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Xuan
Un article du Diplo :
https://www.monde-diplomatique.fr/2021/10/CORREA/63589


La Chine s’engouffre dans une région délaissée par les États-Unis

Combat de l’aigle et du dragon en Amérique latine



Des navires américains croisent en mer de Chine. Plus silencieusement, Pékin avance ses pions dans une région que la Maison Blanche considère comme son « arrière-cour » : l’Amérique latine. Après avoir tenté de revenir dans le giron de Washington, les gouvernements conservateurs du sous-continent, élus à partir du milieu des années 2010, découvrent que les États-Unis sont un allié exigeant, et peu généreux.

par Anne-Dominique Correa

En décembre 2020, la Corporation financière pour le développement (DFC), une agence américaine de financement, débarque en Équateur avec, dans ses valises, un « nouveau modèle » d’accord-cadre destiné aux pays latino-américains. Celui-ci consiste en l’octroi d’un prêt de 3,5 milliards de dollars (2,9 milliards d’euros) pour « aider » Quito à rembourser la « dette prédatrice » contractée auprès de Pékin une douzaine d’années auparavant. En échange, l’Équateur s’engage à intégrer le « réseau propre », un programme inauguré en 2019 par l’ancien président américain Donald Trump qui vise à exclure les entreprises chinoises des contrats d’installation de la 5G dans le monde.

Marché conclu. Le 14 janvier 2021, le président conservateur équatorien Lenín Moreno réaffirme sa loyauté envers la Maison Blanche, quitte à retarder le développement de l’intelligence artificielle, de la robotisation et de l’industrie des objets connectés dans son pays. De leur côté, les États-Unis ne dissimulent pas la nature de leur motivation : « La DFC a été créée pour qu’aucun pays autoritaire n’ait une influence indue sur un autre », explique M. Adam Boehler, directeur de l’agence (1). Longtemps insensible à l’arrivée de Pékin dans son « arrière-cour », Washington se montre désormais préoccupé : le potentiel déploiement de la 5G par Huawei dans la région semble avoir changé la donne. Paradoxalement, l’« invasion chinoise » de l’Amérique latine que dénoncent les États-Unis résulte directement de leurs propres options géopolitiques dans la région. De sorte que la situation actuelle s’expliquerait moins par la rouerie du dragon que par les coups de bec de l’aigle.

Depuis l’intégration de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en 2002, sa présence a considérablement progressé en Amérique latine. Tout d’abord parce que les États-Unis regardaient ailleurs. Après avoir promis lors de la campagne présidentielle de 2000 de faire oublier l’« indifférence de Washington (2) » à l’égard de la région, M. George W. Bush consacre ses mandats à la lutte contre le terrorisme au Proche-Orient et en Afghanistan à la suite des attentats du World Trade Center de 2001. En avril 2009, trois mois après avoir emménagé à la Maison Blanche, M. Barack Obama proclame « un nouveau chapitre de la relation (3) » entre les États-Unis et ses voisins du Sud. Mais un autre espace le préoccupe davantage : en 2011, il décide de « rééquilibrer » la politique étrangère de son pays à travers un « pivot » vers l’Asie et le Pacifique, reléguant l’Amérique latine très loin dans l’ordre de ses priorités géopolitiques.

Le deuxième facteur explicatif des succès chinois au sud du Rio Bravo remonte aux années 1980, lorsque la crise de la dette ravage la région. Livrée aux « bons soins » du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, elle subit une sévère cure d’ajustement structurel : pendant que la croissance du produit intérieur brut (PIB) par habitant de la région s’effondre — passant de 80 % entre 1960 et 1979 à 11 % entre 1980 et 1999 —, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté double pratiquement, de près de 120 millions en 1980 à plus de 210 millions en 2004. Ce grand plongeon dans la misère explique au moins en partie l’arrivée au pouvoir de dirigeants de gauche au cours de la première décennie des années 2000. Lassée de l’ingérence des États-Unis, cette « vague rouge » cherche à s’émanciper de la tutelle de Washington.

Engouement pour les routes de la soie
Tout juste élu à la tête de l’État équatorien, M. Rafael Correa qualifie en 2007 le représentant de la Banque mondiale de « persona non grata ». Il ferme la base militaire américaine de Manta et suspend les négociations en vue d’un accord de libre-échange avec les États-Unis. La même année, le président Hugo Chávez retire le Venezuela du FMI et de la Banque mondiale, les accusant d’être des « instruments de l’impérialisme » servant à « piller » les pays pauvres (4). En Bolivie, le président Evo Morales exige le départ de l’ambassadeur américain ainsi que des représentants de la Drug Enforcement Administration (DEA), alors qu’il vient d’essuyer une tentative de coup d’État, en 2008. Cinq ans plus tard, il expulse l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid), lui reprochant de « poursuivre des fins politiques plutôt que sociales (5) ». Dans le même temps, ces gouvernements nationalisent certaines ressources naturelles et augmentent les impôts sur les profits des sociétés transnationales opérant sur leur territoire. « Ces mesures ont fait fuir diverses entreprises occidentales qui ne voulaient plus travailler dans les nouvelles conditions posées par les gouvernements de gauche », nous explique Rebecca Ray, chercheuse en économie à l’université de Boston et spécialiste des relations sino-latino-américaines.

Dans un tel contexte, peu de nations disposent des ressources technologiques et financières susceptibles de subvenir aux besoins d’une Amérique latine désireuse d’indépendance. Tous les yeux se tournent donc vers Pékin. Dans son premier Livre blanc consacré à l’Amérique latine, paru en 2008 (6), la puissance asiatique se présente comme un partenaire au « niveau de développement similaire » à celui des pays latino-américains. Elle promet une coopération fondée sur « l’égalité, le bénéfice mutuel et le développement partagé ».

Au lendemain de la crise de 2008, les institutions financières chinoises (la Banque de développement de Chine et la Banque d’exportation et d’importation de Chine) proposent des crédits aux pays de la région qui ont des difficultés à emprunter sur les marchés internationaux, tels que le Venezuela, l’Argentine ou l’Équateur. Plus flexible que Washington, Pékin offre la possibilité d’être remboursé en matières premières. Cette formule permet à la Chine de sécuriser ses approvisionnements en ressources naturelles afin de répondre à l’appétit croissant de ses classes moyennes. Une stratégie « gagnant-gagnant » qui porte ses fruits. La Chine est désormais le premier partenaire commercial du Brésil, du Chili, du Pérou et de l’Uruguay ainsi que le principal créancier de la région. Depuis 2005, elle a déboursé près de 137 milliards de dollars en prêts pour financer des projets d’infrastructure (ports, routes, barrages ou chemins de fer) (7) : aujourd’hui, le montant des crédits chinois octroyés à la région dépasse ceux de la Banque mondiale et de la Banque interaméricaine de développement (BID) réunis (8).

Soudain et massif, le débarquement de la Chine suscite quelques inquiétudes : en échappant aux États-Unis, l’Amérique latine serait-elle tombée sous le joug d’un nouvel empire, celui « du Milieu » ? « Par-delà le discours de coopération Sud-Sud, des asymétries perdurent, analyse Sophie Wintgens, chargée de recherches au Centre d’étude de la vie politique à l’Université libre de Bruxelles. Sur le plan commercial, la Chine a permis une diminution de la dépendance des États latino-américains vis-à-vis des États-Unis. Par contre, elle reproduit le modèle d’échange Nord-Sud : elle vend des produits manufacturés et achète des matières premières. »

Sur le plan économique, le phénomène de « dépendance » dénoncé au fil du XXe siècle par les économistes progressistes latino-américains persiste. Et il pourrait s’intensifier encore avec l’intégration de dix-huit pays de la région aux nouvelles routes de la soie chinoises, un vaste programme d’infrastructures lancé en 2013 par M. Xi Jinping afin de placer la Chine au cœur des réseaux commerciaux et géopolitiques mondiaux. Dans une région qui souffre d’un déficit criant d’investissement dans les infrastructures — après l’Afrique subsaharienne, la région est celle qui dépense le moins dans ce secteur (3,5 % par an selon la BID (9)) —, de telles angoisses passent toutefois au second plan. La construction d’un chemin de fer transcontinental reliant les côtes atlantique et pacifique, l’un des projets-phares de Pékin, épouse par ailleurs les rêves des milieux patronaux locaux, notamment brésiliens. « La Chine ne fait que combler les lacunes laissées par des décennies de politiques néolibérales qui ont réduit la place de l’État en confiant notre développement quasi exclusivement aux forces du marché, défend M. Osvaldo Rosales, ex-directeur de la division du commerce international et de l’intégration de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepalc). Bien plus que la Chine, ce sont elles qui sont responsables de cette structure du commerce. »

Ces nouvelles routes de la soie suscitent un engouement tel que Pékin impose sa politique d’« une seule Chine ». Entre 2017 et 2018, le Salvador, Panamá et la République dominicaine décident de reconnaître diplomatiquement la Chine afin de pouvoir prendre part au projet — faisant tomber à neuf le nombre d’alliés de Taipei dans la région. Le rapprochement du géant asiatique avec les pays caribéens, situés au carrefour des océans Atlantique et Pacifique, sécurise l’accès à des hubs stratégiques pour le commerce, et permet l’élargissement du réservoir chinois de votes au sein des institutions internationales.

À Pékin, on dénonce volontiers l’attitude de Washington : les États-Unis « considèrent l’Amérique latine comme leur arrière-cour », déclarait, en 2019, un porte-parole du ministère des affaires étrangères, M. Lu Kang, avant de présenter son pays comme le « vrai ami » des Latino-Américains (10). Sur le terrain, toutefois, la population constate que les entreprises chinoises ne se comportent pas nécessairement de façon plus altruiste que leurs homologues américaines. « La Chine n’est pas toujours bien vue dans la région, résume Mme Margaret Myers, directrice du programme Asie et Amérique latine du think tank Inter-American Dialogue. Les investissements chinois se heurtent de plus en plus aux inquiétudes de la part d’organisations de la société civile. »

En Équateur, en 2014, la mort de treize ouvriers lors de l’inondation du chantier de l’immense barrage hydroélectrique Coca Codo Sinclair a mis en lumière des irrégularités liées aux conditions de travail. Un an plus tard, au Pérou, le président Ollanta Humala doit déclarer l’état d’urgence dans l’État de Las Bambas à la suite de manifestations menées par des résidents locaux contre un projet d’extraction de cuivre qui se soldent par la mort de quatre personnes. En 2018, la Bolivie reporte la construction du barrage hydroélectrique de Rositas, après que des communautés locales se sont plaintes de ne pas avoir été consultées au préalable du lancement du projet. « En opérant sur une base bilatérale, la Chine crée une concurrence entre les pays, ce qui pousse les normes environnementales et sociales des traités à la baisse », analyse Sophie Wintgens. « Les performances environnementales et sociales des investisseurs chinois ne sont pas pires que celles des Occidentaux », rétorque Rebecca Ray, concédant implicitement qu’elles ne sont pas meilleures.

De retour dans les bras de Washington
De retour au pouvoir dans la plupart des pays à partir de 2014, la droite opère un réalignement sur les préférences géopolitiques de Washington : d’alliée, la Chine passe au rang de menace. En visite à Washington, le président salvadorien Nayib Bukele assure en 2019 que la Chine « développe des projets qui ne sont pas réalisables, laissant les pays avec des dettes énormes qui ne peuvent pas être remboursées et utilise cela comme levier financier (11) ». En Équateur, M. Moreno qualifie les accords conclus par son prédécesseur avec la Chine d’« opaques » et leur reproche de « porter préjudice au pays » (12). Lors de sa campagne électorale en 2018, le conservateur brésilien Jair Bolsonaro déclare que « la Chine n’achète pas au Brésil, mais achète le Brésil (13) », au risque de contrarier l’une de ses plus puissantes bases sociales : les grands exportateurs de viande bovine et de soja qui dépendent amplement du marché chinois.

Confrontés à des difficultés économiques, plusieurs pays trouvent réconfort dans les bras du FMI. En 2018, le président argentin Mauricio Macri recourt au plus grand sauvetage financier de l’histoire du pays : une enveloppe de 57 milliards de dollars versée par le FMI. En 2019 et 2021, les conservateurs Lenín Moreno et Iván Duque obtiennent respectivement des prêts de 4,5 milliards et 11 milliards de dollars en échange de paquets de mesures austéritaires. Celles-ci se heurtent toutefois à d’importantes mobilisations et seront finalement retirées.

Mais surtout, la « vague bleue » fragilise la position géopolitique latino-américaine en la privant de son principal bouclier contre les pressions externes : l’intégration régionale. Elle délaisse la Communauté des États de l’Amérique latine et des Caraïbes (Celac), seul forum qui rassemble les trente-trois pays de la région et principal lieu de discussion avec la Chine. De même, à la suite de différends au sujet de la crise vénézuélienne en 2018, six pays de la région (14) suspendent leur participation à l’Union des nations sud-américaines (Unasur), censée servir de contrepoids à l’Organisation des États américains (OEA), bras armé de Washington dans la région. En 2019, l’Unasur est évincée par le Forum pour le progrès de l’Amérique du Sud, plus connu sous son acronyme Prosur (Prosud) (15). « Ce mécanisme pervers devrait en réalité s’intituler “Pronord”, ironise M. Ernesto Samper, ancien président colombien (1994-1998) et ancien secrétaire général de l’Unasur (2014-2017). Cette alliance de pays de droite n’est soudée que par la haine envers le Venezuela et le servilisme vis-à-vis des États-Unis. » Ainsi divisée, l’Amérique latine redevient une proie facile pour l’aigle nord-américain.

Pékin envoie des millions de vaccins
Quand M. Trump entre à la Maison Blanche, en 2016, il ne semble pas plus intéressé par la région que ses prédécesseurs. Obsédé par la construction d’un mur à la frontière mexicaine et par l’asphyxie financière du Venezuela, sa politique vis-à-vis de l’Amérique latine semble guidée par les exigences de la communauté hispanique dans son pays ainsi que par sa volonté de contenir l’immigration en provenance d’Amérique centrale. En 2017, M. Trump retire même les États-Unis de l’Accord de partenariat transpacifique, un traité impulsé par M. Obama en 2015 pour rivaliser avec la Chine dans son voisinage, et ratifié par le Mexique, le Chili et le Pérou.

La feuille de route chinoise « Made in China 2025 » marque un tournant. Lancé en 2015, ce programme prévoit de rendre Pékin autonome sur le plan technologique en investissant davantage dans les secteurs de pointe tels que la robotique, l’intelligence artificielle ou encore l’information. Un an plus tard, la Chine annonce, dans un nouveau Livre blanc destiné à l’Amérique latine, l’ouverture d’une « nouvelle phase » de coopération davantage focalisée sur l’« innovation scientifique et technologique », et ajoute vouloir développer les « échanges » sur le plan militaire (16).

Dès lors, « l’engagement de la Chine [dans la région] change de nature, observe Margaret Myers. La Chine ne vend plus des chaussures, des textiles ou des seaux en plastique, mais un large éventail de biens et de services à haut contenu technologique ». Les entreprises de télécommunications chinoises commencent à exporter des caméras de surveillance en Équateur et en Bolivie ou à fabriquer des cartes d’identité « intelligentes » pour le Venezuela. Pékin s’est également lancé dans la construction d’un observatoire spatial en Patagonie et a vendu des armes et des systèmes militaires à différents pays latino-américains pour un montant de 615 millions de dollars entre 2015 et 2019.

Les États-Unis se réveillent alors avec la gueule de bois : la Chine n’est plus l’« atelier du monde » mais une puissance technologique, qui pourrait prétendre dicter les règles du commerce des industries du futur. En 2017, la Chine a ainsi déposé deux fois plus de brevets que les États-Unis. Sentant la domination américaine vaciller, M. Trump réagit. Dès 2017, il désigne la Chine comme « une menace » à la « sécurité nationale » (17). Deux ans plus tard, il interdit aux entreprises de son pays de s’équiper auprès de fournisseurs chinois — Huawei, ZTE, Dahua et Hikvision — sous prétexte que ces derniers « surveillent » les gouvernements étrangers pour le compte du Parti communiste chinois (PCC) et qu’ils voleraient les technologies des États-Unis.

Le rideau de fer de cette « guerre froide technologique » ne tarde pas à tomber sur l’Amérique latine. En 2018, lors d’un discours à l’université d’Austin au Texas, M. Rex Tillerson, alors secrétaire d’État de M. Trump, assure que la Chine « utilise sa puissance économique pour placer la région sous son contrôle » et prévient que « l’Amérique latine n’a pas besoin de nouveaux pouvoirs impériaux uniquement motivés par la quête de profit » (18). Un discours au parfum de doctrine Monroe.

Dès lors, les États-Unis multiplient les offensives pour reprendre la main. En septembre 2018, Washington rappelle ses représentants diplomatiques au Panamá, en République dominicaine et au Salvador en guise de représailles à la suite de leur rupture avec Taïwan. Un mois plus tard, le nouveau secrétaire d’État américain Mike Pompeo se rend à Panamá pour « sensibiliser » le gouvernement de M. Juan Carlos Varela à l’« activité économique prédatrice » des entreprises chinoises (19). Depuis, le Panamá a annulé cinq projets d’infrastructures financés par le géant asiatique.

De la même manière, en visite au Chili, M. Pompeo met en garde le président Sebastián Piñera au sujet du « contrôle » exercé sur Huawei par le gouvernement chinois (20). Quelques mois plus tard, le Chili décide d’écarter l’entreprise de son projet de câble sous-marin transpacifique au profit d’une société japonaise. Lors d’une visite au Brésil en novembre 2020, M. Keith Krach, alors haut fonctionnaire du département d’État pour la politique économique, persuade le géant latino-américain de rejoindre le « réseau propre » en qualifiant Huawei de « colonne vertébrale de l’État de surveillance du PCC ».

La stratégie d’isolement de la Chine passe également par l’usage de mécanismes financiers et commerciaux. En 2018, Washington profite de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), entre les États-Unis, le Mexique et le Canada, pour inclure une clause concédant aux États-Unis un droit de veto sur les accords commerciaux signés par ses partenaires avec des pays auxquels l’administration américaine refuse le titre d’« économie de marché » — au premier rang desquels la Chine. Puis, en 2019, la DFC lance un plan d’investissement doté de 60 milliards de dollars baptisé « Growth in the Americas » (croissance dans les Amériques) afin de concurrencer les nouvelles routes de la soie. Quatorze pays de la région adhérent à l’initiative. Sans surprise, le Venezuela, le Nicaragua et Cuba n’ont pas été invités à y participer.

En septembre 2020, M. Trump parvient à parachuter l’architecte du plan « Growth in the Americas », M. Mauricio Claver-Carone, à la présidence de la BID, alors que l’organisme est traditionnellement présidé par un Latino-Américain. Pour M. Samper, cette « prise en otage de la BID » a pour unique objectif d’« évincer la Chine d’Amérique latine », à travers l’imposition de nouvelles conditionnalités aux prêts octroyés par l’organisme.

Mais un certain SRAS-CoV-2 aura finalement pesé bien plus que toutes les gesticulations diplomatiques de Washington. Si, dans un premier temps, l’origine du Covid-19 a écorché l’image internationale de la Chine, la prompte récupération économique du pays lui a offert de nouvelles cartes pour renforcer sa place dans la région.

Affaiblie par des systèmes de santé publics déficients, l’Amérique latine est violemment frappée par le virus. Alors qu’elle ne représente que 8 % de la population mondiale, elle concentre, en septembre 2020, près d’un tiers des décès liés au Covid-19. La pandémie plonge la région dans sa pire récession depuis cent vingt ans, marquée par une contraction du PIB de 7,7 % et par un accroissement de la pauvreté de près de 10 % en 2020.

Alors que la détresse de ses voisins du Sud semble laisser Washington indifférent, la Chine s’empresse de leur apporter son soutien. Elle fait don de centaines de milliers de masques, d’équipements médicaux de toutes sortes (ventilateurs, scanners, kits de test), et déploie du personnel médical pour soutenir les structures sanitaires locales en souffrance. Une fois ses deux vaccins aptes à la commercialisation, le Convidencia de CanSino Biologics et le CoronaVac de Sinovac, la Chine promet d’accorder un prêt de 1 milliard de dollars aux pays d’Amérique latine pour en faciliter l’achat. Sans surprise, à ce jour, plus de la moitié des vaccins injectés dans les dix pays les plus peuplés de la région sont chinois (21).

Les dividendes diplomatiques de cet élan de solidarité très intéressé ne tardent pas à tomber. « La Chine se fait d’abord des amis et puis travaille avec eux pour poursuivre ses intérêts, nous explique M. Samper. Cette stratégie lui permet de gagner l’affection des gouvernements indépendamment de toute considération idéologique. » Ainsi, sans doute, que celles des populations qu’elle participe à libérer de l’angoisse.

Alors qu’au Brésil le président Bolsonaro avait fait les gros titres après que son fils Eduardo, un député, avait retweeté un message accusant le PCC d’être à l’origine du virus, il choisit soudain de faire le dos rond devant Pékin de façon à s’assurer l’accès à ses vaccins. La Chine ne se fait pas prier. Dès janvier 2021, elle autorise l’envoi de 5 400 litres d’intrants pour permettre au Brésil de produire plus de 8,5 millions de doses de CoronaVac. Quelques jours plus tard, M. Bolsonaro lève son veto sur la participation de Huawei à l’appel d’offres national relatif aux fréquences 5G.

« Nos alliés ne nous aident pas »
Les alliés de Taipei marchent alors sur la corde raide. Privés des molécules chinoises, ils prennent un retard considérable dans leur campagne de vaccination. Le 17 mai 2021, alors que la plupart des pays de la région avaient déjà vacciné 12,6 %, en moyenne, de leur population, ces derniers dépassaient difficilement un taux de vaccination de 1 %.

Face à l’urgence sanitaire, le Paraguay, principal bastion de Taïwan en Amérique du Sud, a débattu en avril un projet de loi afin d’ouvrir des relations diplomatiques avec Pékin et de libérer 14 millions de doses de vaccins, une quantité suffisante pour immuniser l’ensemble de sa population. Le secrétaire d’État Antony Blinken a alors contacté le président paraguayen Mario Abdo Benítez, proche de Washington, pour lui promettre une aide sanitaire. Le Sénat, dominé par le parti gouvernemental, finit par rejeter la proposition de loi. « Nos alliés se vaccinent nuit et jour mais ils nous obligent à ne pas acheter de vaccins [chinois] sous prétexte que nous deviendrions communistes », s’indigne alors Mme Esperanza Martínez, l’une des sénatrices de gauche à l’initiative de la proposition (22).

Au Honduras, l’attente de l’arrivée du programme Covax (censé permettre la vaccination des pays du Sud sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé [OMS]) se fait si longue que le gouvernement se trouve dans l’obligation de mendier quelque 34 000 doses au Salvador en mai 2021. « Le peuple hondurien commence à voir que la Chine aide ses alliés, et nous à nous demander pourquoi les nôtres ne nous aident pas (23) », interroge alors M. Carlos Alberto Madero Erazo, un haut fonctionnaire du pays. Avant d’avertir ses alliés de potentiels « changements de politique étrangère » si rien ne change…

Anne-Dominique Correa

Journaliste.
(1) Demetri Sevastopulo et Gideon Long, « US development bank strikes deal to help Ecuador pay China loans », Financial Times, Londres, 14 janvier 2021.

(2) Tim Padgett, « Why Latin America bashes Bush », Time, New York, 4 novembre 2005.

(3) Michael Reid, « Obama and Latin America », Foreign Affairs, New York, septembre-octobre 2015.

(4) « Le Venezuela se retire du FMI et de la Banque mondiale », Agence France Presse (AFP), Paris, 1er mai 2007.

(5) « Evo Morales expulsa a Usaid de Bolivia », RFI, 1er mai 2013.

(6) « China’s policy paper on Latin America and the Caribbean », Xinhua, Pékin, 6 novembre 2008.

(7) « China’s engagement with Latin America and the Caribbean » (PDF), Congressional Research Service, Washington, DC, 17 octobre 2018.

(8) Macarena Vidal Liy, « China prestó más dinero a América Latina en 2015 que el BM y el BID juntos », El País, Madrid, 12 février 2016.

(9) Eduardo Cavallo et Andrew Powell, « Informe macroeconómico de América Latina y el Caribe 2019 » (PDF), BID, Washington, DC, 2019.

(10) « China says US criticism of its role in Latin America is “slanderous” », Reuters, Londres, 15 avril 2019.

(11) Nelson Renteria, « Responding to El Salvador president-elect, China denies it meddles », Reuters, 14 mars 2019.

(12) « EEUU llegó a un acuerdo con Ecuador de USD 3 500 millones para ayudarlo “a salir de la trampa de la deuda china” », 16 janvier 2021.

(13) Jack Spring, « Discurso anti-China de Bolsonaro causa apreensão sobre negócios com o país », Reuters, Londres, 25 novembre 2018.

(14) L’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Pérou et le Paraguay.

(15) Les six pays précités sont rejoints par l’Équateur et le Guyana au sein du Prosur.

(16) « Policy paper on Latin America and the Caribbean », Xinhua, 24 novembre 2016.

(17) Discours de présentation de la nouvelle stratégie de sécurité nationale, 18 décembre 2017.

(18) « Alarma a EE.UU. la penetración de China en América Latina », El País, Montevideo, 2 février 2018.

(19) Edward Wong, « Mike Pompeo warns Panama against doing business with China », The New York Times, 19 octobre 2018.

(20) Ignacio Guerra, « Mike Pompeo advierte a Chile sobre China y Huawei : “Esa infraestructura presenta riesgos a los ciudadanos de tu país” », 12 avril 2019.

(21) Michael Stott, Bryan Harris, Michael Pooler, Gideon Long, Benedict Mander et Jude Webber, « Chinese jabs dominate Latin American vaccination campaigns », Financial Times, Londres, 9 mai 2021.

(22) Ernesto Londoño, « La gran crisis de la Covid-19 en Paraguay abre una oportunidad diplomática para China », The New York Times, 16 avril 2021.

(23) Michael Stott, Kathrin Hille et Demetri Sevastopulo, « US to send vaccines to Latin America after Taiwan ally warns of pivot to China », Financial Times, Londres, 19 mai 2021.


Edité le 03-10-2021 à 20:26:21 par Xuan


Grecfrites
Xuan a écrit :


Cela dit les vaccins chinois ne sont pas "reconnus" par l'UE. Si cette excellente idée est prolongée le tertiaire européen pourra se féliciter de l'absence de touristes chinois ou asiatique.

C'est vraiment scandaleux. Le tri idéologique mis en place dans la gestion des vaccins dans l'UE est flagrant et le retour de bâton sera violent.
Le délai de validation des vaccins chinois et russe est incroyablement long en comparaison des vaccins occidentaux.

J'ai vu que la RPC prévoyait un objectif de vaccination pour 1 milliard d'habitant d'ici février 2022.
Xuan
pzorba75 a écrit :

A-t-on à ce sujet "Vaccination" un retour sur ce qui se passe en Chine et en Russie?
Les médias français censurent en permanence ou ne délivrent que des sujets négatifs sur les vaccins produits dans ces deux pays.


Désolé, ta question m'avait échappé.
En Chine la vaccination est encore limitée. 4 % je crois. Elle a concerné en priorité les personnels confrontés au public ou l'armée.

La raison est que le virus s'est peu répandu.
Elle sera développée sous peu, surtout en prévision des voyages.
Cela dit les vaccins chinois ne sont pas "reconnus" par l'UE. Si cette excellente idée est prolongée le tertiaire européen pourra se féliciter de l'absence de touristes chinois ou asiatique.

En ce qui concerne la Russie, le fait est que la population est encore réticente à la vaccination https://fr.sputniknews.com/russie/202103151045352202-pres-de-35-millions-de-russes-ont-recu-les-deux-doses-du-vaccin-spoutnik-v-assure-son-fabricant/
marquetalia
Xuan a écrit :

C'est la même avec l'Europe en fait.
La raison est que la vaccination est la seule solution qui reste aux USA.
À cause du déni de Trump il a été impossible de vaincre l'épidémie. D'où l'égoïsme vaccinal.
pas que Trump,Biden aussi.
pzorba75
A-t-on à ce sujet "Vaccination" un retour sur ce qui se passe en Chine et en Russie?
Les médias français censurent en permanence ou ne délivrent que des sujets négatifs sur les vaccins produits dans ces deux pays.
Xuan
C'est la même avec l'Europe en fait.
La raison est que la vaccination est la seule solution qui reste aux USA.
À cause du déni de Trump il a été impossible de vaincre l'épidémie. D'où l'égoïsme vaccinal.
marquetalia
La stratégie de Biden est contre productive,il se tire une balle dans le pied en refusant d aider les pays d Amérique latine, ceux ci vont se tourner vers la Chine Populaire.Joe Biden est un crétin, comme Donald Trump,qui traitait les néo colonies americaines de "pays de me..e".de ce fait,il brade l Empire, comme son prédécesseur.Et c est tant mieux.


Edité le 12-03-2021 à 16:38:40 par marquetalia


Xuan
Les pays d'Amérique Latine se tournent vers la Chine pour obtenir des vaccins au milieu des États-Unis
La distribution de vaccins, pas de géopolitique: des experts
Par Wang Qi
Publié: 11 mars 2021 23:15


Certains pays d'Amérique latine, considérés comme l'arrière-cour des États-Unis, se sont tournés vers la Chine pour combler leurs besoins nationaux en vaccin COVID-19, alors que les États-Unis ont rejeté la demande de leurs frères latins au nom de la version du président américain Joe Biden de "l'Amérique Première."

Les experts contactés par le Global Times jeudi ont déclaré que certains politiciens et médias américains, qui décrivent la gentillesse de la Chine comme " l'utilisation de vaccins pour exercer un effet de levier sur d'autres pays" , ont révélé leur égoïsme et une vision dépassée de l'ordre mondial.

Reuters a rapporté mercredi que des responsables du ministère brésilien de la Santé ont demandé à l'ambassade de Chine dans le pays d'aider à obtenir 30 millions de doses de vaccin chinois COVID-19, qui s'est avéré efficace au Brésil, au premier semestre 2021, pour assurer le bon déroulement des vaccinations.
Selon les médias, le Brésil, avec un deuxième nombre de décès de COVID-19 le plus élevé, fait face à une pénurie de doses de vaccins étrangers et n'a inoculé que 4% de sa population.

Le Mexique s'est également tourné vers la Chine pour obtenir de l'aide, les États-Unis ayant refusé leurs demandes. Le pays a reçu l'engagement de la Chine de 22 millions de doses, a déclaré mardi son ministre des Affaires étrangères Marcelo Ebrard.
Les médias ont déclaré que trois millions de doses du vaccin chinois CanSino COVID-19 sont arrivées mercredi au Mexique.
Le Mexique a passé une commande de 10 millions de doses supplémentaires du vaccin chinois Sinovac COVID-19 à livrer entre mai et juillet, en plus des 10 millions déjà commandés, qui devraient arriver entre mars et mai.
Le ministre mexicain des Affaires étrangères, Marcelo Ebrard, a déclaré que 12 millions de doses de vaccin Sinopharm seront commandées une fois approuvées par l'autorité sanitaire mexicaine, ont rapporté les médias.

Un employé du géant pharmaceutique chinois Sinopharm Group a déclaré jeudi au Global Times sous couvert d'anonymat que la demande nationale et étrangère de vaccins est très élevée, de sorte que l'approvisionnement externe est difficile à réaliser du jour au lendemain.

En revanche, l'attachée de presse de la Maison Blanche, Jen Psaki, a récemment déclaré que les États-Unis ne partageraient pas une partie du vaccin avant que chaque citoyen américain n'y ait accès. Elle a déclaré début mars que les États-Unis craignaient que la Chine n'utilise des vaccins pour «s'engager avec les pays».

Li Haidong, professeur à l'Institut des relations internationales de l'Université des affaires étrangères de Chine, a déclaré jeudi au Global Times que sur la question de l'approvisionnement en vaccins, il montre que les États-Unis ne traitent pas les pays d'Amérique latine comme des égaux, mais les considèrent comme ses arrière-cour, qui est une vision dépassée de l'ordre international.

La Chine et les États-Unis, en tant que pays capables, devraient tendre la main à d'autres pays dans le besoin, plutôt que d'utiliser les vaccins comme un outil de concurrence et transformer la question des produits de santé publique mondiaux en une question géopolitique, a déclaré Li.

" Les pays d'Amérique latine ont été exploités par les États-Unis. L'attitude des États-Unis envers les pays d'Amérique latine sur les vaccins démontre une fois de plus leur utilitarisme, qui consiste à utiliser ce qui peut être utilisé et à rejeter ce qui ne peut pas être utilisé ", a déclaré Li.

Jiang Shixue, directeur du Centre d'études latino-américaines de l'Université de Shanghai, a déclaré jeudi au Global Times que le conflit d'approvisionnement en vaccins n'affecterait probablement pas les relations entre les États-Unis et l'Amérique latine. Cependant, l'administration Biden, qui a indiqué qu'elle souhaitait restaurer les relations avec les pays d'Amérique latine qui ont régressé sous l'administration Trump, a fait preuve d'égoïsme sur l'approvisionnement en vaccins.

"Les pays occidentaux blâment la Chine pour tout ce qu'elle fait ... Si la Chine ne fournit pas le vaccin aux pays d'Amérique latine, la Chine sera accusée de ne pas assumer ses responsabilités internationales. Si la Chine fournit le vaccin, il y aura d'autres théories du complot" , a déclaré Jiang.

La Chine s'oppose au "nationalisme vaccinal", rejette toute "fracture vaccinale" ou toute tentative de politisation de la coopération vaccinale, a déclaré dimanche le conseiller d'Etat et ministre des Affaires étrangères Wang Yi. Wang a appelé à améliorer la distribution équitable des vaccins et à les rendre accessibles et abordables pour les pays en développement.


Edité le 12-03-2021 à 13:28:50 par Xuan


 
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