Sujet : Editorial: révolutionnaires sans révolution ? | | Posté le 12-09-2024 à 22:34:02
| Supernova n.7 2024 Editorial: révolutionnaires sans révolution ? « Le pouvoir d'État moderne n'est qu'un comité qui gère les affaires communes de toute la classe bourgeoise » K.Marx F.Engels Comment rester mentalement lucide et ne pas déprimer face au conformisme du présent ? Comment résister à la démocratie impérialiste et à sa capacité d'intégration ? Comment ne pas se laisser submerger par des choix émotionnels et contingents, face aux agendas politiques quotidiens ? La bourgeoisie monopoliste maintient fermement son pouvoir. La gestion de ce pouvoir prend de plus en plus une dimension « technique », où les paramètres économiques et les hiérarchies internationales doivent être rigoureusement et religieusement respectés... Le poids de l'aristocratie ouvrière et de la classe moyenne affaiblit et à marginalise toutes les formes d’organisation et de lutte où apparaît l'autonomie prolétarienne (groupes organisés de travailleurs et de prolétaires en général que résistent et luttent pour leurs garanties économiques et leurs libertés politico-sociales). Nous sommes confrontés à une « gauche de l'OTAN » (libérale et soumise aux diktats de l'Atlantique) qui criminalise directement la lutte anti-impérialiste, en s'attaquant par exemple aux mouvements de soutien à la Palestine et à la résistance palestinienne. Parallèlement, nous assistons à à un renforcement des mouvements réactionnaires de masse qui, bien qu'ils se développent pour l'instant dans la sphère parlementaire-démocratique, exercent une hégémonie de plus en plus forte sur divers secteurs populaires de la société. La gauche révolutionnaire en France est très marginalisée et s'enferme souvent dans son isolement. La société est traversée actuellement par des mutations colossales et, si nous ne nous arrêtons pas aux apparences, nous pouvons discerner des contradictions et des tensions de plus en plus aigües.. Le développement du modèle industriel-urbain connaît par sa forme des modifications, et les travailleurs, les masses populaires sont soumis et sont confrontés à de nouvelles formes d'organisation du travail. Nous assistons au processus d'autonomisation du capital, lié au mécanisme financier, qui est l'une des conditions préalables au mécanisme impérialiste international. Dans l'impérialisme, le capital financier (fictif) devient indépendant du capital producteur de marchandises, puis le subordonne. Le capital fictif croît plus vite que le capital réel (moyens de production, bâtiments, technologie, force de travail, produits et autres facteurs de l'économie réelle). Dans la société moderne, le capital fictif est tout aussi influent, voire plus influent (plus réel) que le capital réel : il dépasse et domine le capital réel (capital employé dans la production de marchandises). La spéculation financière, les bulles financières, le gonflement du capital financier et de ses opérations constituent une soupape de sécurité (temporaire, mais réelle) qui empêche la crise d'exploser dans l'économie réelle. Les capitalistes multiplient leur argent par l'argent, bien qu'en même temps les capitalistes continuent à voler le fruit du temps de travail des autres, à extorquer le surplus de travail. La quantité de richesse (au sens de biens et de services) produite dépend de moins en moins du temps de travail et de plus en plus de la technologie et de la science : pourtant, les capitalistes augmentent l'âge de la retraite, jettent des millions de jeunes au chômage et intensifient l'exploitation des travailleurs. Et en effet, sans la production marchande, sans l'extorsion du surtravail, le capital financier n'existe pas. Le capital financier reste une superstructure du capital producteur de marchandises. Cela produit, au sein des métropoles impérialistes, des processus de prolétarisation qui érodent les classes ouvrières et moyennes. Les marges historiques entre le travail manuel et le travail intellectuel se réduisent, la même précarité touche des portions sociales différentes. Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas de différences de classe au sein des masses populaires. Il serait stupide de dire qu'un jeune diplômé vit les mêmes contradictions qu'un jeune non scolarisé, tout comme il serait stupide de nier qu'il n'y a pas de problème « racial » et de genre au sein de la classe. Il y a une partie des prolétaires sans reserve qui se concentrent dans les métropoles, qui vivent en direct les mécanismes de dé-intégration. Cette partie croît de manière exponentielle, mais reste pour le moment minoritaire dans les pays impérialistes. Néanmoins, l'«autonomisation » du capital1 submerge les principales composantes de la classe ouvrière. La catégorie centrale pour décrire le présent reste celle de l'impérialisme qui, outre son corollaire de monopole et de concurrence, pousse à la guerre. Guerre qui, comme nous l'avons écrit à plusieurs reprises dans notre journal, se traduit par des fronts extérieurs et intérieurs : Fronts extérieurs : pour le contrôle des ressources ou simplement pour occuper un territoire aux dépens des autres. Aujourd'hui, les processus de crise en cours ébranlent les anciens équilibres impérialistes. Et ils rendent la compétition mondiale encore plus vive. L'impérialisme français est aujourd'hui en crise, subissant d'une part la concurrence interne des pays atlantiques, et d'autre part le débordement des mouvements anti-français en Afrique subsaharienne. Bien qu'affaibli, l'impérialisme français tente par tous les moyens de jouer un rôle sur la scène mondiale. Prenons par exemple le rôle de la France au Moyen-Orient : la bataille pour la déstabilisation et la balkanisation de la Syrie et du Liban et son soutien intransigeant à Israël. En Europe, les soutiens militaires du régime de Zelensky. Ou dans la défense de l'ancien régime colonial comme dans le cas de la Kanaky... Front intérieur : dans une militarisation et une fascisation de la société2 , qui ne rejette pas la « démocratie », car elle reste la meilleure enveloppe de l'impérialisme, mais qui réduit les marges de participation et fait de la « politique » une affaire technique. La guerre entre les pauvres est directement utilisée et encouragée par les classes dirigeantes. Dans certains cas, la police devient directement un corps militaire d'« occupation ». Sur le plan juridique le développement de procédures de jugement rapide, comme la comparution immédiate, l’augmentation de la détention provisoire l’allongement de la durée des peines, entraîne une augmentation des peines longues et courtes. Ces mêmes structures supranationales évoquent de plus en plus souvent des scénarios hypothétiques d'armées d'urgence pour réprimer les soulèvements et les rébellions, comme c'est le cas avec l'OTAN. Telles sont les bases objectives aujourd'hui, et il serait stupide de ne pas saisir le potentiel des contradictions qui s'ouvrent dans la société. Nous devons poser concrètement le problème de la reconstruction-unité du mouvement communiste et de son organisation en France, dans son contexte métropolitain et impérialiste spécifique, traversée par des contradictions et des antagonismes. Pour cela, il faut comprendre qu'aujourd'hui, toutes les organisations et groupes de la gauche prolétarienne en France ne sont pas autosuffisants. Cette galaxie, malgré sa marginalisation, a sa propre “vivacité” politique et sociale. Elle élabore et expérimente diverses formes d'intervention politique, sociale et syndicale (Dans toutes les grandes zones urbaines, il existe des groupes). Elle tente de combiner l'intervention au sein du front interne avec le front externe, du soutien aux luttes ouvrières, à la participation directe aux syndicats et collectifs de lutte, au soutien aux luttes anti-impérialistes... ecc … Il existe également nombre de camarades qui ne sont pas directement « affiliés » aux groupes politiques de la gauche prolétarienne, mais qui sont politiquement actifs au sein des syndicats et des collectifs. Nous utilisons le terme de gauche prolétarienne pour souligner notre proximité avec les expériences de la gauche révolutionnaire du siècle dernier, sans pour autant réduire ce terme à un courant spécifique. Dans le passé, la gauche prolétarienne a été « beaucoup de choses » dans des contextes géographiques et sociaux différents, et nous savons que ce terme est certainement inadéquat aujourd'hui. Pour nous, l'espace de la gauche prolétarienne est composé de différents groupes et camarades, qui au-delà des différences se reconnaissent dans ces points simples et génériques: 1) le rejet de la logique de la politique bourgeoise (démocratie bourgeoise) et de son Etat. 2) le soutien à la résistance anti-impérialiste (un critère important pour nous est la Palestine). L’ennemi principal est l'impérialisme français. 3) la défense intransigeante des garanties ouvrières et le développement et l'organisation de l'autonomie prolétarienne. 4) la nécessité d'une organisation révolutionnaire (dans ses aspects politico-militaires). 5) le socialisme comme projet de construction sociale et politique Le problème n'est pas d'additionner artificiellement des groupes ou des camarades, mais de développer des formes de travail en commun, sur des campagnes, des projets spécifiques, des recherches et des enquêtes, afin de réaliser concrètement une synthèse. Pour cela, il faut une maturité politique, de la part de tous les camarades, qui rejette le “racket” de la politique et les sirènes du réformisme-conformisme, et une dose d'humilité... «Pourquoi vouloir dès maintenant nous montrer si intelligents quand nous pourrions tout juste être un petit peu moins bêtes ? » B.Brecht La bataille pour le mouvement communiste et révolutionnaire ne passe pas seulement par des lignes internes (camarades) mais doit nécessairement trouver un lien et une vérification dans le développement et l'organisation de l'autonomie prolétarienne. L'autonomie prolétarienne n'est pas un « être mythologique », mais concrètement la capacité des classes à développer des formes d'organisation et d'action indépendantes des patrons et de l'État. Construire et développer l'autonomie prolétarienne signifie concrètement accepter les contradictions que nous impose la phase sociale et politique que nous vivons, découvrir, inventer et expérimenter des formes d'action au sein des masses populaires. En tant que camarades de Supernova, nous pensons que l'utilité de cette revue est directement liée à sa capacité à produire du lien et de la recherche entre différents camarades, collectifs et organisations. Nous mettons notre énergie et nos outils au service de l'ensemble de la gauche prolétarienne. Ce numéro 7 de la revue sort à un moment particulier, celui de la crise interne française avec l'avancée progressive de l'extrême droite et la normalisation « atlantiste » de tout l'arc parlementaire. Il peut donc sembler étrange que notre équipe éditoriale ait choisi la relation entre l'IA, l'automatisation et la loi de la valeur comme thème principal de ce numéro de la revue. Cependant, nous sommes convaincus qu'il est crucial, dans un monde caractérisé par une concurrence impérialiste globale de plus en plus forte, de ne pas avoir peur d'analyser et d'intervenir dans les nouvelles contradictions. note 1) Dans le lexique bourgeois, l'autonomisation (contraction d'autonomie et d'automatisation) est un concept qui a vu le jour vers 1980, avec le développement d'un nouveau paradigme de production industrielle, la production allégée, introduite pour la première fois par l'usine automobile japonaise Toyota. Le terme original en japonais est jidoka. En effet, dans la nouvelle philosophie de la production automobile, les lots de production assument une grande autonomie dans la gestion de leurs activités, allant jusqu'à interrompre le flux de production pour corriger les défauts, et sont équipés de machines hautement spécialisées qui renforcent le concept d'automatisation. Il est significatif que l'un des principaux théoriciens de ce modèle, Onho, dans son article intitulé « L'esprit Toyota. Le modèle japonais de qualité totale. Et son prix » comme l'une des premières conditions de la destruction des syndicats et de l'autonomie des travailleurs. L'autonomisation est dialectiquement liée au mécanisme de la financiarisation impérialiste. 2) Ce qui se traduit aussi par une répression toujours plus massive contre tous les sujets non conformes... des mouvements écologiques aux mouvements syndicaux et sociaux. |
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