Sujet :

Badinter défend Netanyahou

Xuan
   Posté le 04-03-2020 à 12:56:37   

AARAmis des Arts
et de la culture de Palestine


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Cour Pénale Internationale : face aux Palestiniens, Badinter défend Netanyahou


La Procureure de la Cour Pénale Internationale, Fatou Bensouda, a annoncé le 20 décembre 2019 son intention d’ouvrir une enquête sur les éventuels crimes de guerre commis depuis juin 2014 en Israël-Palestine. Afin de délimiter son travail d’enquête, la procureure a demandé officiellement à la Cour de préciser que la juridiction de la Cour Pénale Internationale s’applique bien à la Palestine et que le territoire d’enquête comprend la Cisjordanie, Jérusalem Est et Gaza. Fatou Bensouda a également conseillé à la Cour, comme l’usage l’autorise, d’ouvrir le débat sur cette question à tous ceux qui le souhaiteraient : Etats, associations, spécialistes du droit international, personnalités etc. Les « amis de la Cour », « amicus curiae » selon le terme du droit romain, peuvent ainsi faire bénéficier les juges d’avis éclairés, sans pouvoir néanmoins participer par la suite aux débats contradictoires (ils ne seront pas « parties » au procès). Les « amis de la Cour » avaient jusqu’au 14 février 2020 pour se signaler en présentant leur qualité et principaux arguments dans un texte court de quelques pages. Après examen de la Cour, les propositions folkloriques seront éliminées et les autres autorisées à développer leur argumentaire dans un mémoire de 30 pages au maximum, avant le 15 mars 2020.

Parmi la trentaine de propositions de contribution, celle du Français Robert Badinter. Que nous dit-il ?

« La Cour Pénale Internationale n’a pas juridiction sur les crimes prétendus avoir été commis en Cisjordanie, incluant Jérusalem Est et la bande de Gaza (« Gaza »). Le terme « Etat » selon l’article 12(2) (a) du Statut de la Cour signifie que l’Etat est souverain, or la Palestine ne l’est pas. La Palestine n’est pas un « Etat » au regard de l’article 12 (2) (a) du Statut par sa simple adhésion au Statut de Rome. Ce n’est pas à la CPI de déterminer si la Palestine est un Etat souverain selon le droit international, ou si l’enquête en question s’applique « sur le territoire de » la Palestine alors que les parties sont engagées à trouver une solution négociée sur le statut d’Etat et les frontières. La Palestine ne remplit pas les critères d’un Etat selon le droit international. Et la seule façon d’enquêter sur des crimes commis dans ce cadre est constituée par la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité. Les accords d’Oslo s’imposent à la juridiction de la Cour. »

Ainsi le résumé de l’argumentaire de Robert Badinter, présenté en tête de son texte, est identique mot pour mot aux déclarations récentes du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Et la suite du document ne fait qu’insister à la fois sur l’illégalité des plaintes palestiniennes, et de la Cour Pénale Internationale à les prendre en compte. Le professeur Badinter commet ainsi de remarquables erreurs de droit et d’éthique.

Erreurs de droit

La souveraineté


Affirmer que seuls les Etats souverains sont susceptibles de saisir la CPI est une erreur fondamentale, tant du droit que de l’esprit du droit. La Cour Pénale Internationale a été constituée de manière indépendante du système ONU. Le Conseil de Sécurité ne peut empêcher une enquête lancée par le Procureur, il ne peut que la retarder d’un an au maximum, et seulement à la demande de neuf des quinze membres du Conseil de sécurité. Donc, le statut de la CPI ne prévoit pas de droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité.

N’en déplaise à M. Badinter – et ce ne sont pas les Palestiniens qui ont rédigé les statuts - l’objectif était clair : faire juger les crimes de guerre par une juridiction indépendante. Dans la guerre, il y a souvent des Etats défaits, occupés, assiégés, un gouvernement légitimé par les urnes ou pas, etc. Les rédacteurs du Statut de Rome n’étaient pas des idiots et ces situations, fréquentes, ont été envisagées et n’excluent en rien la possibilité de saisine de la CPI.

Certains considéraient comme acquis que la lecture du droit leur serait toujours favorable, sans imaginer qu’un jour les peuples dominés retourneraient l’arme juridique contre eux, faisant voler en éclat l’image d’une cour pénale servile[2]. Nous y sommes.

C’est à la discrétion du Procureur de décider d’ouvrir ou pas une enquête, notamment à la suite de la collection d’une base suffisante d’informations concernant la commission de crimes de guerre[3]. L’esprit du droit s’affirme : défendre les victimes et non protéger, par une distorsion du droit, le pouvoir des criminels. Concernant les Etats, le qualificatif de « membre de l’ONU » n’est présent nulle part dans le Statut de Rome. Et on peut observer que si l’Etat qui portait plainte était totalement souverain, avec ses juridictions notamment pénales en capacité de fonctionner, il n’aurait aucune raison de saisir la CPI. Il est particulièrement choquant d’opposer à la Palestine son manque de souveraineté alors que c’est justement Israël qui, par la force de ses armes, lui soustrait cette souveraineté. Donc, nous dit le professeur Badinter : « Vous êtes faibles donc vous n’avez pas le droit » . Curieux argument sous la plume d’une icône hexagonale.

La notion d’Etat

Le professeur Badinter dénie à la Palestine de réunir les critères d’un Etat, et signale en passant que les rédacteurs du Statut de Rome n’ont pas défini la notion d’Etat. Tous les étudiants en droit et en sciences politiques connaissent l’histoire de la définition d’Etat, qui repose sur un éventail de critères aucun d’entre eux n’étant absolument ni nécessaire ni suffisant. Là encore les rédacteurs du Statut n’étaient pas assez stupides pour se laisser enfermer dans un texte rigide qui ne laisserait le mot final qu’à celui qui crierait le plus fort. Et si l’on mettait dans la balance les critères étatiques de la Palestine d’un côté et d’Israël de l’autre, on serait peut-être surpris.

Mais ce débat est sans objet puisque l’assemblée des Etats partie de la CPI, par la voix de son président, a bien précisé que la CPI admettait en son sein l’Etat palestinien dans la limite des prérogatives et devoirs de chaque Etat partie, sans présumer aucunement du tracé futur des frontières. La même chose a été dite dans des termes identiques par le Secrétaire général de l’ONU[4]. Admettre un Etat partie à la CPI, c’est lui donner une meilleure capacité de saisir la Cour, dans le but de lutter contre l’impunité qui ruine la paix dans le monde. C’est un pilier du droit international : la base irréductible est la coexistence des peuples souverains, et les contraintes juridiques nées de l’occupation militaire, aussi violente soit-elle, sont sans effet pour remettre en cause la souveraineté[5].

Le statut de Rome souligne l’engagement de l’Etat partie à collaborer totalement à l’enquête ouverte par le procureur, collaboration d’autant plus indispensable que les moyens d’enquête de la CPI sont limités. Dans le cas qui nous occupe, prétendre comme le fait le professeur Badinter que « seule la saisine par le Conseil de sécurité est possible » est un déni de l’analyse juridique. La possibilité de saisine de la CPI par un Etat partie (la Palestine) est un droit certain car écrit[6]. Et chaque fois que le mot « Etat » est utilisé dans le statut de Rome, il signifie évidemment « Etat-partie » au sens du Statut, et rien d’autre. Dans leur logique de domination, les États-Unis et leurs affidés ont rêvé d’une ONU qui dirigerait tout depuis le Conseil de sécurité. Sauf que l’ONU ne résume ni la vie internationale, ni le droit international. Un État peut exister sur le plan international, porté par l’adhésion de son peuple, et adhérer à maints instruments internationaux sans être membre de l’ONU. « État reconnu par l’ONU » et « État » sont deux choses bien distinctes en droit international. Le Professeur Badinter peut s’intéresser à la situation des Iles Cook, État non membre de l’ONU, et pourtant Etat partie de la CPI.

C’est une faute d’en rester à l’approche formelle qu’il faut dépasser par l’approche fonctionnelle : la finalité du statut de la CPI est la lutte contre l’impunité. L’État de Palestine n’est pas en mesure d’assumer toutes les attributions du pouvoir, mais les pouvoirs que la Palestine ne peut pas exercer sont ceux qui sont usurpés par la puissance occupante et sont l’objet même de la procédure. On ne peut opposer à l’État de Palestine de ne pas exercer tous les attributs du pouvoir alors qu’il agit en justice pour récupérer l’exercice de ces mêmes attributs.

Les accords d’Oslo s’imposeraient au droit international

Comme on le sait les prétendus « accords » d’Oslo ont tout donné à la partie israélienne (sécurité, douanes, taxes, routes, eau, etc.) et rien aux Palestiniens. Les principaux points de « désaccord » à savoir les frontières, le statut de Jérusalem, les colonies et le retour des réfugiés étaient laissés en suspens. Il n’est pas nécessaire d’être fin connaisseur du droit pour comprendre que ces accords étaient une forfaiture. D’ailleurs juridiquement pourquoi s’y arrêter ? Ce sont des accords très faibles, signés par un gouvernement sans ratification du parlement et encore moins du peuple. Ils n’ont aucune valeur internationale réelle. Regardons l’Europe : le moindre transfert de souveraineté nécessite un référendum ou un accord du parlement. Pour le peuple palestinien l’accord d’un gouvernement non élu et dont le mandat est achevé serait suffisant ? Une vision toute colonialiste. Fatou Bensouda écrit d’ailleurs avec élégance : « Certaines dispositions des accords d’Oslo pourraient être contraire au droit à l’autodétermination » .

Erreurs d’éthique

Au-delà de fautes majeures de droit, le professeur Badinter commet de graves fautes d’éthique.


L’objectif final de la procédure est de juger les responsables d’innombrables crimes de guerre : les milliers de morts et les dizaines de milliers de blessés et autres victimes de la guerre de Gaza en 2014, les dizaines de milliers de tirs à balles réelles voire explosives[7] sur des manifestants civils à l’intérieur de la Bande de Gaza, le crime de siège, en attendant de juger le crime d’apartheid avec la « loi Etat-Nation » de 2018 qui instaure l’apartheid dans le territoire d’Israël de 1948. La période choisie va du 15 juin 2014 à nos jours. Les fautifs : Israël, l’Autorité Palestinienne, les groupes armés palestiniens. Parler de « crimes prétendus », et oser opposer un vice de procédure (qui n’existe que dans un fantasme) à la demande légitime des victimes de voir juger leurs bourreaux est plus qu’une erreur. C’est une faute éthique impardonnable de la part d’une personnalité dont la vie et l’œuvre sont vantées comme consacrées à la défense des justiciables et à la promotion du droit.

Un jour, le plus tôt possible, messieurs Netanyahou et Gantz feront l’objet d’un mandat d’arrêt et seront invités à s’expliquer devant la Cour Pénale Internationale. Si ce jour-là maître Badinter se présente comme leur avocat, il n’y aura rien à dire car le droit à être défendu est un principe universel. Mais aujourd’hui il ne s’agit pas de défendre celui qui est accusé, il s’agit d’empêcher un peuple victime de s’adresser à une juridiction internationale. Mr Badinter a-t-il peur du droit ?

christophe.oberlin@gmail.com[1]

[1] Auteur de : Le Chemin de la Cour – Les dirigeants israéliens devant la Cour Pénale Internationale, Erick Bonnier, 2014.

[2] Un retour de bâton qui est présent dans toute l’histoire du droit : le Code civil de Bonaparte instaurait les concepts d’égalité et de liberté contractuelle pour obliger légalement les enfants à travailler dans les mines. Ce jusqu’à ce que la violence imposée aux enfants impose la réécriture du droit.

[3] Article 15.1

[4] Rappelons que l’ONU est le dépositaire du Statut de Rome.

[5] L’existence d’un peuple palestinien sur le territoire de Palestine résulte littéralement du mandat de la SDN de 1921.

[6] Article 14

[7] Usage explicitement qualifié dans le Statut de crime de guerre y compris en pratique militaire, article 8 XIX


Edité le 04-03-2020 à 12:57:00 par Xuan