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Eric
Entrevue avec le professeur Grover FURR
par Carl MILLER
J'ai eu récemment l'opportunité d'avoir une entrevue avec le professeur Grover Furr. David Horowitz, dans son nouveau livre, l'avait attaqué parce qu'il avait défendu Staline. J'ai cru bon donc d'avoir le point de vue du professeur Furr.
Je ne suis pas totalement d'accord avec ce qu'il dit, mais en même temps je lui suis très reconnaissant de m'avoir accordé cette entrevue. Des gens comme lui, tout au moins pour ce qui me concerne, peuvent être utiles pour mettre les choses au point concernant l'Union soviétique.

Question: Ce que vous faites, soutenir Joseph Staline, il n'y en a pas beaucoup qui le font même parmi les gauches dans le monde. Pourquoi croyez-vous que ce soit si important?
Réponse: Avant de commencer, je voudrais vous remercier de m'avoir demandé de répondre à ces questions. Ce sont des questions importantes. Elles devraient être le souci de tous ceux dégoûtés par le capitalisme qui veulent étudier l'expérience de ceux qui ont lutté pour un monde libre d'exploitation.
Je ne «soutiens pas Staline» en tant que tel. J'essaie de soutenir la vérité.
Dans le Manifeste communiste, Marx et Engels avaient dit que le prolétariat «n'avait rien à perdre que ses chaînes». J'entends par là que nous ne pouvons pas permettre à nos préjugés, préférences personnelles ou penchants, etc. d'entraver notre quête de la vérité.
Nous ne pouvons pas espérer surmonter le capitalisme sans nous baser sur la réalité objective – chose que le capitalisme est incapable de faire, car il exposerait sa terrible exploitation et brutalité. Par conséquent j'essaye d'être objectif et étudier l'histoire de l'URSS à la lumière des meilleures preuves disponibles.
Q: La perception courante de Joseph Staline est qu'il était un assassin de masse paranoïaque, assoiffé de pouvoir. Ceux qui s'y opposent Staline remarqueront que les purges et la «grande peur» le prouvent. Quelle est votre attitude par rapport à cette période?
R. Si les preuves à propos de Staline étayaient cette opinion, je l'aurai acceptée. Mais ce n'est pas du tout le cas, au contraire. Cette opinion sur Staline provient de deux sources, et ni l'une ni l'autre méritent confiance:
Trotsky et Khrouchtchev, le dernier ayant de loin le plus d'influence. Tous les deux ont menti à un degré à peine imaginable! Des documents provenant des archives soviétiques, publiés depuis la fin de l'URSS (ou, en fait, un peu avant) nous permettent maintenant d'en être certains, toutefois beaucoup le suspectaient depuis bien longtemps.
En Russie depuis le renversement de l'URSS, il y a eu une immense résurgence d'intérêt concernant Staline. Pour la première fois des études objectives ont commencé à paraître. Les preuves montrent que Staline était un homme véritablement remarquable – chose qu'un grand nombre de ses contemporains reconnaissaient aussi.
L'image de Staline faite par Trotsky-Khrouchtchev et popularisée lors de la guerre froide, n'est autre est une fabrication complète, mais reste toujours l'opinion dominante, pour ne pas dire exigée, de l'histoire soviétique,
Elle ne peut être maintenue que par un travail parfaitement malhonnête qui ne mérite pas d'être qualifié de scientifique.
En ce moment je termine une longue étude de l'infâme «rapport secret» de Khrouchtchev au XXe Congrès du Parti le 25 février 1956. Dans son allocution il a fait beaucoup de déclarations accusant Staline de crimes terribles. Ce discours a brisé le mouvement communiste et, évidemment, réjoui les anticommunistes et les trotskistes.
Au cours des deux dernières années de recherche j'ai découvert un fait choquant, chaque «révélation» faite par Khrouchtchev à propos de Staline et de Lavrentii Beria était mensongère! Jusqu'à présent je n'ai pas trouvé une seule occurrence où il disait la vérité.
Récemment j'ai écrit un peu à ce propos dans un article intitulé «Une lecture (non)critique et le discours de l'anticommunisme» que les éditeurs de The Red Critique (la critique rouge) m'ont fait la générosité de publier malgré le fait que leur journal est essentiellement théorique, et mon article principalement historique. On le trouvera sur internet à: http://www.redcritique.org/WinterSpring2006/uncriticalreadingandthediscourseofanticommunism.htm
Mon étude détaillée des mensonges de Khrouchtchev dans le «rapport secret» devrait être publié avant la fin de 2006.
Q: Une autre des attaques contre Staline consiste à dire qu'il a provoqué une famine en Ukraine qui a causé des millions de morts. Est-ce que cela, de quelque façon que ce soit, reflète la réalité de cette période?
R. Cela est totalement faux. Cette histoire, en fait, provient à l'origine des Nazis qui l'ont répandue au milieu des années 30'. Aux États-Unis elle a été reprise par les journaux, extrêmement anticommunistes, de Hearst.
Feu Doug Tottle a bien démontré ces faits dans son livre "Fraud, Famine and Fascism. The Ukrainian Genocide Myth from Hitler to Harvard" (Fraude, Famine et Fascisme. Le mythe du génocide ukrainien de Hitler à Harvard) (Toronto: Progress Books, 1987). Tottle était membre du Parti communiste canadien. Quelques-unes de ses affirmations sont défensives, mais il a quand même fait son travail sur la nature frauduleuse de ce mythe.
Après la Seconde Guerre mondiale le mythe de la «famine provoquée en Ukraine» est devenu le credo des groupes pro-nazis nationalistes ukrainiens.
Beaucoup de leurs dirigeants ont été installés aux États-Unis et financés par la CIA pour continuer leur propagande anti-soviétique. Jusqu'au début des années 60 ces groupes fascistes nationalistes ukrainiens avaient aussi des cellules terroristes à l'intérieur de l'URSS.
Aujourd'hui ce mythe fait partie intégrante de l'idéologie nationaliste de l'État ukrainien. Les capitalistes réactionnaires et anciens membres du PCUS qui dirigent l'Ukraine sont obligés de construire une histoire qui légitime le nationalisme ukrainien. Ce mythe de la «famine causée par l'homme» fait partie du projet de formation historique de l'Ukraine. Étant donné que le nationalisme ukrainien a été fasciste dès sa création, sa seule manière de se «légitimer» est d'être férocement anticommuniste. Il y a quelques très bons livres écrits par des anticommunistes de la guerre froide – néanmoins des bons historiens – qui démontrent combien a toujours été fasciste le nationalisme ukrainien. Je recommande:
John A. Armstrong. «Ukrainian Nationalism» (Le nationalisme ukrainien): NY: Columbia University Press, 1963.
Alexander Motyl. «The turn to the right: the ideological origins and development of Ukrainian nationalism, 1919-1929» (Le tournant vers la droite: Les origines idéologiques et le développement du nationalisme ukrainien, 1919-1929). NY: Columbia U.P. 1980.
Une excellente recherche par le Prof. Mark Tauger, de l'University of West Virginia, et d'autres, qui explose totalement le mythe nazi de la «famine causée par l'homme». Ses travaux sont disponibles sur son site web,:http://www.as.wvu.edu/history/Faculty/Tauger/
En plus je recommande l'article suivant écrit par deux démographes professionnels:
Barbara Anderson and Brian Silver, «Demographic Analysis and Population Catastrophes in the USSR» (Analyse démographique et catastrophes de population en URSS) Slavic Review 44, 3 (Autumn, 1985), pp. 517-536. Disponible à JSTOR.
Robert Conquest, le plus fameux des «érudits» charlatans anti-soviétiques du dernier demi-siècle, avait été payé $80.000 par des groupes nationalistes ukrainiens pour écrire Une Récolte de Désespoir («A Harvest of Despair»), le principal livre en anglais qui véhicule cette notion. Il s'est appuyé lourdement sur la propagande nazie et ses soi-disant «preuves».
Il y a quelques bonnes critiques de son livre, et de cette question. Ce sont: Jeff Coplon, «In Search of a Soviet Holocaust» (À la recherche de l’holocauste soviétique), Village Voice jan. 12, 1988. Sur http://chss.montclair.edu/english/furr/vv.html
Jeff Coplon, «Rewriting History: How Ukrainian Nationalists Imposed Their Doctored History on our High-School Students» (En réécrivant l'histoire: Comment les nationalistes ukrainiens ont imposé leur histoire trafiquée à nos étudiants du secondaire). Capital Region Magazine (Albany, NY), mars 1988. http://chss.montclair.edu/english/furr/essays/coplonrewriting88.pdf
«The Hoax of the Man-Made Ukraine Famine of 1932-33» (Le canular de la Famine ukrainienne provoqué par l'homme de 1932-33). Une série de six articles publiés à l'origine par Challenge-Desafio, le journal du Parti progressiste du Travail, commençant le 25 février 1987. Sur http://www.plp.org/cd_sup/ukfam1.html and following.
Je recommande aussi la revue de Arch Getty sur le travail de Conquest de la «London Review of Books», janvier 22, 1987, pp. 7-8. Je n'ai pas la permission de le mettre sur internet, mais je serais heureux de l'envoyer sous forme PDF à qui me le demanderait.
Le livre de Doug Tottle analyse aussi bien le travail de Conquest que le film nationaliste ukrainien frauduleux «Harvest of Despair» (La récolte du désespoir). Il mérite bien d'être lu. Comme il est épuisé depuis longtemps je suis prêt à fournir une copie en PDF à qui me le demanderait.
Q: David Horowitz, l'intellectuel de droite, vous a récemment mentionné dans son livre «The Professors» (Les Professeurs). Qu'est que cela signifie pour vous? Que pensez-vous de la situation ici aux États-Unis?
R: Ce n'est pas une surprise, Horowitz est un apologiste de l'exploitation, comme tous les conservateurs – et, bien entendu, les libéraux aussi. Ce qui est considéré comme «conservatisme» est simplement le soutien idéologique d'une variante plus ouverte, autoritaire et violente de l'exploitation capitaliste. Chaque position idéologique que les «conservateurs» préconisent – et Horowitz parmi eux – est une justification rude de l'autoritarisme, de la main d'ouvre à bon marché, de la réduction des salaires et des services sociaux, du renforcement du pouvoir des employeurs et de la réduction du pouvoir des employés réduits à l'impuissance.
Il y a quelque temps j'ai écrit deux courts essais qui expliquent brièvement comment cela fonctionne. On les trouve sur: http://chss.montclair.edu/english/furr/conservatives1.html et http://chss.montclair.edu/english/furr/conservatives2.html
Avec toutes ses faiblesses le mouvement communiste a été durant le XXe siècle, de loin, la force principale pour la libération humaine et la prise de pouvoir par les travailleurs. Le mouvement communiste était le seul point d'espoir dans ce siècle d'horreurs capitalistes.
Par conséquent il est axiomatique que tous les défenseurs de l'exploitation capitaliste et des diverses idéologies qui la soutiennent, soient fortement anticommunistes, et qu'ils n'hésitent pas à mentir concernant l'histoire du mouvement communiste – comme, en fait, ils mentent à propos de tout le reste.
Horowitz ne fait que défendre ce que lui demandent ses sponsors de droite – qui essaient de dévier l'attention de l'énorme diminution du financement de l'éducation supérieure aux États-Unis avec la prétention absurde que la «gauche» aurait conquis les campus!
Q: Quelle est votre opinion sur Trotski, sur son criticisme de Staline et l'attitude générale des trotskistes en général envers l'Union soviétique?
A: Trotski était un homme très intelligent, mais en même temps très limité. Ces idées combinaient les positions bolcheviques et mencheviques. Il se situait au pôle droit – déterministe économique – du Parti bolchevique.
Ceci en soi, n'aurait pas suffit à son expulsion. Après tout, le débat parmi les teneurs des diverses positions était sain et fort dans les années 1920. Mais Trotski était malhonnête. Comme ses idées étaient constamment battues aux Congrès et aux conférences du Parti bolchevique dans les années 20, il n'a pas cessé de former des factions pour arriver à ses fins par d'autres moyens. Après son exil de l'URSS en 1929, il a passé sa vie à comploter pour revenir au pouvoir.
Des documents figurant dans les archives ex-soviétiques fournissent des preuves fiables quant aux accusations portées contre Trotski dans les trois procès de Moscou de 1936-38 et montrent qu'elles étaient justifiées. Les adeptes de Trotski avaient clairement formé un «bloc» avec les droitiers pour renverser le gouvernement soviétique et assassiner Staline et d'autres.
Il y a des preuves indiscutables quant aux relations entre Trotski et les dirigeants militaires allemands et japonais, comme le stipulaient les accusations. Par «preuves», je n'entends pas les témoignages au procès – que je crois véridiques et précis – mais des preuves supplémentaires provenant des archives ex-soviétiques. Ces preuves confirment les accusations fondamentales de conspiration contre les accusés et Trotski, ce dernier étant absent.
Trotski était extrêmement arrogant et dictatorial. Il écoutait rarement les critiques même de ses adeptes les plus proches. Il avait créé un «culte» autour de lui-même, qui caractérisait le mouvement trotskiste de son vivant, et continue à le caractériser encore.
Il y a un assez bon article concernant Trotski dans le journal du Parti progressiste du travail, Communist, de printemps 2004, à http://www.plp.org/communist/communistspg04.pdf
Q: Considérez vous l'Union soviétique post-stalinienne comme révisionniste, social-impérialiste, socialiste, social-fasciste, ou quelque chose de similaire, et dans ce cas pourquoi? Sinon, le capitalisme a-t-il été restauré en Union soviétique avant la Perestroïka?
R: Tous les États post-soviétiques ont des régimes capitalistes, d'une espèce particulièrement prédatrice. Depuis la fin de l'URSS les nouveaux dirigeants se sont assurés que le niveau de vie des ouvriers et des employés en général – la vaste majorité de la population – baisse de manière catastrophique.
Cela était évidemment la motivation principale de Gorbatchev, d'Eltsine et des dirigeants du PCUS qui ont privatisé le patrimoine produit par le peuple soviétique de façon à augmenter de manière drastique le taux d'exploitation de la main-d’œuvre et fournir ainsi d'immenses richesses à une poignée de capitalistes.
Ce processus avait déjà commencé sous la vieille URSS. L'introduction flagrante du capitalisme et de la privatisation était un pas qualitatif dans un processus en rapide accélération.
Q: Quels écrits, recommanderiez-vous à ceux qui veulent connaître la vérité concernant ce qui se passait lors de l'époque de Staline?
R: La vérité continue d'émerger. Il y a un grand nombre de travaux de qualité en russe, mais seulement très peu en anglais. Pour une liste de ce que j'ai trouvé à ce jour, voir la bibliographie et les notes de mon article en deux parties «Stalin and the Struggle for Democratic Reform» (Staline et la lutte pour la réforme démocratique) sur le journal internet Cultural Logic in 2005: http://eserver.org/clogic/2005/furr.html et http://eserver.org/clogic/2005/furr2.html <>Vous pouvez trouver des liens à mes propres études sur mon site http://chss.montclair.edu/english/furr/
Q: Quel est le groupe politique aux États-Unis que vous considérez avoir la ligne la plus correcte à propos de Staline?
A: Le Parti progressiste du travail – http://www.plp.org/ Bien qu'elle soit un peu vieillie, ils ont une bonne série d'écrits – en quatre parties: «Review of PBS Series: Stalin (May – June 1990).» Elle commence à http://www.plp.org/cd_sup/pbsstal1.html.
Q Que pensez-vous du projet «Set the Record Straight» (Mettre les pendules à l'heure)?
A: Je voudrais répondre en disant quelque chose à propos du «culte de la personnalité».
L'histoire des révolutions bolchevique et chinoise est un grand livre pour tous ceux qui veulent se battre pour un monde communiste égalitaire. Mais il dépend de nous d'en apprendre les leçons. Précisément, nous devons reconnaître les erreurs qu'ils ont commises – des erreurs qui ont eu pour conséquence les défaites, de l'intérieur, de ces révolutions. Parmi ces erreurs il y avait le «culte» de dirigeants particuliers. La leçon du mouvement communiste est sans équivoque. Les cultes des «grands dirigeants» sont fatalement incorrects. Il ne peut y avoir de progrès tant qu'ils ne sont pas rejetés de manière décisive.
Une des choses qui me font respecter le Parti progressiste du travail est qu'ils ont fait cela. Ils ont studieusement évité de bâtir un «culte» autour de leur dirigeant. Ni le président du Parti, ni les autres membres dirigeants ne sont jamais nommés dans leur littérature. Ils n'ont pas de «porte-parole». Chaque membre du Parti doit apprendre à représenter l'organisation.
Staline s'était toujours opposé aux louanges et à l'adulation exagérées [souligné par nous – NdlR – BIP] qui allaient éventuellement empoisonner chaque aspect de la politique et de la culture soviétique. Il a souligné à de nombreuses reprises que c'était une notion «social-révolutionnaire» et non pas marxiste et qu'elle devait être rejetée.
S'il avait été un «dictateur tout puissant», comme les anticommunistes le prétendent faussement, il s'en serait débarrassé. Bien entendu, il n'a jamais été un «dictateur tout puissant», et il n'était pas en mesure de se défaire de ce «culte» dégoûtant.
Ce «culte» a causé un énorme mal. Il a permis aux carriéristes, aux saboteurs et aux conspirateurs de rester cachés. Khrouchtchev avait malhonnêtement dénoncé le «culte» dans son «rapport secret» de 1956, mais tout ce qu'il a dit à ce sujet était faux.
Et puis ce n'était pas à Khrouchtchev de donner des leçons sur le «culte». Quand il a été démis de ses fonctions en octobre 1964, il l'avait été en raison de son propre «culte» par les membres du Comité central qui l'a destitué.
Les communistes chinois ont tiré la conclusion opposée. Ils ont délibérément bâti un «culte» autour de Mao qui avait de loin dépassé celui de Staline. Il a contribué énormément au renversement du pouvoir des travailleurs en Chine. Sous le couvert de la «loyauté au président Mao» les droitiers et les anticommunistes ont embrouillé et subverti les forces de gauche, et mis la main sur le PCCh avant la mort de Mao. Quand Mao mourut, il leur a fallu peu de temps pour s'accaparer du pouvoir et liquider tous les acquis de l'héroïque révolution chinoise.
La différence était celle-ci: Staline s'opposait à ce «culte». Nous pouvons le voir aujourd'hui, il aurait dû le faire avec plus de férocité, mais Mao encourageait délibérément le «culte» autour de lui.
Mao et le PCCh avaient âprement, et correctement critiqué la direction khrouchtchevienne de l'Union soviétique. Mais dans son cas, Mao avait choisi délibérément d'imiter un des pires aspects du socialisme soviétique, celui qui avait aidé Khrouchtchev à arriver au pouvoir et saboter la lutte pour le communisme.
Mao dans beaucoup de sens était un grand penseur et un grand dirigeant révolutionnaire – un des plus grands! Mais dans le cas du «culte de Mao» il n'a pas respecté les principes.
Il a fourni la déclaration suivante en guise d'introduction
L'auteur a fourni la déclaration suivante pour son introduction: «Je ne possède aucun titre formel qui me qualifierait pour la recherche sur l'histoire de l'Union soviétique à l'époque de Staline. Je ne saurais imaginer quels seraient ses titres!
Comme étudiant universitaire de 1965-1969, je m'étais opposé à la guerre des É-U contre le Vietnam. À un moment quelqu'un m'a dit que le Parti communiste vietnamien devait être mauvais parce qu'ils étaient des «staliniens», et que Staline avait tué des millions de gens innocents.
J'ai lu la première édition du livre de Robert Conquest, La Grande Terreur quand il avait été publié autour de 1974. J'étais ébranlé! Mais comme je lisais le russe, j'étudiais la littérature russe depuis longtemps. Par conséquent en étudiant attentivement le livre de Conquest, j'ai découvert qu'il était malhonnête dans l'usage de ses sources. Ses notes de pied de page ne soutenaient pas ses conclusions anti-staliniennes! À la base, il a utilisé n'importe quelle source hostile à Staline, digne de foi ou non.
J'ai, finalement, décidé d'écrire quelque chose à propos de la «Terreur». Cela m'a pris beaucoup de temps, et en 1988 j'ai publié «Une nouvelle lumière sur des vieilles histoires concernant le maréchal Toukhatchevski: Quelques documents réexaminés» (New Light On Old Stories About Marshal Tukhachevskii: Some Documents Reconsidered) http://chss.montclair.edu/english/furr/tukh.html
Dans les années 80' et 90' j'ai étudié les recherches faites par la nouvelle école d'historiens sur l'Union soviétique qui comprenait Arch Getty, Robert Thurston, Roberta Manning, Sheila Fitzpatrick, Jerry Hough, Lewis Siegelbaum, Lynne Viola, et d'autres. À l'époque on les nommaient souvent «jeunes Turcs» ou «révisionnistes».
En étudiant attentivement les documents disponibles et – très important – en essayant durement d'être objectifs, ils montraient déjà que toute «l'histoire» qui venait de Trotski, de Khrouchtchev et plus tard de Gorbatchev et d'Eltsine était fatalement compromise par la partialité politique. Ils ont démontré qu'il ne s'agissait pas d'histoire mais de propagande anticommuniste.
En 1999, un chercheur basé à Moscou. Vladimir Bobrov m'a contacté. Il m'a parlé de la publication de documents provenant des anciennes archives soviétiques, m'en a envoyé certains et m'a dirigé vers d'autres. Ces documents fournissaient les preuves qui exigeaient que l'histoire soviétique soit réécrite, y compris celle sur le rôle de Staline.
Depuis lors j'essaye de faire quelques petites contributions pour découvrir la vraie histoire de la période Staline. Cela me fait plaisir que vous pensiez que c'est un projet important
Je vous souhaite bonne réussite!
[http://mlmist.blogspot.com]
[Traduction Alexandre MOUMBARIS]
Editions Democrite No 124
Plus
lesjeunesmarxistesdepau

PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ VOUS !!!
Eric
Ce sont des traductions d'ouvrages parus en anglais .

La présentation par Annie Lacroix-Riz de l'édition anglaise de celui de Geoffrey Roberts .

GEOFFREY ROBERTS,
STALIN’S WARS:
FROM WORLD WAR TO COLD WAR, 1939-1953 :
UN ÉVÉNEMENT ÉDITORIAL
19 Janvier 2007
Annie Lacroix-Riz, université Paris 7 - 28/07/2007
Il convient de signaler l’importance considérable du dernier ouvrage de Geoffrey Roberts, dont les travaux, qui ont
d'abord porté sur la période précédant la « Grande Guerre patriotique » , tranchent depuis près de vingt ans avec
l’effroyable portrait de Staline dressé par l’historiographie française en l’ère Courtois-Furet-Nicolas Werth du Livre
Noir du communisme et popularisé par la grande presse .
L’historien britannique décrit les trois phases de la période 1939-1953 sur la base des archives soviétiques, qu’il
croise systématiquement avec les témoignages politiques et militaires a posteriori. Je n’ai guère, sur la première
partie (1939-22 juin 1941), qu’une réserve notable à émettre. L’auteur, dans sa mise au point sur les années
antérieures à la signature du pacte germano-soviétique, a suivi la tendance à laquelle avait cédé Jonathan Haslam
avant lui, consistant à ne pas étudier les circonstances réelles de la répression conduite contre le haut état-major de
l’Armée rouge à partir de mai-juin 1937 . Il soutient la thèse des « motivations siégeant au royaume de l’idéologie »,
optant d'ailleurs pour l’hypothèse de l’entière sincérité d’un Staline convaincu de la validité de la théorie du
renforcement des luttes de classes en Union Soviétique. Il eût mieux valu vérifier par l’examen de sources
strictement contemporaines de l’événement que cette affaire apparaissait alors claire, et qu’elle avait donc été
progressivement enfouie dans les mensonges a posteriori (permettant telle réhabilitation hâtive) ou les ténèbres
archivistiques de l’ère post-stalinienne.
Car Staline, en frappant impitoyablement la tête du secteur occidental de l’Armée rouge, ne fit que répliquer en 1937
à une enquête sérieuse de ses services de renseignements (d'ailleurs secondés par certains services étrangers, français
notamment). Il ne se contenta pas, comme le croit Roberts, de se fier à une « vision apocalyptique du combat de
classe entre communistes et capitalistes ». La haute trahison de Toukhatchevski et du noyau du haut état-major
soviétique qui l’accompagna dans la tentative d’échange, discutée à Londres via le général Putna, attaché militaire
soviétique, entre cession de l’Ukraine au Reich et renversement du pouvoir soviétique par la Wehrmacht visé par les
conjurés, fut avérée : la correspondance occidentale, militaire et diplomatique, étirée sur plusieurs mois, revêt une
diversité excluant toute erreur ou confusion. La négociation, conduite par Toukhatchevski et les siens avec quelques
pairs de l’état-major de la Wehrmacht, eut bien lieu, à Londres surtout, via le général Putna, attaché militaire
soviétique, sur la base suivante : renversement allemand du pouvoir soviétique requis par les conjurés intérieurs
contre cession de l’Ukraine au Reich – sans parler de la satisfaction de ce dernier (et de nombre d’Occidentaux au
silence complice et ravi, Anglais en tête) de se débarrasser enfin des Soviets.
Ces archives infirment formellement la thèse d’une Terreur irraisonnée dictée par des présomptions idéologiques de
nature intérieure (ou extérieure) sincères mais infondées . L’affaire Toukhatchevski nous place au coeur de la
problématique d’Arno Mayer d’une violence révolutionnaire défensive, intrinsèquement liée à la violence
matériellement avérée de la contre-révolution ; elle nous éloigne de la thèse, aujourd'hui hégémonique en France,
selon laquelle les révolutionnaires, depuis les débuts (français) de l’ère maudite des révolutions, auraient, en vue de
justifier leur « système de pensée extrêmement violent », instrumentalisé l’ennemi contre-révolutionnaire sur une
base largement, sinon exclusivement, fantasmagorique .
Sur la période stricte annoncée par le titre de l’ouvrage, Roberts a travaillé de façon approfondie. Il rappelle ce qui a
nourri ses ouvrages antérieurs, les conditions qui avaient imposé la signature du pacte germano-soviétique. Lequel ne
fut jamais une alliance mais une sage précaution, imposée par le comportement des deux alliés vainement recherchés
depuis 1933 – Paris et Londres , et prévue par eux depuis la même date au cas où cette alliance de revers ne serait pas
conclue . Il étudie pas à pas l’évolution des rapports germano-soviétiques entre le 23 août 1939 et le 22 juin 1941, et
notamment le lien entre les « gages » territoriaux saisis par l’URSS et l’avancée du Blitzkrieg allemand entre les
triomphes en Pologne (entrée de l’Armée rouge en Galicie orientale) et à l’Ouest (en Bessarabie et Pays Baltes, après
la débâcle française). Entre autres mesures défensives de protection du territoire en vue de la guerre germanosoviétique
imminente, il inclut la « guerre d’hiver » contre la Finlande (décembre 1939-mars 1940), épisode qui
occupe dans l’historiographie française actuelle à peu près le même rôle de propagande-repoussoir antisoviétique
qu’à l'époque même de l’événement : l’atmosphère en a été récemment décrite, pour le cas français et anglais, par un
excellent collègue et ami de Geoffrey Roberts, Michael Jabara Carley . L’épisode sembla devoir aboutir à la Sainte
Alliance « occidentale » unissant toutes les puissances « démocratiques » et l’Axe Rome-Berlin contre les Soviets,
vieil objectif dont les tentatives de réalisation avaient occupé tout l’entre-deux-guerres. L’aspect militaire en est ici
minutieusement décrit, avec ses difficultés initiales terribles (militaires et politiques), la victoire amorcée au début de
1940, et les leçons que ce rude conflit administra pour la suite, préparée et attendue par Staline et les siens : l’attaque
prochaine de l’Allemagne.
Sur la Grande Guerre patriotique, il n’existe actuellement rien de comparable en langue française à cette synthèse
exceptionnelle d’une histoire militaire anglophone considérablement renouvelée depuis une dizaine d’années.
Histoire dont, il faut le déplorer, aucun fragment, qu’on eût par exemple pu puiser à l’oeuvre foisonnante de l’ancien
militaire américain, devenu historien militaire, David M. Glantz référence très fréquente de Roberts , n’a filtré en
France. L’auteur procède à une réfutation argumentée de la représentation a posteriori serinée depuis les années
soixante du Staline 1° abruti d’illusions sur son compère Hitler, naïf surpris par l’assaut allemand puis 2° accablé,
terré dans son bunker moscovite, tenté par l’abandon et incapable de la moindre initiative pendant plusieurs
semaines. La liquidation de ces légendes inoxydables lui offre l’occasion, renouvelée ensuite maintes fois, de
montrer les carences de l’« histoire officielle » post-stalinienne. Cette dernière trouva en effet un fondement essentiel
dans les témoignages mensongers et intéressés de certains des compagnons et/ou successeurs de Staline. Or, les
témoins concernés, soit étaient dépourvus du courage politique nécessaire pour affronter les graves problèmes de
l’après-mars 1953 (par opposition au fidèle, assurément, mais surtout honnête Molotov), soit avaient beaucoup à se
faire pardonner – tel Khrouchtchev, qui préféra la stigmatisation (non contrôlable) des manquements allégués de
Staline à la dure mission d’informer les Soviétiques sur son propre comportement militaire défectueux de l’été 1941
en Ukraine.
Le grand journaliste britannique Alexander Werth avait dès 1964 souligné les périls d’une réécriture de l’histoire
soviétique systématiquement antistalinienne, et confronté des réalités politiques ou événements que, ayant passé les
années de guerre en URSS, il connaissait personnellement, à des manipulations « khrouchtchéviennes » . Roberts a,
sur la base, désormais, des archives et d’une confrontation permanente entre ces sources originales et les «
témoignages » postérieurs à mars 1953, établi et réfuté des interprétations et descriptifs que leur seul caractère
antistalinien avait depuis lors suffi à avérer.
Montrant la profonde popularité du régime et notamment le retentissement énorme du courage du chef du pays sur le
moral et la combativité de sa population, il analyse avec une extrême précision la conduite de la guerre et les leçons
tirées par Staline et les dirigeants militaires des erreurs et des carences des débuts. On est ici à mille lieues de
l’historiographie dominante française, qui ne recule devant rien quand il s'agit d’accabler le communisme et les
Soviets. Ainsi va-t-elle actuellement jusqu'à banaliser le caractère atroce de la guerre menée par le Reich en URSS,
imputant au surplus à cette dernière la responsabilité, en dernière analyse, de l’immensité de ses pertes. Jean-Jacques
Becker, spécialiste de la guerre de 1914-1918 – pas de la suivante, mais c’est sans importance, tomber à bras
raccourcis contre l’URSS conférant en France compétence automatique sur le sujet , a ainsi récemment tranché en
des termes dont le ridicule le dispute à l’odieux : « mis à part qu’elle s’est déployée sur des espaces bien plus vastes,
mis à part le coût extravagant des méthodes de combat surannées de l’armée soviétique, sur un plan strictement
militaire, la seconde guerre a été plutôt moins violente que la première » .
Le spécialiste de l’URSS Roberts préfère étudier par le menu les origines historiques des « méthodes de combat »
soviétiques, tel le passage de l’« offensive » tradition contemporaine de la fondation de l’Armée rouge pendant la
guerre civile et étrangère de 1918-1920, enracinée par les succès bolcheviques d’alors , à la « défensive » rendue
impérative par la supériorité matérielle initiale de l’ennemi. Il n’inscrit pas l’extrême rigueur des mesures prises à
l’été 1941 contre tout recul devant l’ennemi au passif de Staline et des siens. Il démontre que l’ampleur et la férocité
de l’assaut allemand ôtèrent aux dirigeants soviétiques la liberté d’esquiver cette répression impitoyable contre « les
lâches et les espions » – répression d'ailleurs brève et relativement limitée vu son efficacité, et surtout beaucoup plus
sévère contre les officiers supérieurs que contre les soldats. Faute d’un tel « choix », l’URSS aurait connu la défaite
quasi immédiate.
Même si le lecteur n'est pas d’ordinaire (c’est mon cas) transporté par ce qu’on appelle l’histoire militaire, il ne peut
être que passionné par le descriptif de toutes les étapes d’une guerre de « Titans » conduite, du côté soviétique, dans
la solitude. Car l’URSS dut vaincre l’assaillant en l’absence du « second front » vainement réclamé pendant si
longtemps, grâce, donc, à ses seules forces économiques, politiques et militaires. Outre que les morts de la guerre
menée contre la Wehrmacht furent quasi exclusivement soviétiques, la contribution économique américaine à cet
effort, le Prêt-Bail, sans être nulle, fut extrêmement modeste. La quasi totalité n’en fut en outre acquise qu’après
l’extraordinaire victoire de Stalingrad, c'est à dire quand Washington eut acquis la certitude définitive que l’Armée
rouge triompherait des envahisseurs. Cet ouvrage apporte la démonstration catégorique, certes naguère
universellement admise, mais oubliée chez nous depuis des lustres, que la victoire militaire contre la Wehrmacht fut,
et fut seulement, une victoire soviétique.
Roberts expose également avec sérieux et méthode tous les aspects de la question polonaise, dont je ne retiendrai ici
que deux, qui ont joué un rôle essentiel dans la diabolisation des Soviets depuis 1943-1944 : d'une part, le dossier de
Katyn et, d'autre part, celui de la chronologie de la libération (tardive) de Varsovie par l’Armée rouge.
Il présente la décision du 5 mars 1940 d’exécuter les officiers supérieurs polonais (prisonniers de guerre depuis le 17
septembre 1939 dont Moscou avait vainement recherché l’adaptation au « nouvel ordre soviétique » en Galicie
orientale) non comme une preuve de la barbarie stalinienne, mais comme une précaution à motivation militaire.
Représentant 5% des effectifs polonais qui avaient été neutralisés après septembre 1939 puis largement libérés par
l’Armée rouge entre cette date et novembre 1941 (400 000 prisonniers ou relégués polonais), 20 000 officiers et
dirigeants politiques (soit un effectif supérieur à celui ordinairement présenté, pour les seules exécutions de Katyn)
furent classés en russophobes incurables, prêts à tout contre les Soviets. Ils faisaient courir à l’URSS alors confrontée
à la dure « guerre d’hiver » contre la Finlande un péril militaire jugé insupportable : elle redoutait l’extension en
guerre générale de ce conflit dans lequel le Reich soutenu par la ligue unanime, de l’Axe aux « démocraties », des
ennemis de l’État russe d’après novembre 1917 avait précipité son alliée finlandaise; elle voyait consécutivement
dans ces russophobes acharnés des alliés potentiels notables pour les troupes allemandes qui bientôt franchiraient ses
frontières occidentales.
Roberts ne le précise pas, mais la férocité des maux que la germanophilie et la russophobie du régime des colonels
polonais, auxiliaires zélés du Reich depuis 1933-1934, avaient récemment contribué à infliger aux États slaves
voisins – Tchécoslovaquie en tête – donnait très solide fondement aux soupçons et craintes soviétiques. L’URSS de
Staline n’eut, il est vrai, pas le courage politique d’assumer cette décision, exécutée, rappelle Roberts, « non
seulement à Katyn mais dans nombre d’autres endroits de la Russie, de la Biélorussie et de l’Ukraine ». On ne peut,
pour des raisons tant scientifiques que politiques, que le regretter, comme l’a récemment fait Thomas Kenny dans sa
recension de l’ouvrage de Roberts : « hélas, comme un ami sage me l’a écrit : “quel dommage que les Soviétiques
n’aient pas eu le courage d’ouvrir leurs archives plus tôt”. Le débat serait clos de nos jours » . D'autant plus que le
silence ou les dénégations visaient un dossier dont, à partir de 1943, se saisirent tous les ennemis de la Russie d’après
novembre 1917 : le Reich, les Polonais de Londres, puis les « alliés » occidentaux, sans oublier le Vatican, auquel sa
haine recuite contre la Pologne n’ôtait jamais la moindre capacité de nuire à la Russie, firent du dossier dit de «
Katyn » un brûlot permanent, qui n’a de nos jours rien perdu de sa vigueur.
Que « le débat [soit] clos de nos jours » par l’éventuelle présentation au public des archives du dossier est cependant
douteux, comme le prouve a contrario la question des conditions réelles de la prise tardive de Varsovie par l’Armée
rouge. Car elles furent pour leur part connues pratiquement depuis l’été 1944, c'est à dire dès la survenue des faits.
Roberts montre avec précision que l’Armée rouge ne put entrer dans Varsovie pour des raisons strictement militaires
à l'origine : la puissance des regroupements alors opérés dans Varsovie et sa région par la Wehrmacht, chassée du
territoire soviétique, excluait formellement, comme l’avait naguère montré Alexander Werth, la libération immédiate
ou rapide de la capitale polonaise. Le gouvernement polonais de Londres, qui n’en ignorait rien, comme les alliés
occidentaux, avait d’autres préoccupations. Sa virulence antirusse n’avait pas faibli d’un pouce depuis la débâcle
immédiate infligée par la Wehrmacht à dater du 1er septembre 1939. Il lança donc à la résistance anticommuniste un
ordre d’insurrection qu’il savait prématuré, provoquant l’indignation des Soviétiques placés devant le fait accompli
de ces « aventuriers » politiques : il s'agissait uniquement pour ceux-ci d’éviter que l’Armée rouge ne jouât dans la
libération de Varsovie un rôle décisif et qu’elle n’assurât à l’URSS l’influence décisive sur l'avenir politique de la
Pologne qui en résulterait immanquablement.
Les alliés occidentaux ne venaient pour leur part d’ouvrir le « second front », à l’Ouest du continent européen, que
parce que l’Armée rouge était sortie des frontières (de 1939-1940) du territoire soviétique, et s’apprêtait à repousser
la Wehrmacht au-delà, c'est à dire à l’Ouest desdites frontières, dans le « cordon sanitaire » de l’entre-deux-guerres.
Ils firent désormais, d'abord clandestinement ou discrètement, puis de plus en plus fort, de la question polonaise un
abcès de fixation qu’ils ne cesseraient plus d’entretenir, en tant que de besoin. Cela les conduisit à flatter
outrageusement les héritiers des « colonels » et des hobereaux qui s’étaient révélés depuis l’entre-deux-guerres aussi
criminels pour leurs voisins que pour leur propre peuple, et à la fin de la guerre aussi irresponsables qu’avant et
pendant .
Roberts cède parfois aux attraits de la thèse en vogue de « la cour politique » de Staline, « tsar rouge », thèse qu’il a
empruntée à autrui et qui, on s’en doute, a trouvé quasi immédiate traduction française . Mais, de fait, il déboulonne
surtout l’image du « tyran » décisionnaire unique : il montre au fil des chapitres un fonctionnement collégial de
l’exécutif civil et militaire soviétique et la forte tendance de Staline à déléguer pouvoirs et attributions à ceux qui
avaient démontré un dévouement sans bornes à la « patrie en danger » critère prioritaire de son jugement sur les
individus de son entourage. Il balaie la thèse de la volonté d’expansion soviétique au profit de la démonstration sur
les impératifs, objectifs et subjectifs, de la sécurité soviétique dans la perspective de l’après-guerre – ce qui, hors des
manuels d’histoire français, est largement admis et l’était naguère par tous les historiens sérieux.
Je serai plus longue sur la troisième partie, l’après-mai 1945 ou la Guerre froide, dernière des « guerres de Staline »,
qui n’occupe que trois chapitres sur douze mais qui prête davantage à débat. Notamment parce qu’elle ne répond pas
assez nettement à la question de savoir à quel titre la Guerre froide fut une « guerre de Staline » : y eut-il
manipulation de l’appréhension par le peuple soviétique de la guerre dans laquelle le « dictateur » aurait recherché
des atouts intérieurs – coeur de la thèse de « l’instrumentalisation » stalinienne chère à l’historiographie dominante
française ? Erreur d’appréciation de Staline sur la véritable stratégie d’après-guerre de ceux avec lesquels il avait
depuis juin 1941 conclu la « Grande alliance »? Ou inversement, craintes anglo-américaines, si infondées soientelles,
de plans expansionnistes soviétiques? Guerre strictement imposée par le grand vainqueur (non militaire) de la
Deuxième Guerre mondiale, celle-ci à peine finie, et subie par le grand vainqueur militaire quasi anéanti? Sur cette
mise au point, que j’estime préalable à toute étude de la politique soviétique entre 1945 et 1953, les études «
révisionnistes » anglo-saxonnes (adjectif, je le rappelle, synonyme de « radicales » consacrées à la politique
américaine vont plus loin que le présent ouvrage. Elles affirment catégoriquement, archives occidentales à l'appui, au
contraire de ce que Roberts suggère, que :
1° Washington et Londres n’interprétèrent pas mal la politique soviétique et ne crurent aucunement à une volonté
d’expansion là où il n'y avait que recherche de sécurité. Ils comprirent simplement à quel degré de faiblesse l’URSS
épuisée par la guerre était parvenue et quel boulevard cette situation leur ouvrait – ou plus exactement ouvrait aux
Américains, les Anglais jouant surtout les utilités idéologiques au service de leurs prêteurs et tuteurs. La réalité des
rapports américano-soviétiques ou américano-anglo-soviétiques se situe fort loin de la thèse psychologisante de la «
défiance » mutuelle ou de l’erreur d’appréciation.
2° Washington ne s’opposait pas aux réparations parce qu’elles auraient mis en danger « la restauration de
l’économie européenne après la guerre » qui n’aurait pu se concevoir sans « reconstruction économique » préalable et
prioritaire « de l’Allemagne ». Cet argument fut en effet officiellement seriné, mais il servit de simple masque aux
objectifs américains réels, qui demeuraient antagoniques avec l’octroi de réparations aux vainqueurs militaires en
1945 pour les mêmes raisons qu’en 1919. Les motifs du veto étaient encore renforcés en 1945 par le fait que le
principal vainqueur avait soustrait ses 22,4 millions de km2 à la propriété privée et à la libre circulation des capitaux
ce qui n’était pas le cas des deux rivaux (et gros débiteurs) français et anglais de 1919. Un apport matériel conséquent
de « réparations » aurait bénéficié à des nations rivales (en premier lieu à la France en 1919, en premier lieu à
l’URSS en 1945 – sans parler de l’Angleterre et des autres) : il aurait amélioré leur position concurrentielle dans le
commerce international et, plus largement, dans l’économie mondiale. Il aurait grandement nui au rendement
maximal des capitaux que les Américains projetaient d’exporter comme naguère et dans les meilleurs délais dans le
Reich, pays européen au capitalisme le plus puissant et le plus concentré. Ceci sans préjudice des projets
d’exportation de ces mêmes capitaux dans tout le reste du Vieux Continent, alors même que, pour en interdire ou en
menacer l’accès, la sphère d'influence soviétique venait désormais s’ajouter au territoire de l’Union lui-même agrandi
par rapport à l’avant 17 septembre 1939.
3° Moscou n’exagéra pas davantage après 1945 qu’avant les menaces directes que l’impérialisme, désormais placé
sous la houlette des États-Unis, faisait peser sur le système socialiste. Dimension militaire incluse : Washington
prépara dès la guerre elle-même, comme l’ont montré les travaux de Michael Sherry , l’assaut sérieux et définitif non
contre l’Allemagne mais contre l’URSS – enjeu décisif pour une économie américaine dont la guerre était au XXème
siècle devenu un mode de gestion permanent de la surproduction chronique . Voilà un domaine qui démontre de
façon particulièrement nette la faiblesse de la thèse d’une « défiance » mutuelle croissant au fil des étapes
chronologiques de la Guerre froide .
Sur le problème des relations générales Est-Ouest (ou plutôt Washington-Londres-Moscou) dans l’immédiat aprèsguerre,
Roberts, qui pour la première fois aborde dans un ouvrage cette période, cède donc plus que pour les années
antérieures à l’idéologie dominante. Il se situe en retrait par rapport aux « révisionnistes » américains les plus
radicaux en accordant crédit aux motivations officielles que les États-Unis donnèrent à leur politique d'emblée et
systématiquement antisoviétique. Même trotskistes (donc peu suspects de sympathie pour Staline, sinon résolument
hostiles), les « révisionnistes », comme Gabriel Kolko , ont démontré, depuis plusieurs décennies, qu’aucune ligne
tactique ou stratégique de Staline n’aurait pu épargner à l’URSS la vindicte américaine. Rien n’aurait en effet
dissuadé l’impérialisme américain, considérablement enrichi et renforcé par une guerre mondiale dont plus de la
moitié des victimes étaient soviétiques, de renoncer à exploiter l’appauvrissement de l’URSS ravagée par cette guerre
d’attrition pour parvenir à transformer la modeste « sphère d'influence » soviétique en « sphère d'influence »
américaine – sans préjudice de la suite et fin visée, la frappe au coeur même des 22,4 millions de km2 soustraits à la
libre circulation des capitaux américains.
À la fin des années 1990, Carolyn Eisenberg a démontré, après bien d’autres spécialistes – tel le pionnier de l’analyse
des motivations réelles (économiques et strictement américaines) du veto de Washington contre les réparations,
Bruce Kuklick , dont elle se réclame , que sur la question allemande, l’URSS fut depuis le 8 mai 1945 en situation
perdante. Son influence fut sur le sort de l’Allemagne, et en particulier du coeur industriel de son économie de guerre,
la Ruhr, annulée par la mise à bas de ses armes. Depuis ce jour, les États-Unis furent placés en posture de vainqueur à
tous coups . La récente synthèse sur Truman d’Arnold Offner , faisant suite à une foule d’autres, décrit un rouleau
compresseur américain : dès la fin du conflit, les États-Unis pratiquèrent moins le containment (endiguement) de
l’URSS, mot d'ordre des gouvernants démocrates devenu officiel à partir de 1946-1947, que le roll back (refoulement
– autrement dit la reconquête de la sphère d'influence soviétique), qui servirait en 1952 de programme électoral
officiel à l’équipe présidentielle républicaine d’Eisenhower et John Foster Dulles. J’arrête la liste mais on délaisse
ici, sur les réparations et sur le reste, l’approche psychologisante qui obère en partie l’analyse finale de Roberts.
Sur les périls mortels que fit précocement courir à la survie de l’URSS la vieille association – héritée de 1918 entre le
vainqueur économique américain de la guerre et le vaincu allemand du front de l'Est (en 1918, de l’Ouest), la
description de l’avenir par Armand Bérard, en février 1952, sonne comme une prédiction de Cassandre. Le diplomate
français révèle ainsi ce que les décideurs de « Occident » pensaient réellement, en pleine Guerre froide, du rapport de
forces au sein de ce trio. Le propos, sincère (et inquiet, non des intentions soviétiques, mais des effets de la puissance
germano-américaine), s’inscrit en faux contre les contes à dormir debout que ces décideurs bien informés diffusaient,
France incluse, avec un entrain débridé depuis le discours au Congrès de Truman et la conférence de Moscou (marsavril
1947) à leur « opinion publique » .
« La contre-offensive antisoviétique que commencent à déclencher les Américains […] éveille chez les Allemands
l'espoir que la défaite de 1945 n'a été qu'un épisode dans un plus long conflit, qu’aucun traité ne le sanctionnera et
que le règlement européen prendra pour base non pas la situation de 1945, mais celle qui résultera de cette contreoffensive.
Dès maintenant leurs diplomates […] et leurs experts militaires manoeuvrent pour qu'au moment de ce
règlement l'Allemagne se trouve dans la position la plus favorable et tire le maximum d'avantages d'une paix où, pour
la première fois, depuis 40 ans, elle prendra place aux côtés des vainqueurs. Ils pensent que des mérites qu'elle se
sera acquis dépendra, dans une large mesure, la solution de la question autrichienne et celle des problèmes
territoriaux en Europe Centrale et Orientale. Avec l'absence de mesure qui souvent la caractérise, l'Allemagne se
précipitera avec ardeur dans la voie indiquée par l'Amérique, si elle acquiert la conviction que la plus grande force est
de ce coté et se montrera même plus américaine que les États-Unis ».
La réorganisation territoriale commencerait par la « revendication allemande », désormais tapageuse, du «
rétablissement de l'Allemagne dans ses frontières de 1937. […] Adoptant les thèses américaines, les collaborateurs
du Chancelier [Adenauer] considèrent en général que le jour où l'Amérique sera en mesure de mettre en ligne une
force supérieure, l'URSS se prêtera à un règlement dans lequel elle abandonnera les territoires d'Europe Centrale et
Orientale qu'elle domine actuellement. » Cet avertissement, prophétique à la lumière des bouleversements du statu
quo de 1945 intervenus au tournant des années 1980, atteste, comme le reste de la correspondance diplomatique
occidentale, que les craintes de Staline sur les conséquences à moyen terme de la puissance conjuguée des États-Unis
et du Reich déployée contre la « forteresse assiégée » soviétique relevaient de l’appréciation réaliste, non de la
fantasmagorie.
Roberts n’en décrit pas moins un Staline très « dédiabolisé », presque trop aimable avec ceux qui bafouèrent
quotidiennement l’URSS victorieuse mais impuissante et violèrent les accords conclus avec elle en 1944-45, encore
en temps de guerre. Il lui prête un optimisme quasi naïf, dans les premiers mois de l’après-guerre, sur la capacité du «
camp démocratique » à arracher à l’impérialisme quelques avancées notables, tant dans la sphère d'influence
soviétique que dans l’américaine. L’interprétation est peut-être erronée (tout le reste de l’ouvrage tend à exclure la
naïveté de Staline), mais elle a le mérite de contraster avec la dénonciation des noirs desseins dont nous abreuve en
France la fureur fureto-courtoisienne qui n’épargne désormais aucune génération : arme de choix, les manuels
scolaires y sont depuis une bonne vingtaine d’années périodiquement remaniés dans un sens de plus en plus
violemment antisoviétique . Roberts décrit un Staline respectant scrupuleusement les compromis de 1944 sur la
définition des sphères d'influence tandis que, à son grand dam, les enrichis de la guerre ne cessaient de lui disputer la
« zone de sécurité » enfin acquise au prix de tant de souffrances et de sacrifices soviétiques.
Une audace indigna particulièrement le leader soviétique dans le deux poids, deux mesures « occidental », le
traitement des cas respectifs de la Grèce et de la Pologne : Staline invoqua aussi régulièrement que vainement le
contraste entre le désintéressement soviétique, qu’il avait promis à Moscou à Churchill en octobre 1944, dans le
dossier grec (la Grèce étant incluse en « zone britannique »), et la contestation permanente par les Anglo-Américains
du droit que les Soviétiques estimaient avoir entre juin 1941 et mai 1945 gagné, pour un certain temps, à ne plus
vivre avec à leur frontière occidentale des dirigeants polonais assez hostiles pour ouvrir avec zèle la route de la
Russie à tout envahisseur, y compris au prix de la liquidation territoriale de leur propre pays. Le lecteur trouvera dans
les réalités d’aujourd'hui de l’Europe orientale utile réflexion sur l’espoir, longuement décrit, de Staline (et son échec
consacré par les dernières décennies) de réaliser une solide union des peuples slaves contre un Reich que, bien avant
la fin de la guerre, il savait promis à une reconstitution-éclair par la politique des États-Unis. En lisant les
paragraphes consacrés à l’épouvantable sort du peuple grec qui, après avoir si vaillamment résisté à l’occupant
allemand, fut livré à la répression féroce des Anglais puis des Américains – successivement affairés à remettre en
selle les complices grecs des occupants allemands , on est tenté de regretter que le respect soviétique du compromis
ait été si rigoureux. Mais le reste des chapitres sur l’ère de Guerre froide montre que l’URSS n’avait guère le choix,
le rapport de forces général établi en mai 1945 excluant d'emblée que l’Armée rouge pût porter secours aux Grecs
assaillis.
Sur la scission de 1949 avec Tito, Roberts insiste sur la condamnation de l’hérétique yougoslave indocile – par
opposition au fidèle entre tous, le Bulgare Dimitrov – devant le veto de Staline contre une fédération balkanique que
ce dernier jugeait de nature à intensifier les « efforts [occidentaux] de consolidation d’un bloc antisoviétique ». Les
archives occidentales apportent là encore un autre éclairage, non idéologique, établissant la responsabilité du leader
yougoslave dans la rupture et ses motivations financières : la quête éperdue de crédits américains par Tito eut pour
contrepartie une tutelle précoce (bien avant « la chute du Mur » exercée sur la ligne intérieure et extérieure de son
pays par les États-Unis et de l’Allemagne occidentale. Ces deux puissances tutélaires furent quotidiennement
secondées par le Vatican, dont la haine antiserbe n’avait jamais faibli depuis la naissance de la Serbie et qui ne cessa
pas un jour de servir contre elle avant, pendant (et après) l’ère de l’unité territoriale yougoslave les intérêts de ses
ennemis (empire austro-hongrois, puis Reich, puis association entre États-Unis et héritier ouest-allemand du Reich,
association qui maintint cependant le second dans le statut de favori).
Ce fut Tito qui neutralisa son propre combat, indéniable, contre le Vatican, en laissant de fait à la « clique Spellman-
Stepinac » la liberté, pour cause de prêts en dollars, d’agir contre la Yougoslavie dans ses frontières et au-dehors au
service de l’alliance germano-américano-oustachie. « Il y a, dans la question catholique yougoslave, assez de force
explosive pour désagréger un jour l'empire slave que Tito a recueilli de la succession des Karageorges », et le PC
yougoslave « sent parfaitement ce danger », avait en juin 1947 rapporté G. Heuman, consul de France à Ljubljana .
La rupture officielle pour « indépendance » à l'égard de Staline entretint la réputation d’un Tito souverain en
masquant la dépendance financière envers les États-Unis dans laquelle ce dernier avait engagé la Yougoslavie.
Staline tenta certes avec autorité ou autoritarisme de combattre cette orientation. Mais, outre qu’on puisse douter que
la douceur ait été en mesure de lutter contre l’attirance de Tito pour la carotte dollar, Staline, si cassant qu’il se
montrât, ne fut pas l’initiateur réel de cette première rupture économique et de politique extérieure précocement
intervenue dans la sphère d'influence soviétique. C’est à Tito que revint la responsabilité de gérer l’antagonisme entre
la dépendance « atlantique » et le maintien des frontières yougoslaves là où ses prédécesseurs monarchiques avaient
dû gérer l’antagonisme entre un Reich rendu à la puissance et la survie de l’État yougoslave. Quoiqu'il en soit,
l’explication « idéologique » Staline aurait visé une tutelle soviétique absolue sur la sphère d'influence soviétique –
pèche autant que celle, fort courante, qui consiste, à propos de la guerre d'Espagne, à attribuer l’échec des
Républicains à leurs querelles internes . Roberts se rapproche d'ailleurs de la réalité des enjeux en liant le conflit
soviéto-yougoslave à l’appréciation par Staline « de la situation internationale toujours plus dangereuse et complexe
créée par la Guerre froide ».
Sur l’histoire intérieure de l’URSS après-guerre Roberts oscille entre éloignement net de l’image dominante et
rapprochement la hargne en moins, ce qui n'est pas rien. Il a tendance à imputer les rigueurs politiques de l’aprèsguerre
et « la campagne contre l’Occident » à des tendances « ultra-patriotiques et nationalistes » nées de l’excessif
orgueil (hubris) de Staline quant à « la place que la victoire aurait dû accorder à l’URSS dans le monde d’aprèsguerre.
» Mais il ne renonce pas à liquider, comme pour la période antérieure, quelques préceptes de « la guerre de
Staline contre son peuple » cheval de bataille de Nicolas Werth dans son analyse et son chiffrage de la répression
contre les civils et les prisonniers de guerre soviétiques conduite après examen du cas de tous les ressortissants
soviétiques ayant été en contact, de quelque type que ce soit, avec l’ennemi allemand.
Le lecteur francophone comparera avec profit la présentation du dossier par Roberts à celle de Nicolas Werth. Ce
dernier a consacré dans les nombreux manuels d’histoire contemporaine des concours de recrutement des professeurs
d’histoire français (entre 2003 et 2005) auxquels il a participé beaucoup plus de place et d’indignation à l’examen
biaisé du sort réservé par l’URSS à ses civils et à ses prisonniers de guerre revenus des camps allemands – traitement
qualifié de « “sale guerre” d’une extraordinaire violence » qu’à la liquidation par la Wehrmacht d’un pourcentage
situé entre les 2/3 et les 3/4 des prisonniers de guerre soviétiques tombés (entre 1941 et 1943 surtout) en mains
allemandes : aux deux questions le soviétologue français a consacré respectivement plus de trois pages et deux
lignes.
La répression qui frappa les Soviétiques revenus dans leur pays après mai 1945 résulta, expose à l’inverse Roberts,
d’enquêtes limitées à un double souci, qu’il est permis de juger légitime au terme d’une guerre si coûteuse, plus
légitime encore vu les intentions américaines : débusquer « les traîtres et les espions » et s’assurer que les prisonniers
de guerre ne s’étaient pas rendus trop facilement aux Allemands, les critères demeurant beaucoup plus sévères pour
les officiers supérieurs que pour les soldats. Le chiffrage cité exclut à lui seul la thèse des atrocités soviétiques
infligées à des innocents pour fautes imaginaires qui n’auraient, selon Nicolas Werth, germé que dans le cerveau
malade des chefs des « “détachements d’extermination” du NKVD » engagés par Staline dans une persécution
aveugle de l’Ukraine occidentale (la Galicie orientale anciennement polonaise) ou des Pays Baltes martyrs où « la
guerre n’a pas pris fin le 9 mai 1945 » . Relevons d'ailleurs que c’est dans le même chiffrage que celui repris par
Roberts que Werth a puisé l’interprétation conforme à son postulat de « la guerre de Staline contre son peuple » : sur
4 millions de personnes (2,66 de civils, un peu plus d’1,5 million d’anciens soldats survivants des massacres
allemands), moins de 273 000 furent transférés au NKVD « pour crime ou délit ». Ces sanctions, graduées donc selon
les fautes, ne châtiaient pas des griefs forgés pour les besoins de la cause par les bolcheviques, mais des actes bien
établis, commis pendant, voire après l’occupation allemande : 1° la collaboration avec l’occupant : « un million de
citoyens soviétiques avaient servi les forces armées de l’Axe pendant la guerre, dont la moitié en fonction militaire,
le reste comme auxiliaires civils »; 2° la participation, dès la libération des territoires concernés par l’Armée rouge, à
l’inexpiable guérilla menée par les éléments antisoviétiques dans les marches occidentales, payée de plusieurs
nouvelles dizaines de milliers de morts soviétiques (question évoquée plus loin).
Sur ce point aussi, le travail de Roberts tranche sur la complaisance inouïe de l’historiographie française à l'égard de
la collaboration polono-ukrainienne et balte aux pires atrocités, notamment antisémites, de la guerre d’extermination
menée par l’Allemagne contre l’URSS (Slaves et juifs mêlés). Par antisoviétisme, la soviétologie française en est
arrivée à nier la contribution active d’une fraction des ressortissants soviétiques à « la destruction des juifs d’Europe
». Elle a désormais définitivement opté pour l’équation : Balte ou Ukrainien criminel de guerre – catégorie jugée
précieuse par les États-Unis en Guerre froide contre l’URSS et systématiquement recyclée à divers usages égale
héros victime de l’abominable Staline. Se prêtant à une manipulation scientifique, elle assume en outre, surtout à
l’heure où le fascisme relève la tête et exalte en Europe orientale les bourreaux vernaculaires de 1941-1945, une
lourde responsabilité politique et civique.
Moins solidement documentés sont les trois dossiers de « l’affaire de Leningrad », du « comité juif antifasciste » et
du « complot des médecins ». Roberts fournit des éléments documentés contestant le grief d’antisémitisme stalinien
universel sous nos climats et, chiffres à l'appui, il réduit considérablement, par rapport à nos usages, l’ampleur de la
répression politique conduite sur fond de Guerre froide exacerbée. Mais il n’examine pas sur la base des archives
originales l’éventuelle pertinence des accusations portées contre les accusés divers, « sionistes » ou pas, tentés aprèsguerre
par un appui politique sur et par les États-Unis. Or, les archives occidentales (je puis en témoigner
personnellement) et soviétiques et les travaux qui en sont issus mettent sérieusement en cause la thèse selon laquelle
la répression conduite à partir de 1948 aurait été le fruit essentiel ou exclusif soit de la « croyance [de Staline] dans
les conspirations criminelles » soit de sa « paranoïa politique ». Roberts a d'ailleurs tenu compte de ces apports
contradictoires avec la thèse des bases « idéologiques » de la répression en livrant le bilan chiffré de la guérilla,
soutenue par l’étranger, dans les marches occidentales de l’URSS : « 35 000 cadres militaires et du parti en Galicie
orientale tués entre 1945 et 1951; 100 000 ressortissants des Pays Baltes affairés à « empêcher la restauration du
pouvoir communiste » – estimation empruntée à des études anglo-saxonnes et à des archives soviétiques récemment
publiées (entre 2001 et 2006) .
Il faudra dans l'avenir étudier sérieusement dans quelle mesure le masque de la protection des juifs soviétiques a, en
URSS même et hors d’URSS, offert aux États-Unis un levier considérable et permanent contre l’État soviétique. Et
comment ce tapage de plusieurs décennies, sous Staline et au-delà, a fait oublier aux populations efficacement
mobilisées, ici et là, contre les féroces dirigeants de l’URSS que 1° ces juifs n’étaient pas si différents, somme toute,
de ceux contre lesquels Washington avait durci ses lois des quotas anti-immigration dans les années trente des
persécutions fascistes en Europe non soviétique; 2° Washington violait aussi ses lois de quotas d’après-guerre pour
faire entrer librement en territoire américain, en tant qu’auxiliaires du « roll back », les criminels de guerre de
l’Europe orientale qui avaient, entre 1939 (ou 1941) et 1945, massacré tant de juifs d’Europe .
On peut donc reprocher à l’étude des années de Guerre froide des carences qu’a presque toujours évitées jusqu'alors
l’ouvrage et qui proviennent de la non-confrontation systématique de l’analyse soviétique et de la réalité de la
politique américaine – démarche qui seule permet de se prononcer sur la question de l’éventuelle « paranoïa » de
Staline ou de conclure à sa lucidité. D'autant plus que, dans la tactique américaine de guérilla contre l’URSS, la
dénonciation, à propos d’accusations parfaitement fondées, de la paranoïa soviétique fut érigée en système.
La tradition en était née du temps des complots anglais, français, puis allemands contre l’URSS de l’entre-deuxguerres.
De ces opérations répétées, passant par le financement de tout élément antisoviétique jugé intéressant, le
record fut peut-être détenu dans l’entre-deux-guerres par le grand nazi britannique Sir Henry Deterding, champion
toutes catégories de l’anticommunisme pétrolier : aucune agitation en terre caucasienne « Tchétchénie », aujourd'hui
si notoire, incluse , où sa compagnie, la Royal Dutch Shell, avait à la fâcheuse ère soviétique perdu ses avoirs
pétroliers, ne se produisit jusqu'à sa mort (le 4 février 1939 à Berlin, où il s’était installé en 1936) sans qu’il eût loué
les services de ses animateurs; il accompagna aussi les Allemands dans tous leurs plans russes, Ukraine comprise,
etc. L’impérialisme allemand à l’ère nazie avait constitué en matière de fieffé mensonge ou de religion du démenti
formel de son terrorisme d’État quotidien une sorte de modèle achevé. La victime tchécoslovaque constitua à cet
égard un cas de figure, au point que l’intoxication allemande antérieure à son dépeçage trouve encore écho chez
certains historiens : ils croient par exemple que la mobilisation des 20-21 mai 1938 fut une « provocation inutile [de
Prague] contre l’Allemagne » .
Les impérialismes concurrents, ceux des pays « démocratiques » n’eurent pas grand chose à envier au Reich de
l’entre-deux-guerres en quête d’expansion. Washington fit merveille aussi dans la tactique consistant à ridiculiser un
adversaire qu’il s’efforçait par tous les moyens d’affaiblir et d’écraser, à lui imputer les manoeuvres et méfaits divers
mis en oeuvre contre lui et à gloser sur son effondrement assuré pour motifs purement internes : l’inépuisable
littérature américaine sur les services secrets en fait foi . Cette ligne privant l’assailli des soutiens que lui aurait peutêtre
valus la notoriété de pareilles pratiques et mettant les sceptiques et les rieurs du côté de l’agresseur a été si
étudiée que l’ampleur de l’entreprise découragerait presque de citer des références. On en trouvera écho dans tous les
travaux qui suivent, tels ceux d’Arnold Offner et de Christopher Simpson, déjà cités, de Walter L. Hixson , d’Eric
Thomas Chester , de Thomas G. Paterson qui a étudié les méthodes terroristes américaines contre les Soviets avant
de passer à leur application au cas cubain (en tous points semblable) et de mille autres. Certes, Roberts présente une
bibliographie imposante, mais la référence à ce genre d’ouvrages, puisés aux sources occidentales, aurait convaincu
son lecteur que les frayeurs obsidionales soviétiques avaient des fondements objectifs de béton. Ce qui eût
entièrement changé la présentation de cette « guerre de Staline » dont ni ce dernier ni l’URSS après sa mort ne
sortirent victorieux.
L’idée de l’aggravation de la lutte internationale des classes (et de ses profonds effets internes) tant qu’existaient hors
de l’URSS et de sa sphère d'influence des impérialismes puissants, nettement plus puissants que « le camp socialiste
» des nations les plus éprouvées par la guerre récente (et pour la plupart, fort arriérées naguère), n’était pas une figure
de rhétorique. Les analyses du Jdanov de 1947 sur « le camp impérialiste » n’étaient pas moins fondées que sa
dénonciation, en juin 1939, d’un consensus de l’« Occident » « démocratique » et fasciste – en vue de la liquidation
des Soviets . Staline et les siens avaient eu matière à alarme bien avant l’émergence publique du Pacte atlantique
(avril 1949) qui visait, non seulement le contrôle définitif, économique et politique, de l’ensemble de la sphère
d'influence américaine de 1945, via l’installation définitive de bases aéronavales dans les « stepping stone countries
», mais aussi l’encerclement de l’URSS et de sa sphère d'influence. Washington avait en effet préparé ledit
encerclement et le recours au « potentiel militaire que représent[ai]ent en Allemagne de nombreuses générations bien
aguerries » contre les « armées russes » formule de Bonnet en mars 1949 bien avant que réarmement allemand ne prît
un caractère public ou officiel : ses origines américaines remontaient aux années de guerre mêmes et les étapes de sa
réalisation, sous la houlette des États-Unis, au jour même de la capitulation sans condition . L’assaut fut programmé
bien avant la guerre de Corée, qui ne « commença [pas] par une invasion nord-coréenne de la Corée du Sud en juin
1950 » formule reprise à la vulgate occidentale, que le grand journaliste-historien I.F. Stone avait démentie
précocement ; mais qui, surtout, permit enfin à Washington de mettre en oeuvre la résolution NSC-68 d’avril 1950
requérant un développement considérable des dépenses militaires, seul susceptible de résoudre la crise américaine de
surproduction en cours depuis deux ans .
Le descriptif de ce qui ne fut qu’une réplique de l’URSS à l’immixtion américaine tous azimuts dans ses affaires
intérieures et extérieures, nécessitait des précisions au moins bibliographiques sur les capacités réelles d’intervention
de Washington dans la sphère d'influence soviétique et en URSS avant même la fin de la guerre – intervention directe
ou via les auxiliaires, tel le Vatican, partenaire décisif et irremplaçable dans cette partie de l’Europe au moins autant
que dans la sphère d'influence américaine. Des décennies de recherche m’ont convaincue qu’il n'y a pas eu plus de
paranoïa soviétique après qu’avant mai 1945, mars 1946 (le discours de Churchill à Fulton) ou mars 1947 (celui de
Truman au Congrès), et que l’URSS abattue par quatre ans de destructions est demeurée après la capitulation
allemande une « forteresse assiégée ». C’est Washington qui menait désormais contre le premier pays ayant décidé
l’abolition de la propriété privée des moyens de production et d’échange la coalition que Londres (et Paris) avai(en)t
dirigée dans les années 1920, puis à son tour le Reich dans les années trente et celles de la guerre. Roberts le suggère
d'ailleurs en lui-même en montrant que Staline passa d’un optimisme raisonné, entre la fin de la guerre et les mois
qui la suivirent, à un pessimisme marqué sur les relations avec l’Occident dirigé désormais par les Américains :
pourquoi donc son « hubris » aurait-il cédé entre 1944 et l’été 1945 de Potsdam?
Il n'en reste pas moins que, sur le Staline (et l’URSS) des années 1939-1953, je n’ai pas souvenir d’avoir lu de travail
universitaire aussi honnête, sérieux et indifférent au qu’en dira-t-on (c'est à dire à l’historiographie occidentale
dominante) depuis que j’ai fait de l’histoire des relations internationales mon métier – et particulièrement depuis la
généralisation à l’ensemble de l’Europe, au cours des années 1980, de la chape de plomb réactionnaire. De même que
je n’ai sur la décennie antérieure rien lu de plus honnête et sérieux que les travaux de Michael Carley qui ont
débouché sur l’ouvrage 1939, auquel j’ai proclamé toute ma dette dans Le choix de la défaite. Bref, Roberts s’est
livré à un bel exercice de courage intellectuel en résistant à la marée antisoviétique qui a recouvert le champ de la «
soviétologie » internationale (et submergé la française). Il nous porte à mille lieues des imprécations non
documentées de l’historiographie qui règne chez nous depuis le milieu des années 1990. Il aura notablement
contribué à donner satisfaction posthume à la revendication d’histoire honnête d’Alexander Werth qui à la différence
de son fils Nicolas, porté toujours plus loin au fil des décennies vers la diabolisation de Staline et vers l’indulgence à
l'égard de tout label antisoviétique aima l’URSS de la « Grande Guerre patriotique » et estima grandement son leader
« aux nerfs d’acier » (formule empruntée au maréchal Joukov). À lire les 468 pages consacrées au chef politique et
militaire qui avait montré depuis son accession au pouvoir suprême un dévouement total au système socialiste et à la
« patrie soviétique », on a la conviction que le peuple soviétique, en le pleurant en mars 1953, démontra non son
hébétude, mais son intelligence politique, et lui manifesta une gratitude légitime.
Un éditeur français s’honorerait en décidant de faire traduire et de publier le livre de Roberts. Peut-être d'ailleurs le
tapage sur le loup-garou commence-t-il à être jugé pesant par au moins une fraction de la population française
soucieuse d’information, lassitude susceptible de rendre l’opération rentable.
Annie Lacroix-Riz - 28/07/2007
Eric
Bonjour ,

Les éditions Delga annoncent sur leur site la sortie de deux ouvrages très intéressants .

Grover Furr : Khrouchtchev a menti


Geoffrey Roberts : Les Guerres de Staline. Préface d’Annie Lacroix-Riz
 
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