisme qui est cause des désordres et des inégalités, de la suralimentation…et de la sous-alimentation.

Venons-en à ses conseils d’hygiène de vie et de sobriété.
« Le plus souvent, nous nous alimentons de manière automatique, ingérant de grandes quantités de nourriture, pensant à la bouchée suivante avant même d’avoir terminé celle que nous avons prise. Nous ne le savons pas toujours, mais c’est notre striatum qui nous incite à prendre « toujours plus », obéissant à l’avidité des neurones dopaminergiques. »
Rien de bien nouveau ici depuis Epicure, qui disait
« La pauvreté mesurée aux besoins de notre nature est une grande richesse ; la richesse par contre, pour qui ne connaît pas de bornes, est une grande pauvreté » .

D’abord nous ingérons de grandes quantités de nourriture seulement si on peut en disposer en grande quantité. Sinon on étale la confiture parce que ça n’est pas toujours le cas.
On ne sait si c’est le striatum qui pousse à la consommation mais le rapport avec la survie des tribus primitives paraît bien éloigné. En tous cas il ne s’agit plus du tout d’avaler des aliments qu’on ne peut pas conserver. On peut dire aussi que la raison est très différente de celle d’origine, qu’on se remplit pour combler un vide affectif ou une oppression sociale et que c’est une cause de l’obésité.
D’ailleurs il l’explique très bien lui-même à propos du grain de raisin, avec des conseils très intéressants sur l’auto contrôle. Cette stratégie de l’auto contrôle individuel rappelle le colibri de Pierre Rabhi :

« Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés et atterrés observaient, impuissants, le désastre. Seul le petit colibri s'active, allant chercher quelques gouttes d'eau dans son bec pour les jeter sur le feu. Au bout d'un moment, le tatou, agacé par ses agissements dérisoires, lui dit : « Colibri ! Tu n'es pas fou ? Tu crois que c'est avec ces gouttes d'eau que tu vas éteindre le feu ? » « Je le sais, répond le colibri, mais je fais ma part ».
Voir « Le colibri de Pierre Rabhi passé au test du gobelet de Benjamin Frantz »

Le problème c’est que dans sa conception, l’obésité dans la société est due au comportement individuel alors que l’obésité est un comportement social qui concerne en priorité les familles pauvres. Alors leur conseiller de grignoter un grain de raisin devant « amour gloire et beauté » , c’est limite insultant parce que ça ne résout pas leur problème de fin de mois ni leurs angoisses financières.

La cerise sur le gâteau «Travailler moins pour gagner plus »

On peut ignorer les rapports de classe dans la société, ceux-ci ne nous oublient jamais. Bohler en vient à défendre les thèses les plus réactionnaires :

« Mais il y a une chose qu’on ne dit jamais : pour notre cerveau, le chômage est une bénédiction. Le chômage représente, d’un certain point de vue, la plus belle réussite de nos neurones. »

C’est simplement crapuleux. Dans la foulée, et pour démontrer la fainéantise congénitale de notre striatum, Bohler confond sans scrupule « ne rien faire » et alléger le travail humain. Il cite à cet effet « une étude des universités d’Oxford et de Yale » prévoyant une société de fainéants vers 2130 où « tous les emplois seraient occupés par des machines » . On devine que selon ces intelligents ces machines seraient conçues, fabriquées et entretenues par d’autres machines, lesquelles seraient conçues, fabriquées et entretenues par d’autres machines, etc.

Concernant les neurones du moindre effort, rien de réellement surprenant parce que même les plantes cherchent le chemin le plus court et le plus économique en énergie, ce qui n’a rien à voir avec la paresse. S’il existe un « rapport entre l’effort fourni et le résultat obtenu » ça signifie que l’effort n’est pas nul, sinon il n’y aurait aucun résultat.
Pour alléger le travail physique il faut le remplacer par un prolongement artificiel de la main, ce qui nécessite un travail intellectuel et un autre travail physique.
Pour minimiser les dépenses en énergie physique, l’humanité maximise l’énergie intellectuelle. Le travail qualifié complexe remplace le travail simple. Donc le travail n’est pas anéanti et sa valeur marchande augmente.
Mais un autre aspect est d’accroître la productivité, c’est-à-dire de créer davantage de marchandises avec moins de travail vivant.
Ici la confusion entre exploiteurs et exploités tourne à la caricature et au contre-sens. Les capitalistes investissent dans le travail mort pour économiser le travail vivant et variable. Résultat les ouvriers pointent au chômage. Dans tous les cas ils ne gagnent pas plus. C’est le capitaliste qui fait davantage de profit, par rapport au salaire versé.

D’autre part, le salarié n’a pas le choix de travailler moins ni de gagner plus.
S’il cherche à diminuer l’exploitation c’est parce qu’elle est de plus en plus forte et non par paresse ou bien à cause d’un striatum antédiluvien.

« une autre donnée est apparue, sur l’échelle de temps culturelle et technologique : dans nos sociétés modernes et industrielles, travailler est devenu nécessaire à l’individu s’il désire être doté d’une utilité et d’un rang social » .
La raison fondamentale du travail pour le salarié est de gagner un salaire. Mais dans le travail selon Bohler, le salarié doit toucher un salaire suffisamment élevé pour que son évolution ne soit plus une nécessité.
Est-ce à cause de leur striatum de primate si les plus bas salaires ont les plus mauvais DPE et les bagnoles les plus pourries, ou bien à cause de leur bas salaire ?

La priorité reste bien de renverser le système capitaliste.
Xuan
Le sujet est d'actualité, divers points de vue s'opposent et il est vrai que la menace est sérieuse, le réchauffement climatique, la pollution des océans font régulièrement la Une des journaux et la répétition des canicules renforce ces idées par une confirmation de facto.

Ci-dessous un article dissonant du Monde Diplo :

Les prophètes de l’effondrement à l’assaut des librairies

La fin du monde n’aura pas lieu


https://www.monde-diplomatique.fr/2019/08/MALET/60145

Agit-on mieux le dos au mur, quand il n’y a plus d’échappatoire, quand tout bascule ? C’est la thèse défendue par certains courants écologistes : l’humanité aurait détruit son environnement au point de provoquer l’effondrement imminent de la biosphère. Il s’agirait dès lors de se préparer matériellement et spirituellement à vivre dans le monde d’après. Catastrophisme éclairé ou grande peur obscurantiste ?

par Jean-Baptiste Malet

Tamas Galambos. — « Adam and Eve, The Last Couple » (Adam et Ève, le dernier couple), 1979
Bridgeman Images


Dérèglement climatique, extractivisme effréné, déforestation, érosion de la biodiversité, multiplication des catastrophes environnementales… L’accumulation de ces faits chaque jour mieux documentés par les scientifiques a fait émerger dans le débat public une préoccupation brûlante : sous l’effet de certaines activités humaines, des bouleversements imminents ou en cours conduisent à l’effondrement de la civilisation.

Certains partisans de cette thèse conçoivent la peur de l’apocalypse comme un catalyseur pour l’action ; d’autres prennent acte de l’indolence du personnel politique et pensent l’après-catastrophe. « Le succès inattendu des théories de l’effondrement » (Le Monde, 5 février 2019) ; « Effondrement, le début de la fin » (Libération, 8 novembre 2018) ; « Collapsologie : le pari de l’effondrement » (France Culture, 16 mars 2019) ; « Yves Cochet : “L’humanité pourrait avoir disparu en 2050” » (Le Parisien, 7 juin 2019) ; « Collapsologie : la fin du monde, une opportunité ? » (Géo, 24 octobre 2018).

Dans les médias, l’appétence pour l’apocalypse est telle que France 2 a diffusé une anticipation de décembre 2029 dans son documentaire « Fin du monde : et si c’était sérieux ? » (20 juin 2019). À l’écran, des soldats français organisent les files d’attente aux derniers points d’eau potable, les réseaux d’eau et d’électricité sont anéantis, les pillards rôdent et tuent, des réfugiés climatiques affluent vers l’Europe.

« Je ne veux pas que vous soyez pleins d’espoir, je veux que vous paniquiez. Je veux que, chaque jour, vous ayez peur comme moi. Et puis je veux que vous agissiez », a déclaré l’écologiste suédoise Greta Thunberg, initiatrice des grèves étudiantes pour le climat, lors de l’édition 2019 du Forum économique mondial, à Davos. À défaut de provoquer un changement de cap radical chez les dirigeants économiques de la planète, le thème du cataclysme climatique fait le bonheur des libraires. À l’été 2019, les rayonnages qui accueillent les ouvrages à lire sur la plage exhalent un parfum d’Armageddon. Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Seuil, 2015) ; Pourquoi tout va s’effondrer (Julien Wosnitza, Les Liens qui libèrent, 2018) ; Les Cinq Stades de l’effondrement (Dmitry Orlov, Le Retour aux sources, 2016) ; Survivre à l’anthropocène. Par-delà guerre civile et effondrement (Enzo Lesourt, Presses universitaires de France, 2018) ; Une autre fin du monde est possible. Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre) (Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle, Seuil, 2018) ; L’Humanité en péril. Virons de bord, toute ! (Fred Vargas, Flammarion, 2019) ; Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce. Réflexions sur l’effondrement (Corinne Morel Darleux, Libertalia, 2019)…

La déferlante a douché jusqu’au locataire de Matignon. « Cette question me taraude beaucoup plus que certains ne peuvent l’imaginer. (…) Si on ne prend pas les bonnes décisions, c’est une société entière qui s’effondre littéralement, qui disparaît », a déclaré M. Édouard Philippe en juillet 2018, lors d’un échange avec M. Nicolas Hulot, alors ministre de la transition écologique et solidaire. Durant cette conversation diffusée en direct sur Internet, MM. Philippe et Hulot ont commenté très favorablement un ouvrage de l’américain Jared Diamond, au succès planétaire : Effondrement (1).

Promesse millénariste
Militant environnementaliste et géographe, Diamond soutient que plusieurs civilisations anciennes se seraient écroulées à la suite des dégradations infligées à leur milieu naturel. Il invite les élites économiques contemporaines à faire les choix « rationnels », ceux de la préservation de l’environnement et du contrôle démographique. Son influence s’accroît, même lorsque sa pertinence est remise en cause : en 2009, un groupe de chercheurs spécialistes des sociétés qu’il évoque a pulvérisé les thèses d’Effondrement (2). Diamond instruit à tort le procès de sociétés anciennes plutôt que de dresser celui des sociétés capitalistes modernes, relèvent ses critiques.

Au-delà des approximations d’un auteur à la mode, les questions-clés que pose la mouvance « collapsologique » pourraient se résumer ainsi : agiter la peur de l’effondrement est-il une bonne façon de motiver les populations et leurs dirigeants à lutter contre les dommages causés à l’environnement ? S’agit-il de l’expression d’un ras-le-bol du mode de production actuel, où la politique cède le pas au mysticisme millénariste ? Ou encore de la justification avancée par des intellectuels impatients de quitter des villes polluées, surveillées et hors de prix pour nouer des rapports vrais à la nature et aux autres dans l’entre-soi potager de communautés néorurales ? À considérer le large éventail des courants catastrophistes, le discours « effondriste » tient un peu de tout cela.

La perspective de l’apocalypse invite à l’action, disent-ils. Reste à savoir laquelle. « Si nous maintenons le taux d’expansion actuelle de la population et de la production industrielle jusqu’au siècle prochain, ce sera l’effondrement total de notre civilisation », écrivait déjà René Dumont en 1974 dans À vous de choisir. L’écologie ou la mort (Pauvert). Au cours des années 1970, en France, des scientifiques écologues ont arraché le thème de la nature aux ruralistes conservateurs, défenseurs d’un catholicisme traditionnel, afin de souder les questions sociale et environnementale, donnant naissance à une écologie politique ancrée à gauche. Critique de nombreux pays socialistes autant que de l’usage du progrès technique par les sociétés capitalistes, Dumont militait pour le tiers-monde et portait haut le drapeau de la modernité politique. Lorsque cet ingénieur agronome recourait au registre catastrophiste, il s’agissait pour lui d’introduire dans le débat d’idées les causes des dégradations concomitantes de la biosphère et des conditions d’existence. Dumont ciblait explicitement « les riches des pays riches » et se livrait à une critique en règle du capitalisme. Il concluait ainsi L’Utopie ou la mort (Seuil, 1973) : « Les sociétés de pensée ont préparé 1789 : une tâche analogue nous attend. »

Cette écologie politique appuyée sur des recherches scientifiques a armé une critique sans concession des promesses non tenues de la modernité, du scientisme et des idéaux libéraux, sans pour autant sombrer dans l’antimodernité, l’irrationalisme et la pseudo-science.

Ses successeurs ont franchi ce pas. « En collapsologie, c’est l’intuition — nourrie par de solides connaissances — qui sera primordiale » , écrivent Servigne et Stevens dans Comment tout peut s’effondrer (70 000 exemplaires vendus). Il s’agit pour eux de se préparer à l’effondrement, tant matériellement que spirituellement, en rejoignant la vie rurale, frugale et contemplative de « petites communautés résilientes » , celles des « transitionneurs » qui pratiquent déjà, par exemple, la permaculture. Le survivalisme, ce mouvement individualiste et paranoïaque né aux États-Unis pendant la guerre froide et invitant chacun à affronter la nuit nucléaire dans son bunker personnel, connaît son moment de gentrification (3) !

On comparerait à tort cette évolution au mouvement néorural des années 1970 : elle relève plus de l’anarchisme chrétien des disciples de Léon Tolstoï au XIXe siècle que des expériences contestataires de la seconde moitié du XXe. « La spiritualité est une réalité plus fondamentale et universelle que les religions, écrit Servigne. C’est même un phénomène primordial qui en conditionne l’émergence, et qui reste tout aussi indispensable pour une société même en l’absence de système religieux. » Il ajoute : « Il y a des spiritualités non religieuses, laïques, voire athées. » Une bonne définition de la collapsologie, qui propose de renouer avec la longue tradition du communalisme utopique, en reformulant, pour la laïciser, la promesse millénariste d’une régénération de la société par la catastrophe. Du Déluge aux plaies d’Égypte, de l’Apocalypse du Nouveau Testament aux sourates du Coran annonçant des tremblements de terre, le décrochement du Soleil, la marche des montagnes et le bouillonnement des mers, les monothéismes ont accouché ces deux derniers millénaires de communautés de l’« attente » qui guettent les fléaux dans l’espérance qu’ils conduiront à une résurrection de la société, ou à un affrontement final entre le bien et le mal (4).

« Est-il réellement possible d’aborder la fin d’un monde de manière profane ? Nous ne le pensons pas », écrivent Servigne, Stevens et Chapelle. Pour les collapsologues, « le mythe est plus fort que les faits » ; il faut « réconcilier méditants et militants » et « mobiliser le peuple comme à la guerre » (Servigne et Stevens). C’est en ce sens que Servigne a lancé un magazine trimestriel consacré à la fin du monde : Yggdrasil, diffusé en kiosques et imprimé à 51 000 exemplaires sur du papier recyclé venu d’Autriche. « Yggdrasil représente l’arbre cosmique dans la tradition nordique », explique son éditeur, M. Yvan Saint-Jours, fondateur du magazine Kaizen, proche de Pierre Rabhi (5). « Yggdrasil, c’est l’arbre-monde qui relie le ciel et la terre, les morts et les vivants », ajoute Servigne.

Millénaristes laïques, les collapsologues promettent enfin l’apocalypse heureuse : « Nous serons traversés par la peine et la joie. La peine d’observer l’effondrement du vivant, de nos lieux de vie, de nos avenirs et de nos attachements ; la joie de voir (enfin !) l’effondrement du monde thermo-industriel et de bien d’autres choses toxiques, de pouvoir inventer de nouveaux mondes, de retourner à une existence simple, de retrouver une mémoire (contre l’amnésie) et des sens (contre l’anesthésie), de regagner en autonomie et en puissance, de cultiver la beauté et l’authenticité, et de tisser des liens réels avec le sauvage retrouvé. Il n’y a rien d’incompatible à vivre une apocalypse et un happy collapse (6). »

Rien n’est moins sûr, si l’on retient la définition de l’effondrement donnée par le militant écologiste Yves Cochet, postfacier de Servigne et Stevens : « Il s’agit d’un processus irréversible à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne seront plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi. » Soit, précisément, ce que vivent déjà des centaines de millions d’êtres humains : 821 millions de personnes sous-alimentées ; 1 milliard de personnes vivant dans des bidonvilles ; 2,1 milliards sans accès à des services d’alimentation domestique en eau potable, presque autant utilisant quotidiennement des points d’eau contaminés, 900 millions privées de toilettes.

Anthropocène ou capitalocène ?
L’apocalypse a sa revue, et le dérèglement climatique ses prophètes. La jeune Thunberg tient en respect une partie des dirigeants politiques, inquiets à l’idée de commettre une erreur de communication face à ce messie 2.0. « Je ne suis qu’une messagère », assure la lycéenne suédoise (Rejoignez-nous, Kero, 2019). Longue chevelure, tunique immaculée, médaillon peace and love autour du cou : en France, l’astrophysicien Aurélien Barrau promeut Le Plus Grand Défi de l’histoire de l’humanité (Michel Lafon, 2019), son livre à succès reprenant le titre d’un appel rassemblant cinéastes, chanteurs, metteurs en scène, acteurs publié le 3 septembre 2018 en « une » du journal Le Monde avec le sous-titre « L’appel de deux cents personnalités pour sauver la planète » . Le savant avertit : « Nous vivons un cataclysme planétaire. » Dès lors, « d’un point de vue stratégique, il faudrait dépolitiser le sujet. Si on associe le climat à une vision très à gauche, on ne fera rien, car le grand soir, cela fait des siècles que certains l’attendent, et il n’est toujours pas là ! » (Le Point, 13 juin 2019).

Qu’ils adressent des suppliques aux puissants sous les dorures de leurs palais ou qu’ils se replient en communautés spiritualistes, les « effondristes » partagent une même vision du monde, arrimée à l’opposition abstraite entre deux catégories, « la nature » et « l’humanité », pour en déduire que nous vivrions à l’anthropocène — l’époque de l’histoire de la Terre à partir de laquelle les activités humaines ont transformé négativement l’écosystème. « Je suis très inquiet de la capacité qu’a ce concept d’anthropocène de renforcer cette vieille farce bourgeoise selon laquelle la responsabilité des problèmes émanant du capitalisme reviendrait à l’humanité tout entière » , observe Jason W. Moore, professeur à l’université de Binghamton (État de New York) et coordinateur du Réseau de recherche sur l’écologie-monde (World-Ecology Research Network) (7). À la notion d’anthropocène il substitue celle de capitalocène : le dérèglement climatique provient d’un régime économique reposant sur l’extraction de matières premières et l’appropriation d’énergie non payée, une prédation longtemps considérée comme allant de soi. C’est cette stratégie d’utilisation peu coûteuse des ressources non renouvelables, sur laquelle repose l’accumulation illimitée, qui touche à sa fin, et non l’humanité. « Nous sommes en train de vivre l’effondrement du capitalisme, considère-t-il. C’est la position la plus optimiste que l’on puisse embrasser. Il ne faut pas craindre l’effondrement. Il faut l’accepter. Ce n’est pas l’effondrement des gens et des bâtiments, mais des relations de pouvoir qui ont transformé les humains et le reste de la nature en objets mis au travail gratuitement pour le capitalisme. »

Un autre effondrement est possible.

Jean-Baptiste Malet

Journaliste, auteur de L’Empire de l’or rouge. Enquête mondiale sur la tomate d’industrie, Fayard, Paris, 2017.
(1) Jared Diamond, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Gallimard, coll. « Folio essais », Paris, 2006. Lire Daniel Tanuro, « L’inquiétante pensée du mentor écologiste de M. Sarkozy », Le Monde diplomatique, décembre 2007.

(2) Patricia A. McAnany et Norman Yoffee, Questioning Collapse : Human Resilience, Ecological Vulnerability, and the Aftermath of Empire, Cambridge University Press, 2009.

(3) Pierre Charbonnier, « Splendeurs et misères de la collapsologie. Les impensés du survivalisme de gauche », Revue du crieur, n° 13, Paris, juin 2019.

(4) Henri Desroche, Dieux d’hommes. Dictionnaire des messianismes et des millénarismes du Ier siècle à nos jours, Berg International, Paris, 2010.

(5) Lire « Le système Pierre Rabhi », Le Monde diplomatique, août 2018.

(6) Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle, Une autre fin du monde est possible. Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre), Seuil, Paris, 2018.

(7) Kamil Ahsan, « La nature du capital : un entretien avec Jason W. Moore », Période, 30 novembre 2015 ; cf. aussi Joseph Confavreux et Jade Lindgaard, « Jason W. Moore : “Nous vivons l’effondrement du capitalisme” », Mediapart, 13 octobre 2015.

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Edité le 26-07-2019 à 17:06:06 par Xuan


 
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