Sujet : Fascisation et mouvements réactionnaires de masse | | Posté le 25-05-2024 à 08:01:06
| supernova revue communiste n 6, 2024 Fascisation et mouvements réactionnaires de masse Les fascismes étaient des phénomènes historiques précis, nés et produits à une certaine époque. Le fascisme était l'émanation d'un certain type de démocratie bourgeoise-libérale, tout comme la "démocratie" qui a émergé après la Seconde Guerre mondiale a également été influencée par 20 ans de fascisme et le rôle hégémonique des États-Unis, bien que ces influences aient été très partiellement atténuées par l'expérience même des mobilisations de masse des travailleurs, des luttes anti-impérialistes et du rôle des pays socialistes (URSS, Chine, Cuba, etc..). Ainsi, les phénomènes que nous connaissons aujourd'hui tels que le populisme, le souverainisme, les mouvements réactionnaires de masse, la militarisation, l'état d'urgence permanent, etc. ne sont pas décrits par le terme de fascisme, mais plutôt par celui de fascisation, ce qui implique de comprendre les liens entre les éléments de l'ancien fascisme et le présent et, en même temps, d'identifier les nouvelles caractéristiques. D'autre part, dire - comme le font certains mouvements - que "le fascisme est une forme qui une fois advenue ne peut pas etre supprimeé" ou que le fascisme est la forme moderne de la démocratie bourgeoise est une erreur parce que l'on ne saisit pas les spécificités de la fascisation aujourd'hui.1 Les éléments qui sous-tendent les phénomènes de la fascisation peuvent être ramenés à deux caractéristiques principales : la crise et la phase impérialiste. Nous vivons dans un marché de plus en plus anarchique et une production volcanique. Ce phénomène s'accompagne d'une "prolétarisation" progressive du travail, d'une augmentation des prolétaires sans réserve, de la misère et de la pénurie "artificielle", créées par la logique même du marché capitaliste. Tout cela se déroule dans un contexte marqué par l'impérialisme, c'est-à-dire une phase historique dans laquelle les processus de monopole et de concentration du capital s'accentuent, se traduisant par une concurrence et une organisation du travail à l'échelle mondiale, où les différentes bourgeoisies monopolistes et leurs États ou blocs respectifs s'affrontent de manière de plus en plus féroce. Cela provoque un appel constant à la guerre (intérieure et extérieure) et une situation de guerre inter-impérialiste "constante", pour l'instant de faible intensité et multipolaire. Cela a des répercussions sur les structures des différentes bourgeoisies monopolistes nationales, prises entre des projets globaux et des intérêts nationaux spécifiques. État d'urgence permanent Souvent, il peut être trompeur de décrire une réduction de l'espace d'action démocratique en recourant trop hâtivement au schéma de la "fascisation de l'État", de la "dérive autoritaire" des institutions. Or, il est clair qu'il peut y avoir des États plus ou moins autoritaires et des phases dans lesquelles un État est plus ou moins autoritaire. Le niveau de "démocratisation" et le niveau d'autoritarisme dépendent de l'équilibre social particulier qui régit les relations entre les différentes classes de la société ; et cet équilibre n'est pas une concession définitive de la bourgeoisie éclairée, mais le produit dynamique de la lutte des classes et des rapports de force particuliers. Les espaces démocratiques, tels que le droit de grève, s'étendent ou se rétrécissent en fonction de la force et du consensus populaire avec lesquels les luttes des travailleurs s'expriment. La question se pose de savoir si la "dérive autoritaire" et la répression qui la caractérise sont déterminées par un affaiblissement des classes exploitées ou si elles sont la réponse conséquente ou préventive à leur renforcement (réalisé ou supposé). C'est d'ailleurs plus ou moins le cas. Avec cette variété, on peut supposer que la dérive autoritaire se produit plus ou moins toujours, en action ou en réaction, parce qu'on a certains rapports de force ou parce qu'on ne les a pas (et qu'on tente de les conquérir). Aujourd'hui, nous sommes confrontés à des contradictions qui rendent les structures de “pouvoir” de la bourgeoisie monopoliste moins stables, mais en même temps, les classes opprimées sont incapables d'exploiter cette faiblesse. Aujourd'hui, les mécanismes de contre-révolution ne luttent pas contre la révolution, mais à titre préventif. L'Etat peut recourir à la force pour réprimer une révolte ou pour l'empêcher de se développer. Il peut aussi ne pas y recourir. C'est la possibilité immanente d'exercer le recours à la violence légitime qui caractérise le fait même d'"être un Etat", et cette possibilité se résout, par le biais du pouvoir législatif, dans le pouvoir de décider de ce qui est légitime et de ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire dans le pouvoir de redéfinir la légitimité en fonction des besoins. Il a donc le pouvoir de décider sous quelle forme se manifeste sa force : cinétique ou potentielle2. Aujourd'hui, un "état d'urgence permanent" s'est stabilisé, faisant de lui la "normalité" ; à cet égard, l'ancien fascisme est réuni avec les phénomènes de fascisation. Dans les situations d'urgence, qu'il s'agisse de crises, de guerres, de catastrophes, de pandémies, des mesures sont prises, par nécessité, qui impliquent - parfois dans une mesure minimale, parfois dans une mesure plus large - des restrictions de la liberté personnelle: l'armée dans les rues, les lois spéciales, crimes d'opinion (comme le soutien à la Palestine), etc…. Par conséquent, il y aura toujours des personnes qui croient que la situation d'urgence a été créée artificiellement par les gouvernements afin d'affaiblir ou de détruire cette liberté. L'explosion du phénomène de la conspiration est liée à cette dynamique. Il s'agit d'un mauvais remède à une véritable maladie. Une différence fondamentale entre l'État libéral et l'ancien fascisme réside dans l'effondrement de la "loi". Dans le fascisme, c'est l'arbitraire qui régnait (négation de la "loi"), tandis que dans l'État démocratique-libéral, c'est l'État de droit qui régnait. Ces deux formes constituaient, bien que de manière différente, une dictature de la classe bourgeoise contre les travailleurs. Aujourd'hui, nous assistons à une intégration des deux modèles, où l'"état d'exception" (négation du droit) est façonné au sein de l'État de droit, puisque la démocratie est toujours le meilleur contenant pour les relations de classe bourgeoises. Nous vivons donc une phase où "l'exception de l'état d'urgence" ne nie pas le droit (ses règles), mais ne fixe pas ses propres règles et les rend indéterminées et fluctuantes. Que signifie aujourd'hui pour les gouvernements de lutter contre le terrorisme ... contre la criminalité ... contre la précarité ... contre la guerre ... pour la paix ... pour les droits des femmes ... pour la liberté ... etc. L'état d'urgence "continu" doit être lu concrètement comme une guerre contre les classes subalternes et les masses populaires (attaque contre les garanties ouvrières, incitation à la guerre entre pauvres, etc.), une guerre des bourgeoisies monopolistes et de leurs États respectifs, pour l'hégémonie économique et sociale internationale et territoriale. L'appel constant à la guerre, l'efficacité de la machine d'État "en clé répressive", la politique comme espace technique, la normalisation et l'"institutionnalisation" des structures intermédiaires (associations, syndicats), les campagnes culturelles visant à criminaliser les classes subalternes (les classes dangereuses) sont les phénomènes de la "fascisation" de la société qui, bien qu'ils partagent des traits communs avec ceux du fascisme, présentent en même temps de profondes nouveautés. L'ancien fascisme pensait que la politique pouvait dominer l'économie, aujourd'hui c'est l'économie qui domine la politique. Le Parlement, les partis, tout en continuant à coaguler des tendances spécifiques, s'inscrivent de plus en plus dans une dimension de lobby. Le problème n'est pas de gagner le consensus, mais de garder "leurs électeurs", dans un contexte où les élections elles-mêmes sont délégitimées3. La "participation démocratique" n'est pas niée, mais elle est simplement secondaire... les gouvernements techniques, les technocrates sont les exécutants de cette "politique". L'hologramme de Macron en est un exemple. Dans l'ancien fascisme, on voulait intégrer les masses, dans la fascisation d'aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Aujourd'hui comme hier, on veut les utiliser, mais "de loin", à l'intérieur de cages urbaines modernes, désintégrées de la société elle-même. Le fascisme s'est présenté, au-delà des phrases pompeuses initiales "anti-bourgeoises", comme interclassiste, croyant pouvoir offrir une troisième voie, non-bourgeoise et non-prolétarienne, pensant pouvoir décharger l'exploitation uniquement sur d'autres prolétaires et sur des peuples d'autres nations. Comme dans l'ancien fascisme, nous avons deux éléments dialectiques : la dictature de la bourgeoisie et le mouvement des masses petites-bourgeoises. Cependant, fascisation ne signifie pas "organisation" des masses. Les mêmes organisations de masse de la nouvelle droite et des mouvements populistes réactionnaires se présentent comme des sujets "neutres" et "liquides". Vive le mouvement, à bas les partis... est aujourd'hui un slogan de l'extrême droite et plus généralement des mouvements de masse réactionnaires. La militarisation, l'appel à la guerre pour les gouvernements libéraux d'aujourd'hui et pour les mouvements réactionnaires de masse eux-mêmes ne signifie pas seulement la guerre contre les ennemis, mais contre les "prétendus" envahisseurs intérieurs eux-mêmes et plus généralement contre les classes dangereuses modernes, la masse multiforme des prolétaires sans réserve. Ce processus commence par la déshumanisation des minorités. En effet, le symptôme le plus évident est la division, la séparation de la population entre "nous et eux". Cependant, mettre sur le même plan les divisions raciales, religieuses et sociales et les divisions de classe est non seulement erroné, mais aussi réactionnaire. La litanie est toujours la même : nous sommes d'honnêtes travailleurs et avons gagné notre place dans la société grâce à notre dur labeur et à nos propres mérites. Ce sont des paresseux, qui vivent sur le dos des vertueux que nous sommes en exploitant la générosité des aides sociales ou l'aide d'institutions corrompues comme les syndicats. Nous faisons, ils prennent. Cela découle d'une frustration individuelle et sociale. Cela explique pourquoi l'une des caractéristiques typiques des fascismes historiques a été l'appel aux classes moyennes frustrées, à l'inconfort d'une crise économique. A ceux qui sont privés de toute identité sociale, le populisme, le souverainisme, les nouveaux mouvements réactionnaires de masse disent que leur seul privilège est le plus trivial qui soit, celui d'être né dans le même pays. Les thèmes fascistes racistes et discriminatoires à l'égard des femmes peuvent exister et coexister, mais en même temps, ils peuvent coexister en toute sécurité avec des attitudes libérales et libertaires dans des mécanismes fascistes. Les drapeaux de la gay pride hissés sur les décombres de Gaza par les forces sionistes, les généraux et la propagande lgbt de l'OTAN : nous savons qu'il s'agit d'une propagande utilisée pour cibler et dépeindre de manière stéréotypée et raciste les masses populaires qui se rebellent, et certainement pas pour soutenir les garanties légitimes de le personne lgbt. Cependant, cela nous oblige à analyser le présent et la fascisation, et non pas comme un simple retour du vieux fascisme : machisme, racisme, nationalisme, militarisme. S'arrêter aux nostalgiques de Mussolini ou d'Hitler, c'est stéréotyper notre critique et notre capacité d'intervention, ce qui les rend inefficaces pour lutter dans le présent. Il existe une galaxie d'extrême droite "nostalgique" qui, comme par le passé, joue un rôle "néo-militaire", mais il ne s'agit pas des éléments principaux et hégémoniques des mouvements réactionnaires de masse, qui peuvent prendre des formes populistes ou élitistes, locales ou universalistes, libérales et conservatrices en même temps. Ceux qui assimilent aujourd'hui Hitler à Staline ou Mao, le fascisme à la dictature du prolétariat, la violence patronale à la terreur rouge, les opérations de police d'État à la résistance armée des masses populaires, le socialisme au chaos, ne sont pas seulement un bastion du vieil et robuste anticommunisme, mais plus généralement un partisan des tendances irrationnelles et réactionnaires liées à l'impérialisme. Ce n'est donc pas seulement la conservation qui est réactionnaire, mais aussi le post-modernisme et tous ses débris4. L'opinion publique libérale devrait se rappeler, maintenant qu'elle réclame des gouvernements souverainistes, que c'est sa social-démocratie qui a créé le terrain idéal pour l'infection "néo-fasciste", à cause de son mépris pour les masses incultes et arriérées, de ses coupes dans les salaires et les services, de ses coups de matraque pour les travailleurs, de ses délires constants sur la sécurité et la police, de ses accords avec les criminels de guerre et de ses camps de concentration anti-immigrés. La gauche bourgeoise de salon, favorable aux entreprises et aux reformes societales, carriériste et mercenaire jusqu'au bout des ongles, s'est efforcée d'incuber le germe de la peur dans la population pour lui faire ingérer des politiques mortelles, jusqu'à ce que cette peur se retourne contre elle en termes de votes, de consensus, de légitimité. Jusqu'à ce que la population se tourne vers ceux qui ont fait de la peur et de la matraque une croyance et une réponse tout court. Les mécontents de la mondialisation "Le fascisme est une dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins et les plus impérialistes du capital financier", telle était, en résumé, l'évaluation historique de l'ancien fascisme par le mouvement communiste5. Aujourd'hui encore, c'est la bourgeoisie monopoliste qui conserve fermement le pouvoir. Cependant, il serait erroné de considérer les classes sociales comme des blocs homogènes et fixes, car même à l'intérieur des mêmes classes, il y a des luttes6. Ainsi, des tendances libérales, souverainistes, conservatrices et néo-populistes coexistent parmi les factions de la bourgeoisie monopoliste. Ces différentes attitudes, cependant, deviennent beaucoup plus floues lorsque l'ennemi est le prolétariat combattant et la résistance anti-impérialiste des masses populaires. Aujourd'hui, la base sociale des nouveaux mouvements de masse réactionnaires est constituée par ce que l'on appelle les "mécontents de la mondialisation". Par ce terme, nous entendons des groupes importants de la bourgeoisie monopoliste, qui considèrent le développement actuel de la "mondialisation" et sa crise comme un obstacle ou un danger pour leurs intérêts et leur statu quo. Ces groupes sont capables de coaliser autour d'eux une série de forces petites-bourgeoises, également effrayées, affectées et appauvries par ce processus, et des secteurs populaires poussés dans la logique rigoureuse des guerres entre les pauvres (concurrence sur le marché du travail, gigantisme urbain, montée de l'armée de réserve, paupérisation, déclin démographique). Ces nouveaux mouvements ont non seulement une vocation contestataire, mais aussi des projets politiques, même s'ils sont confus et contradictoires. Jusqu'à récemment, il était de bon ton de parler des 99 % contre les 1 %, c'était l'un des principaux slogans de l'altermondialisme. La thèse était simple : nous sommes nombreux, "ils", nos ennemis, ne sont que quelques-uns. Le jeu d'acteur était perçu comme une action "liquide" et "mouvante" qui évitait le "pouvoir". On pensait qu'il existait encore une hégémonie culturelle "de gauche" capable de dominer même dans le cadre de relations de classe défavorables. On ne se rendait pas compte que cela avait été possible grâce à un cycle antérieur de luttes et de révolutions qui avaient fait du mouvement communiste et des pays socialistes (au-delà de leurs contradictions) une alternative réelle et concrète aux rapports de classe existants. Aujourd'hui, nous avons des tendances culturelles néo-conservatrices, libérales, réactionnaires, irrationnelles, technocratiques, populistes et conspiratrices qui investissent et hégémonisent des masses importantes. Dans certains cas, ces masses réactionnaires ont trouvé un ciment politique qui a fait d'elles la véritable nouveauté sur la scène internationale7. La capacité d'organiser, de produire une hégémonie consensuelle des forces défendant un point de vue prolétarien est très faible aujourd'hui si l'on regarde lucidement les rapports de force actuels entre les classes. Il existe des secteurs des masses populaires et des peuples dominés qui développent des actions ou des résistances. Mais le lien entre les formes populaires de résistance, l'autonomie prolétarienne et la gauche révolutionnaire est très ténu. Les carapaces organisationnelles manquent : des syndicats aux collectifs et associations, de la capacité d'hégémonie culturelle à l'expertise militaire.... Ce qui manque, c'est la capacité de synthèse politique, une stratégie et une tactique qui placent la question du pouvoir au centre. Faute de cela, les mouvements réactionnaires de masse se renforcent de plus en plus, et toutes les tendances prolétariennes ou celles qui luttent simplement pour un modèle social plus rationnel sont de plus en plus marginalisées. L'antifascisme aujourd'hui Les fascistes sont des ennemis, les mouvements réactionnaires sont des ennemis. Cependant, il faut garder à l'esprit que lorsque nous parlons d'"ennemis", ce ne sont pas les masses qui se trouvent dans les organisations et mouvements fascistes. Nos ennemis sont les organisations et mouvements fascistes. Les masses qui y adhèrent ou qui sont fascinées par eux ne sont pas nos adversaires. Ce sont les masses de prolétaires que nous devons conquérir par tous les moyens. C'est peut-être la leçon la plus précieuse que le vieux mouvement communiste du siècle dernier nous a laissée en ce qui concerne la lutte antifasciste. Lorsque nous sommes confrontés à des masses profondément influencées par des dynamiques réactionnaires : racisme, nationalisme, particularisme, localisme, sexisme, conspirationnisme, etc. Il est clair que nous ne pouvons pas les considérer en bloc comme des ennemis. Cela nous condamnerait à l'impuissance totale en acceptant le minoritarisme comme inéluctable. Il faut au contraire avoir la force de saisir les contradictions que ces mouvements et ces positions portent en eux pour mettre en évidence et élargir les ruptures et les fractures. Prenons quelques exemples concrets. Au sein d'un syndicat, le problème n'est jamais la pureté idéologique, mais la défense intransigeante des intérêts de notre classe, qui est multinationale, interraciale et multigenre. Plus ces intérêts sont orientés vers les travailleurs et les secteurs précaires, plus leur emprise sur la classe ouvrière et leur capacité à développer une autonomie prolétarienne sont grandes. Aujourd'hui, il est clair que la tendance dans les syndicats est à l'opposé de cette dynamique. Les catégories sont mises au centre, les catégories "riches" souvent liées aux aristocraties du travail "intellectuel" conservent le pouvoir et la préservation des structures. Le précariat et les formes organisées liées à la précarité sont utilisés, dans le meilleur des cas, comme des moments de propagande " sympathiques " et " jeunes " et non comme des formes d'organisation territoriale de nouvelles masses de prolétaires sans réserves économiques. Les mêmes secteurs organisés liés au travail ouvrier sont considérés comme un réservoir numérique, mais pas comme un sujet syndical central dans la diffusion de l'associationnisme et de la solidarité ouvrière. Il est clair que les tentatives généreuses des syndicats pour contrer les fascistes, à partir de bonnes propositions, sont souvent réduites à une coordination intersyndicale caractérisée par une vocation morale, éthique et intellectuelle... et non comme une véritable plate-forme où les cadres syndicaux s'interrogent sur la manière de conquérir des portions de travailleurs et de prolétaires et de les arracher aux mouvements réactionnaires de masse. Ce travail se fait non seulement par la défense rigide des garanties ouvrières et prolétariennes, mais aussi par un travail d'hégémonie culturelle. Hégémonie culturelle que le prolétariat exerce lorsqu'il assume son contenu de classe et son projet historique : le socialisme. Comment exercer une action hégémonique quand on nous dit que nous sommes contre le "pouvoir", contre la "centralisation", contre l'"efficacité", contre la "violence", etc. A défaut, l'action hégémonique culturelle se réduit à une campagne indéfinie d'accusations et d'invitations à l'autoflagellation, à une campagne de moralisation libérale ou à une acceptation conformiste du présent. Le chemin vers le vieux fascisme a été pavé d'appels au "moindre mal" et à la "voie de la moindre résistance". Dans la société, dans ses différentes structures, écoles, quartiers, associations culturelles, clubs sportifs, etc., l'action antifasciste doit toujours pouvoir se combiner avec le développement de l'autonomie prolétarienne. Prenons par exemple la vie d'un groupe sportif, l'action antifasciste n'est pas de faire du sport "antifasciste", ce qui n'a pas de sens en soi, mais de créer de véritables espaces sportifs où les communistes, la gauche prolétarienne et les antifascistes en général peuvent exercer leur hégémonie sur certains secteurs populaires. La résistance, l'action des masses populaires, même si elle est contradictoire, doit toujours être valorisée. Nous vivons une époque où la "guerre entre pauvres" traverse les principales métropoles impérialistes, la contrer n'est pas présenter des solutions éthiques au problème des garanties prolétariennes, mais lutter au sein des mille contradictions que présente aujourd'hui l'action de classe. Les militants communistes sont des révolutionnaires, pas des rebelles romantiques. Il est clair que dans un monde conformiste comme celui dans lequel nous vivons, la rupture de la "norme" est un facteur de vivacité sociale et de santé mentale, mais il ne faut pas la réduire à la "culture underground"... L'activisme des antifa est salutaire par rapport à la passivité de la gauche prolétarienne et révolutionnaire en France aujourd'hui, surtout si l'on comprend les antifa comme le principal réservoir d'activisme de la jeunesse. L'archipel antifa est aujourd'hui divisé, avec des positions, des actions et des solutions discordantes et parfois antithétiques. Ce n'est pas l'objet de cet article que d'évaluer les différents courants antifa en France aujourd'hui, leur potentiel et leurs limites. En tant que communistes, nous nous sentons plus proches et solidaires des expériences qui saisissent le lien entre l'antifascisme et le prolétariat, entre l'antifascisme et la lutte anti-impérialiste. Mais cela ne suffit pas. L'ancien fascisme, ainsi que la "fascisation", n'est pas seulement l'utilisation d'une force contre-révolutionnaire et anti-populaire, c'est aussi l'hégémonie des masses, un comportement réactionnaire et la modification des structures de l'État. Pour combattre tout cela, nous avons besoin d'une synthèse politique, d'un projet politique adapté à cette confrontation. Si nous ne sommes pas capables d'accomplir cette tâche, nous subirons une double défaite politique, sociale et militaire : 1. Nous accepterons indéfiniment la logique qui voit les libéraux comme des adversaires et les droitiers comme des ennemis. Dans le concret de la politique française, la gauche radicale présente souvent les dirigeants du Rassemblement National comme des ennemis, tandis que les "macronistes" sont des "adversaires" et la gauche bourgoise même des "amis"... cela se résume à une soumission totale aux politiques réformistes et sociales-démocrates, celles-là mêmes qui ont servi de base de soutien aux mouvements réactionnaires de masse. 2. L'isolement total face à ces mouvements réactionnaires de masse. L'acceptation passive de leur hégémonie. On peut perdre une bataille, mais perdre sans même se battre est un suicide politique. Lutter aujourd'hui, ce n'est pas "témoigner" de notre existence, c'est lutter, c'est avoir la capacité d'intervenir dans les contradictions, sans avoir peur de se tromper. Conclusions La question centrale pour nous est l'espace qui existe entre le frontisme et l'indépendance dans l'action des communistes face aux mouvements de masse réactionnaires et à la fascisation. Avoir une politique de front signifie avoir la capacité, d'une part, d'intervenir de manière adéquate dans tous les secteurs de la société en créant des fronts communs (politiques, sociaux, économiques, associatifs, culturels, d'autodéfense) qui nous permettent d'organiser et de nous adresser aux couches les plus larges de la classe ouvrière, et d'autre part, de déterminer notre indépendance, notre autonomie, notre capacité organisationnelle spécifique, en tant que communistes, pour défendre non pas tant un "drapeau identitaire" qu'un point de vue prolétarien sur le présent. Les "vides" en politique n'existent pas, s'il n'y a pas de point de vue prolétarien, cela signifie que les avant-gardes prolétariennes sont absentes et que les points de vue des autres classes prennent leur place. Il n'existe pas de formules toujours valables pour trouver le juste équilibre entre ces deux moments, l'indépendance et le front. L'histoire du vieux mouvement communiste est une oscillation continue entre ces deux moments8. Aujourd'hui, le mouvement communiste conséquent se bat pour un projet politique indépendant (qui dépasse le sentiment de défaite et d'immobilisme post-1989 et le syndrome du moins pire), qui, malgré mille contradictions et difficultés, identifie une stratégie révolutionnaire (politique et militaire) appropriée au contexte dans lequel nous vivons, c'est-à-dire, dans le cas français, un pays marqué par la concentration urbaine et la dimension financière et impérialiste. En même temps, que signifie développer l'autonomie et l'hégémonie du prolétariat ? Il ne s'agit pas seulement d'un soutien direct aux luttes et aux formes de résistance spontanée des masses populaires, mais des formes d'organisation appropriées. Un tissu organisé qui permette aux secteurs populaires de développer une action non seulement de défense des garanties, mais de lutte politique, sociale, culturelle, au sens le plus large du terme. C'est la politique des différents "fronts", entendus non seulement comme des luttes différentes, mais aussi comme des moments de coordination et d'organisation entre différents militants et activistes en général sur des projets et des programmes spécifiques : de l'action syndicale à l'action anti-répression, de la solidarité internationale aux luttes environnementales et contre les nuisances, des batailles pour les droits des femmes et des minorités de genre aux formes d'organisation et d'action des jeunes, de l'autodéfense à l'école et à la culture populaire. Agir sur ces fronts ne signifie pas abandonner un point de vue global ; au contraire, notre capacité à agir sur ces fronts devient plus efficace précisément parce que nous agissons en tant que cadres politiques communistes. Pour nous, cela signifie affronter la fascisation et expérimenter un antifascisme adéquat contre les ennemis que nous devons combattre aujourd'hui. note 1) Ne pas pouvoir saisir l'importance de la dynamique de l'affrontement des classes dans l'évolution de l'histoire (et donc aussi des formes étatiques), s'enfermer dans une vision déterministe et mécanique (donc anti-dialectique) de cette évolution est toujours le symptôme d'une incapacité qui ne peut se cacher derrière des phrases ampoulées et des "professions de foi" (totalement injustifiées) dans le marxisme. 2) L'énergie cinétique est l'énergie dans son déploiement, l'action active et répressive. L'énergie potentielle est l'énergie sous sa forme statique, l'équivalent d'avoir la force mais de ne pas l'exercer 3) Aux États-Unis, les républicains et les démocrates s'accusent mutuellement d'être en dehors de la légalité parlementaire. Le gouvernement américain accuse Poutine d'être un "gouvernement illégitime", etc. En France, ce phénomène prend des formes différentes, mais n'en est pas moins présent, il suffit de penser à l'utilisation frénétique du 49.3. 4) Sur le rôle et le poids du post-modernisme, en tant qu'idéologie anticommuniste moderne, nous renvoyons au numéro 5 de notre magazine 5) "Le fascisme au pouvoir est la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins et les plus impérialistes du capital financier. C'est la variante la plus réactionnaire du fascisme à l'allemande, qui s'appelle impudemment socialisme national, sans rien avoir en commun avec le socialisme. Le fascisme hitlérien n'est pas seulement un nationalisme bourgeois : c'est un chauvinisme bestial. C'est un système gouvernemental de banditisme politique, un système de provocation et de torture contre la classe ouvrière et les éléments révolutionnaires de la paysannerie, la petite bourgeoisie et les intellectuels. C'est de la barbarie, de la sauvagerie médiévale. C'est une agression débridée contre d'autres peuples et d'autres pays. Le fascisme allemand se présente comme l'unité d'assaut de la contre-révolution internationale, comme l'instigateur principal de la guerre impérialiste, comme l'initiateur de la croisade contre l'Union des Soviets, la grande patrie des travailleurs du monde entier". Le caractère de classe du fascisme, rapport au septième congrès de l'Internationale communiste, G. Dimitrov, 1935. 6) Dans le prolétariat se trouve l'aristocratie ouvrière, base historique du réformisme et de l'opportunisme. 7) Cependant, il serait erroné de ne pas souligner l'extrême variété des formes que prend cette tendance dans les pays respectifs. Cela est dû au rôle inégal joué par l'impérialisme. 8) La politique du mouvement communiste au début des années 1930 a assimilé les socialistes aux fascistes. La crise qui a frappé le capitalisme à la fin des années 1920 n'était pas définitive et aucun processus révolutionnaire ne s'est développé. Cette position du mouvement communiste sera plus tard rectifiée par la thèse des fronts populaires antifascistes dans la seconde moitié des années 1930, mais c'est précisément la phase "sectaire" qui a permis aux partis communistes de se consolider et de devenir beaucoup plus solides que les anciens partis socialistes. Cette force et cette capacité opérationnelle des militants communistes seront l'un des principaux facteurs de la capacité des communistes à hégémoniser la lutte antifasciste et à lui permettre de se transformer en guerre nationale, civile et sociale dans certains cas : Yougoslavie, Italie, Grèce, Chine elle-même. Un deuxième élément qui a joué en faveur de l'hégémonie du mouvement communiste sur l'antifascisme est son contact direct avec la classe ouvrière et les masses populaires. |
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