Sujet :

Autogestion, SCOP, PCF, trotsks et ML

Finimore
   Posté le 05-09-2014 à 10:18:34   

Le PCF, les trotskistes, les marxistes-léninistes et l’autogestion

Le soutien du PCF à l’autogestion a une histoire, qu’il faut connaître pour comprendre sa démarche.

Les racines historiques de la conception de l’autogestion remontent au mouvement ouvrier et notamment la Commune de Paris. Puis en 1920 en Ukraine notamment avec des groupes se revendiquant de l’anarchisme…
Dans les années 1936 des expériences d’autogestion en Catalogne notamment sous l’influence de courants anarchistes. La Yougoslavie de Tito dés les années 50 se revendique et met en place un système basé sur l’autogestion. Avant 1968 l'autogestion est surtout défendue par les courants politiques se réclamant de l'anarchisme, du conseillisme, du communisme libertaire, ou du syndicalisme-révolutionnaire.
La CFDT en 1970 s’en réclame, de même que le PSU qui en fait même son cheval de bataille, les trotskistes de l’AMR…
En 1974, l’opération politico-syndicale des « Assises du socialisme » menée par le PS aboutit aux premières initiatives de « recentrage de la CFDT » et à l’adhésion de Michel Rocard –leader du PSU- … au PS qui se proclame partisan du socialisme autogestionnaire. A ce sujet lire l’article dans Front Rouge n° 161 du 19 juin 1975 : Convention du PS : l'imposture de l'autogestion (Paul Lefort) -page 4-
http://editions-proletariennes.fr/Dochml/presse/articles/frontrouge/dates/1975/fr161/p4.htm
Une genèse intéressante de l’idée autogestionnaire en France est décrite dans le livre de 2012 « A la gauche du Christ - Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours » à la partie
II - 1962-1981 section 4 chapitre « L’autogestion : une utopie chrétienne ? ». Il ressort clairement de ce chapitre que « les militants et intellectuels « d’origine chrétienne » ont bien joué un rôle essentiel dans la construction et la diffusion de l’utopie autogestionnaire en France. Ils ont aussi contribué à son effacement. ».
Dans l’introduction de ce chapitre page 373, Frank Georgi indique l’existence de l’ouvrage de l’OCI « Les marxistes contre l’autogestion » publié en 1974.
La préface de cet ouvrage publié par les trotskistes (lambertistes), indique : « La “théorie” de “l'autogestion” a été formulée et introduite au sein du mouvement ouvrier par les agents de cette institution réactionnaire, grande puissance spirituelle, mais très attachée aux biens de ce monde : l'Eglise. » (…) « En tant que “théorie”, “l'autogestion” est un bricolage idéologique qui ramasse toute une série de vieilleries pré-marxistes, pour étayer cette nouvelle forme de la doctrine sociale de l'Eglise, dont la logique conduit au corporatisme. En vérité, “l'autogestion” est une rouerie politique, une machine de guerre construite pour mettre en cause l'indépendance de classe du prolétariat et tenter de détruire le mouvement ouvrier. Il s'agit de détourner la classe ouvrière de l'accomplissement de ses tâches historiques qui consistent à s'emparer du pouvoir politique, à se constituer en classe dominante, organisée et centralisée au moyen des conseils ouvriers, des soviets, à instaurer la dictature du prolétariat ». Toujours dans ce livre de l’OCI, au chapitre « Intérêt et limite des coopératives ouvrières. » l’analyse suivante, qui ne manque pas d’intérêt : « Pour mieux mettre en lumière le contenu de “ l'autogestion ”, les rédacteurs de cet ensemble de textes et d'articles ont insisté sur le véritable sens et la véritable importance des coopératives ouvrières. L'expérience des coopératives ouvrières prouve que les prolétaires peuvent très facilement se passer des patrons et gérer leurs propres affaires. Mais les coopératives n'émancipent pas la classe ouvrière des rapports de production capitaliste. Elles sont soumises aux lois du marché, à l'ensemble des lois du mode de production capitaliste. Elles ne peuvent être le point de départ d'un nouveau mode de production. Inévitablement, à l'intérieur de l'entreprise coopérative resurgissent les vieux rapports, les anciennes différenciations et, plus ou moins rapidement, ils transforment la coopérative en une entreprise capitaliste comme les autres, à moins qu'elle ne disparaisse purement et simplement. Si exceptions il y a, elles se rapportent aux coopératives contrôlées par les syndicats ou les partis ouvriers. Celles-ci aussi sont obligées de se soumettre aux lois du marché, mais elles parviennent à se maintenir comme coopératives authentiques parce qu'elles sont soumises en contrepartie à une volonté politique qui émane des organisations de classe du prolétariat. Cette volonté politique s'oppose au mouvement spontané qui tend à transformer les coopératives en sociétés capitalistes n'ayant d'autre but que la production de la plus-value et la réalisation du profit. Il n'en est ainsi que parce que la gestion coopérative est alors subordonnée aux objectifs politiques généraux et fondamentaux du mouvement ouvrier. A y regarder de près, l'exemple des coopératives confirme que le prolétariat ne peut s'insérer à l'intérieur du mode de production capitaliste et y faire son trou. Seule la lutte politique et finalement la prise du pouvoir politique lui permet de marcher vers son émancipation. »
https://www.marxists.org/francais/just/autogestion/sj_19730709.htm#d0e126
Le courant trotskiste est divisé sur le sujet de l’autogestion est nous retrouvons là des fractures historiques de ce courant :
-La LCR (Pierre Franck) est pour l’autogestion, mais la lie avec le contôle ouvrier et la référence à la dictature du prolétariat.
-L’AMR et les CCA (Michel Pablo) font de l’autogestion la référence, le moyen et l’objectif principal.
-L’OCI (Pierre Lambert) nous l’avons vu plus haut s’oppose clairement à l’autogestion.

Du PCRml au PCR et du PCML au PAC
Les communistes marxistes-léninistes quant à eux sont contre l’autogestion et pour la Dictature Du Prolétariat.
Cependant, le PCRml en 1981 soutient la candidature d’Huguette Bouchardeau (PSU) aux présidentielles, tandis que le PCML tente une candidature « marxiste-léniniste » en soutenant Pierre Bauby (qui vient du…PSU). La revue du PCML « Travailleurs » du n°1 en septembre 1982 au n°27 de juillet 1985 devient le mensuel du PAC à partir du n°28 jusqu’à l’année 1987. L’évolution du contenu de cette revue est très intéressante elle est le résultat de la mutation social-démocrate du PCML en PAC sous l’influence d’idéologies réformistes fortement influencées notamment par Bauby.
Le PCRml, n’a pas fait mieux que le PCML (il a même disparu avant) après s’être transformé de PCRml en PCR et avoir fusionné avec… l’OCT (organisation regroupant des trotskistes et des courant ML venant du…PSU). « En 1985, un réseau se constitue autour de la revue « A faire », d’abord « bulletin multiassociatif » puis revue du « réseau de l’économie alternative et solidaire» (REAS), animé par Jacques et Aline Archimbaud, anciens leaders maoistes du parti communiste révolutionnaire marxiste-léniniste (PCR ml). Ce parti avait fini par soutenir Huguette Bourchardeau, candidate du PSU à la présidentielle de 1981 contre François Mitterrand. Huguette Bourchardeau deviendra en juillet 1984, ministre de l'Environnement dans le gouvernement de Laurent Fabius. En 1984, le PCR ml se « suspendra » et rejoindra la fédération de la gauche alternative (ancêtre avec le PSU des actuels « Alternatifs » qui servira de sas de décompression pour Jacques et Aline Archimbaud pour rejoindre « les Vert » avec Alain Liepietz qui avait d’ailleurs fait un tandem en Seine Saint-Denis avec Jean-Luc benhamias lors des élections législatives et régionales en 1986… » : sources :http://www.autogestion.asso.fr/wp-content/uploads/2012/09/de-l-ES-%C3%A0-l-ESS-1.pdf
« Son évolution politique aboutit à l'abandon de la référence « marxiste-léniniste » en 1981. Le PCR-ML prend alors le nom de « Parti communiste révolutionnaire » (PCR). Le PCR s'oriente à partir de cette date vers une ligne autogestionnaire. Dans cette optique, il participe aux côtés de militants trotskistes, issus de la LCR, à la Fédération pour la gauche alternative, et soutient la candidate du PSU, Huguette Bouchardeau, à l'élection présidentielle.
Après le départ de la plupart des militants en 1982, René Rodriguez devient secrétaire général du PCR. Il décide de prononcer la dissolution du parti en 1983.
» (sources) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_communiste_r%C3%A9volutionnaire_(marxiste-l%C3%A9niniste)

Le PCF après avoir combattu l’idée d’autogestion, l’adopte en 1977. Il fait une déclaration solennelle à la CFDT le 7 novembre 1977. Le n°18 de décembre 1977 du journal des communistes à l’entreprise : « action », titre en couverture : « Ce n’est ni un gadget ni de la tactique. Les communistes disent : NON à la bureaucratie à l’étatisme : L’autogestion ? Cent fois d’accord ! »
Le socialisme autogestionnaire est inscrit dans les statuts du XXIIIe Congrès du PCF en mai 1979.
Les Editions Sociales publie le 11 septembre 1979 le livre de Félix Damette et Jacques Scheibling Pour une stratégie autogestionnaire – Entretiens avec Gilbert Wasserman ».
Wasserman (1949-2006) fut créateur de la revue Mouvements en 1998 un responsable des Alternatifs, de la CAP - Convention pour une alternative progressiste, ancien membre du PCF, de la commission Europe d’ATTAC… (voir l’analyse des alternatifs concernant l’autogestion sur http://www.alternatifs.org/spip/une-strategie-autogestionnaire )
Le livre de Guy Créquie « Un Communiste rencontre des Catholiques » -1981 L’Harmattan- consacre le chapitre 25 à « la démarche autogestionnaire du P.C.F. » pages 126 à 131.
La revue « Que faire aujourd’hui » n°3 de 1980, précise dans son dossier "2 ans après 1978 Le PCF entre l'autogestion et Kaboul" dans trois articles –pages 14 à 23, l’historique des relations entre le PCF et l’autogestion : « Le tournant autogestionnaire du PCF –A propos du livre de Félix Damette et Jacques Scheibling ‘Pour une stratégie autogestionnaire’ », « Une autogestion succursale » Une interview de Yvon Bourdet, « L’autogestion : une façon de contourner la révolution » Une interview d’Yves Vargas.

L’autogestion pour remplacer….la dictature du prolétariat

Dans « Que faire aujourd’hui » n°2, Georges Labica membre d’un courant oppositionnel dans le PCF, indique très justement : « la renonciation à la dictature du prolétariat qui, à mon sens, entretient un rapport direct avec l’actuelle théorie de l’autogestion » du PCF.
C’est à mon avis là qu’est le nœud du soutien du PCF à l’autogestion. Ce soutien n’est ni tactique ni de pure forme mais de fond. L’autogestion et toutes ses variantes (stratégie autogestionnaire, socialisme autogestionnaire, rupture etc…) c’est réellement le projet du PCF à ce moment là.
L’autogestion n’est plus uniquement « connoté » gauchiste depuis que le PS l’a défend, et c’est une substitution à la dictature du prolétariat. Donc le tournant autogestionnaire du PCF est bien le résultat, la conséquence de l’abandon de la notion de dictature du prolétariat en 1976 et s’inscrit dans un projet politique.
Début 1977, le PCF « théorise » l’abandon de la dictature du prolétariat par la publication d’un livre au Editions Sociales « Les commnistes et l’Etat » de L. Sève, F. Hinckel, J. Fabre. Le PCRml à travers sa revue théorique « Front Rouge » (nouvelle série) de juillet-août 1977, publie une analyse critique de ce livre. J’ai numérisé cet article pour le site des EP :
A propos du livre : "Les communistes et l'Etat"
La dictature du prolétariat est-elle dépassée ?
FRONT ROUGE (nouvelle série) n°1 -juillet - août 1977 - revue politique et théorique du Parti Communiste Révolutionnaire Marxiste-Léniniste
http://www.editions-proletariennes.fr/Dochml/presse/articles/frontrouge/Frt1/Frt1p55.htm

Un dossier sur les SCOP
En 1985 le journal Partisan publie sur plusieurs numéros un dossier sur les SCOP. Un des auteurs de ce dossier était venu chez moi pour avoir des infos, des documents et discuter de ce sujet avec le fondateur d’une SCOP que je connaissais. Ce responsable de l’OCML-VP (Organisation Communiste Marxiste-léniniste Voie Prolétarienne) était venu plusieurs fois et nous avions beaucoup débattu du sujet des SCOP. En juin 2006, j’ai numérisé ce fameux dossier publié dans Partisan n°1-2-3-4 (de mai à novembre 1985) , que j’ai mis sur internet : http://www.editions-proletariennes.fr/Dochml/presse/articles/Partisan/dates/1985/Partisan01/part1p11_13.htm Ce dossier synthétise toutes les critiques de fond que je fais sur la question des SCOP.
En gros voici le point de vue défendu dans le dossier de Partisan :
-La création de SCOP peut dans certaines situations précises être un moyen pour des travailleurs de sauver leurs emplois. Mais cela ne doit pas être une fin en soi, car les règles économiques du capitalisme et de la division social du travail s’imposent à tous y compris dans les SCOP. Ce n’est pas une « question de bonne volonté » ou de « bonne gestion ».
La SCOP ne peut être qu’une situation temporaire pour des militants conscients. Même si nous pouvons avoir un regard positif sur certains aspects de ce type d’entreprises (responsables élus, partage des bénéfices, responsabilisation, organisation autogestionnaire) en dernière analyse le système des SCOP s’inscrit dans une démarche fondamentalement réformiste (même si son intention est bonne) et brouille l’objectif qui doit être la destruction du capitalisme.


Edité le 09-10-2014 à 16:06:09 par Finimore


Finimore
   Posté le 30-11-2014 à 09:19:37   

Le 9 avril 2013 a eu lieu une conférence sur le thème "Réincarner l'autogestion"
Voici l'intervention de Franck Georgi (origines, significations, histoire de l'autogestion... en passant par la Yougo, le PSU, la CFDT et LIP)
https://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=GjcAZp5z79A

une vidéo très instructive...


Edité le 30-11-2014 à 09:21:10 par Finimore


Xuan
   Posté le 01-12-2014 à 00:32:06   

Remarquable en ce qu'elle relie le projet autogestionnaire et son pendant politique.
Dommage que Georgi n'ait pas évoqué au début la notion de communisme primitif ni le mode de production asiatique, le lien aurait été intéressant concernant les pays non industrialisés.
S'agissant de la Yougoslavie, il aurait pu signaler son rapprochement avec les USA aussi.

L'autogestion apparaît clairement dans le cadre de notre pays et dans cette période un détournement et une négation de la notion de dictature du prolétariat.

Le rapprochement fait avec les aristocrates ouvriers et les techniciens va exactement dans le même sens : déposséder la classe ouvrière de son rôle historique et le confier à des catégories qui ne produisent pas la plus value. Dans la pratique on constate que ce sont celles qui rechignent le plus à se mettre en grève, et qui substituent le combat anti autoritaire, la revendication de responsabilités, le travail valorisant, la lutte anti stress, etc. à l'opposition directe salaire - profit.
On note que tous les RH intègrent cette classification hiérarchique dans leur échelle des besoins humains dans l'entreprise.

La récupération de ce courant par les capitalistes modernes est inéluctable dans sa démonstration.
Il y croit encore ?
Yaksanda01
   Posté le 14-12-2014 à 13:49:42   

Intéressant, merci !