Sujet : Delaunay : contrôle des institutions bancaires | | Posté le 26-11-2020 à 16:33:55
| J. Cl. Delaunay : comment le gouvernement chinois contrôle les institutions bancaires et financières DANIELLE BLEITRACH 26 NOVEMBRE 2020 https://histoireetsociete.com/2020/11/26/j-cl-delaunay-comment-le-gouvernement-chinois-controle-les-institutions-bancaires-et-financieres/ Il faut remercier Danielle Bleitrach d’avoir mis à la disposition des lecteurs français, des documents tels que l’article de HENNY SENDER (Financial Times) concernant ANT. Group et l’intervention du Parti Communiste Chinois à son égard. Lors d’un récent débat sur le socialisme chinois, mené en vidéo avec des membres du PCF et de la JC -le 21 novembre dernier – je suis intervenu sur cet événement après qu’une participante à ce débat a demandé plus de précisions sur la façon dont le gouvernement chinois contrôlait les institutions bancaires et financières de son pays. En Chine, le PCC est à la commande et il n’est pas question, pour lui, que des capitalistes, surtout très riches comme Jack Ma, l’actionnaire majoritaire d’ANT. Group, puissent vouloir marcher sur les pieds de la Chine, si l’on me permet cette expression. C’est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles on peut affirmer que la Chine est socialiste. J’ai, de manière brève mais précise, mentionné lors de ce débat les décisions que venait juste de prendre le PCC à l’encontre de Ma et ANT. Group. Il se trouve qu’Histoire et Société a publié ce texte quasiment en même temps, peut être même avant mon intervention, peu importe. J’espère que cette participante au débat ci-dessus mentionné pourra lire sur le site Histoire et Société (une mine de documents sur le socialisme chinois) cette reproduction de l’article de SENDER, ainsi que l’introduction et les commentaires qui l’accompagnent. On pourra trouver sur Internet un certain nombre de petits articles sur cette affaire, en particulier de Michael Pettis, mais en anglais. Je vais, à partir de cette affaire, développer 5 points. 1) Le premier point a trait a la dimension certes nationale mais aussi et nécessairement internationale de la construction du socialisme aujourd’hui, dans quelque pays que ce soit. L’affaire ANT Group en donne clairement l’indication. La finance nous plonge de manière quasiment immédiate dans l’international. C’est un point sur lequel, sans se limiter au rôle de la finance, Danielle Bleitrach insiste vigoureusement et, selon moi, avec raison. Quand il adviendra que nous serons en mesure de construire le socialisme en France, soyons assurés qu’il n’y aura pas autre chose qu’une ligne Maginot (c’est-à-dire une ligne imaginaire) pour séparer nos problèmes des influences diverses, parfois très hostiles, venant du reste du monde, et d’abord de l’Union européenne. Certes, le socialisme ne pourra être construit en France, et dans quelque pays que ce soit, que s’il dispose d’une assise nationale forte, solide. Mais nous serons, nous Français, immédiatement plongés dans l’international. Nous devons donc comprendre la construction du socialisme comme la construction simultanée de rapports sociaux, économiques et politiques au plan intérieur et au plan international. 2) Le deuxième point a trait à la dictature démocratique du peuple. Ce type de dictature est parfaitement illustré par les décisions prises par le PCC relativement à ANT Group. Il ne signifie certainement pas que l’on fusille des opposants. Mais il signifie que des décisions sont prises sans hésiter pour la préservation des intérêts individuels et collectifs du peuple ainsi que pour la préservation des intérêts nationaux. Un marché capitaliste n’est pas un marché d’économie socialiste dans la mesure où ce dernier est encadré par la dictature démocratique du peuple. Les dirigeants chinois sont, selon moi, et de toute évidence des communistes, c’est-à-dire des internationalistes et des patriotes. Jack Ma devra faire attention. Qu’il fasse de l’argent, passe encore s’il est utile. Mais qu’il veuille diriger ou orienter les finances chinoises, non, disent les dirigeants de la Chine. Un bon coup sur le nez de ses affaires devrait contribuer à lui faire entendre raison. Les capitalistes chinois ont droit à l’existence et ils peuvent être honorés, comme l’est l’entreprise HUAWEI et son dirigeant Ren Zhengfei. Mais il existe une différence profonde entre des entreprises capitalistes et le mode de production capitaliste. Il faut une institution, le PCC en Chine, veillant fermement à ce que le pas de cette différence ne soit pas franchi. Les capitalistes chinois ont le droit de diriger des entreprises capitalistes, mais ils n’ont pas le droit d’instaurer en Chine un mode production capitaliste et de former ainsi une classe de capitalistes chinois. Il y en a déjà une à Hong Kong que les dirigeants de la Chine sont en train de neutraliser. Cela semble leur suffire. 3) Le troisième point que suggère l’affaire ANT Group concerne l’importance d’institutions de contrôle venant en complément de celles de la planification. Kevin, l’un des organisateurs du débat ci-dessus mentionné, a insisté sur le rôle de la planification à la chinoise dans les succès présents de la Chine, tout en illustrant son propos d’un exemple montrant l’enracinement populaire de cette planification. Même si illustration n’est pas raison, je crois que son propos est très juste et que nous devrions, parmi les montagnes de choses à faire dans la période actuelle, nous inspirer des procédures chinoises de planification, tant pour en retenir la souplesse que l’efficacité. Cela dit, l’affaire ANT Group. met en lumière un autre aspect : celui de la nécessité du contrôle et du suivi, par des institutions ad hoc, des activités les plus importantes, tant de l’agriculture et de l’industrie, que du commerce et de la finance, et cela, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Derrière mon affirmation, existe un point de théorie que je souhaite éclairer. Dans un système marchand capitaliste, le marché est l’institution principale du contrôle de l’adéquation entre les produits et les besoins. Le fait que la consommation des biens et des services soit marchande est la garantie théorique de la qualité des produits. C’est le marché qui est sensé en régler la quantité et la qualité. Il s’agit donc d’un contrôle indirect et a posteriori, ne portant que sur les résultats de la production et non sur l’appareil productif lui-même, réalisé entre des partenaires pouvant être d’inégale puissance économique. Enfin, ce contrôle n’est effectué qu’avec des agents armés d’un pouvoir d’achat, comme on dit. Que se passe-t-il, ou que devrait-il, en revanche, se passer, dans une économie socialiste? Une société socialiste n’est pas une société d’abondance. C’est une société qui construit l’abondance, c’est-à-dire la très grande et croissante quantité ainsi que la très grande et croissante qualité des biens et des services par rapport aux besoins. Une société socialiste est donc une société dont la production est encore rare, insuffisante par rapport aux besoins et qui s’efforce, pour cette raison de ne pas laisser les plus démunis sur le bord de la route. Cela dit, la qualité de ses produits n’est pas certaine à 100%. Il est dès lors indispensable, dans une telle société, non seulement d’anticiper la production, sa répartition et la consommation (planifier). Il faut encore en contrôler la production. On peut déduire de l’observation; me semble-t-il, qu’une société socialiste issue du sous-développement, comme l’est la société chinoise, n’est que partiellement une société de commandement (secteur public) mais que c’est, dès le départ, et de manière générale, une société d’anticipation et de contrôle (secteur public et secteur privé). Le marché n’est plus suffisant pour assurer le contrôle des activités privées, comme le montre l’exemple récent d’ANT Group, et pour les orienter efficacement vers la satisfaction des intérêts nationaux et populaires. Mais le secteur public doit lui aussi relever d’un tel contrôle, pour en chasser s’il y a lieu la corruption, pour en suivre attentivement la production, comme le montre encore l’exemple chinois avec la SASAC (State Assets Supervision and Administration Commission of the State Council), dont je ne développe pas ici les caractéristiques. Je ne m’interroge pas davantage sur le fait de savoir qui doit assurer ce contrôle et comment celui-ci doit être effectué. Je souhaite seulement indiquer que la socialisation des rapports sociaux de production et de la production garantissent que le produit sera réalisé, c’est-à-dire transformé en valeur monétaire et sans doute consommé, ou mis dans un coin, mais ne garantissent pas la qualité de cette production. Le contrôle est l’une des composantes de ce que l’on appelle aujourd’hui, sur la base de l’exemple chinois, une économie de marché socialiste. Un aspect intéressant de l’affaire ANT Group est que, s’il est vrai que les intérêts privés capitalistes (ANT Group) devaient être contrôlés pour que l’activité des banques chinoises ne soit pas menacée, il n’en reste pas moins que les banques chinoises elles-mêmes, qui sont publiques, ne sont pas des anges de pureté et doivent être, elles aussi, très sérieusement contrôlées. 4) Le quatrième point sur lequel l’affaire d’ANT Group attire l’attention est évidemment le rôle du PCC dans la décision concernant cette compagnie. Henny Sander parle de la construction du consensus ayant précédé la décision. N’étant moi-même qu’un très minuscule observateur de la vie chinoise, je n’ai aucune information à ce propos. Mais si l’on en croit Sander, ce qu’elle écrit montre le triple rôle du PCC, à la fois comme initiateur de la décision, élaborateur d’un consensus à son propos et comme preneur de la décision finale. La question qui est alors soulevée est celle de savoir quel rôle pourrait avoir le PCF dans la construction du socialisme en France. Je ne suis pas stupide au point de considérer que, dans son état actuel de délabrement, le PCF puisse avoir le moindre rôle dirigeant dans ce pays. Mais cela est vrai aussi dans d’autres pays capitalistes développés, ce qui conduit sans doute un certain nombre de révolutionnaires à ne voir la transformation socialiste qu’à travers le prisme du syndicalisme. Quoiqu’il en soit, voilà certainement un aspect sur lequel la réflexion est nécessaire. On peut aisément comprendre que, dans un pays en développement, comme l’est la Chine, la classe ouvrière soit si récente, si fortement imprégnée par son passé rural et son inexpérience de l’industrie, comme du monde des affaires en général, qu’il revient à un groupe d’hommes et de femmes, peut-être une dizaine de milliers, regroupés au sein du Parti communiste chinois et porteurs tant de la fierté d’être Chinois que du bien-être des classes populaires, d’assumer la conduite économique, politique, culturelle, nationale, internationale, de ce pays. Mais peut-il en être de même dans un pays de vieille culture urbaine, ouvrière, démocratique? Je ne vais pas chercher à répondre à cette immense question, me contentant de dire que, si rôle il y a du PCF dans ce contexte, il sera sans doute différent de celui que l’on peut observer en Chine sans que cela en fasse disparaître le leadership moral et l’influence politique. Le PCF devra, c’est l’évidence, changer totalement par rapport à ce qu’il est aujourd’hui. 5) Le cinquième point que, selon moi, fait apparaître l’affaire d’ANT Group est l’impérieux besoin pour la classe ouvrière française, fut elle d’un haut niveau intellectuel et scientifique, de faire alliance avec des catégories salariales également cultivées et compétentes, quoique dans d’autres domaines que ceux de la production stricto sensu. Or ces composantes du salariat avec lesquelles les ouvriers, les techniciens et les ingénieurs doivent faire alliance durablement pour la construction du socialisme sont aussi celles dont la probabilité qu’elles soient distantes du socialisme ou hostiles à ce système, est aussi la plus grande. Tels sont les 5 points de réflexion pour la France que l’exemple chinois d’ANT Group me suggère. Jean-Claude Delaunay |
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