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Xuan
Mai 68 - interdiction du PCMLF


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En application d'une disposition du Statut de la Fonction publique, j'obtins de mon administration un congé sans solde d'une année.
Dés après le 1er mars, nous organisâmes une sous-location discrète de notre appartement de Marseille, et, laissant là nos meubles, prîmes la route pour Paris. Nous nous installâmes au treizième étage d'une tour Félix Potin, un gratte-ciel locatif édi fié par une grande société bancaire au bout de la rue de Flandn dans le dix-neuvième arrondissement.

Baya sut être une compagne dont les activités secondèrent matériellement les miennes, parce qu'elle s'occupa de tout ce qui nous était indispensable pour vivre certes modestement, mais dans des conditions convenables néanmoins. Un accord tacite entre elle et moi la dispensait de toute participation politique à mes activités, parce que nous pensions qu'elle devait observer une espèce de devoir de réserve en raison de sa nationalité d'Algérienne. Non qu'elle ne soit entièrement d'accord avec moi, mais parce qu'il importait de ne pas fournir à la police l'occasion d'une pression contre moi à travers elle en sa qualité d'étrangère.

Je voyageais souvent à travers la France, tandis que notre camarade François Marty venait périodiquement à Paris et habitait avec nous. Nous marquions à son égard un respect très sincère, non seulement par rapport à son âge plus avancé que les nôtres, mais surtout en raison de l'ancienneté et la richesse de son expérience de communiste. D'autres dirigeants marxistes-léninistes passaient chez nous mais beaucoup moins fréquemment. L'un d'eux, Claude Combe, habitait aussi la tour Félix Potin, mais au troisième étage, avec sa famille.

Le calme relatif que nous connûmes en arrivant à Paris ne dura pas longtemps. Moins de deux mois après, débutèrent les événements de mai-juin 1968, ce que je devais nommer plus tard «le printemps révolutionnaire de 1968 » . En commettant sans nul doute une erreur d'analyse, ne serait-ce que sur le plan de la chronologie historique parce que nous étions encore vraiment loin de la « Révolution » .

Dès les premières grandes manifestations d'étudiants, je pris l'habitude de les rejoindre, la plupart se développant au quartier latin. Je comptais vingt minutes de métro, mais en général je parvenais à temps pour me mélanger avec cette jeunesse bouillonnante. Les premiers jours, il n'y eut pas de répression policière brutale. Mais par la suite les actions estudiantines devenant de plus en plus hardies, les CRS et les gardes mobiles intervinrent de manière plus radicale, face à des manifestants qui attaquaient et ripostaient comme depuis longtemps personne ne se l'était plus permis.

Certes, presque chaque jour, avec le concours des dirigeants présents dans la capitale, je m'efforçai de pondre un communiqué de notre Parti. Il est possible d'en retrouver trace dans les numéros de l'époque de l'Humanité-nouvelle ainsi que dans un opuscule intégré dans mon ouvrage sur cette période. Il s'agissait de notre part d'une ligne politique approuvant les actions des étudiants, soutenant leurs mots d'ordre, critiquant l'hostilité de la direction du vieux Parti et de la C.G.T. à leur égard, protestant en des termes vigoureux contre la violence de la répression gouvernementale.

Pouvions-nous tenir un rôle dirigeant en ces circonstances ? Pas du tout. Mais je me souviens avoir défilé avec des milliers de jeunes nés gens en scandant, après l'arrestation de Daniel Cohn-Bendit : « Nous sommes tous des Juifs allemands ! »
Je me souviens encore de la fameuse nuit où Alain Geismar conduisit une foule de manifestants pour envahir la Bourse des valeurs, considérée à juste titre comme temple du capitalisme.
Avec des militants marxistes-léninistes parisiens, nous avions constitué un groupe dont nous assumions la direction à travers les rues de Paris, bientôt, ce groupe devint une foule considérable de cinq à six mille jeunes et moins jeunes, qui grossissait au fur et à mesure de sa progression. Certains brandissaient des drapeaux rouges, d’autres s'étaient emparés de bâtons et autres gourdins, j'en vis même un qui portait sur une épaule une longue fourche à foin, je remarquai bien le contenu hétéroclite de ces masses en mouvement, mais je crus que leur diversité caractérisait justement le côté révolutionnaire de ces journées.

Je sais aujourd'hui que je n'avais pas discerné l'importance de l'absence de la classe ouvrière, en tant que classe, dans ces événements exceptionnels. Ce qui ne signifie pas que dans ma pensée la place des travailleurs n'était pas là. Je suis d'avis que la ligne politique alors suivie par les révisionnistes et syndicalistes était erronée, et sauva la bourgeoisie française de difficultés beaucoup plus décisives qu'elles ne le furent en définitive.

Le 12 Juin 1968, nous apprîmes par la radio, dès le matin, que le gouvernement avait décidé de dissoudre différentes associations qualifiées de «gauchistes» , subversives ou révolutionnaires.

La veille, il est vrai qu'avec le concours actif d'un jeune camarade, ancien des Jeunesses communistes du Nord, Alain D. et l'aide d'un militant éprouvé, Max D., j'avais fait procéder à l'évacuation de notre local de la rue du Sentier de tous les papiers et autres documents un tant soit peu compromettants. Nous avions brûlé ceux qui ne nous paraissaient ne plus avoir aucun intérêt. Rien d'important ne restait susceptible de permettre à une perquisition policière de fournir des éléments matériels de nature à nous poursuivre. Ne restaient plus en ces lieux aucune liste de noms et adresses de militants.
Le matin de ce 12 juin, nous apprîmes donc que sept associations étaient dissoutes par application du décret contre les ligues factieuses prises par le gouvernement de Front populaire en 1936.
Raymond Marcellin, Ministre de l'Intérieur, ancien récipiendaire de la Francisque de Pétain, n'y allait pas de main morte. Il prétendait contre toute évidence que ces associations étaient armées et préparaient une tentative de renversement de l’Etat par une Révolution violente.
Ses propos devant le Parlaient relevaient purement et simplement de cette maladie que les médecins psychiatres nomment « paranoïa » . Il discernait un peu partout la main d'un chef d'orchestre qu'il ne nommait pas pour des raisons diplomatiques, mais tout le monde comprenait qu'il s'agissait de Mao Zedong.

Croyant que nous n'étions pas concernés par les mesures en cours q'application, Régis Bergeron, André Druesnes et moi-même nous rendîmes, dans la matinée, au siège du PSU, pour proposer à ses dirigeants d'entreprendre avec nous des démarches de protestation auprès des autorités et des actions de solidarité vis-à-vis des groupes interdits. Nous fûmes reçus par trois dirigeants de ce Parti : Michel Rocard, Marc Heurgon et Henri Leclerc. Nous connaissions bien ce dernier pour l'avoir pressenti en faveur du GONG, à l'époque où bon nombre de nationalistes guadeloupéens avaient été arrêtés dans leur pays aussi bien que dans la « métropole » et transférés puis emprisonnés à la prison de la Santé.

Nous discutâmes un long moment. Rocard était un interlocuteur difficile parce que cassant et doué d'un désagréable esprit de supériorité ou de suffisance. Mais nous parvînmes finalement à nous mettre d'accord, nous allions nous rencontrer de nouveau incessamment et mettre au point les formes de nos actions communes.

Nous quittâmes le local de la rue Mademoiselle vers 13 h 30, entrâmes dans un petit restaurant pour déjeuner modestement, en sortîmes peu avant la mise en vente du numéro du quotidien du soir Le Monde. Et lorsque nous prîmes connaissance des dernières nouvelles publiées par ce périodique, nous eûmes la surprise de constater que quatre autres formations étaient visées par les décrets de dissolution, dont la nôtre, le P.C.M.L.F. Nous étions interloqués parce que nous étions mieux placés que quiconque pour savoir que nous n'étions pas une organisation factieuse armée.

Comme on parlait déjà d'arrestations de dirigeants et de perquisitions, nous décidâmes de ne pas rentrer à nos domiciles respectifs. Régis Bergeron et moi-même avions prévu de longue date un lieu de repli en cas d'éventualité comme celle qui se produisait et que nous jugions absurde. Notre indignation provenait surtout de l'invocation juridique des décrets du Front populaire pour justifier les mesures décidées par le Gouvernement.

Tranquillement, Régis et moi partîmes pour dormir dans l'appartement qui avait été mis à notre disposition pour un passage dans la clandestinité. Nous pûmes y dormir tranquillement, en dépit d'aller et venues dans les escaliers, et, le lendemain matin, nous sortîmes ensemble pour aller aux nouvelles.

Dans la journée, chacun d'entre nous prit de nouvelles dispositions pour ne pas se laisser appréhender bêtement à son domicile. Il est vrai qu'à ce moment-là la police des Renseignements généraux accusait un certain retard dans ses
Recherches pour « loger » certains d’entre nous. J'appris par la suite qu'une perquisition avait eu lieu à mon domicile de Marseille, chez Baya. Là, les sous-locataires, des étudiants tunisiens, ne purent fournir aucun renseignement sur l'endroit où nous pouvions nous trouver, ma compagne et moi-même.

Des fonctionnaires de police utilisèrent successivement des promesses et des menaces pour faire parler ces jeunes gens, mais le dispositif que nous avions mis en place pour qu'ils règlent le loyer à notre place et en notre nom demeura hermétique aux recherches de ces enquêteurs. Seuls les malheureux Tunisiens eurent à se démener pour assurer ces visiteurs inattendus qu'ils ne connaissaient absolument pas notre adresse.

Sans doute irrités par leur échec, les policiers repartirent non sans emmener avec eux différents documents, qui n'avaient aucune valeur au point de vue renseignement. Ils prirent en particulier mon carnet de souvenirs où, pendant le régime de Vichy, l'occupation et la Résistance, j'avais inscrit quelques réactions personnelles sans conséquences dangereuses. J'y avais recopié des poèmes comme celui de Kipling, traduit en français par André Maurois « Si tu veux être un homme » ou la lettre du grand rabbin de France Isaïe Bloch au Maréchal Pétain contre les mesures antisémites ou encore l'alphabet hébreu.

Peut-être prirent-ils quelques autres documents, ou des photographies, mais de toute façon il n'y avait plus dans ce logement quoi que ce soit qui puisse servir une répression aussi stupide que maladroite.

Certes, à Paris, Max Durand avait été interpellé en même temps que se produisait la perquisition de notre siège rue du Sentier. Mais comme rien de concret ne pouvait étayer une mesure judiciaire contre lui il fut rapidement relâché.

A Marseille, le camarade Henri Blasquez, membre d'une famille de vieux communistes, originaire d'Espagne, fut lui aussi interpellé à notre siège et retenu assez longtemps dans les locaux de la police. Dés que j'eus connaissance de sa situation j'appelai au téléphone un vieil ami qui exerçait d'importantes responsabilités à l'organisation de la Cimade, le Pasteur Gourdol, et sollicitai son intervention pour faire libérer Blasquez et faire cesser toutes poursuites contre lui.
Il intervint avec habileté et notre camarade put bientôt rejoindre sa femme et ses trois enfants. Aujourd'hui le Pasteur Gourdol est décédé et je tiens à rendre à sa mémoire l'hommage dû aux gens de foi infatigables dans leur dévouement à un humanisme inconditionnel. Il sut nous soutenir sans réserve et sans jamais nous proposer de nous convertir à quelque religion que ce soit.
Xuan
Les agressions révisionnistes - le Congrès de Puyricard


- 18-


Le 5 mai 1967, le Mouvement communiste français (marxiste-léniniste) avait annoncé et préparé un important meeting de soutien aux patriotes vietnamiens alors en guerre contre l'armée américaine qui avait remplacé le corps expéditionnaire-français après les Accords de Genève. Ce rassemblement était organisé dans la grande salle de la Mutualité, susceptible de recevoir jusqu'à 2000 personnes.
Plusieurs orateurs étaient prévus parmi lesquels Gilbert Mury et moi-même. Nous avions aussi mis sur pied un service d'ordre, mais sans supposer que sur un sujet comme la solidarité aux combattants vietnamiens, les dirigeants et cadres révisionnistes feraient preuve d'une lâcheté et d'une violence de caractère fasciste. Nous avions manqué de vigilance et de perspicacité.

Une heure avant le début de la réunion, plusieurs centaines d'adhérents du Parti révisionniste moderne, encadrés par des responsables de leur police politique, bousculèrent brutalement le service d'ordre marxiste-léniniste. Supérieurs en nombre, ils étaient munis de matraques ou de barres de fer. Ils réussirent à s'emparer de la tribune et poursuivirent différents militants et cadres dirigeants comme l'ouvrier métallurgiste André Druesnes et le journaliste communiste Régis Bergeron. Ils les rouèrent de coups et les précipitèrent du premier étage en bas des escaliers. Ils déchirèrent en de nombreux morceaux les pancartes portant les mots d'ordre en faveur des patriotes du Vietnam, et, ne réussissant pas à l'arracher complètement, lacérèrent grossièrement une immense effigie du Président Ho Chi minh que nous avions placée juste au-dessus de la scène.

Gilbert Mury fut évacué juste à temps par l'un de nos gardes du corps.

En ce qui me concerne, il avait été prévu, que je ne me rendrais à la salle de la Mutualité qu'après l'ouverture du meeting.
J'avais rendez-vous non loin de là avec un groupe de camarades chargés d'assurer ma sécurité. L'un d'entre eux vint me prévenir dés le début des affrontements et insista pour m'éloigner en automobile ou en métro, je ne m'en souviens plus. Si bien que, mis à l'abri, je ne pus me retrouver sur place quand, après l'évacuation de la Mutualité par les agresseurs révisionnistes sous protection de la police, des militants tinrent quand même la réunion prévue, improvisant des discours ou la colère anti-révisionniste et la solidarité pro-vietnamienne cohabitaient aisément.

Le lendemain, j'écrivis une lettre de dénonciation de ces agissements que j'adressais aux délégations présentes à Paris des Vietnamiens du Nord comme des Vietnamiens du Sud. J'insistais sur le caractère inqualifiable de la destruction au moins partielle du portrait du Président Ho Chi minh.

L'Humanité-nouvelle en publia une photographie saisissante. Avec, bien entendu, notre version des faits, ainsi que la photographie du visage tuméfié de notre camarade Druesnes. Nous apprîmes plus tard par des camarades étrangers en contact avec les Vietnamiens que ces derniers avaient élevé une sévère protestation auprès du Comité central du Parti communiste français. Je n'ai jamais pu me procurer le texte exact de leur lettre, mais on m'indiqua qu'il était catégorique et condamnait l'action organisée par le service d'ordre révisionniste.

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Trois mois plus tard, une délégation de quatre membres du Mouvement communiste français (marxiste-léniniste) était invitée à Tirana par le Parti du Travail d'Albanie. Aussi, du 8 au 15 août 1967, quatre d'entre nous séjournèrent au «pays des aigles » .
Je conduisis cette représentation et fus accompagné de Raymond Casas, Claude Combe et Gilbert Mury.

Une fois cette visite achevée, nous prîmes un vol à destination de Bari, ville de l'extrême sud de la botte italienne, puis, à l'aéroport de Fiumicino, près de Rome, nous nous séparâmes, Combe, Casas et Mury rentrant en France. Bergeron me retrouva en Italie et nous nous envolâmes vers la Chine. Sans doute, à cette époque, par la Compagnie aérienne pakistanaise qui desservait Le Caire, Téhéran et Karachi.

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Quelques jours après, Bergeron et moi-même nous rendîmes dans la province du Heilongkiang, à Kharbin, accompagné de Madame Tsi.

La Révolution culturelle prolétarienne durait depuis un an environ.

Nous fûmes invités à assister à la mise en accusation par les masses d'un cadre important du Parti communiste chinois, un secrétaire régional si je ne me trompe. Cet homme était présenté sur une estrade avec une pancarte autour du cou sur laquelle étaient inscrits des mots en idéogrammes chinois.
Madame Tsi Zong hua nous traduisit : « Je suis une sangsue du peuple ». L'accusé penchait sa tête en avant. De l'imposante foule où nous nous trouvions partaient des cris, des invectives auxquels nous ne comprenions rien évidemment. Finalement un accusateur public grimpa sur la scène et lui posa des questions.
Madame Tsi commença à rire jusqu'aux larmes. Elle nous traduisit ce qui se disait, les réponses de l'accusé se résumant par ce qui nous semblait être un simple grognement rauque et court. Le dialogue était à peu près le suivant : « Lorsque tu étais le premier dirigeant de la région, lorsque quelqu'un critiquait tes articles, tu répondais que c'était ton secrétaire qui les écrivait et non toi-même. Est-ce vrai ?» — Réponse par un grognement qui devait signifier qu'il reconnaissait le fait. Autre question : « Lorsque le repas que tu offrais à des visiteurs n'était pas excellent, tu déclarais que c'était la faute de ton cuisinier ? Est-ce vrai ? » — Même réponse en grognement coupable.

Après chacune de ses réponses, la foule hurlait, mais sans doute en raison du brouhaha général résultant des différentes injures lancées, Madame Tsi nous assurait qu'elle ne comprenait pas et ne pouvait donc pas tout nous traduire.

Tel fut notre premier contact avec la Révolution culturelle, dont nos interlocuteurs du Comité central nous expliquèrent les raisons et les buts.
A la fin de notre séjour, après notre retour à Pékin, nous eûmes le 30 Août 1967 un assez long entretien avec Kang Sheng, présenté comme membre du Bureau politique et responsable du département de liaisons internationales. Il insista avec une force apparemment passionnée sur la nécessité impérieuse d'étudier les Œuvres du Président Mao et de tout faire pour en comprendre parfaitement la portée.

Ce vieux dirigeant était atteint d'un cancer, de la gorge, je crois. Il ne nous le dit pas, mais nous nous rendîmes compte qu'il était malade. Son épouse, Cao Qi, une femme chinoise d'assez petite taille, ronde et forte, restait toujours dans la pièce où nous nous trouvions avec lui et quelques autres camarades chinois, peu nombreux, l'indispensable interprète et sans doute le responsable du secteur de l'Europe occidentale et de la France.
Je devais le rencontrer de nouveau en janvier 1970, je reparlerai donc de ce personnage qui a été présenté en Occident comme le directeur des services d'espionnage chinois pendant trente années au moins.

Je n'entends souligner à ce stade de mes souvenirs qu'une seule réalité, notre interlocuteur chinois nous avait expliqué la Révolution culturelle de façon extrêmement claire et pédagogique, en soulignant l'importance décisive de rééduquer tous les militants menacés par l'idéologie révisionniste. Dans ce but il insistait sur la nécessité de ne jamais s'écarter des principes de la pensée de Mao Zedong.

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A notre retour en septembre, nous apprîmes que le cinéaste réputé Jean-Luc Godard venait de réaliser un film intitulé « La Chinoise » . L'entreprise me sembla suspecte dans son principe même. Je n'éprouvai aucun désir d'aller voir ce long métrage, parce que je pressentais qu'il s'agissait sinon d'une provocation montée contre la Chine populaire, du moins d'une opération destinée à ridiculiser les militants marxistes-léninistes en France.

Michèle Z. signa un article critique très vif contre ce nouveau venu sur les écrans en recourant au pseudonyme de journaliste de Michèle Daria.
Cette initiative servit de détonateur à une formidable campagne de certains étudiants et intellectuels parisiens L'Humanité-nouvelle fut dénoncée dans les milieux comme sectaire et dogmatique, personne n'osa la qualifier à cette époque de « stalinienne » . Toutefois les étudiants de la rue d'Ulm, après des débats animés, condamnèrent à leur tour ce film, qui n'était m'assura-t-on qu'une caricature.
Je pense que l'opération montée par Jean-Luc Godard relevait davantage de l'esprit Canard enchaîné, d'une recherche d'humour sur le dos des jeunes qui se passionnaient pour la Révolution culturelle et croyaient faire œuvre de militants sincères en s'habillant à la manière chinoise, avec des vestes à cols Mao. Une mode qui n'avait jamais pénétré nos rangs.

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Nous désirions convoquer le Congrès fondateur du Parti en tant que tel en septembre 1967. Mais nos discussions n'étaient pas encore achevées et la préparation exigeait des délais plus longs que ceux que nous avions prévus. Il importait en effet que nous réussissions cette initiative « historique » dans les meilleures conditions possibles. Or nous savions quels en étaient les risques aussi bien du côté de la répression du gouvernement que de la police politique du Parti communiste français. Le congrès de fondation du Parti communiste italien marxiste-léniniste avait été l'occasion d'une grave et violente provocation des révisionnistes de la péninsule.

Des documents émanant de la section de montée des cadres sont depuis lors tombés entre mes mains, offerts par des écrivains-reporters journalistes. L'un d'entre eux traite de la tenue de notre futur Congrès. Il est adressé en date du 28 Novembre 1967 aux « membres du Comité central » par porteur et signé « Gaston Plissonnier, secrétaire du Comité central » . Les dirigeants révisionnistes ignoraient l'endroit exact où nous le réunirions. Ils croyaient que nous prendrions une initiative à Tours « en liaison avec l'endroit où s'est tenu le congrès de 1920 » , ou bien « à Marseille, en raison des forces dont ils y disposent » , ou enfin « dans la région parisienne » .

Ils avançaient aussi d'autres hypothèses et ordonnaient aux Fédérations de toute la France de les tenir informés du moindre renseignement qu'elles auraient pu collecter à ce sujet. D'autres documents de la même origine m'ont prouvé depuis que je les possède, que la police politique du Parti révisionniste ne disposait pas de renseignements très précis et utilisables depuis 1964.

François Marty, vieux baroudeur ayant une solide expérience
des activités clandestines, depuis la guerre d'Espagne jusqu'à la Résistance, s'occupa activement de la préparation matérielle de notre Congrès. Je le secondais dans cette tâche délicate. Nous eûmes l'idée de tenir nos assises dans la propriété privée du camarade Georges Gauthier, alors exploitant agricole dans la campagne de Puyricard, près d'Aix-en-Provence. Pour des raisons de commodités pratiques nous fixâmes aux deux derniers jours de l'année 1967 la réunion nécessaire. Depuis lors le Congrès fondateur du « Parti communiste marxiste-léniniste de France » est connu sous le nom de « Congrès de Puyricard » .

Si le vieux Parti, très offensif pour essayer de nous empêcher de créer le nouveau Parti, ne bénéficia effectivement que de très peu d'informations, tel ne fut pas le cas de la police du gouvernement en place.

A vrai dire, nous n'entendions nullement tenir un Congrès clandestin par rapport à l'État de notre pays. Notre organe était public et légal, nos réunions s'y trouvaient annoncées, le courrier des lecteurs n'avait rien de secret. Mais nous désirions éviter une provocation des hommes manipulés par Moscou dans le sens de la politique anti-chinoise. C'est pourquoi nous avions donc pris un certain nombre de mesures de sécurité qui, finalement, s'avérèrent efficaces, puisque le Congrès put se tenir et conduire ses travaux jusqu'à leur terme en dépit d'une tentative de déstabilisation effectuée par le Parti révisionniste.
Un petit commando de quatre hommes en train d'essayer d'observer les abords du lieu de notre Congrès fut découvert par notre propre service d'ordre. Ce qui les contraignit à se replier dès que l'alerte fut donnée aux autres membres de notre S.O. et aux délégués rassemblés dans la salle du Congrès. Pour se replier ces gens, que nous connaissions presque tous, puisqu'au premier rang d'entre eux se trouvait le fameux Nicolas Lanzada, démasqué comme élément infiltré dans nos rangs quelques mois plus tôt, se mirent à tirer des coups de revolver assez nombreux, des camarades en dénombrèrent onze. Une balle atteignit Christian Maillet et lui traversa la plante du pied.

Je dis que nous connaissions presque tous ces agresseurs, mais l'un d'eux qui parut être le chef de kommando nous était inconnu. Par la suite diverses rumeurs émanant des milieux révisionnistes nous incitèrent à penser qu'il s'agissait tout simplement d'un cadre du service d'ordre central venu spécialement de la région parisienne pour la circonstance.

Ce fut alors un moment au cours duquel aucun présent ne sombra dans quelque panique, tout au contraire. L'intervention stupide des révisionnistes réussit au moins à créer une unité et une résolution qui firent de ce Congrès un moment très fort de l'existence de notre petite formation.

Dois-je révéler qu'au moment de cet incident, comme dans les heures qui l'avaient précédé, François Marty, Raymond Casas et moi même avions donné des consignes de vigilance très stricte. En particulier nous avions interdit tout recours à des armes de poing ou fusils de chasse. Avec l'accord de Georges Gauthier, j'avais collecté tout objet entrant dans ces catégories et les avais déposées dans une pièce annexe de sa ferme, dissimulée sous des bâches ou un tas de foin, je ne me souviens plus exactement. Nous n'étions pas des « gauchistes » agissant sans réfléchir, nous étions tout simplement des communistes bénéficiant d'expériences précieuses acquises pendant la Résistance. Aussi étions-nous des dirigeants sachant prendre leurs responsabilités.

Je ne désire pas revenir sur le très long rapport politique que je présentai au nom du Bureau politique du Mouvement communiste français (marxiste-léniniste). Le rapport de Puyricard était une somme comportant une analyse de la situation internationale, de la situation politique et sociale en France. S'il approuvait les grandes lignes des décisions du Parti communiste chinois, et les principes idéologiques de Mao Zedong, il récusait le qualificatif de «prochinois » pour revendiquer seul celui de «marxistes-léninistes » , et se démarquait délibérément des fantaisies des milieux qui s'autoproclamaient déjà «maoïstes » .

Sa conclusion proposait la création du « Parti communiste marxiste-léniniste de France » . Il fut adopté à l'unanimité des congressistes, qui étaient au nombre de 104, venus des quatre coins de notre pays.
Peut-être y eut-il une abstention, mais je ne m'en souviens plus avec certitude.

Un Comité central fut élu, ainsi qu'un Bureau politique et un secrétariat. Je revendique d'avoir proposé au Congrès que le camarade Raymond Casas, ouvrier métallurgiste, soit élu comme secrétaire général du Parti, partageant avec moi cette fonction dirigeante du plus haut niveau. François Marty et quelques autres comme Régis Bergeron furent désignés pour constituer le Secrétariat et le Bureau politique.

Je pense que la naissance de notre formation était inéluctable du fait de la dégénérescence accélérée du Parti soviétique et, dans son sillage, du Parti communiste français. Je ne regrette donc rien de ma vie de militant dans ces circonstances, ce qui ne signifie pas du tout que je sois persuadé que nous ne commîmes jamais d'erreurs.

Sans doute les temps n'étaient pas encore venus pour la réussite d'une telle entreprise de redressement des partis communistes dans le monde et en France tout particulièrement. Il y a beaucoup à apprendre de toutes les erreurs commises par les uns et par les autres, ainsi que des prises de position justes et positives qui marquèrent la vie de tous.

Je demeure inflexiblement persuadé qu'un jour futur les peuples ne supporteront plus le fléau historique du capitalisme et sauront inventer une société nouvelle de paix, de justice et de bonheur ayant pour fondement les acquis positifs des premières expériences du socialisme, les aspects négatifs étant sérieusement analysés et rejetés ou corrigés.
Xuan
Vers la création du PCMLF


-17-


L'année 1966 restera essentiellement caractérisée par le déclenchement de la Grande Révolution Culturelle prolétarienne en Chine populaire. Une année de bouleversements de plusieurs sortes dans le monde entier, et particulièrement dans le monde communiste. Mais en France elle fut marquée aussi par l'essor des mouvements contestataires s'opposant au révisionnisme, notamment chez les intellectuels et les étudiants.

La Fédération des cercles marxistes-léninistes commençait à être connue. Aussi la confrontation avec les révisionnistes devenait-elle de plus en plus aiguë. Les dirigeants du vieux Parti n'hésitaient pas à recommander la violence à leurs militants de base.
La question du soutien aux patriotes vietnamiens constituait un point de friction sévère, d'autant plus que les dirigeants Communistes vietnamiens suivaient une ligne définie par Ho Chi minh en refusant de condamner les camarades chinois, tout en conservant des relations avec les Soviétiques.
En fait, le vieux Parti ne supportait pas que dans ses propres rangs des militants et non des moindres ne dissimulent plus leurs critiques vis-à-vis de la mollesse de leurs dirigeants centraux dans la lutte contre l'impérialisme américain.

Madeleine Riffaud, admirable journaliste et camarade connue pour ses activités pendant la Résistance contre les Nazis exprimait tout haut ce que de nombreux intellectuels pensaient tout bas ou ne proclamaient qu'à demi-voix. Le 23 mars, lors d'un défilé marqué par de sévères affrontements entre marxistes-léninistes et révisionnistes, à Paris, elle s'était retrouvée très spontanément aux côtés de celles et ceux qui se montraient les plus résolus dans le soutien au peuple frère en guerre contre les forces américaines. Un millier de marxistes-léninistes et sympathisants avaient recouru à un sit-in Place de l'Opéra, après avoir été durement repoussés par le service d'ordre musclé du vieux Parti, sans que personne ne puisse les déloger.
Debout au milieu de ces manifestants, la pasionaria française, encore membre du PCF, n'avait pas hésité à reprendre les mots d'ordre scandés par les communistes tiers-mondistes.
J'ai toujours éprouvé une considération élevée à l'égard de cette camarade, qui a quitté les rangs du vieux parti depuis plusieurs années maintenant.

D'ores et déjà, au nom de la FCML, j'avais adressé des messages de solidarité et de soutien aux représentants des patriotes vietnamiens, qui les avaient acceptés. D'autre part, ces dirigeants communistes asiatiques n'ignoraient nullement la situation interne du mouvement communiste international. Ils tenaient le plus grand compte des positions exprimées par le Parti communiste chinois. Leur maison d'édition en langues étrangères, Xunhasaba, à Hanoï nous adressaient d'appréciables quantités de brochures en français. Ils me firent savoir de façon indirecte qu'ils étaient très intéressés par les activités des cercles marxistes-léninistes, mais, au moins provisoirement, n'entrèrent pas en rapport direct avec nous.

A la même époque, l'Union des Etudiants communistes était traversée de part en part par une crise idéologique et politique extrêmement profonde que les deux professeurs chargés de la diriger, Guy Hermier et Pierre Juquin, ne parvenaient plus à juguler.

Un débat commença à enfler les discussions internes dans nos rangs. Devions-nous ou non préparer la création d'un nouveau Parti communiste comme le souhaitaient tant, pour ne pas les citer, nos camarades albanais.

Personnellement, je ne pensais pas que nous soyons parvenus à un stade de développement suffisant pour lancer une formation politique ayant vocation nationale. Dans des régions entières, le Parti révisionniste était lui-même faible et nous-mêmes ne bénéficiions d'aucun contact. François Marty se montrait tout aussi prudent.
Quant à nos camarades chinois, quand nous évoquions l'éventualité d'une telle initiative, ils nous donnaient toujours des conseils de pondération et nous affirmaient que nous seuls étions en mesure d'en décider, car nous connaissions la situation en France beaucoup mieux qu’eux.

Je tiens à opposer un démenti catégorique à toute relation historique qui présenterait les communistes chinois comme protagonistes de la fondation de nouveaux partis, quand, comme en France, les conditions nécessaires n'étaient pas remplies. J'ajoute à ce démenti une autre indication historique capitale : jamais le Parti communiste chinois n'a cherché à mettre en place une nouvelle Internationale, ou un nouveau regroupement de partis communistes qui auraient été d'accord avec sa politique.
Il n'accepta pas de reproduire en ce domaine les graves erreurs commises par le Parti soviétique.

Par contre nos interlocuteurs albanais adoptaient une position opposée. Ils étaient très favorables à la création en France d'un Parti marxiste-léniniste comme il en existait déjà dans d'autres pays européens, en Belgique, en Italie, en Allemagne, en Espagne, en Autriche. Je ne crois pas me tromper en considérant que les dirigeants albanais estimaient qu'autour de leur propre exemple devait se constituer sinon une Internationale, du moins un courant communiste international se plaçant délibérément sous leur obédience.

Une mesure transitoire fut arrêtée à l'unanimité de notre direction de la Fédération des Cercles marxistes-léninistes. Nous allions lancer le mot d'ordre de l'objectif de fondation d'un nouveau Parti, mais nous allions prendre tout le temps nécessaire pour accomplir cette tâche sans précipitation en mettant de notre côté les meilleurs atouts possibles. Tel fut l'ordre du jour, disons stratégique, d'une Conférence nationale convoquée à Paris dans la salle Lancry le 26 Juin 1966.

Au nom du Bureau politique de la FCML, je pus présenter un long rapport sous le titre « En avant pour une analyse concrète de la situation des classes sociales françaises ! En avant pour la création du Parti communiste français (marxiste-léniniste) ! » . Ce rapport fut ensuite connu sous le nom de » rapport de Lancry » . Il est publié, avec d'autres documents dont je fus l'auteur, dans un ouvrage qui connut un assez beau succès de diffusion « Arracher la classe ouvrière au révisionnisme » recueil de textes de 1965 à 1971 - éditions du Centenaire février 1976 - huit mille exemplaires vendus.
Le ou la camarade chargé de cette édition oublia tout simplement le mot « moderne » à la fin du titre. Nous ne combattions pas comme Lénine le révisionnisme ancien de Kautsky, mais les formes nouvelles de cette perversion idéologique que nous nommions le « révisionnisme moderne » .

Mon rapport fixait la tâche de créer un nouveau parti de type léniniste et combattait les illusions de la « lutte interne » dans les rangs du vieux parti.
Après discussion, un vote unanime, ou largement majoritaire, décida la fondation du « Mouvement communiste français (marxiste-léniniste) » , qui succéda à la Fédération des cercles et se trouva conçu comme « instrument de la création du P.C.F.(M-L) » .Une nouvelle direction fut élue, comportant un secrétariat collectif.

Deux mois plus tard, je pus enfin prendre quelque repos. Pendant mes vacances professionnelles, je partis de Marseille trois semaines. Je conserve un souvenir très marquant des vacances ainsi passées avec Baya dans une ferme isolée, presque désolée, où nous vécûmes seuls. Cette résidence de repos et de calme absolu nous avait été offerte par des amis de la Cimade avec lesquels ma compagne avait noué des relations privilégiées pendant la révolution algérienne. À Prat Haut, dans le Queyras, département des Hautes Alpes, l'altitude d'environ 1800 mètres nous offrait des journées très agréables, fraîches et ensoleillées, mais des nuits où, dormant sans la moindre insomnie nous devions nous recouvrir de toutes les couvertures usagées trouvées sur place et nous serrer étroitement l'un contre l'autre pour unir la chaleur de nos corps. Nous restions quelquefois trois jours sans voir âme qui vive. Le quatrième jour, nous prenions notre Citroën deux chevaux pour descendre jusqu'à Aiguille, ou monter à Saint-Véran acheter quelques approvisionnements, il fallait bien manger. Cette dernière commune, située à 2040 mètres d'altitude, est souvent présentée comme le plus haut village habité d'Europe.
Outre l'enchantement des lieux, nous dévorions une nourriture bien spéciale.
Baya lisait « Etoile rouge sur la Chine » d'Edgar Snow et je me plongeais dans les articles du premier tome des « Œuvres choisies de Mao Zedong » , ouvrage de 392 pages traduit en français par les Editions en langues étrangères de Pékin. Un plaisir idéologique riche et profond. Une découverte insoupçonnée et enrichissante. Une lecture plus facile que celle des textes de Lénine, et même de Marx ; j'étais enthousiasmé.

Ce fut sans doute un peu plus tard, en septembre 1966, que j'effectuai mon troisième séjour en Chine populaire pour une semaine. Je fus reçu par Zhao Jien ming, qui partagea entièrement mes vues à propos du Parti belge de Grippa et du CMLF de Beaulieu.

Les luttes avec les forces lancées contre nous par les dirigeants révisionnistes s'aiguisaient de plus en plus surtout en milieu étudiant et intellectuel. Mais par ailleurs, le philosophe Althusser cristallisait autour de lui à l'École Normale Supérieure un nombre appréciable de militants qui se rapprochaient toujours de plus en plus des idées défendues par le Parti communiste chinois et les marxistes-léninistes du monde entier.

Ainsi, Gilbert Mury annonça dans une retentissante conférence de presse qu'il quittait le vieux parti et adhérait au Mouvement communiste français (marxiste-léniniste). Régis Bergeron avait eu au préalable des entretiens prolongés et approfondis avec ce philosophe très connu, lui aussi, de la jeunesse estudiantine.

Puis à la suite de violences méprisables organisées par le service d'ordre central révisionniste à la salle des Horticulteurs contre une réunion des jeunes normaliens, les « ulmards » , ceux-ci décidèrent de saborder l'Union des Étudiants communistes et se regroupèrent à une centaine au théâtre de l'École Normale supérieure, rue d'Ulm, pour fonder une formation nouvelle baptisée par eux « Union des Jeunesses Communistes (marxistes-léninistes) » . Je leur écrivis pour entrer en relation avec eux, mais ne reçus aucune réponse.

Moins d'une semaine plus tard, le 16 décembre 1966, notre camarade Claude Combe, ouvrier d'usine, ancien cadre fédéral du PCF de l'Eure-et-Loir, fut attaqué et blessé au visage par une foule de révisionnistes, excités et encadrés de dirigeants spécialement venus à Tours pour empêcher la tenue de l'un de nos meetings.
Xuan
Des brimades policières - 2e voyage en Chine - "je vote communiste"


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L'année 1965 n'avait pas fini de nous offrir des surprises.

J'effectuais assez régulièrement, mais nullement tous les mois, beaucoup moins souvent en vérité, des visites à l'Ambassade de Chine populaire en Suisse.
Lors d'un voyage effectué au cours du premier trimestre de 1965, je me rendis compte que j'étais filé et surveillé par deux hommes en civil, que je tins aussitôt pour deux fonctionnaires de police. Comme je prenais, à Lyon-Perrache, mon billet pour la Suisse, ils passèrent juste derrière moi au guichet de la SNCF et j'entendis qu'ils demandaient des titres de transport pour la même direction. Sans leur laisser l'impression que je les avais repérés, je me mis à les surveiller. Ils montèrent, comme par hasard, ou, tout au contraire de façon très déterminée, dans le même wagon que moi, cherchèrent, depuis le couloir, l'endroit où je m'étais installé et demeurèrent debout non loin de mon compartiment. À l'arrivée à Berne, ils me laissèrent descendre devant eux, mais je m'arrangeai pour qu'ils soient contraints de me dépasser et je constatai qu'ils se rendirent directement à une porte, qui ne constituait nullement une sortie de la gare, mais portait en grosses lettres l'indication « police » .
J'avais compris, mais ignorais s'il s'agissait de policiers français ou suisses. De toutes façons, je pensai qu'une coordination étroite existait entre les deux services et peu m'importait que ces gens soient de mon pays ou de celui où je me trouvais en situation d'étranger.
Je me rendis à l'hôtel où je descendais habituellement, puis à l'Ambassade de Chine populaire en taxi. Pas de filature apparente. Je n'indiquai pas même le fait à mes interlocuteurs chinois.

Quelque temps plus tard, alors que j'effectuai une nouvelle fois le même trajet, à l'arrêt en gare de Lausanne, une femme élégante, toute vêtue de noir, monta dans le wagon. Je me trouvais seul, il n'y avait pas d'autres voyageurs. Elle sembla chercher quelqu'un, puis me vit et vint s'asseoir juste en face de moi. Elle sortit aussitôt de son sac à main un superbe boîtier à cigarettes, puis une cigarette, enfin un briquet et m interpella « J'espère que la fumée ne vous dérange pas, Monsieur » . Je ne lui répondis que par une dénégation bougonne de la tête. Alors elle alluma sa cigarette en élevant très haut son briquet, disons à hauteur de mon visage. Sur le moment je ne compris pas, mais quand elle recommença le même manège un moment plus tard, je pensai instantanément que cette femme était en train de me photographier. Jusqu'à Berne, je ne desserrai pas les dents, elle non plus. Affectant une politesse naturelle, je la laissai passer la première pour descendre du train et l'observai attentivement jusqu'au moment où je la vis entrer à son tour, sans hésitation, dans la partie de la gare portant l'inscription « police » .

J'informais mes plus proches camarades, à mon retour en France, que je me trouvais sous surveillance policière.
Je ne me trompais pas.

Ces filatures étaient-elles demandées par les Renseignements généraux français, ou par la Police fédérale suisse, je l'ignore toujours. Mais à la façon dont réagirent ultérieurement les journalistes et dirigeants du Parti révisionniste, j'incline à penser que nous avions été donnés par la section de montée des cadres alors dirigée par Gaston Plissonnier.
Toutefois rien n'est jamais établi de manière infaillible en pareilles circonstances.

Toujours est-il que fin juin 1965, trois d'entre nous furent interpellés à la frontière, du côté suisse. Il convient que je relate cette péripétie.
Nos contradictions avec le C.M.L.F. de Claude Beaulieu, comme d'ailleurs avec les Belges, ne cessaient de s'exacerber. À tel point que notre direction de la Fédération des Cercles marxistes-léninistes décida d'en informer le Parti communiste chinois.
Pour cette démarche furent désignés trois camarades : François Marty, Marcel Juliot et moi-même. Deux d'entre nous travaillaient et ne pouvaient se libérer que durant un week-end. Nous prîmes donc le train en direction de Berne en passant, comme d'habitude par Lyon-Perrache, le Samedi 19 Juin 1965.

Aussitôt arrivés, nous eûmes un entretien approfondi avec nos interlocuteurs chinois, au siège de leur ambassade, puis, le soir, un peu tard, nous rejoignîmes le grand hôtel où nous avions pris l'habitude de descendre lors de nos passages. Nos amis chinois nous avaient défrayés de nos dépenses, ce qui était normal, parce que sans ce soutien concret, nos bourses respectives ne nous auraient pas permis de tels déplacements. Nous avions reçu chacun deux cents dollars, ce qui couvrait correctement et sans excès les frais de train, d'hôtel, de nourriture. Mais, par vigilance, nous effectuâmes le retrait de francs français dans une agence de change près de la gare.
Nous considérions inutile d'être éventuellement trouvés porteurs de dollars. Le préposé de la caisse nous remit à chacun un ticket enregistrant l'opération effectuée.
Nous montâmes dans le train suisse, assez satisfaits d'avoir pu apporter à nos camarades chinois des explications détaillées justifiant que nous ne voulions avoir aucune relation avec le groupe de Clichy, particulièrement suspect à nos yeux.

Le voyage est assez rapide entre Berne et Genève, même en omnibus. Nous arrivâmes vers la fin de la matinée dans la grande cité des bords du lac Léman. Il faisait beau temps, nous n'étions pas trop fatigués, mais je redoutais simplement un accès de rhume des foins, maladie à laquelle j'étais prédisposé depuis longtemps pendant les mois de printemps.
Nous descendîmes pour passer en territoire français par le couloir souterrain qui relie les deux pays. Les baraques des douaniers et des services de police s'élevaient en haut, sur les quais, de chaque côté, l'un français, l'autre suisse.

Dès que nous fûmes engagés dans les escaliers du côté suisse, des fonctionnaires de la police fédérale helvétique en civil nous abordèrent et nous déclarèrent que nous étions en état d'arrestation. Nous fûmes séparés en moins de vingt secondes et escortés, chacun, par l'un de ces personnages. Je pus remarquer que notre arrestation avait fait l'objet d'une préparation minutieuse par le nombre impressionnant de policiers en civil que j'aperçus dans les escaliers et dans la gare. On nous conduisit dehors et l'on nous fit monter dans des automobiles banalisées.
Ni vus ni connus. C'était une interpellation dans toutes les règles de la discrétion. Puis on nous amena dans un immeuble important qui devait être le siège de la direction fédérale de la Police suisse.
Je ne ressentais aucune inquiétude et ne parvenais pas à comprendre pour quelle raison avait pu être décidé ce contrôle. Et sur demande de quel organisme.

Le fonctionnaire qui s'occupait de moi se présenta, Commissaire Marchesi. Il me donna lecture d'un texte me notifiant une inculpation « d'espionnage au profit d'un État, d'une nation ou d'une formation politique étrangère » .
Cette notification était plus détaillée que les quelques mots qui demeurent dans ma mémoire. Elle me fit éclater de rire, sans ostentation, mais avec une totale sincérité. Moi, un espion ? C'était une farce.
Mais l'honorable flic suisse, qui restait très poli, m'indiqua que les meilleurs espions étaient les « bons pères tranquilles » dans mon genre.

Je lui parlai alors avec sérieux et lui demandai sur quels faits cette accusation pouvait être fondée. Il énuméra mes déplacements de la veille et du matin, indiqua l'hôtel où j'avais dormi, et, point crucial pour lui de ma qualité d'espion, m'assura que j'étais allé à l'ambassade de Chine populaire, en étais ressorti tard le soir, et que ce n'était pas ma première visite dans ces lieux diplomatiques. Il ajouta qu'il était absolument anormal que je rende visite à cette ambassade, moi, Français, dans la mesure où des relations diplomatiques existaient désormais entre mon pays et la Chine.

Je répondis calmement à toute son argumentation en indiquant, ce qui était vrai, que nos relations étaient politiques et ne regardaient en rien la Suisse. S'il pouvait m'établir une infraction d'espionnage mettant en cause les intérêts directs de son pays, qu'il le fasse donc immédiatement.
Naturellement il s'en garda bien, demanda à fouiller mon portefeuille, je ne pus m'y opposer, il y trouva le reçu du change des deux cents dollars de défraiement et me demanda pourquoi j'avais choisi de changer en Suisse plutôt qu'en France. Là il est exact que je me trouvai quelque peu embarrassé parce que je ne voulais à aucun prix révéler qu'il s'agissait du remboursement de nos frais par les Chinois.
Je n'entendais absolument pas mettre en cause nos camarades. Je lui fournis donc une explication à laquelle évidemment il ne mit pas. J'inventai que le taux de change était plus favorable dans son pays que dans le mien, qu'il me restait ces quelques dollars chez moi laissés par un ami étranger de passage et que j'avais donc profité de mon déplacement en Suisse pour en effectuer le change en francs français. Il insista pour me faire dire que je les avais reçus des diplomates chinois et je refusais jusqu'au bout cette assertion.

J'ignorais deux faits : au même moment, mon camarade François Marty, plus habile que moi, avait réussi à froisser le reçu qu'il possédait, qui ne se trouvait pas dans son portefeuille, mais dans sa poche. De telle sorte que même la fouille du Commissaire qui l'interrogeait ne provoqua pas la découverte du reçu en cause. Par contre, Marcel Juliot se laissa piéger par le fonctionnaire qui l'interrogeait. Ce dernier prétendit mensongèrement que Marty et moi avions avoué avoir reçu des dollars de l'Ambassade de Chine. Alors notre camarade, naïvement, accepta de reconnaître le même fait, se croyant couvert par les aveux des deux autres membres de notre délégation.

Marchesi me demanda aussi à brûle-pourpoint si j'étais un ancien député du Parti communiste français. Cette question me sembla étrange et m'incita à considérer qu'il pouvait y avoir effectivement une relation entre nos arrestations et une éventuelle dénonciation venant de la police politique révisionniste. Mais, avec le recul des années, m'est venu à l'esprit que peut-être cette question correspondait à ma qualité d'ancien secrétaire de député à l'Assemblée nationale. Or cette indication figurait dans ma fiche des Renseignements généraux, comme j'en eus la preuve par des articles ou la presse citait mon premier prénom « Alphonse » , celui fourni par ce service de police. Un journaliste me confirma le fait.

Finalement après deux ou trois heures de questions sans aucun intérêt pour établir je ne sais quel délit d'espionnage, la Police fédérale suisse nous fit signer nos dépositions avant de nous libérer en nous expulsant du territoire de ce pays. Nous aurions pu refuser de signer, comme il était de règle pour tout communiste. Mais cette attitude impliquait que nous allions demeurer en Suisse encore quelques temps et que pour Juliot et moi-même cet emprisonnement ne serait pas sans conséquence immédiate sur nos situations professionnelles.
Comme d'autre part ce que nous signions n'avait rien de vraiment compromettant ni pour nous mêmes ni pour nos amis chinois, tactiquement nous eûmes tous les trois la même réaction. Il était préférable de signer pour pouvoir rentrer immédiatement en France.

Nous atteignîmes enfin nos pénates à Marseille dans la soirée du Dimanche. Fait étrange : côté français, à Genève, les services de police ne nous adressèrent pas un seul mot, alors que certains de leurs fonctionnaires avaient parfaitement pu voir que nous étions accompagnés et relâchés juste sur la frontière par leurs homologues suisses. À vrai dire je pense que sur le plan judiciaire, rien ne pouvait nous être reproché. Nous n'étions pas encore à l'époque du fameux Ministre de l'Intérieur Raymond Marcellin qui allait voir partout, quelques années plus tard, la main de Mao Zedong, comme d'autres avaient vu naguère en tout communiste la main de Moscou ou un homme avec un couteau entre les dents.

Simplement nos épouses s'étaient inquiétées et s'étaient consultées l'une l'autre sans pouvoir se rassurer efficacement.

À qui profita cet acte de répression assez stupide ? Et d'autant plus ridicule que nous fûmes tous « interdits de séjour » dans ce beau pays évidemment beaucoup plus accueillant aux visiteurs chargés de déposer des fortunes sur des comptes secrets en banques que les modestes militants politiques que nous étions.
La presse en France en fît état, sans grand tapage. Les seuls à avoir tenté d'exploiter l'affaire furent évidemment les dirigeants révisionnistes. L'Humanité nous présenta, comme à son habitude lorsqu'elle parlait de nous, en termes diffamatoires et nullement politiques. Elle publia un communiqué perfide en encadré et je répugne sincèrement à en rapporter les termes et les accusations.

Pendant longtemps je me creusai l'esprit pour essayer de savoir s'il y avait eu une fuite émanant de notre groupe. Mais en vérité, notre voyage n'était connu avant notre départ que de quatre militants de notre direction fédérale. Je ne nommerai pas le quatrième qui ne vint pas avec nous. Je ne parviens pas à me faire une certitude au sujet de son rôle personnel. Était-il une taupe de l'appareil policier du Parti communiste français ? C'est tout à fait possible.

Etait-il tout simplement un indicateur des services français ? C'est également possible. Mais dans le doute, je préfère taire son nom et récuser toute hypothèse accusatrice à son égard. Toujours est-il qu'il nous quitta quelques mois plus lard et que je n'ai plus jamais su ce qu'était devenu cet homme.

Plusieurs années plus tard, une demande en suppression de cette mesure à mon encontre soutenue par un avocat français fut rejetée par le Tribunal fédéral suisse ; ma présence dans ce pays demeurant indésirable. Curieux pays, ou superbe pays ayant des autorités et des administrations pour le moins paranoïaques ou corrompues internationalement. Il faut bien blanchir l'argent sale ou profiter de l'or et des objets de valeur volés aux Juifs par les Nazis et leurs serviteurs pendant la seconde guerre mondiale. Ce pays est pourtant si beau et certains de ses ressortissants humanistes ont sauvé les grands parents, les tantes et les oncles de mes enfants en 1943 et 1944, leur accordant asile en tant que Juifs qui, demeurés en France, auraient probablement été pris et déportés vers la mort. Double visage d'une société fort policée de notre Occident prétendu civilisé.

En 1965 j'effectuai un second voyage en Chine populaire, durant deux ou trois semaines couvrant la fin du mois d'août et la première quinzaine de septembre. Par une carte postale encore présente dans mes archives, je sais que j'étais à Pékin le 3 septembre, où je rejoignis le couple Marty. Ils arrivaient de Tokyo où ils avaient participé, avec Thiervoz et Juliot, à la seconde conférence du Gensuykyo japonais contre les armes d'extermination massive.
Avec mes camarades, nous partîmes d'abord pour Canton. Puis nous eûmes le privilège exceptionnel de visiter la ville touristique magnifique de HangTchéou le 12 du même mois.

Après notre retour en France, notre activité au cours de l'année 1965 fut constituée par une prise de position politique et à ne voter ni pour De Gaulle ni pour Mitterrand, mais à mettre dans l'urne un bulletin de vote nul sur lequel ils auraient inscrit : « Pour la fidélité à l'idéal communiste, je vote communiste».
Xuan
L'Humanité Nouvelle


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La décision fixée par la Fédération des cercles marxistes-léninistes de lancer un mensuel fut longue à voir le jour. François Marty et moi-même en étions les principaux protagonistes, mais nous étions extrêmement exigeants à la fois pour les camarades qui allaient participer à la rédaction et à l'administration de ce périodique et vis-à-vis de nous-mêmes.
D'abord il fallait réunir les fonds de départ, il importait de trouver un imprimeur en qui nous avions confiance, c'est-à-dire un artisan qui ne soit pas en relations amicales avec la direction du Parti révisionniste ni avec les services des Renseignements généraux.
Il fallait prévoir une diffusion commerciale par le canal des Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne, les N.M.P.P. dont les bureaux et entrepôts étaient à Paris rue du Sentier, juste derrière ceux du quotidien France-Soir, il importait que nous connaissions exactement les formalités administratives à respecter, les déclarations et dépôts légaux obligatoires, bref il s'agissait d'une entreprise exigeant des expériences que nous ne possédions pas encore.

Un débat assez vite réglé se conclut par la réalisation de l'unanimité des militants responsables de la Fédération sur le choix du titre l'Humanité-nouvelle. La question de savoir si nous reprendrions la même calligraphie que celle du titre de la vieille Huma fondée par Jaurès suscita quelques hésitations. Les dirigeants révisionnistes ne trouveraient-ils pas là une cause suffisante pour nous faire un procès en justice ?
Je considérais pour ma part qu'ils n'oseraient pas engager une telle initiative. En agissant ainsi ils auraient pris le risque de nous faire une publicité susceptible de révéler notre existence à des milliers de communistes qui pensaient comme nous, mais ne savaient pas encore que nous existions, organisés en dehors des rangs du vieux Parti. La suite me donna raison, il n'y eut aucun procès contre l'Humanité-nouvelle.

Le premier numéro sortit des presses sur seize pages au mois de février 1965. Son directeur de publication fut d'emblée François Marty.
Régis Bergeron fut rédacteur en chef, il était en réalité le seul journaliste de métier présent parmi nous.
Je fus, de fait, secrétaire de rédaction, chargé de rassembler avec Marcel Juliot, les différents articles à publier dans les rubriques ouvertes dés le début.

Mais une tâche bien particulière m'imposa un travail soutenu pendant deux ou trois jours par mois. J'avais aussi à assumer la mise en page, articles, photographies, titres, pavés légaux imposés par la Loi sur la presse. Je demeurais donc pendant des heures au marbre, à côté d'un typographe, avec lequel je me liais d'amitié sans pour autant le transformer en marxiste-léniniste.

Cet homme, nettement plus âgé que moi, était tout simplement un ouvrier et possédait un sens de classe naturel et, du coup, certains de nos textes ne pouvaient manquer de lui plaire. L'avantage de ce rapport entre lui et moi fut tout simple : il ne fut jamais de mauvaise humeur et fit preuve d'une grande patience vis-à-vis de toutes les erreurs et autres fantaisies qui n'étaient dues qu'à mon inexpérience.

La vente de notre organe rencontra d'extrêmes difficultés. D'abord parce que L'Humanité-nouvelle n'était pas connue. Ensuite parce que là où elle était évoquée dans les rangs du vieux Parti, les cadres fédéraux arrivaient aussitôt pour nous diffamer et lancer contre nous calomnies et mensonges. Ils n'hésitaient pas à nous accuser d'être des « flics » . Enfin parce que les organismes de distribution, NMPP à Paris et régionalement, ainsi que les kiosques publics ne trouvaient aucun intérêt financier à la vente de cet organe de faible tirage et de trop longue périodicité. Il est intéressant de souligner que la cellule d'entreprise du Parti révisionniste aux NMPP adopta à notre égard une attitude nullement antagonique. Son secrétaire politique devint bientôt membre de notre organisation.

Contrairement à ce qu'écrivent les journalistes, reporters et autres auteurs qui entendent traiter, aujourd'hui, des « maoïstes » , notre organe ne bénéficia pas durant toute sa période d'édition de dix mille abonnements chinois.
Ce chiffre important ne fut réalisé je crois bien qu'à l'époque où il devint quotidien durant une assez courte période, après 1970.
Les abonnements étrangers, essentiellement chinois et albanais, nous aidèrent certes de façon précieuse, mais les quantités commandées varièrent d'une année à l'autre, n'atteignant leur sommet qu'un ou deux ans de suite en cette période exceptionnelle. En général, nous eûmes à expédier en Chine populaire 5 000 exemplaires, que les lecteurs de français trouvaient dans les aérogares des grandes villes.
Bientôt d'ailleurs « l'Humanité » révisionniste ne franchit plus les frontières chinoises. Les étudiants de langue française de l'Université de Pékin n'eurent plus à leur disposition que notre modeste organe, qu'ils pouvaient se procurer à la Librairie internationale de Pékin.

Une autre source de financement de la trésorerie indispensable qui nous permit de tenir près de quinze années (Humanité-nouvelle, puis Humanité-rouge) provint de la souscription permanente dont l'objectif fut plusieurs fois de recueillir en douze mois quatre-vingt à cent millions de francs (de centimes d'aujourd'hui).
Plusieurs années de suite, surtout au début et en 1968, nos résultats en ce domaine furent excellents, et même si l'objectif resta quelquefois supérieur au résultat obtenu, il n'en fut pas moins proche et utile, voisinant les quatre-vingt millions de francs. À cet égard je dois révéler les sacrifices énormes que consentirent de nombreux lecteurs et militants, qui envoyèrent des sommes très importantes par rapport à leurs revenus professionnels.
Il y avait dans de telles attitudes la manifestation d'une conviction, d'une honnêteté et surtout d'une espérance engendrées par notre refus du révisionnisme moderne et des méthodes bureaucratiques, antidémocratiques et brutales des dirigeants du Parti français.
La politique suivie par les dirigeants de Moscou était de plus en plus condamnée, non par des ennemis de classe du communisme, mais au contraire par des militants qui se voulaient radicalement communistes et fidèles au passé glorieux de leurs aînés en France comme dans le monde entier.

Notre organe mensuel put ouvrir rapidement une rubrique de « Lettres de lecteurs » dans laquelle s'exprimèrent de nombreux militants, de manière anonyme ou revendiquée et signée.

Les cercles marxistes-léninistes fleurissaient un peu partout en France, dans des villes ou dans des usines et nous recevions des encouragements d'un peu tous les milieux.
Régis Bergeron nous fît savoir que Gilbert Mury, qui exerçait encore de hautes responsabilités au sein du Parti révisionniste, était prêt à nous rejoindre.

Courant avril 1965, nous reçûmes de l'Ambassade d'Albanie une invitation à assister aux cérémonies du Premier Mai à Tirana.
Je réussis à prendre le congé nécessaire, soit une semaine à imputer sur mon congé annuel. Je partis en compagnie de François Marty.
Mais j'eus dans la capitale albanaise la désagréable surprise d'y retrouver le fameux Claude Beaulieu, en qui nous n'avions vraiment aucune confiance. Nous le soupçonnions d'être soit une « barbouze » travaillant pour la police, soit un indicateur de la section de montée des cadres du Parti révisionniste, c'est-à-dire encore d'une police parallèle.
Je ne peux toujours pas trancher cette question, et pense qu'il n'était peut-être ni l'un ni l'autre.
Toujours est-il que très longtemps après, à l'occasion de mes activités militantes antiracistes, je devais le rencontrer et j'appris qu'il était membre d'un organisme du Parti communiste français dans le département des Alpes-Maritimes. Je n'en tire aucune certitude, mais seulement une hypothèse subjectiviste, disons une présomption.

Je fus assez impressionné par le défilé militaire et populaire albanais. Nos hôtes nous avaient placés à la tribune d'honneur, aux côtés de nombreux autres étrangers qui représentaient des groupes marxistes-léninistes européens ou d'autres pays dans le monde.
Nous fîmes la connaissance de certains d'entre eux, notamment d'Italiens, d'Allemands et d'Autrichiens. Une place de choix, plus prés du centre de la tribune, était occupée par les Belges.

Un banquet officiel nous réunit tous avec les dirigeants albanais dans le château de l'ancien roi Zog. Chacun dut y porter un toast en faveur des mots d'ordre marxistes-léninistes en même temps qu'à la santé d'Enver Hoxha, et à la gloire des grands dirigeants révolutionnaires. Le repas fut abondant, servi par des gens stylés habitués aux grandes réceptions. Avant de partir chacun d'entre les invités serra la main du chef de l'Etat populaire albanais et de ses plus proches compagnons, Husny Kapo, Mehmet Chehou, Ramiz Alia notamment.

Le lendemain, ou la veille, je ne m'en souviens plus avec précision, nous eûmes, François Marty et moi-même, un long entretien avec les représentants de la direction du Parti frère, dans une assez petite pièce de l'immeuble servant de siège au Comité central.
Ce qui fut exposé et déclaré n'est pas du tout resté dans ma mémoire. Je sais seulement qu'Enver Hoxha fit une entrée remarquée après que nous avions déjà tous pris place.
C'était un homme de haute taille, avec une chevelure foncée de coupe un peu romantique, un regard direct et perçant, sachant parler français assez correctement, parce qu'il avait vécu, jeune étudiant, une année, à Montpellier. Il nous manifesta une sollicitude un peu exubérante et nous donna de nombreux conseils, en prenant des exemples tirés de la lutte de libération qu'il avait conduite victorieusement contre les Italiens d'abord, puis contre les Nazis.
Le plus sympathique de ses compagnons me parut être Husny Kapo. Tel fut aussi l'avis de François Marty.
Mais le plus intelligent, à mon très modeste avis, me semblait être le plus jeune d'entre eux tous, Ramiz Alia, qui parlait au moins quatre langues étrangères dont le français.

Les journées passèrent très vite et nous nous retrouvâmes bientôt sur la voie du retour, par avion comportant un changement de lignes à Bari, dans le sud de l'Italie, puis à Rome Fiumicino. Nous dûmes descendre à Nice et rejoindre ensuite Marseille par une ligne intérieure française. Nous étions plutôt fatigués.

Quelques jours à peine après notre retour était publiée la nouvelle que la Chine populaire venait de procéder à sa deuxième expérience atomique. Nous étions satisfaits de voir ainsi brisé le monopole nucléaire américano-soviétique. Pour nous la menace d'une agression des États-Unis se trouvait quelque peu éloignée par la possibilité de riposte, même minime, de la Chine communiste.

Le fameux Traité de Moscou qui avait tellement opposé les révisionnistes du monde entier et les marxistes-léninistes se trouvait contourné par le gouvernement du pays où vivait le plus grand peuple de la terre qui avait refusé de le signer. Je tiens à rappeler qu'à l'initiative du général De Gaulle, la France avait aussi refusé de signer ce traité instaurant une double hégémonie planétaire.

Avant même que nous ayons eu le temps de réunir nos instances dirigeantes de la Fédération, nous reçûmes des informations de militants nous annonçant que pendant notre absence, le nommé Georges Frêche, adhérent de date récente, avait entrepris une visite des différents responsables des cercles marxistes-léninistes existant pour leur expliquer qu'il fallait « vider les vieux et les remplacer par des jeunes » .
En clair, il demandait que l'on expulse des rangs de la Fédération François Marty et Jacques Jurquet pour mettre à leur place des militants moins âgés, et, naturellement, lui-même, docteur en droit et ancien militant de la Fédération Générale des Etudiants de Lettres, la FGEL.
Nous fûmes pour le moins stupéfaits. Une réunion spéciale fut convoquée pour le 5 juin, au cours de laquelle, à l'unanimité, ce curieux personnage fut exclu par les cercles de Tours, Bordeaux, Aix en Provence, Le Havre, Grenoble, Paris, Marseille et par le Secrétariat provisoire composé de François Marty, Louis Rovini et Jacques Jurquet.

Georges Frêche a depuis lors fait une carrière politicienne.
Après qu'il eut signé dans l'Humanité-nouvelle une étude sur les questions agricoles sous le pseudonyme de Georges Lierre, et après son exclusion, il rejoignit tout d'abord le groupe de Clichy, dirigé par Claude Beaulieu. Puis, après une interpellation en Suisse sur laquelle je vais revenir plus loin, il quitta définitivement les rangs des marxistes-léninistes et disparut, du moins pour nous.
Plus tard nous devions le reconnaître en la personne du député-maire de Montpellier, élu socialiste. C'est pourquoi les plus humoristes d'entre les nôtres, prenant en compte son pseudonyme lors de son court passage dans nos rangs, le baptisèrent « la plante grimpante» .
Xuan
Curieuse attitude de Grippa


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Il ne me semble pas que nous ayons eu un nouvel entretien politique avec le « département » . Nos hôtes nous reconduisirent à l'aéroport de Pékin, et, là nous fûmes de nouveau accueillis dans une salle spéciale par Liu Ning yi qui resta avec nous jusqu'au moment de l'embarquement. Le préposé au protocole nous rendit nos passeports qu'il nous avait poliment demandés à notre arrivée. Les cachets d'arrivée et de départ de la République populaire de Chine étaient majestueux et dûment apposés, avec une application visible plus nette que ceux du Japon et de Hongkong.

L'aéroport de Pékin était assez rudimentaire en 1964 et n'avait aucunement les aspects d'un grand centre aérien international comme nous avions eu l'occasion d'en traverser quelques-uns Depuis Paris. D'ailleurs à ce moment-là ne fonctionnait pas encore une compagnie chinoise aérienne assurant des vols intercontinentaux. Il n'est pas douteux que l'établissement de relations diplomatiques entre la France et la Chine populaire puis l'entrée de cette dernière à l'O.N.U. incita le gouvernement chinois à accélérer la mise en service ultérieure de sa propre compagnie aérienne de vols internationaux et naturellement l'aménagement moderne des aéroports de Pékin, Shanghai et d'autres grandes villes.

De retour en France nous dûmes rapidement reprendre nos activités qui exigeaient à la fois du courage, de la perspicacité et de la santé. Nous étions attaqués de tous les côtés : de la part du Parti communiste français en proie à une période de délire révisionniste et de la part des services de police de l'État français.

Dès le 7 août 1964, je fus amené à présenter devant le Bureau du cercle de Marseille un rapport détaillé sur notre voyage au Japon puis en Chine populaire.
En ce qui concerne le compte-rendu des travaux de la Xe Conférence Internationale contre les armes A et H, mes informations étaient déjà préparées très sérieusement avec le concours de François Marty, membre du Conseil national du Mouvement de la Paix. Connu pour sa sincérité et son honnêteté, il avait été rudement diffamé par les révisionnistes, mais jusque-là sa popularité les avaient empêchés de l'exclure de cette association de masse.

Un sujet supplémentaire s'offrit à nos réflexions : les élections municipales à Saint-Savournin. Le vieux sénateur révisionniste Léon David, que les paysans estimaient beaucoup parce qu'il leur rendait de nombreux services, avait été envoyé sur place par la Fédération. Finalement nous prîmes la décision de ne pas constituer une liste autour de Paul Coste, parce que sur le plan de la commune nous aurions fait figure de diviseurs.

Le 7 octobre, je présentai un nouveau rapport, cette fois exclusivement consacré à notre séjour en Chine populaire. Nous avions appris entre-temps la scission du Gensukyo japonais à l'initiative des Soviétiques, mais nos jeunes militants, ainsi que Castan, Rovini et quelques autres critiquaient le fait que nous apparaissions davantage comme des supporters des Chinois que comme des militants communistes préoccupés des dures conditions économiques et sociales des travailleurs en France. Un certain clivage, non antagonique, se dessina peu à peu entre ceux qui désiraient militer avant tout en faveur de la Chine contre l'Union soviétique, et ceux qui, tout en critiquant cette dernière, entendaient agir surtout sur les questions sensibles aux populations françaises.

Au cours de la discussion suivant mon exposé sur notre voyage en Chine, pendant lequel nous avions aussi rencontré le vieux Maréchal Tchen Yi, le jeune camarade algérien demanda si les camarades chinois pensaient que la Révolution violente était aussi possible en France comme en Algérie ou à Cuba. Je lui répondis que les communistes chinois avançaient une conception de la « zone des tempêtes » , c'est-à-dire essentiellement des pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, où grondait la révolution, mais qu'ils ne pensaient pas que pour l'instant existait une situation révolutionnaire dans les pays capitalistes d'Europe. J'ajoutai que ce ne pouvait être une raison pour nous croiser les bras et que le devoir de tout communiste en France consistait à soutenir par tous les moyens possibles les justes luttes des peuples du Tiers-monde.

Dès cette époque, dernier trimestre de l'année 1963, fonctionnaient à Marseille des cellules marxistes-léninistes dans plusieurs quartiers : Vauban, Centre-ville, Marseilleveyre, Saint-Gabriel, Saint-Louis et La Blancarde. Chacune avait la directive de compter sur ses propres forces au point de vue financier et fonctionnait comme les structures de base du P.C.F, exigeant des cotisations mensuelles de tous ses adhérents. Elles tenaient des réunions hebdomadaires, en alternant les ordres du jour : une semaine une réunion idéologique, la semaine suivante, une réunion de travail pratique, collage d'affiches, tracts, badigeons, etc... Mais ce que nous voulions consistait à instaurer un style de travail différent de celui des cellules du vieux Parti. Nous exigions de chaque adhérent qu'il ait une activité concrète et ne demeure pas passif.
Nous considérions que les adhérents du P.C.F. se comportaient en général comme ceux des partis sociaux-démocrates, Parti socialiste et autres.

Vis-à-vis des jeunes militants qui rejoignaient nos rangs nous soulignions qu'un communiste marxiste-léniniste devait avoir à lui seul davantage d'activité que cent révisionnistes.
Pour nous la solution résidait dans la force de l'idéologie, la confiance dans notre ligne politique. Il est effectif que de vieux communistes, vieux par leur ancienneté dans les rangs du PCF, comme des jeunes gens qui n'avaient pratiquement jamais milité réagissaient avec enthousiasme envers nos initiatives.

Pour répondre aux exigences sans cesse réitérées des quelques militants de Clichy et de nos camarades albanais, nous finîmes par accepter de nous rendre en délégation à Bruxelles pour une rencontre avec le Parti communiste de Belgique que dirigeait Jacques Grippa. Selon les affirmations de Claude Beaulieu, ce Parti regroupait d'ores et déjà le quart des effectifs du vieux Parti révisionniste belge. Il publiait un périodique bien présenté Le Drapeau rouge.
Je fus chargé de conduire cette délégation, accompagné de François Marty, de Perpignan, Robert Thiervoz, de Grenoble, Marcel Juliot de Marseille et, sauf erreur de mémoire, de Régis Bergeron, de Paris.

Jacques Grippa ne nous accueillit pas lui-même. L'un de ses représentants nommé Morenhoot eut charge de nous présenter un exposé général sur les activités du P.C.M.L.B. au siège de leur Comité central, un immeuble imposant. Une rencontre nous fut annoncée pour le lendemain avec le leader de cette formation, qui était, nous dit-on, un ancien membre du Bureau politique du vieux Parti devenu révisionniste. En attendant cette échéance, un militant fut chargé de nous faire visiter la capitale de la Belgique.

Nous avions mis comme condition à l'acceptation de cette rencontre sollicitée depuis longtemps par les camarades belges et albanais que la délégation française soit exclusivement composée de militants de notre Fédération, à l'exclusion de Beaulieu et autres membres du cercle de Clichy qui n'avaient pas notre confiance.

Lorsque nous fûmes introduits dans une grande salle où se trouvait déjà Jacques Grippa, nous fûmes aussitôt frappés par l'absence totale de toute cordialité dans son comportement. Il nous accueillit très froidement, puis nous fit asseoir un peu comme des élèves dans une classe d'établissement scolaire.

Presque aussitôt après entra une délégation soi-disant venue de Clichy et Beaulieu prit place auprès de Grippa. À notre première stupéfaction succéda rapidement la conviction que nous étions tombés dans un piège.

François Marty se montra catégorique : les accords passés pour fixer l'ordre du jour de la rencontre franco-belge étaient violés. Par conséquent nous n'avions plus rien à faire en ces lieux. Nous condamnions de pareilles méthodes. Il s'agissait d'une ingérence inadmissible dans les affaires intérieures des marxistes-léninistes de France.
En conséquence nous quittâmes prestement cet établissement et nous rendîmes aussitôt à la gare centrale de Bruxelles pour rentrer dans notre pays. À 16 heures, notre train démarra tandis que nous échangions nos commentaires indignés.

Tous nos camarades des cercles déjà constitués approuvèrent ensuite notre attitude et condamnèrent celle du Parti belge et de son curieux dirigeant.

En ce qui me concerne, je commençai à supposer qu'existaient des différences tactiques entre les Partis Albanais et Belge d'une part, et le Parti communiste chinois d'autre part. Mais, dans ma pensée, je n'allais pas encore, jusqu'à imaginer qu'il puisse s'agir de divergences fondamentales ou de rivalités pour assumer la direction internationale du mouvement marxiste-léniniste. De toutes façons, je n'en dis absolument rien à qui que ce soit, je conservais cette impression au fond de moi comme un secret. Ou plus exactement, comme une inquiétude.
Xuan
Rencontre avec Mao Tsé-toung à Pékin


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L'hôtel de Pékin était un vieil établissement. Une partie de son personnel avait travaillé dans ses murs dès avant la Révolution. Si bien que quelques-uns des serveurs auxquels nous avions affaire baragouinaient quelques mots d'anglais et même de français.
Les pièces de cet immense immeuble étaient de vastes dimensions, leurs entrées dissimulées par des portes décorées de motifs divers, avec des tentures, dans un style, où rouge, noir et or s'entremêlaient harmonieusement. Dans chaque salle des tableaux de dimensions murales représentaient des scènes anciennes ou modernes, le tableau central montrant invariablement Mao Zedong souvent entouré de dirigeants légendaires de la Révolution chinoise. Il y avait aussi des peintures de style chinois traditionnel représentant des montagnes aux sommets environnés de nuages.

Dès le premier soir, nous fumes invités à un « banquet » , tel était le terme utilisé par nos hôtes pour exprimer l'idée d'un repas officiel. Les principaux responsables du département de liaison étaient présents, dont très certainement Liu Ning yi, mais je ne m'en souviens plus. Le repas, exclusivement chinois bien entendu, fut des plus inattendus, faisant succéder des plats sucrés à des plats pimentés. Je me régalai, c'était délicieux. Pour terminer nous trinquâmes à l' inévitable victoire future du marxisme-léninisme sur le révisionnisme moderne. Des petits verres de maotaï montait une odeur à laquelle nous n'étions pas habitués et qui nous semblait désagréable. Mais une fois dans nos gosiers, après ces plats typiquement chinois, nous en appréciâmes la saveur certes fortement alcoolisée.
Pour trinquer nous apprîmes à dire « campé » . À la fin du repas, l'hôte principal nous déclara que nous devions être fatigués et qu'il était temps que nous allions nous reposer. Par la suite nous comprîmes que les militants chinois se couchaient de bonne heure en général et se levaient très tôt, de façon différente de nos habitudes occidentales.

Le lendemain, après avoir absorbé de véritables breakfasts avec tartines de confiture, fruits, œufs bacon ou sur le plat, thé ou café au lait, le tout à volonté, nous nous rendîmes à notre première réunion de contact politique avec des représentants du département de liaisons internationales du comité central. La séance de travail en commun dura jusque vers une heure. En tant que visiteurs nous eûmes à prendre la parole les premiers, mais nos hôtes n'attendirent pas longtemps pour nous exposer le programme de visite de la Chine qu'ils nous proposaient.
Nous partîmes par avion à Shanghai qui nous apparut aussi comme une ville aux dimensions démesurées, avec un port s'étendant jusqu'à l'horizon, avec quelques gratte-ciel. Nos amis nous invitèrent à monter tout en haut de l'un d'eux pour avoir une vue panoramique de la cité. Le bruit de la rue était beaucoup plus fort que dans les rues de Pékin. Nous vîmes l'ancienne entrée du quartier réservé aux Français où figuraient des écriteaux interdisant de pénétrer « aux chiens et aux Chinois » .

Nous apprîmes qu'avant la Révolution, Shanghai était une ville où les femmes dites de mauvaise vie pullulaient. Il y avait un lupanar réunissant environ dix mille prostituées. La rééducation de ces malheureuses avait été menée dans des conditions extrêmement difficiles et celles d'entre elles qui avaient réussi à accepter d'abandonner leur métier antérieur travaillaient maintenant normalement comme toute femme chinoise. D'autres, et je crois bien la majorité, avaient été expulsées vers Hongkong.

Lors de notre retour à Pékin, nous pûmes bénéficier d'une brève visite au fameux bazar que les gardes rouges devaient entièrement détruire quelques années plus tard. Un quartier que nous aurions nommé chez nous « marché aux puces » . On y trouvait de tout, des objets les plus ordinaires aux plus inattendus. Ici, pour les occidentaux que nous étions, régnait un exotisme pas toujours facile à comprendre.

Puis nous visitâmes le Palais d'été, la cité interdite, la colline de charbon et, naturellement, la place Tien An men. L'immense estrade qui lui faisait face était décorée d'un portrait central géant de Mao Zedong, et, sur les côtés de portraits moins grands de Marx, d'Engels, de Lénine et de Staline. Au milieu de la place était érigé un monument en hommage aux martyrs de la Révolution dont les bas-reliefs représentaient des épisodes célèbres des événements de l'histoire du peuple chinois.

Enfin, nous eûmes l'extrême faveur de pouvoir visiter le quartier des antiquaires. J'y vis d'innombrables objets en tout genres devant lesquels je m'émerveillais, ce qui ne pouvait que surprendre nos camarades chinois. Pour eux en effet ces miniatures d'art appartenaient à la Chine du passé féodal. Mais je ne pus cacher mon admiration pour plusieurs d'entre eux.

Le lendemain, qui devait être le dernier ou l'avant-dernier jour de notre visite, nous fûmes « consignés » à l'hôtel en l'attente d'un événement exceptionnel dont nos hôtes ne nous révélèrent pas tout de suite l'objet. Puis vers quatre heures de l'après-midi, ils nous demandèrent de nous préparer pour rendre visite, sur son invitation, au Président Mao Zedong. Je fus pris d'une intense émotion.

Je n'avais qu'un seul costume, mis l'une de mes deux chemises, la blanche gardée en cas de besoin, nouai mon unique cravate, me coiffais du mieux possible et rejoignis mes camarades dans une salle d'attente.
Au bout de deux heures d'impatience, nos hôtes, tout aussi fébriles que nous, vinrent nous chercher et nous firent monter dans les voitures du Comité central. Nous fûmes conduits dans un immeuble à l'intérieur de la cité interdite. Nous fûmes regroupés dans une pièce assez vaste avec les délégations du Tiers-monde, et l'on me fit asseoir au premier rang.

Peu après, Mao Zedong, s'appuyant sur de jeunes Chinois beaucoup moins grand que lui, pénétra et salua l'auditoire en souriant. Il dit quelques mots dans une langue qui n'était pas le mandarin, nous dit-on, mais le dialecte de sa province natale, le Hounan. Il prit place face aux visiteurs à deux mètres de moi, me désigna de son index et me demanda dans sa langue : «Vous êtes Français ? » . Intimidé, je répondis par l'affirmative. Mais déjà il enchaînait : « Connaissez-vous le général De Gaulle ? » . Je répondis encore par l'affirmative, en précisant qu'il était le chef d'Etat de mon pays, mais que je n'avais pas de relations directes avec lui.
Et Mao partit d'un immense éclat de rire en lançant sa tête en arrière, ce qui fit apparaître l'immensité de son front et la largeur de sa bouche. « C'est le bourgeois le plus rusé du siècle ! » affirma-t-il.
Puis, il poursuivit encore en s'adressant de nouveau directement à moi, je dirais peut-être que c'était une forme de discussion dialectique. « Avez-vous peur de la bombe atomique ? » .
Je répondis que je n'avais pas peur, mais qu'il fallait mener une lutte continue contre les armes d'extermination massive.
Une fois encore il enchaîna sans écouter la traduction de ma réponse. « La bombe atomique n'est qu'un tigre de papier ! » dit-il en jetant un regard tournant sur les cinquante invités assis dans la salle. « C'est un tigre de papier sur le plan stratégique, ajouta-t-il, mais un tigre qui a des dents de feu sur le plan tactique. »
C'était là l'analyse que nous avions déjà étudiée en France à l'aide de documents fournis par nos amis de Berne pour contrecarrer les arguments des dirigeants du Parti français qui la dénaturaient complètement en faisant le jeu de la politique des révisionnistes de Moscou et des gouvernants Américains.

L'entretien, si l'on peut appeler cette rencontre un entretien, ne dura pas plus d'une demi-heure, moins peut-être. Mao se dirigea vers la sortie, toujours appuyé sur les deux jeunes gens avec lesquels il était arrivé. Visiblement il souffrait des jambes. Mais il resta debout et serra toutes les mains des invités qui passèrent devant lui. Je lui dis merci au nom de notre délégation et lui souhaitai bonne santé.

Le quotidien Renmin Ribao qui tirait à plusieurs dizaines de millions d'exemplaires publia le lendemain une photographie de groupe pour laquelle nous avions tous posé à ses côtés. Je figurais au premier rang, entre un délégué camerounais et mon ami l'Algérien Touami.
Xuan
1e visite en Chine Populaire


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À Hongkong nous étions attendus par des hôtes chinois, qui agirent exactement comme si la ville se trouvait déjà en République populaire de Chine. Ils étaient chez eux. Ils nous firent passer douane et police britanniques sans encombre, ils connaissaient tous les fonctionnaires en place. Ils savaient les convaincre de nous accorder toutes facilités.

L'atterrissage m'avait impressionné. La piste d'arrivée était longue et construite sur un remblai avançant loin au milieu de la mer. Je crus au dernier moment que nous allions amerrir et non nous poser sur de la terre ferme. L'appareil vira cependant pour regagner son poste de stationnement rapproché de l'aérogare.

Nos amis nous emmenèrent immédiatement dans un hôtel de classe moyenne.
Notre transit devait durer deux ou trois jours. Le temps d'effectuer une visite sommaire de la grande ville, plus chinoise que britannique. Un interprète nous fournit des explications sur l'histoire de cette ville qui était en réalité une colonie anglaise. L'immense majorité de la population était chinoise, mais les banques, les industries, les structures touristiques, les organes exécutifs étaient dirigés par des Britanniques.
Le soir de notre arrivée nous eûmes loisir d'effectuer une courte promenade dans un quartier de bijouteries. Il y avait vraiment de quoi émerveiller les petits Français que nous étions, je n' avais jamais vu tant de bijoux et autres objets de grandes valeurs. À noter que rien ne me paraissait exotique. Simplement j'appris que les prix de ces marchandises étaient nettement moins élevés qu'en Europe.

Le lendemain nous eûmes le privilège d'être emmenés en voitures jusqu'à la montagne Victoria, d'où la vue sur l'ensemble de la baie de Hongkong était très pittoresque. À classer, selon mes goûts, parmi les panoramas du monde les plus exceptionnels.

Le troisième jour, levés assez tôt, nous prîmes un train à destination de la Chine populaire. Dans les couloirs des wagons de style européen, allaient et venaient d'innombrables vendeurs, surtout des enfants ou adolescents, qui parlaient couramment anglais et proposaient des paquets de cigarettes, des objets divers comme des éventails, des journaux, des bouteilles de rafraîchissement, surtout de coca-cola ou d'orangina, et d'autres gourmandises comme des petits pains cuits à la vapeur. Quelques hommes plus âgés promenaient des bidons contenant du thé chaud qu'ils vendaient également aux voyageurs. Ce spectacle était certes inhabituel pour nous Européens, mais il n'avait rien d'étrange et ne nous surprenait nullement.
Le train roula assez lentement et traversa de longs faubourgs où se dressaient des maisons assez basses, entourées d'une végétation luxuriante qui n'avait rien de commun avec les arbres et fleurs poussant dans nos contrées tempérées. Nous aperçûmes aussi beaucoup d'animaux, presque exclusivement des buffles noirs, nettement différents des bovidés des campagnes de France. De nombreuses mares permettaient à ces animaux de se rafraîchir en y plongeant la quasi-totalité de leurs corps volumineux. Seuls émergeaient de l'eau boueuse leurs têtes gris foncé avec leurs cornes et leurs museaux aux épaisses narines.

Enfin après deux heures de voyage environ, le train siffla longuement sans doute pour annoncer son arrivée, au terme de sa course, aux abords de la ville chinoise de Wenlu, ville frontière.

Nous descendîmes et fûmes aussitôt accueillis par de nouveaux accompagnateurs chinois. Nous avions effectué le trajet de Hongkong jusque là sans aucun hôte à nos côtés. Parmi ceux qui nous recevaient, figurait une femme, une dame encore jeune, qui parlait un excellent français sans accent.

Nous sûmes plus tard qu'elle n'était autre que Madame Tzi Zong hua, interprète officielle attachée à Mao Zedong et à Chou En lai. Elle avait vécu son enfance à Paris. En bout de quai, elle nous offrit à boire. Et, stupéfaction, le verre qu'elle nous fit tendre par un employé sans doute préposé à la soif, contenait de l'eau chaude. Une eau qui conservait un goût de javel prouvant qu'ici on devait se prémunir contre toute contamination véhiculée par le liquide si désaltérant soit-il. Comme dans certaines villes de France d'ailleurs. Nul d'entre nous ne fit la moindre remarque. Mais l'un de mes camarades me souffla à l'oreille « Ce qu'ils doivent être pauvres !» . Explication qui ne correspondait pas à la réalité. Dans une région aussi chaude que celle où nous arrivions, il était d'usage de se désaltérer avec la boisson qui ne présentait aucune nocivité, l'eau, d'autant plus rafraîchissante qu'elle était bue non refroidie.

Je ne me souviens plus du type de véhicule qui nous transféra ensuite de cette gare frontière dans la grande ville de Canton, train de nouveau ou voitures automobiles. Toujours est-il que c'est bien en voitures que nous pénétrâmes dans une vaste propriété, plus exactement un immense parc d'essences d'arbres et de fleurs multiples. Nous fûmes logés dans l'ancienne résidence de Tchang Kaï chek, une vaste construction de style chinois et de confort absolu. Des pièces quatre fois plus grandes que les pièces normales de chez nous, toujours séparées des couloirs y conduisant par des portes sculptées, entourées de lions et autres dragons, peintes en noir, rouge et or. Le restaurant où nous prîmes nos repas, entre Français, était installé dans une salle aux dimensions spectaculaires.

Mais Canton n'était qu'une étape sur notre voyage vers Pékin.
Nous y consacrâmes néanmoins une journée à quelques visites : l'Institut d'étude du monde paysan qu'avait dirigé Mao Zedong dans les années vingt, puis le parc, les escaliers et le mon¬ument destinés à honorer Sun Yat sen, fondateur de la République de Chine et du Kouomintang et les dizaines de milliers de Chinois révolutionnaires qui avaient été massacrés à la suite d'insurrections populaires.
Ces visites successives constituaient objectivement un cours d'histoire de la Chine révolutionnaire. J'étais sincèrement passionné.

Le lendemain, nous prîmes un avion de la Compagnie des lignes intérieures chinoises pour parvenir enfin à Pékin. Nous nous rendîmes compte alors que nous étions loin d'être les seuls invités, un grand nombre de délégués des pays du Tiers-monde venus à Tokyo se trouvant aussi dans le même appareil. Je retrouvais notamment un ami algérien avec qui j'avais sympathisé au Japon, prénommé Touami, Président ou Secrétaire du Mouvement de la Paix en Algérie.

Pendant notre voyage, à une altitude modérée de trois ou quatre mille mètres et à une vitesse plus lente que celle des appareils intercontinentaux, nous pûmes observer depuis les hublots l'immensité de la Chine. Pas une parcelle de terrain ne nous semblait non cultivée. Le sol était un damier très régulier de cultures variées et les villages, alors organisés en communes populaires, paraissaient minuscules, perdus au milieu d'un océan de céréales, d'arbres fruitiers, de prairies d'élevage où nous distinguions des troupeaux de buffles ou de moutons.

Dès l'atterrissage, quand s'ouvrirent les portes de l'avion, nous fûmes appelés par pick-up, à l'intérieur de l'appareil, à descendre les premiers.
Une équipe d'accueil importante nous attendait et je connus pour la première fois le processus d'arrivée en Chine que je devais renouveler si souvent par la suite.

Au bas de la passerelle se tenait d'abord le directeur du département de liaison internationale du Comité central du Parti communiste chinois, ou son représentant le plus élevé en responsabilité.

Ce jour là, pour ce premier contact, je crois me souvenir que nous fûmes reçus par l'homme que nous avions déjà rencontré brièvement à Tokyo, Liu Ning yi. À ses côtés, je vis tout de suite, avec son très large sourire et ses grosses lunettes d'écaillé en bout de nez, un diplomate que j'avais rencontré plusieurs fois à Berne, le camarade Tchao Chu-li, qui parlait un français approximatif mais compréhensible. Puis encore une camarade femme, que j'étais appelé à revoir à chacun de mes voyages, fonctionnaire du département, Li Mei.
Et encore un responsable du protocole, dont j'ai oublié le nom. Vous savez, les patronymes chinois ne sont pas plus simples pour nous que les patronymes français pour eux !
Trois voitures noires, longues, brillantes, nous emmenèrent. Mais, nouvelle surprise, les vitres étaient doublées de rideaux foncés qui empêchaient que l'on ne nous aperçut de l'extérieur, mais aussi que nous ne puissions observer le paysage extérieur à notre gré. Je crois me souvenir que ces automobiles plus volumineuses que luxueuses étaient de marques soviétiques. Un confort de qualité, en tout cas.

Ici j'eus droit à la fonction de chef de délégation et en cette qualité, je montais dans la première voiture en abandonnant mes camarades, et fus accompagné d'un responsable du département. Liu Ning yi avait d'autres obligations qui consistaient tout simplement à recevoir d'autres délégations.
Nous dûmes rouler une bonne heure. Je ne vis donc pas grand-chose, si ce ne fut quelques paysans marchant sur les bords de la route, quelques attelages, très peu ou presque pas de voitures. Madame Tsi me tenait la conversation et traduisait les propos du camarade qui était sans doute le fonctionnaire chargé des relations du département avec les communistes de l'Europe occidentale, ou même de la France.

Nous finîmes par arriver d'abord dans les faubourgs, puis dans le centre de Pékin. Première impression : ville extrêmement étendue, sans immeubles d'habitation de plusieurs étages, sauf là où nous nous arrêtâmes, en plein centre. Nous arrivions au grand hôtel de l'Amitié, bâtisse élevée construite jadis, me dit-on, par des étrangers occupant la Chine. Nous nous trouvions en plein milieu de la plus longue artère de la capitale chinoise, Wang Fou chin. Avant d'entrer très rapidement dans l'hôtel, j'eus le temps d'apercevoir sur cette voie d'innombrables cyclistes, presque tous et toutes habillés en bleu. Le temps était chaud, sec, le ciel immaculé.

Je pinçai l'un de mes avant-bras, pour être certain que je ne rêvais pas. Or, oui, j'étais bel et bien éveillé. Et je me trouvais à Pékin !


Edité le 15-10-2013 à 22:51:36 par Xuan


Xuan
Je poursuis la mise en ligne de A CONTRE-COURANT par les chapitre 11 à 19, en ajoutant des titres pour faciliter la lecture :

de la Fédération des Cercles Marxistes-Léninistes à l'interdiction du PCMLF


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Fédération des Cercles Marxistes-Léninistes – délégation à la Conférence internationale contre les armes d'extermination massive


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Les 4 et 5 juillet 1964 se réunirent les représentants de plusieurs cercles marxistes-léninistes. Cette rencontre inter-régionale fut baptisée par nous, plus tard, sous le nom du village près duquel elle eut lieu, ce fut la rencontre de Saint-Julien Boutière, en Ardèche.
Elle se clôtura par l'adoption d' un communiqué :

« Au cours d'une réunion, tenue en juillet 1964, les représentants des Cercles marxistes-léninistes de Marseille, Aix-en-Provence, Bordeaux, Grenoble, Perpignan et Saint-Savournin ont décidé unanimement :
1 ° La création d'une Fédération des Cercles marxistes-léninistes;
2° La transformation du Bulletin édité par le Cercle de Marseille en Bulletin de la Fédération sous le titre « Pour la défense du marxisme-léninisme » organe de la Fédération des Cercles marxistes-léninistes. »


De retour à Marseille, j'appris aussitôt par Marcel Coste que nos camarades chinois proposaient que nous envoyons une délégation de militants marxistes-léninistes à une Conférence internationale contre les armes d'extermination massive organisée à Tokyo par le Gensukyo japonais, qui semblait correspondre au Mouvement de la Paix.
Régis Bergeron s'occupait à Paris de toutes les démarches auprès des diplomates chinois. Notre délégation devait comprendre Bergeron lui-même, François Marty, Paul Coste et moi-même. Le chef de délégation fut Bergeron si j'ai bonne mémoire.

Le 26 Juillet 1964, nous fîmes le trajet en DC 8 en volant au-dessus du pôle nord depuis Paris, escale à Copenhague au Danemark, nouvelle escale à Anchorage aux U.S.A. et finale-ment arrivée à Tokyo. J'étais complètement stupéfait de la chance inattendue qui m'échoyait. Un voyage semblable n'était pas courant pour le commun des mortels. Si Copenhague ne m'intéressa pas, car l'escale nous confina à l'intérieur d'une salle d'attente de style européen, je fus enthousiasmé par le spectacle offert par les immensités du pôle nord vues d'environ dix mille mètres d'altitude par un temps splendide. Sans doute au meilleur de la longue journée polaire qu'illuminé le soleil. En Alaska où l'aéroport était fort modeste, partiellement en bois, nous pûmes envoyer des cartes postales à nos familles. Il faisait une température assez fraîche, certainement pas très éloignée de zéro degré. Il nous semblait que nous nous trouvions loin de toute agglomération. La flore était maigre et rare, très peu d'arbres, entourant de loin les installations industrielles liées aux activités de l'aviation intercontinentale.

Ensuite, fatigués, nous pûmes nous assoupir dans l'avion assez longtemps avant de parvenir à Tokyo. Là nous retrouvâmes la vie grouillante que nous connaissions en Occident, mais évidemment il y avait des différences notables. Par exemple, dès que nous sortîmes de l'aéroport et prîmes un taxi, dont la carrosserie était peinte en jaune et qui possédait un petit poste de télévision à l'intérieur, nous fûmes surpris par la vitesse que le chauffeur imposa à son véhicule. Empruntant une longue voie à sens unique comme une autoroute, mais érigée sur de hauts pylônes et plus étroite, puis, débouchant sur une voie plus large, il roula définitivement à gauche. En moins de temps qu'il ne faut pour le relater en l'écrivant, nous arrivâmes à un hôtel de deux ou trois dizaines d'étages ou une armada d'hôtes de tourisme, engagés par le Gensukyo, nous accueillit et nous conduisit chacun dans une chambre luxueuse. Là des robes de chambre japonaises, des kimonos blancs, nous attendaient étalés sur nos lits, ainsi que des chaussures sans talons, en cuir, comme des babouches.

Une heure après notre arrivée, un camarade chinois vint nous visiter. Il parlait un français fort compréhensible et nous pûmes l'écouter avec la plus grande attention parce que ce fut lui qui nous mit véritablement « au parfum » de l'opération politique dans laquelle nous étions engagés. A la Conférence allaient s'affronter les thèses révisionnistes développées par les délégations soviétiques et indiennes, et les thèses marxistes-léninistes défendues par les délégations chinoises, de différents pays du Tiers-monde et par les représentants de marxistes-léninistes d'Europe comme notre propre délégation. Le responsable chinois présent serait le président du Mouvement de la Paix chinois qui était aussi Président des syndicats en Chine, le camarade Liu Ning yi.

Un repas nous fut offert par des amis chinois après que nous ayions été présentés à des responsables japonais du Gensukyo. Le décalage horaire accentuant notre fatigue, nous ne fîmes aucun accès d'insomnie et nous endormîmes immédiatement.

J'étais au Japon. Je me rendis compte dès le lendemain matin qu'il faisait une température torride, telle que je n'en avais jamais connue. Mais l'intérieur de l'hôtel et de tous les locaux où nous eûmes à nous rendre bénéficiait d'une fraîcheur des plus agréables grâce aux climatiseurs installés un peu partout.
Au petit déjeuner des geishas habillées de délicats kimonos de couleurs vives et variées nous firent nous asseoir par terre et commencèrent à nous faire manger à l'aide de baguettes. Mais à notre stupéfaction et en opposition avec nos goûts habituels, elles nous servirent avant tout des poissons séchés froids, et je dois dire que c'était pour nous, pour moi, très difficile à avaler et beaucoup trop salé. Heureusement elles avaient prévu ensuite du lait chaud qui fut dans mon gosier meilleur que tous les bols et tasses que j'avais pu boire en France. J'en redemandais à plusieurs reprises. Nos entretiens avec ces japonaises fort jolies et coquettes étaient impossibles, car aucune ne parlait français et nul d'entre nous ne parlait japonais. À la rigueur Bergeron aurait pu parler anglais avec elles, mais elles étaient tout aussi inhabituées à cette langue qu'à la nôtre.

Par bonheur, le lendemain matin, on ne nous imposa plus une alimentation à la japonaise, mais on nous servit des déjeuners à l'européenne.

Les premiers discours furent, comme de coutume dans de telles rencontres internationales, des discours de salutations prononcés par les hôtes japonais qui fixèrent l'ordre du jour tel qu'ils l'avaient prévu. Nous disposions tous d'appareils plantés dans nos oreilles pour écouter les traductions simultanées dans notre langue nationale. Bergeron et Marty étaient plus au courant que moi, le premier des problèmes internationaux, le second de ceux du mouvement mondial de la paix. Mais je parvins néanmoins à suivre les débats engagés dès que des délégués étrangers commencèrent à prendre la parole. Il me semblait que les Japonais étaient de tendance centriste et conciliatrice, désireux d'éviter à tout prix que des violences verbales n'opposent Soviétiques et Chinois.

Les journées se suivirent. Et je ne retiens pas grand-chose des discussions passionnées qui opposèrent les uns et les autres jusqu'au moment le plus critique. Un délégué indien commença à injurier les Chinois, allant jusqu'à menacer du poing un membre de leur délégation. Le poing sous le nez. De la salle montaient des hurlements en de multiples langues. Finalement le Président dut clore la séance qui ne reprit pas le lendemain. Deux conférences se réunirent en des endroits différents, l'une avec les Chinois et les délégations du Tiers-monde à laquelle nous participâmes, l'autre avec les Soviétiques et les Hindous, ainsi que toutes les délégations des pays soumis à l'influence ou même à l'autorité de l'U.R.S.S.

Lorsque les travaux des deux conférences parallèles furent achevés, nous fûmes invités par le Gensukyo japonais à visiter le pays. Ils nous conduisirent d'abord à Osaka et Kyoto, des villes industrielles immenses comportant quelques hôtels d'architecture gratte-ciel, mais des maisons à perte de vue sans étage ou à un seul étage construites avec le soucis d'échapper aux tremblements de terre. Des villes grises. À Tokyo, nous avions visité le quartier chaud, par contre très coloré, avec du néon partout, des lumières éblouissantes s'allumant et s'éteignant sans cesse alternativement.
Ensuite les militants du Gensukyo nous emmenèrent à Nagasaki et Hiroshima. C'était la période de la commémoration du bombardement atomique américain sur ces deux villes qui avait fait en quelques secondes environ six cent mille morts.

J'assistai avec mes camarades à toutes les cérémonies religieuses taoïstes, shintoïstes et bouddhistes et fus intéressé par les vêtements colorés des officiants. Les manifestations religieuses eurent lieu exactement à l'endroit de l'impact central de chaque bombe atomique. Dans l'une de ces deux villes on nous invita à visiter un hôpital de victimes ou de descendants de victimes des rayonnements atomiques encore vivants. Ce fut terrifiant, horrible, désespérant, insoutenable. Nous étions tous les quatre paralysés devant ces spectacles. Il faut avoir vu de ses propres yeux ces êtres humains complètement disloqués et rongés par l'atome pour savoir vraiment ce qu'un simple esprit humain, si sain soit-il, ne peut imaginer.

Quel contraste tragique avec le quartier que l'on nous fit visiter le soir, au bord de la mer. Dans de minuscules baraques en bois, des prostituées offraient aux passants la vue de leurs corps prêts à se vendre. Un peu plus loin, nous pûmes nous arrêter plus longtemps devant un étalage de poissons où nous fumes conviés à goûter de petites anguilles que l'on grillait encore vivantes et frémissantes en les sortant de l'eau de mer et en les plongeant dans de l'huile bouillante.

Un des délégués chinois qui veillaient sur les conditions de notre séjour, nous indiqua un soir que le camarade Liu Ning yi désirait nous rencontrer. Nous nous rendîmes en quarteron au rendez-vous fixé. Le dirigeant chinois nous fit part d'une invitation à achever notre séjour en Extrême-Orient par une visite partielle de la Chine en nous rendant à Pékin. Nous avions encore juste le temps de consentir ce détour des plus prometteurs tant au point de vue touristique que politique. Nous acceptâmes donc.

La veille de notre départ du Japon, se succédèrent un immense meeting où purent s'exprimer des délégués de chaque continent et un défilé comme je n'en avais jamais vu, avec service d'ordre en tête et sur les côtés, et d'innombrables banderoles multicolores portant des mots d'ordre en japonais. Les manifestants scandaient inlassablement ces revendications dans leurs langues respectives. Quant à nous, nous avions reçu l'indication de lancer de toutes nos voix assemblées « Plus jamais ça !» en anglais : « No More Hiroshima ! » .

Les amis du Gensukyo nous avaient remis des bandeaux portant le même mot d'ordre, que nous avions noués autour de nos fronts.
Le lendemain nous prîmes l'avion en direction de Hongkong, en compagnie de nombreuses délégations du Tiers-monde et de nos amis chinois.


Edité le 15-10-2013 à 22:51:02 par Xuan


Xuan
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Au cours de la même semaine, simultanément avec la mienne, la Fédération des Bouches-du-Rhône de PCF procéda à trois autres exclusions, celle de mon beau-frère Christian Maillet, et celles des deux frères Marcel et Paul Coste. Première charrette.

Puis, les procureurs révisionnistes ne s'arrêtèrent pas en si bonne voie, ils exclurent encore six autres militants de Marseille ou de la région. Deuxième charrette.

Aucune considération n'était accordée aux biographies respectives de ces camarades, ni à leurs anciennetés dans le Parti, ni à leurs activités passées, ni à leurs âges, ni à leurs conditions sociales. Les qualifier de « pro-chinois » équivalait à les considérer comme des traîtres, et déjà de bouche à oreille certains cadres n'hésitaient pas à indiquer que se posait la question de savoir s'ils n'étaient pas tout simplement des « flics ».

Ces sanctions témoignaient d'une précipitation inhabituelle. Par exemple, pendant la Révolution algérienne, le Parti avait fait preuve de beaucoup moins de rapidité pour écarter les indisciplinés. Mieux, aucune exclusion n'était prononcée, mais le militant trop proche du FLN algérien était convoqué par sa section ou par la Fédération, qui lui proposaient de démissionner de lui-même. Le cas le plus connu reste celui du Docteur Joseph Roger, qui adressa à cette occasion une lettre admirable à François Billoux.

Un nombre appréciable d'intellectuels étaient qualifiés de « pro-italiens », certains d'entre eux étaient en relation avec le groupe « Unir » qui éditait un périodique, mais les processus d'exclusions n'étaient jamais aussi rapides que ceux lancés contre nous.

Il importe de souligner que ces mesures n'étaient jamais accompagnées de la possibilité de discuter sur le plan politique. Le Parti, j'entends par là le comité central et les fédérations départementales refusaient catégoriquement de publier les déclarations, propositions et autres textes émanant du Parti communiste chinois. Autrement dit, à partir du moment où le Bureau politique avait lancé une accusation contre Mao Zedong et le Parti communiste chinois, il n'y avait plus aucune liberté de solliciter des explications, voire de simples précisions si modestes soient-elles. Tu ne pouvais rester membre du Parti que si tu acceptais sans aucune réserve les affirmations hostiles aux Chinois.

De plus, à cette époque-là, la section de montée des cadres près le Comité central, eut comme activité intense et quasiment exclusive la surveillance et la recherche des adhérents, des cadres et des dirigeants qui auraient pu se taire mais nourrir des convictions allant dans le même sens que celles des communistes chinois. On sait que cette section n'était autre qu'une police ayant des ramifications dans toutes les Fédérations et aussi, il n'est pas inutile de le souligner, dans certains services de la police d'Etat. Naturellement le travail de ces bureaucrates était secret.

Pour étayer mon accusation de publication de mensonge et de contrevérités fabriquées en toute connaissance de cause par les dirigeants révisionnistes, je tiens à citer un exemple précis et certes nullement exhaustif.

Le XVIIème Congrès du Parti communiste français se réunit à Paris du 14 au 17 mai 1964. L'énoncé de ces dates suffit à comprendre au passage pourquoi nos exclusions intervinrent aux mois d'avril et de mai, à la veille de cette instance considérée statutairement comme celle du niveau le plus élevé dans le fonctionnement interne du Parti. Georges Lazzarino, secrétaire fédéral, y conduisait la délégation des Bouches-du-Rhône. Il se trouva dans l'obligation d'évoquer ce qui s'était passé à Marseille dans le Comité de l’Association des Amitiés franco-chinoises. Dans le but de minimiser l'événement, il en attribua l'origine, je le cite, à « une poignée de gens... souvent renégats ou exclus du Parti » et n'hésita pas à affirmer « c'est à l'unanimité que les cellules où se trouvaient les cinq individus qui se livraient à ce travail fractionnel, les ont exclus... » Toute son intervention sur la question « des idées et activités scissionnistes des dirigeants chinois » ne fut qu'un amas d'interprétations hautement fantaisistes et de mensonges, prêtant aux dirigeants communistes chinois des positions qui n'étaient pas les leurs. Elle figure in extenso dans le numéro de la revue « Les Cahiers du Communisme » spécialement consacré au XVIIème Congrès du Parti communiste français en juin-juillet 1964 -N° 6-7, pages 168 et suivantes.

J'affirme qu'il n'y avait aucun « renégat ou exclus » parmi les camarades du cercle d'étude et de documentation qui avaient eu le courage d'engager la lutte contre le révisionnisme moderne. Les présenter sous ces qualificatifs relevait d'une falsification pure et simple. De plus proclamer devant le Congrès que ces militants avaient été exclus « à l'unanimité » constituait également une contrevérité. Dans mon cas personnel c'était loin d'être la réalité, dans le cas de la cellule de Vauban qui avait exclu mon beau-frère Christian Maillet c'était aussi faux, je me souviens qu'un membre de cette cellule, un jeune travailleur du bâtiment, un Algérien nommé Belganem refusa de continuer à venir dans cet organisme et suivit l'exclu.

Mais Lazzarino n'en était qu'à ses débuts. Deux ans plus tard, devant le XVIIIe Congrès réuni à Levallois-Perret les 2 et 3 mars 1967, il affirma encore : «... Pour accomplir leur sordide besogne, les groupuscules prochinois de Marseille disposent de plus de 100 millions d'anciens francs... »
Ah si seulement nous avions pu bénéficier d'un tel trésor !... mais il s'agissait évidemment d'un nouveau mensonge dont j'ignore s'il avait été soufflé à ce cadre fédéral par le Comité central, ou s'il l'avait inventé de lui-même. Son intervention figure dans le numéro des Cahiers du Communisme consacré à ce XVIIIe Congrès N° 2 et 3 de février-mars 1967, à partir de la page 239. Le mensonge sur les 100 millions est imprimé en haut de la page 242.

Devant tant de mauvaise foi et pour protester contre les accusations lancées contre eux devant ce Congrès, mensonges qui ne furent jamais justifiés ou confirmés devant les militants de base des Bouches-du-Rhône, dix camarades victimes de la brutale et injuste répression révisionniste publièrent le 15 juillet 1964 une déclaration dont je fus l'un des principaux rédacteurs et dont voici des extraits :

« Les militants dont les noms figurent au verso tiennent à rétablir la vérité et déclarent solennellement :

1.- qu'aucune des cellules auxquelles ils appartenaient n'a pris l'initiative des exclusions, bien qu'ils n'aient caché ni leurs opinions, ni leurs activités « prochinoises », c'est-à-dire leur fidélité résolue aux principes de Marx et Lénine, qu'ils ont assimilés au cours de leurs longues années de vie militante et qui ont été opportunément rappelées par les propositions en 25 points du P.C. Chinois au mois de juin 1963 ;

2.- qu'aucun d'entre eux n'a été exclu à l'unanimité des adhérents de sa cellule ;

3.- que l'accusation de « renégats » lancée contre eux ne peut qu'être inconsidérée et fausse, étant donné qu'ils demeurent pleinement d'accord avec la ligne politique et les conquêtes idéologiques, qui ont prévalu au sein du mouvement communiste international de 1917 à 1956 et que leur divergence avec d'autres porte sur les révisions du marxisme-léninisme développées depuis 1956 sous la direction du groupe Khrouchtchev-Souslov, révisions qui ont amené sur le plan international la coopération avec l'impérialisme américain et la rupture de l'unité du camp socialiste avec le déchaînement d'une hostilité néfaste contre certains Partis frères (Chinois, Albanais et d'autres ) ;

4.- qu'ils désapprouvent catégoriquement la politique révisionniste en France où les dirigeants du Parti prônent une alliance sans principe avec les dirigeants socialistes tels Guy Mollet ou Gaston Defferre, en même temps qu'ils passent des accords commerciaux contraires à la dignité et à l'esprit de classe des travailleurs avec des milliardaires comme Paul Ricard, grand patron marseillais, dont les journaux du Parti ne cessent de vanter les mérites !

5.- que loin d'avoir des positions hostiles au Parti, ils sont exclusivement antirévisionnistes, profondément affligés de la dégénérescence de leur Parti, dont ils veulent le plus prompt rétablissement sur la base d'un retour aux principes léninistes d'organisation;

6.- que les cinq « individus » mis en cause totalisent ensemble 110 années de vie militante, des années de résistance en tant que membres du Parti, des sacrifices librement consentis (prison, arrestations, difficultés multiples, etc..) et qu'ils resteront aux premiers rangs du combat. »


Dés le mois d'avril, nous avions été conscients de la nécessité d'éviter toute confusion entre l'Association des Amitiés franco-chinoises proprement dite et le cercle qui en était issu, mais qui s'en détachait de plus en plus en ne s'orientant que sur le plan politique. Par exemple, nous avions été d'accord pour ne pas organiser nos réunions au nouveau siège de l'Association, c'eut été rapidement un élément de désintégration de celle-ci de l'intérieur. Quelques rodomontades du Président Deschamps nous avaient démontré quelles étaient nos limites. Il fallait donc que nous agissions en conséquence. Aussi décidâmes-nous la suppression de toute référence aux A.F.C. dans le sous-titre de notre bulletin. De la même façon le cercle prit aussi un caractère d'autonomie complète. Un nouveau contact avec nos camarades chinois à Berne avait été assuré par le camarade Maillet. Nos rangs ne cessaient d'augmenter en nombre.

D'ailleurs le Comité de l'Association des Amitiés franco-chinoises décida en assemblée générale de changer son sigle et de le remplacer par celui d' « Association France-Chine ».

Rovini, qui continuait à militer de façon discrète au sein d'un organisme de La Marseillaise expliqua quelles étaient les réactions des camarades trompés dans les rangs du Parti. Il proposa l'édition d'un tract-choc : « Avant de condamner les Chinois, as-tu lu les thèses chinoises ? Tu ne peux les condamner sans connaître ces thèses. Demande donc qu'on te les envoie en t'adressant à telle adresse : Boite postale et Guozi Shudian. »

Lors de la réunion du 4 Mai je fis le point des exclusions dont nous avions connaissance, non seulement à Marseille, mais dans toute la France. Il était très réconfortant que dans la région de Perpignan, trois cellules soient sur les positions de Mao Zedong, en ce qui concernait la situation internationale. Car je le redis, nous n'étions pas des fous et ne pensions nullement que la révolution chinoise puisse servir de modèle à la révolution dans un pays capitaliste comme la France.

Sans doute vers la même époque, le 11 mai 1964 exactement, la police révisionniste réussit à infiltrer dans nos rangs l'un de ses agents marseillais, le nommé Nicolas Lanzada, ouvrier typographe qui prétendait avoir été écarté de l'imprimerie du quotidien La Marseillaise. Je devais le démasquer quelques mois plus tard, nous verrons plus loin dans quelles circonstances.

Il me semble indispensable de révéler qu'après mon exclusion, je dus prendre toute une série de mesures concrètes pour assurer ma protection. Certains responsables de la Fédération des Bouches-du-Rhône projetaient de se venger des difficultés que je leur avais occasionnées. Certes pas tous, c'est vrai, mais deux ou trois auxquels le Comité central ne cessait de demander des comptes sur l'évolution de la situation du Parti à Marseille. De plus, pour expliquer aux militants de base, que quelques adhérents avaient été exclus et révéler les raisons exactes des sanctions en cause, les dirigeants ne recouraient qu'à des calomnies sans nul fondement, où les qualificatifs de traitres et de flics occupaient la place principale. Aucune explication politique sérieuse bien entendu. Il se trouvait que j'étais le plus connu d'entre nous, ne serait-ce qu'à travers les sections que j'avais eu à « suivre », comme celle de Saint-Lazare-La Villette, celle de Plan-de-Cuques-Allauch, celle de Sainte-Anne ainsi qu'à l'occasion de mes nombreuses tournées dans le département. Par ailleurs ma participation aux campagnes électorales diverses en tant qu'orateur ou candidat comme en 1958 dans la première circonscription législative, centre de la ville, m'avaient assuré, sans que je ne le recherche nullement, une certaine notoriété. Enfin n'avais-je pas pris la parole aux côtés de François Billoux sur le port devant les dockers, la photographie de presse de ce meeting se trouve dans mes archives.
Tous ces faits faisaient désormais de moi la bête noire des dirigeants fédéraux et centraux du Parti communiste français.Je remarquai rapidement que j'étais l'objet d'une surveillance à la sortie de mon travail, de la part de quelques jeunes appartenant aux J.C. Puis de l'intérieur des rangs du Parti, je fus informé que l'on préparait contre moi une bonne correction comme le Parti savait les administrer aux « traitres ». Était-ce là intimidation ou réalité, je l'ignore encore. Mais nous allons constater un peu plus loin que la police politique du PCF n'hésitait pas à sortir des armes de poing contre les marxistes-léninistes. Je m'entretins de ces menaces avec ma compagne, qui vint m'attendre tous les soirs à la sortie de mon bureau. Mais était-ce vraiment là suffisant pour éviter une agression bien préparée ? Nous résolûmes de ne pas nous laisser faire et de nous organiser pour pouvoir riposter à tout événement susceptible d'intervenir.
Baya eut l'heureuse initiative de recueillir un chien berger belge, un Gronendal, encore très jeune qui devint bientôt un redoutable défenseur de tous les membres de la famille.

De la sorte, mieux vaut prévenir que guérir, je réussis à dissuader au moins temporairement les révisionnistes excités qui avaient rêvé de me donner une tannée discrète mais non moins douloureuse.
C'est quelque chose de terrible que d'avoir à redouter la violence de jeunes gens trompés par des bureaucrates révisionnistes. Mais je surmontai mon angoisse légitime en faisant face et en multipliant mes actions militantes et finalement je triomphai de toutes ces turpitudes.
Ailleurs qu'à Marseille, au Mans, comme à Châteaudun et à la salle de la Mutualité à Paris, notre vigilance ne suffit pas et plusieurs camarades marxistes-léninistes, anciens du PCF bien entendu, comme Madeleine Vissière, Claude Combe, Régis Bergeron et André Druesnes reçurent des coups de la part de véritables commandos révisionnistes recourant à des méthodes d'une violence inqualifiable.


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