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Le cinéaste Jean-Pierre Thorn la lutte des classes

Finimore
   Posté le 25-10-2019 à 06:21:43   

Lu sur Médiapart

CINÉMA CHRONIQUE
Le cinéaste Jean-Pierre Thorn recompose l’amour et la lutte des classes

23 OCTOBRE 2019 PAR ANTOINE PERRAUD

Dans un long métrage saisissant de beauté, de révolte et de sanglots, L'Âcre Parfum des immortelles, Jean-Pierre Thorn relie un grand amour défunt aux combats sociaux bien vivants, malgré les coups de pied en vache du capitalisme. Le documentaire sort en salles ce 23 octobre : courir le voir est un acte intime et militant, qui aide à faire barrage à nos temps fâcheux...
aire retour sur son œuvre documentaire, la revisiter en restituant une époque révolue, c’est ce qu’avait réussi Michel Mitrani aux débuts de la chaîne culturelle franco-allemande Arte, voilà une trentaine d’années : de ses reportages pendant la guerre d’Algérie pour Cinq Colonnes à la une à son magnifique Ionesco à Zurich (1968), le réalisateur pilotait les téléspectateurs embarqués dans une telle mise en abyme cathodique.

Aujourd’hui, pour le grand écran, Jean-Pierre Thorn étoffe, dramatise et politise l’exercice, tressant plus d’un demi-siècle d’amour et de rébellion, de luttes publiques et de détresse privée, de slogans et de larmes.

L’Âcre Parfum des immortelles, en salles ce mercredi 23 octobre, se révèle une bouleversante confession cinématographique, doublée d’une exploration mobilisatrice sur ce qui regimbe encore et rue toujours dans les brancards de l’étouffoir capitaliste.

Dès les premières images, nous sommes ferrés : dans les Landes, au milieu des pins qui pleurent leur résine, la voix blessée du cinéaste aujourd’hui septuagénaire se lance dans une ode à Joëlle, rencontrée là, entre palombière et océan, au printemps 1966. Joëlle gorgée de poésie, qui citait dans ses lettres – lues de façon admirable par Mélissa Laveaux – Les Épiphanies, du fabuleux Henri Pichette (1924-2000). Joëlle qui mourra prématurément trois ans plus tard, en 1969. Dans l’intervalle de ces amours suffocantes liant deux mineurs survoltés (la majorité était à l’époque à 21 ans), advint Mai 68, qui décida de tout.

Capture d'écran d'« Oser lutter, oser vaincre » (1968). On ne sait jamais ce qu'on filme : notez, sous la pencarte du défilé combatif, la publicité de l'époque qui s'insinue ( « Au bon diable. Vêtements »), comme dans un dessin de Sempé...
Capture d'écran d'« Oser lutter, oser vaincre » (1968). On ne sait jamais ce qu'on filme : notez, sous la pencarte du défilé combatif, la publicité de l'époque qui s'insinue ( « Au bon diable. Vêtements »), comme dans un dessin de Sempé...
Jean-Pierre Thorn, aidé subrepticement par Jean-Luc Godard ou épaulé par Joris Ivens, se fit cinéaste en captant le réel révolté. Ce qui donna, sur et avec les ouvriers de Renault : Oser lutter, oser vaincre, Flins 68.
Devenu El Desdichado du 7e art, le ténébreux, le veuf, l’inconsolé Jean-Pierre Thorn prend le voile, ou plutôt le bleu de travail : il s’établit en usine comme d’autres entrent dans les ordres.

Dix ans plus tard, il reprend sa caméra pour filmer les combats de la classe ouvrière qui meurt mais ne se rend pas, dans l’usine Alstom de Saint-Ouen – où il est représentant syndical d’une CFDT indomptable n’ayant rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Ce qui donnera, dans le bruit et la fureur de la lutte des classes (« Les patrons à la chaîne ! » : Le Dos au mur (1979).

La passion du documentaire n’allait plus lâcher Jean-Pierre Thorn, qui explore d’autres expressions séditieuses : la danse et les corps en mouvement. En résulteront Génération hip-hop ou le mouv’ des ZUP (1995), Faire kiffer les anges (1996, prix Michel-Mitrani au FIPA. l’année suivante), On n’est pas des marques de vélo (2002). Suivront Allez, Yallah ! (2006) sur la lutte des femmes contre l’intégrisme et la misère de part et d’autre de la Méditerranée, et puis 93 : la belle rebelle (2010), qui bouclait la boucle filmique : Jean-Pierre Thorn aura tout capté des vies ordinaires et extraordinaires de cette Seine-Saint-Denis généralement perçue avec des œillères (post ou néo) coloniales.

Qu’avait cependant laissé percevoir de lui Jean-Pierre Thorn ? Rien, ou si peu. Surtout pas l’essentiel : Joëlle. Il n’en avait parlé à personne. Sauf à sa dernière compagne. Elle l’a encouragé à entreprendre ce film cathartique, qui ressuscite la disparue à travers ses lettres – que le réalisateur avait dactylographiées après la disparition, pour être au plus près des mots jadis reçus, lus et relus depuis, et qu’il nous offre enfin en partage. Pour mieux raviver, concomitamment, des temps emplis « de colère et d’espoir » ; des temps passés mais qui repasseront.


Depuis, la croyance superfétatoire a disparu – Jean-Pierre Thorn fut maoïste. Quant à la colère, elle tonne toujours. Et l’espoir couve, avec des éclipses, qu’explore le film en retrouvant des indignés d’autrefois, jadis saisis dans leur lutte, aujourd’hui laissés-pour-compte mais guettant ceux qui prendront le relais.
Il y a en particulier Henri Onetti, chaudronnier et leader syndical à Alstom Saint-Ouen en 1979. Il revient sur les lieux d’alors pour découvrir, pétrifié (« Je veux pas croire ça ! »), l’opération immobilière qui se repaît de son ancienne usine. Penthouses, lofts, ateliers (de pseudo-artistes) : « L’esprit industriel réinventé », est-il écrit sur d’immenses panneaux publicitaires affirmant sans vergogne, devant ces friches bientôt loties : « Ici, le privilège s’installe. »

Henri Onetti est décédé à la fin du tournage de L'Âcre Parfum des immortelles, ce qui donne plus de poids à ses paroles. Jadis, il fustigeait le capitalisme et « sa panoplie pour nous faire plier ». Il posait la question de la violence : « J’ai espoir que ça pète un jour. Je ne donnerai peut-être pas le premier coup de fusil mais certainement le deuxième… Sinon ?! »

Aujourd'hui, Nordine, artiste graffeur à Lyon, n’y va pas non plus par quatre chemins : « On a fait croire à toute une jeunesse qu’en faisant du rap, de la danse, de la culture, on allait changer notre environnement. C’est un leurre ! Si tu veux changer ton environnement : coupe des têtes ! »

Nordine évoque « la génération grillée », en référence au transformateur électrique de Clichy-sous-Bois où périrent en octobre 2005 Bouna Traoré et Zyed Benna, qui cherchaient à échapper à un contrôle de police. Surgissent alors des images d’archives de forces de l’ordre quadrillant les quartiers en ébullition lors des émeutes qui s’ensuivirent, en criant dans des mégaphones, dans la nuit striée par leurs projecteurs : « Rentrez chez vous ! » Un tel ordre a des accents terribles : ne pas considérer comme française et chez elle une telle population soudainement incontrôlable, comme lors de certains épisodes des guerres coloniales.

Interrogé par Mediapart sur son degré d’acceptation de la violence, Jean-Pierre Thorn met d’abord celle-ci sur le compte « du pouvoir en face de nous », puis la juge nécessaire « si elle s’appuie sur une mobilisation de masse et si elle correspond à une étape de lutte ». Il ne condamne que « ceux qui se laissent embarquer dans l’aventure individuelle du terrorisme incapable de tenir compte du réel ».

Pourtant, tout son film, qui refuse à la fois l’éradication de l’histoire ouvrière et l’effacement d’une histoire d’amour, plaide pour la sublimation de la violence, par la grâce d’un art offensif et incitatif. Farid Berki, chorégraphe de la compagnie Melting Spot à Lille, évolue sur Stravinsky en disciple ombrageux de Chaplin.

Quant à la scène finale – d’une beauté stupéfiante – de L’Âcre Parfum des immortelles, elle présente, accompagnée dans une usine désaffectée par le guitariste et compositeur Serge Teyssot-Gay, une création de la danseuse Nach offrant son corps à la révolte cosmique mais tempérée qu’induit le krump, ce ballet cataclysmique refusant de céder à la violence mimétique tout en répliquant au harcèlement policier.

Jean-Pierre Thorn filme depuis plus de cinquante ans ce qui craque, s’effondre, conteste, s’insurge, en prend plein la gueule sans jamais céder pour autant, dans ce pays passé des conflits coloniaux à la guerre sociale.

Un tel mouvement perpétuel, sur fond d’amour hélas éphémère, tisse la trame kaléidoscopique de ce film essentiellement poétique et profondément politique, nostalgique mais sur la brèche – en témoigne une séquence sur un rond-point sarthois de gilets jaunes (voir dans le Club le court-métrage réalisé par Jean-Pierre Thorn sur ce mouvement).
https://player.vimeo.com/video/350492762
Le réalisateur retrouve ainsi l’esprit de Bertolt Brecht épinglant le vide sidéral et scélérat du capitalisme dans sa pièce L’Exception et la Règle, où figure cette phrase que chérit Jean-Pierre Thorn : « Devant l’humanité qui se déshumanise, ne dites jamais “c'est naturel” afin que rien ne passe pour immuable. »

***
L'Âcre Parfum des immortelles,
de Jean-Pierre Thorn
France - 2019 - 1h19

Avec la voix de Mélissa Laveaux
Musique de Serge Teyssot-Gay, Khaled Aljaramani et Xie Yugang
Sortie le 23 octobre 2019
pzorba75
   Posté le 25-10-2019 à 11:54:34   

Je n'ai pas les mêmes souvenirs de la CFDT (ex CFT Catholique) et la lutte des classes en 1969. Le syndicalisme compréhensif anticommuniste tournait déjà à plein régime, essentiellement alimenté par les chrétiens dits de gauche pourvoyant les partis sociaux démocrates, régionalistes et européistes avec les résultats que l'arrivée au pouvoir de Mitterand et de la gauche socialo-communiste a amplifiés. Que certains militants aient été abusés fait partie de l'histoire de la ... lutte des classes.


Edité le 25-10-2019 à 13:51:55 par pzorba75


Finimore
   Posté le 25-10-2019 à 17:32:26   

Pour ce qui est de l'histoire et de l'évolution de la CFDT (hé oui il faut faire une analyse dialectique !), lire l'ouvrage : Deuxième gauche : Réformisme et lutte de classe
-Des années 60 à aujourd'hui-
Réflexions, éléments d'histoire sur : les gauches, les révolutionnaires, les syndicats…
http://editions-proletariennes.fr/Actu/dg2liste/dgversions.htm
la version numérique est là :
http://editions-proletariennes.fr/Actu/dg2liste/verspdf/Deuxieme%20gauche%20Reformisme%20et%20lutte%20de%20classe.pdf