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Xuan
-41-
A propos du "génocide"


Des deux éventualités envisagées par Pol Pot lorsqu'il nous avait reçus, aucune ne se réalisa. Le peuple khmer et son armée ne purent pas repousser l'agression vietnamienne. Mais cette dernière ne parvint pas à écraser totalement la résistance des patriotes khmers. Certes les troupes vietnamiennes équipées d'armements lourds et autres par l'Union soviétique réussirent à occuper assez rapidement les villes du Kampuchea démocratique. Mais les troupes khmères pratiquèrent la tactique du repli, s'enfoncèrent profondément dans leur pays, avec la complicité des populations civiles et s'installèrent solidement dans les forêts et dans les montagnes.
Malgré de nombreuses offensives d'une violence inouïe, notamment au moment des saisons sèches, les envahisseurs ne réussirent pas à les écraser. Ils pénétrèrent même en Thaïlande pour tenter de prendre à revers les maquisards, mais ceux-ci avaient eu le temps de décrocher.

Le peuple khmer avait-il refusé de soutenir ses dirigeants ? Ce n'est pas mon avis. Soumis du jour au lendemain ou presque à une occupation militaire étrangère, les populations concernées ne pouvaient que s'incliner temporairement en attendant que de nouveaux événements ramènent leurs compatriotes à la tête de leur pays.

Les gens d'origine cambodgienne cooptés aux fonctions du gouvernement à Phnom Penh, Heng Samrin et d'autres, étaient arrivés dans les bagages des agresseurs et leur assujettissement aux occupants nuisait à la reconnaissance effective de leur autorité étatique.
Comment donc réagit le peuple français lorsque les deux tiers de son territoire furent occupés par la Wehrmacht nazie ? En y mettant le temps nécessaire, il organisa la Résistance.
Le peuple du Kampuchea agi de même.

Dans la période la plus récente, disons contemporaine, au cours du XXème siècle, les tenants de l'impérialisme, du social-impérialisme et du capitalisme ont sans cesse lancé les pires accusations pour disqualifier les patriotes des peuples dominés.
Le peuple khmer et ses dirigeants ont été crédités d'un « génocide » après qu'ils aient réussi à vaincre leurs agresseurs étrangers, les impérialistes américains.

Après cette première agression est intervenue la seconde, celle perpétrée par le social-impérialisme soviétique par malheureux soldats vietnamiens interposés en tant que mercenaires. Mais maintenant l'occident capitaliste exige que l'on occulte les meurtres commis de 1970 à 1975 par les forces militaires américaines et leurs supplétifs, ainsi que ceux résultant de l'agression social-impérialiste de 1980 à 1990. Il exige que l'on ne parle de victimes qu'à propos de la période de 1975 à 1978 lorsqu'étaient au pouvoir les communistes khmers, que l'on désigne sous le terme de « khmers rouges » . Cette manière d'occulter des responsabilités terribles constitue une revanche délibérée des dirigeants américains vaincus.

J'entends consacrer quelques pages à ces événements, afin de démasquer l'immense entreprise de falsification de l'histoire à laquelle s'emploient aujourd'hui les Etats occidentaux capitalistes comme certains dirigeants restés nostalgiques de la politique des révisionnistes soviétiques.
Mais dans ce but, il convient que je parte du début en essayant modestement de relater une période de l'Histoire de l'Indochine.
Cette région du monde, qui appartient au sud-est asiatique, comprend la Birmanie, le Laos, la Thaïlande, le Cambodge, le Vietnam et une partie de la Malaisie. Mais à partir de 1888, le colonialisme français s'appropria une vaste étendue de son territoire et créa ce qu'il nomma « l'Indochine française » réunissant, sous sa férule, la Cochinchine, l'Annam, le Tonkin, le Cambodge et, un peu plus tard, le Laos.
Le colonialisme français était féroce.

Dès 1925, Nguyen Aï Quoc avait contribué à créer l'Association de la Jeunesse Révolutionnaire du Viet Nam dont l'objectif principal visait à fonder un Parti communiste. Celui-ci vit le jour le 18 février 1930. Il fut désigné sous le nom de Parti communiste indochinois lors d'une Conférence d'unification convoquée par l'Internationale communiste à Hong-Kong. Ce Parti, auprès duquel Nguyen Aï Quoc représentait l'Internationale, devint de fait le Parti communiste vietnamien. Dans son objectif de rejeter la domination coloniale française, il créa avec les représentants peu nombreux du Laos et du Cambodge une « Fédération indochinoise » .

Naturellement les communistes vietnamiens, plus expérimentés que les autres du fait de leurs contacts plus anciens avec les communistes français et avec l'Internationale, eurent la direction de cet organisme.
Cette orientation était-elle juste ? Je le pense, parce qu'à l'Indochine dominée par le colonialisme français il était alors opportun d'opposer une force unifiée qui compte dans ses rangs des militants des cinq pays : Annam, Tonkin, Cochinchine, Laos et Cambodge.

Mais les peuples de ces cinq pays descendaient de civilisations multiples, parlaient des langues différentes, avaient des caractéristiques nationales, des traditions nullement identiques. Les péripéties parfois sanglantes de leur Histoire les avaient opposés souvent les uns aux autres.
Ces réalités ne pouvaient qu'inciter certains d'entre eux à exiger leur indépendance organisationnelle sur le plan politique, même si leur but stratégique demeurait commun.
Les écoles de formation communiste dispensée aux militants lao ou khmers étaient entièrement organisées et dirigées par les camarades vietnamiens. Certains militants acceptaient cette pratique, d'autres en souffraient. Ces conditions historiques permettent d'expliquer le processus d'antagonisme qui va devenir grandissant jusqu'à se transformer en guerre meurtrière après les défaites au Vietnam et au Kampuchea des agresseurs américains et de leurs fantoches.

Le phénomène que j'évoque là est le même que celui résultant de l'autorité incontournable du Parti communiste d'Union soviétique sur les autres partis communistes du monde entier, après la fin de la guerre contre le fascisme. Les dissidences des partis communistes yougoslaves, puis chinois et albanais, et ensuite, d'année en année, de nombreux autres comme les partis espagnols, italiens, roumains offrent des exemples compara blés à ce qui se passa dans le sud-est asiatique. Le parti français resta un fidèle soutien de l'Union soviétique jusqu'à son effondrement.

Pour mieux organiser la guerre de libération nationale contre le colonialisme français, le Parti communiste Indochinois s'était auto-dissous le 1er mars 1947, avait pris des dispositions concrètes pour entraîner les plus larges masses à l'action contre le corps expéditionnaire français, créant un large front uni nommé Viet Minh.
En réalité, le Parti communiste du Vietnam existait toujours, mais Ho Chi minh lui-même le nommait « l'organisation » .
Lors de son deuxième Congrès en février 1951, il fut transformé en Parti des Travailleurs du Vietnam. Une conférence réunie en mars 1951 avait consacré l'Alliance entre le Vietnam, le Cambodge et le Laos.
Au lendemain de la victoire de Dien Bien Phu, dans un rapport à la 6ème Conférence du Comité central du Parti des Travailleurs du Vietnam, le 15 juillet 1954, le Président Ho, qui allait partir pour Genève, avait eu soin de souligner parmi les « tâches nouvelles » à réaliser, celle « d'aider au mouvement de libération nationale des peuples cambodgien et laotien » .
Quelques jours plus tard, la Conférence de Genève consacra la victoire des patriotes vietnamiens en reconnaissant l'indépendance du Vietnam du Nord, et en décidant qu'en 1956 auraient lieu des élections générales au Vietnam du Sud permettant la réunification du Vietnam entier.

Mais, dès 1955, les impérialistes américains déclenchèrent des opérations militaires pour soutenir le dictateur Ngo Dinh Diem qui s'opposait à la mise en application de cette deuxième phase des accords. En vérité les Américains désiraient supplanter l'ancienne influence et domination française à Saïgon et dans les pays voisins du Laos et du Cambodge. Or, constatant qu'ils ne parvenaient pas à écraser les activités patriotiques des Vietnamiens du Sud, ils déclenchèrent une nouvelle agression contre le Nord-Vietnam en mars 1965.

À la suite de ce nouvel acte visant toute l'Indochine, Samdech Norodom Sihanouk rompit les relations diplomatiques avec les Etats-Unis le 3 mai 1965. J'ai déjà indiqué le soutien apporté par le général De Gaulle au Cambodge par son discours de Pnom Penh le 1er septembre 1966.

Aussi jusqu'aux victoires sur ces nouveaux envahisseurs, les patriotes indochinois, c'est-à-dire vietnamiens, lao et khmers menèrent ensemble des guerres de libération nationale.

Je rappelle qu'en 1970, la CIA invoquant le soutien apporté par le prince Norodom Sihanouk aux patriotes vietnamiens, organisa sa destitution par la bande des sept traitres regroupés autour de Lon Nol. La résistance des patriotes khmers n'entraînant jusque là que les communistes autrefois mis hors la loi justement par le même monarque, se trouva dès lors renforcée et devint totalement légitime aux yeux du peuple khmer. Les opérations militaires prirent différentes tournures et, suivant les circonstances, des unités vietnamiennes qui utilisaient jusque là la fameuse piste Ho chi minh, durent se replier tactiquement et s'installer temporairement au Cambodge.
Des historiens indiquent que certaines de ces unités demeurèrent sur place jusqu'en 1973.

Le Parti communiste du Kampuchea avait été fondé dans la clandestinité, le 30 septembre 1960, par les militants que Norodom Sihanouk avait fait pourchasser. Ce furent ces hommes, dont plusieurs avaient été étudiants en France et même adhérents du Parti communiste français, qui organisèrent la guerre de libération nationale contre les occupants américains et leurs supplétifs sud-vietnamiens et khmers, tandis que le prince Norodom Sihanouk, après avoir échappé par trois fois à des attentats, parvint à trouver refuge en Chine populaire et s'installa à Pékin. C'est à cette époque, en 1970, qu'en compagnie d'Alain Castan et André Druesnes, je le rencontrai dans la capitale chinoise.

De 1970 à 1975, les patriotes khmers infligèrent de sévères défaites à l'armée fantoche dressée par le « maréchal » Lon Nol et aux unités militaires américaines occupant leur pays. Il est probable qu'en certaines occasions les unités vietnamiennes leur aient prêté aide et assistance, de la même façon que les khmers leur avaient facilité antérieurement le passage à travers le territoire cambodgien.
Et, le 17 avril 1975, le peuple khmer chassa définitivement les ennemis américains et leurs complices.

Tous ces faits témoignent-ils d'une entente parfaite entre Vietnamiens et Khmers ? Je n'en suis nullement certain.
Nombre de ces communistes étaient avant tout des nationalistes et s'alliaient dans un premier temps du seul point de vue tactique contre un ennemi commun. L'un de nos hôtes au Cambodge, Ieng Sary peut-être, mais je n'en suis pas sûr, nous expliqua que lorsqu'ils devaient rencontrer des dirigeants vietnamiens, ils leur donnaient rendez-vous à des nuits de marche de leurs bases pour ne pas leur révéler l'endroit où ils se dissimulaient. La méfiance était sans nul doute réciproque, caractéristique de psychismes anciens et antagoniques.

Combien de victimes l'agression américaine a-t-elle causé au peuple khmer ? Voilà une question importante dans la mesure où l'occident n'en parle jamais ou rarement, pas plus en France qu'ailleurs.
Lorsqu'en 1978 notre délégation rencontra Ieng Sary, alors vice-premier ministre et Ministre des Affaires étrangères du Kampuchea démocratique dont le chef d'Etat n'était autre que Khieu Samphan, il nous assura que de 1970 à 1975, les bombardements ennemis, par aviation ou par chars et artillerie, avaient causé la mort d'environ huit cent mille hommes, femmes et enfants du Cambodge.
Récemment, deux mois avant le moment où j'écris ces lignes, le Monde; dans son édition du 19 janvier 1999, a publié un article (hostile aux Khmers rouges) de J.C. Pomonti dans lequel est citée une riposte de Hun Sen aux prétentions des Américains et autres occidentaux exigeant de ne prendre en considération que la période 1975-1978 pour traiter des victimes khmers : l'actuel dirigeant du Kampuchea, qui fut en son temps un militant proche du Vietnam et de l'URSS, indique cependant à juste titre : « Nous devrions également prendre en compte les crimes commis de 1970 à 1975, quand près d'un million de personnes sont mortes » .
Pomonti précise qu'il s'agit là d'une « allusion aux bombardements massifs du territoire cambodgien de 1969 à 1973 par l'aviation américaine. »
Je peux encore préciser que le même auteur et journaliste, dans un article du Monde du 17 avril 1998 avait indiqué en page 12 : « Au Cambodge, entre 1970 et 1975, la guerre avait déjà fait quelques six cents mille victimes » .

Dans un long ouvrage nullement favorable aux Khmers rouges, publié par les Presses universitaires de Yale en 1996 et par Gallimard en 1998, l'américain Ben Kiernan lui-même, sans fournir de chiffre, dénonce la responsabilité des bombardements américains par rapport aux événements concernés.
Occulter ces crimes américains, c'est un peu comme oublier ce dont sont capables les politiciens impérialistes qui, les premiers et les seuls dans l'Histoire, utilisèrent des bombes atomiques contre les populations de deux grandes villes japonaises à un moment précis où les gouvernants japonais avaient annoncé qu'ils allaient déposer les armes. Bilan généralement admis : quatre cent mille êtres humains exterminés en quelques instants à Hiroshima et Nagasaki.
À mon avis, si depuis 1945 quelque Etat mérite d'être qualifié de criminel de guerre comme le fut l'Etat mis en place par les Nazis, c'est aujourd'hui principalement celui des Etats-Unis d'Amérique. Dans la même période que celle à laquelle je m'intéresse ici, un peu plus tôt, ses services spéciaux organisèrent en Indonésie de monstrueuses tueries par le biais du putsch militaire du général Suharto. Dans ce cas précis, les évaluations du nombre des victimes vont de cinq cent mille à un million, auxquelles il convient d'ajouter encore quelques centaines de milliers, de deux cent mille à quatre cent mille dans la partie est de l'île de Timor.
Je n'oublie pas non plus le million de Chinois et de Coréens qui furent tués lors de la guerre de Corée, à une époque où le général américain Mac Arthur voulait à tout prix recourir de nouveau à la bombe atomique et où le général Ridgway utilisa des bombes bactériologiques et des gaz asphyxiants. Des faits longtemps contestés aujourd'hui devenus des vérités historiques établies.

Mais j'en ai assez dit sur les responsabilités criminelles des impérialistes américains. Nul ne peut les nier et de nombreux ressortissants des Etats-Unis eux-mêmes en conviennent verbalement ou par écrit. Il va sans dire qu'au nombre des victimes de bombardements au Cambodge, il faut associer celui, énorme, des victimes du Vietnam et, moindre mais réel, des victimes du Laos. Le nombre de trois millions deux cent mille morts est avancé par des historiens de nationalités différentes.

Passons donc à la période de 1975 à 1978, durant laquelle le Kampuchea fut administré par les patriotes khmers dans le cadre d'une République démocratique. Pour en traiter honnêtement, je ne me suis pas contenté de ce que j'avais vu sur place en 1978 ou de ce que l'on m'avait indiqué. J'ai beaucoup lu. Depuis plus de vingt ans maintenant. Il y a peu de littérature favorable aux communistes khmers. Mais tant en Amérique qu'en Europe il y a une production importante d'ouvrages sur ce que chacun s'entend à nommer le « génocide des Khmers rouges » .

Pour commencer par le début de cette période, il importe d'indiquer que les vainqueurs des troupes du traitre Lon Nol et des unités américaines, terrestres et aériennes, eurent pour première obligation de remettre en état un pays entièrement ravagé par la guerre, sous la menace prolongée d'une contre-attaque ennemie.
Parmi les griefs visant à décrire la nature démoniaque des dirigeants khmers, ces « petits hommes tout habillés de noir » , le premier avancé concerna l'évacuation précipitée de la capitale dés qu'ils eurent chassé les ennemis américains et les traîtres à leur service. Il est vrai qu'il s'agissait d'un événement inattendu dont on ne connaissait jusque-là aucun précédent dans l'histoire mondiale, y compris durant la seconde guerre mondiale.
Pnom Penh comptait alors, approximativement, trois millions d'habitants sur une population totale un peu supérieure à 7 millions de Cambodgiens.
Avant la guerre d'agression déclenchée par les Américains, le nombre des citadins concernés était d'environ deux millions. Les bombardements terroristes sur les campagnes avaient provoqué la fuite en ville de plusieurs centaines de milliers de paysans, et l'on ne doit pas oublier ici que la population du Cambodge était composée à 80% par ces derniers, comme d'ailleurs dans l'ensemble des pays du Tiers-monde.

La première raison de l'évacuation autoritaire de la capitale, officiellement indiquée par le nouveau gouvernement khmer, consista à reconnaître l'impossibilité absolue d'assurer un ravitaillement susceptible de permettre de nourrir une population d'une telle densité. Il ne restait plus que cinq jours d'approvisionnement, et ensuite apparaîtrait la famine.
Ces hommes considérèrent qu'en renvoyant l'immense majorité des habitants de Pnom Penh dans les campagnes, ils favoriseraient des conditions d'existence assurant pour le moins leur survie. Les familles trouveraient plus facilement du riz et d'autres aliments qui n'avaient pu être acheminés sur la capitale en temps voulu compte tenu de l'intensité des combats, des bombardements et de l'état des voies de communication.

La seconde raison résida dans un motif d'ordre militaire. La défaite des occupants et de leurs complices était évidemment assurée dans la capitale, notamment depuis l'instant où ils avaient perdu le contrôle de l'aéroport de Pochentong. L'aviation ennemie n'en poursuivait pas moins des bombardements dans le sud du pays, des poches de combattants aux ordres de Lon Nol résistaient encore, ces traîtres avaient d'ailleurs organisé dans la capitale même quelques attentats terroristes à l'aide d'explosifs.
Combien de milliers et dizaines de milliers de victimes supplémentaires auraient pu provoquer de nouvelles agressions américaines si les habitants de la capitale étaient restés concentrés ?

Il importe de souligner aussi que les maquisards khmers qui avaient fourni l'essentiel de l'effort de guerre avaient appliqué les principes de la guerre révolutionnaire du peuple, encerclant les villes sans les occuper immédiatement. De ce fait la résistance, certes présente à Pnom Penh, n'avait pas atteint les niveaux d'efficacité aussi élevés que les combattants des campagnes et des montagnes.
Peut-on imaginer l'énormité des responsabilités pesant sur les épaules des dirigeants du Parti communiste du Kampuchea confrontés à cette situation nouvelle que venait de leur offrir la victoire?
Il fallait repartir à zéro, édifier une société nouvelle, tout en tenant compte des menaces de revanche des impérialistes.

Je ne vais pas écrire l'histoire intérieure du peuple khmer à cette époque, pour une simple raison. Je tiens à conserver l'humilité et la sérénité qui s'imposent devant une situation tragique née de l'agression impérialiste et de l'activité de quelques traitres. Des traîtres ? Bien sûr, il y a toujours des individus prêts à vendre père et mère pour assurer leurs propres avantages et leur pouvoir, même soumis à un autre pouvoir, celui de l'étranger. N'avons-nous pas été largement payés par ce phénomène, nous, Français, de juin 1940 jusqu'à la Libération en 1944, pour que nous ne puissions facilement l'imaginer dans un autre pays ?

Naturellement, la situation nouvelle impliqua des changements tactiques. Aussi le IVe Congrès du Parti communiste du Kampuchea, réuni en 1976, considéra-t-il que la lutte pour l'indépendance nationale était achevée. Il importait donc de passer à une nouvelle étape : la lutte pour la défense de l'indépendance nationale, la mise en place des conditions indispensables pour la construction du socialisme, enfin l'édification du socialisme.
Le peuple khmer fut appelé à travailler pour édifier les bases matérielles de ce dernier dans les deux domaines décisifs de l'agriculture et de l'industrie. Je ne vais pas m'étendre sur tout ce qui fut entrepris, dont nous eûmes un modeste aperçu lors de notre visite au Kampuchea démocratique de 1978.

Mais ce qui exige d'être maintenant traité provient de l'hostilité croissante qui se développa assez rapidement entre le Vietnam et le Kampuchea.
On se souvient du désir qu'avait exprimé dans les conditions de la lutte historique contre le colonialisme français Nguyen Ai' Quoc. Mais depuis cette époque des années trente, il était devenu l'oncle Ho, Président de la République démocratique du Vietnam après la victoire d'abord sur les colonialistes français, puis sur les impérialistes américains. Il connaissait les réalités et ne manquait pas de ménager les sentiments nationalistes des populations non vietnamiennes du Laos et du Cambodge.

Aussi longtemps que vécut ce leader vénéré de tous les Vietnamiens, de tous les Indochinois et de tous les communistes du monde, le Parti des Travailleurs du Vietnam resta en dehors du conflit idéologique et politique opposant le Parti communiste chinois au révisionnisme du Parti communiste soviétique. En vérité, le parti dirigé par Ho Chi minh sut prendre quelques distances avec les dirigeants en place à Moscou en plusieurs circonstances. L'exemple le plus marquant fut le refus de Hanoï de souscrire au fameux Traité de Moscou sur l'interdiction des armements nucléaires, sans destruction complète des stocks déjà existant en URSS comme aux USA.

Mais dès après la disparition de l'Oncle Ho en 1969, certains dirigeants vietnamiens commencèrent à intriguer pour rapprocher leur parti du Parti soviétique. Naturellement ce processus ne se réalisa pas en un seul jour. Une lutte interne se développa d'ailleurs dans les rangs des communistes vietnamiens, et notamment parmi leurs dirigeants.
Tant que dura l'agression américaine, les patriotes vietnamiens avaient besoin de leurs voisins laotiens et khmers. Ceux-ci leur accordèrent d'ailleurs des facilités d'ordre logistique souvent très efficaces. Il suffit d'évoquer la fameuse « piste Ho Chi minh » pour comprendre qu'exista alors une unité de combat étroite entre combattants vietnamiens et khmers.
Au demeurant des divisions vietnamiennes se portèrent en territoire cambodgien pour combattre les menées des Américains et pour aider du même coup les patriotes khmers, et, d'autre part, le Parti des Travailleurs du Vietnam s'employa à « former » des communistes khmers en les recevant dans des écoles militaires et politiques. De ce fait il y eut une espèce d'osmose entre les deux peuples, susceptible d'influencer idéologiquement certains cadres et dirigeants communistes khmers.
L'idée de la « Fédération indochinoise » si juste dans les années trente, se conjuguait avec le désir de certains dirigeants vietnamiens de dominer l'ensemble du sud-est asiatique. En vérité, avant sa mort, Ho Chi Minh n'avait plus avancé le concept de « Fédération indochinoise » qui n'avait plus de raison d'être depuis le départ des Français.

Ce ne fut en fait qu'à partir de leurs victoires respectives sur les Américains que les contradictions jusque là tacitement occultées se réveillèrent. Certains dirigeants opposés à la ligne dictée par Moscou furent persécutés, d'autres eurent le temps de s'enfuir comme Hoang Van Hoan, que je rencontrai plusieurs fois à Pékin où il s'était réfugié.

Je pense aussi, mais cette information exigerait une confirmation difficile à obtenir, que le vieux général Giap, le vainqueur de Dien Bien Phu, n'était pas d'accord avec les directives lancées depuis Moscou en direction de Hanoï. Il parait qu'il s'opposa vainement à l'invasion du Kampuchea démocratique. Je répète qu'il s'agit là d'une information à vérifier.

Dès qu'ils eurent la majorité au sein du Comité central du Parti des Travailleurs du Vietnam, plusieurs dirigeants en effet, soumis sans réserve aux analyses et aux directives des dirigeants de Moscou s'empressèrent de mettre en application une politique expansionniste visant les États voisins du Vietnam, le Laos et le Cambodge. Je passe sur les détails de ce processus que n'avait et n'aurait jamais soutenu Ho Chi Minh, dirigeant communiste d'envergure internationale qui avait déclaré à plusieurs reprises « Rien n'est plus précieux que l'indépendance et la liberté ! »

Les incidents de frontière se multiplièrent. Des militaires khmers intervinrent sur la frontière avec le Vietnam, et réciproquement. Il convient de prendre en compte, par delà l'antagonisme idéologique très vif entre l'URSS et la Chine, le fait que l'opposition entre Vietnamiens et Khmers était séculaire et préexistait aux stratégies successives de toutes les entreprises de domination du sud-est asiatique. Des pogroms réciproques avaient manifesté en d'autres temps les nationalismes chauvins des uns et des autres. La politique mise en œuvre par les communistes khmers fit preuve d'une rigueur souvent meurtrière vis-à-vis des Vietnamiens vivant au Cambodge quelquefois depuis fort longtemps, depuis plusieurs générations.
Une psychose proche du racisme anima le peuple cambodgien dans son ensemble. La répression généralisée qui fut imposée aux anciens militaires et fonctionnaires ayant servi Lon Nol et collaboré avec les occupants américains fut impitoyable.


Il est avéré qu'en ces circonstances furent commis des excès, et aussi des crimes. Pour reprendre une expression de Mao critiquant Staline, on peut assurer que la répression khmère « élargit la cible » et « confondit souvent l'ami et l'ennemi » . Ainsi de nombreuses familles de Vietnamiens comme des familles entières de Khmers, dont un membre avait soutenu Lon Nol, furent exterminées. Il est évident que les agissements des Vietnamiens provoquèrent pendant une période une véritable paranoïa parmi les dirigeants, les cadres et les combattants khmers.

Le sort des Chinois d'Outre-mer installés souvent depuis des dizaines d'années aussi bien au Vietnam qu'au Cambodge mérite aussi d'être rappelé : ils furent également victimes d'un chauvinisme conduisant jusqu'aux meurtres et au pillage de leurs biens dans les deux pays. En général ceux qui vivent aujourd'hui en France reprochent à la Chine populaire de ne pas les avoir défendus et d'avoir abandonné leurs familles qui furent décimées.

Une première offensive lancée par les Vietnamiens engagea 14 divisions en décembre 1977, que les dirigeants de Hanoï croyaient en mesure d'écraser les troupes khmères à la vitesse d'un éclair. Ils furent repoussés au prix de sanglants combats, mais ne parvinrent pas à s'implanter en territoire cambodgien.

Une nouvelle tentative d'invasion intervint en avril 1978, sans plus de succès.
Pol Pot nous parla de ces agressions perpétrées à la frontière séparant les deux pays, indiquant que les troupes khmères avaient tué trente mille militaires vietnamiens. C'était évidemment avant la troisième invasion, celle déjà évoquée du 1er janvier 1979, qui allait conduire les envahisseurs à occuper les villes, mais sans pouvoir réduire ni complètement ni définitivement les forces des patriotes khmers repliés dans les campagnes, dans les forêts et dans les montagnes.
Le dirigeant khmer qui nous avertit en septembre 1978 de ce qui allait intervenir effectivement trois mois plus tard, nous fournit sa version des motivations des Vietnamiens désireux « d'avaler le Cambodge ». Il y voyait trois raisons : d'abord le désir d'annexion ayant pour but la réalisation de la fameuse « fédération indochinoise », il s'agissait d'une politique d'assimilation du Cambodge qui avait déjà réussi au Laos où ne vivaient que trois millions de citoyens.

Ensuite le calcul des Vietnamiens était d'ordre économique parce que le Cambodge comptant entre sept et huit millions d'habitants en 1979 était beaucoup plus riche que le Vietnam avec une population de 50 millions. Il était de notoriété commune que les terres du Cambodge, si elles étaient bien gérées, pouvaient nourrir jusqu'à cinquante millions d'habitants, c'est-à-dire presque sept fois plus que la population entière du pays.
Enfin les dirigeants vietnamiens cherchaient à surmonter une crise très dure qui s'était étendue à presque tout leur pays, on affirmait même du côté khmer que les populations du sud-Vietnam étaient désormais frappées par une famine provenant des dévastations de la guerre, d'inondations catastrophiques, mais aussi des contradictions apparues entre dirigeants du Nord et anciens dirigeants du Front National de Libération du sud-Vietnam.

Personnellement je pense que l'agression vietnamienne contre le Cambodge convenait parfaitement à la politique hégémoniste de l'Union soviétique. Le social-impérialisme des dirigeants de Moscou entendait prendre le contrôle de l'Asie du Sud-est pour tenter de s'assurer un passage jusque vers le détroit de Malacca, et s'opposer en Asie à la Chine populaire. Cette dernière le gênait énormément dans ses entreprises de superpuissance dans le Tiers-monde. Nous verrons dans quelques pages qu'il n'allait pas hésiter à se lancer dans une opération d'agression militaire véritablement folle en faisant occuper l'Afghanistan par ses armées qui n'avaient plus rien à voir au plan idéologique avec l'ancienne armée rouge victorieuse du nazisme en Europe.
Par ailleurs n'avait-il pas contraint le Vietnam à s'engager dans le fameux Comecon, organisme assurant la convergence de toutes les richesses économiques des pays le composant au profit exclusif de l'URSS.

Après les échecs des agressions vietnamiennes contre le Kampuchea démocratique en 1977 et 1978, un formidable pont aérien et des transports maritimes avaient amené au Vietnam, en août et septembre 1978, une énorme quantité d'armements modernes. Le port vietnamien de Camranh, qui avait été une base américaine, était devenu une base soviétique pour les besoins du trafic maritime militaire effectué depuis Vladivostok.

En ce qui concerne le nombre des gens exécutés par les nationalistes khmers durant les années 1975 à 1978, des chiffres allant de un à trois millions ont été lancés par les médias occidentaux et américains. Les auteurs et les journalistes dont certains ne se sont jamais rendus sur place ont fait dire à des réfugiés khmers ce qu'ils désiraient entendre.
Certains de ces réfugiés, et je souligne nullement tous, n'étaient autres que d'anciens militaires ou fonctionnaires du gouvernement de Lon Nol et des collaborateurs des Américains. Ces derniers étaient d'emblée les plus actifs, les plus engagés.
Un exemple concret suffit pour démasquer les falsifications de ces gens. L'universitaire américain Ben Kiernan fournit des centaines de témoignages. Mais, comme cet historien désire paraître impartial, et c'est très bien, il indique assez systématiquement l'origine exacte de ses sources de renseignements. Dans nombre de cas, il s'agit des déclarations de Khmers anticommunistes qui ont soutenu la destitution de Norodom Sihanouk par la CIA et les officiers supérieurs khmers corrompus et traîtres à son service.
Ensuite l'éminent « spécialiste » du Cambodge présente un raisonnement mathématique par analogie assez stupéfiant. Il entend partir des résultats démographiques d'avant 1975 et d'après 1978 pour démontrer, grâce à de savants calculs et compte tenu de la moyenne des natalités, que le nombre des victimes des communistes khmers a été de l'ordre d'un million sept cent mille.

Les auteurs français dont j'ai déjà parlé avaient lancé sans sourciller le nombre de deux millions.
Quant aux communistes de notre pays, j'entends les dirigeants du Parti suivant Moscou, ils n'ont pas hésité une seconde pour reprendre la même affirmation.

Enfin les organismes de propagande soviéto-vietnamiens n'hésitèrent pas plusieurs fois à parler de trois millions de victimes. Par contre, l'universitaire australien David P Chandler dans son ouvrage de biographie « Pol Pot Frère Numéro Un » se montre plus modéré bien qu'hostile aux Khmers rouges en parlant de huit cent mille à un million.

Toutes ces affirmations sont gratuites, tendancieuses et excessives. Leur diffusion contribue, volontairement ou non, à laver les impérialistes américains et les sociaux-impérialistes soviétiques de leurs responsabilités criminelles contre l'humanité.
À cet égard, il me semble important de signaler que le linguiste de réputation mondiale Noam Chomsky, dans un texte du 10 janvier 1982 concernant l'intelligentsia française, paru dans IRL n° 46-VII-82, indique explicitement que le nombre de deux millions de victimes lancé par Lacouture et devenu « presque un dogme « ne fut qu'une invention fondée sur une mauvaise lecture de Ponchaud » .
Il précise : « Lacouture se corrigea là-dessus et sur d'autres points dans le New York Review, mais jamais en France, où son article était d'abord sorti parce qu'il pensait, à juste titre, qu'à Paris peu de gens s'occuperaient de savoir si ce qu'il avait dit était vrai ou faux. »

En ce qui concerne l'agression vietnamienne soutenue par les Soviétiques qui provoqua des hécatombes de tués, militaires et civils khmers, je ne connais pas de nombre avancé à son sujet par qui que ce soit. On préfère occulter une réalité meurtrière qui se déchaîna pendant dix années consécutives sur la terre même du Cambodge. Aussi je me garderais bien d'avancer moi-même un chiffre, car je ne ferai ainsi que reproduire en sens inverse le subjectivisme ou la méthode de falsification des accusateurs des patriotes khmers, justement cette malhonnêteté que j'entends dénoncer.

Puisque je parle de mensonges, voici tout simplement l'exemple de l'un d'entre eux proféré par un vieux communiste défenseur des agissements vietnamiens. Dans son numéro 172 d'octobre 1978, le périodique « Afrique-Asie » publia un article de l'écrivain australien Wilfred Burchet sur le Kampuchea.
Cet auteur dressa une liste de douze noms de militants khmers connus qui, selon ses dires, auraient été exécutés par le nouveau régime, « à la hache ou même plus simplement en écrasant les têtes des victimes avec des houes, des bêches ou des gourdins, comme l'ont rapporté d'innombrables témoins directs » .
Parmi ces malheureuses victimes figurait le nom de l'ancien chef de mission du Grunk à Paris, Ok Sakun. Or, lors de notre séjour au Kampuchea démocratique, Ok Sakun en personne nous avait accueillis et pilotés dans toutes nos visites.
Je fis publier dans L’Humanité-rouge n° 42 du 15 novembre 1978 une photographie où je figurais aux côtés d'Ok Sakun dans l'un des jardins de la pagode d'argent à Pnom Penh. Le propagateur de fausses nouvelles Wilfred Burchet était pris en flagrant délit de mensonge.

Pour montrer le souci que j'attache à réunir le maximum de détails historiques, j'estime utile de rapporter des propos d'époque ou plus récents tenus par les dirigeants khmers patriotes eux-mêmes.
Au mois de mai ou début juin 1979, Ieng Sary, alors vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères du gouvernement cambodgien accorda une interview au correspondant à Colombo du quotidien français Le Monde.
Il indiqua clairement ce qui suit : « Nous reconnaissons les excès. Ils ne viennent pas de la direction. Ce sont des excès dus à la base et au noyautage vietnamien. Nous ne rejetons pas nos responsabilités dans les tueries, mais notre part est minime. C'est vrai, notre révolution est radicale, mais nous avons pesé le pour et le contre, pour les transferts de population, pour la suppression de la monnaie, etc. La nécessité en 1975 était de stabiliser le pays. Nous prévoyions déjà la guerre avec le Vietnam. Les Vietnamiens se servent de cette propagande pour cacher leurs propres crimes chez eux et chez nous. »

Encore un autre élément d'appréciation se trouve dans Le Monde du 23 octobre 1998. Sous le titre « Pol Pot : " Est-ce que j'ai une tête de sauvage ? " » suivi du sous-titre « Le leader khmer rouge minimise le génocide cambodgien » , les propos suivants lui sont attribués : « Les Vietnamiens voulaient m'assassiner, car ils savaient que, sans moi, ils pourraient facilement avaler le Cambodge » .
Un peu plus loin, le quotidien du soir précise que « pour Pol Pot, le centre de torture de Tuol sleng ne fut qu'une invention vietnamienne » et souligne ensuite qu’interviewé par Nate Tayer, journaliste du périodique Review, Ta Mok répondit : « Pol Pot a, bien entendu, commis des crimes contre l'humanité. Je ne suis pas d'accord avec le chiffre américain faisant état de millions de morts, mais des centaines de milliers, oui » .
Par ailleurs, interrogé par le même journaliste sur des massacres d'enfants, Pol Pot indique qu'il n'a pas ordonné d'exécutions de bébé, d'enfants et qu'il est désolé de ce qui s'est passé. Il a déclaré lui aussi que «dire que des millions sont morts est exagéré ».
Cette attitude provoque l'indignation d'une quantité d'honnêtes humanistes, mais on peut mieux la comprendre quand on a lu l'ouvrage de David P Chandler qui n'innocente d'ailleurs pas du tout le dirigeant khmer, mais en traite d'une façon plus proche des réalités concrètes de son existence propre et de l'Histoire. Il souligne en particulier que le dirigeant khmer bénéficia d'un charisme réel et d'une grande popularité auprès de son peuple.
Il établit la responsabilité de Pol Pot, mais ne parle pas de culpabilité. Il indique « Une partie de ces décès est due à la malnutrition, au surmenage, à des maladies mal diagnostiquées et mal soignées. Beaucoup peuvent être attribués aux " campagnes éclairs " ordonnées par le régime, au pouvoir donné à des jeunes paysans illettrés dont les excès restaient impunis, et au fait que les dirigeants du pays avaient l'obsession du complot et de la trahison. »

Le lecteur comprend certainement la difficulté de mon travail. J'essaye de trouver la vérité historique, de fixer les responsabilités des uns et des autres, mais il s'agit d'une période du XXe siècle alimentée d'événements extrêmement complexes. Aussi je ne vais pas développer ce qui s'est passé du 1er janvier 1979 jusqu'au moment où les occupants vietnamo-soviétiques ont dû se retirer du Cambodge, le 27 octobre 1991.

Que très rapidement les dirigeants survivant dans des zones encore libres aient modifié leur objectif stratégique en remplaçant l'objectif d'édification du socialisme par celui de recouvrer l'indépendance nationale ne me surprend nullement. Ils passèrent alors diverses alliances, en particulier celle de 1981 avec Norodom Sihanouk. Ils reçurent un soutien logistique civil et militaire important des Chinois. Ils organisèrent et participèrent à des conférences internationales comme celle de Stockholm. Ils maintinrent leur représentation étatique et diplomatique à l'Organisation des Nations Unies et leur gouvernement de coalition s'établit en Malaisie le 22 juin 1982.

Après octobre 1991, ils restèrent des nationalistes persévérants quand leur pays fut administré par des organismes étrangers sous les auspices de l'O.N.U. Ils refusèrent de participer à des élections sous contrôle de cette dernière institution.
En juillet 1994, ils furent déclarés « hors la loi ». Puis des divergences d'ordre tactique commencèrent à diviser les principaux dirigeants. L'ancien vice-premier Ministre Ieng Sary estima en août 1996 qu'il convenait désormais de rentrer dans la légalité et reconnut le régime de Pnom Penh, entraînant avec lui quatre mille combattants. Processus qui allait se développer ultérieurement, et après la mort de Pol Pot, avec les ralliements de Khieu Samphan, Nun Cheah et plusieurs autres.

Les excès et crimes intervenus sous responsabilité de Pol Pot et des Khmers rouges, qui furent avant tout des nationalistes agissant dans des conditions de fièvre obsidionale, ne doivent absolument pas favoriser l'occultation des crimes de guerre commis par les Américains et leurs complices.

Le tribunal de l'Histoire ne peut admettre que l'on ne prenne en considération qu'une courte période de trois années, celle du Kampuchea démocratique, sans traiter correctement celle de l'agression américaine et de ses complices khmers, traîtres à leur peuple. Sans condamner également l'invasion d'un petit pays de sept à huit millions d'habitants, déjà ruiné par une guerre d'agression antérieure, par un autre pays fort de cinquante millions d'habitants, qui se maintint sur place, en dépit des condamnations de l'ONU et du Conseil de sécurité, pendant plus de dix ans.

On ne peut accepter la fausse justice internationale que tente d'étendre à la planète entière la superpuissance des Etats-Unis. Quand l'Irak envahit le Koweit, territoire artificiellement édifié par des compagnies pétrolières occidentales, une intervention criminelle est rapidement organisée et des bombardements meurtriers sont déchaînés sur les populations civiles et militaires irakiennes par les puissances occidentales. Même situation dans nombre d'autres cas, notamment pour le démembrement de l'ex-Yougoslavie. Sans parler évidemment du soutien actif apporté aux dirigeants de l'Etat d'Israël pour empêcher les Palestiniens de retrouver leurs droits nationaux, ou encore à la Turquie qui procède régulièrement à des agressions militaires contre les Kurdes.

Conclusion


Pour conclure sur cette question qui mobilisa une grande partie de mes activités au cours des années considérées, aux côtés de mes camarades du Parti communiste marxiste-léniniste, j'estime utile d'avancer quelques chiffres concernant les victimes khmères de l'ensemble de cette période : de 1970 à 1975, l'agression américaine coûta un nombre élevé de morts au peuple du Cambodge. Entre six cent mille et huit cent mille pour m'en tenir à une fourchette assez large réaffirmée dans plusieurs éditions du quotidien Le Monde.
L'invasion soviéto-vietnamienne coûta un peu plus tard au même peuple plusieurs centaines de milliers de victimes. Je ne me permets pas de fixer un chiffre, même une fourchette, parce que je ne dispose pas d'éléments d'information suffisants.

Enfin, je conteste catégoriquement le chiffre de deux millions de victimes des dirigeants du Kampuchea démocratique. Je pense qu'il convient d'établir une fourchette entre quatre cent mille et six cent mille morts, mais si je déplore et condamne les excès et crimes de cette période j'en rends avant tout responsables les agresseurs américains puis les agresseurs soviéto-vietnamiens.

Et je souligne que nombre de ces victimes, nullement toutes certes, étaient des gens qui par le passé et dans le présent avaient trahi ou trahissaient leur peuple et leur patrie. Naturellement je n'entends pas excuser les jacqueries qui provoquèrent des exodes plus que tragiques et élargirent la cible à des enfants et des femmes, à des familles innocentes. Au demeurant tous les dirigeants khmers patriotes, baptisés Khmers rouges par Norodom Sihanouk le premier, condamnent verbalement ces excès meurtriers et s'en déclarent « désolés ».

Mais il va de soi qu'en leur qualité de dirigeants, de gouvernants et de chefs militaires et politiques, leur responsabilité personnelle est incontournable, de même qu'est indispensable de leur accorder la possibilité de se défendre contre les accusations portées à leur encontre plus par les porte-parole des pays capitalistes que par les autorités cambodgiennes qui gouvernent actuellement leur propre pays.

Au cours des événements concernant le Cambodge qui se produisirent à partir de 1970, les premiers coupables, au moins chronologiquement, ne furent autres que les gouvernants et chefs d'Etat des Etats-Unis d'Amérique et de l'Union soviétique. La culpabilité des dirigeants communistes du peuple khmer, si grave et condamnable soit-elle, ne revêtit au regard de l'histoire qu'un caractère second parce qu'elle fut provoquée par les agressions préalables et successives des deux superpuissances impérialistes.


Edité le 30-10-2013 à 14:04:50 par Xuan


Xuan
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La lutte contre la propagande sur le Kampuchea en France, préparation idéologique de l'agression vietnamienne


Depuis des années, je n'avais cessé de militer pour soutenir les luttes des peuples du Tiers-monde contre leurs oppresseurs. D'abord contre la sale guerre menée par la France colonialiste qui tentait de résister au combat révolutionnaire du Viet minh dirigé par Ho Chi Minh. Jusqu'à la Conférence de Genève qui avait consacré la victoire des patriotes du Vietnam du Nord. Ensuite contre les «opérations de police« déclenchées en Algérie contre les patriotes regroupés dans le Front de Libération nationale, le FLN. Jusqu'aux accords d'Evian qui avaient consacré la victoire du peuple algérien. Ensuite contre l'agression américaine déchaînée contre les patriotes se réclamant du Front National de Libération du Sud-Vietnam. Jusqu'aux accords de Paris, consacrant la victoire des patriotes sud-Vietnamiens.
Simultanément avec cette dernière guerre, j'avais eu à soutenir aussi les patriotes khmers après le coup d'Etat fomenté par les sept traitres, téléguidés par les services spéciaux américains et la CIA pour renverser le prince Norodom Sihanouk.

Mon voyage au Kampuchea démocratique, en septembre 1978, et ma rencontre avec les plus hauts dirigeants du Parti communiste du Kampuchea comme, quelques années plus tôt, ma première rencontre avec le chef d'Etat renversé du royaume du Cambodge, se situaient donc dans le cadre et la continuité de mes activités sous le signe de mon adhésion à une idéologie anticolonialiste et anti-impérialiste.

Dés le retour de notre délégation du PCMLF, la bataille politique que nous menions depuis des mois en faveur des patriotes khmers s'exacerba. D'un côté nous nous répandîmes en reportages concernant le Kampuchea démocratique puis sa résistance à l'invasion armée vietnamienne. D'un autre côté de nombreux personnages se mirent à attaquer avec frénésie et passion les patriotes qu'ils ne désignèrent plus que sous le terme de « khmers rouges » .
Il y a maintenant vingt ans que se produisirent ces événements. Voici ce que j'écrivis alors dans mon agenda quotidien :

« Le mercredi 4 octobre 1978, rentrant d'un séjour de plus d'un mois en Chine et au Cambodge, Alain Castan et moi-même avons hâte d'atterrir à Marseille, notre commun berceau d'origine. Malgré la fatigue du voyage, une fois installés dans une caravelle d'Air-Inter, nous commençons à prendre connaissance des informations publiées par la presse française. Il est d'autant plus nécessaire que nous nous mettions au courant, qu'à Roissy nos camarades nous ont fait part du désir de nous interviewer exprimé par différents organismes, en premier lieu par France-Inter, au sujet de la situation dans le sud-est asiatique. Ne sommes-nous pas en effet les premiers Français à avoir séjourné au Kampuchea depuis la victoire de l'armée révolutionnaire de libération nationale de ce pays, qui a redonné l'indépendance à son peuple le 17 avril 1975 ?

Nous subissons alors le premier choc, brutal, des nouvelles telles qu'elles sont diffusées en France. Sur notre demande, une hôtesse nous prête pour la courte durée du voyage, quelques revues, qui s'ajoutent aux quotidiens distribués gratuitement à l'entrée de l'appareil, Le Monde, L'Humanité, Le Figaro . En une heure, nous n'aurons pas le temps de tout lire. Mais d'emblée nous recevons non sans indignation un véritable coup de matraque journalistique qui nous replonge brutalement dans les réalités de notre société, quand nous lisons le «document de la semaine » publié par l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur dans son édition du 2 au 8 octobre 1978.
Cet article à rallonges a pour titre « Cambodge : la révolution suicidée » . Pour nous c'est ahurissant. Nous revenons du Kampuchea où nous avons été les témoins, certes privilégiés et guidés, d'une révolution en plein développement. Et nous sommes d'autant plus choqués que son rédacteur est un homme pour lequel depuis longtemps nous avons une certaine considération, un journaliste grand-reporter et auteur qui a soutenu par le passé les justes causes anti-impérialistes de peuples du Tiers-monde, Jean Lacouture.
Que se passe-t-il donc dans notre pays ? A quoi correspond donc cette campagne hostile au Kampuchea démocratique, qui n'avait certes pas atteint, avant notre départ, les sommets auxquels parvient l'article du Nouvel Obs ?

Nous sommes dépositaires d'un nombre important d'informations qui ne parviennent pas à franchir ici l'épais rideau d'une censure non officielle, mais non moins réelle. Presse, radios et chaines de télévision dressent un mur infranchissable entre les réalités de l'Asie et notre peuple. Quelles nouvelles luttes n'allons-nous pas devoir soutenir pour combattre les contre-vérités diffusées par les hommes politiques de la majorité comme de l'opposition, de droite comme de gauche !

Le périodique qui présente comme document de la semaine l'article de Lacouture est classé « à gauche » . Il se trouve que sa couverture et plusieurs de ses pages sont consacrées aux jeux subtils des dirigeants socialistes, qui seraient « divisés » et « au pied du mur » .
A nos yeux ce n'est pas un sujet intéressant, c'est même une lecture plutôt attristante.
Aussi nos esprits restent-ils tournés vers ce que nous venons de découvrir de nos propres yeux, à douze mille kilomètres de la France, au Kampuchea : les traces encore béantes de l'agression impérialiste indissociable des crimes américains d'une part, l'immense chantier de reconstruction, et l'édification d'une société nouvelle voulue par le peuple khmer obligé de faire face aux agressions vietnamiennes. Après l'impérialisme américain, c'est au tour du social-impérialisme soviétique d'essayer de soumettre le Cambodge. Comme la prose de Jean Lacouture est éloignée des réalités !

Le jeudi 5 octobre 1978 je téléphone au journaliste de France-inter, Yves Paul Vincent et prend rendez-vous avec lui pour le lundi suivant à 10 heures.
Mes camarades parisiens contactés aussi par téléphone font état de possibilités nombreuses de sortir de l'anonymat où les médias nous ont refoulés depuis des années. Aussi décidons-nous de regagner Paris dés le Samedi 7 octobre, après avoir été interviewés la veille par le journaliste du Provençal, Jean-Michel Gardanne. Son article parait sous le titre « Des marseillais au Cambodge racontent » .

Le Lundi suivant, Yves-Paul Vincent fit son métier avec politesse et sérieux, au moins en apparence, peut être aussi avec hypocrisie. Il m'avait procuré l'ouvrage de Jean Lacouture par l'intermédiaire de son éditeur « Le seuil » . Je l'avais lu en entier et j'avais annoté nombre de passages de mes remarques critiques.
Les questions posées par l'homme de radio durèrent environ une heure, il m'avait averti qu'il allait se faire « l'avocat du diable » , mais j'eus vite compris qu'il ne reflétait que les idées déjà répandues dans notre société. J'acceptai de répondre aux plus insidieuses interrogations. Ce que je venais de voir au Kampuchea me procurait une assurance qui n'avait rien de commun avec de la vanité. Je connaissais le sujet et je n'eus aucune difficulté à fournir toutes les précisions et explications nécessaires.
L'ouvrage de Lacouture était rapidement passé au second plan. Mais au cours de l'interview, pendant une courte pause, je m'aperçus qu'un homme était présent dans une pièce voisine en train d'écouter mes paroles. Ce que je disais certes n'avait rien de secret puisque par les ondes je m'adressai justement à un très large public. Yves Paul Vincent me présenta cet auditeur rapproché. Il s'agissait de François Ponchaud, père dominicain et khmérologue.
Or j'avais écouté, avant notre voyage en Asie, une prestation de ce personnage présenté comme l'un des plus grands spécialistes du Cambodge. J'avais considéré ses propos comme relevant du vieux colonialisme de papa. Aussi d'emblée je lui déclarai que je n'avais pas du tout les mêmes idées que lui. Il esquiva mon attaque en n'y répondant pas et m'indiqua par contre être très intéressé par tout ce que je venais de relater. L'émission reprit son cours et Ponchaud resta sur place pour l'écouter jusqu'au bout. Ensuite il exprima le désir de s'entretenir avec moi. Je lui dis que je ne disposais pas de beaucoup de temps. Mais il se lança dans un discours sur la « nature » des Khmers.

En lisant par la suite son plus récent ouvrage sur le Kampuchea je découvris que cet ecclésiastique exprimait des points de vue peu conciliables avec l'humanisme chrétien et l'universalité d'amour dont se prévalaient avec sincérité d'autres catholiques. Je pensais à mon vieil ami Jean Cardonnel, lui aussi père dominicain dont les opinions étaient aux antipodes de celles de Ponchaud. En mon for intérieur je trouvais que cet homme avait eu beaucoup de culot et qu'en définitive son attitude envers moi, curiosité ou tentative de récupération, ne constituait pas en soi une démarche correcte.
Je crois me souvenir que mes camarades ou moi-même accordâmes vers la même époque des interviews au Monde et à Libération, mais je n'ai pas conservé ces documents.

Il me restait deux jours pour préparer de façon sérieuse un face à face qui devait m'opposer à Lacouture de nouveau sur les antennes de France-inter. Je dressai des fiches thématiques concernant les différents problèmes abordés dans son livre «Survive le peuple cambodgien ! » .
Cet homme prétendu « de gauche » venait de lancer des accusations sans fondement sérieux contre mes camarades du Parti communiste du Kampuchea. Je me demandai pour quelle force politique organisée il roulait et j'inclinai à supposer que ce pouvait être pour les révisionnistes français et soviétiques, mais je n'en étais nullement assuré. Sans doute ne roulait-il que pour lui-même.

Le 11 octobre donc, accompagné d'Annie Brunel et d'André Druesne, je me rendis dans le studio de la radio qui m'avait invité pour me confronter, en direct, à Lacouture, au cours de l'émission d'informations de la mi-journée. Le journaliste qui présentait les nouvelles était Gilbert Denoyan. Je fus prié de m'asseoir à une table ronde.
Devant moi se dressait un micro comme ceux qui étaient installés devant toutes les autres places. À peine étais-je assis que je vis arriver et se placer en face de moi le prince Michel Poniatowski, qui revenait de Chine, ainsi que le radical-socialiste Robert Fabre. Ces deux hommes, anciens ministres et parlementaires, représentaient, sourires aux lèvres, la droite conservatrice et la gauche réformiste, mais à mes yeux rien ne les opposait vraiment. Ils défendaient, chacun à sa manière, les intérêts de classe de la bourgeoisie capitaliste.
À 13 heures pile, Gilbert Denoyan commença à parler d'autres événements que celui pour lequel je me trouvais là. En présentant le sommaire de l'émission, il omit de mentionner le « face à face » entre Lacouture et moi-même.
Il donna d'abord la parole à Ponia, qui évoqua la mission qu'il avait assurée en Chine en apportant au Président Houa Kouo-feng un message de la part du Président de la République française, Valéry Giscard d'Estaing. Il ne put s'empêcher de lancer une pointe d'anticommunisme en soulignant que si la Chine devenait une puissance moderne, elle constituerait une menace pour l'Europe. Le péril jaune, vieille calomnie teintée de racisme et de xénophobie, était ainsi invoqué d'une manière implicite, peu diplomatique en vérité.

Denoyan enchaîna en me présentant en ma qualité de secrétaire général du Parti communiste marxiste-léniniste « français ». Je croyais naïvement qu'il allait me passer la parole, mais il commença par faire parler Lacouture. Celui ci, un peu fébrile, s'enflamma rapidement pour exposer son point de vue tout en faisant preuve de lyrisme. Enfin, Denoyan me fit signe de répondre.
Je compris que cette émission servait surtout au lancement du livre de mon interlocuteur, aussi je m'attachai immédiatement à en réduire la portée. Je mis en cause l'authenticité des faits qu'il rapportait. Et comme l'auteur avait pris la précaution d'opposer lui-même quelques réserves à ses propres affirmations, je lui fis remarquer qu'à la page 10, il avait écrit : « On ne se départira pas ici d'une nécessaire prudence pour ce qui touche aux chiffres, aux évaluations quantitatives » . Il posait à la page 86 cette pertinente question : « Notre passion polémique est-elle trop subjective ? »
Je fournis alors, très rapidement, des indications précises, mais « l'avocat du diable » Yves-Paul Vincent, lui aussi présent autour de la table, me coupa la parole en opérant une diversion destinée à nous éloigner du brûlant sujet en discussion. Il me demanda ce que je pensais d'une citation d'André Malraux dans laquelle figurait le mot «con». Peut-être ce journaliste croyait-il m'humilier, m'insulter ou démontrer mon inculture. Ce terme était-il dans « La voie royale » ou dans « La condition humaine » , je n'en avais nul souvenir sur le moment mais je profitai de la question pour révéler que toute ma jeunesse avait été alimentée en lectures par les romans d'André Malraux. Je ne lui dis pas ce qui me revint en mémoire par la suite : dans « L'espoir » figure en effet un passage relevant d'une imagination trop intellectuelle, dans lequel les républicains espagnols occupent le rez-de-chaussée d'une maison, tandis que les franquistes sont installés au premier étage. Ou inversement. Ils s'insultent à travers le conduit d'une cheminée et l'un d'eux dit à l'autre « Espèce de con, on va te couper les couilles ! » , à quoi le second répond « Physiologiquement contradictoire » . Mais je n'aurais pas eu le temps de rappeler cet usage du mot « con » par Malraux et cela n'aurait servi qu'à détourner l'émission du sujet qui me tenait à cœur.
Denoyan redonna la parole à Lacouture qui se fit, au moins objectivement, l'avocat des Vietnamiens. Je commençais à y voir plus clair, voulus lui répondre, mais déjà le « face à face » était terminé et mon micro se trouva mystérieusement coupé. Je considérai alors que les dés étaient pipés d'avance et que dorénavant il importerait que je sois plus méfiant vis-à-vis des médias.

A la lecture des quotidiens « de gauche » , je compris que le déclenchement de l'agression vietnamienne contre le Cambodge appuyée par les dirigeants soviétiques se rapprochait rapidement en cette fin d'année 1978. En effet la campagne idéologique contre le Kampuchea et pour le soutien au Vietnam prenait des dimensions de plus en plus cyniques. L'Humanité, Libération, Rouge publiaient chaque jour des articles destinés à accélérer le lavage de cerveaux des travailleurs de France. Cette propagande visait à construire une opinion publique irréversible, qui soutiendrait bientôt l'offensive déclenchée contre le peuple khmer. Je considérai que lorsque l'agression vietnamo-soviétique serait déclenchée, bien des honnêtes gens qui s'étaient indignés naguère des brutales occupations de la Tchécoslovaquie ou de la Hongrie par les forces soviétiques, seraient neutralisés et prêts à comprendre la « légitimité » d'une intervention présentée comme ayant pour but de « libérer le malheureux peuple du Kampuchea des dirigeants monstrueux qui l'opprimaient » .

Je désirais riposter aux accusations lancées dans « Survive le peuple cambodgien » . Pour moi le style de cet ouvrage, les mots et expressions utilisés, trahissaient d'emblée son fond, l'objectif réel poursuivi par son auteur. Certains lecteurs n'en retenaient peut-être qu'une forte tendance au lyrisme sans y déceler la violence dissimulée. Le vocabulaire employé par Lacouture témoignait pourtant d'une volonté passionnée, d'une attaque tous azimuts, de sentiments exacerbés. Il constituait le support d'une série assez variée d'injures et de mensonges. Voyons un peu.

Voici un relevé sommaire de formules qui portaient témoignage d'une haine délibérément débridée. À la page 12, avant de se présenter en héraut du socialisme (lequel ?), Lacouture lançait contre Pol Pot, Ieng Sary et «leurs exécuteurs» le qualificatif de « gribouilles sanglants » , puis il les réunissait dans un « quarteron de copistes imbéciles qui, sans rien comprendre aux concepts de classe et de lutte des classes, caricaturaient à l'infini les audacieuses interprétations imposées au marxisme par les soins scrupuleux des disciples de Mao » .
Plus loin, ne craignant pas de se contredire après avoir étalé nombre d'appréciations à leur sujet montrant qu'il ne connaissait nullement les khmers, l'auteur évoquait « ces mystérieux personnages qui avaient déclenché et qui approfondissaient de jour en jour la révolution la plus radicale de l'histoire » , personnages si mystérieux que « personne n'était capable d'affirmer si l'un ou l'autre était encore en vie. » (p. 42).
Puis il reprenait le terme de « copistes » en lui accolant une caractéristique nouvelle : ils avaient « le front bas » (p. 93).
Ensuite ces gens devenaient « des loups surgis de la forêt » « ils se sentaient terriblement isolés » (p. 100) et naturellement c'étaient des « sauvages » (p. 102). Ce qui rendait évident le fait « qu'entrant dans la ville (de Phnom Penh ) au matin du 17 avril 1975, les guérilleros vêtus de noir, la mitraillette au poing, étaient à coup sûr animés de sentiments plus analogues à ceux qui inspiraient les Barbares devant le Colisée que Lénine devant le Palais d'Hiver » (p. 101).
En fait il s'agissait d'une « jacquerie permanente conduite par des professeurs bornés » (p. 105).
Tous ces traits de caractère expliquaient « le gros rire de M. Pol Pot » , présenté comme un tortionnaire (p. 132).
Bref le peuple du Kampuchea était « soumis à une manière d'esclavage antique par un groupe d'idéologues délirants » (p. 139), qui étaient « des aventuriers avides de vengeance et préoccupés seulement de briser les obstacles à l'instauration d'un pouvoir absolu » . Ce pouvoir dominait « un peuple embrigadé piétinant la rizière » constituant « ces foules au regard vide » .

La bataille la plus importante que j'eus à livrer se déroula le mardi 5 décembre 1978 à partir de 18 heures au forum de la FNAC-Montparnasse. Ce grand magasin culturel avait convoqué un débat ayant pour sujet « Le Cambodge aujourd'hui » .
Il m'avait invité, en même temps que Jean Lacouture, le Père Ponchaud, François Debré, journaliste, et Jean-Claude Fontan, responsable d'une quelconque association d'amitié avec je ne sais quel Cambodge. L'animateur de la FNAC était Luc Bernard qui fut peu impartial, mais assez vite débordé par la discussion. L'auditoire était nombreux dans une salle qui n'était pas assez grande pour recevoir l'intégralité du public désireux d'entendre les arguments échangés. Évidemment, et ce n'était pas l'effet du hasard, j'étais en minorité à la tribune, seul contre trois. Mais un nombre appréciable de mes camarades étaient venus, ainsi que de nombreux patriotes khmers. Après tout n'étaient-ils pas les premiers intéressés au sort de leur pays ?
Le débat prit feu immédiatement. Les personnages qui m'étaient opposés savaient déjà quels étaient mes principaux arguments et bien entendu s'étaient préparés à les affronter. Je dus faire preuve de pugnacité, sans pour autant me laisser aller à un comportement extrême qui n'aurait pas servi les informations que je mettais en avant.
Lacouture fut chahuté par la salle, mais certainement pas autant que le Père Ponchaud dont la personnalité passait mal. Certes il n'y avait pas que des amis du Kampuchea démocratique, nombreux aussi étaient venus des humanistes passionnés, lecteurs de ces deux auteurs, persuadés que Pol Pot avait déjà assassiné deux millions de ses compatriotes.
Ce chiffre énorme avait été lancé, me dit-on, par le Père Ponchaud dans un de ses livres. Lacouture l'avait évidemment repris. Etaient également présents des Khmers qui avaient soutenus Lon Nol, la CIA et les occupants américains de leur pays.
Tous évoquaient le « génocide cambodgien » , seulement comparable à leur avis au génocide des Juifs par les Nazis.
Je pense que pendant un moment l'échange me plaça à égalité avec mes adversaires, exactement comme dans un match de boxe équilibré où le résultat se compte aux points, round après round. Mais le Père Ponchaud avança des propos qui provoquèrent l'éruption de la colère d'une partie de l'auditoire. À ce moment le Président du Comité des Patriotes du Kampuchea démocratique en France, Nghet Chopinintto, demanda la parole. Les éléments colonialistes et racistes s'enflammèrent à leur tour. Un chaos insurmontable submergea l'assistance.

Un incident particulier mérite d'être rapporté.
Vers la fin de mon intervention, je déclarai : « Au sujet des réfugiés, je voudrais dire qu'il y a une organisation dont je ne partage pas toujours les conclusions et que le gouvernement cambodgien vient de condamner pour l'inexactitude de ses assertions. Il s'agit d'« Amnesty International » que je prends néanmoins à témoin. Cette dernière a publié un rapport que j'ai ici. Le voici. Dans ce rapport, sur la base d'indications fournies par des réfugiés cambodgiens... je vous prie de compter le nombre de victimes annoncé. Amnesty International décompte 15 exécutions capitales de gens qui ne passent d'ailleurs pas pour avoir été des patriotes. Et à un certain passage, à la fin, je ne peux pas trier dans mes papiers pour vous en donner lecture, il y a un passage dont l'esprit est le suivant « En vérité, les témoignages des réfugiés sont rendus naturellement excessifs, exagérés et l'on voit les... (interruption hurlante d'une partie de la salle)... Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Amnesty International, je l'ai ici. Bien. Je viens de retrouver cette phrase, je peux vous la lire si vous y tenez. »
Un long flottement suivit, hurlements à l'appui, et des affrontements physiques entre Khmers notamment étaient sur le point de se produire, si bien que l'animateur du forum de la FNAC leva la séance dans un brouhaha général.

Fin décembre 1978 et le 1er janvier 1979, à 1 heure du matin, confirmant les prévisions de nos hôtes khmers , que nous n'avions cessé de populariser depuis notre retour en France, l'armée vietnamienne pénétrait au Kampuchea démocratique et lançait une agression d'une ampleur jusque-là inégalée. Encadrées par des « conseillers » soviétiques, 15 divisions fortes de cent cinquante mille hommes violaient la frontière, disposant d'une énorme quantité d'armes modernes, engageant l'aviation, les blindés, et de nombreuses unités d'infanterie spécialisées.
Xuan
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voyage au Cambodge libéré



Région autonome du Sinkiang-Ouïgour

Mon dixième voyage en Chine commença le 31 août 1978. La délégation que je conduisais était composée d'Alain Castan, Camille Granot et Annie Brunel.
Dès le surlendemain, nous partîmes effectuer une visite dans la région autonome du Sinkiang-Ouïgour.

Nous avions pour interprètes Wang Lin jin, le plus âgé, surnommé "Wang l'ancien" et Wang Jin sheng qui était, de par son âge, "Wang le moyen" .
Je ne sais plus où nous atterrîmes, mais je me souviens très bien qu'ensuite nous dûmes parcourir en automobile une assez longue distance en longeant ou même en traversant un immense désert. S'agissait-il du désert de Gobi ? Toujours est-il que le sable et les pierres s'étendaient jusqu'à l'infini. J'avais une impression d'isolement absolu. Seuls, rarement, quelques chameaux apparaissaient non loin de notre passage, mais je ne parvenais pas à distinguer un seul être humain. La température était assez élevée, mais ne pénétrait pas à l'intérieur de la voiture dans laquelle fonctionnait un système de climatisation agréable. J'étais avec un accompagnateur interprète, tandis que mes camarades voyageaient ensemble dans le même véhicule. De ce fait, le trajet me parut vraiment long et plutôt exténuant. Les voitures en Chine à cette époque, presque toutes officielles, roulaient lentement ne dépassant jamais des vitesses réglementées. Comme les trains. Cette différence avec la rapidité de nos moyens de communication ne me convenait pas, mais je n'y pouvais rien.
Nous finîmes par arriver à Ouroumtchi, la capitale de la région autonome, où les dirigeants locaux nous accueillirent avec amabilité. Je remarquai de suite que plusieurs d'entre eux avaient des visages de type différent de nos amis hans. Il y avait aussi parmi ces responsables des chinois authentiques. Le premier secrétaire du Comité du Parti du Sinkiang était un chinois membre du Comité central du PCC nommé Wang Feng. Il était assisté d'un dirigeant ouïgour nommé Smaï Amati.
Ce phénomène de mélange des autochtones et de populations venues d'ailleurs me rappela ce que j'avais déjà constaté plusieurs années auparavant, à Bakou, en République socialiste soviétique d'Azerbaïdjan, où des Russes co-dirigeaient avec les Azéris. Les communistes chinois envoyaient des militants d'autres provinces pour aider les communistes ouïgours. Les organismes occidentaux de propagande anticommuniste donnent de telles réalités des versions tendancieuses.

Après le banquet traditionnel, nous pûmes enfin prendre du repos. J'étais réellement fatigué. Mais le lendemain nous repartions en voiture pour Touloufan, ville située en-dessous du niveau de la mer. Là nous pûmes admirer des cultures de vignes en treilles qui formaient un long tunnel de verdure. Les grappes de raisin pendaient au-dessus de nos têtes. Nous fûmes reçus dans une famille. Chaque homme, du grand père aux petits fils, portait une coiffe musulmane. Le plus âgé arborait une longue barbe blanche, il m'assura que dans sa jeunesse il avait terriblement souffert de conditions de vie proches de l'esclavage et que c'était le Président Mao qui l'avait délivré avec sa famille du joug ancien des Japonais ou des Féodaux.
Il remerciait Allah des bienfaits de Mao. Je fis sauter sur mes genoux les petits-enfants qui n'étaient nullement effarouchés. Mais en vérité mes interprètes chinois n'étaient pas en mesure de traduire ce que disaient ces paysans ouïgours, seul l'un d'entre eux, parlant couramment chinois servait d'interprète. D'où finalement, pour nous, Français, la nécessité d'une double traduction.
Après notre retour à Ouroumtchi nous pûmes visiter le minaret d'une vieille mosquée apparemment désaffectée, mais bien entretenue comme un monument historique. Nous grimpâmes jusqu'en haut par un escalier en colimaçon aux marches élevées. Ce fut assez dur. De l'étroite plate-forme où l'on parvenait, il y avait une vue d'ensemble sur la ville. L'architecture de cet édifice comportait, superposées de bas en haut, sept figures dessinées avec des pierres de formes et d'origines différentes.
Ce monument islamique était en vérité très beau, mais je n'osais pas demander à le photographier.
Nos hôtes m'expliquèrent que ne restaient plus dans la région que de vieilles personnes pour pratiquer le culte de l'Islam. Les autorités les laissaient entièrement libres de tels actes pendant que les jeunes, éduqués dans les écoles non religieuses, ne se livraient plus au culte musulman.
Toutefois, pendant la Révolution culturelle, certains pratiquants avaient été maltraités par des groupes de gardes rouges excités. Fort opportunément les monuments et autres constructions anciennes avaient été placés sous la protection de l'Armée populaire et n'avaient subi aucune détérioration. La rumeur courait que c'était grâce à une intervention personnelle de Chou En lai auprès du Président Mao.

Une journée fut consacrée à une promenade à pieds en montagne jusqu'au « lac du ciel » situé à 2000 mètres d'altitude. Le panorama était merveilleux. Je courus avec mes camarades sur les rochers bordant les rives et nous nous amusâmes à montrer à nos accompagnateurs chinois et ouïgours comment on faisait ricocher sur l'eau des galets plats bien lancés.
Une autre journée fut plus difficile pour moi. Nous visitâmes une cité très ancienne entièrement vide, ne comportant que des ruines, dont on nous expliqua qu'elle se trouvait sur la route de la soie autrefois empruntée par le célèbre explorateur vénitien Marco Polo. Il faisait si chaud que je ne pus écouter convenablement les explications certainement fortes intéressantes d'un guide spécialisé. Je ne me sentais pas bien du tout.
Le soir même j'eus une forte température, une migraine tenace ainsi qu'une crise d'entérite. Mon entourage assura que cette maladie provenait certainement des pastèques que nous avions dévorées, glacées, à belles dents, assis sur de la mousse auprès d'un petit ruisseau, de l'autre côté duquel commençait le désert. Wang l'aîné et d'autres accompagnateurs chinois se trouvaient dans le même état que moi. Alain Castan dissimula la même maladie pour ne pas aller à l'hôpital, mais ne me le révéla que par la suite. Aussi dûmes-nous abréger notre séjour et repartir vers l'aérodrome où nous avions atterri à l'arrivée. Je fus hospitalisé le soir même dans un hôpital militaire de Pékin réservé aux dirigeants et cadres du Parti. Des analyses de mes selles furent effectuées. Après quoi, des comprimés (de cortisone ?) me furent administrés, un interprète demeura nuit et jour à mes côtés, et je crois me souvenir que ce fut ce remarquable jeune homme nommé Wang qui, plus tard, devint élève chinois à l'Ecole nationale d'administration de Paris. Ce devait être pour lui une corvée pas très agréable. Je fus rétabli au bout de trois ou quatre jours et pus rejoindre mes camarades avant que nous ne soyons acheminés sur Petaho, centre de repos peu éloigné de Pékin. Le seul souvenir que je conserve des deux journées passées dans cette ville reste que nous y furent présentées des ombres chinoises. Ce spectacle est aussi fréquent en Indonésie et en Turquie où on le nomme «Karagôz ».

visite au Cambodge

Le soir de notre retour à Pékin, nos hôtes nous demandèrent si nous étions intéressés par une visite au Cambodge.
Unanimement nous répondîmes par l'affirmative. Depuis des mois, en France, nous accordions aux patriotes khmers un soutien politique et moral constant. Le lendemain matin, un vol chinois régulier nous conduisit en cinq heures à Phnom Penh, notre atterrissage s'effectua sur l'aérodrome de Pochentong.
Parmi les hôtes khmers qui nous accueillirent, nous reconnûmes aussitôt Ok Sakun, ancien responsable de la délégation en France du Gouvernement Royal d'Union Nationale du Kampuchea, le GRUNK. Se trouvait là aussi l'ambassadeur de Chine visiblement très heureux de nous voir arriver. Mais nous prîmes immédiatement en voiture la direction de la villa où nous allions habiter. Le fait qu'elle soit gardée militairement ne m'impressionna pas dans la mesure où notre résidence habituelle à Pékin l'était également. Je comprenais cette vigilance et l'approuvais. Toutefois le fait que la quasi-totalité des habitants de cette capitale aient été évacués vers d'autres régions du pays procurait à ses rues et quartiers un aspect vraiment inattendu, disons surréaliste.

Le 9 septembre 1978, en notre honneur, fut offert à Phnom Penh un dîner que présida Ieng Sary, membre du Comité permanent du comité central du Parti communiste du Kampuchea et Ministre des Affaires étrangères. Sauf erreur de mémoire participaient aussi à ce repas une femme, peut-être l'épouse de Ieng Sary, qui ne s'entretint que très peu avec nos déléguées femmes, et vraisemblablement Ok Sakun. Le menu typiquement khmer comporta surtout du poisson que je trouvai succulent.

Ieng Sary prit le premier la parole pour prononcer une allocution qu'il nous lut en français. Il parlait tout à fait correctement notre langue. Je conserve dans mes archives personnelles le texte dactylographié de ses paroles.
Il commença par nous souhaiter la bienvenue et par remercier notre PCMLF des aides et soutiens multiples apportés au peuple du Kampuchea pendant les cinq années où il menait la guerre révolutionnaire de libération nationale contre l'agression « des plus barbares » des impérialistes américains et de leurs valets.
Il mentionna aussi une résolution du PCMLF en date du 10 juillet 1978 constituant pour les Khmers « un puissant encouragement » . Puis il aborda la situation immédiate des luttes soutenues par son peuple sous la direction du Parti communiste du Kampuchea et de Pol Pot.
Il dénonça aussitôt les agressions multiples du Vietnam et de son maître « la grande puissance expansionniste » .
Parmi d'autres, il mentionna la victoire du 6 janvier 1978 remportée sur les « Vietnamiens avaleurs de territoire ».
Il expliqua l'agressivité vietnamo-soviétique par une stratégie de « Fédération indochinoise » visant à avaler le Kampuchea, exterminer sa race et dominer ainsi toute l'Asie du Sud-est.
Il précisa que « la grande puissance expansionniste » envoyait des milliers de conseillers militaires et civils et de grandes quantités d'armes et de matériel de guerre au Vietnam. Une tactique pour ces agresseurs consistait à encercler le Kampuchea par derrière en menant des activités du « chat qui cache ses griffes » .
Ensuite il réaffirma l'inflexible décision du Kampuchea de repousser toutes ces attaques et de leur infliger de lourdes et ignominieuses défaites. Il conclut :

« Camarades et Amis, Au cours de votre séjour dans notre pays, vous connaîtrez mieux les aspirations raisonnables et profondes du peuple du Kampuchea qui sont de vivre en paix dans l'indépendance nationale et dans l'honneur et la dignité nationale... Vous pourrez vous rendre compte que le peuple du Kampuchea nourrit de profonds sentiments d'amitié et d'estime à l'égard du peuple français. Nos deux peuples ont noué entre eux des liens d'amitié depuis de longue date, du temps même de la lutte contre le colonialisme français, leur ennemi commun.
Nous sommes convaincus que votre présente visite contribuera au développement de cette amitié entre nos deux peuples et sera une excellente occasion pour nous d'échanger nos points de vue afin de développer davantage l'amitié révolutionnaire et la compréhension mutuelle entre nos deux partis. »


Puis il porta les toasts de circonstance. Il me revenait de présenter l'allocution de réponse. Je l'avais préparée d'avance, avec le concours de mes camarades. Je remerciai nos hôtes pour leur réception, rappelai leurs victoires sur les impérialistes américains et déclarai ne pas douter de leur inéluctable victoire sur d'autres agresseurs éventuels. J'évoquais aussi le honteux colonialisme français.
Mais je suis convaincu maintenant, plus de vingt ans après, que le plus important de mes propos concernait les relations du Kampuchea démocratique et de la France. En effet celle-ci, en refusant après 1970, toute ouverture de Norodom Sihanouk, avait soutenu la politique des Etats-Unis et avalisé le putsch du fasciste Lon Nol. Voici ce que je déclarai :
« Notre parti est favorable à l'établissement de relations diplomatiques entre le Kampuchea et la France, pays du second monde, dans l'intérêt du Kampuchea démocratique et du peuple français, sur la base de la souveraineté réciproque.
La France, notre pays, doit abandonner toute arrière-pensée de caractère impérialiste ou néo-colonialiste, et respecter sans réserve l'indépendance et la dignité du Kampuchea démocratique. »
Puis je portais à mon tour les toasts de convenance.

Le lendemain, accompagnés de plusieurs de nos hôtes khmers, nous prîmes un train de voyageurs à la gare de Phnom Penh. Les compartiments étaient bondés. Les places n'étaient pas très confortables parce qu'il s'agissait de vieux wagons en bois datant de l'époque du protectorat français, mais nous eûmes tout loisir de nous déplacer. La durée du voyage fut assez longue, bien que ce train roule plus vite que ceux de Chine.
Nos accompagnateurs nous firent savoir qu'en passant par Roméa, Pursat et Battambang, nous nous rendions à Sisophon, dans le nord-ouest du pays, où il y avait eu quelque temps auparavant « des troubles perpétrés par des agents de l'ennemi infiltrés au sein du peuple » .
Tout au long du parcours je pus admirer des paysages différents de ceux qui m'étaient familiers. Pendant un moment j'aperçus la chaîne des Cardamomes. Je vis des villages dont les maisons étaient des constructions de bois ne comportant qu'une seule pièce, des paillotes montées sur pilotis.
Je découvris aussi les ravages et destructions de bâtiments et de forêts, causés par les bombardements d'aviation ou de chars américains. De nombreux arbres avaient été fauchés en plein milieu de leurs troncs et s'élevaient là encore, agonisants, comme de tristes témoignages de la barbarie des agresseurs.
En passant par Battambang, je compris que cette ville était assez importante. Puis, une fois parvenus à Sisophon, dès que nous descendîmes du train, sous protection militaire non rapprochée mais évidente, nous fûmes amenés à remonter dans une caravane de voitures qui prit aussitôt la direction de l'est. Nous bénéficions d'une escorte de soldats en armes. Il me semble que nous roulâmes longtemps jusqu'à Siem Reap. Je somnolais, en dépit de mon vif désir de tout voir sur notre passage. A un carrefour de routes secondaires, nos interprètes nous firent remarquer un char américain demeuré sur place après avoir été incendié par les patriotes, il s'agissait en effet de la carcasse d'un blindé entièrement noircie par le feu.

Je ne me rendis pas compte que nous étions arrivés à Siem Reap quand on me pria de descendre pour entrer dans une maison en dur qui n'était pas élevée sur pilotis. Je fus alors séparé de mes compagnons français qu'on conduisit ailleurs, je ne sais plus où, tandis que je fus reçu dans cette demeure assez confortable. Mais le repas du soir nous fut servi à tous les quatre en compagnie de représentants du Parti communiste du Kampuchea.
Je crois bien que je ne savais plus où je me trouvais. Et ce ne fut qu'au moment de nous séparer pour aller dormir chacun de son côté, que j'appris que le lit immense que l'on m'avait attribué n'était autre que celui du prince Norodom Sihanouk. Il l'utilisait, me fut-il indiqué, lorsque, venant de son palais royal de Phnom Penh, il séjournait dans la région, proche des temples d'Angkor comme du Tonle Sap, le grand lac.
Je dormis à poings fermés, récupérant sans doute une partie de la fatigue accumulée depuis notre « expédition » dans la région autonome du Sinkiang-Ouïgour.

Au petit matin, nos hôtes nous emmenèrent passer la journée dans les temples. Nous étions accompagnés d'interprètes chaleureux et compétents. Pour parvenir à Angkor-Vat, nous traversâmes une épaisse forêt d'arbres très hauts, en tout cas beaucoup plus grands que les plus élevés de nos contrées en France. Le déplacement fut rapide parce que ce site de réputation mondiale n'était qu'à quelques kilomètres de nos résidences.
Cette visite fut pour moi un événement vraiment exceptionnel.

En traversant l'immense bassin entourant les temples sur une voie ressemblant à un viaduc rattachant une île à la terre, j'eus l'impression que plus j'avançais plus les dimensions des édifices devenaient géantes. Je n'aurais jamais imaginé une cité pareille, car l'ensemble constituait bel et bien une véritable ville, certes inhabitée depuis longtemps et devenue un centre de tourisme et de recherches archéologiques.
Ce jour de septembre 1978 où je m'y promenais en compagnie de mes camarades et d'accompagnateurs khmers, il n'y avait pas de visiteurs en dehors de nous. Mais nous aperçûmes plusieurs fois de petites patrouilles de soldats, qui surveillaient les lieux. Notre guide principal nous montra des traces de bombardements américains, ou plus précisément de mitraillages au napalm. Ce produit laissait sur la pierre des nappes d'une matière noire fortement collée, ressemblant à du caoutchouc. Nous en vîmes en particulier près de l'entrée principale.

Je ne peux pas relater dans ses détails une visite d'Angkor au pas de course ou presque. A mon humble avis, une visite sérieuse et complète de ces lieux exceptionnels exige plusieurs journées, voire plusieurs semaines. Je n'en rapporterais donc que ce qui reste en ma mémoire en priant par avance le lecteur d'excuser les erreurs et insuffisances qu'il pourra déceler.
Je fus particulièrement frappé par la beauté des bas-reliefs de la galerie qui compte 215 mètres de long. Ils montrent des scènes correspondant à des événements tumultueux et bellicistes, des scènes de guerre effroyables.
Des combattants sont assis sur des dos d'éléphants, brandissant des lances, ils sont entourés de lions aux allures féroces, ainsi que d'autres animaux sauvages. On peut également distinguer des guerriers en train d'honorer de leurs sexes en pleine érection des femmes accroupies pour les recevoir. Des crocodiles et des poissons se promènent à proximité dans des rivières ondoyantes. II s'agit d'art khmer à l'état pur. Les sujets sont tirés du Ramayana, de la mythologie, des croyances et des superstitions de l'époque. Il y a de nombreux personnages que je ne pouvais absolument pas identifier par suite de ma grande ignorance de ces croyances. On me parla des légendes de Vichnou, de la figure de Krishna, des rois-singes Sugriva et Bâli, des tentations du dieu de l'amour Kâna.
J'admirais les serpents géants sculptés du côté de l'entrée du Hayon, il s'agissait de balustrades à nagas. Ailleurs, de tous côtés, sur d'immenses constructions en grès se dressaient des visages impassibles ou souriants de Bouddha. L'impression de calme et de douceur dégagée de ces statues géantes créait une atmosphère presque irréelle.
Pour accéder à une vaste terrasse supérieure, il fallut grimper par des escaliers abrupts taillés dans une paroi. Une véritable épreuve de varappe. Me cramponnant des mains à une marche supérieure étroite, mes pieds devaient effectuer un enjambement vertical d'au moins 80 centimètres. Derrière mon dos était le vide. De jeunes soldats vinrent nous entourer pour nous secourir en cas de besoin. Alain monta le premier sans difficultés, nos deux camarades femmes se débrouillèrent parfaitement grâce à leur jeunesse, et je réussis à franchir ce trajet plus lentement mais sans accident.
Nous fîmes de nombreuses haltes pour admirer les statues de danseuses, des ipsaras, tailles nature, debout dans des niches, deux mains jointes devant leurs poitrines.
Nous pûmes remarquer que certaines d'entre elles avaient été mutilées, voire décapitées. L'un des guides, un conservateur spécialisé, nous expliqua qu'il s'agissait de dégradations anciennes dues aux visiteurs occidentaux ou japonais.
J'évoquais le cas d'André Malraux, qui déroba un bas-relief ou l'une de ces statues et raconta son triste exploit dans son roman « La voie royale » . Nos hôtes ne firent aucun commentaire.

Le lendemain, nous prîmes la route assez tôt, puis fîmes halte près d'un embarcadère. Là on nous fit monter dans de longues pirogues ne pouvant transporter que deux passagers. Je me retrouvais ainsi avec un rameur khmer qui ne parlait pas français. Une caravane se forma qui descendit dans le sens d'un courant assez fort tout au long d'une sorte de canal, qui devait être très proche du Tonle sap.
Nous voguâmes ainsi peut-être plus d'une heure, et finalement nous arrivâmes à un débarcadère, où nous fumes accueillis par de nouvelles figures.

Nous étions sur les lieux de construction d'un barrage hydraulique d'assez grandes dimensions. Là s'activaient des milliers de jeunes garçons et filles, d'hommes et de femmes plus âgés mais encore jeunes. Nombre d'entre eux riaient ou manifestaient de la bonne humeur. D'autres avaient des visages plutôt fermés. Toutes et tous étaient vêtus de noir à la manière de l'uniforme kampuchéen.
Ils travaillaient avec des pelles, transportaient de la terre à l'aide de palanches, semblaient très absorbés par leur activité.
On nous conduisit auprès d'un premier barrage déjà achevé, pas très élevé, d'où l'eau provenant très probablement du lac, jaillissait avec violence pour se déverser en dessous dans une canalisation. Je fus surtout intéressé par la vue de nombreux poissons de tailles différentes qui, entraînés, par le courant, sautaient dans le flot incessant et se retrouvaient parfois sur la terre ferme. Nos hôtes répondirent avec sollicitude à toutes les questions que nous leur posâmes. Qui étaient tous ces travailleurs réunis en cet endroit apparemment à l'écart de toute agglomération ? Où vivaient-ils ?
A ces questions nous fut répondu qu'ils étaient tous volontaires, qu'ils dormaient dans des baraquements élevés un peu plus loin et qu'ils mangeaient collectivement.
Ils avaient l'air en bonne santé. Les jeunes, encadrés par des ouvriers spécialisés, appartenaient à des «brigades mobiles » qui quittaient momentanément leurs coopératives pour se consacrer à de grands travaux à l'échelle du district ou de la province.
Certains étaient torses nus, car le chantier se trouvait en plein soleil.
C'était un spectacle du genre de celui que j'avais déjà vu dans des films chinois sur les grands travaux effectués après la victoire de la Révolution, lorsque l'absence totale d'énergie était remplacée par la force physique collective de foules immenses.
J'avais aussi dans mes souvenirs celui de Nanniyuan, près de Yenan, où, par moins 20 ou moins 25 degrés de température, des volontaires construisaient un immense camp de travail à l'époque de la révolution culturelle.
Mais ici, je ne souffrais pas du froid, je supportais beaucoup mieux la température élevée.

Je sus par la suite que de tels chantiers de travail étaient dénoncés en France et ailleurs comme des camps de concentration répressifs et meurtriers. Incités par les services spéciaux américains et autres, les propagandistes zélés de l'hostilité aux patriotes khmers assuraient qu'il s'agissait de camps encadrés par des « monstres » . Je sais aussi, comme on me l'a souvent opposé, qu'une visite dirigée par les officiels d'un pays ne met jamais en évidence ce qui est condamnable. C'est un fait qui ne m'a jamais échappé.

Mais dans le cas précis de ce centre destiné à édifier un barrage, je ne peux que m'opposer aux accusations lancées en Occident ou aux Etats-Unis. Le camp regroupant ces travailleurs n'avaient rien de commun avec les camps de la mort nazis.

Après cette visite, nous pûmes rejoindre nos voitures qui avaient fait mouvement pour venir nous récupérer et nos médicaments préparés en ces lieux étaient exclusivement d'origine végétale. La médecine cambodgienne n'avait plus aucune possibilité d'acheter en Occident des produits pharmaceutiques, que l'on trouvait naguère dans les villes à l'époque de la colonisation et du protectorat. Toutefois les pratiques médicales traditionnelles dans le sud-est asiatique étaient courantes et je suppose que la première en vigueur n'était autre que l'acupuncture.

De Kompong Thom, nous fûmes acheminés sur Kompong Cham. Entre ces deux villes nous pénétrâmes dans une forêt d'hévéas où la culture de cet arbre et la collecte de sa sève pour en faire du caoutchouc nous furent entièrement expliquées. Une visite d'usine consacrée au traitement de ce produit si précieux compléta nos connaissances rudimentaires en la matière.

Sauf erreur de mémoire c'est aussi dans cette région que nos hôtes nous amenèrent à l'intérieur d'un centre d'élevage de crocodiles. Ce fut impressionnant. Nous avancions sur des passerelles en bois au-dessus des différents bassins dans lesquels grouillaient ces reptiles, regroupés par âges différents. Les plus petits n'avaient rien d'effrayant, mais les adultes de trois à quatre mètres de long, carnivores aux réactions violentes, qu'alimentaient en énormes morceaux de viande leurs gardiens, nous parurent terriblement redoutables. Si nous étions tombés de la passerelle, ces animaux nous auraient avalés en quelques secondes.
Deux jours plus tard, nous regagnâmes Phnom Penh par bateau sur le Mékong.

Dans la capitale nous visitâmes une maternité dans laquelle le personnel sanitaire s'exprimait assez facilement en français, puis une école nationale d'électricité dans laquelle les élèves et les professeurs nous firent une démonstration de leurs méthodes d'enseignement, beaucoup plus axées sur la pratique que sur la théorie.

Encore quelques mots sur cette surprenante ville, qui ne comptait encore lors de notre présence qu'un nombre symbolique d'habitants. Environ trente mille, nous assura-t-on. Nous y étions logés confortablement sous protection militaire légère. Derrière l'immeuble ou nous résidions, s'étendait un jardin ou parc où poussaient des arbres aux essences inconnues en Occident. Tout au fond cet espace donnait directement sur le Mékong, que l'on nommait à partir de la capitale jusqu'à son immense delta, le Bassac. Une maisonnette en bois flottante était attachée à la rive par de solides chaînes. Elle offrait une pièce assez grande, avec deux fauteuils et une table. Je pris l'habitude de m'y rendre dès que j'avais un moment d'autonomie et c'est là que je consignais la plupart de mes impressions dans un modeste cahier que j'avais apporté de Chine avec moi. Annie Brunel me prit en photographie en plein travail et je conserve ce cliché comme un souvenir précieux. Le fleuve était immense, sa largeur devait occuper entre un et deux kilomètres, son débit était assez fort. Chaque fois que je me rendais dans la pièce en bois, flottant sur son cours, les soldats éveillaient leur attention et se rapprochaient légèrement dans la mesure ou leur consigne première était de nous protéger contre tout ennemi éventuel. Nous trouvions ces précautions plutôt dérisoires.
Nous ignorions encore que la délégation qui allait nous succéder en ces lieux, composée de marxistes-léninistes américains, serait victime d'une agression meurtrière pendant une nuit.

Nous étions là au début de la saison des pluies. Aux heures où l'orage quotidien, brutal et rapide, sous un ciel de plus en plus noir, transformait les rues en torrents et rivières, avec en quelques minutes des niveaux d'eau de plusieurs dizaines de centimètres, il arriva, que, revenant d'une visite, nous roulions dans l'eau à mi hauteur des roues. Nous vîmes alors, à notre stupéfaction totale, que des poissons de tailles respectables nageaient dans les rues inondées et souvent sautaient, sans doute parce qu'ils ne bénéficiaient pas d'une profondeur suffisante pour leurs promenades.

Le plus bel endroit où nous nous rendîmes fut sans nul doute le Palais royal. Sa cour principale était entourée de fresques hautes en couleurs, qui avaient pour thème la mythologie bouddhiste. De véritables merveilles d'architecture, de décoration et de peinture. Nous étions escortés par Ok Sakun et une dirigeante femme extrêmement discrète. Il est vrai que la visite de ce lieu n'était pratiquement pas autorisée pour le grand public, nous étions des privilégiés.

Ils nous apprirent que le Prince Norodom Sihanouk vivait là avec son épouse Monique, retiré des responsabilités politiques « bien que le gouvernement lui ait proposé diverses fonctions éminentes et honorifiques » .
Dans l'enceinte du palais, nous pûmes admirer la pagode d'argent, qui abritait un Bouddha géant en émeraude et qui se trouve garnie un peu partout d'autres statuettes de Bouddha, de petites dimensions, en ivoire ou en argent.
La veille ou l'avant veille de notre départ du Cambodge, nous rencontrâmes officiellement les plus hauts dirigeants du Parti communiste du Kampuchea, et tout naturellement son premier secrétaire, Pol Pot.

Au début de cette rencontre, il y eut une atmosphère de solennité. Nous étions une dizaine à y assister. Après les salutations d'usage, Pol Pot nous invita à nous asseoir autour d'une grande table. D'un côté nous étions tous les quatre, assistés d'Ok Sakun. En face de nous siégeaient cinq dirigeants du Parti communiste du Kampuchea, avec au milieu d'entre eux, juste en face de moi, Pol Pot.
Ils disposaient d'un interprète remarquable qui parlait français comme nous et semblait doué d'une solide connaissance de notre culture. Un homme qui avait sans nul doute vécu en France plusieurs années, où il avait dû être étudiant. Mais en vérité tous comprenaient parfaitement notre langue, aussi bien le premier secrétaire du PCK que Ieng Sary et les autres. Eux aussi avaient vécu autrefois en France où ils poursuivaient différentes études.

Vais-je revenir sur l'intervention que je prononçai, elle n'avait rien d'exceptionnel. Le seul point que je tiens à en souligner en dehors de nos positions fondamentales anti-colonialistes et anti impérialistes, demeure l'insistance que je mettais à proposer que s'établissent des relations diplomatiques normales entre la France et le Kampuchea démocratique. Quelle raison pouvait s'opposer à cette normalisation, dans la mesure où le général De Gaulle lui-même avait donné l'exemple du rétablissement des liens officiels entre notre pays et un Etat communiste, la République populaire de Chine ?
La France n'était plus dominante et exploiteuse en cette région du monde, une situation ancienne était dépassée, l'histoire pouvait désormais connaître un cours nouveau. Mais évidemment je n'avais ni le charisme du général ni l'autorité morale, politique et diplomatique que lui conférait son passé.
Et souvent je m'interroge en réfléchissant au déroulement de l'histoire de ce siècle et je me laisse aller à supposer que cet homme qui sut si bien appeler à la résistance aux Nazis, puis contribuer à sa manière à la solution de la guerre d'Algérie, aurait adopté une attitude infiniment plus intelligente à l'égard du Kampuchea démocratique que les gouvernants français obtus et réactionnaires alors en place à Paris. Après la rupture des relations entre le Cambodge et les Etats-Unis intervenue à l'initiative du prince Norodom Sihanouk le 3 mai 1965, c'est-à-dire deux mois après l'attaque du Nord-Vietnam par les Américains, le prince avait invité le général De Gaulle alors Président de la République et lui avait offert une tribune où il avait prononcé son fameux « discours de Phnom Penh » . Le but des deux chefs d'Etat consistait à s'opposer à la politique agressive des Etats-Unis. C'était là justement un exemple de ce que nous appelions les contradictions entre pays du second monde et superpuissances, et alliance objective de la France avec un pays du Tiers-monde.

Mais ce qui demeure le plus intéressant dans le souvenir de cette rencontre avec les dirigeants du Parti communiste du Kampuchea, n'est autre que l'intervention prononcée devant nous par Pol Pot. Il parla en langue khmer, ce qui était légitime et l'interprète nous effectua la traduction presque simultanée. Ce fut un exposé concret et intéressant et je n'entends pas ici exalter la personne de Pol Pot, je déclare simplement ce que fut la réalité. Nous fumes tous les quatre pleinement d'accord pour caractériser positivement le discours que nous venions d'écouter.

Le dirigeant khmer exposa longuement les difficultés et les succès du Kampuchea démocratique. Je n'ai plus le cahier bourré de notes que j'avais prises en l'écoutant, c'est tout à fait regrettable, ce serait aujourd'hui un document d'histoire fort intéressant par son authenticité. Il répondit de façon très précise à la question que notre délégation avait formulée concernant les relations avec le prince Norodom Sihanouk.
Je relève un passage de ce qu'en publia ultérieurement dans une brochure spéciale ma camarade Annie Brunel : « ... Le Comité central du Parti communiste du Kampuchea a décidé de confier le rôle de président du présidium au prince Sihanouk et une vice-présidence à Pen Nouth, une autre à Khieu Samphan. Nous avons proposé cela à Sihanouk. Il nous a remerciés avec émotion parce que les communistes tenaient ainsi leur parole en observant les décisions du congrès spécial. Pen Nouth a fait de même. Mais le prince Sihanouk nous a dit :
-1) qu'il avait déjà déclaré pendant la guerre qu'après la Libération, il abandonnerait toutes fonctions poli¬tiques ;
-2) que les nouveaux dirigeants du pays avaient toute capacité pour diriger, édifier et défendre le pays.
Il avait vu les faits concrets quand il était au pouvoir. Les impérialistes américains et Lon Nol ont fait le coup d'Etat pour le renverser. Sa vie politique devait normalement se terminer là. La révolution du Kampuchea l'a invité à ce moment-là à se joindre à elle. Son honneur, sa position élevée ont permis d'effacer toute l'humiliation apportée par l'impérialisme et Lon Nol... »


Comme nous désirions savoir comment le prince se portait et ce qu'il devenait en ce mois de septembre 1978, Pol Pot expliqua tranquillement :
« Maintenant, il vit avec sa famille au palais royal. Il écrit ses mémoires. Il suit les travaux d'édification du pays. En moyenne, tous les 45 jours ou tous les deux mois, il visite des provinces pour prendre connaissance des nouvelles réalisations de la construction nationale. Parfois il va se reposer du côté des monuments d'Angkor, à Siem Reap, ou au bord de la mer à Kompong Som.
Il respecte le patriotisme des communistes du Kampuchea. Il sollicite nos efforts dans la construc¬tion et la défense nationale. Il est convaincu que le Kampuchea, sous la direction du PCK, peut défendre l'indépendance et la souveraineté du pays et l'édifier. Il dit aussi avoir déjà travaillé pendant 30 à 40 ans et n'avoir vu aucun résultat pendant ce temps.
Maintenant il voit des barrages, les réservoirs d'eau, les canaux et trouve que tout cela est vraiment très rapide. Il affirme qu'en 30 ou 40 ans, il n'a pas pu réaliser un barrage et que maintenant il y en a partout. »


Ces propos devaient se voir confirmer quelques temps plus tard par le fait que Norodom Sihanouk envoie un message chaleureux de félicitations pour la commémoration du 18ème anniversaire de la création du Parti communiste du Kampuchea. Une photographie prise à cette époque le montrait souriant aux côtés de Pen Nouth et de Khieu Samphan.

Mais je pourrais paraître de mauvaise foi si je n'indiquais que plus tard le même homme, publiant ses souvenirs, révéla que pendant la période du Kampuchea démocratique il se sentit prisonnier des Khmers rouges, et que plusieurs de ses enfants et autres membres de sa famille avaient été tués ou portés disparus.

À mon avis, le plus important, historiquement, des propos tenus par Pol Pot devant nous se trouva concentré dans la fin de son intervention. S'adressant à nous avec une certaine solennité, il nous déclara en substance :

«Camarades français, vous allez repartir dans votre pays.
Dans peu de temps vous apprendrez que le Vietnam, soutenu par le social-impérialisme soviétique, aura lancé une nouvelle attaque de grande envergure contre le Kampuchea et tentera de l'envahir.
À ce moment-là, deux possibilités existeront : ou bien nos forces s'effondreront et cela prouvera que le peuple n'était pas satisfait de notre politique. Ou bien nos forces résisteront victorieusement et repousseront les agresseurs vietnamiens. Cela prouvera que notre peuple était satisfait de notre politique et qu'en conséquence, il la soutiendra. »


Je répète que ce ne sont pas là les termes, mot à mot, de Pol Pot, mais que c'est strictement le contenu de ce qu'il nous déclara.


Retour en Chine

Le jour suivant, nous repartîmes pour la Chine, en parcourant en avion le même trajet que celui suivi pour venir, mais évidemment à l'envers. L'ambassadeur de la République populaire de Chine au Kampuchea démocratique vint nous saluer à l'aéroport, où nos hôtes cambodgiens nous accompagnèrent en voitures.

Parvenus à Pékin, nous fûmes accueillis comme de coutume par les responsables du département de liaisons internationales que nous connaissions. Toutes et tous se montrèrent extrêmement curieux de nos réactions.
Ils étaient un peu stupéfaits que le pays d'où nous venions ait supprimé toute monnaie, ils désiraient comprendre à quoi ressemblait la capitale vidée de ses trois millions d'habitants, ils voulaient savoir comment fonctionnait là bas la dictature du prolétariat.
Certains exprimaient à mots couverts leur étonnement ou même une certaine désapprobation. La « petite Tsi » qui parlait si bien français et nous semblait une jeune fille moderniste, n'était pas la dernière à s'intéresser à nos indications. Elle me parut sceptique quant à l'édification du socialisme au Kampuchea. Je me souviens aussi que l'un de nos hôtes chinois évoqua la possibilité que les communistes du Kampuchea aient été influencés par la « bande des quatre » .

Quelques jours après, le 21 septembre 1978, notre délégation au complet fut reçue par Teng Ying tchao, veuve du Premier ministre Chou En lai. J'avais eu la possibilité de lui faire passer des photographies de l'endroit ou son mari, encore jeune homme, avait habité à Paris au début des années 20. Elle désira m'exprimer ses remerciements et nous assura de sentiments extrêmement chaleureux. Je ressentais pour cette grande dame un immense respect, sachant qu'elle n'était autre que l'une des plus anciennes militantes communistes chinoises encore vivantes, une ancienne de « la longue marche« .
Le même jour, nous nous rendîmes en délégation au mémorial où reposait sur la place Tien An Men le Président Mao Zedong. Nous y déposâmes une couronne mortuaire et restâmes devant sa dépouille pendant un moment rempli de solennité. Son corps était embaumé, son visage paraissait extrêmement calme. Je fus rempli d'une émotion aussi sincère que celle que j'avais ressentie lorsque j'avais effectué le même geste à Moscou en 1957 devant les dépouilles de Lénine et Staline, embaumés et allongés dans un cercueil de verre installé dans un mausolée élevé devant le Kremlin sur la place rouge.
Nos deux camarades femmes rentrèrent en France peu après, tandis qu'Alain Castan et moi-même restâmes à Pékin.

Nous eûmes un long entretien avec Kazimierz Mijal, Président du Parti communiste de Pologne. Nos derniers échanges remontaient à 1972, nous nous étions rencontrés en Albanie et il ne pouvait plus rentrer dans son pays, car il était menacé d'y être aussitôt emprisonné. Maintenant il résidait temporairement en Chine. Naturellement notre discussion porta sur la théorie des trois mondes qu'il approuvait et sur la scission impulsée par Enver Hoxha. Il n'avait pas de mots assez durs pour condamner le leader albanais.
Dans « Réflexions sur la Chine » , ce dernier l'avait attaqué de façon virulente, le 14 février 1977, en le qualifiant « d'avocat charlatan » .
Le dirigeant polonais me conta dans le détail les difficultés considérables que lui avait créées le Parti du Travail d'Albanie en soutenant contre lui, en Pologne, un groupe fractionnel de trois militants.
Lorsqu'il voulut quitter l'Albanie pour se réfugier en Chine, le PTA fit traîner la délivrance de son visa de sortie et le persécuta pendant un mois en le menaçant de l'emprisonner. Il me promit trois articles qui allaient être édités pour démasquer le comportement révisionniste de l'ensemble des dirigeants albanais et leur complicité, au moins objective, avec les révisionnistes polonais.
Kazimierz Mijal souhaitait que le PCMLF soutienne en France ses activités en direction des nombreuses familles polonaises émigrées notamment dans les départements où se trouvaient des mines de charbon. Je lui promis de faire ce qui serait possible, mais je pensais que ce serait assez difficile. Je possède toujours dans mes archives une brochure en langue polonaise et un manuscrit de sa main, que je fis traduire à Paris par une adhérente du PCMLF d'origine et de langue maternelle polonaises.
Cet homme représentait à mes yeux un des rares communistes des pays de l'Est à avoir réussi à se soustraire à la répression du social-impérialisme soviétique.

J'ai rencontré d'autres dirigeants communistes, comme ceux du Parti communiste d'Indonésie et aussi le camarade vietnamien Hoang Van Hoan, qui avait dû fuir son pays pour éviter d'être arrêté et condamné à la prison en raison de ses désaccords avec les Soviétiques comme avec Le Duan et Pham Van Dong.
Malheureusement je n'ai pas conservé les notes prises lors de nos entretiens ou bien il est possible que je n'ai jamais ramené ces notes avec moi par pure vigilance, compte tenu de ce que j'avais à franchir en retour la frontière de mon pays où avait toujours lieu un contrôle de police.

Toujours est-il que notre délégation, réduite à deux, eut un long entretien avec le camarade Keng Piao le 28 septembre 1978 au matin. L'après-midi Feng Hshuan nous présenta un exposé sur les relations sino-vietnamiennes, sur les relations sino-albanaises et sur les relations de la Chine avec le mouvement des non-alignés. Je conserve les notes très complètes de ces deux séances de travail. Quand je les relis je suis admiratif devant la pertinence de ces analyses.

Pour nous fournir des exemples d'union entre un pays du second monde et un autre du Tiers-monde, Keng Piao nous parla d'abord de l'attitude de Lénine, vers 1920, solidaire de l'Afghanistan agressé par les Indes pour le compte des Anglais, puis du soutien de la jeune URSS à la Mongolie intérieure quand celle ci conquit son indépendance en 1925.
Il rappela ensuite que c'était sur conseil de l'Union soviétique que le Parti communiste chinois avait passé alliance en 1922 avec le Kouomintang dirigé depuis 1911 par Sun Yat sen.

Ces éléments d'histoire le conduisirent à traiter des rapports en cours de la Chine populaire avec Norodom Sihanouk. Il rappela que le prince avait été victime d'un coup d'Etat organisé par les Etats-Unis parce qu'il soutenait le peuple vietnamien dans sa résistance à l'agression américaine. « Ne pouvant retourner dans son pays alors qu'il effectuait une tournée à l'étranger, Norodom Sihanouk avait trouvé refuge en Chine et était resté six années entières à Pékin. Il était alors au bout du rouleau, n'avait plus d'argent et voulait restaurer son régime. Bien que les dirigeants communistes khmers aient été naguère emprisonnés et menacés de mort par lui, nous lui donnâmes le conseil de se rapprocher d'eux... Vous restez à Pékin, vous écrivez des articles, des appels. De son côté, le Parti communiste du Kampuchea poursuit la lutte armée et se trouve placé en première ligne. »

Le souverain cambodgien accepta et contribua de la sorte à la victoire des communistes khmers, au bout de cinq ans, sur les Américains et leurs complices Lon Nol et compagnie.
Ainsi les communistes chinois avaient-ils réalisé avec Sihanouk un front uni de caractère international. Ici Keng Piao précisa : « J'ai cité ces trois exemples pour montrer comment on peut s'unir utilement avec le Tiers-monde. »
Et il posa la question :
« Y a-t-il d'autres Sun Yatsen ou Sihanouk dans le Tiers-monde ? » pour répondre « Oui, c'est tout à fait possible. »
À partir de là il expliqua la politique internationale de Mao avant sa mort et de Houa Kouo feng désormais. Il en montra le caractère tactique sur le plan d'un univers dominé par les deux superpuissances du premier monde, mais aussi les résultats économiques, parlant des « quatre modernisations » destinées en Chine à remplacer par une industrie et une agriculture plus développées l'époque où les moyens techniques n'en étaient encore qu'à la palanche, à la houe, à l'attelage.

L'exposé de Feng Hshuan fut plus long et très détaillé. Il fit l'historique des relations entre le Vietnam et la Chine. La contradiction principale entre les dirigeants communistes des deux pays résidait dans le fait que ceux du Vietnam considéraient toujours que le centre du Mouvement communiste mondial se trouvait à Moscou, alors que ceux de Chine estimaient qu'il n'y avait plus de centre dirigeant ni à Moscou ni ailleurs, ni même de « Mouvement communiste international » .

Après quoi il indiqua que le rapport contre le culte de la personnalité de Staline présenté par Khrouchtchev devant le XXe Congrès du Parti communiste d'URSS était postérieur à la politique antichinoise de ce successeur de Staline. Il nota que dans ses «Mémoires » , Adenauer avait révélé qu'en 1955 Khrouchtchev lui avait suggéré de faire attention au « péril jaune » .

Feng aborda alors la question des relations des communistes chinois avec Staline. Nous Français, nous savions déjà ce qui avait provoqué des désaccords entre eux. Lors de la guerre contre les Japonais en Chine du Nord, en 1945, l'armée rouge soviétique avait remis les villes conquises aux forces de Tchang Kaï chek au lieu de les laisser à l'Armée nationale populaire dirigée par les communistes.
Mao s'était rendu plus tard à Moscou auprès de Staline, l'avait critiqué à ce sujet et le premier dirigeant du Parti communiste de l'Union soviétique avait reconnu son erreur en révélant qu'à l'époque il ne croyait pas du tout à la possibilité de victoire de la Révolution communiste en Chine.

Mais Staline n'avait jamais adopté à l'égard des communistes chinois une attitude comparable à celle méprisante et agressive de Khrouchtchev.
Le prix de l'aide fournie par l'URSS à la Chine avant sa mort était calculé sur la base des prix du marché international. De plus les conditions de paiement comportaient des crédits avec des taux d'intérêts assez bas. Or, en 1960, du jour au lendemain, Khrouchtchev avait déchiré plusieurs centaines des accords signés, plaçant ainsi délibérément la Chine dans une situation économique difficile.

De fait, Feng nous expliquait ces faits historiques pour arriver à nous démontrer que la Chine n'avait jamais agi vis-à-vis du Vietnam de manière semblable à celle de Khrouchtchev.
Il en vint à condamner la propagande des médias vietnamiens qui parlaient à profusion d'un incident vieux de 2000 ans : sous la dynastie des Hans un général chinois avait écrasé le Vietnam et fait tuer deux femmes vietnamiennes truongs et des hommes. Pour les dirigeants vietnamiens il s'agissait de démontrer que l’antagonisme sino-vietnamien avait toujours existé, alors que dans la réalité le crime commis l'avaient été par un seigneur de guerre et nullement par le peuple chinois.
D'ailleurs le Premier ministre Chou En lai avait déposé une gerbe devant le monument érigé à la mémoire de ces deux femmes, dans le but d'exprimer la condamnation par le gouvernement chinois d'actes commis deux mille ans plus tôt.

Feng fournit une quantité d'autres détails. Pour lui le Vietnam avait violé un accord de 1955 entre les deux partis à partir du moment où il préparait son agression contre le Cambodge. Depuis lors le Vietnam avait expulsé de son territoire cent soixante mille Chinois, dont un grand nombre détenaient la nationalité vietnamienne conformément à l'accord signalé.

Ensuite son rapport traita des relations avec les communistes albanais avant et depuis leur VIIe Congrès. Enver Hoxha s'estimait supérieur à Mao Zedong. Mais les communistes chinois se gardaient bien de révéler ces turbulences pour ne pas susciter une crise au sein des partis communistes qui s'étaient affranchis de la tutelle du révisionnisme soviétique.

En cette fin du XXème siècle, ces tracasseries sont désormais tristement dérisoires, l'Histoire a tranché de manière assez cruelle pour les dirigeants communistes albanais. Je n'en traiterais donc plus.
Cependant je tiens à révéler que je me sentis sensiblement conforté dans mes propres opinions par l'exposé de Feng Hshuan quand il conclut en soulignant que l'attitude du leader albanais et de ses camarades avaient obtenu l'approbation tacite, sinon le soutien actif et visible qui aurait été dérangeant, des dirigeants révisionnistes de Moscou.

Sur les relations avec le Mouvement des Non alignés et avec les Etats du Tiers-monde, le représentant chinois s'efforça surtout de nous expliquer les conditions concrètes du rapprochement de la Chine avec la Yougoslavie.

Le 30 septembre 1978, nous fumes invités à une réception destinée à célébrer le 29ème anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine. Les fonctionnaires chinois du protocole me demandèrent de prendre place à la longue tribune que présidait Houa Kouo feng.
Mais pour y accéder, il me fallut passer par une entrée réservée aux personnalités. Là se pressaient pour l'accueil Li Sien-nien, Ye Kien ying, Deng Xiao ping et de nombreux autres dirigeants. Je me retrouvai dans une file d'invités que je ne connaissais pas pour la plupart. L'un derrière l'autre, nous avancions lentement parce que chaque entrant s'entretenait quelques instants avec les hôtes chinois.
Je me trouvai juste derrière Jusuf Adjitorop, secrétaire du comité central du Parti communiste d'Indonésie. Deng Xiao ping fut le premier à saluer mon prédécesseur. Souriant, le même dirigeant me tendit la main, puis j'abordai la camarade Teng Ying tchao, veuve de Chou En lai, qui me manifesta une sincère et précieuse amitié et me retint à ses côtés un moment.

Le 2 octobre 1978, Castan et moi-même fûmes reçus par le camarade Li Sien nien, membre du Comité permanent du Parti communiste chinois et futur Président de la République populaire de Chine.

Le lendemain nous repartions pour la France.
Xuan
La quatrième partie de ce découpage relate essentiellement le voyage au Cambodge libéré

-38-
Le combat contre Le Pen


J'avais lu dans je ne sais plus quel organe de presse qu'un des parents d'Hubert Lambert, magnat de la cimenterie, se disputait son énorme héritage avec l'ex-député poujadiste Le Pen, devenu Président d'une formation baptisée par usurpation d'un sigle de la Résistance, « Front national ». Une bataille de chiens entre un milliardaire et un politicien bien connu déjà pour ses idées, faits et gestes attestant d'une idéologie de violence. Le nommé Philippe Lambert attaquait Le Pen, héritier inattendu et désigné de la fortune de son cousin Hubert.
Un article court mais sulfureux parvint à l'Humanité-rouge à ce sujet, soit de la part d'un camarade soit d'un simple lecteur. Le Comité de rédaction n'eut pas le temps de le relire deux fois, et, sous le titre « Le Pen héritier — 3 milliards pour les nostalgiques des chemises brunes » ce papier fut publié en page 3 de l'édition du jeudi 14 octobre 1976.

L'individu mis en cause ne tarda pas trop à s'indigner de nos révélations qui ne constituaient d'ailleurs en aucune façon un scoop, car elles avaient déjà fait le sujet d'autres informations de presse. Il intenta à notre périodique un procès pour imputations diffamatoires portant atteinte à son honneur et à sa considération. Il osait chiffrer à cent millions de francs le montant de la réparation qui lui était due. Le procès fut convoqué le 21 février 1977 à 13 h 30 devant la IIe chambre du Tribunal correctionnel de Paris, au Palais de Justice. Le verdict tomba le 25 avril 1977 : trois mille francs de dommages et intérêts et cinq mille francs de frais d'insertion du jugement dans la presse et de frais de justice.

Mais, entre-temps, nous avions publié une série d'articles bien renseignés et bien orientés pour faire le procès de celui qui voulait nous imposer silence en recourant à la justice de classe. Les éditions des 3, 4, 17, 18, 19, 20, 22 et 23 février 1977 diffusèrent de nombreuses précisions sur sa personnalité politique, son idéologie et sur son entourage constitué de fascistes condamnés pour trahison et collaboration avec les ennemis de la France pendant la période de l'occupation nazie. Voici pour mémoire quelques-uns des titres et des sujets traités dans notre journal.
« Le Pen, député à Paris... tortionnaire à Alger « Cet article présentait un texte paru sous la direction de Hafid Keramane dans un recueil intitulé « La pacification » — « livre noir de six années de guerre en Algérie » publié par l'éditeur La Cité à Lausanne en 1960. Il était repris de «Résistance Algérienne« n° 32, du 1er au 10 Juin 1957.
Il précédait « La Question » d'Henri Alleg.
Le commentaire de l'Humanité-rouge se limitait à une dénonciation des gens présents au gouvernement de la France à l'époque où s'étaient produits les faits imputés à Le Pen : Guy Mollet, Mitterrand et Robert Lacoste.

Dans l'édition du lendemain, notre quotidien fournit un grande quantité de détails et autres précisions sous le titre « Qui est le fasciste Le Pen ? Un tortionnaire. » Ce nouvel article comportait des noms de fonctionnaires de police ayant dénoncé les pratiques de Le Pen ainsi que les noms d'Algériens victimes des tortures en cause.

Dans le numéro suivant, l'article répondait à la question quotidienne « Qui est Le Pen ? « par cette simple phrase « un nostalgique de l'OAS « .
A noter que la perspective du procès qui nous était imposé servait à alimenter une campagne de soutien financier « Parce que je soutiens l'Humanité-rouge dans sa lutte contre le fasciste Le Pen et la répression bourgeoise, je verse(x) ... francs de souscription. »

Ensuite un article démontra que l'individu en cause était un « apologiste du nazisme » , puis « le chef d'une organisation fasciste » .

Le dernier texte fut consacré à révéler les relations de Le Pen.

Notre avocate Maître Myrtho Bruschi du barreau de Marseille nous conseilla de faire appel de la première condamnation et, en appel, réussit le 14 novembre 1977 à faire supprimer la condamnation à cinq mille francs pour deux insertions dans la presse, les autres condamnations demeurant inchangées.

Avec le recul de l'Histoire et l'actualité de fin du siècle, je constate que nous avions cent mille fois raison de dénoncer l'idéologie de ce politicien entouré de fascistes et collaborateurs pétainistes notoires, et diffuseur de disques de chants nazis. Je n'ai plus dans mes archives le texte du jugement de la Chambre correctionnelle de Paris. Mais je ne crois pas me tromper en pensant que la condamnation pour diffamation ne porta que sur l'affaire de l'héritage de Hubert Lambert. Il est vrai qu'il est impossible de prouver concrètement ce qui a pu se passer entre un vieux milliardaire très diminué à la fin de sa vie et celui qui « s'occupait » de lui, disons que c'est même là un sujet classique de film policier ou d'épouvante.
En tout cas je remarque que les marxistes-léninistes avaient vingt ans d'avance sur tous les honnêtes antifascistes qui combattent aujourd'hui à juste titre Le Pen, Mégret et les autres chefs du Front prétendu national.

Beaucoup d'entre eux nous opposaient à l'époque que nous allions contribuer à populariser le courant fasciste et qu'il était donc préférable de faire le silence à son sujet. J'accepte bien volontiers de considérer qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire, mais je pense que Le Pen et ses acolytes auraient connu de bien plus grandes difficultés si le danger qu'ils représentent avait été combattu comme nous le voulions déjà voilà maintenant près de vingt cinq ans. Il fallait écraser le venin du racisme dans l'œuf. Il ne fallait pas laisser la bête immonde ressortir de sa tanière.

Le rapport politique que je présentai devant le IIIe Congrès fit l'objet de discussions préalables parfois passionnées par les membres du Comité central et du Bureau politique. Finalement, après que chaque phrase eut été sérieusement étudiée et chaque partie adoptée, je parvins à un document d'ensemble accepté par tous mes camarades. 104 pages dactylographiées. Il fut voté à l'unanimité.
Ce IIIe Congrès fut réuni à Paris, les 21 et 22 Janvier 1978, dans le 19ème arrondissement, boulevard Jean Jaurès, dans l'immense salle de l'immeuble qui allait devenir immédiatement après le siège de notre imprimerie, administrée par notre camarade Serge Le Gall, sous le pseudonyme de Marc, et bientôt celui du Parti lui-même.
Deux mois plus tard, une session du Comité central décida que nous devions réapparaître au grand jour sous un sigle à peu près identique à celui qui avait été interdit, à savoir « Parti communiste marxiste-léniniste », « P.C.M.L. »
En ces circonstances, j'avais invoqué un article d'un des dirigeants de la Ligue des Droits de l'Homme, Yves Jouffa qui, avocat en renom, avait récusé dans «Le Monde » , les fondements juridiques des poursuites d'inculpés devant la Cour de sûreté de l'Etat pour reconstitution de ligue dissoute. Du coup, le sigle de notre quotidien devint du jour au lendemain, sans explication détaillée, « organe central du Parti communiste marxiste-léniniste » . L'édition clandestine de l'Humanité-nouvelle fut aussitôt interrompue.

Au lendemain du IIIe Congrès nous organisâmes la commémoration de la fondation dix ans plus tôt, les 30 et 31 décembre 1967, du PCMLF Nous reçûmes près de vingt messages de félicitations émanant, du monde entier, de formations, groupes et partis qui soutenaient la théorie des trois mondes. Je tiens à souligner que le premier à nous écrire, en français et en chinois, fut le Parti communiste chinois, qui n'avait vraiment pas pour habitude d'envoyer des messages.
Outre les messages de partis et formations de tous les pays européens, je notais avec satisfaction que d'autres étaient arrivés du Zaïre, de Turquie, de Tunisie, des Etats-Unis, du Canada, d'Australie et de quelques pays d'Amérique latine.

J'avais déjà reçu visite du couple Hôllander, couple de vieux communistes allemands, réfugiés en 1933 en Palestine, qui tenaient à Tel Aviv une librairie progressiste et proclamaient leur solidarité avec les justes droits du peuple palestinien. Notre courrier nous apporta en octobre 1978 une lettre de «l'Organisation marxiste-léniniste d'Israël » (AMLI), qui indiquait recevoir normalement notre journal. Ces camarades joignaient une traduction en français de leur bulletin « Longue marche » .Une édition spéciale avait condamné la politique du gouvernement israélien sous le titre « Après Camp David » . Leur enveloppe contenait encore une photocopie du titre en hébreu de leur publication reproduite en lettres latines en anglais « Long march, organ of the marxist-léninist organization of Israël » . Je m'appliquai à déchiffrer ces lettres hébraïques que j'avais appris à lire pendant la deuxième guerre mondiale, afin de mieux apprendre le yiddish qui recourait au même alphabet. Mais le temps avait en partie réduit mes capacités en la matière et j'en fus désolé au fond de moi-même.

Au mois d'août, Alain Castan nous avait invités, Baya et moi, dans la vieille ferme qu'il possédait dans le hameau de Freytisse, en Ardèche, au-dessus de Vais et d'Antraigues. Silence et repos complet.
Je profitai du calme pour achever l'écriture de mon troisième tome sur les relations entre communistes et nationalistes en Algérie durant la période de 1939 à 1945. Je m'installai devant une lucarne, au premier étage et réussis à travailler chaque jour pendant douze heures, parce qu'Alain Castan emmenait ses enfants et Baya effectuer de grandes promenades, jusqu'au Puy ou tout autre lieu touristique. Je demeurai seul avec une vue plongeante sur les prairies et les châtaigniers à l'entour. J'avais alors une puissance de travail efficace non sans rapport avec le fait que je me trouvais encore dans ce que l'on nomme la force de l'âge.

Ni mon camarade, ni moi-même ne nous doutions une seconde que moins d'un mois plus tard nous visiterions le Cambodge.


Edité le 29-10-2013 à 23:12:09 par Xuan


 
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