Sujet : Delaunay : questions sur la société socialiste | | Posté le 24-09-2020 à 09:48:29
| Jean Claude Delaunay répond aux questions de deux lectrices DANIELLE BLEITRACH 24 SEPTEMBRE 2020 J’espère que le présent texte prendra aisément place dans la réflexion des lecteurs réguliers des articles et études publiées sur le site Histoire et Société, qu’animent Danielle Bleitrach et Marianne Dunlop, avec tenacité et certainement avec courage m’écrit Jean Claude. Oui bien sur cher Jean Claude, nonobstant le fait que l’une de tes interlocutrices me poursuit de sa ire et que je ne sais moi que lui répondre, alors que toi tu ouvres un dialogue fructueux. Mais soyons sérieux, ta contribution le mérite. Il me semble que tes analyses donnent corps à cette déclaration récente de Fabien Roussel qui permet d’avancer dans la réfléxion :Fabien Roussel (France Inter 7h50)« Pour empêcher le carnage industriel et social, il faut à la fois que l’Etat se donne des leviers au sein du capital de grands groupes, mais aussi que les salariés disposent de nouveaux pouvoirs au sein de ceux-ci ».cette formulation est juste et elle permet d’avancer sur la définition d’un socialisme à la française… Enfin ta proposition de réfléchir en terme d’activités et pas de personne me parait devoir être retenue en ce qui concerne ce que j’ai défini comme une “entreprise fractionnelle au sein du parti”. Bien sur cela correspond à des individus mais aussi et d’abord à des organismes tels qu’ils jouent un rôle aujourd’hui dans la renaissance du PCF, ne serait-ce qu’en empêchant que les problèmes que tu poses ici soient débattus. On retrouve la vieille idée que soulignait un jeune camarade “le parti se renforce en s’épurant”. Certes mais ici aussi l’épuration est d’abord enjeu politique de l’activité telle que nous voulons la mener Malheureusement plus grande est la faiblesse politique plus difficile est le débat sur le fond. (note de Danielle Bleitrach) Dialogue autour du socialisme. Il rassemble des questions qui m’ont été posées par Paule Lanta-Menahem et Mireille Popelin, toutes deux membres du PCF, à partir du livre que j’ai récemment publié aux Editions Delga : Rompre avec le capitalisme, construire le socialisme. Les réponses auxquelles leurs questions m’ont fait penser me semblent prolonger les discussions déjà engagées sur le site Histoire et Société. Question de Paule Lanta-Ménahem (Pau) Comment identifier la grande bourgeoisie devant être chassée du pouvoir? Ma camarade de Pau soulève une question importante : Comment identifier la grande bourgeoisie, qu’il faut absolument chasser du pouvoir économique, politique, culturel, si l’on veut que ce pays soit désormais et définitivement gouverné par le peuple et ses composantes industrielles, paysannes, commerçantes, administratives, scientifiques, sanitaires, etc. ? Je vais juste énoncer quelques idées très générales. A mon avis, il convient d’identifier prioritairement les activités et ensuite seulement, comme une conséquence, les personnes. Bien sûr, quand nous préconisons de chasser la grande bourgeoisie du pouvoir, nous avons des noms en tête. La grande bourgeoisie, ce sont des acteurs concrets. Je crois cependant que nous ne devons pas penser la rupture avec le capitalisme en termes de personnes. Nous devons d’abord la penser en termes d’activités, en termes de rapports sociaux. Rompre avec le capitalisme ne consiste pas, selon moi, à éliminer des individus, à organiser une chasse aux sorcières. C’est un acte consistant à éliminer le pouvoir des individus concernés. Il faut donc construire juridiquement et politiquement cette élimination par le biais des activités et non par le biais des personnes. Sinon, le risque est, notamment, que des personnes soient écartées du pouvoir mais que l’essence anti-démocratique de leur pouvoir subsiste. Il faut non seulement changer les conseils d’adminisration mais d’abord et avant tout les pouvoirs de ces conseils et leurs finalités. Je crois, ensuite, que nous devrions délimiter le périmètre des activités devant être gérées par le pouvoir central, socialiste. En Chine, par exemple, existe un corps réduit d’entreprises publiques. Mais ce sont de très grosses entreprises. Elles sont gérées par un organisme spécial : la SASAC (State-Owned Assets Supervision and Administration Commission, soit, en français, La Commission de Supervision et d’Administration des Actifs des Entreprises Publiques). Ces entreprises publiques constituent le cœur économique du socialisme chinois. Ce sont les entreprises déterminantes du socialisme chinois. A ce coeur, on peut joindre, je pense quelques entreprises privées, comme Huawei. Ensuite, ce coeur doit être compris comme faisant partie d’un système. Il n’y a pas seulement les entreprises comme l’idéologie capitaliste actuelle nous incite à le penser. Il y a certes, les entreprises, mais aussi les services collectifs de recherche, d’éducation, de santé, du sport, de la culture, de l’environnement, d’administration, de planification, etc… Cela dit, s’il est vrai que la grande bourgeoisie domine non seulement les grandes entreprises industrielles, bancaires, commerciales, d’assurance, de presse et d’édition, mais également le pouvoir d’Etat, son administration, ses institutions, etc., c’est quand même ce coeur d’entreprises qui constitue la première priorité, si je puis dire. Je pense que nous, communistes, nous devrions, en France, avec les travailleurs concernés mais pas seulement, chercher à définir ce cœur : Quel pourrait en être le contenu concret? Quelles pourraient en être les règles de fonctionnement et de contrôle? 3) Il me semble, ensuite, qu’il conviendrait d’élaborer une doctrine politique visant à montrer que la construction du socialisme, même dans un pays relativement développé comme l’est la France ne signifie pas l’élimination complète des entreprises capitalistes ou de type capitaliste ou de type d’économie libérale. Il y aura forcément des secteurs capitalistes ou des entreprises capitalistes dans la France socialiste. Quel est donc le contrat social de moyen-long terme que les forces populaires gouvernantes proposent à ces catégories? En quoi une société socialiste peut-elle même être une aide pour ces catégories, certaines d’entre elles en tout cas, et non une peur, une hantise? Ce que le socialisme recherche est la fin absolue, dans un périmètre donné, du mode de production capitaliste. Ce n’est pas la fin de toutes les entreprises capitalistes. 4) Il me semble enfin qu’il conviendrait d’établir précisément les règles réciproques de comportement entre le pouvoir populaire socialiste et les entreprises capitalistes étrangères. Celles-ci doivent comprendre et intérioriser qu’elles ne peuvent avoir l’ambition d’être des Chevaux de Troie dans une société socialiste. Eliminer la grande bourgeoisie pompant la richesse produite en France signifie certainement aussi l’élimination de toute vélléité, de la part des puissances impérialistes d’intervenir dans les affaires françaises. Les entreprises étrangères d’importance stratégique pour la France socialiste devront être l’objet d’une réflexion spéciale. Ce point sera certainement complexe en raison de l’interpénétration croissante des capitaux de toutes orignes. Ce sera certainement l’une des parades de la grande bourgeoisie en France que d’intensifier ce mixage pour tenter d’éviter la confiscation pure et simple de son capital. Ce point devra être tranché avec intelligence mais aussi avec fermeté Tels sont les 4 points de réflexion que me suggère immédiatement la remarque de Paule Lanta sur Comment identifier la grande bourgeoisie que l’on estime devoir chasser du pouvoir. Incidemment, je me dis que le secrétariat du Secrétaire du PCF pourrait notamment poser la question au couple infernal que forment les Pinçon-Charlot et aux forces syndicales combattantes. Un mot sur la diffusion de mon dernier livre, dont 10 exemplaires auraient été venus à la fête du Parti à Mauléon, dit Paule Lanta. Cela montre l’intérêt du sujet qu’est le socialisme dans le Parti et sans doute à ses côtés. Cela dit, il existe un grand écart entre la diffusion marchande d’un livre et sa diffusion de contenu. En outre, un livre est un produit individuel et le socialisme est une affaire des masses populaires, des organisations révolutionnaires. Il peut y avoir des écarts entre le contenu d’un livre et les revendications précises des organisations concernées, surtout pour ce qui concerne le socialisme, c’est inévitable. Il faudrait donc penser la relation dialectique entre mon livre, entre tous les livres et les articles que la nécessité du socialisme a engendrés ou va engendrer, d’une part, et d’autre part la réflexion militante des organisations et celle notamment de la direction du PCF. Il faudrait d’autant plus penser cette relation qu’en règle générale les militants lisent peu même s’ils lisent plus que d’autres segments de la population. Un livre est parfois difficile. Le livre a disparu de nos moyens courants de nous informer. Je ne développe pas ce point. Mais il y a ici un point de réflexion spécifique. Voici maintenant les deux questions posées par Mireille Popelin, de Villeurbane, et les réponses qu’elles me suggèrent. Comment lutter contre l’impérialisme? J’imagine que ma camarade a déjà une petite idée sur la réponse que l’on peut apporter à cette immense et brûlante question. Voici, en tout cas, comment je réagis à sa lecture. D’abord comment définir l’impérialisme? L’impérialisme est le système de domination du monde que les grandes bourgeoisies de chaque pays capitaliste développé (le capital monopoliste ou capital financier de ces pays) ont cherché à mettre en place depuis la fin du 19ème siècle pour défendre leurs intérêts économiques et politiques majeurs, à la fois particuliers et collectifs, à la fois rivaux et complémentaires. Ce système a changé au cours du temps. Il a d’abord été capitalisme monopoliste d’Etat et en tant que tel, a connu au moins deux phases distinctes. Il est aujourd’hui, me semble-t-il, capitalisme monopoliste financier mondialisé placé sous leadership nord-américain. Si l’on cherche à décrire l’impérialisme par son contenu, on aboutira sans peine à la définition suivante : l’impérialisme, ce sont les armements, l’impérialisme, c’est la guerre. Le 20ème siècle a été rythmé par les guerres que l’impérialisme porte en lui pour des raisons diverses, économiques et politiques principalement. Il l’est encore. D’une certaine manière, impérialisme et capitalismes se confondent. C’est ce que dit Lénine. Je crois qu’il a raison au début du 20ème siècle. Mais depuis cette époque, des évolutions se sont produites. L’Iran par exemple s’est séparé de l’Empire britannique. Ce pays est capitaliste. Fait-il pour autant partie de l’impérialisme? Même question pour la Russie et pour tout un ensemble de pays en développement (l’Inde, l’Indonésie, par exemple). En sorte que l’on peut envisager qu’il soit mis fin à l’impérialisme sans que cela signifie la fin du capitalisme. Et même pour les Etats-Unis. Supposons que dans ce pays, le complexe militaro-industriel et de services soit mis à terre, l’idéologie et la pratique dominantes resteront, pour un temps que j’ignore, capitalistes. C’est ma conviction. On peut donc raisonnablement avancer que l’urgence, c’est la fin de l’impérialisme et non la fin du capitalisme, étant entendu cependant que si un pays comme la France devenait socialiste, ce serait un sacré coup de pied d’éléphant dans la termitière impérialiste. Comment lutter concrètement contre l’impérialisme? Le socialisme est le moyen général le plus radical existant pour lutter contre l’impérialisme. Cela dit, il peut se faire que si l’on attend d’avoir installé le socialisme dans son pays pour lutter contre l’impérialisme, on risque d’attendre longtemps. Et puis, on peut le supposer, il existe une relation dialectique et positivement croissante entre les luttes courantes contre l’impérialisme et la lutte pour le socialisme. Voici une énumération succincte de quatre moyens majeurs de lutte. Puisque l’impérialisme c’est la guerre, la défense de la paix dans le monde, la lutte pour la non participation de la France aux opérations guerrières impérialistes, la sortie de l’OTAN et la dénonciation de cette organisation belliqueuse, me semblent les premiers moyens de ce combat. Vient ensuite la dénonciation de la domination exercée par l’ensemble des pays développés, et notamment par la France, sur les pays d’Afrique, ou celle, plus ciblée, exercée par les Etats-Unis sur l’Amérique latine ou les pays du Moyen-Orient. Vient ensuite le soutien que les forces de paix se doivent d’apporter notamment à la Chine, à Cuba, aux pays socialistes existants, dans le combat que ces pays mènent pour se défendre des attaques des Etats-Unis. On ne peut se satisfaire d’être spectateur de ce combat et d’en observer le déroulement à la TV, les pieds bien au chaud. Je pense enfin que nous devons contribuer à promouvoir l’idée et la pratique de nouvelles relations politiques mais aussi économiques, monétaires, financières, sanitaires, écologiques, culturelles, entre les différents pays du monde. L’internationalisme aujourd’hui ne peut plus être seulement de nature politique et lié à la lutte contre la guerre ou les menaces guerrières. Certes cette fonction demeure. Elles est fondamentale. Mais elle doit s’enrichir de la dimension économique et de toutes ces dimensions que je viens d’énumérer. Le communisme fait-il disparaître le travail? Voici le texte même de la question soulevée par ma camarade. «Quand ce socialisme sera réalisé avec l’abondance, les hommes auront donc beaucoup de temps libre. Culture (mais il faudra des emplois pour instruire, cultiver) . Organiser ces loisirs , faire marcher les machines qui feront le travail il faudra des emplois ? Donc certains vont quand même travailler alors que les autres vont se la couler douce ??». Cette question est intéressante, d’abord en elle-même et parce qu’elle rappelle le paradoxe du lièvre et de la tortue. Le lièvre court mais la tortue ne reste pas immobile. Elle avance toujours et donc le lièvre ne dépassera jamais la tortue. La tortue conserve toujours une certaine avance, fut-elle infinitésimale. De même, dit Mireille Popelin, il y aura toujours du travail. Et donc certains travailleront pendant que d’autres «se la couleront douce». J”ai réfléchi à cette interrogation en deux temps : 1) La croissance infinie de la productivité du travail, 2) le passage à la limite et la modification radicale du travail. La croissance infinie de la productivité du travail Le capitalisme ne réduit le temps de travail que contraint et forcé, et quand il le peut, il reprend ce qu’il a concédé. Cela dit, l’évolution de la démographie est telle que le temps de travail global fait défaut dans les pays capitalistes développés. Ce que les capitalistes recherchent, dans les pays en développement, ce n’est pas seulement des bas salaires. Ils recherchent aussi et peut-être surtout du temps de travail qu’ils puissent s’approprier comme valeur de marchandises, comme argent. Le socialisme au contraire, une fois atteint un certain degré de développement des forces productives, une fois l’impérialisme mis sous contrôle et dans l’incapacité de nuire, est un système dans lequel on peut envisager que soit recherchée systématiquement la réduction du temps de travail. La richesse dans la phase du socialisme très développé ne sera pas, en effet, la valeur des marchandises, c’est-à-dire le temps de travail transformé en argent. Cette richesse sera faite, à une époque où la valeur aura perdu toute signification, des biens et services disponibles globalement et par habitant, en tant que choses utiles et d’un niveau de qualité que nous n’imaginons pas. Autrement dit, la valeur n’aura plus de sens lorsque la productivité du travail sera considérable. Je ne prétends pas ici faire autre chose qu’une vague esquisse de ce que l’on peut anticiper et je me contente d’une formulation vague du type «la productivité du travail sera considérable». Que se passera-t-il dans ce contexte de productivité du travail «considérable»? Il y aura réduction du temps de travail sur plusieurs plans. Réduction du temps de travail pour tous Réduction pour chacun du temps de la vie dite active (du temps de travail) par rapport au reste de la vie. Augmentation du temps de travail de connaissance, que ce soit avant la vie active ou pendant. Augmentation du temps de loisir après la vie active. L’augmentation «considérable» de la productivité du travail devrait se traduire par une réorientation de la finalité et du contenu du travail, par la disparition de la distinction sociale entre les manuels et les intellectuels, par de nouvelles technologies réduisant la présence humaine sur le lieu de travail, par l’intellectualisation générale du travail. Evidemment, la vente de la force de travail apparaîtra comme un modèle de fonctionnement du travail aussi débile et inapproprié que l’esclavage aujourd’hui. L’accès aux produits et aux services sera réglé autrement que par le salaire. Le travail changera totalement et radicalement de sens Ce que dit ma camarade est que, de réductions en réductions du travail, il restera toujours du travail à faire, et, de toute façon, chaque individu devra accumuler une quantité de connaissances supposant un réel travail. La grande bourgeoisie sait cela. Elle domine grâce à des rapports sociaux taillés sur mesure. Cela dit, elle sait que la pouvoir repose aussi sur la connaissance et elle ne manque d’envoyer ses enfants dans les meilleures écoles, ayant elle-même, dans la plupart des cas, fréquenté ces mêmes écoles. Or le savoir ne s’acquiert pas en chahutant en permanence le prof ou la prof, comme le croient aujourd’hui un certain nombre de petits imbéciles ignorants et stupides. Il faudra donc que le travail change radicalement de sens, de l’enfance à la grande maturité, de l’enfance à l’âge où on ne peut plus travailler. Il faut imaginer un passage à la limite (c’est précisément cette notion de passage à la limite qui manque au raisonnement ci-dessus évoqué concernant le lièvre et la tortue) tel que, au fur et à mesure que s’amélioreront les conditions de travail et que se réduiront les temps de travail concrets, soient mis en place les mécanismes sociaux et les technologies qui transformeront le sens du travail, tant dans la société que pour chaque individu. On travaillera certainement à l’époque du communisme, mais on travaillera autrement, dans des conditions totalement différentes des conditions actuelles. On travaillera pour soi et pour la société simultanément, ou pour la société et pour soi simultanément, en sorte que le fait de travailler moins qu’un autre devrait perdre son sens actuel. L’envie de se la couler douce devrait s’atténuer puis disparaître. Jean-Claude Delaunay |
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