Sujet :

Actualité de K. Marx, F Engels, V.I. Lénine

Michel J. Cuny
   Posté le 24-10-2013 à 13:50:44   

Si l'on vous parle des "causes" de la guerre de 1914-1918...

Lorsque, dans la seconde moitié du mois d'août 1870, Karl Marx et Friedrich Engels ont appris que la Prusse s'apprêtait, en cas de victoire, à demander l'Alsace et une partie de la Lorraine à la France, le premier écrivit au second (17 août 1870) :
" L'Alsace-Lorraine semble être essentiellement convoitée dans deux milieux, dans la camarilla prussienne et chez les patriotes de café du commerce sud-allemands. Ce serait le plus grand malheur qui puisse frapper l'Europe et plus spécialement l'Allemagne ."

Dans le document qu'ils ont rédigé ensemble durant les jours suivants, voici ce que l'on peut lire :
" La camarilla militaire, le corps professoral, le philistin et le politicien de brasserie prétendent que c'est là le moyen de protéger pour toujours l'Allemagne d'une guerre avec la France ."

Et d'affirmer :
" C'est au contraire le moyen le plus éprouvé de faire de cette guerre une institution européenne ."

1914... 1940... Prévision issue d'une quelconque chiromancie ?
Non : d'un travail d'analyse de la situation immédiate , d'une interprétation savante des processus immédiatement en cours.

Voudra-t-on revivifier ce travail d'analyse ?
Je l'ai essayé : http://marxengelslenine.canalblog.com


Edité le 24-10-2013 à 13:52:40 par Michel J. Cuny


Michel J. Cuny
   Posté le 26-10-2013 à 16:26:55   

De l'institutionnalisation de la guerre européenne à l'institutionnalisation de l' Europe : le triomphe permanent de la bourgeoisie européenne

Si la France de ce début de XXIème siècle est très portée à la guerre (Libye, Mali, Syrie), ce ne peut être dû au seul hasard.

En effet, depuis le moment où, à la mi-août 1870, Karl Marx et Friedrich Engels ont dénoncé cette institutionnalisation de la guerre européenne sur quoi allait déboucher la prise de l'Alsace-Lorraine par la Prusse, et jusqu'à la fin de la dernière reconstruction de notre pays (1975), trois générations se sont ainsi soumises à la domination de la bourgeoisie française et de son relais international : les Etats-Unis.

Pour un peu compléter le tableau, ajoutons que cette même bourgeoisie a su emporter le pays entier dans deux guerres coloniales de grande dimension : Indochine (1945-1954) et Algérie (1954-1962).

Et voilà qu'après un tout petit moins de cinquante ans, nous y repiquons...

Institutionnaliser la guerre européenne, qu'était-ce donc ?
Lisons Karl Marx et Friedrich Engels réunis pour écrire, dans la dernière semaine du mois d'août 1870, à ce propos :
" C'est en effet le moyen le plus sûr de perpétuer dans l'Allemagne rajeunie le despotisme militaire comme nécessaire au maintien d'une Pologne de l'Occident - l'Alsace-Lorraine. C'est le moyen le plus infaillible pour l'Allemagne et la France de se ruiner en s'entre-déchirant ."

Le caractère quasi divin d'un personnage comme Charles de Gaulle dans la France actuelle, et surtout la survivance de cette Constitution qui garantit la possibilité d'entrer en guerre à la seule initiative du président de la république, ne sont-ils pas l'indication, tout de même extrêmement inquiétante, qu'il y a, dans la France d'aujourd'hui, un potentiel de développe-ment du despotisme militaire tout à fait considérable ?


Edité le 29-10-2013 à 09:06:39 par Michel J. Cuny


Michel J. Cuny
   Posté le 29-10-2013 à 09:56:55   

L'annexion de l'Alsace-Lorraine comme poire d'angoisse nécessaire à la nouvelle unité allemande et au despotisme militaire prussien

Poursuivons notre visite des textes rédigés par Karl Marx et Friedrich Engels à la fin du mois d'août 1870 :
" Si le chauvinisme français avait une certaine justification matérielle, tant que durait l' ancien ordre européen , dans le fait que, depuis 1815, Paris, et par là même la France, avaient été livrés après quelques batailles perdues - quels aliments nouveaux ne va-t-il pas recevoir, dès lors que la frontière se trouvera à l'est sur les Vosges et au nord à Metz ? "

Or, à la différence de 1815 qui avait exigé une coalition européenne pour aboutir à l'élimination de Napoléon , 1870 révélait la puissance militaire de la Prusse qui, à elle seule, avait fait tout le travail, confirmant son extraordinaire victoire de Sadowa contre l'Autriche quatre ans plus tôt.

De plus, la proclamation du Reich allemand à Versailles en 1871 annoncerait bientôt au monde la naissance d'un géant qui aurait bien besoin d'une perspective de guerre à plus ou moins long terme pour se donner du muscle, et tout particulièrement à travers son pouvoir politique bismarckien largement appuyé sur les hobereaux prussiens.

Dès lors, la ligne de développement entrevue dès la fin d'août 1870 par Karl Marx et Friedrich Engels ne pourrait que se trouver très largement confirmée :
" Celui qui n'est pas tout à fait abasourdi par le tapage du moment, ou n'a pas un intérêt précis à abasourdir le peuple allemand, se rendra compte que la guerre de 1870 porte en germe une guerre entre l'Allemagne et la Russie tout aussi nécessairement que la guerre de 1866 portait en germe celle de 1870 ."

Puis vient tout de suite cette phrase, de Marx ou d' Engels , qui ajoute encore à notre étonnement :
" Je dis nécessairement , inévitablement , sauf au cas bien improbable d'une révolution qui éclaterait au préalable en Russie ."

Ne souhaiterions-nous pas, aujourd'hui, connaître suffisamment les lignes de force qui sont sous-jacentes à ce qu'est l'Europe, par exemple, pour être en mesure d'entrevoir l'avenir possible, à la façon dont Karl Marx et Friedrich Engels ont manifestement su le faire ?

N'est-ce pas une affaire de travail, et de travail encore ?
Mais, dans ce cas, où donc se trouvent les bonnes volontés ?
Ou bien faudra-t-il continuer longtemps encore à courber l'échine ?
Michel J. Cuny
   Posté le 01-11-2013 à 10:19:49   

De l'importance fondamentale de la bourgeoisie d'Etat en France

Revenons à ce qui a, en quelque sorte, sauté aux yeux de Karl Marx et de Friedrich Engels dès que la défaite française de 1870 s'est manifestée ainsi qu'ils l'avaient prévue :
" La guerre actuelle ouvre une nouvelle ère de l'histoire mondiale, en ce sens que l'Allemagne a prouvé qu'elle est capable, même l'Autriche allemande exclue, de suivre sa propre voie indépendamment de l'étranger . Qu'elle trouve d'abord son unité dans la caserne prussienne , c'est une position qu'elle a amplement méritée ."

Bien sûr, Marx et Engels ne parlent ici de "mérite" que par dérision. La bourgeoisie allemande n'ayant pas eu, en 1848, la force nécessaire pour prendre la tête du régime, elle a dû s'en remettre à la noblesse prussienne et à son roi. Désormais fondée sur la " caserne prussienne ", c'est-à-dire sur ce que l'on pourrait appeler une "noblesse d'Etat" - s'il ne s'agissait d'une sorte de pléonasme -, l'Allemagne de 1871 est prête à faire la guerre en permanence.

A cela, il n'existe qu'un seul frein : la classe ouvrière allemande. C'est ce que pensent, et c'est ce qu'expriment Marx et Engels dès la fin août 1870, c'est-à-dire avant même que la classe ouvrière française n'ait été massacrée par les soldats français que Bismarck aura rendus à Thiers en 1871 :
" Si alors la classe ouvrière allemande ne joue pas le rôle historique qui lui revient, ce sera sa faute. Cette guerre a déplacé le centre de gravité du mouvement ouvrier continental de France en Allemagne . C'est pourquoi la plus grande responsabilité repose maintenant sur la classe ouvrière allemande ."
(Les soulignés sont de Marx et Engels )

Comme on le sait, la classe ouvrière allemande a été brisée après 1918 par une armée allemande qui n'était plus vraiment l'apanage des hobereaux prussiens : elle était l'armée de la bourgeoisie allemande d'Etat .

Qu'aurions-nous à dire, en France, de l'Histoire de notre bourgeoisie d'Etat dans sa façade militaire ? Côte d'Ivoire, Libye, Mali, Syrie... Sans reposer la question de 1940, de 1944, de 1945, de 1954, etc., etc.?
Michel J. Cuny
   Posté le 06-11-2013 à 21:28:30   

Karl Marx évoquait cette Allemagne de Bismarck qui avait fait son unité, dès 1870-1871, autour de la caserne prussienne ... Où en sommes-nous aujourd'hui, en France, du point de vue du despotisme militaire : de l'arme nucléaire, par exemple, et des troupes spéciales ? Et tout spécialement, pour ce qui concerne les secondes, après l'Afghanistan, la Côte d'Ivoire, la Libye, le Mali et la Syrie ?

Quant à l'avenir, que dire de ce qui se trouve avancé dans le " Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale " publié en avril 2013, pour nous annoncer de prochaines "initiatives" qui pourraient enchaîner sur de précédents faits d'armes ? Voyons cela :

" Dans le prolongement des initiatives déjà prises, la sécurité dans les pays de la zone allant du Sahel à l’Afrique équatoriale, la lutte contre toutes les formes de terrorisme, le processus de paix au Proche-Orient, l’aide à la réussite des transitions politiques dans certains pays arabes, le règlement des conflits du Caucase, la consolidation de la paix dans les Balkans et notamment au Kosovo sont autant de sujets sur lesquels l’Union euro-péenne doit continuer de développer ses actions ." (pp. 65-66)

Il est même envisagé d'aller bien plus loin, quoique ce soit tout de même un peu plus risqué :

" Au-delà des moyens nécessaires à la protection du territoire national, la France entend disposer des capacités militaires lui permettant de s’engager dans les zones prioritaires pour sa défense et sa sécurité : la périphérie européenne, le bassin méditerranéen, une partie de l’Afrique - du Sahel à l’Afrique équatoriale -, le Golfe Arabo-Persique et l’océan Indien ." (p. 82)

N'est-il pourtant pas très clair que, depuis la Libération et sa suite dans les guerres coloniales puis dans les agissements criminels de la Françafrique, les salariés livrés à la production se trouvent en présence d'une continuité historique qui, pour ce qui concerne la France, vient de très loin ? Par-delà ce que l'Histoire récente a pu modifier entre-temps, et sans qu'il soit nécessaire d'accabler la fonction publique d'aujourd'hui qui, quelle soit sa bonne volonté, ne peut qu'agir sous la direction et le contrôle de la bourgeoisie d'Etat, ne nous faut-il pas, pour ouvrir l'avenir du communisme, nous arrêter un instant sur ce que Karl Marx écrivait dans " Le 18-Brumaire de Louis Bonaparte " :

" Ce pouvoir exécutif, avec son énorme organisation bureaucratique et militaire, avec sa vaste et ingénieuse machinerie d'Etat comptant une armée d'un demi-million de fonctionnaires à côté d'une armée d'un autre demi-million, cet effroyable corps de parasite qui enserre, tel un filet, le corps de la société française, en obstrue tous les pores, naquit au temps de la monarchie absolue, au déclin du système féodal dont il contribua à précipiter la chute ."

La suite n'y a-t-elle rien changé ? Réponse de Karl Marx :

" Toutes les révolutions perfectionnèrent cette machine au lieu de la briser. Les partis qui se disputèrent à tour de rôle le pouvoir considéraient la main-mise sur cet énorme édifice d'Etat comme le butin principal du vainqueur ."


Edité le 12-11-2013 à 22:36:08 par Michel J. Cuny


Philosophia
   Posté le 12-11-2013 à 21:22:54   

" A celui qui a contribué si puissamment à nous rendre et avec tant d’éclat les caractères d’une nation guerrière […], il appartient de faire connaître que notre nation est aussi appelée à se faire admirer et respecter par les effets d’une bonne économie politique " …

C’est dans ces termes que le banquier suisse Perregaux présente à Bonaparte, le 6 février 1800, son plan de création de la prestigieuse Banque dite de France ...

En prenant appui sur l’ouvrage " Ernest Antoine Seillière - Quand le capitalisme français dit son nom " de Michel J. Cuny, Françoise Petitdemange et Christine Cuny, nous pouvons dès lors mieux comprendre le contexte dans lequel la famille Seillière et l’ensemble de ceux que l’on appelle les "fournisseurs" et "munitionnaires" de l’armée " ont pu accompagner un processus essentiel dans le développement de l’économie de marché ", c’est-à-dire, " l’accumulation primitive du capital ".

Les auteur/auteuses précisent que, " comme cela s’est quelquefois produit dans d’autres pays, c’est la guerre en tant qu’entreprise qui a, tout à la fois, permis et exigé la concentration, entre quelques mains, d’achats considérables de vivres, de vêtements, d’équipages et d’armes, et qui a activé la mise en place d’un financement public correspondant à l’énormité des sommes engagées, tout en renforçant le contrôle de l’Etat sur une société civile vigoureusement appelée à payer de son sang, de ses larmes et de son travail les exigences d’une concentration capitalistique obtenue dans l’effroi de la défaite redoutée ou dans l’ivresse de la victoire attendue ." Il se trouve en effet que tout en étant une entreprise risquée, la guerre produit en cas de victoire des bénéfices exceptionnels pour ceux qui ont su se rendre créanciers de la machine de guerre.

Pour sa part, l’ouvrage que Raymond Dartevelle a consacré à la banque Seillière-Demachy, ouvrage qui a eu l’insigne honneur d’être préfacé par Ernest-Antoine Seillière lui-même !, nous permet de prendre toute la mesure des bénéfices retirés des guerres napoléoniennes, puisque nous y voyons se développer les activités d’un certain Florentin Seillière, fabriquant, à Nancy, de draps et tricots pour l'armée.

Nous apprenons alors que " les nombreuses campagnes militaires révolutionnaires, l'organisation des sept corps d'armée composant la Grande Armée et les multiples théâtres d'opérations dans les pays occupés et annexés de l'Europe napoléonienne mobilisèrent un effectif de conscrits et soldats de métier toujours plus nombreux ". C’est ainsi que " de 1804 à 1814, on compta un peu plus de deux millions deux cent mille conscrits sous les drapeaux ."
Xuan
   Posté le 13-11-2013 à 20:44:09   

"Dans l'histoire de l'accumulation primitive, toutes les révolutions qui servent de levier à l'avancement de la classe capitaliste en voie de formation font époque, celles, surtout qui, dépouillant de grandes masses de leurs moyens de production et d'existence traditionnels, les lancent à l'improviste sur le marché du travail. Mais la base de toute cette évolution, c'est l'expropriation des cultivateurs.."
[Le Capital - Livre I - Section VIII : L’accumulation primitive]

Mais une question s'impose concernant les guerres napoléoniennes : accumulation primitive ou pillage ?
Michel J. Cuny
   Posté le 13-11-2013 à 22:11:15   

Effectivement, Xuan , c'est une vraie question.
S'agissant des guerres napoléoniennes, il faut les replacer dans un contexte plus général. Comme Philosophia a commencé à y venir : il faut faire intervenir la mise en place de la Banque de France , dont le premier projet a été présenté à l' Assemblée Constituante en décembre 1789 par le fils aîné de Jean-Joseph de Laborde (l'ancêtre d' Ernest - Antoine Seillière ) : Laborde de Méréville .

Mais les guerres napoléoniennes ne sont que la reprise de la guerre déclarée à l'Europe par les Girondins : les discours de ceux-ci montrent qu'il s'agissait effectivement d'une politique de conquête qui visait tout simplement à garantir les assignats . Si nous ajoutons à cela le travail de fondation du Code civil qui se concrétisera en 1804, nous voyons très clairement que la machine de guerre était parfaitement adaptée à ce que voulait la finance internationale de cette époque.

C'est d'ailleurs elle qui va se rassembler autour de la Banque de France , et l'épisode d'Austerlitz a bien montré l'extrême sensibilité de ce vaste système d'une accumulation qui peut être qualifiée de primitive si on l'englobe dans les modifications du statut de la propriété survenues depuis les premiers jours de la révolution de 1789, et ensuite dans la dérive si finement calculée de l' assignat .

J'ajouterai ici cet extrait pris dans l'" Introduction générale à la critique de l'économie politique " (1857). Karl Marx écrit :
" La guerre . L'organisation de la guerre est antérieure à celle de la paix : montrer comment certains rapports économiques tels que le travail salarié, le machinisme, etc., se sont développés par la guerre et dans les armées avant de se développer dans le sein de la société bourgeoise. De même, l'armée illustre tout particulièrement le rapport entre la force productive et les institutions sociales ."
Philosophia
   Posté le 16-11-2013 à 14:05:16   

Parmi les vainqueurs de la Révolution de 1789, il y a ceux qui seront en mesure de spéculer sur les biens nationaux , ce qui leur permettra d’engranger un maximum de bénéfices immédiats. C’est ainsi qu’on verra Cambon - grand financier du Comité de Salut Public, propriétaire à Montpellier, avec sa famille, de filatures, de teintureries, d’une manufacture de mouchoirs - acheter plus de mille hectares de terres qu’il paiera en assignats dévalués pour les revendre ensuite à bon prix et contre bonne monnaie cette fois.

Propriétés acquises donc, il faut y insister, sur le dos du peuple, c’est-à-dire grâce à son travail, mais aussi au prix de sa vie : le 9 décembre 1794, soit quelques mois seulement après la chute de Robespierre, le maximum fixé par le gouvernement révolutionnaire était aboli provoquant une montée vertigineuse du prix des denrées de première nécessité, laquelle montée devait se traduire par une baisse de valeur du papier monnaie. Ainsi, l’effondrement de l’assignat qui servait à régler les achats de biens nationaux livrerait aux riches, et pour des sommes dérisoires, de vastes domaines.

D'un bout à l'autre de la chaîne des spéculations sur les fournitures militaires, on retrouve aussi les biens nationaux. Ainsi, ce sont probablement les bénéfices retirés de la campagne d’Alger qui ont permis en 1832 à Aimé-Benoit Seillière - ancêtre d’Ernest-Antoine Seillière actuel patron des patrons européens - de se rendre acquéreur de la manufacture de Saint-Maurice, installée dans l’ancienne abbaye de Senones (Vosges).

"Coïncidence" troublante : la bibliothèque de cette abbaye avait semble-t-il suffisamment d’importance pour faire se déplacer un certain Voltaire qui, ne l’oublions pas, serait à son époque l’un des plus fervents promoteurs de la confiscation des biens de l’Eglise, mais aussi l’un des plus prolifiques fauteurs de guerre, comme l’un des plus gros bénéficiaires des spéculations sur les fournitures aux armées ...
Xuan
   Posté le 16-11-2013 à 23:39:50   

Michel J. Cuny a écrit :


Mais les guerres napoléoniennes ne sont que la reprise de la guerre déclarée à l'Europe par les Girondins : les discours de ceux-ci montrent qu'il s'agissait effectivement d'une politique de conquête qui visait tout simplement à garantir les assignats .


Excusez-moi de revenir un peu en arrière, avec le tome II d'Albert Soboul (histoire de la Révolution française), pour détailler cette question.
Soboul explique d'abord la chute des Jacobins par les hésitations et les contradictions de Robespierre et St Just. Puis il décrit la réaction des notables thermidoriens dans la Troisième partie.

"Un pays gouverné par les propriétaires
République bourgeoise et consolidation sociale
(1795-1799)"


On y voit que la réaction bourgeoise ne cherchait pas à sauver les assignats mais à se remplir les poches aussi longtemps que c'était possible, jusqu'à n'avoir pas d'autre choix que le pillage.

[Hormis les titres et sous titres j'ai souligné en gras certains passages] :

I. LES LENDEMAINS DE PRAIRIAL LA TERREUR BLANCHE ET QUIBERON
(mai-juillet 1795)


Les journées de prairial an III, en éliminant toute opposition populaire, imprimèrent à la réaction un mouvement accéléré qui affecta tous les domaines de la vie publique.
Le rétablissement du culte en fut la première conséquence.
[…]
La ruine de l'assignat découlait de l'écrasement, des sans-culottes : la bourgeoisie thermidorienne l'abandonna à son sort. La Convention consacra finalement la faillite du papier-monnaie en établissant, le 3 messidor an III (21 juin 1795), une échelle de dépréciation en rapport avec les émissions successives. Le 2 thermidor (20 juillet), elle ordonna le paiement en grains de la moitié de la contribution foncière. Elle accorda enfin aux fonctionnaires une échelle mobile des traitements. Le Trésor demeurant vide, les émissions continuaient cependant au rythme de près de 4 milliards par mois. De 8 % de sa valeur nominale en germinal (avril) l'assignat tomba à 5 % en messidor, à 3 % en thermidor (juillet 1795).

La Terreur blanche reçut une impulsion décisive de la défaite populaire de prairial.
Dans la Convention, les membres des anciens Comités de l'an II, sauf Carnot et Prieur de la Côte-d'Or, furent, arrêtés, ainsi qu'une dizaine de députés montagnards. Ruhl et Maure, menacés, se suicidèrent. La Convention supprima le Tribunal révolutionnaire, le 12 prairial (31 mai 1795), et annula les condamnations pour fédéralisme.
Dans les départements, les anciens terroristes passaient en jugement : ainsi les membres de la Commission d'Orange et Lebon dans la Somme, qui furent exécutés.
Le 20 floréal (9 mai), la Convention avait autorisé les corps administratifs, maintenant aux mains d'anciens fédéralistes ou de royalistes avérés, à dénoncer eux-mêmes les terroristes aux officiers de police judiciaire. Les procès se multiplièrent.
Partout les hommes de l'an II furent pourchassés ; s'ils n'étaient pas condamnés, on les brimait de mille manières, leur rendant l'existence impossible. La plupart des villes possédaient maintenant leur jeunesse dorée, maîtresse de la rue avec la complicité des autorités.
Des bandes de massacreurs, compagnies de Jésus, de Jéhu ou du Soleil, terrorisaient le Sud-Est. Des prisonniers furent massacrés à Lons-le-Saulnier, à Bourg ; à Lyon, les prisons furent forcées les 5 et 15 floréal (24 avril et 4 mai), les détenus mis à mort. Massacres encore à Montbrison, à Saint-Etienne. La compagnie marseillaise du Soleil massacra des prisonniers à Aix le 22 floréal (11 mai)
[...]

II. LA PAIX CONQUÉRANTE (1795)

Les Thermidoriens avaient ruiné l'œuvre du Gouvernement révolutionnaire. Ils n'en recueillèrent pas moins les fruits de la politique de défense nationale de l'an II. Ils profitèrent de surcroît de la dislocation de la coalition sous la poussée d'intérêts divergents.
[…]
Le territoire national était libéré. Plus encore, la conquête des Pays-Bas procurait à la République d'immenses avantages économiques. Les Thermidoriens se trouvaient en position de force, au moment même où la coalition se divisait.

1. La diplomatie thermidorienne et la coalition.

Sur le plan diplomatique comme sur les autres, les Thermidoriens furent prisonniers de la réaction. Le Comité de salut public de l'an III, dépourvu de toute autorité, dut compter avec une Assemblée soupçonneuse et plus encore avec une opposition contre-révolutionnaire faisant campagne pour la paix immédiate et la restitution des conquêtes. Tallien proposa le 14 brumaire (4 novembre 1794) une paix qui ferait rentrer la France « dans ses anciennes limites » . Dix jours après, Barère dénonça les partisans d'une « paix plâtrée », les anciens Montagnards s'indignèrent. « On veut rendre inutile le succès de nos armées » , s'écria Bourdon le 8 nivôse (28 décembre 1794), et le 11 pluviôse (30 janvier 1795) : « Nous nous enfermerons dans les limites que la nature a posées. » Les frontières naturelles devinrent l'enjeu de la politique des partis et la pierre de touche du républicanisme.

D'autres considérations intervenaient encore. Les sentiments de l'armée ne faisaient aucun doute et elle était devenue, dans la crise de l'an III, une force politique à ne plus négliger. Son rôle économique n'était pas moindre :
la guerre commençait non seulement à nourrir la guerre, mais encore à pourvoir la nation.
Si les agences d'évacuation créées en floréal an II et qui dépouillaient les pays occupés furent supprimées par le gouvernement thermidorien, les administrations françaises installées à Bruxelles pour la Belgique, à Aix-la-Chapelle pour la Rhénanie imposèrent l'assignat pour leurs réquisitions. Au cours des négociations avec la République batave, le gouvernement français insista sur l'indemnité de guerre qui lui permettrait de financer la future campagne.
La politique d'annexion divisait cependant les Thermidoriens. Nice et la Savoie ne furent jamais en question, mais bien la Belgique et plus encore la rive gauche du Rhin.
Carnot, reprenant la politique du Comité de l'an II, se serait contenté d'une rectification stratégique des anciennes limites ; c'était aussi l'opinion des modérés et des royalistes constitutionnels. Finalement, les républicains s'entendirent sur l'annexion de la Belgique, mais hésitèrent sur celle de la Rhénanie. Merlin de Douai et Merlin de Thionville y étaient hostiles, tandis que Reubell et Sieyes, entrés au Comité de salut public le 15 ventôse (5 mars 1795), s'affirmaient annexionnistes fervents, l'un pour couvrir l'Alsace, sa province natale, l'autre pour disposer d'un gage lors du règlement final.
On était loin de la politique du Comité de l'an II :
les Thermidoriens en étaient revenus aux pratiques de la diplomatie traditionnelle
.



Edité le 17-11-2013 à 00:36:27 par Xuan


Xuan
   Posté le 17-11-2013 à 00:31:57   

Soboul présente maintenant l’action du Directoire.
Qu’on excuse la longueur de ces extraits, on observera qu’ils sont pleins d’enseignements et d'une étrange actualité :

La catastrophe monétaire multipliait cependant la misère populaire : elle rendit impossible la politique d'union un moment esquissée. Craignant que l'opposition de gauche n'en profitât pour tenter un mouvement, le Directoire donna un coup de barre à droite.

2. La fin du papier-monnaie révolutionnaire (1796).

L'inflation, tandis que le Directoire s'installait, atteignait son extrême limite. L'assignat de 100 livres ne valait plus que 15 sous. Le Trésor était vide, la planche aux assignats continuait à multiplier une monnaie dont la valeur fut bientôt inférieure au prix du papier : en moins de quatre mois, la masse de papier-monnaie doubla, atteignant 39 milliards le 30 pluviôse an IV (19 février 1796).
En vain un emprunt forcé à taux progressif, véritable impôt sur le capital, avait-il été institué le 19 frimaire (10 décembre 1795), payable en monnaie métallique, en grains ou en assignats à 1 % de leur valeur nominale : le cours en était de trois à quatre fois inférieur. L'emprunt ne rapporta que 27 milliards en papier et 12 millions en numéraire ; il suscita un vif mécontentement dans les rangs de la bourgeoisie, le quart le plus imposé des contribuables. Le 30 pluviôse (19 février 1796), il fallut suspendre les émissions et abandonner l'assignat.

Un nouveau papier-monnaie, le mandat territorial, remplaça l'assignat. Le retour à la monnaie métallique parut impossible : il n'en circulait qu'environ 300 millions au lieu de 2 milliards et demi à la fin de l'Ancien Régime. L'idée d'une banque nationale d'émission fut écartée. La loi du 28 ventôse an IV (18 mars 1796) créa le mandat territorial, dont 2.400 millions furent aussitôt émis. Les mandats territoriaux, gagés sur les biens nationaux non encore vendus (on en revenait au principe même qui avait présidé à la création de l'assignat), étaient substitués aux assignats échangés à 30 pour un, alors que l'assignat était au même moment accepté pour le paiement de l'emprunt forcé à 100 pour un. Les mandats avaient cours forcé, ils étaient valables pour l'acquisition de biens nationaux au prix de l'estimation, sans enchères. En six mois, le mandat territorial parcourut la carrière que l'assignat avait traversée en cinq ans.

La catastrophe monétaire fut en effet immédiate . Le mandat avait été déclaré égal à l'or, mais aussi à 30 fois l'assignat, et ce dernier ne valait plus que 0,25 : la loi elle-même donnait à 100 francs-mandat une valeur métal de 7,50 francs. Dès les premières émissions, le mandat perdit jusqu'à 65 et 70 % ; la dépréciation était de 80 le 15 germinal (4 avril 1796), de 90 le 1« floréal (20 avril). Dès lors, les denrées eurent trois prix, ce qui n'était pas fait pour diminuer les difficultés des échanges et du ravitaillement : le 27 germinal (16 avril 1796), le Bureau central de Paris taxa la livre de pain à 35 livres-assignats, 1 livre 3 sous 4 deniers en mandats, alors qu'elle se vendait 3 sous en numéraire.
La dilapidation des biens nationaux, en diminuant le gage, contribua encore à ruiner le mandat . La loi du 6 floréal an IV (25 avril 1796) décida la reprise des ventes et en fixa le mode, sans enchères, le mandat étant accepté pour sa valeur nominale : ce fut une ruée, un véritable brigandage, au profit des thésauriseurs de mandats, particulièrement des fournisseurs de l'État. Tel acquéreur d'un château pour 20.000 livres en tire 8.000 de la seule vente des grilles et balustrades. En prairial, le pain valait en assignats 150 francs la livre. Les mendiants eux-mêmes refusaient le papier qu'on leur tendait.

La disparition du papier-monnaie révolutionnaire découla de cette expérience malheureuse. Le cycle fut le même que pour l'assignat, mais ramassé en deux mois. Le 29 messidor (17 juillet), le cours forcé fut aboli. Le 13 thermidor (31 juillet), on décida que le paiement des biens nationaux se ferait en mandats au cours (valeur métallique) :
mesure trop tardive pour empêcher le gaspillage des domaines nationalisés. La même règle fut peu à peu étendue aux traitements, aux rentes, aux contributions, aux loyers.
A la fin de l'an IV (mi-septembre 1796), c'en était fini de la fiction du papier-monnaie. Sa démonétisation ne fut cependant accomplie que quelques mois plus tard. La monnaie métallique réapparaissait ; mais l'État, ne recevant que du papier, n'en profitait pas.
La loi du 16 pluviôse an V (4 février 1797) démonétisa le mandat, le clouant à 1 % de sa valeur nominale. Cette loi passa presque inaperçue : elle ne constituait que la consécration officielle d'une banqueroute déjà accomplie. Ainsi s'achevait l'histoire il n papier-monnaie révolutionnaire.
Mais si le Directoire a pu revenir au numéraire, c'est que les victoires de l'an IV furent profitables : au 5 germinal an V (25 mars 1797), il avait touché en numéraire 10 millions de l'armée de Sambre-et-Meuse, plus de 51 de l'armée d'Italie. La guerre nourrissait le régime .

Les conséquences sociales furent, comme à l'ordinaire, catastrophiques pour les fonctionnaires, les rentiers, l'ensemble des classes populaires. Le 22 messidor an IV (10 juillet 1796), l'administration de l'Isère écrivait qu'il valait mieux, par suite de l'insuffisance des appointements, être forçat que chef de bureau :

« Il n'est pas un forçat, un détenu ou un condamné qui ne coûte au gouvernement plus du quadruple des appointements d'un chef de nos bureaux. Leur salaire est réduit à 6 livres et 2 sous 8 deniers par jour : l'impérieuse nécessité de pourvoir à leur subsistance les a depuis longtemps obligés de vendre leurs meubles et effets les plus nécessaires à la vie de l'homme ; ils recourent au pain distribué aux seuls indigents. »

L'hiver de l'an IV fut terrible pour les salariés accablés par la hausse vertigineuse des prix. Les marchés demeuraient vides : la récolte de 1795 n'avait pas été bonne, les paysans n'acceptaient que le numéraire, les réquisitions n'étaient plus appliquées. Le Directoire dut procéder à des achats à l'étranger et réglementer sévèrement la consommation.
A Paris, la ration d'une livre de pain par jour tomba à 75 grammes ; elle fut complétée par du riz que les ménagères ne pouvaient cuire, faute de bois. Tout au cours de l'hiver, les rapports de police signalent avec une monotonie lassante la misère et le mécontentement populaires, comme soulignés par le luxe et l'impudeur des agioteurs.

« Paris paraît calme, mais les esprits sont vivement agités , note le rapport du Bureau central du 28 pluviôse (17 février 1796}. La cherté extrême de toutes choses est constamment regardée comme la suite nécessaire du commerce illicite de ces êtres méprisables connus sous le nom d'agioteurs. Cette cruelle calamité, qui depuis longtemps ruine les fortunes publiques et privées, pèse essentiellement sur la classe indigente, dont les plaintes, les murmures et les discours immodérés se font entendre de toutes parts. »

Le mécontentement populaire se tournait naturellement contre le Directoire et profitait à l'opposition jacobine qui, au club du Panthéon, discutait du rétablissement du maximum. Dans les premiers jours de ventôse, les rapports de police soulignèrent les progrès de l'agitation dans les milieux populaires et la revendication de la taxation : « Les ouvriers projettent de se faire augmenter, selon le rapport du 5 ventôse (24 février), mais ils disent que la taxe prochaine les déterminera ; ... par le mot taxe, le peuple entend diminution. »

Craignant que le mécontentement populaire ne se cristallisât autour de l'opposition jacobine, le Directoire ordonna la fermeture du club du Panthéon, le 7 ventôse (26 février 1796) ; il entreprit des poursuites contre les journalistes de gauche et destitua des fonctionnaires réputés jacobins.
L'opposition de gauche prit une forme nouvelle lorsque Babeuf organisa la Conjuration des Égaux.


la Conjuration des Égaux (1795-1796)

Je passe malheureusement ce chapitre passionnant, mais qui n’a pas sa place dans cette discussion. Evidemment cet épisode, jusqu’à l’arrestation de Baboeuf à l’instigation de Carnot, sa mise en cage et son exécution, qui manifestaient déjà la haine de classe de la bourgeoisie, mériterait tout un chapitre.
Mais la suite est tout aussi passionnante, la guerre de conquêtes est la conséquence inévitable de la banqueroute :

La situation financière, à la suite de l'effondrement du mandat territorial et du retour à la monnaie métallique, s'avéra déplorable. A l'inflation succéda la déflation : le numéraire était rare, les prix s'effondrèrent, d'autant plus que la récolte de 1796 fut abondante. Il en résulta tout au moins un certain soulagement à la misère populaire. Mais la guerre continuait. En vain le Directoire s'efforça d'équilibrer le budget.

Les Conseils, par arrière-pensée politique, se refusaient à tout effort financier efficace. Les contributions étaient votées trop tard : ainsi la contribution foncière le 18 prairial an V (6 juin 1797) pour l'année en cours, la mobilière le 14 thermidor (2 août).
Le Directoire ayant proposé la création dans chaque département d'une Agence des contributions directes composée de fonctionnaires, il ne fut pas suivi. Il proposa le rétablissement de certaines taxes indirectes, sur les poudres et salpêtres, sur le sel : si le Conseil des Cinq-Cents s'y résigna, celui des Anciens s'y refusa. Pour tirer un meilleur parti de la vente des biens nationaux, les enchères furent rétablies, le 16 brumaire an V (0 novembre 1796) : le bénéfice fut minime.

Les expédients financiers l'emportèrent. Les réquisitions furent maintenues pour fournir les armées en grains, fourrages et chevaux : elles étaient payables en bons reçus en paiement des contributions et des biens nationaux.
Comme les Thermidoriens après l'abandon de l'économie dirigée, le Directoire dut recourir aux hommes de finances, banquiers, fournisseurs et munitionnaires : il tomba sous leur coupe. Après avoir usé de multiples subterfuges, remis en nantissement des diamants de la Couronne dont le Régent ou cédé les rescriptions bataves, c'est-à-dire les obligations sur l'indemnité de guerre due par la Hollande conformément au traité de La Haye, le Directoire fut autorisé par la loi du 16 brumaire an V (6 novembre 1796) à utiliser les biens nationaux comme moyens de paiement : tel fournisseur acquit ainsi 600 hectares dans le département du Nord. Bientôt on en arriva à abandonner aux créanciers telle catégorie de recettes de l'État : c'était, sous le nom de délégations, revenir à la pratique des anticipations de l'Ancien Régime.
Ainsi les coupes dans les forêts nationales, ou le produit des contributions dans tel département, ou celui de la vente des marchandises anglaises saisies à Livourne au profit de la compagnie Flachat qui fournissait l'armée d'Italie.

La corruption se multiplia, encouragée par ces pratiques, par la faiblesse du gouvernement, par la vénalité d'une minorité de politiciens que symbolisent les noms de Barras, en combinaison avec le financier Ouvrard, de Fouché, de Talleyrand. Tel s'enrichissait en spéculant sur le sel, d'autres sur les biens nationaux. Le désordre des mœurs allait de pair, frappant d'autant plus les observateurs qu'il contrastait avec l'allure Spartiate de la République de l'an II.
Il n'affectait cependant qu'une minorité fortunée et oisive, qui s'était fait une règle de la poursuite effrénée du plaisir, et que l'on a dénommée par une généralisation abusive la « société du Directoire » :
avec plus de cynisme et dans un décor moins pompeux, elle préfigurait les mœurs de la haute société impériale. Dans le gouvernement, deux personnages appartenaient à cette société dissolue : Barras, ci-devant vicomte, Talleyrand, ci-devant évêque.
Autour d'eux, les hommes d'affaires, les « faiseurs de services » , banquiers, fournisseurs, agioteurs et spéculateurs, profiteurs du système, mais prêts à l'abandonner pour un autre qui garantirait leur fortune.
Le discrédit du régime se généralisa dans toutes les couches de la société. Les fonctionnaires n'étaient plus payés que très irrégulièrement. Les services publics, faute de moyens financiers, ne fonctionnaient qu'à grand-peine. Pour soulager le budget national, le Directoire avait mis les tribunaux, les écoles centrales, l'assistance publique à la charge des administrations locales : mais leurs finances étaient aussi délabrées que celles du gouvernement.
Les rentes étaient payées pour un quart en numéraire, quand le gouvernement avait des disponibilités, pour les trois quarts en bons admis seulement en paiement des contributions ou d'achat des biens nationaux, et que les spéculateurs rachetaient à vil prix. En multipliant le mécontentement, l'incapacité financière du Directoire faisait le jeu de l'opposition royaliste, tandis que s'approchaient les élections de l'an V.

II. LA GUERRE DE CONQUÊTES (1796-1797)

Les caractères nouveaux de la guerre, qui tendaient à s'affirmer depuis la chute du Gouvernement révolutionnaire et la ruine de sa politique de défense nationale, s'accentuèrent sous le premier Directoire.
L'effort de guerre n'étant plus soutenu par la direction de l'économie rendue à la libre entreprise et au libre profit, la situation matérielle des armées s'aggrava ; ce qui n'alla pas à la longue sans répercussion sur leur état d'esprit. Et cela d'autant plus que les généraux, sur qui ne pesait plus le niveau égalitaire du Gouvernement révolutionnaire et de la Terreur, secouaient la tutelle du pouvoir exécutif et donnaient libre cours à leurs ambitions.
De ce point de vue, la politique italienne de Bonaparte constitua un véritable point de rupture : aux exigences nationales furent substituées les perspectives aventureuses d'une ambition personnelle. Déviation d'autant plus dangereuse qu'elle s'auréolait de tous les prestiges de la victoire.

[…]

« Soldats, vous êtes nus, mal nourris , déclare Bonaparte dans sa proclamation du 26 mars 1796. Je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. De riches provinces, de grandes villes seront en votre pouvoir, vous y trouverez honneur, gloire et richesse... »
Le patriotisme se vida de son contenu républicain et humain, le nationalisme pointait ; aux sentiments civiques et à l'enthousiasme révolutionnaire succédèrent bientôt le mépris de l'étranger et le goût de la gloire militaire, la vanité nationale.
Marie-Joseph Chénier exalta bientôt « la Grande Nation à vaincre accoutumée » ; l'expression, inspiratrice d'orgueil, était courante dès la fin du Directoire ; l'Empire la consacra.



Edité le 17-11-2013 à 00:39:44 par Xuan


Michel J. Cuny
   Posté le 17-11-2013 à 09:27:59   

Xuan , tu rapportes ceci, à la fin de ton texte :

Le patriotisme se vida de son contenu républicain et humain, le nationalisme pointait ; aux sentiments civiques et à l'enthousiasme révolutionnaire succédèrent bientôt le mépris de l'étranger et le goût de la gloire militaire, la vanité nationale .

Est-ce bien Soboul qui écrit cette phrase ?
Si oui, à quelle époque a-t-il vu, dans la politique étrangère de la France d'après 1789 ce patriotisme à contenu républicain et humain ? Où a-t-il vu les sentiments civiques et l'enthousiasme révolutionnaire , relativement à l'étranger ? Où sont les textes sur lesquels il s'appuie ?

Je crois, pour ma part, que c'est typiquement un discours issu de l'enseignement de la IIIème République façon Ferdinand Buisson ...


Edité le 17-11-2013 à 09:29:06 par Michel J. Cuny


Xuan
   Posté le 17-11-2013 à 09:42:58   

Anachronisme sans doute, mais quand même.
J’ai insisté à dessein sur la crise de l’assignat et ses implications :
Ses conséquences, dramatiques pour le peuple, profitables aux spéculateurs, devraient nous faire réfléchir sur les « propositions » de sortie de crise par la dévaluation de l’euro ou un retour au franc dévalué.

Certains économistes dits alternatifs envisagent la banqueroute comme un avenir souhaitable. Grand bien leur fasse, mais cet outil dans les mains du capital est une arme de guerre contre le salariat.
Michel J. Cuny
   Posté le 17-11-2013 à 11:18:59   

Entièrement d'accord avec toi, Xuan
Michel J. Cuny
   Posté le 17-11-2013 à 14:27:53   

Sous la guerre européenne, la pompe aspirante des richesses marchait à l'assignat...

Albert Soboul
était bien bon de s'en prendre à Napoléon Bonaparte en lui opposant " le patriotisme " antérieur qu'il aurait vidé " de son contenu républicain et humain ".
Voici, en effet ce que le Moniteur universel nous rapporte de la séance du mardi 13 décembre 1791 à l'Assemblée législative... bien longtemps avant l'époque du Directoire :
"M. Anarcharsis Cloots , orateur du genre humain, est admis à la barre, et lit la pétition suivante : […]
«  Montrons à l’Europe que nous ne craignons pas la guerre, et nous aurons la paix : nous verrons les émigrants dispersés et sans ressources . [...]  Les progrès rapides de Rochambeau , de Luckner , de Kellerman , vers les embouchures de l’Escaut, de la Meuse, de la Moselle et du Rhin, donneront une commotion épouvantable à tous les trônes environnants.  [...] Les paysans allemands et bohémiens recommenceront leurs hostilités contre les seigneurs ecclésiastiques et laïques ; les Catalans et les Allobroges échapperont, de concert, à l’Espagne et à la Sardaigne ; le Batave et le Germain, le Lombard et le Scandinave secoueront et briseront leurs chaînes avec fureur. Déjà la circulation de nos assignats nous devance dans les contrées voisines ; le Brabançon, le Liégeois, le Savoisien les acceptent avec plaisir ; et le despote piémontais se voit forcé de percevoir les impôts de la Savoie en papier timbré à l’effigie d’un roi constitutionnel . [...] Français ! votre plus cruel ennemi, c’est l’inaction. Agissez promptement, et vous écarterez la banqueroute et la discorde ! [...] Français ! vous vaincrez indubitablement ; mais fallût-il succomber, nous éviterions un désastre ignominieux ; car nous ferions glorieusement la banqueroute du genre humain . »

C'est clair, tout perdre - y compris le genre humain - plutôt que ne pas garantir définitivement les transferts de fortune sous-jacents à la mise en œuvre de l'assignat !

Car, comme chacun sait, l'assignat fonctionne très exactement comme une patate chaude : les petites coupures la renvoyaient vers les plus pauvres, mais l'unité nationale guerrière pouvait la propulser à l'extérieur, calcul qui remonte aux tout premiers agissements autour de la Caisse d'escompte, héritière de celle dont s'est longuement occupée le grand ancêtre d' Ernest -Antoine Seillière : Jean-Joseph de Laborde .


Edité le 01-12-2013 à 19:27:59 par Michel J. Cuny


Xuan
   Posté le 17-11-2013 à 19:35:43   

Outre "l'orateur du genre humain" il faut prendre en compte la situation précise et complexe qui suivit la fuite du roi la même année, le 21 juin 1791.

Un extrait du 1er tome :

3. La guerre ou la paix (hiver 1791-1792) .

Le conflit d'intérêts et d'idées de la Révolution et de l'Ancien Régime avait créé une situation diplomatique difficile. Loin d'apaiser le conflit, les brissotins et la Cour, pour des raisons de politique intérieure, poussèrent peu à peu à la guerre, tandis que s'y opposait en vain une faible minorité guidée par Robespierre.
Le parti de la guerre réunit, d'une manière qui put sembler à première vue paradoxale, les brissotins et la Cour.
La guerre fut voulue par la Cour qui n'espérait son salut que de l'intervention étrangère et qui poursuivit toujours la même politique de duplicité.

[…]

Et ce même 14 décembre, Marie-Antoinette à son ami Fersen : « Les imbéciles! Ils ne voient pas que c'est nous servir! »
La Cour précipita la France dans la guerre, dans le secret espoir qu'elle tournerait mal et que la défaite permettrait de restaurer le pouvoir absolu.

La guerre fut voulue par les brissotins pour des raisons de politique intérieure et de politique extérieure. Sur le plan intérieur, les brissotins entendaient obliger, par la guerre, les traîtres et Louis XVI à se démasquer.
« Marquons d'avance une place aux traîtres, s'écria Guadet à la tribune de l'Assemblée législative, le 14 janvier 1792, et que cette place soit l'échafaud. »
Les brissotins estimaient la guerre conforme aux intérêts de la nation :
« Un peuple qui a conquis sa liberté après dix siècles d'esclavage, avait déclaré Brissot aux Jacobins le 16 décembre 1791, a besoin de la guerre : il faut la guerre pour la consolider. »

Et ce même Brissot à l'Assemblée législative, le 29 décembre : « II est donc enfin arrivé le moment où la France doit déployer aux yeux de l'Europe le caractère d'une nation libre, qui veut défendre et maintenir sa liberté.»
Plus précisément encore dans ce même discours : « La guerre est actuellement un bienfait national ; et la seule calamité qu'il y ait à redouter, c’est de n'avoir pas la guerre... C'est l'intérêt seul de la nation qui conseille la guerre. »

Mais de quelle nation s'agissait-il? Le discours le plus net en ce sens fut celui d'Isnard, le 5 janvier 1792, à l'Assemblée législative. Il ne suffit pas de « maintenir la liberté », il faut « consommer la révolution » . Isnard donnait un contenu social à la guerre qui s'annonçait : « il s'agit d'une lutte qui va s'établir entre le patriciat et l'égalité ». Le patriciat : entendons l'aristocratie ; quant à l'égalité, ce n'est que l'égalité Constitutionnelle, définie par l'organisation censitaire du suffrage :
« La classe la plus dangereuse de toutes, selon Isnard, se compose de beaucoup de personnes qui perdent à la révolution, mais plus essentiellement d'une infinité de gros propriétaires, de riches négociants, enfin d'une foule d'hommes opulents et orgueilleux qui ne peuvent supporter l'égalité, qui regrettent une noblesse à laquelle ils aspiraient... ; enfin, qui détestent la constitution nouvelle, mère de l'égalité. »

Il s'agit bien de la Constitution de 1791 et l'égalité dont il est question « n'est que celle des droits » , comme devait bientôt l'affirmer Vergniaud.
La guerre voulue par les Girondins n'était conforme qu'aux intérêts de la nation bourgeoise.
Les préoccupations économiques n'étaient pas moins nettes. La bourgeoisie d'affaires et les politiques à son service désiraient en finir avec la contre-révolution, particulièrement pour rétablir le crédit de l'assignat nécessaire à la bonne marche des entreprises.


___________


Par la suite, le peuple révolutionnaire dut effectivement faire face simultanément à la coalition des monarchies européennes, à la réaction intérieure et aux difficultés économiques.
C'est de ce patriotisme-là dont parle Soboul . Il était historiquement nécessaire, parce que sans lui la révolution aurait été renversée au seul profit du féodalisme.

L'ambiguïté entre le nationalisme chauvin et la défense de la patrie marque notre culture, qui est d'abord celle de la bourgeoisie.
La Commune de Paris s'opposait à sa naissance à la trahison nationale contre l'envahisseur prussien et au vol des canons parisiens.
Au lendemain de la boucherie de 14 et de la victoire des soviets le sentiment pacifiste et l'hostilité aux guerres impérialistes l'emporta dans les nouveaux partis communistes.
Après la juste résistance antifasciste contre l'occupation allemande, lors de la seconde guerre mondiale, le caractère de classe de la question nationale a été brouillé. La bourgeoisie française avait parfaitement compris que la lutte des classes avait repris ses droits mais il n'en fut pas de même dans le parti du prolétariat quelques temps durant.

Nous n'avons pas encore fini de restaurer l'idéologie prolétarienne dans cet héritage, à preuve l'attitude de certains milieux "de gauche" envers les guerres impérialistes habillées d'humanitarisme.


Edité le 17-11-2013 à 19:39:30 par Xuan


Michel J. Cuny
   Posté le 17-11-2013 à 21:12:24   

Juste quelques citations pour montrer en quoi Albert Soboul est plus qu'approximatif...

Tu nous dis, Xuan , qu'il a écrit ceci :

"Les brissotins estimaient la guerre conforme aux intérêts de la nation : « Un peuple qui a conquis sa liberté après dix siècles d'esclavage, avait déclaré Brissot aux Jacobins le 16 décembre 1791, a besoin de la guerre : il faut la guerre pour la consolider . »
Et ce même Brissot à l'Assemblée législative, le 29 décembre : « II est donc enfin arrivé le moment où la France doit déployer aux yeux de l'Europe le caractère d'une nation libre, qui veut défendre et maintenir sa liberté
Plus précisément encore dans ce même discours : « La guerre est actuellement un bienfait national ; et la seule calamité qu'il y ait à redouter, c’est de n'avoir pas la guerre... C'est l'intérêt seul de la nation qui conseille la guerre. »

Je vais donc m'en tenir à Brissot ... et à l'époque considérée (hiver 1791-1792)

Assemblée législative. Suite de la séance du jeudi 24 novembre 1791. M. Brissot (remarquons l'admirable parcours de la "patate chaude", alors que, comme par hasard, l'assignat de 10 sous peut être utilisé à payer le salaire quotidien moyen d'un manouvrier parisien : de vingt à trente sous) :
« Mais permettez-moi de courtes réflexions sur une autre mesure très pressante que vous a proposée M. Clavière . Il vous a proposé d’émettre des assignats de 10 sous . Il faut regretter profondément que l’Assemblée constituante n’ait pas adopté cette mesure dès les premiers moments ; elle aurait complété le système monétaire, elle aurait prévenu les convulsions et les angoisses où nous a jetés le passage subit de l’ancien numéraire au nouveau . »

«  Ces petits billets sont vraiment les papiers du peuple . Il n’a ni le loisir ni les connaissances nécessaires pour se connaître à la multitude des bigarrures des papiers de confiance. Il faut pour le peuple une monnaie simple, modique et à l’abri des contrefaçons ; car l’art perfide des contrefacteurs, qui exige le concours de plusieurs mains habiles et exercées, ne s’applique pas à des papiers de petite valeur . »

«  Le peuple français est bon et confiant . »

« Comme ce peuple est digne d’être libre ! Car cette droiture d’intention qui repousse jusqu’au soupçon , est l’âme de la liberté . Comme avec cette confiance on peut se passer du numéraire métallique , que le concours de plusieurs circonstances tendra encore pendant quelque temps à éloigner. Exploitons cette mine impérissable . »

Je reviendrai dès que possible sur la question de la guerre recherchée dans ce contexte du petit assignat... Mais, décidément, monsieur Soboul s'est fichu de nous, camarades !


Edité le 01-12-2013 à 18:09:03 par Michel J. Cuny


Philosophia
   Posté le 18-11-2013 à 22:53:18   

Albert Soboul a écrit que " la guerre fut voulue par les brissotins pour des raisons de politique intérieure et de politique extérieure. Sur le plan intérieur, les brissotins entendaient obliger , par la guerre, les traîtres et Louis XVI à se démasquer ", ainsi que " les préoccupations économiques n'étaient pas moins nettes. La bourgeoisie d'affaires et les politiques à son service désiraient en finir avec la contre-révolution , particulièrement pour rétablir le crédit de l'assignat nécessaire à la bonne marche des entreprises ".

Il me semble que ce n'est pas tout à fait exact ...

Voici un extrait d'une lettre que Robespierre a adressé à Vergniaud, Gensonné, Brissot et Guadet dans son journal " Lettres à ses commettans " aux alentours du 5 janvier 1793 :

" On sait que toute votre ambition était de régner sous le nom de Louis, en devenant ses ministres . Vous êtes véhémentement soupçonnés de préférer les vices de la monarchie aux moeurs de la république . Vous vouliez servir le tyran , vous vouliez raffermir le trône chancelant, à condition que la cour rendrait le ministère et la manufacture des assignats à vos amis . Vous proposiez de cimenter la royauté, en nommant un gouverneur ou prince royal . Trois jours après le 10 août, vous osâtes exécuter ce projet liberticide, vous osâtes consacrer l’hérédité du despotisme, en décrétant la nomination de ce gouverneur ."

Par la suite, il y aurait cette fameuse affaire de l' appel au peuple sur le jugement de Louis XVI, appel demandé précisément par les Girondins...

C'est à présent François Paul Nicolas Anthoine, député de la Moselle, qui s'exprime (dans les " Lettres à ses commettans " de Robespierre) :

"[les chefs de la faction des Girondins] ont inventé [l’appel au peuple] tout exprès pour sauver Louis , et allumer la guerre civile […]. C’est cette faction qui, d’accord avec les banquiers , les marchands , […] les académiciens et les rois , retarde, sous des prétextes frivoles, le travail de la constitution, jusqu’au moment où les ennemis, entrant en France, influenceront les délibérations, de concert avec les factieux. […] C’est cette faction qui a toujours le respect des lois à la bouche, et qui les viole journellement avec effronterie, et qui les fait violer par les corps administratifs qu’elle a achetés." […] C’est cette faction qui ose accuser une minorité qu’elle opprime, d’exercer le despotisme, tandis que les chefs de la cabale règnent au conseil exécutif et dans l’assemblée , remplissant les comités, disposant de tout le pouvoir , de tout l’argent , de toutes les places , et exercent, avec insolence, un odieux décemvirat […]


Ce qui montre bien à quel point les financiers sont prêts à prendre appui sur les régimes les plus despotiques qui soient, dès l'instant qu'ils sont en mesure de servir leurs propres intérêts.
Michel J. Cuny
   Posté le 22-11-2013 à 12:08:50   

Faut-il croire qu' Albert Soboul ne savait pas lire ? Non, évidemment. Il est même fort probable qu'il savait très bien lire. La question subséquente est alors celle-ci : en quoi consiste la fonction d'un universitaire, dans cette France qui continue les traditions idéologiques de la Troisième République ?

En matière d'enseignement de l'Histoire de la Révolution, il s'agit d'étouffer le cœur de celle-ci : la parole de Robespierre . Pour cela, ne jamais hésiter non plus à maltraiter sa personne, si possible.

Pour pouvoir taire la parole de Robespierre , il est primordial de masquer les propos de tous ceux à qui il s'est affronté. C'est ainsi qu'on peut en faire un personnage plus ou moins délirant... Probablement tout à fait paranoïaque, qui ne s'en prenait qu'à ses propres lubies.

C'est ainsi que la Révolution nous est présentée à travers tout un bric-à-brac qui est devenu essentiel au lendemain de la Commune de Paris. Sur ce point, je ne peux que renvoyer à :
http://feusouslacendre.canalblog.com

Il est tout de même extravagant que ceux et celles qui ont entendu parler des outils d'analyse mis au point par Karl Marx ne soient pas encore allé(e)s faire un tour du côté de tous ces documents qui devraient nous permettre désormais de nous hisser à la hauteur de l'Histoire réelle de notre grand peuple.


Edité le 26-11-2013 à 10:55:53 par Michel J. Cuny


Philosophia
   Posté le 26-11-2013 à 00:07:10   

Lorsque l’on regarde de près ce qu’a été l’Histoire du peuple français depuis cet événement sans précédent que fut la Révolution française, force est de constater que l’intérêt des possédants qui est d’asseoir leur pouvoir sur la société toute entière et de le maintenir coûte que coûte, n’a cessé d’être étroitement lié aux moyens propres à fixer l’attention des non-propriétaires , c’est-à-dire de la majorité, sur certains événements et/ou personnages, afin que soient occultés les contextes économique, social et politique dans lesquels ils sont apparus, autrement dit, afin que soient méconnues les forces qui ont présidé aux uns, et qui ont porté, voire propulsé, les autres au pouvoir.

Car il s’agit très précisément de rendre impossible toute mise au jour des ressorts de l’aliénation qui n’en finit pas d’enserrer nos vies.

On peut dire que l’enseignement constitue, à cet égard, un formidable instrument de domination, qu’ il n’est même pas imaginable de contester un tant soit peu ... De nos jours encore, n’avons-nous pas la preuve stupéfiante de ce prodige, lorsque l'on voit les agents zélés de la grande Education nationale - et de la prestigieuse Ecole Nationale d’Administration – faire la promotion béate d’un certain monsieur de Voltaire , grand philosophe épris de "liberté" ... qui faisait aussi profession de négrier et de fauteur de guerres (activités comme on le sait des plus lucratives) et dont les très hautes valeurs morales se résumaient en ceci : " un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne " ... On peut dire que vraiment ce n’est pas la honte qui les étouffe.

Mais pour en revenir au dénommé Ferdinand Buisson, qui fut à l’époque de la IIIème République l’un des promoteurs des lois sur l’enseignement gratuit, notons qu’il avait publié en 1883 un Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire " destiné à servir de guide théorique et pratique à tous ceux qui s’occupent d’enseignement primaire ".

L'enseignement primaire a la caractéristique de s’adresser très directement aux enfants du peuple, c’est-à-dire à ceux qui représentent l'avenir de ce " grand nombre " qui, souvenons-nous, " nourrit le petit nombre ", et qu’il est par conséquent nécessaire, voire vital, de former très tôt aux "bonnes idées" et du même coup, aux "bonnes manières" et aux bonnes pratiques ... Pour atteindre ce but, le Dictionnaire préconisait le recours à " l’imagerie populaire ". Jadis utilisée par l’enseignement religieux, elle serait dès lors cuisinée et servie à la sauce patriotique car " le culte des grands hommes est fécondant " ... On voit ce que ça peut donner par rapport à quelqu’un comme Voltaire.

En fait de patriotisme , notons bien que les possédants - c’est-à-dire, " les honnêtes gens " selon un certain La Fayette - n’hésitent pas à jeter aux clous ce qu’ils croient devoir inculquer au petit peuple pour son "édification", à partir du moment où ils ont besoin de bras armés pour l’écrabouiller dès qu’il ose se rebiffer. N’empêche que Jules Ferry , il l’a quand même appliquée sa fameuse " religion de la patrie " : savez-vous que dans les écoles primaires, on faisait faire des exercices militaires à des gamins de 8-9 ans, qu'on avait armé de fusils en bois, formé en bataillons scolaires et dressé à l’idée d’une revanche sur la défaite de 1870 ...

Il ne plaisantait donc pas, Jules Ferry... Jules Ferry, le grand "républicain" ; Jules Ferry, le père de l’école gratuite, obligatoire et laïque !, objet lui-aussi de toute la vénération qui, dans ce pays, sied aux personnages les plus détestables qui soient ... Car c’est bien lui qui lors des débats parlementaires, le 28 juillet 1885, s’exclamait à propos de l’intérêt des conquêtes coloniales : " Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures [...]. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce-qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures " ...

A ce propos, et pour bien comprendre l’état d’esprit des riches face à ce qui s’était passé au moment de la Commune, voici ce qu’ Ernest Renan , le grand ami de Jules Ferry, écrivait en 1871 - soit peu de temps après les événements - dans son livre "La réforme intellectuelle et morale" : " Un pays qui ne colonise pas est infailliblement voué au socialisme "...

Voilà le genre de poison qui continue à nous être inoculé sans que nous bougions le petit doigt, mais jusqu’à quand encore ??...


Edité le 26-11-2013 à 20:23:50 par Philosophia


Michel J. Cuny
   Posté le 01-12-2013 à 20:57:53   

J'en étais donc resté à cette formule utilisée par Brissot dans le discours qu'il avait fait à l'Assemblée législative lors de la séance du 24 novembre 1791, à propos de la crédulité populaire : " Exploitons cette mine impérissable ", et pour appuyer sa volonté de voir fabriquer des assignats de 10 sous..., alors que les assignats d'un montant plus élevé étaient déjà devenus une monnaie fondante...

Son intervention s'achevait ainsi : " Je laisse à des mains plus habiles à tracer des détails d’exécution ."

Parmi les "habiles", voici Colon qui aborde, le 12 décembre 1791, les effets pervers de l'absence de petits assignats :
" Toutes les fois que la monnaie n’est pas divisée en petites valeurs, l’agriculture languit, car ce sont les petites ventes qui font son produit ; sans ces petites valeurs, le peuple est forcé de payer les denrées plus cher, ou de se livrer à un crédit usuraire ; et comme les vendeurs sont beaucoup moins nombreux que les acheteurs, c’est toujours la masse du peuple qui y perd. "

A l'entendre, l'absence de petits assignats freinerait les ventes de l'agriculture. Mais il est contradictoire d'imaginer que, dans ce cas, les prix ne pourraient que monter. C'est plutôt le contraire qui se produira : les vendeurs se trouveront en surnombre relatif... les prix baisseront.

Le second argument est bien meilleur :
" Le propriétaire calcule de même les améliorations de ses terres ; la culture à bras est la plus productive ; mais comme il faut des petits assignats pour les journaliers, on est forcé de l’abandonner. "

Tant qu'il n'existe pas de petits assignats, le propriétaire ne peut payer ses journaliers (salaire quotidien de 10 à 20 sous selon les régions) qu'en se procurant des espèces, c'est-à-dire de la monnaie métalique, devant laquelle l'assignat perd de sa valeur. Pour acquitter un même montant de plusieurs salaires en espèces, on doit faire une dépense supplémentaire en assignats de taille moyenne.

Dans ce cas, c'est donc la propriété qui paie le prix de la baisse de l'assignat... La fabrication des petits assignats décalera la charge vers... les journaliers qui, recevant ceux-ci, retrouveront les prix agricoles rehaussés de la valeur perdue par le petit assignat lui-même.

Or, au-delà des propriétaires, il y a l'Etat qui doit, lui aussi, se fournir en espèces sonnantes et trébuchantes, tant que l'assignat n'irrigue pas l'ensemble de la population pauvre pour faire remonter la richesse vers les sommets.

Que l'assignat soit fabriqué en petites coupures et, comme le constate Colon :
" Le gouvernement ne sera plus obligé d’acheter à grands frais des espèces. L’État ne dépendra plus de la bourse d’un banquier ou d’un agioteur. "
" Plus ", c'est peut-être beaucoup dire... Il en dépendra moins jusqu'à la prochaine baisse généralisée de la valeur de l'assignat... baisse qui ne trouvera sa véritable solution que dans le déclenchement d'une guerre qui visera - entre autres choses - à exporter le "système" de l'assignat.

Le tout n'est plus désormais qu'une question de calendrier : c'est ce sur quoi Louis XVI va s'efforcer de jouer... pour essayer de faire valoir ses intérêts propres.


Edité le 01-12-2013 à 20:59:46 par Michel J. Cuny


Philosophia
   Posté le 08-12-2013 à 19:09:10   

A propos de la crédulité populaire, le Girondin Brissot avait donc déclaré : " Exploitons cette mine impérissable "... Sans doute croyons-nous encore que les membres du Tiers-Etat , souvent représentés vêtus d'habits sombres dépourvus de toute ostentation, appartenaient à ce peuple composé dans sa grande majorité de petites gens. Il est vrai qu’ils disaient agir au nom du tiers état c’est-à-dire au nom des 95 % de la population du royaume, autrement dit, de la nation. Pour bien se rendre compte à quel point il ne s’agit, pour le moins, que d’une plaisanterie, il suffit de s'en remettre aux études historiques basées sur les documents d'époque.

Lorsque l'on examine la composition du Tiers Etat d'après celle du cortège qui le représentait, on constate que sur 600 députés environ, il y avait : 226 avocats, 87 juges, 32 procureurs, 10 notaires, 72 propriétaires terriens, 57 négociants, 116 professions libérales diverses (médecins, receveurs, commissaires à terriers, etc...), 6 "laboureurs", 4 petits boutiquiers (2 libraires, 1 orfèvre, 1 imprimeur) et 3 curés, dont l'illustre abbé Siéyès ...

A propos de ce Tiers-Etat composé non pas de petites gens, mais du gratin de la bourgeoisie montante, l'ambitieux Siéyès avait écrit :

"Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? - Tout.-
"Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique ? - Rien. -
"Que demande-t-il ? - A y devenir quelque chose.-

Quelques années plus tard, le 18 brumaire, le prévoyant Siéyès saurait donner à la France (des possédants), en la personne d'un certain Bonaparte, ce sabre capable d’assurer la pleine réussite d'un coup d'Etat du même nom qui consacrerait le triomphe des financiers, à travers la création de la Banque de France .

Ainsi, force est de constater que le Tiers Etat n'a fondamentalement rien à voir avec un mouvement d'émancipation populaire : on verra qu'après que les puissances d’argent (qui étaient majoritaires en son sein) se furent insurgées contre les privilèges et eurent brisé le carcan de l'ordre ancien, leur première préoccupation fut - après s'être servi du peuple (14 juillet 1789) - de le contraindre par les armes à se tenir tranquille. Soyons certains que cela n'a jamais causé le moindre état d'âme à monsieur de La Fayette, chef des gardes nationales, à qui était accordé l'honneur suprême de servir la grande cause de ceux-là mêmes qu'il se plaisait à nommer les " honnêtes gens " ...

Pour ces gens-là, la voie était dès lors totalement libre pour parfaire et développer cette entreprise grandiose de spoliation des finances publiques (déjà ourdie en son temps par les bien-intentionnés Girondins) par l''intermédiaire de laquelle se constitueraient des fortunes colossables qui, transmises de génération en génération, permettraient à de véritables dynasties financières d'asservir économiquement et politiquement la nation toute entière, tout en continuant à revendiquer un héritage républicain !

Quelle fumisterie ...

Sait-on bien que parmi les députés du Tiers aux Etats Généraux, il y avait deux fils et deux gendres d’un certain Claude Périer , riche industriel-négociant et banquier. Acquéreur de biens nationaux dans les mines d’Anzin, il détenait dans celles-ci l’une des plus importantes participations.

En outre, pour compléter ses activités dans le domaine de la canne à sucre, le même Claude Périer avait acheté, en 1784, l’habitation de la Limonade dans l’île de Saint-Domingue pour la somme de 1 200 000 livres : c’était la plus célèbre de la colonie pour ses riches produits, comprenant 81 hectares en cultures de cannes et utilisant 250 esclaves noirs.

Dévoué corps et âme à la cause de la grande bourgeoisie, Claude Périer participera au financement du coup d'Etat du 18 brumaire, ainsi qu'à la rédaction des statuts de la Banque de France dont il sera, c'est bien normal, le premier régent.

Bien entendu, cela n'était encore que le début d'une longue série, puisque Casimir, l'un des fils de ce brave homme, banquier lui-aussi, occupera à son tour le poste de régent ... Il sera par ailleurs président du Conseil et ministre de l’Intérieur du "roi-bourgeois" Louis-Philippe. A ce titre, il lui reviendra de réprimer la première révolte des Canuts à Lyon en 1831 … Il déclarerait alors à la Chambre des Députés : " Il faut que les ouvriers sachent qu'il n'y a de remède pour eux que la patience et la résignation ".

Et puis, il y aura Joseph Périer, autre fils de Claude Périer et banquier comme il se doit : lui aussi assurera la régence de la prestigieuse Banque.

Cependant que la cerise - et quelle cerise ! - sera déposée sur le gâteau du Capital par Jean-Casimir Périer, petit fils de Casimir et arrière-petit fils de Claude, lorsqu'il sera promu - grâce au suffrage universel - à la fonction suprême de président de la République française !...

Peut-être la mise en lumière des non-dits et des mensonges qui caractérisent l'Histoire officielle, pourra-t-elle enfin susciter ne serait-ce qu'un début de compréhension de ce qu'a pu être, dans des conditions historiques particulièrement dramatiques, l'engagement d'un certain Robespierre, et lui rendre enfin justice.
A dire vrai, il n'est que trop temps.


Edité le 09-12-2013 à 21:39:25 par Philosophia


Michel J. Cuny
   Posté le 17-12-2013 à 17:42:25   

Reprenons ce passage du discours prononcé par Brissot le 24 novembre 1791 (je souligne) :
" Quelle leçon pour nos prédécesseurs ! Comme ce peuple est digne d’être libre ! Car cette droiture d’intention qui repousse jusqu’au soupçon, est l’âme de la liberté. Comme avec cette confiance on peut se passer du numéraire métallique , que le concours de plusieurs circonstances tendra encore pendant quelque temps à éloigner ."

L'assignat avait d'abord été proposé à de très bonnes conditions de rémunération, de façon à faire revenir le numéraire métallique à sa place, dans les caisses de l'Etat. Il permettait de toucher des intérêts et il pourrait être utilisé dans les enchères à l'occasion desquelles les biens ecclésiastiques seraient vendus à bon compte.

Les premiers créanciers de l'Etat avaient ainsi été rémunérés en assignats solides, les financiers en avaient acquis en quantité importante. Puis, peu à peu, le gros assignat s'était mis à perdre de sa valeur.

Il deviendrait bientôt urgent de transférer la charge de sa dégradation sur des assignats plus petits, aptes à circuler dans des milieux moins riches, et pour finir, jusque dans les couches populaires qu'on pourrait rémunérer dans cette monnaie de papier plutôt qu'en numéraire métallique, désormais bien plus onéreux.

La crédulité du pauvre aiderait à freiner le mouvement de dégradation des petits assignats, et, par contrecoup, la dégradation des plus gros. Mais, un peu plus tard, ce serait le début d'une chute obligatoirement retentissante s'il n'était pas alors possible de lui opposer un nouveau barrage.

Voilà à quoi devait servir la prochaine guerre...

Et Brissot , qui n'est pas né de la dernière pluie, sait très bien que, quoi qu'il en dise, le temps presse... Il n'est pas le seul. Voici Isnard qui intervient le 29 novembre 1791 - cinq jours plus tard :
" Il faut faire cesser l’état d’indécision où nous sommes, les dépenses énormes qui nous écrasent, le discrédit qui mine la France, et tout ce qui afflige les citoyens ."

Et s'il ne tenait qu'à lui et à ses amis Girondins - c'est-à-dire à ceux qui savent exalter un patriotisme de parade pour faire aller les grandes affaires financières (l'or que l'on n'a plus, mais qu'il s'agit d'aller cueillir sous l'imposition de l'assignat aux princes environnants) et s'enrichir au rythme du sang versé par les petits...

" Ah ! du haut de cette tribune, nous électriserions tous les Français. Tous, versant d’une main leur or, et tenant le fer de l’autre, combattraient cette race orgueilleuse, et la forceraient d’endurer le supplice de l’égalité ."

Et voici qu'immédiatement après lui se précipite à la tribune le représentant du comité des assignats et monnaie qui déclare :
" Votre comité m’a chargé de vous rendre compte des mesures qu’il a prises, pour assurer dans les départements, la distribution des 100 millions de petits assignats que vous avez décrétés le premier novembre. Immédiatement après votre décret, votre comité s’est occupé de hâter la fabrication du papier destiné aux assignats de cent sous ."

Mais cent sous, c'est encore beaucoup pour des salaires quotidiens de 20 à 30 sous versés au jour le jour... Brissot nous l'a dit : la vraie crédulité réside un tout peu au-dessous... C'est là qu'il faudra donc aller la cueillir.
Philosophia
   Posté le 24-12-2013 à 16:04:48   

Dans son ouvrage " La vie chère et le mouvement social sous la Terreur ", Albert Mathiez note :

" Les économistes de l'école de Turgot [...] sont convaincus qu'il existe des lois naturelles de la circulation et de la distribution des richesses, et ils enseignent que le rôle de l'Etat doit être de respecter ces lois naturelles en intervenant le moins possible. [...] Ils nient qu'il y ait une opposition entre les intérêts des producteurs et ceux des consommateurs. La hausse [du prix] des denrées, d'après eux, doit fatalement entraîner une hausse des salaires. Cette double hausse simultanée accroîtra la production et, par conséquent, la richesse. Elle facilitera, en dernier résultat, la subsistance des pauvres qui, gagnant davantage, trouveront plus de facilités à s'alimenter ."

" Ce libéralisme économique, qui s'harmonisait si bien avec le libéralisme politique, mis à la mode par la philosophie du siècle, eut un très rapide succès dans l'élite de la société " ; en effet, " les classes possédantes qui détenaient la terre et pratiquaient le commerce et l'industrie, détestaient la réglementation qui limitait leurs bénéfices et gênait leurs spéculations ." Voilà pourquoi " elles comprenaient parfaitement que la liberté commerciale multiplierait leur puissance ."

La mise en pratique de cette prometteuse liberté du commerce devait cependant produire des calamités sociales, au lieu des " vertus sociales " tant attendues, le précepte du " laisser faire, laisser passer " s’appliquant précisément aux modalités d'utilisation et de circulation du Capital selon les objectifs de ses détenteurs, c'est-à-dire en fonction des profits qu'ils peuvent espérer en retirer.

Or, le taux de profit capitaliste se réglant sur le coût du travail, c'est-à-dire, sur le niveau des salaires, ceux-ci ne peuvent, dans ce cadre, être maintenus qu'à un niveau le plus bas possible, celui de la survie de l’ouvrier(e) dont l'existence est dès lors entièrement vouée à la reproduction de sa force de travail ...

Dans les années précédant la Révolution, la condition des classes pauvres ne s’était donc pas améliorée, bien au contraire. Albert Mathiez précise que " la hausse du prix des denrées avait été continue et rapide, mais la hausse des salaires n'avait pas suivi du même pas ". A la fin de l'année 1788, Robespierre, alors candidat aux Etats Généraux, faisait pour sa part ce constat édifiant :

" La plus grande partie de nos concitoyens est réduite par l’indigence à ce suprême degré d’abaissement où l’Homme, uniquement occupé de survivre , est incapable de réfléchir aux causes de sa misère et aux droits que la nature lui a donnés ."

Après le 14 juillet 1789, jour mémorable où, dans son coup de force décisif contre l'absolutisme, elle avait courageusement armé le petit peuple affamé pour qu'il aille se faire tuer à sa place - on dénombra 97 morts -, la bourgeoisie, notamment en Champagne et en Flandre, s'était emparée du pouvoir pour faire cesser les troubles populaires occasionnés par la famine ; elle avait formé un comité permanent et une garde nationale, d'où elle avait exclu tous les compagnons et ouvriers, sous prétexte que " leur temps était extrêmement précieux par la nécessité où ils étaient de l'employer pour vivre " ...

Qu'est-ce que c'est que vivre ? Il faut bien reconnaître que cette question reste pour nous, gens du XXIème siècle, douloureusement ouverte : l'existence de la majorité de nos concitoyen(ne)s doit-elle donc se réduire à la reproduction de la force de travail nécessaire à l'accumulation capitaliste que l'on prétend être à la source de toutes les richesses d'une nation, et dont la logique intrinsèque, pétrie de contradictions, reste, en dépit de tous les aménagements et de toutes les réformes possibles et imaginables, fondée sur l'exploitation de l'homme par l'homme ?
Michel J. Cuny
   Posté le 02-01-2014 à 19:04:21   

Or, précisément, il s'agissait pour les Girondins de faire passer cette exploitation sous le contrôle de la valeur d'échange, et dans la dynamique spécifique que celle-ci est susceptible de fournir. Or, s'agissant d'un tel contexte, l'assignat était une petite merveille. Mais c'était également une bombe.

Une bombe qui se traduirait par des guerres napoléoniennes fondatrices de la puissance économique, politique, financière et idéologique de la bourgeoisie française. En effet, les dynasties qui sont nées de, ou qui se sont baignées dans, le sang des combats menés par l'Empereur, - dont celles qui se conjoignent à travers la personne d'un Ernest-Antoine Seillière - sont toujours présentes aujourd'hui, et n'attendent que de repartir dans de semblables flamboyances.

C'est d'ailleurs ici que la non-ratification du traité constitutionnel européen de 2005 pèse de tout son poids. Il suffit de regarder de près le schéma institutionnel qu'il développait pour constater que tout devait se trouver rassembler sous la domination de l'appareil militaro-industriel : voilà ce qui a été brisé... au moins momentanément. L'une des conséquences s'en voit aujourd'hui dans les aléas qui frappent de plein fouet EADS...

Mais revenons aux Girondins et au député Merlin qui s'exprime ainsi, le 13 décembre 1791, devant l'Assemblée législative :
" Nés avec la constitution, les assignats ont sauvé l’Empire ; ils ont comblé l’abîme creusé sous nos pas par un gouvernement immoral et déprédateur ."

Effectivement, le pouvoir exécutif était encore entièrement dans les mains du monarque et de la Cour - il l'était resté même après la fuite à Varennes (20-21 juin 1791) et y serait encore jusqu'au prononcé de la condamnation à mort de Louis XVI suivie d'une exécution quasi-immédiate (21 janvier 1793). En attendant, on ne pouvait atteindre la propriété féodale que par cette gentille machine infernale : l'assignat.

Constatons, avec Merlin , qu'elle marche très bien... En effet, les petits assignats...
" sont nécessaires, puisque les assignats même de 5 livres sont tellement incommodes, que, dans mon département, à Metz, par exemple, ils perdent quatorze pour cent ; ce qui produit une surhausse des denrées de première nécessité ; ce qui forcerait peut-être le peuple à une nouvelle insurrection ."

Il faut alors passer à l'étape suivante, que voici :
" Je vous propose donc de décréter la fabrication de cent millions en assignats de cinquante sous, cent millions en assignats de vingt-cinq sous, et cent millions en assignats de dix sous ."

Un assignat de dix sous... En en glissant deux ou trois par jour à chaque manouvrier en activité, on ne devrait pas limiter la casse à quatorze pour cent. Puisque, quand le capital se penche sur le travail, ce ne peut vraiment pas être que pour quelques broutilles.
Philosophia
   Posté le 12-01-2014 à 18:50:04   

Dans un discours prononcé en février 1790 devant l’Assemblée, le député du Tiers Etat Jérôme Petion déclarait à propos des assignats en petites coupures , qu’ " il doit en être de la monnaie fictive comme de la monnaie réelle, il faut la subdiviser, si on veut qu’elle soit commode et utile ."

La même année, c'est le banquier suisse Etienne Clavière qui serait à l'origine de la création des assignats. Exilé en France à la suite de la "Révolution de Genève" (1782) à laquelle il avait pris une part active, cet homme avait accumulé une fortune considérable, notamment en participant à de brillantes spéculations boursières où l'on avait vu la Compagnie des Indes , dont il était actionnaire, occuper une place centrale.

Notons qu’en 1722, le chantre fortuné de l’économie libérale et du libre échange, le dénommé Voltaire, possédait lui-même trois actions dans la puissante compagnie : maîtrisant la quasi totalité du grand commerce international de la France, et notamment l’intégralité de celui effectué avec l’Afrique, celle-ci était détentrice des droits régaliens régissant la majeure partie des échanges atlantiques, et tout particulièrement, la très lucrative traite négrière.

Or, pour en revenir à la question des assignats, lorsqu'au moment où il manque le numéraire nécessaire aux petites transactions, c’est-à-dire au paiement des salaires ou au commerce de détail, le sieur Clavière, qui est un hommes d'affaires, propose " la création de coupons d’assignats de 10 sous, c’est-à-dire la création d’une monnaie de papier commode au peuple ", n'a-t-il pas une petite idée derrière la tête ?

Dans son " Histoire socialiste de la Révolution française ", Jaurès note que " le besoin d’une toute petite monnaie était si grand que l’institution des billets de confiance se développa prodigieusement ". Voilà par exemple qu'en mai 1790, à Bordeaux, des industriels et des commerçants forment, pour payer leurs ouvriers, une société en vue d’émettre des billets de faible valeur cautionnés par une réserve d'assignats de valeur correspondante permettant l'échange. Leur exemple est immédiatement suivi à Marseille, Lyon et Montpellier.

A Nîmes, c'est encore une société de négociants et fabricants (soierie) qui en septembre 1790 ouvre un bureau d'échange ; son exemple est imité en novembre à Saint Hippolyte et à Sauve, puis à Uzès en décembre ; au cours de l'année suivante, une société regroupant fabricants et marchands de bas procède de la même façon à Saint Jean du Gard en mai, à Bagnols en juin, à Valleraugue et Saint Laurent le Minier en juillet, à Grand Gallargues et à Sommières en août. Même des négociants isolés se lancent dans l'émission d'assignats de 10 sous, de 5 sous, de 2,5 sous, et même de 1 sou !...

Votée par l’Assemblée constituante dominée par des Voltairiens, c’est-à-dire les gros propriétaires et bourgeois riches qui avaient tout naturellement consacré le droit de propriété, la loi du 19 mai 1791 régularisa les émissions des billets de confiance réalisées à l'initiative de ces établissements privés, lesquels furent par ailleurs placés sous la protection des corps administratifs et des municipalités.

De plus, l'Assemblée bourgeoise exempta des droits de timbre les billets de 10 livres jusqu’à ceux de 25 livres compris, et elle n’imposa aux établissements émetteurs qu’une seule obligation, celle de faire une déclaration au greffe de la municipalité et déposer un cautionnement en assignats. Cependant, comme l’observe Albert Mathiez " la loi restait dans le vague sur la quotité de ce cautionnement par rapport au chiffre des émissions " et elle " ne prescrivait aucune mesure de contrôle ".

De ce "laisser faire", les conséquences n'avaient pas tardé à se manifester puisque, comme le souligne Mathiez, " l'émission des billets de confiance, doublant celle des assignats, augmentait dans des proportions énormes la masse du papier en circulation et facilitait l'agiotage ". Jaurès précise pour sa part que " les assignats de 5 livres s’échangeaient à perte contre ces billets de confiance : l'ouvrier qui ayant un billet de 5 livres était obligé "de faire de la monnaie", ne recevait en tout petits billets de confiance que 4 livres et demie ."

Ces billets émis à usage interne par les industriels pour payer leurs ouvriers, par les propriétaires fonciers pour payer les journaliers, et sans reconnaissance officielle, rencontraient finalement la même défiance que les assignats, et pour cause : un certain Caminet, cité par Jaurès, déclarait le 16 décembre 1791 : " les petits assignats, n'ont jusqu'ici servi qu'aux riches, ils sont devenus entre leurs mains un moyen de diminuer le salaire du pauvre et de faire perdre aux ouvriers un dixième de leur semaine pour l'échange ."

Comme l'écrit Jaurès, il s'avérait donc que " la monnaie de la Révolution qui, par le gage de l'assignat, avait la solidité de la terre , [devenait] maintenant, par le billet de confiance, une monnaie fluctuante, livrée à tous les courants de la spéculation ."

Cela n'avait pas échappé à un certain Saint-Just ...


Edité le 13-01-2014 à 20:54:21 par Philosophia


Michel J. Cuny
   Posté le 19-01-2014 à 18:20:35   

Lors de sa séance du vendredi 23 décembre 1791, l'Assemblée législative décrète " qu’il y aura des assignats de 50 sous " avant de décréter également " qu’il y aura des assignats de 10, de 15 et de 25 sous ."
Pour que tout cela - et le reste du montage des assignats de différentes valeurs - ne parte pas très vite en fumée, il faut s'empresser d'entrer en guerre. Dans les jours qui suivent, revoici nos Girondins tout feu tout flamme...


C'est d'abord Jean-Baptiste Louvet qui se présente comme orateur d'une députation porteuse de la pétition signée individuellement par un grand nombre de citoyens de la section parisienne des Lombards :

" Nous vous demanderons un fléau terrible, mais indispensable. Nous vous demanderons la guerre. La guerre ! et qu’à l’instant la France se lève en armes. Se pourrait-il que la coalition des tyrans fût complétée ? Ah ! tant mieux pour l’univers ! Qu’aussitôt, prompts comme l’éclair, des milliers de nos citoyens soldats se précipitent sur les nombreux domaines de la féodalité ! Qu’ils ne s’arrêtent qu’où finira la servitude ."

Et où commence la liberté de faire ses petites affaires pour son propre compte...

Le vendredi 30 décembre 1791, vient le tour de Brissot :

" Il est donc enfin arrivé le moment où la France doit déployer aux yeux de l’Europe le caractère d’une nation libre, qui veut défendre et maintenir la liberté ."

La liberté, pour les uns, de vendre eux-mêmes leurs services à autrui. La liberté pour les autres de les acquérir... Dichotomie que nous retrouvons ici directement affirmée :

" C’est de l’or, c’est du sang des Français que vous allez disposer ."

Et Brissot d'affirmer la prééminence des entrepreneurs de la guerre de conquête bien certains de pouvoir mobiliser tout un peuple :

" Que nous importe à nous la politique des cours, à nous qui voulons être libres, à nous qui ne voulons que défendre notre liberté, à nous qui en avons les moyens ? La France veut la paix, elle ne craint point la guerre, elle ne cherche point de nouveaux alliés ; elle a vingt-cinq millions de bras libres au soutien de sa cause, elle n’a pas besoin des autres ."

Et tout cela alors qu'il n'ignore pas ce que, justement, il n'hésite pas à réaffirmer :

" « La nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. » Tel est le texte de la constitution. Tel est le vœu sacré par lequel nous avons lié notre bonheur au bonheur de tous les peuples, et nous y serons fidèles. "

Certes, mais qu'est-ce donc qu'un peuple ? Faut-il y compter les maîtres que lui ont imposés des siècles de féodalité ? Faut-il consentir à penser que, sous ces maîtres-là , un peuple pourrait être réputé libre ?

Décidément, ces messieurs avaient pensé à tout, et dès longtemps !...
Philosophia
   Posté le 01-02-2014 à 21:20:28   

Dans son " Histoire socialiste de la Révolution française ", Jaurès constate que, " par ces petites coupures des assignats, répondant à toutes les ramifications des échanges, la Révolution [et à travers elle, la bourgeoisie] entrait enfin dans tout le réseau de la circulation et de la vie économique, dans les veinules et les artérioles et dans tout le système capillaire. C’était la prise de possession entière, profonde, de la vie sociale, par le signe révolutionnaire, par l’assignat ."

D’où cet ardent plaidoyer du député Jérôme Pétion en faveur de l'assignat et, tout particulièrement, de ses petits frères, appelés à résoudre un problème absolument crucial pour une bourgeoisie soucieuse de la bonne marche de ses petites, comme de ses grandes affaires.

En février 1790 déjà, Jérôme Pétion rappelait devant l’Assemblée constituante que, " s'il est un vice qui se fait vivement sentir dans les assignats mis en émission jusqu'à ce jour, c'est qu'ils présentent des sommes trop considérables, et qu'ils ne se prêtent pas dès lors à une facile et fréquente circulation . Ils deviennent nuls pour les besoins journaliers de la vie et pour tous les objets de détail ; ils deviennent nuls pour toutes les opérations partielles du commerce. Il deviennent tantôt une raison, tantôt un prétexte pour arrêter le cours des affaires ."

Les dites affaires ne pouvant bien sûr prospérer que sur le dos et avec le sang de celles et ceux qui produisent la richesse, ce que notre cher Pétion sait peut-être puisqu’à l’argument susceptible de lui être opposé selon lequel " ce sera l'homme pauvre, l'ouvrier, qui éprouvera de l'embarras des assignats à petite somme, parce qu'on le paiera avec cette monnaie ", il répond que bien au contraire, " sans ces assignats, le pauvre serait au comble du malheur, parce que la circulation étant arrêtée, il ne trouverait pas à s'occuper " ou, plus exactement, " le commerce, les manufactures, tous les arts étant dans un état de stagnation ", " l’homme pauvre, l’ouvrier " " n'aurait aucun débouché pour gagner sa vie ". C’est-à-dire, une vie de misère ?

Bien sûr que oui, puisqu’au pays de cocagne bourgeois, la misère du plus grand nombre est la seule et unique condition de la richesse d’un petit nombre. Mais, pour ce qui le concerne, Jérôme Pétion doit savoir de quoi il retourne, en termes de lutte de classes, lorsqu’il s’adresse à ses collègues-membres de la Constituante, tous ces bourgeois par ailleurs sympathisants du très admiré Voltaire : celui-là même qui – il ne faut pas cesser de le répéter à une France qui s’obstine à ne rien entendre – déclarait à la face du monde :

" Un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne ."

Il a, en tout cas, sa petite idée Pétion, et c'est en fait une grande idée : émettre des assignats en petites coupures et en grandes quantités de façon à ce qu’ils se prêtent enfin ! " à une facile et fréquente circulation ", et entraînent ainsi une reprise des affaires.

Faire des affaires, voilà encore et toujours ce dont il s’agit au delà d’un prétendu souci du bien général, comme des conditions d’existence d’un peuple où " l’homme pauvre, l’ouvrier " continue de constituer la majorité. Considérant les juteuses perspectives que laisse entrevoir ce que Jaurès appelle une " prise de possession entière, profonde, de la vie sociale " rendue possible par la mise en circulation d’un grand nombre de signes fictifs , Pétion assure que " plus les espèces sont abondantes, plus l'intérêt baisse, plus l'agriculture et le commerce fleurissent, plus le propriétaire et le négociant s'enrichissent , plus la classe indigente est occupée , plus la société entière prospère ."

C’est justement ce que l "on" nous serine depuis plus de deux cents ans, et il faut bien dire qu’effectivement, tout continue d’aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, et que vogue, vogue la galère ...


Edité le 03-02-2014 à 20:11:24 par Philosophia


Michel J. Cuny
   Posté le 09-02-2014 à 15:25:23   

Voici donc la galère telle qu'elle est pilotée par Brissot de Warville lors de la séance du jeudi 29 décembre 1791 à l'Assemblée législative...

" Enfin, il faut faire respecter partout, et la constitution et le nom Français, et la liberté de nos concitoyens que leurs affaires appellent au dehors, et la liberté universelle dont vous êtes les dépositaires ." (j'y souligne l'élément le plus significatif)

Ainsi, sans doute, au titre même des "affaires" des plus habiles d'entre nous...

" La guerre est actuellement un bienfait national : et la seule calamité qu’il y ait à redouter, c’est de n’avoir pas la guerre, c’est de ne pouvoir pas faire cesser les maux qui résultent de l’audace des émigrés ."

Informés de cette place centrale des "affaires" à faire, nous pouvons remonter maintenant jusqu'à l'endroit de ce même discours où Brissot tentait de rassurer son monde en montrant que les pays les plus importants n'étaient pas, pour l'instant, en situation de venir à la rescousse des petits :

" Que résulte-t-il de là ? qu’aucune puissance considérable ne pourra nous attaquer ; que, quoique la Suède, la Russie, l’Espagne, favorisent les princes émigrés, cependant, elles ne se déclareront pas ouvertement contre nous. Mais s’ensuit-il que nous ne devions pas faire des préparatifs de guerre ? non ; il faut montrer une grande force pour faire cesser la comédie que jouent les têtes couronnées ."

Car il y a préparatifs et préparatifs, selon que les "affaires" doivent pouvoir s'étendre au moins jusque-là plutôt que jusqu'ici. Autrement dit :

" Mais devons-nous nous borner à ces mesures ? Je ne le crois pas. Un peuple libre ne doit pas porter des demi-coups ; il ne doit pas feindre des amis dans les ennemis secrets. Lorsqu’il veut écraser des petits princes, il ne doit pas oublier les injures que de plus grandes puissances lui ont fait endurer ? "

Ainsi, c'est en quelque sorte la guerre planétaire qui est annoncée... rien que pour placer des assignats contre de l'or, contre des terres, contre des bâtiments agricoles et industriels, contre des systèmes entiers de communication terrestre, fluviale et maritime. Nous pressentons déjà le Napoléon Bonaparte là-dessous.

L'intervenant subséquent, Hérault de Séchelles , confirme l'ampleur du projet, et les enjeux d'ordre matériel :

" Un grand complot existe contre la liberté de l’univers. Partout où il y a un trône, nous avons un ennemi ; mais presque toutes les puissances aristocratiques ou despotiques sont endettées ou ruinées ; et c’est dans leur pauvreté qu’elles se cotisent pour renverser la constitution française ."

Mais la finalité déterminante est d'abord liée à la situation intérieure d'un pays dont il ne faut surtout pas oublier qu'il est alors en révolution et pas seulement du côté des sommets de sa structuration sociale. Il y a tout un peuple qui se prend à trépigner. A cela, il y a un remède qu' Hérault de Séchelles n'hésite pas à évoquer très clairement en indiquant que, dès que le roi aura consenti à remplir une "obligation qui lui est prescrite par la constitution, celle de notifier sans délai au corps législatif toutes hostilités imminentes"...

" Cette déclaration rappellera tous les fonctionnaires à l’activité qu’ils doivent mettre dans l’exercice de leurs fonctions, et doublera leur responsabilité, elle vous donnera le moyen de remplir cette lacune administrative que deux veto suspensifs vous ont fait essuyer ; vous pourrez en effet prendre en état de guerre des mesures que l’état de paix pourrait faire paraître trop sévères . Elle légitimera les préparatifs, le décret d’accusation et le décret de séquestre que avez ajourné avec le premier. Elle justifiera toutes vos démarches ; en effet, c’est chez vous qu’il faut faire la guerre aux rebelles avant de la porter au-dehors. Toutes les mesures que vous prendrez pour le salut de l’État, seront justes , comme l’était l’autorité consulaire, créée par les Romains dans les temps de détresse : Ne quid respublica detrimenti capiat . [Pour que la république ne souffre aucun dommage] Le moment est venu de prendre un voile et de le jeter sur la statue de la liberté ." ( je souligne ce qui est le plus criant de vérité )

N'est-ce pas, effectivement, quelque chose qui préfigure la dictature napoléonienne ?
Philosophia
   Posté le 16-02-2014 à 15:30:53   

Par un décret du 17 mai 1791, la Constituante autorisait la vente ou l'échange des assignats contre la monnaie d'or ou d'argent, ouvrant ainsi toute grande la porte au commerce de l'argent , ce qui constituait un événement sans précédent puisque, si l’on en croit Régine Pernoud dans son ouvrage " Histoire de la bourgeoisie en France ", l’Assemblée avait de ce fait permis le " trafic des espèces et assignats et rendu par conséquent licites , au nom de la liberté , un certain nombre d'opérations qui jamais jusqu'alors n'avaient été pratiquées sans risque " ...

Or, en ce mois de février 1790, Pétion sait - et il le dit devant l’Assemblée puisque cela sert son argumentation en faveur de l’assignat - que " le grand nombre des assignats effraie ", que l’" on craint une commotion trop subite et trop violente, le renchérissement des denrées, le renchérissement de la main d'oeuvre, par contre-coup la ruine des manufactures, du commerce, des propriétaires même ."

Armé d’une confiance aveugle dans les vertus d’une économie prétendument auto-régulée, notre brave Pétion soutient qu'au contraire, " plus les espèces sont abondantes, plus l'intérêt baisse, plus l'agriculture et le commerce fleurissent, plus le propriétaire et le négociant s'enrichissent, plus la classe indigente est occupée, plus la société entière prospère. "

Qu'enfin puissent se " rouvrir les sources de la prospérité publique qui se tarissent de jour en jour " et soit donnée " une nouvelle vie " " au corps social ", voilà où réside pour Pétion l’intérêt (et le salut !) de cette bourgeoisie, tellement soucieuse comme chacun sait du bien-être de la Nation ...

Ainsi, il ne comprend pas qu’il puisse subsister un doute quelconque quant aux résultats prodigieux que l’utilisation sur une très large échelle de l’assignat peut produire ; il demande alors à son auditoire " par quelle fatalité cet ordre invariable [du "laisser faire, laisser passer"] varierait-il pour nous, si nous mettions de nouveaux signes en circulation ", et " comment un numéraire fictif de deux milliards occasionnerait-il tant de désordres dans la France, lorsqu'un numéraire fictif, beaucoup plus considérable produit tant de prospérité en Angleterre ?"

Il ne sera pas nécessaire d'attendre très longtemps pour pouvoir mesurer la qualité des bienfaits issus de la libre circulation de l'assignat : ayant acquis une existence totalement indépendante de ce qu'à l'origine il était censé représenter, c'est-à-dire les biens nationaux, l'assignat serait désormais l'objet de toutes les spéculations.

Spéculations, il ne faut jamais l'oublier, sur le sang du peuple, c'est-à-dire non seulement sur ses moyens de subsistance mais encore sur les guerres au cours desquelles ses forces vives sont sacrifiées, après avoir contribué à l'enrichissement de ces vautours de fournisseurs et munitionnaires.

Le 29 novembre 1792, soit deux ans seulement après l'intervention du bien intentionné Pétion, Saint-Just fera devant la Convention un rapport tout à fait éclairant sur la situation dans laquelle se trouve alors la France révolutionnaire :

" Ce qui a renversé en France le système de commerce des grains depuis la Révolution, c’est l’émission déréglée du signe . Toutes nos richesses métalliques et territoriales sont représentées : le signe de toutes les valeurs est dans le commerce ; et toutes ces valeurs sont nulles dans le commerce, parce-qu’elles n’entrent pour rien dans la consommation ."
[...]
" La cherté des subsistances et de toutes choses vient de la disproportion du signe ; les papiers de confiance [billets de confiance ou assignats] augmentent encore la disproportion : car les fonds d’amortissement sont en circulation ; l’abîme se creuse tous les jours par les nécessités de la guerre . Les manufactures ne font rien, on n’achète point, le commerce ne roule guère que sur les soldats . Je ne vois plus dans le commerce que notre imprudence et notre sang : tout se change en monnaie, les produits de la terre sont accaparés ou cachés ."

A propos de la prospérité, et surtout du bien général dont la bourgeoisie moralisatrice et toujours bien-pensante a la bouche pleine à s'en étouffer, Saint Just écrira quelques années plus tard :

" La question du bien général aujourd’hui peut être ainsi posée : il faut que tout le monde travaille et se respecte. [...] J’ai dit que le travail et le respect civil étaient pour nous des vertus nécessaires. En effet, si nous continuons d’émettre autant de signes que nous l’avons fait par le passé, chacun à la fin se sentant assez opulent pour se dispenser du travail, vous verrez dépérir les cultures et les manufactures ."

Ainsi, ce n'est nullement une quelconque " fatalité " qui aura réduit à néant les belles prévisions du malheureux Pétion qui, à l'instar des adeptes de Turgot, voyait " des lois naturelles là où il n’y a de place que pour les lois d’un système particulier, historiquement déterminé, de rapports de production ." (Lénine)

Et cela change tout, n'est-ce pas ?


Edité le 16-02-2014 à 17:20:38 par Philosophia


Michel J. Cuny
   Posté le 23-02-2014 à 20:48:46   

Contrairement à nos Sarkozy et Hollande d'aujourd'hui qui n'hésitent pas une seconde à lancer la France dans telle ou telle guerre sitôt que la finance internationale leur en donne l'ordre, Louis XVI s'est longtemps fait tirer l'oreille avant d'entrer dans le jeu que lui proposaient la bourgeoisie française et une partie de la finance européenne , jeu qui allait tout de même devoir frapper d'autres rois que lui.

En ce sens, la formule, déjà citée, que Hérault de Séchelles avait utilisée le 29 décembre 1791 gardait tout son sel : " Partout où il y a un trône, nous avons un ennemi ." Y compris - pour cette décision d'entrer en guerre - le roi de France. Et pourtant tout le monde s'agite autour de lui. Ce qui nous permettra de bien faire ressortir l'ensemble de l'argumentation en cours.

Voici Laffon-Ladebat , membre du comité de l’ordinaire des finances, qui intervient devant l'Assemblée législative le 31 décembre 1791 :

" Il n’est plus temps de se le dissimuler : une inquiétude cruelle agite tout l’Empire sur l’état des finances ; les ennemis de la patrie en profitent pour répandre partout le trouble et l’effroi ; la cupidité et d’agiotage trafiquent de la fortune et du repos public ; les nouvelles les plus alarmantes pour le commerce et le crédit sont inventées et répandues pour favoriser des spéculations particulières ; on nous calomnie, et on dit qu’indifférents sur la fortune publique, elle va périr dans nos mains ."

Puis le dimanche 1er janvier 1792, c'est au tour de Grangeneuve de venir répéter devant la même Législative qu'il y a effectivement un os :

" Vous avez décrété, le 8 novembre dernier, que les rassemblements des émigrés, prolongés jusqu’au 1er janvier, les constitueraient en état de coupable de conjuration contre la patrie, et qu’ils seraient punis de mort. Le chef du pouvoir exécutif a refusé son consentement au décret qui renfermait cette réserve et cette déclaration ; mais la constitution, si elle donne au roi le droit de suspendre l’exécution d’un décret, ne lui donne pas celui de faire qu’une déclaration n’existe pas […]."

Ne serait-il vraiment pas possible de passer outre ? Et de poursuivre :

" On connaît aujourd’hui jusqu’à quel point se sont accrues les forces de nos ennemis, par l’effet de cette longue impunité, puisque cent cinquante mille hommes sont nécessaires pour les combattre. Je sais que les Français seront bien éloignés de regretter d’être appelés à dissiper ces hordes de traîtres, que tous sacrifieront leur vie, s’il le faut, pour la liberté de leur pays ; mais dans le secret de leurs familles, quelles cruelles inquiétudes ! Et pour vous, qui voudriez soulager le fardeau des contributions publiques, quelle douloureuse nécessité que celle de voter des fonds extraordinaires ! "

Deux semaines se passent, et rien n'y fait. C'est maintenant Gensonné qui vient à la rescousse au nom du comité diplomatique (samedi 14 janvier 1792) :

" Telle est notre situation actuelle que l’éloignement de la guerre qui, dans les circonstances ordinaires, serait un fléau qui ferait gémir l’humanité, doit paraître aujourd’hui funeste au bien public. Cette crise salutaire élèvera le peuple à la hauteur de ses destinées, le rappellera à sa première énergie, rétablira le crédit et étouffera tous les germes de divisions intestines, effets qu’étaient loin, sans doute, de prévoir ceux qui ont été les moteurs de cette politique ténébreuse qui en a amené la nécessité ; c’est ainsi qu’un génie bienfaisant semble veiller sur la destinée de la constitution ."

Ainsi, très éloigné de désespérer du pays :

" Votre comité vous propose de faire accélérer les préparatifs de guerre […]."

Peut-être, cependant, manque-t-il encore un tout petit quelque chose...
Xuan
   Posté le 03-03-2014 à 22:19:33   

Michel J. Cuny a écrit :

Contrairement à nos Sarkozy et Hollande d'aujourd'hui qui n'hésitent pas une seconde à lancer la France dans telle ou telle guerre sitôt que la finance internationale leur en donne l'ordre


juste ce petit bémol : je pense que les interventions françaises sont principalement motivées par les intérêts économiques et financiers français et non internationaux. Qu'il y ait une collusion avec l'impérialisme US n'y change rien, dans ce cas il s'agit d'intérêts communs.


Edité le 03-03-2014 à 22:20:18 par Xuan


Michel J. Cuny
   Posté le 08-03-2014 à 16:25:21   

Tout à fait d'accord avec toi, Xuan.
D'intérêts communs, qui expriment très directement les critères définis par la finance internationale.
Pour aider à cerner le problème général, je donnerai ces deux références :

http://crimesdestaline.canalblog.com/archives/2012/05/19/24628507.html

http://crimesdestaline.canalblog.com/archives/2012/05/18/24630001.html


Edité le 08-03-2014 à 16:26:54 par Michel J. Cuny


Philosophia
   Posté le 15-03-2014 à 14:01:28   

Comme l'écrit Michel Cuny, " ainsi, c'est en quelque sorte la guerre planétaire qui est annoncée... rien que pour placer des assignats contre de l'or, contre des terres, contre des bâtiments agricoles et industriels, contre des systèmes entiers de communication terrestre, fluviale et maritime. Nous pressentons déjà le Napoléon Bonaparte là-dessous ."

La vente des biens nationaux n'avait donc pas permis, comme l'était à l'origine sa véritable destination, d'éponger la dette publique, et la banqueroute menaçait toujours. Malgré la création en août 1793 par la Convention d’un Grand Livre de la Dette publique où la " loyauté française " était invoquée pour payer intégralement les arrérages des rentes, seuls les rentiers porteurs d'un capital de plus de 1 000 livres avaient été payés en monnaie alors que les petits rentiers, dont le capital était inférieur à 1 000 livres, avaient reçu des assignats. Or l'assignat avait fini par susciter une grande méfiance, sa valeur n’étant plus gagée sur celle, tangible, de la terre.

Par conséquent, la nécessité s'était imposée, pour garantir les assignats et pour calmer le mécontentement et les ardeurs insurrectionnelles du peuple, de précipiter la nation dans des guerres de conquête, revêtues du masque de la légitime défense de la France révolutionnaire face aux monarchies coalisées. Les propos de Hérault de Séchelles devant l'Assemblée prennent à cet égard tout leur sens lorsqu'il affirme : " vous pourrez en effet prendre en état de guerre des mesures que l’état de paix pourrait faire paraître trop sévères. C’est chez vous qu’il faut faire la guerre aux rebelles avant de la porter au-dehors ."

Or seule une autorité indépendante du pouvoir législatif était en mesure de prendre l'initiative d'engager, à tout moment, la nation française dans des opérations militaires ... Dubois Crancé, qui avait pressenti le danger d'une dictature militaire, écrivait à ses Commettans le 14 décembre 1792 (la République est proclamée depuis le 10 août) :

" Les Jacobins veulent une véritable république unique, fondée sur la pureté des principes de la déclaration des droits, la seule loi domine, et jamais un individu . Les honnêtes gens [les possédants] veulent un chef , dont la volonté supplée quelquefois à la loi, pour maintenir dans l’ordre les factieux qui oseraient troubler la société , en reprochant à ce chef, ou ses déprédations corruptives, ou son despotisme : et voilà la clé de la coalition. Car, sur ces bases, l’on fonderait l’édifice d’une nouvelle dynastie, qui serait, à la vérité, ajournée jusqu’à l’époque où un hardi scélérat se sentirait assez en force pour usurper le plein pouvoir […]."

Le 25 janvier 1793, Sieyès, le même qui quelques années plus tard apporterait, enfin ! à la France des possédants le "sabre" tant attendu, avait pour sa part présenté, au nom du comité de défense générale, un projet proposant la création, sous le titre d’économat, d’une commission de quinze personnes, chargée de tous les vivres et de tous les approvisionnements des armées, de la subsistance de la république.

Cette commission se voulait indépendante des corps législatifs , soumise uniquement au conseil exécutif et proposait d’assurer aux généraux une puissance absolue, pécuniaire et administrative, autant que militaire .

Et voilà que quelques années plus tard, en 1797, s'amène ce " hardi scélérat " en la personne du général Bonaparte, qui déclare en substance :

" Il faut à la nation un chef , un chef illustré par la gloire, et non pas des théories de gouvernement, des phrases, des discours d'idéologues auxquels les Français n'entendent rien . Qu'on leur donne des hochets, cela leur suffit ; ils s'en amuseront et se laisseront mener, pourvu cependant qu'on leur dissimule adroitement le but vers lequel on les fait marcher ."

Le seul bénéfice - malgré les mirobolantes promesses qui leur avaient été faites - que la plupart des hommes du rang ont retiré des guerres que le bien nommé " hardi scélérat " Napoléon Bonaparte, a menées tout au long de sa prodigieuse carrière de spoliateur et criminel institutionnalisé, fut de dire qu'à telle bataille, ils y étaient !...

Tandis que revenus à la vie civile, désormais courbés sous le joug des liberticides Code civil, Code pénal et tutti quanti, qui étranglent encore nos existences, ils auraient l'insigne honneur de vendre leur force de travail pour un salaire annuel moyen de ... 250 francs, pendant que le hardi scélérat, sa famille, ses courtisans et sa soldatesque de prestige amasseraient des fortunes colossales.


Edité le 16-03-2014 à 20:08:25 par Philosophia


Michel J. Cuny
   Posté le 23-03-2014 à 17:13:04   

Ce qui manque, en janvier 1792, à la bourgeoisie française, c'est un pouvoir exécutif indépendant des intérêts des familles régnantes, et c'est une rupture délibérée d'un accord international fondamental pour le royaume de France et pour le couple formé par Louis et Marie-Antoinette : le traité de 1756 avec la maison d'Autriche...

Dans la séance du 17 janvier à l'Assemblée législative, Brissot avait pensé pouvoir enfin désigner l'adversaire véritable :

" L’empereur est votre ennemi, il vous en a donné des preuves. Il cherche ou à vous attaquer ou à vous effrayer ."

Et le voici enfin démasqué :

" Les électeurs n’étaient que des prête-noms, les émigrants n’étaient qu’un instrument dans sa main ."

Mais cet homme-là est le frère de la reine Marie- Antoinette , tandis que la guerre envisagée doit réduire à néant le traité de 1756 qui avait servi de soubassement diplomatique au mariage de la princesse autrichienne avec le futur Louis XVI , tout en ouvrant la voie, dans le contexte de la grande finance européenne de l'époque, aux épousailles de Jean-Joseph de Laborde (ancêtre, en ligne directe, du futur patron du MEDEF : Ernest-Antoine Seillière ) avec Rosalie-Claire-Joséphine Nettine , la fille de la banquière de l'impératrice d'Autriche.

Comment oser en venir là ? Et dans les plus brefs délais, puisque Brissot répète qu'il y a urgence :

" Notre position actuelle est avantageuse, leur position est défavorable ; le temps améliore la leur, détériore la nôtre. Places bien fortifiées, approvisionnements abondants, cent mille Français libres, courageux, bien armés, qui n’attendent que le signal pour attaquer, pour s’emparer des postes excellents dont il serait difficile ensuite de les chasser ; une société de millions d’hommes voués à la liberté, formant un corps de réserve impénétrable et une source inépuisable de recrues, telle est notre situation, tel est le tableau consolant que vous en a présenté le ministre de la guerre ."

L'empereur devra donc plier au plus vite, sinon, reprend Brissot :

" Je pense, comme le comité, que cette satisfaction ne doit plus rouler sur la défense des rassemblements mais sur une renonciation formelle à la ligue contre la France. Je veux la guerre au 10 février, si cette renonciation n’est pas parvenue ."

Et adieu ! au traité de 1756 qui avait tellement ravi Voltaire et qui devait, par la terrible et désastreuse guerre de Sept-Ans, lui permettre de démultiplier une fortune déjà fortement charpentée par le sang des précédents conflits européens...

Michel J. Cuny

Sur quelques-uns des points abordés ici, voici une vidéo :
http://youtu.be/-Pb4o-Hm5qg
Philosophia
   Posté le 12-04-2014 à 16:28:25   

Napoléon Bonaparte, ce fut donc des guerres incessantes et dévoreuses des finances publiques, tout comme de la vie de milliers d'hommes galvanisés par l'étendard d'une prétendue grandeur nationale dont il semblerait qu'au jour d'aujourd'hui nous n'ayons pas encore fini de payer le prix, grâce aux velléités belliqueuses des instances dirigeantes de ce pays à la solde de la finance internationale.

Mais Napoléon Bonaparte, ce fut aussi - et c'est encore - l'admirable, mais oui ! Code civil , cette machine à museler au service des possédants, dont les terribles mâchoires se sont refermées sur notre peuple, en particulier, sur la classe laborieuse, voici un peu plus de deux siècles.

Et ce n'est pas rien puisque, comme l'indique Friedrich Engels, cette admirable réalisation napoléonienne constitue " le seul code bourgeois moderne qui repose sur les conquêtes sociales de la grande Révolution française ", celle-là même qui permit l''inscription du droit de propriété sur la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, lui conférant ainsi le statut de droit naturel qui, désormais, le rendait intouchable.

Or, comme l'écrit Lénine, là où semblent dominer des lois naturelles, " il n’y a de place que pour les lois d’un système particulier, historiquement déterminé, de rapports de production ", c'est-à-dire, de rapports économiques. A cet égard Engels ajoute, dans " L'Anti-Dühring " que les " classes sociales en lutte l'une contre l'autre sont toujours des produits des rapports de production et d'échange, en un mot des rapports économiques de leur époque ; [...] par conséquent, la structure économique de la société constitue chaque fois la base réelle qui permet, en dernière analyse, d'expliquer toute la superstructure des institutions juridiques et politiques , aussi bien que des idées religieuses, philosophiques et autres de chaque période historique ."

Question fondamentale qui nous ramène à ce mois de février 1790, au moment où le député Jérôme Pétion se bat comme un diable à l'Assemblée pour faire accepter son projet concernant l'émission à grande échelle des petits assignats, seule capable selon lui d'impulser une reprise des affaires en portant remède au manque de numéraire qui affecte la production et les échanges et touche particulièrement le paiement des salaires ...

A ce moment, le problème réside pour Pétion dans le fait que la valeur de l'assignat est gagée sur les biens nationaux et que " la classe immense des hommes de peines, des journaliers et des petits artisans qu'on paie au jour le jour, et au plus tard à la fin d'une semaine, ne recevront pas d'assignats, parce qu'ils ne gagnent pas en aussi peu de temps une aussi forte somme ".

Ce qui veut dire que la mise au travail de cette " classe immense " - une mise au travail qui signifie du même coup la reprise des affaires pour la bourgeoisie - est gravement entravée par ce fait regrettable que " le débiteur d'une petite somme " (le propriétaire des moyens de production et d'échange) est contraint de renvoyer sans cesse " son créancier qui est dans le besoin " (le travailleur contraint de vendre sa force de travail pour vivre) parce qu'il ne peut lui donner que des assignats " dont la valeur est de beaucoup supérieure à la dette ", c'est-à-dire à la quantité de travail fournie.

Pétion insiste sur le fait que grâce à la mise en circulation des petits assignats, il arrivera nécessairement que le salarié " qui aura reçu un assignat de 24 livres en paiement, le donnera en retour avec la même facilité ", et que tout rentrera dans l'ordre ...

Entre les lignes de l'argumentation de Pétion (qui était avocat de profession), nous voyons apparaître les fondements de l'économie capitaliste à travers les rapports de production et d'échange , c'est-à-dire de domination qui en découlent et se traduisent dès lors par des rapports juridiques .

Ces rapports juridiques - évoqués ici sous la forme de rapports entre créancier et débiteur - dissimulent donc les rapports économiques fondés sur une inégalité sociale fondamentale ayant pour origine l'accumulation dite primitive du capital ; ils dissimulent du même coup le produit de ces rapports économiques qui est la lutte de classes - cette lutte à mort entre une minorité propriétaire de la totalité des moyens de production et d'échange et la majorité, contrainte de vendre sa force de travail pour subsister.

Pour le juriste Georges Ripert, il est tout à fait clair que " le régime capitaliste a transformé les propriétaires en créanciers. Il a enlevé aux hommes la possession des usines, des maisons, des véhicules, des mines, des eaux ; il leur a donné à la place une part dans les profits réalisés par l’exploitation de ces biens ; l’ouvrier travaille sous les ordres de l’entrepreneur moyennant un salaire convenu ."

Sur le plan juridique, il s'ensuit que l'ouvrier est " créancier de son salaire ; il n’a aucun droit sur les produits " (étant entendu qu'il a, en pratique, déjà perdu la possession de ses moyens de travail)puisque, comme nous l'explique G. Ripert, " le droit passe de la possession à la créance et change, sans le dire, le sens du mot propriété. La créance est le droit d’obtenir d’une autre personne qu’elle vous donne quelque chose, biens ou services. Elle ne vaut que dans la mesure où le débiteur possède lui-même des biens ou est capable de rendre des services. Mais dans cette mesure, elle a l’avantage de donner au créancier, sans peine ni risques, les profits de l’activité du débiteur ."

Désormais créanciers de leur salaire, les travailleurs doivent donc se satisfaire de leur sort pour cette bonne raison que leurs employeurs sont censés les faire bénéficier des profits de leur activité, tout en leur épargnant les risques encourus et ce, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du territoire national ...

Face au spectacle stupéfiant de cette France qui continue, pour la grande majorité de sa population, de dormir du plus profond sommeil, comment ne pas penser qu'effectivement l'on a tout à gagner dans ce renoncement à " la possession des usines, des maisons, des véhicules, des mines, des eaux " et, finalement, à une existence digne de ce nom.

En attendant quoi, la prochaine catastrophe ?...


Edité le 14-04-2014 à 20:07:12 par Philosophia


Michel J. Cuny
   Posté le 29-04-2014 à 15:43:10   

Une fois que la souveraineté d'un pays a été orientée dans une direction, il ne lui est pas facile d'en revenir... C'est ce que la France d'aujourd'hui découvrira peu à peu après son expédition en Libye et ses bravades à destination de la Syrie ou de la Russie... Voyons, ici, ce qu'il en fut pour le traité de 1756 avec l'impératrice Marie-Thérèse , maman de Marie Antoinette .

Le girondin Vergniaud intervient le mercredi 18 janvier 1792 devant l'Assemblée législative pour faire le bilan de cette précédente politique internationale du royaume de France, passion-nément soutenue par Voltaire en son temps :

" Si l’on parcourt la chaîne des événements depuis le traité de 1756, on voit que la France a sacrifié ses possessions d’Amérique, ses soldats, son or, ses anciennes alliances, sa gloire même, à la maison d’Autriche ; que ce traité a réduit la France à une nullité absolue ; on voit que non seulement elle a été obligée de souffrir le démembrement de la Pologne et de la Bavière, mais qu’elle a sacrifié à ce traité l’empire Ottoman, le plus ancien et le plus fidèle de ses alliés, celui avec lequel elle pouvait le plus utilement ouvrir des relations commerciales ; qu’elle a même, pour ainsi dire, préparé la ruine de cet empire ébranlé par le génie de Potemkin, et depuis par les victoires de Catherine ; qu’elle a ménagé à la Russie les moyens d’envahir l’empire de l’Orient, et de fonder là une puissance qui menacerait la liberté de toute l’Europe. On voit aisément que la rupture de ce traité est une révolution aussi nécessaire pour l’Europe que la démolition de la Bastille l’a été pour la France. "

Mais justement, voilà ce qui avait procuré une si violente jouissance à Voltaire qu'on retrouve tout occupé, le 15 novembre 1768, à entretenir les ardeurs d'une Catherine qu'il a mis toute sa verve littéraire à entraîner dans une guerre aussi meurtrière que possible avec les Turcs :

" Il est clair que des gens qui négligent tous les beaux-arts et qui enferment les femmes méritent d'être exterminés ."

Et qui y est encore près de quatre années plus tard (7 août 1771) :

" Est-il bien vrai ? Suis-je assez heureux pour qu'on ne m'ait pas trompé ? Quinze mille Turcs tués ou faits prisonniers auprès du Danube, et cela dans le même temps que les troupes de Votre Majesté Impériale entrent dans Perekop ? "

Après Vergniaud , vient le tour de M. Raymond qui souligne que le renversement d'alliance fera renouer un contact intéressant, mais...

"[…] nous ne pouvons presque rien proposer d’agréable à l’Angleterre. Quel avantage, en effet, procurerions-nous à son commerce ? Il résulte tout entier de la baisse de nos changes, de l’état déplorable de notre commerce ."

Alors que de ce côté-là aussi, Voltaire avait eu à jouir fortement du contexte inverse (lettre du 27 octobre 1760 à la marquise du Deffand ) :

" Il faut que je vous dise que je viens de crier vive le roi, en apprenant que les Français ont tué quatre mille Anglais à coups de baïonnette ; cela n'est pas humain, mais cela était fort nécessaire ."

Finance internationale d'hier... Et d'aujourd'hui ?...

http://voltairecriminel.canalblog.com


Edité le 29-04-2014 à 15:47:25 par Michel J. Cuny


Philosophia
   Posté le 18-05-2014 à 16:23:37   

Lorsqu'à la tribune de l'Assemblée constituante, le député Jérôme Pétion proclame : " nous ne trouvons rien de plus moral que de payer ses dettes, de les payer d'une manière réelle, effective ", il parle précisément du paiement des salaires de cette " classe immense des hommes de peines, des journaliers et des petits artisans qu'on paie au jour le jour, et au plus tard à la fin d'une semaine ", paiement auquel il juge impossible de surseoir, sous peine de compromettre la reprise des affaires tant attendue.

Rappelons qu’en vertu des rapports juridiques induits par les rapports de production capitalistes, cette " classe immense " d’hommes de peines, de journaliers et de petits artisans sont des " créanciers ". D’un type très particulier cependant puisqu'ils sont, comme le souligne Pétion, " dans le besoin ". A tel point que, selon son bon mot, " ils ne trouveraient pas à s'occuper " s'il n'y avait le commerce, l'agriculture et les arts pour y pourvoir.

Certes, les aléas de l'existence peuvent faire que des individus se trouvent dans le besoin, mais il est sans aucun doute du ressort de la société, en tant que collectivité digne de ce nom, d'y remédier. Or il ne s'agit pas ici de la situation de quelques individus mais de celle d'une " classe immense ", d'une classe dont la formation et l'évolution dépendent, comme de tout groupement social, de conditions historiques particulières.

Privés de leurs moyens de travail et par suite de subsistance, une quantité croissante de travailleurs ont perdu toute capacité de maîtrise sur leur propre existence. Contraints de trouver à " s'occuper " !! ... sous peine de mourir et de condamner leur famille au même sort, ils en sont réduits à devoir vendre ce qui leur reste : leur force de travail, dont les conditions d'entretien et de reproduction dépendent désormais, non pas d'une quelconque mansuétude, mais des intérêts de classe de ceux dont le nombre tend à l'inverse à se restreindre, et qui constituent, en tant que propriétaires exclusifs de l'ensemble des moyens de production et d'échange de la nation, la classe capitaliste.

Il en résulte donc que les détenteurs de capitaux exploitent, dans toutes les dimensions de l'existence, une majorité de la population, face à laquelle ils se dressent en tant que classe antagoniste. Bien que cet état de choses soit incontestable, il reste cependant occulté du fait que, juridiquement, le capitaliste s'est vu conférer le statut de débiteur qui l'oblige à rembourser une dette de " manière réelle, effective " à son créancier, le travailleur, qui n'a dès lors plus rien à revendiquer que son "droit sur la chose" : le paiement d'un salaire correspondant à - ou en échange de - l'exacte quantité de travail qu'il a fourni.

Mais, il y a un hic ! car il faut bien garder à l'esprit que les rapports de production et, par suite, les rapports juridiques, qui interviennent entre le capital et le travail et s'imposent à eux, ne sont que le reflet des conditions économiques de la production marchande , dont Engels considère que " le concept de valeur est l'expression la plus générale, et en conséquence la plus large ".

Puisque dans le cadre des conditions économiques de la production marchande, la valeur relative d'une marchandise est déterminée par la quantité relative de travail social qui a été nécessaire à sa production , Marx considère que " pour pouvoir tirer une valeur échangeable de la valeur usuelle d'une marchandise , il [faut] que l'homme aux écus ait l'heureuse ... chance de decouvrir sur le marché même une marchandise, dont la valeur usuelle [posséde] la vertu particulière d'être source de valeur échangeable, de sorte que la consommer [soit] réaliser du travail, et par conséquent créer de la valeur ."

Cette marchandise que " l'homme aux écus ", autrement dit le capitaliste, trouve sur le marché, c'est précisément la force de travail dont la valeur (usuelle) se détermine nécessairement comme celle de toute autre marchandise, à savoir, selon Engels, " par le temps de travail nécessaire à la production, donc aussi à la reproduction de cet article spécifique ", c'est-à-dire, " par le temps de travail qui est indispensable en vue de produire les moyens de subsistance dont l'ouvrier a besoin pour se maintenir en état de travailler et pour propager sa race ."

Comme toute marchandise, le capitaliste achète donc la force de travail à sa vraie valeur, c'est-à-dire à sa valeur usuelle. Or, comme toute marchandise encore, le prix de la force de travail (censé couvrir uniquement son entretien et sa reproduction) est fixé avant l'usage de celle-ci par le capitaliste. Le point fondamental est qu’ici nous avons affaire à une marchandise tout à fait particulière puisqu'il s'agit de travail vivant qui a cette caractéristique d’être mis en oeuvre au cours d’un processus de travail déterminé.

Processus où vont se révéler les vrais rapports entre le capital et le travail, rapports qui n'ont évidemment strictement rien à voir avec un prétendu échange entre l'acheteur (le détenteur de capital) d'une part, et d'autre part le vendeur (le possesseur de la force de travail). Car dans la réalité toute crue du mode de production capitaliste où l'accumulation constitue une nécessité interne , il ne peut qu'en être tout autrement...

Mais patience, nous le verrons la prochaine fois !
Michel J. Cuny
   Posté le 01-06-2014 à 11:57:22   

Ainsi que le montre Philosophia , la responsabilité de la bourgeoise - en tant qu'elle est propriétaire des moyens de production - comprend la mise en œuvre d'un schéma global de vie en société : c'est-à-dire de survie organisée des travailleurs...

Dans ce contexte de caractère très général, la guerre apparaît elle-même comme un moment paroxystique qui doit respecter les équilibres fondamentaux de l'exploitation d'autrui. S'agissant des suites de la Révolution de 1789, il s'y ajoutait un enjeu supplémentaire qui était de remodeler les vestiges de la féodalité et de la monarchie de droit divin selon des critères permettant la stabilisation d'une exploitation laïcisée et... nationalisée.

Occupés à réussir la lancée du pays dans la guerre étrangère de conquête, les Girondins se doivent de définir la situation du moment selon les intérêts de l'économie capitaliste en passe d'atteindre à la domination politique.

Voici Beugnot , à l'Assemblée législative, lors de la séance du vendredi 20 janvier 1792 :

" Qu’est-il cependant résulté de la guerre sourde dont nous supportons depuis longtemps les attaques ? la perte de notre crédit , les embarras de notre commerce , des troubles, des inquiétudes, des dépenses. Telle est notre position. Il serait également dangereux et impolitique de nous la dissimuler. On vous force à des mesures militaires qui pourront élever vos dépenses à un degré effrayant pour la liberté elle-même, tandis qu’on vous affaiblit par vos divisions intérieures ."

Quelques instants plus tard, et avant d'enchaîner sur la "liberté" et sur les "divisions intérieures", Isnard souligne qu'entre la Constituante et la présente Assemblée, une judicieuse division du travail s'est opérée :

" Nos prédécesseurs créèrent la liberté par la philosophie et l’insurrection ; nous avons à la faire triompher par la diplomatie et les armes. Voilà ce qui était réservé à notre législature ."

Puis il revient longuement sur les conséquences malheureuses, pour la nation française, de la politique d'Ancien Régime et du sommet d'incongruité diplomatique qu'a pu représenter, du point de vue de ses intérêts bien compris, le traité de 1756 :

" L’empereur, depuis notre alliance, a démembré la Pologne contre notre voeu, il a tenté de s’emparer de la Bavière sans nous en avoir prévenus ; il a voulu attaquer la Hollande dans les moment où les Bataves étaient nos alliés ; il s’est ligué, malgré nos représentations, avec l’impératrice de Russie pour renverser l’Empire ottoman, cette source féconde de notre commerce oriental ; il a asservi les Belges, quoiqu’il ne pût pas le faire sans blesser à notre égard l’esprit du traité d’Utrecht ; il s’est concerté avec la triple alliance qui ne s’est formée qu’en opposition à nos intérêts ; il a permis que nous fussions exclus du congrès de Reichenbach, de celui de La Haye, des conférences de Pilnitz, du congrès de Sistowe ; enfin Léopold n’a fait envers nous aucun acte d’allié ."

Il en tire les conséquences en déployant l'espace qui s'ouvre devant la nation française réunie sous le signe de la liberté (du commerce et de faire des affaires) au prix de quelques vies :

" Ce n’est là qu’une esquisse légère de griefs qui vous autorisent à rompre le traité de 1756, et à déclarer la guerre sur-le-champ. Si les ministres de la cour de Vienne se refusent à nos justes réclamations, il faut porter la liberté dans la Belgique, elle se communiquera au pays de Liège, peut-être même à la Hollande ; et s’il faut combattre, nous aurons pour alliés six millions d’hommes victimes du despotisme, et qui, depuis longtemps, ont juré comme nous de vivre libres ou de mourir ."

Ce faisant, l'ordre interne se trouvera conforté :

" Rome suivit toujours une politique à peu près semblable. Lorsque quelque orage intérieur la menaçait, le sénat portait la guerre loin de l’État, et il résultait de cette diversion salutaire la paix dans Rome et des victoires au-dehors ."

Et pour finir, rien n'est dissimulé du prix humain qu'il y aura à payer par le sang :

" Le sort en est jeté : nous voulons l’égalité, dussions-nous ne la trouver que dans la tombe ; mais avant d’y descendre, nous y précipiterons tous les traîtres ."

Où prendre, alors, les bras et les jambes qui feront cette guerre pour le prix le meilleur ? Les Girondins, en leur qualité d'aspirants au rôle d'entrepreneurs de guerre, ont déjà la réponse...
Philosophia
   Posté le 23-06-2014 à 22:37:21   

Impossible décidément de ne pas revenir une nouvelle fois du côté de Jérôme Pétion qui, en 1790, officiait en tant que député de cette Assemblée constituante dont la caractéristique était d'être composée dans sa majorité de bourgeois adeptes du désormais célèbre (et pourtant méconnu !) ... Voltaire : cet éminent "philosophe", dont la prétendue sagesse consistait dans la nécessité d'une jouissance personnelle tous azimuts, était bien loin de cracher sur les bénéfices en espèces sonnantes et trébuchantes qui lui provenaient de guerres que, grâce à sa plume admirable ! (il faut absolument aller voir sa correspondance !), il avait su promouvoir et encourager auprès des grands personnages belliqueux de son époque. Jamais rassasié, le "grand homme" épris de liberté exploitait par ailleurs, depuis son paisible domaine de Ferney, la force de travail locale...

Au delà de la personnalité - particulièrement monstrueuse - de monsieur de Voltaire, il s'agit de comprendre les nécessités qui sous-tendent la raison d'être de la bourgeoisie en tant que propriétaire des moyens de production : rappelons-nous que le député Jérôme Pétion prononce son discours devant l'Assemblée à un moment crucial et dramatique où l'économie de la France en révolution est paralysée par le manque de numéraire. S'il dépense tant d'énergie en faveur de la mise en circulation à grande échelle des petits assignats, n'est-ce pas parce qu'il est convaincu qu'en assurant le paiement des salaires, les assignats entraîneront nécessairement une relance de la consommation et par là, une reprise des affaires ? Pour lui, il semble en tout cas certain que " celui qui aura reçu un assignat de 24 livres en paiement [de son salaire], le donnera en retour avec la même facilité ."

Grâce à l'analyse faite par Marx dans " Les fondements de la critique de l'économie politique ", nous savons désormais que dans la production fondée sur le capital, " la consommation dépend en tous points de l'échange ; car le travail n'y est jamais une valeur d'usage immédiate pour le travailleur. Elle repose entièrement sur le travail créateur de valeurs d'échange, et valeur d'échange lui-même ."

Ainsi, " ce qui distingue le rapport capitaliste de tout autre régime de domination (de l'esclavage par exemple), c'est que le travailleur fait face au capital comme consommateur et acquéreur de valeur, en tant que possesseur d'argent et centre de la circulation simple ." Le travailleur salarié est donc " un centre autonome de la circulation, un échangiste, un individu qui subsiste grâce à l'échange ".

Comment cela s'explique-t-il ? Marx indique que, d'une part, " en échangeant la force de travail vivante contre la partie du capital fixée comme salaire, la valeur de cette fraction du capital est déterminée " avant que l'ouvrier commence à travailler c'est-à-dire, " avant même que le capital ne sorte de nouveau du procès de production pour pénétrer dans la circulation ". Pour l'auteur du " Capital ", il ne fait aucun doute que cet acte relève de la circulation .

D'autre part, " à l'exception, bien sûr, de ses ouvriers à lui, le capital ne considère pas la masse des ouvriers comme des travailleurs, mais comme des consommateurs, des possesseurs de valeurs d'échange - leur salaire -, des détenteurs d'argent qu'ils échangent contre ses marchandises. Ce sont, pour lui, autant de centres de la circulation, points de départ du procès d'échange et de la réalisation de la valeur du capital .

Or, " en devenant l'un de ces innombrables centres de la circulation, l'ouvrier cesse d'apparaître en tant que tel ". Autrement dit, il cesse d'apparaître ce qu'il est fondamentalement : un travailleur ou, plus précisément, un producteur . Si nous regardons alors ce qui se passe au coeur même du procès de production capitaliste, nous voyons clairement s'exercer, au lieu d'une relation basée sur un échange prétendument équitable et librement consenti, des rapports de subordination d'une violence inouïe qui sont la condition même de la réalisation de cette chose immonde dont le spectacle s'offre à nous chaque jour et que pourtant nous ne voyons pas ! : l'exploitation de l'homme par l'homme.

Car le capital a cette caractéristique imparable - il s'agit d'ailleurs d'une nécessité intrinsèque à sa raison d'être laquelle n'a, il faut le répéter, strictement rien à faire avec une morale quelconque : contraindre l'ouvrier à travailler au delà du temps nécessaire. Qu'est-ce à dire ? Même si le contrat qui lie le salarié et l'employeur est censé s'appuyer sur la liberté et l'égalité des deux parties, il n'en est pas moins vrai que le premier sera contraint d'accepter les conditions du second, étant donné qu'il se présente dépourvu de tout moyen de travail, et par conséquent de subsistance.

En vertu du contrat qu'il a signé, l'ouvrier s'est donc engagé "volontairement" à travailler 8 heures par jour , et il s'exécute. Cependant il se peut que, grâce notamment à l'évolution des techniques permettant de produire davantage en moins de temps, 4 heures de travail seulement lui suffisent à produire ses moyens de subsistance. Etant donné que nous sommes dans un système économique où la production marchande est reine, et qu'ainsi le prix du travail - le salaire de notre ouvrier - a été déterminé lors de l'engagement de celui-ci sur la base stricte de 4 heures de travail nécessaire , qu'en est-il alors des 4 heures de travail suivantes pendant lesquelles l'ouvrier a continué de travailler pour le patron ??...

Il ne faut pas perdre de vue que dans le cadre des conditions économiques de la production marchande, il est absolument nécessaire pour le propriétaire des moyens de production de tirer de la valeur usuelle de la force de travail (comme de toute marchandise) une valeur échangeable . Or pour y parvenir, celui-ci doit consommer la force de travail au delà du temps qui est nécessaire à son entretien et à sa reproduction .

Placé - quoi qu'on en dise, et en dépit des volontés plus ou moins "altruistes" de réformer le système - face à la nécessité de se valoriser , le capital, en réalisant du travail, produit nécessairement du surtravail , autrement dit, du travail non payé. La valeur qu'il crée ne peut donc correspondre qu'à ce temps de travail non payé , c'est-à-dire extorqué à l'ouvrier.

Travail gratis donc, redisons-le bien haut et bien fort, qui tombe dans l'escarcelle du capitaliste sous la forme bien connue depuis Marx de la plus-value , ce vilain "gros mot" désormais banni pour notre plus grand malheur de la scène politique (devenue pour le moins grandguignolesque) pour cause de nécessité de consensus et qu'il serait pourtant grand temps de remettre sur la table au cours de débats politiques enfin dignes de ce nom !

N'en déplaise à celles et ceux qui s'obstinent criminellement à ne rien voir et rien entendre, la réalité du joli monde dans lequel nous vivons finira bien un jour par nous sauter à la figure.

A moins que ...


Edité le 25-06-2014 à 19:54:04 par Philosophia


Michel J. Cuny
   Posté le 07-07-2014 à 10:56:51   

Recruter des bras et des jambes... C'est donc sur cette thématique que nous avions laissé les Girondins.

Comme Philosophia vient de nous le rappeler en prenant appui sur Karl Marx , la fixation du salaire consenti au prolétaire est un problème qui se règle dans la sphère de la circulation, et avant toute activité de production.

Voyons ce qu'il en a été dès le départ des guerres dites "révolutionnaires".
La séance du dimanche 23 janvier 1792 a été l'occasion, pour l'Assemblée législative, de voter le décret sur le recrutement dont voici ce qu'il établit :

" Le premier dimanche après la publication du présent décret, les gardes nationales de chaque municipalité et les autres citoyens [de 18 à 50 ans, MJC] en état de porter les armes, seront, à la diligence du procureur-syndic de district, rassemblés dans le chef-lieu de leurs cantons respectifs. – Un commissaire pris dans l’administration de district, ou tout autre citoyen nommé par le directoire, se rendra au lieu du rassemblement. – Le commissaire, après avoir invité tous les citoyens à voler à la défense de la patrie et de la liberté, inscrira sur un registre tous ceux qui voudront contracter un engagement pour servir dans les troupes de ligne. – Le registre, ouvert par le commissaire, sera déposé dans la municipalité de chaque chef-lieu de canton, et y restera pour servir à l’inscription des citoyens qui voudront, dans la suite, servir dans les troupes de ligne. "

C'était donc l'offre d'emploi. Elle est immédiatement suivie de la rémunération proposée... C'est-à-dire : imposée, sitôt que ceux à qui elle s'adresse n'ont guère d'autre choix - dans une situation économique profondément délabrée comme celle de ce temps de changement de "propriétaires" : du système féodal à la mise en œuvre de la liberté d'entreprise...

" Le prix de l’engagement pour deux ans sera de 80 liv. pour l’infanterie, de 120 liv. pour la cavalerie et l’artillerie ."

Pour s'embaucher à pareil prix, il faut être particulièrement affamé, ni plus ni moins, puisque, avant la Révolution, un manouvrier parisien pouvait gagner, chaque année, environ 200 livres...

Il faut donc se résoudre à l'admettre : les combattants de la guerre révolutionnaire française étaient des morts-de-faim. Autrement dit, des individus dotés d'un certain "appétit".

Or, Louis XVI, qui est d'abord et avant tout l'ami du camp d'en face, ne peut pas voir d'un très bon œil cette meute se jeter sur l'Empereur, c'est-à-dire sur le frère de son épouse, la "délicate" Marie-Antoinette . Cela se comprend fort bien.

Sauf lorsque, comme Bazire , on est Girondin, et que l'on dispose de la tribune de l'Assemblée législative un 7 février 1792 au soir :

" Chacun se demande : Fera-t-on la guerre, ou ne la fera-t-on pas ? Sera-t-elle offensive, ou bien sera-t-elle purement défensive ? Les plans, les intentions de la cour sont absolument impénétrables. Ce qu’on peut dire de mieux du pouvoir exécutif dans le moment, c’est qu’il dort, et que l’agitation du ministre de la guerre ne ressemble qu’aux mouvements insignifiants d’un somnambule. Si nous n’avons point de guerre, il est inutile de faire de la dépense. Si la guerre est défensive, il en faudra moins que pour aller attaquer. Si enfin la guerre est offensive, il faudra statuer sur l’état des dépenses.
Mais jusqu’à ce que nous soyons fixés sur la nature de la guerre, je ne vois pas sur les frontières ennemies des troupes assez nombreuses pour nous inquiéter. Pour ôter le pouvoir exécutif de l’inertie où il est, et pour sortir nous-mêmes de l’incertitude cruelle où nous sommes, il n’y a qu’un moyen, c’est de ne plus rien décréter sur les propositions du roi, tant qu’il n’aura pas proposé la guerre.
Je me rappelle parfaitement, et vous devez tous vous le rappeler aussi, avoir vu dans une même séance le ministre de la guerre et celui des affaires étrangères, l’un vous demander une augmentation de forces, l’autre vous dire que cette guerre serait injuste et impolitique, et vous proposer d’entamer des négociations, c’est-à-dire de laisser à l’empereur le temps de se préparer. Enfin, pour faire expliquer le roi, je demande que l’on ajourne tout indéfiniment
."

Na !

En attendant, le bon peuple - qui ne mange plus guère - ne tardera pas à devoir se vendre tout entier... Mais ne sera-ce que pour être payé en assignats ?

Michel J. Cuny


Edité le 07-07-2014 à 12:04:25 par Michel J. Cuny