Sujet :

une bataille considérable contre le voile

Xuan
   Posté le 22-10-2013 à 13:16:45   

Michel Peyret met en ligne un article de Frantz Fanon concernant le port du voile et le colonialisme français.
On rappellera à cette occasion que le 13 mai 1958, lors du coup d'Etat de De Gaulle, l'assimilationniste J. Soustelle organisa de dévoilement des femmes arabes. Il rejoignait peu après les rangs de l'OAS.
Un article de la LDH de Toulon 'Constantine, 1958 : le voile' en fournit une illustration à partir de textes de Jean Luc Einaudi.


mardi 22 octobre 2013

Frantz Fanon, une bataille considérable contre le voile



« La so­ciété co­lo­niale , dit Frantz Fanon, prise dans son en­semble, avec ses va­leurs, ses lignes de force et sa phi­lo­so­phie, ré­agit de façon assez ho­mo­gène en face du voile. Avant 1954, plus pré­ci­sé­ment de­puis les an­nées 1930 – 1935, le combat dé­cisif est en­gagé. Les res­pon­sables de l’administration fran­çaise en Al­gérie, pré­posés à la des­truc­tion de l’originalité d’un peuple, chargés par les pou­voirs de pro­céder coûte que coûte à la désa­gré­ga­tion des formes d’existence sus­cep­tibles d’évoquer de près ou de loin une réa­lité na­tio­nale, vont porter le maximum de leurs ef­forts sur le port du voile, conçu en l’occurrence, comme sym­bole du statut de la femme algérienne. »
L'offensive coloniale sera-t-elle couronnée de succès ?

Est-ce le même combat qui se poursuit aujourd'hui sur le territoire de la France ?


Michel Peyret


La Bataille du voile

La charte des valeurs "québécoises"


Par Frantz Fanon • Mis en ligne le 25 septembre 2013

Frantz Fanon a abordé sous le titre de la ba­taille du voile, l’enjeu cen­tral constitué par le thème du dé­voi­le­ment des femmes al­gé­riennes du­rant la do­mi­na­tion co­lo­niale fran­çaise. Le voile des femmes était consi­déré comme le sym­bole par ex­cel­lence de la na­ture ré­tro­grade de la so­ciété al­gé­rienne et la co­lo­ni­sa­tion pré­sentée comme une mis­sion de ci­vi­li­sa­tion qui se don­nait pour ob­jectif pre­mier de li­bérer les al­gé­riennes du pa­triarcat arabo-musulman dont elles étaient vic­times en les dévoilant.

Avec le voile, les choses se pré­ci­pitent et s’ordonnent. La femme al­gé­rienne est bien aux yeux de l’observateur « Celle qui se dis­si­mule der­rière le voile. » Nous al­lons voir que ce voile, élé­ment parmi d’autres de l’ensemble ves­ti­men­taire tra­di­tionnel al­gé­rien, va de­venir l’enjeu d’une ba­taille gran­diose, à l’occasion de la­quelle les forces d’occupation mo­bi­li­se­ront leurs res­sources les plus puis­santes et les plus di­verses, et où le co­lo­nisé dé­ploiera une force éton­nante d’inertie.

La so­ciété co­lo­niale, prise dans son en­semble, avec ses va­leurs, ses lignes de force et sa phi­lo­so­phie, ré­agit de façon assez ho­mo­gène en face du voile. Avant 1954, plus pré­ci­sé­ment, de­puis les an­nées 1930 – 1935, le combat dé­cisif est en­gagé. Les res­pon­sables de l’administration fran­çaise en Al­gérie, pré­posés à la des­truc­tion de l’originalité d’un peuple, chargés par les pou­voirs de pro­céder coûte que coûte à la désa­gré­ga­tion des formes d’existence sus­cep­tibles d’évoquer de près ou de loin une réa­lité na­tio­nale, vont porter le maximum de leurs ef­forts sur le port du voile, conçu en l’occurrence, comme sym­bole du statut de la femme algérienne.

Une telle po­si­tion n’est pas la consé­quence d’une in­tui­tion for­tuite. C’est à partir des ana­lyses des so­cio­logues et eth­no­logues que les spé­cia­listes des af­faires dites in­di­gènes et les res­pon­sables des Bu­reaux arabes co­or­donnent leur tra­vail. A un pre­mier ni­veau, il y a une re­prise pure et simple de la fa­meuse for­mule : « Ayons les femmes, le reste suivra. » Cette ex­pli­ci­ta­tion se contente sim­ple­ment de re­vêtir une al­lure scien­ti­fique avec les « dé­cou­vertes » des sociologues.

Sous le type pa­tri­li­néaire de la so­ciété al­gé­rienne, les spé­cia­listes dé­crivent une struc­ture par les oc­ci­den­taux comme une so­ciété de l’extériorité, du for­ma­lisme et du per­son­nage. La femme al­gé­rienne, in­ter­mé­diaire entre les forces obs­cures et le groupe, pa­raît alors re­vêtir une im­por­tance pri­mor­diale. Der­rière le pa­triarcat vi­sible, ma­ni­feste, on af­firme l’existence, plus ca­pi­tale, d’un ma­triarcat de base. Le rôle de la mère al­gé­rienne, ceux de la grand-mère, de la tante, de la « vieille » sont in­ven­to­riés et précisés.

L’administration co­lo­niale peut alors dé­finir une doc­trine po­li­tique pré­cise : « Si nous vou­lons frapper la so­ciété al­gé­rienne dans sa contex­ture, dans ses fa­cultés de ré­sis­tance, il nous faut d’abord conquérir les femmes ; il faut que nous al­lions les cher­cher der­rière le voile où elles se dis­si­mulent et dans les mai­sons où l’homme les cache. » C’est la si­tua­tion de la femme qui sera alors prise comme thème d’action.

L’administration do­mi­nante veut dé­fendre so­len­nel­le­ment la femme hu­mi­liée, mise à l’écart, cloî­trée… On dé­crit les pos­si­bi­lités im­menses de la femme, mal­heu­reu­se­ment trans­formée par l’homme al­gé­rien en objet inerte, dé­mo­né­tisé, voire déshu­ma­nisé. Le com­por­te­ment de l’Algérien est dé­noncé très fer­me­ment et as­si­milé à des sur­vi­vances moyen­âgeuses et bar­bares. Avec une science in­finie, la mise en place d’un réquisitoire-type contre l’Algérien sa­dique et vam­pire dans son at­ti­tude avec les femmes, est en­tre­prise et menée à bien. L’occupant amasse au­tour de la vie fa­mi­liale de l’Algérien tout un en­semble de ju­ge­ments, d’appréciations, de consi­dé­rants, mul­ti­plie les anec­dotes et les exemples édi­fiants, ten­tant ainsi d’enfermer l’Algérien dans un cercle de culpabilité.

Des so­ciétés d’entraide et de so­li­da­rité avec les femmes al­gé­riennes se mul­ti­plient. Les la­men­ta­tions s’organisent. « On veut faire honte à l’Algérien du sort qu’il ré­serve à la femme. » C’est la pé­riode d’effervescence et de mise en ap­pli­ca­tion de toute une tech­nique d’infiltration au cours de la­quelle des meutes d’assistantes so­ciales et d’animatrices d’œuvres de bien­fai­sances se ruent sur les quar­tiers arabes.

C’est d’abord le siège des femmes in­di­gentes et af­fa­mées qui est entrepris.

A chaque kilo de se­moule dis­tribué cor­res­pond une dose d’indignation contre le voile et la claus­tra­tion. Après l’indignation, les conseils pra­tiques. Les femmes al­gé­riennes sont in­vi­tées à jouer un « rôle fon­da­mental, ca­pital » dans la trans­for­ma­tion de leur sort. On les presse de dire non à une su­jé­tion sé­cu­laire. On leur dé­crit le rôle im­mense qu’elles ont à jouer. L’administration co­lo­niale in­vestit des sommes im­por­tantes dans ce combat. Après avoir posé que la femme constitue le pivot de la so­ciété al­gé­rienne, tous les ef­forts sont faits pour en avoir le contrôle.

L’Algérien, est-il as­suré, ne bou­gera pas, ré­sis­tera à l’entreprise de des­truc­tion cultu­relle menée par l’occupant, s’opposera à l’assimilation, tant que sa femme n’aura pas ren­versé la va­peur. Dans le pro­gramme co­lo­nia­liste, c’est à la femme que re­vient la mis­sion his­to­rique de bous­culer l’homme al­gé­rien. Convertir la femme, la ga­gner aux va­leurs étran­gères, l’arracher à son statut, c’est à la fois conquérir un pou­voir réel sur l’homme et pos­séder les moyens pra­tiques, ef­fi­caces, de dé­struc­turer la culture algérienne.

Avec l’intellectuel al­gé­rien, l’agressivité ap­pa­raît dans toute sa den­sité. Le fellah, « es­clave passif d’un groupe ri­gide » trouve une cer­taine in­dul­gence de­vant le ju­ge­ment du conqué­rant. Par contre, l’avocat et le mé­decin sont dé­noncés avec une ex­cep­tion­nelle vi­gueur. Ces in­tel­lec­tuels, qui main­tiennent leurs épouses dans un état de semi-esclavage, sont lit­té­ra­le­ment dé­si­gnés du doigt. La so­ciété co­lo­niale s’insurge avec vé­hé­mence contre cette mise à l’écart de la femme al­gé­rienne. On s’inquiète, on se pré­oc­cupe de ses mal­heu­reuses, condam­nées « à faire des gosses », em­mu­rées, interdites.

En face de l’intellectuel al­gé­rien, les rai­son­ne­ments ra­cistes sur­gissent avec une par­ti­cu­lière ai­sance. Tout mé­decin qu’il est, dira-t-on, il n’en de­meure pas moins arabe… « Chassez le na­turel, il re­vient au galop »… Les illus­tra­tions de ce racisme-là peuvent être in­dé­fi­ni­ment mul­ti­pliées. En clair, il est re­proché à l’intellectuel de li­miter l’extension des ha­bi­tudes oc­ci­den­tales ap­prises, de ne pas jouer son rôle de noyau actif de bou­le­ver­se­ment de la so­ciété co­lo­nisée, de ne pas faire pro­fiter sa femme des pri­vi­lèges d’une vie plus digne et plus profonde…

Dans les grandes ag­glo­mé­ra­tions, il est tout à fait banal d’entendre un Eu­ro­péen confesser avec ai­greur n’avoir ja­mais vu la femme d’un Al­gé­rien qu’il fré­quente de­puis vingt ans. A un ni­veau d’appréhension plus diffus, mais hau­te­ment ré­vé­la­teur, on trouve la consta­ta­tion amère que « nous tra­vaillons en vain »… que « l’Islam tient sa proie. »

En pré­sen­tant l’Algérien comme une proie que se dis­pu­te­raient avec une égale fé­ro­cité l’Islam et la France oc­ci­den­tale, c’est toute la dé­marche de l’occupant, sa phi­lo­so­phie et sa po­li­tique qui se trouvent ainsi ex­pli­ci­tées. Cette ex­pres­sion in­dique en effet que l’occupant, mé­con­tent de ses échecs, pré­sente de façon sim­pli­fiante et pé­jo­ra­tive, le sys­tème de va­leurs à l’aide du­quel l’occupé s’oppose à ses in­nom­brables offensives.

Les forces oc­cu­pantes, en por­tant sur le voile de la femme al­gé­rienne le maximum de leur ac­tion psy­cho­lo­gique, de­vaient évi­dem­ment ré­colter quelques ré­sul­tats. Cà et là il ar­rive donc que l’on « sauve » une femme qui, sym­bo­li­que­ment, est dévoilée.

Ces femmes-épreuves, au vi­sage nu et au corps libre, cir­culent dé­sor­mais, comme mon­naie forte dans la so­ciété eu­ro­péenne d’Algérie. Il règne au­tour de ces femmes une at­mo­sphère d’initiation. Les Eu­ro­péens sur­ex­cités et tout à leur vic­toire, par l’espèce de transe qui s’empare d’eux, évoquent les phé­no­mènes psy­cho­lo­giques de la conver­sion. Et de fait, dans la so­ciété eu­ro­péenne, les ar­ti­sans de cette conver­sion gagnent en consi­dé­ra­tion. On les envie. Ils sont si­gnalés à la bien­veillante at­ten­tion de l’administration.

Les res­pon­sables du pou­voir, après chaque succès en­re­gistré, ren­forcent leur convic­tion dans la femme al­gé­rienne conçue comme sup­port de la pé­né­tra­tion oc­ci­den­tale dans la so­ciété au­toch­tone . Chaque voile re­jeté dé­couvre aux co­lo­nia­listes des ho­ri­zons jusqu’alors in­ter­dits, et leur montre, mor­ceau par mor­ceau, la chair al­gé­rienne mise à nu. L’agressivité de l’occupant, donc ses es­poirs, sortent dé­cu­plés en voie de dis­lo­ca­tion après chaque vi­sage dé­cou­vert. Chaque nou­velle femme al­gé­rienne dé­voilée an­nonce à l’occupant une so­ciété al­gé­rienne aux sys­tèmes de dé­fense en voie de dis­lo­ca­tion, ou­verte et dé­foncée. Chaque voile qui tombe, chaque corps qui se li­bère de l’étreinte tra­di­tion­nelle du haïk, chaque vi­sage qui s’offre au re­gard hardi et im­pa­tient de l’occupant, ex­prime en né­gatif que l’Algérie com­mence à se re­nier et ac­cepte le viol du co­lo­ni­sa­teur. La so­ciété al­gé­rienne avec chaque voile aban­donné semble ac­cepter de se mettre à l’école du maître et dé­cider de changer ses ha­bi­tudes sous la di­rec­tion et le pa­tro­nage de l’occupant.images.

Mais éga­le­ment il y a chez l’Européen cris­tal­li­sa­tion d’une agres­si­vité, mise en ten­sion d’une vio­lence en face de la femme al­gé­rienne. Dé­voiler cette femme, c’est mettre en évi­dence la beauté, c’est mettre à nu son se­cret, briser sa ré­sis­tance, la faire dis­po­nible pour l’aventure. Ca­cher le vi­sage, c’est aussi dis­si­muler un se­cret, c’est faire exister un monde du mys­tère et du caché. Confu­sé­ment, l’Européen vit à un ni­veau fort com­plexe sa re­la­tion avec la femme al­gé­rienne. Vo­lonté de mettre cette femme à portée de soi, d’en faire un éven­tuel objet de possession.

Cette femme qui voit sans être vue frustre le co­lo­ni­sa­teur. Il n’y a pas ré­ci­pro­cité. Elle ne se livre pas, ne se donne pas, ne s’offre pas. L’Algérien a, à l’égard de la femme al­gé­rienne, une at­ti­tude dans l’ensemble claire. Il ne la voit pas. Il y a même vo­lonté per­ma­nente de ne pas aper­ce­voir le profil fé­minin, de ne pas faire at­ten­tion aux femmes. Il n’y a donc pas chez l’Algérien, dans la rue ou sur une route, cette conduite de la ren­contre in­ter­sexuelle que l’on dé­crit aux ni­veaux du re­gard, de la pres­tance, de la tenue mus­cu­laire, des dif­fé­rentes conduites trou­blées aux­quelles nous a ha­bi­tués la phé­no­mé­no­logie de la rencontre.

L’Européen face à l’Algérienne veut voir. Il ré­agit de façon agres­sive de­vant cette li­mi­ta­tion de sa per­cep­tion. Frus­tra­tion et agres­si­vité ici en­core vont évo­luer de façon per­ma­nente.
L’agressivité va se faire jour, d’abord dans des at­ti­tudes struc­tu­ra­le­ment am­bi­va­lentes et dans le ma­té­riel oni­rique que l’on met en évi­dence in­dif­fé­rem­ment chez l’Européen normal ou souf­frant de troubles névropathiques
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Frantz Fanon, L’an V de la ré­vo­lu­tion Algérienne


Frantz Omar Fanon, né le 20 juillet 1925 à Fort-de-France et mort le 6 décembre 1961 à Bethesda (Maryland, États-Unis), est un psychiatre et essayiste français martiniquais fortement impliqué dans la lutte pour l'indépendance de l'Algérie et dans un combat international dressant une solidarité entre "frères" opprimés. Il est l'un des fondateurs du courant de pensée tiers-mondiste.

Durant toute sa vie, il cherche à analyser les conséquences psychologiques de la colonisation à la fois sur le colon et sur le colonisé. Dans ses livres les plus connus, il analyse le processus de décolonisation sous les angles sociologique, philosophique et psychiatrique. Il a également écrit des articles importants dans sa discipline, la psychiatrie.