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Robert Linhart sur la NEP

Xuan
   Posté le 05-12-2017 à 14:41:33   

Pour une théorie concrète de la transition : pratique politique des bolcheviks au pouvoir par Robert Linhart


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DÉC
http://histoireetsociete.wordpress.com/2017/12/05/pour-une-theorie-concrete-de-la-transition-pratique-politique-des-bolcheviks-au-pouvoir-par-robert-linhart/

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La NEP est le plus souvent envisagée comme un pis aller, un recul de la révolution soviétique. Pour toute une tradition, au contraire, il s’agit d’un moment de renouveau de la stratégie de transition vers le socialisme. Dans ce texte inédit datant de 1966, Robert Linhart faisait le bilan de cette séquence mouvementée. Plusieurs années avant les colossales Luttes de classes en URSS de Charles Bettelheim, Linhart faisait le constat que la NEP fut une période d’importantes luttes de classes, notamment sur le plan des politiques économiques. Au diapason des grands énoncés de la Révolution culturelle chinoise, Linhart présente le dernier combat de Lénine comme une tentative de révolution dans la révolution, révolution culturelle qui visait à renforcer la capacité politique ouvrière dans toutes les instances de contrôle, dans tous les rapports idéologiques. Linhart rappelle ainsi la centralité d’une authentique politique d’hégémonie, menée par les subalternes, dans la perspective d’une transformation révolutionnaire.

On sait que Lénine a attaché la plus grande importance à démontrer, à plusieurs reprises, que le communisme de guerre avait été une erreur et que cette erreur avait été imposée au pouvoir bolchevique par les conditions objectives de la lutte des classes et la stratégie de l’adversaire, du capitalisme. Si l’on prend le parti d’analyser une phase de transition réelle non du point de vue de la sociologie subjective mais du point de vue du matérialisme historique, il importe au premier chef de prendre cette proposition au sérieux et d’en voir les deux aspects : quiconque n’analyserait pas correctement les conditions objectives qui ont imposé l’erreur verserait dans une rêverie rétrospective et idéaliste, jugerait abstraitement et subjectivement la transition en question, en s’interdisant de rendre compte de sa spécificité du point de vue de la causalité et du déterminisme ; en 1922, Lénine refusait aux mencheviques le droit de critiquer le régime du communisme de guerre, quoique le contenu de cette critique fût celui-là même qu’avançaient les bolcheviques, parce qu’ils niaient, et avaient toujours nié, la nécessité de cette erreur et que, ne reprenant qu’un aspect de l’analyse dialectique de Lénine, ils en déformaient le sens et l’intégraient à leur thèse fondamentale – à savoir que la révolution d’Octobre était un monstre qui n’eût jamais du voir le jour, l’enfant prématuré d’un mode de production non développé :

… les exhortations qu’articulent Otto Bauer et les dirigeants de la IIème Internationale et de l’Internationale II 1/2, et les mencheviks et les socialistes révolutionnaires, tiennent à leur propre nature. « La révolution est allée trop loin. Nous avons toujours dit ce que vous dites aujourd’hui. Permettez-moi de le répéter encore une fois. » Nous répondons : Permettez-nous, pour cela, de vous coller au mur1.
Inversement, ne pas voir que la politique qui a objectivement résulté des conditions de lutte, du rapport de forces, et des deux stratégies en présence, doit être caractérisée, du point de vue de la stratégie révolutionnaire, comme une erreur, c’est se condamner à universaliser comme nécessaire des conditions spécifiques, s’interdire en dernière analyse d’élaborer une théorie générale de la transition qui soit une construction normative et non un simple enregistrement d’événements réels, et qui puisse permettre de tirer véritablement parti de conditions objectives plus favorables, si elles viennent à se présenter à un autre moment de la transition en question, ou d’une autre transition concrète ; c’est également, lorsqu’un tournant stratégique est devenu indispensable, s’exposer à n’en pas voir la portée :

Les camarades Stoukov et Sorine se sont beaucoup lamentés, disant : voilà qu’on nous parle d’erreurs, mais ne pourrait-on pas s’abstenir d’inventer des erreurs ? Bien sûr, si l’on invente des erreurs, c’est une chose tout à fait mauvaise. Mais si l’on élude les questions pratiques comme le fait le camarade Gonikman, on a absolument tort. Il a prononcé tout un discours sur ce thème : « Le phénomène historique ne pouvait pas prendre une autre tournure que celle qu’il a prise. » Voilà qui est absolument incontestable ; nous l’avons tous appris dans l’a b c du communisme, dans l’ a b c du matérialisme historique et dans l’ a b c du marxisme. (…) Avec mes exemples, j’ai voulu justement montrer que le fond de la question est celui-ci : la reconnaissance de l’erreur a-t-elle à présent une portée pratique ? Faut-il actuellement changer quelque chose après ce qui s’est produit, et s’est produit inévitablement2 ?
On peut considérer que le communisme de guerre a été une erreur et que la collectivisation a été une erreur. Le communisme de guerre vu de 1921, la NEP vue de 1929 et la collectivisation vue de 1956. Ce point de vue est légitime si on en saisit l’aspect objectif, si l’on voit l’enchaînement concret des conséquences comme le développement historique complexe des luttes de classes et des stratégies antagonistes. À vrai dire, les remarques de Lénine s’appliquent à toute la transition soviétique, dans la mesure où elle s’est développée dans des conditions objectives extrêmement défavorables : l’erreur du communisme de guerre s’est répercuté sur le stade suivant (la NEP), que l’on peut analyser comme une anomalie inverse par rapport au capitalisme d’État comme ligne générale, et encore sur le stade ultérieur (« stalinien » qui a hérité de cette accumulation de contradictions du début de la Révolution – comme d’une partie de la structure sociale tsariste, au niveau idéologique et administratif en particulier.

La lutte des classes n’a pas cessé de se développer pendant toute cette période, sous les formes les plus diverses (nous indiquerons plus loin une partie de celles qui ont caractérisé la NEP), et toute la structure sociale apparaît tout au long du début de la transition, comme un immense équilibre, plus ou moins stable, de rapports de forces et de tendances antagoniques.

Nous n’avons pas la prétention, dans ces quelques pages, d’analyser l’ensemble de ces chaînes de causes et d’effets, et de fournir une explication de la tournure propre de la transition soviétique. Nous nous contenterons d’indiquer, à titre de repère, et de norme, les principaux régimes économiques – essentiellement des variantes du capitalisme d’État – que le pouvoir soviétique a tenté d’implanter en Russie, et, plus précisément à propos de la NEP, de mettre en regard certains aspects concrets du développement de la lutte des classes et des formes réelles avec les grands traits de la théorie stratégique mise en œuvre.

Obstacles à la connaissance concrète de la formation sociale en transition : principes d’analyse.

Si une formation sociale stabilisée présente un certain nombre de facteurs d’homogénéité qui facilitent une caractérisation univoque (domination assurée d’un mode de production, ajustement de toutes les instances à cette domination, pénétration généralisée de l’idéologie de la classe dominante, osmose entre la conscience sociale spontanée de la masse et les superstructures juridiques, etc.), il n’en est pas de même dans le cas d’une formation sociale en transition : pendant toute une période de bouleversements, on voit s’affronter en une lutte aiguë pour la domination plusieurs modes de production (certains mêmes qui avaient été subordonnés par un mode de production supérieur reprennent vie et expansion, favorisés par la désorganisation et les catastrophes matérielles ainsi la renaissance du petit capitalisme marchand quand une structure monopoliste est désarticulée par la guerre civile, ou même le retour de zones entières à l’autoconsommation et au troc) ; cette lutte entre modes de production se spécifie et se diversifie aux différents niveaux de la structure (la victoire politique d’un mode de production n’assurant pas immédiatement sa victoire économique, de même qu’une prépondérance idéologique d’un mode de production peut être brisée militairement ou administrativement au niveau des expressions organisationnelles) et s’émiette dans la diversité des conditions locales. La structure sociale en transition apparaît dans ces conditions comme un champ infiniment complexe d’adéquations rompues, de convexions brisées ou déformées de rapports inversés, comme une mosaïque de formes diverses, parcourue et secouée par des ondes de choc antagoniques (les formes d’affrontements entre modes de production).

Plus expressément, on peut suggérer comment se manifeste cet émiettement, cette diversification, à l’époque d’une révolution sociale : d’innombrables événements surviennent, d’innombrables rapports se développent, qui non seulement ne sont pas sous le contrôle de la direction politique et sociale, ne lui sont pas soumis, mais souvent même sont à peine connus d’elle ; on est impressionné de voir à quel point les dirigeants bolcheviques en étaient souvent réduits, vis-à-vis de la campagne, de la quasi-totalité du pays, à la position d’explorateurs ou d’enquêteurs, réunissant bribes par bribes les éléments d’un tableau d’ensemble toujours mouvant.

Cet obscurcissement (par multiplication et exacerbation des antagonismes et des contradictions) de la dominante nous contraint à la prudence dans les tentatives de systématisation, et engage à ne pas éliminer trop rapidement de la construction théorique des phénomènes qu’un premier regard pourrait juger atypiques.

Il va de soi que je ne suggère pas ici que la multiplication des discordances et l’émiettement des formes réelles produisent finalement une formation globale « inqualifiable ». Ce serait renoncer à toute analyse et dénier à la formation sociale en transition son statut de structure. Il y a dans toute structure une dominante ou des dominantes et si nous avons ici un système plus complexe de structures articulées (ou relativement désarticulées), chacune d’elles est susceptible d’une caractérisation aux différents moments du développement de l’ensemble. J’indique simplement les obstacles auxquels se heurte, dans le cas des phases de transition, la détermination des dominantes :

– ce type de structure sociale est par excellence le lieu des seuils dont le franchissement se traduit, pour une partie ou même pour un élément, par un changement de la nature de la détermination principale (l’instance dominante se déplace : politique, militaire, économique, idéologique ; les rapports de force se modifient, etc.)

– et si l’on tente d’arrêter l’analyse à un moment donné du développement des contradictions, la caractérisation de la structure réelle (non du type d’organisation que le pouvoir tente d’implanter) se heurte aux innombrables formes d’obscurcissement, de dissimulation des rapports de production, de mondes économiques clandestins, qui sont les produits ou les armes d’une âpre lutte de classes.

Une difficulté supplémentaire intervient pour l’analyse de la NEP, de son développement réel : la mort de Lénine a interrompu la théorisation systématique de l’histoire soviétique et diminué son intelligibilité pour nous. Jusqu’en 1923, Lénine a toujours – du moins à chaque tournant, à chaque déplacement important – caractérisé la résultante du rapport de forces et analysé les différentes combinaisons spécifiques des cinq modes de production existant en Russie qui se sont successivement opérées : mars 1918 et la nécessité du regroupement entre les deux modes de production les plus progressifs techniquement (socialisme et capitalisme de monopole), le communisme de guerre et l’isolement économique forcé d’un mode de production contre les autres, printemps 1921 et alliance limitée de tous les modes de production sur une base non marchande, automne 1921 et la retraite supplémentaire qui finira par assurer une certaine dominance économique du petit capital marchand. Or, à partir de 1923, c’est-à-dire pour la plus grande partie du stade que nous étudions, on ne saisit plus au même degré, dans l’explication par les dirigeants bolcheviques de leur pratique politique, cette théorisation vigoureuse de chaque moment actuel dans sa spécificité, et de chaque tournant (sinon pour le passage de la « restauration » à la « reconstruction », qui n’est pas à proprement parler un déplacement dans le rapport des forces, et pour 1928).

Je vais essayer, pour présenter la formation sociale du temps de la NEP, de combiner trois types d’analyse (indispensables, je pense, pour toutes les phases de transition) :

– un inventaire, qui à certaines conditions peut constituer une véritable analyse.
– Un principe de combinaison des différents modes de production en présence – analyse des « systèmes économiques cohérents », pour reprendre l’expression de Lénine, et des systèmes économiques dont la cohérence est extra-économique (militaire, ou politique).
– Une périodisation

1. J’entends par inventaire – qui, systématique, peut constituer une analyse de la structure réelle – la description de parties de la formation sociale, ou d’ensembles de faits solidaires à un niveau quelconque de la structure, que je crois être en leur principe typique de toute phase de transition en général, étant entendu que chaque phase et chaque moment d’une phase en constituent une organisation d’ensemble spécifique et différenciée ; peuvent entrer dans cette catégorie :
– les différents types d’inadéquation entre rapports de production, rapports juridiques, rapports de travail, niveau des forces productives, etc. à tous les niveaux (unités de production locale, secteurs, etc.).
– les différents types de rapports inversés ou masqués : par exemple les rapports d’exploitation à la campagne sous couvert de statuts juridiques socialistes ou de formes familiales, etc.
– la permanence du contenu subjectif et humain de l’appareil administratif et économique de l’État : son rôle objectif étant pourtant bouleversé.
– la perpétuation, après l’écrasement politique d’une classe – bourgeoisie principalement – de son monopole du savoir et de ses attitudes subjectives dans les rapports de travail (problèmes des anciens propriétaires repris comme directeurs ou « spécialistes »).
– la mise en œuvre des grandes figures de la stratégie et de la tactique (assaut, encerclement, « Brest-Litovsk », etc.) qui peuvent donner forme à des politiques locales ou spécifiées.
– Les déplacements progressifs de la puissance politique et les seuils de ces déplacements (ainsi la conquête des organes inférieurs du nouvel appareil d’État, soviétique, par les Koulaks entre 1925 et 1928).
– les rapports de forces entres classes et couches sociales à tous les niveaux de la structure en transition et leurs expressions : fractions dans le parti, antagonismes dans l’appareil d’État.

Il y a là tout un ensemble de descriptions à faire, qui menées systématiquement permettraient sans doute d’énoncer une série de lois partielles ou d’ « effets ».

Pour prendre un exemple, on pourrait dégager un « effet Boukharine » : un monopole d’État excédant les capacités d’organisation par l’appareil étatique permet moins de contrôle des flux réels qu’une réglementation réaliste. Il va de soi que, si l’on est assuré de découvrir de tels effets dans toutes les transitions vers le socialisme, ils prendront ici ou là des formes et des poids différents, pourront concerner des secteurs limités ou d’économie entière, etc. C’est pourquoi il faudrait dans chaque cas, à la fois indiquer que l’on retrouve un effet de type général, et montrer la place spécifique que cet effet occupe dans la structure analysée. C’est ce que j’avais entrevu quoique de façon insuffisamment développée, à propos de l’Algérie, en indiquant une « homologie de structure » entre les deux phases de la bataille des échanges en Algérie et en Russie.

L’élaboration d’une théorie générale des transitions exige un grand nombre d’analyses précises des processus relativement cohérents et limités, que l’on retrouve dans toutes les phases de transition, où par ailleurs, ils occupent des fonctions différentes, secondaires ou décisives.

On trouvera quelques indications qui pourraient être développées en ce sens, dans la partie de ce texte intitulée « aspects spécifiques de la lutte des classes sous la NEP et formes sociales propres à ce stade ».

2. le principe de combinaison des modes de production en présence sera constitué par la désignation et la caractérisation des différentes formes typiques, ou à dominantes, de la production et de la distribution, qui se succèdent ou se superposent (ou que même simplement tente de mettre en œuvre) au cours de la phase. On peut en distinguer plusieurs dans le début de la transition soviétique, plus ou moins explicitement désignés par Lénine :
– Le système économique dit « capitalisme monopoliste d’État » ou « capitalisme d’État » avec ses variantes

organisation principalement étatique (ou coopérative de l’échange)
organisation principalement capitaliste de l’échange
(encore serait-il peut-être plus exact de dire que l’organisation capitaliste de l’échange introduit plus qu’une variante et modifie le système dans le sens d’un capitalisme d’État nepien, c’est-à-dire concurrentiel, avec prédominance du marché, etc. Sans doute faudrait-il distinguer entre une organisation privée de l’échange sur la base du troc ou du moins dans une période d’affaiblissement des catégories marchandes, et une véritable organisation capitaliste avec un marché organisé et un système financier solide).

– Prépondérance de la gestion sociales
– prépondérance de la gestion grand-capitaliste
– le communisme de guerre
– le capitalisme d’État à base de marché, ou capitalisme concurrentiel d’État (il s’agirait d’indiquer que le monopole est battu en brèche par la domination économique de la petite production qui exclut une véritable planification, donne un rôle de premier plan aux fluctuations du marché, etc. et pèse sur la structure même des secteurs monopolisés) avec ses variantes : réglementation plus ou moins stricte par l’État prolétarien.

3. La périodisation est l’opération théorique qui consiste à dégager le principe de scansion d’un stade et les déplacements de contradictions (changements de forme de la contradiction principale, changement de l’aspect principal de la contradiction, rôle provisoirement décisif d’une contradiction secondaire, etc.) En l’espèce, la périodisation de la NEP doit à la fois marquer les mutations de la contradiction principale (contradiction entre développement et non développement de toutes les forces productives, quelle que soit leur nature sociale, l’une des formes de cette contradiction étant l’alliance ouvriers-paysans sur la base du marché et montrer comment les contradictions secondaires s’articulent à celle-là (question financière, question du commerce extérieur, etc.) et se développent de façon à la menacer (en particulier entre commerce privé et secteur d’État, contradiction entre koulaks et spéculateurs, et classe ouvrière, contradiction dans le nouvel appareil d’État, etc.) Les trois types d’analyse dont je viens d’énoncer le principe seront mis en œuvre ici, distinctement à certains moments, en se recouvrant à d’autres. Qu’elles ne puissent être en tous points systématiquement articulées les unes aux autres, la faute en incombe aux lacunes de notre connaissance. Si nous pouvions déterminer exactement, en en mesurant l’extension, les formes réelles dont souvent nous ne pouvons qu’établir un inventaire morcelé, il serait aisé de résoudre les problèmes de caractérisation des régimes économiques (des systèmes de rapports entre modes de production), de même que ceux de la périodisation. Mais souvent, nous sommes obligés d’extrapoler, de construire des systèmes à partir d’indices, d’évaluer sommairement le poids spécifique de tel phénomène partiel. Les pages qui suivent ne sont qu’une première approche, une tentative pour avancer un certain nombre de propositions et construire quelques faits pertinents au regard d’une théorie de la transition. Il ne s’agit pas encore d’une histoire proprement dite de la NEP, mais tout au plus d’organiser quelques uns des nœuds du problème où une telle histoire devrait, pour trouver sa cohérence, s’enraciner.

I. Systèmes économiques cohérents et formes d’organisation de la production et de l’échange.

Les combinaisons de modes de production dans la première partie de la transition soviétique

On peut considérer que, pendant toute la partie de la phase de transition soviétique qui a fait l’objet de la pratique politique de Lénine, et jusqu’en 1929, l’analyse des modes de production qui coexistaient en Russie n’a pas été remise en cause. Ces modes de production, au nombre de cinq, sont bien connus :

l’économie « patriarcale » paysanne (autoconsommation)
la petite production marchande
le capitalisme privé
le « capitalisme d’État » (c’est-à-dire le capitalisme de monopole)
le socialisme
Tout au plus la description des formes spécifiques de ces modes de production a-t-elle pu être, par la suite, affinée : l’analyse des formes particulières de l’exploitation koulak au travers de rapports collectivistes ou capitalistes inversées, est une de ces descriptions.

Si l’inventaire des modes de production en présence ne pose pas de problème particulier, par contre l’analyse des combinaisons qui sont opérées entre ces modes de production est autrement épineuse.

Au premier chef, il est essentiel de faire le départ entre les combinaisons spontanées ou contraintes des cinq modes de production, combinaisons instables, aberrantes ou contradictoires du point de vue économique et les combinaisons qui ont véritablement constitué des systèmes économiques cohérents de passage au socialisme dans une économie initialement à prépondérance petite bourgeoise. À vrai dire, le « régime économique cohérent » de la transition soviétique que Lénine a élaboré dans ses grandes lignes, n’est jamais apparu que sous la forme de faibles éclaircies, de lueurs entrevues au travers des tempêtes de la Révolution ; deux fois seulement, les dirigeants soviétiques ont pu tenter de s’accrocher à leur norme économique sans être emportés par l’ouragan militaire ou politique : de mars à juin 1918 (lorsqu’entre la paix de Brest-Litovsk et l’insurrection tchèque Lénine tente de mettre en œuvre le système de capitalisme d’État) et du printemps à l’automne 1921 (lorsque la NEP se veut encore retour [à] 1918, avant d’être emportée dans la marée marchande).

Jusqu’en mars 1918, la lutte armée contre l’impérialisme et la bourgeoisie commande tout : la question des hauteurs dominantes de l’économie, des usines, des appareils de production et d’échange se confond avec la question du pouvoir dans l’État ; s’en emparer est une nécessité vitale.

C’est seulement au printemps 1918 que, dans l’accalmie provisoire, Lénine tire le premier bilan de la prise d’assaut, des nationalisations désordonnées, et élabore la théorie du capitalisme d’État comme régime économique de transition. À vrai dire, la longue discussion avec les communistes de gauche (qui s’est poursuivie en 1919 et jusqu’à l’adoption de la NEP) a marqué, dans la théorie de Lénine, la constitution d’une science cohérente de la transition, dont la théorie du capitalisme d’État n’est qu’un élément. Il vaudrait la peine de retracer l’ensemble de cette discussion. Je me contenterai de dégager des principaux textes (« l’infantilisme de gauche », la discussion sur le programme du PCUS au VIIIè Congrès) les points qui apparaissent fondamentaux.

Pour démontrer que, dans la formation sociale complexe constituée par cinq modes de production, l’alliance économique entre le capitalisme monopoliste et le prolétariat (alliance qui fonde le régime appelé « capitalisme monopoliste d’État) est une politique juste de transition vers le socialisme, Lénine se livre à l’analyse suivante :
1. Dans toutes les formations sociales à dominante impérialiste – monopoliste, la base marchande simple et le petit capitalisme n’ont pas disparu : l’exploitation de formes petites bourgeoises est même la forme d’existence du capitalisme impérialiste – monopoliste (ce qui apparaît dans les relations villes – campagnes). Le monopole n’est qu’une « superstructure » dont la production marchande simple reste la base. Par conséquent, même dans les pays où la dominante monopoliste est assurée, la petite production marchande tente (sans espoir) de la saper.
Par contre en cas de catastrophe (guerre, guerre civile), la superstructure monopoliste s’effondre et laisse à jour la base : renaissance d’innombrables petits échanges par désorganisation des transports, réapparition du développement insolite de l’autosubsistance, etc.
2. Or, en Russie, la dominante monopoliste n’a même pas réussi à s’imposer. Le mode de production prépondérant reste l’immense petite production marchande, stimulée par la désorganisation générale (qui favorise la spéculation). Mais la dominante monopoliste s’identifie à l’existence et à la solidité des « hauteurs dominantes » dont la prise de possession est le nœud d’une socialisation de l’économie. Il apparaît donc, en 1918, que le problème posé n’est pas seulement de s’emparer des « hauteurs dominantes », mais aussi de les préserver contre un assaut maladroit, voire même de les constituer avec l’aide des spécialistes, c’est-à-dire des monopoleurs. La position du mode de production capitaliste monopoliste (le quatrième mode de production : capitalisme d’État) est chancelante, violemment contestée par les modes de production marchand et petit-capitaliste, économiquement et techniquement arriérés, idéologiquement attachés à la production anarchique petite-bourgeoise ; si la classe ouvrière continue de porter ses coups contre les monopole capitalistes, elle risque de renforcer non le socialisme mais le petit capitalisme (qui profitera de la désorganisation d’un secteur de grande production nationalisé au-delà de toute capacité effective), et de mettre à nu la « base » marchande du monopole. En effet, le monopole de la connaissance des procès de production et de circulation que possèdent les grands capitalistes ne se brise pas instantanément.

Ainsi, lorsque Lénine, en mars 1918, propose d’arrêter l’offensive de nationalisations, de passer des contrats avec les grands monopoleurs pour leur laisser la gestion de leurs entreprises au nom de l’État soviétique, il ne fait rien d’autre que tirer la conclusion des deux propositions suivantes :
1. dans la grande industrie, le capital est une « condition réelle de la production » (Marx) ; on ne supprime pas une condition réelle de la production : on met sur pied les moyens de la remplacer et, en attendant, on tente de l’utiliser telle quelle. C’est la tentative d’ « acheter » les grands capitalistes comme organisateurs du procès de production.
2. les modes de production n’entrent pas dans des rapports de hiérarchie et de succession fixés une fois pour toutes : un mode de production plus avancé peut se voir arracher la domination dans des conditions données. En l’occurrence, une politique qui se fierait au niveau mondial de développement des modes de production (et situerait simplement la période actuelle comme « ère de domination du capital financier » sans analyser le véritable rapport de forces entre modes de production en Russie, risquerait, en procédant à une offensive hâtive et extrême contre les monopoles capitalistes, de se traduire par une régression généralisée vers une forme plus primitive de production et d’échange.

Il faut ajouter que les conséquences positives de cette analyse n’ont pu être réalisées. Les capitalistes monopoleurs ont refusé l’alliance, reposé de concert avec l’agression impérialiste la question du pouvoir et la question militaire, et contraint les bolcheviks à reprendre l’assaut. Sous la pression de la stratégie adverse, les bolcheviks ont mené la politique qu’avait refusée Lénine : lutte à outrance contre les monopoles capitalistes, nationalisations illimitées, en même temps que lutte économique contre la petite bourgeoisie (réquisitions) ; un mode de production se trouvait isolé face à tous les autres.

En 1921 (surtout à l’automne après la débâcle de la réalisation de la récolte) apparaissent les conséquences qu’avait prévues Lénine au cas où une telle ligne erronée viendrait à être mise en œuvre : monopole brisé, développement anarchique de la petite production et des petits échanges marchands, bref résurrection et développement impétueux de la « base », le mode de production marchand.

La rupture du monopole contraindra le mode de production socialiste à une retraite de plus en plus marquée et à l’alliance avec tous les autres modes de production, alliance qui donnera dans le nouveau système une place fondamentale aux modes de production marchand et petit-capitaliste, fondant un régime de « capitalisme de marché sous l’État soviétique. »

On peut résumer sommairement comme suit la succession des combinaisons de 1917 à l’automne 1921 :
1. octobre 1917 – mars 1918 : ce qu’on peut appeler « socialisme de guerre civile » ; offensive de nationalisations, pour des raisons politiques et militaires. Alliance des modes de production socialiste et marchande (l’immense petite production paysanne) contre les modes de production privé et monopoliste.
2. mars 1918 – juin 1918 : tentative de « capitalisme monopoliste d’État » – alliance des modes de production socialiste et capitaliste monopoliste contre la petite production capitaliste et marchande.
3. juin 1918 – mars 1921 : communisme de guerre ; le monopole socialiste isolé lutte contre tous les autres modes de production.
4. mars 1921 – automne 1921 : tentative de retour au « capitalisme monopole d’État », de limitation du mode de production marchand.
5. après l’automne 1921 : victoire des modes de production marchand et capitaliste privé. Domination du marché.

Système d’alliance entre tous les modes de production

Ce dernier régime économique, qui est la NEP proprement dite, sera analysée plus loin. Nous n’étudierons pas ici le communisme de guerre. Il faut cependant insister sur le fait que Lénine a toujours caractérisé le communisme de guerre comme une forme d’organisation sociale de la production et de l’échange aberrante du point de vue des étapes de la transition soviétique.

Le système cohérent qui s’est établi avait été imposé par des besoins, considérations et conditions militaires et non économiques. (…) Dans ses grandes lignes, vu l’état de guerre, cette politique était juste. Nous n’avions aucune autre issue en dehors de l’application maximum du monopole immédiat allant jusqu’à la réquisition de tous les excédents et même sans la moindre compensation. Nous ne pouvions agir autrement. Ce n’était pas là un système économique cohérent3.
Le « système économique cohérent », c’est le capitalisme monopoliste d’État. Il n’est pas inutile de préciser la base économique et technique de ce régime. Cette forme d’organisation sociale de la production et de l’échange correspond au niveau le plus développé des forces productives du capitalisme (qui constituent la base matérielle du socialisme) : grande industrie fonctionnant selon le système Taylor, rôle décisif de l’électrification dans la modernisation des campagnes. La dominante du point de vue des forces productives correspondant à deux types de rapports de production (capitalistes monopolistes et socialistes), la forme du régime dépend en dernière instance des capacités de gestion que possède le prolétariat ; or justement, la classe ouvrière, qui détient le pouvoir d’État, n’est pas en mesure d’assurer la « gestion capitaliste d’État ». C’est pourquoi l’on voit s’introduire dans le schéma la classe grand-capitaliste, à laquelle le pouvoir propose de gérer en son nom et sous son contrôle des entreprises nationalisées. Mais l’essentiel est que ce soit alors à l’élément monopoliste dans la classe capitaliste, c’est-à-dire la partie du capitalisme solidaire des formes les plus socialisées de la production, que l’on fasse appel.

On peut désigner ce projet de capitalisme monopoliste d’État comme le « rêve cubain » dans la révolution russe : une révolution mondiale intégrera rapidement la Russie dans un espace économique socialiste où le poids déterminant des pays avancés, en particulier de l’Allemagne, permettra de porter l’économie soviétique au niveau supérieur des forces productives mondiales.

Si Lénine considère qu’il est possible de porter en Russie l’ensemble de l’organisation sociale de la production et de l’échange directement au niveau adéquat aux forces productives les plus perfectionnées (système Taylor) – et ce au prix de concessions limitées, puisqu’elles ne visent que l’achat des services des monopoleurs en tant que gestionnaires et organisateurs de la production et s’il n’accorde pas un rôle prépondérant à la masse agricole arriérée (qu’il se résignerait à voir servir de fondement au type d’organisation mise en place), c’est pour cette raison d’ordre internationale, et deux autres, d’ordre intérieur :

1. La lutte contre la prépondérance du mode de production fondé sur les forces productives les plus arriérées (la petite production paysanne) se mène également sur le front idéologique et politique, sous forme de lutte contre l’esprit petit-bourgeois, facteur de désorganisation. Ce point est important pour comprendre la rupture avec les sociaux-révolutionnaires (sic). Lénine écrit :

dans un pays où les petits propriétaires sont l’immense majorité par rapport à la population purement prolétarienne, la différence entre le révolutionnaire prolétarien et le révolutionnaire petit-bourgeois ne pourra manquer de se manifester, et par moments avec une violence extrême.
(…)
L’origine sociale de ce type d’homme (le révolutionnaire petit-bourgeois), c’est le petit patron exaspéré par les horreurs de la guerre, la ruine subite, les souffrances inouïes de la famine et de la désorganisation économique. (…) Il faut bien comprendre que, sur cette base sociale, il est impossible de construire le socialisme4.
2. Dans la production industrielle et l’organisation de l’échange, la maîtrise du prolétariat, sur la base des techniques les plus avancées, sera rendue possible par la réalisation d’un bond idéologique en avant ; le rôle de la prise de conscience des procès de production et de circulation par les travailleurs est à cet égard décisif. (Dans les tâches immédiates, p. 269 : passage très important sur la publicité, la comptabilité populaire, la liquidation du secret commercial).

On sait que le cours des événements prit une autre tournure.

Il faut noter que l’adoption de la NEP au printemps 1921, fut tout d’abord marqué par l’idée de l’instauration du capitalisme monopoliste d’État, dans le sens de 1918 ; certes, dès ce moment, les concessions à la petite production bourgeoise étaient importantes, mais l’on pensait pouvoir limiter son caractère marchand ; le système coopératif devait permettre à l’État prolétarien de garder en main, sinon le monopole, du moins la part prépondérante des échanges. De plus, le principe initial de libre disposition du surplus agricole pour le paysan ne fut pas immédiatement assimilé à une libération générale du commerce ni à une restauration des catégories marchandes, pratiquement supprimées par le communisme de guerre.

Le décret de troc du printemps 1921 tentait de mettre sur pied un système d’échanges locaux en nature entre l’agriculture et l’industrie, organisé en partie directement par les ouvriers et en partie par le système coopératif et commercial.

Le test décisif fut la réalisation de la récolte de 1921 : le système coopératif fut incapable de fournir le marché paysan d’une façon satisfaisante, et de se procurer les produits agricoles nécessaires. Tout fut submergé par l’essor spontané des petits échanges marchands. À l’automne, il fallut se résoudre à légaliser le retour à la prépondérance des rapports marchands. Le capitalisme d’État, perdant les maillons essentiels de son monopole, se transformait en capitalisme concurrentiel, à prédominance marchande, sous contrôle étatique seulement : les deux moments de l’instauration de la NEP et l’abandon du capitalisme monopoliste d’État sont analysés très clairement par Lénine :

au printemps, nous disions que nous ne craindrions pas de revenir au capitalisme d’État, et nous envisagions justement la réglementation de l’échange des marchandises. Toute une série de décrets et d’arrêtés, …, tout fut adapté à partir du printemps 1921, en vue de multiplier les échanges.
Qu’est-ce que cela signifiait ? Quel est le plan d’édification impliqué, pour ainsi dire, dans cette notion ? On se proposait d’organiser dans l’ensemble du pays l’échange plus ou moins socialiste des produits industriels contre les produits agricoles et de rétablir grâce à cet échange, la grande industrie qui est la seule base d’une organisation socialiste.

II. Aspects spécifiques de l’histoire de la lutte des classes sous la N.E.P., et formes sociales propres à ce stade

Caractéristiques de la NEP sous l’angle de la lutte des classes

Du point de vue de la lutte des classes, la NEP se présente comme un système complexe d’alliances : alliance principale entre le prolétariat et la paysannerie, alliances secondaires avec le grand capital monopoliste international et le capital russe.

Le concept d’alliance de classes

Le concept de l’alliance est celui d’une unité contradictoire et partielle entre classes sociales dont les intérêts sont distincts ou opposés ; il y a, à la base de l’alliance, nécessairement une unité et une contradiction ; mais la nature de l’unité d’intérêts et de la contradiction d’intérêts varie : dans certains cas, les intérêts objectifs à long terme des deux classes sont les mêmes (la classe ouvrière et la paysannerie laborieuse), mais leurs intérêts objectifs à court terme peuvent être en contradiction (bataille autour des termes de l’échange, conflit entre accumulation paysanne et accumulation industrielle, l’accumulation industrielle ne se traduisant pas immédiatement par une extension des fournitures en bien de consommation à la campagne mais par un développement du secteur 1 qui ne correspond à aucun intérêt immédiat du paysan) ; lorsque les intérêts objectifs à court terme sont en opposition, on peut penser qu’il est possible, dans certaines conditions (en premier lieu qu’il ait communauté objective d’intérêts à long terme) et certaines limites qu’une pression idéologique compense cet antagonisme par une unité subjective ; mais l’inverse existe également : dans certains cas, l’alliance est possible en fonction d’intérêts objectifs à long terme et immédiats, mais se heurte à des contradictions subjectives et à une représentation déformée de l’intérêt de classe : ainsi le ralliement idéologique de la paysannerie moyenne et d’une partie de la paysannerie pauvre à la paysannerie aisée (mentalité petite bourgeoise hostile à la ville, à l’ « embrigadement » etc.)

Dans d’autres types d’alliance, les intérêts objectifs à long terme sont irrémédiablement antagoniques, mais il existe un intérêt objectif immédiat commun : ainsi dans l’alliance entre le prolétariat et le grand capital international sous la forme des concessions, dans l’alliance entre le prolétariat et le capital russe sous la forme du développement du commerce et de l’industrie privés. Encore l’élément subjectif joue t-il ici aussi un grand rôle, déterminant finalement si l’unité contradictoire va devenir unité ou contradiction : ainsi l’échec relatif de la politique des concessions, malgré tous les efforts du pouvoir socialiste, est dû principalement à l’évaluation par le grand capital international des inconvénients politiques et à long terme qui seraient la contrepartie de gains immédiats.

Pour définir le rapport de classes nommé alliance, nous pouvons dès maintenant mettre en évidence ces deux caractéristiques :
1. l’alliance ou l’ « entente» ne peut reposer sur une simple communauté partielle d’intérêts objectifs à court ou à long terme, qui ne serait pas reconnue subjectivement par les deux parties : il faut que l’unité objective soit perçue comme telle par les classes en présence.
2. l’alliance signifie pour chacune des classes le sacrifice d’une partie de ses intérêts – soit de ses intérêts objectifs à court terme, soit de ses intérêts objectifs à long terme.

Ces deux déterminations sont très clairement mises en évidence par Lénine à propos de l’entente classe ouvrière – paysannerie :

L’autre condition, c’est l’entente entre le prolétariat exerçant sa dictature ou détenant le pouvoir d’État et la majorité de la population paysanne. L’entente est une notion très large qui inclut un certain nombre de mesures et de gradations. Ceux qui entendent par politique des procédés mesquins qui frisent parfois la duperie doivent être résolument condamnés par nous. Il faut corriger leurs erreurs. On ne saurait duper les classes. Il nous faut … poser les questions du front : les intérêts de ces deux classes sont différentes, le petit cultivateur ne veut pas ce que veut l’ouvrier5.
On se tromperait pourtant si l’on déduisait de cette nécessité une certaine unité subjective dans l’alliance, une extension de l’alliance à tous les niveaux de la structure : au contraire, l’entente économique se combine le plus souvent avec la lutte politique ; la chose est évidente pour l’alliance avec le capital, elle est vraie également pour la petite paysannerie : au moment même où le parti bolchevik accepte de se rallier aux principales revendications spontanées de la petite bourgeoisie, il intensifie la lutte contre l’expression politique organisée de ces tendances (répression contre les S.R. de gauche, contre les tendances anarcho-syndicalistes, etc.).

C’est que, du point de vue du prolétariat, toute alliance repose sur un certain rapport de forces : l’alliance économique, les concessions économiques ne sont possibles que si, du point de vue politique et militaire, la question du pouvoir est réglée.

Bien plus, l’alliance ne se perpétue que sur la base de ce rapport de forces, et toute son histoire doit être analysée comme une lutte pour le maintien du rapport de force initial : en fait, aucune « entente de classes » ne reste statique, et il est indispensable de saisir l’évolution des rapports, les stratégies contradictoires des partenaires et le moment du seuil, du changement dans la nature de l’alliance.

L’histoire de la NEP est en ce sens d’une complexité exemplaire : on y voit se mettre en place un premier système d’alliances, subtilement équilibré pour empêcher une conjonction de forces antiprolétariennes tout en arrachant séparément à ces forces une collaboration avec le pouvoir soviétique ; c’est la tentative de retour au capitalisme d’État en 1921-1922, sur la base de la double alliance : prolétariat – paysannerie, prolétariat – capital international, le prolétariat intervenant comme médiation forcée entre le marché mondial et la paysannerie soviétique. Puis l’échec du système contraint à une nouvelle retraite qui introduit une nouvelle alliance, ou plutôt décale une ancienne alliance au point de la dénaturer : c’est le retour à la liberté des échanges au moyen du marché, et l’entente avec le capital commercial privé – décalage d’envergure, puisque la collaboration avec le capital russe avait été conçue du point de vue de la production (« spécialistes »).

Le capital a donc réussi à imposer la collaboration sur un terrain plus rentable pour lui et moins utile, à long terme du moins : le commerce.

Enfin, le développement de la NEP permettra au capital privé de passer du terrain du commerce à celui de la spéculation et de la manœuvre financière (Nepmen, fournisseurs de trusts d’État, etc.). L’histoire de l’ « Alliance avec le capital russe » est donc celle d’une lutte de classes acharnée où chaque partenaire essaye de maintenir le rapport en sa faveur ; à l’alliance, le capital russe a fourni non ce qu’il avait de meilleur, mais ce qu’il avait de plus malsain. À cette stratégie bourgeoise, le pouvoir soviétique a répondu par une série de contre-offensives de répression, puis par « l’expulsion du capital privé » (1926-1930).

De la même façon, l’« alliance avec le grand capital international » a été une forme latente de lutte jusqu’à la liquidation des concessions en 1930 et le procès des « industriels ». De même qu’à l’intérieur, le capitalisme privé qui a collaboré sous la NEP, a été le capitalisme spéculateur, de même c’est la partie la plus aventurière et la moins solide du capital international qui s’est intéressée aux concessions. C’est ce que démontre Ioffe dans un texte de 1927 : « Le travail des concessions est-il possible en URSS ? »

Quand aux stratégies respectives du prolétariat et de la paysannerie, et au développement contradictoire de leur « alliance », c’est le nœud de l’histoire de la NEP et de ses luttes de classe. Nous analyserons plus loin certains des aspects des rapports de ces deux classes. Nous pouvons dès maintenant souligner que la paysannerie n’a pas stabilisé ses revendications, qu’après les concessions de 1921-1922 sur la libre disposition du surplus, elle a engagé une bataille économique sur les termes de l’échange, qu’elle s’est regroupée autour de ses couches aisées en une stratégie économique conséquente, déplaçant ainsi dangereusement le rapport de forces initial et provoquant en dernière instance l’ « offensive bolchevique » de 1928-1929, tout à la fois rétablissement d’un rapport de forces favorable au prolétariat et rupture subjective de l’alliance.

Il y a donc une véritable histoire des alliances, qui n’est autre que la forme spécifique de la lutte de classes sous la NEP : les rapports ne sont pas restés tels que la politique de 1921-1922 avait essayé de les établir ; chaque classe a développé ses formes propres de lutte, imprévisibles initialement, donnant à la formation sociale sa structure complexe de résultante de stratégies de classes et de luttes de classes.

Note sur la périodisation et l’histoire de la N.E.P.

1. Si l’histoire de la NEP est fondamentalement l’histoire des rapports entre la classe ouvrière et la paysannerie, de l’alliance conclue en 1921 à la rupture de 1929, il est naturel que la scansion de cette élémentaire de toute cette période soit le nœud de ces rapports, à savoir la récolte annuelle, les conditions de sa réalisation et la lutte autour des termes de l’échange (problèmes financiers de la réalisation, lutte entre système coopératif et commerce privé, batailles de taxation des prix et spéculation, évaluation de l’impôt, des produits disponibles pour l’industrie, des débouchés offerts par la demande solvable, etc.). À vrai dire, chaque récolte, de 1921 à 1929, a mis en évidence la plupart des contradictions fondamentales de la structure : il faudrait pouvoir analyser ici plus particulièrement les récoles de 1924, 1925 et 1928 qui, à des titres divers, marquent toutes un progrès décisif dans l’organisation semi-spontanée d’une stratégie économique de la paysannerie, sous la direction de ses couches les plus aisées. Je n’entrerai pas dans le détail de cette analyse. Il faut cependant noter la gradation suivante : si en 1923 la paysannerie s’est trouvée désarmée face à la politique des prix des monopoles industriels, en raison de l’abondance de la production agricole de 1922, dès 1924, les prix agricoles montent à la fois du fait d’une récolte mauvaise, et d’une politique de spéculation sur les blés, et en 1925, une récolte excellente se traduit néanmoins par une hausse rapide des prix agricoles, des difficulté de stockage par l’État, etc. Ainsi la production marchande paysanne a réussi à annuler l’action du facteur naturel (bonne récolte) sur les termes de l’échange avec l’industrie : cette donnée nouvelle, qui pouvait être masquée en 1924-1925, année de mauvaises conditions naturelles (récolte totale de blé de 3 000 millions de puds contre 3 360 millions l’année précédente6 apparaissait clairement en 1925-1926).

Face à la spéculation sur les prix agricoles, qu’aucune taxation ne réussit à maîtriser, les monopoles industriels d’État se lancent dans une politique de hausses systématiques (reprenant ainsi leur politique spontanée de l’époque des ciseaux) dont il faudrait étudier plus en détail l’impact sur leur mode d’accumulation (en partie « sauvage », par gonflement des appareils etc.)

La période de 1924-1926 n’est pas seulement marquée par le développement d’une lutte économique de la paysannerie, mais par des manifestations plus expressives encore de la lutte des classes à la campagne, entre ouvriers et paysans. Les meurtres de Sel’kors se multiplient tout au long de l’année 1924 ; quant à l’insurrection massive en Géorgie, à la fin de 1924, elle prend un tel caractère de gravité que Zinoviev ira jusqu’à proposer, pour apaiser le mécontentement, la création de fractions de paysans sans-parti au Comité exécutif Central.

Il serait également important de faire toute l’histoire des tentatives d’implantation du Parti à la campagne, et de leur échec, comme de l’échec du nouvel appareil d’État dans les villages : les Soviets locaux sont happés vers le haut, se rapprochent de la machine administrative et des Soviets supérieurs ; les kolkhozes et sovkhozes qui existent refusent même d’avoir affaire aux Soviets de village et ne veulent dépendre que des Soviets de province : coupés de leur environnement immédiat, ils ne jouent aucun rôle d’entraînement socialiste politique et administratif. Finalement, la seule assemblée politico-administrative vivante reste l’ancienne assemblée politique du mir. Encore faut-il ajouter que le rôle traditionnel des paysans les plus aisés y reste déterminant. On comprend que, dans ces conditions, l’alliance classe ouvrière – paysannerie ne se soit pas concrétisée politiquement et administrativement. Nous verrons au paragraphe suivant que la prépondérance acquise dans les Soviets locaux par les Koulaks au cours de la « revitalisation des Soviets » sera un des éléments les plus graves de détérioration de l’alliance.

2. La deuxième référence, pour une articulation en moments distincts, du stade de la NEP, est la modification de la structure industrielle et l’évolution du problème de la reproduction ; si le seuil de 1923 (crise des ciseaux comme adaptation de l’industrie « socialiste » aux conditions de la concurrence capitaliste), tout comme d’ailleurs l’impact sur l’industrie de la « famine de biens » et de la pression inflationniste de 1925, peuvent être à certains égards référés à la première périodisation (l’une comme riposte de l’industrie à la tactique paysanne de 1922, l’autre comme résultat de la tactique paysanne dans la récolte de 1925), en revanche le passage vers 1925 de la « restauration » à la « reconstruction », c’est-à-dire l’épuisement des réserves inemployées de forces productives matérielles (voir le paragraphe suivant), constitue un élément autonome, spécifique à l’industrie, et que l’on ne pourrait, sans artifice, rattacher à la première périodisation. Nous verrons comment la conjonction du seuil industriel de 1925 avec la cristallisation et le perfectionnement de la tactique économique et politique des couches aisées de la paysannerie, surdétermine l’alternative ouverte à partir de ce moment, et qui sera résolue en 1929.
Il faudrait, dans une histoire de l’industrie sous la N.E.P., prendre toute la mesure de la réforme comptable, et du système d’autonomie des entreprises, montrer en quoi ce système permettait une meilleur connaissance des échanges et du cycle productif dans le secteur socialiste et en quoi son caractère capitaliste (critères financiers, rentabilité, spéculation, etc.) dénaturait ce secteur, l’intégrait aux mécanismes du marché et le dégageait des mains des travailleurs. La confusion des principes de clarification et d’autonomie, et de rentabilité capitaliste devrait être analysé d’une façon plus approfondie. Cette analyse plus précise dépasse le cadre de notre travail.


Edité le 05-12-2017 à 14:48:38 par Xuan


Xuan
   Posté le 05-12-2017 à 14:45:36   

Le seuil objectif de 1925-1926

Vers 1925, du fait de la convergence de plusieurs groupes de contradictions, la N.E.P. entre dans une étape nouvelle ; ce franchissement d’un seuil objectif déterminera le grand tournant stratégique de 1928-1929. Plusieurs seuils partiels sont franchis à peu près au même moment, cette coïncidence se traduisant par une grave modification dans le rapport de forces. Ces seuils sont les suivants :
– les conditions de la réalisation de la récolte de 1925 prouvent que la paysannerie a acquis une maîtrise décisive dans la lutte qu’elle mène pour imposer au pouvoir soviétique des termes de l’échange favorables à l’agriculture ; qu’elle est capable de mener, sous la direction Koulak, une stratégie économique consciente opposée à celle du Parti.
– Il apparaît, à l’issue de la campagne pour la revitalisation des Soviets (1925-1926), que les koulaks et les paysans aisés commencent à s’emparer des leviers de commande dans les organes inférieurs de l’appareil d’État (soviets locaux). Ainsi, à partir de 1925-1926, le dynamisme et la puissance économique des couches aisées de la paysannerie dégage ses premiers effets politiques et administratifs. Si l’on songe que la condition fondamentale qui rend la N.E.P. possible – conditions à maintes reprises explicitée par Lénine – est que le pouvoir politique du prolétariat n’est pas menacé (ni par une agression impérialiste, ni par une opposition politique organisée), on mesure l’importance de cette donnée nouvelle. La conjonction de la puissance économique koulak avec un début de prise du pouvoir administratif local signifie que le rapport des forces entre la classe ouvrière et la paysannerie, déjà gravement détérioré sur le plan économique par la maîtrise du koulak sur les termes de l’échange, se déplace également sur le plan politico-administratif.
Or c’est une constante de la stratégie bolchevique que chaque fois que la question du pouvoir d’État se pose, toutes les autres questions sont, par rapport, à celle-là, reléguées au second plan. Telle est la seconde raison pour laquelle, à partir de 1926-1926, la question de l’alliance avec la paysannerie ne se pose plus de la même façon.7
– La troisième tient à l’évolution interne de la structure de la production industrielle. C’est également vers 1925 en effet que s’effectue le passage de ce qu’on a appelé la « restauration » à ce qu’on a appelé la « reconstruction ».

Jusqu’à ce moment, le redressement des forces productives dans l’industrie s’est manifesté par la mise en œuvre de moyens de production qui avaient été laissés inutilisés pendant la période du communisme de guerre. Or l’utilisation pleine de ces moyens de production commence à être atteinte. La question du développement de la capacité productive, c’est-à-dire de la construction ou de l’acquisition de nouveaux moyens de production devient essentielle. La reproduction élargie exige désormais un taux d’accumulation industriel bien supérieur à ce qui était nécessaire pendant la « restauration ». Mais l’élévation du taux d’accumulation repose sur la possibilité d’obtenir le surplus agricole en échange d’une quantité relativement limitée de produits industriels. L’un des obstacles majeurs à cette condition est la domination économique de la paysannerie dans la bataille autour des termes de l’échange, les autres obstacles étant tous les facteurs parasitaires du commerce privé et la multiplication des intermédiaires, le gaspillage bureaucratique etc.

On voit comment le renforcement de la paysannerie et les difficultés propres de l’industrie modifient, vers 1926-1926, les rapports de forces sur lesquels sont fondés l’alliance. À partir de 1925, le pouvoir soviétique se prépare à une contre-offensive. Staline a éprouvé le besoin, en 1930, de marquer que le seuil objectif de la reconstruction avait immédiatement produit, de la part du Parti, un premier tournant subjectif avant le grand tournant stratégique de 1929 :

Dans le numéro 16 de la Krasnaïa Zviezda se trouve un article intitulé « la liquidation des koulaks en tant que classe » qui, exposant les choses d’une manière généralement juste, contient cependant deux formulations imprécises que je crois nécessaire de corriger :
Il est dit dans l’article : « Dans la période de restauration, nous avons pratiqué la politique de limitation des éléments capitalistes des villes et des campagnes. Avec le début de la période de reconstruction, nous sommes passés de la politique de leur limitation à la politique de leur évincement. »
Cette constatation est erronée. La politique de limitation, de restriction des éléments capitalistes, et la politique de leur évincement ne sont pas l’ancienne politique, mais un tournant de l’ancienne politique de restriction (et d’évincement) des éléments capitalistes du village vers la nouvelle politique de liquidation des koulaks en tant que classe8.

Formes spécifiques d’obscurcissement de la formation sociale sous la NEP

Au cours de la phase de transition, chaque forme d’organisation de la production et de l’échange suscite des types spécifiques d’inadéquation à tous les niveaux de la structure, et la constitution de rapports réels cachés, camouflés, ignorés ou inversés ; cet obscurcissement de la réalité sociale, conséquence de l’instabilité des rapports entre les instances – la formation sociale n’ayant pas encore trouvé un système stable de correspondance entre la réalité sociale, l’idéologie dominante, la conscience collective et les superstructures juridiques et politiques – est l’une des contradictions graves de la phase ; la stratégie politique de Lénine tient toujours le plus grand compte du niveau d’inadéquation, et les grands tournants politiques sont généralement déterminés, entre autres, par le franchissement d’un seuil d’obscurcissement et de décalage entre rapports juridico-politiques et idéologie officielle, d’une part, rapports réels et conscience sociale de l’autre.

Il serait utile d’analyser d’une façon approfondie les inadéquations spécifiques aux formes d’organisation qui ont précédé la NEP : en effet, le passage d’une forme d’organisation à la suivante – par exemple, du communisme de guerre à la NEP – réduit les inadéquations de la forme précédente et les ramène à des proportions tolérables, mais ne les liquide pas ; de sorte que l’on voit se constituer un système de plus en plus complexe d’inadéquations successives, renforcé par le perfectionnement de la stratégie bourgeoise ; une belle étude serait indispensable si l’on voulait rendre compte des caractéristiques propres de la deuxième partie de la transition soviétique (« édification socialiste » : « bureaucratie », « plan clandestin », relations parallèles entre appareils, frais excessifs, permanence de rapports subjectifs de travail et de production solidaires du capitalisme, etc.

Sans entrer dans le détail de cette analyse, nous rappellerons rapidement les formes spécifiques d’inadéquation de l’offensive de socialisation de 1917-1918 et du communisme de guerre, avant de nous arrêter aux conséquences de l’ « imprégnation capitaliste » de la NEP et aux formes subtiles d’obscurcissement et de déformation qui ont caractérisé ce stade.

L’offensive socialiste de 1917-1918, qui voit se succéder les nationalisations désordonnées, débouche, au printemps 1918 sur une désorganisation générale de la production et de l’échange, qui met en évidence l’incapacité des ouvriers à gérer directement l’ensemble de l’appareil productif. Le réajustement du rythme de nationalisation aux capacités de gestion de la classe ouvrière prend la forme de la stabilisation de mars 1918, de l’appel aux « spécialistes » et de différentes autres tentatives de compromis économiques avec la bourgeoisie.

Si, dans le cadre de l’offensive des nationalisations, les travailleurs se sont juridiquement emparés du pouvoir, qu’ils n’étaient pas à même d’exercer, ce processus est réédité, avec une plus grande ampleur, au niveau de l’État sous le communisme de guerre : la situation militaire et les nécessités du ravitaillement obligent en effet le pouvoir bolchévique à englober dans le monopole d’État la plupart des fonctions économiques, en particulier dans le domaine de l’échange. On connaît les conséquences de ce système imposé par les circonstances, et qui ne correspondait pas aux possibilités réelles, aussi bien en raison de la « dispersion » des forces productives (prépondérance de la petite production) que du fait de la faiblesse de l’appareil d’État et des appareils économiques : constitution d’un marché clandestin, multiplication des opérations économiques illicites, conflit ouvert entre le pouvoir et la petite paysannerie.

La légalisation des pratiques clandestines dans le domaine de l’échange permet, sous la NEP, de contrôler quantitativement le flux de produits, et de fonder enfin la politique économique sur des données réelles et des prévisions vraisemblables. La systématisation de réglementations relativement réalistes et modestes permettait de mettre en chantier toute une série de réformes et d’ajustements qui réduisaient les énormes poches incontrôlées du stade antérieur (réduction de l’inflation et réforme financière, politiques de prix, etc.).

Cette retraite du monopole du contrôle permettait sans aucun doute une connaissance quantitative supérieure, et même relativement adéquate, des flux. Cependant, la NEP rendait possible une résistance au contrôle économique sous deux formes.

– D’une part la liberté de la petite production marchande et l’existence d’intermédiaires commerciaux privés mettaient en échec les tentatives du pouvoir pour imposer les termes de l’échange entre l’agriculture et l’industrie (spéculation sur les grains, échecs du stockage et de la politique de taxation des prix agricoles en 1924-1925 et jusqu’en 1928) ;

– d’autre part la nature sociale des flux économiques et des rapports économiques était souvent masquée par d’innombrables artifices des éléments capitalistes, désireux de tourner les lois soviétiques, ou d’échapper à des dispositions défavorables du système à leur égard. À cet égard, l’évaluation de la force respective des secteurs socialiste et capitaliste dans l’économie, l’évaluation de l’implantation koulak à la campagne et de la différenciation de classe, étaient extrêmement ardues, voire même impossible. Si l’on ajoute à cela le rôle dirigeant des éléments capitalistes, même minoritaires, dans la structuration de l’échange (que l’on songe à la victoire à la Pyrrhus d’une coopération qui gagne du terrain, mais en empruntant au capital privé ses méthodes et en entrant en conflit d’intérêts avec l’industrie d’État), on se rend compte de la complexité du système réel des rapports de production, et de la difficulté de le caractériser.

Nous nous contenterons de donner une idée des formes de dissimulation des rapports capitalistes sous des aspects socialistes ou non-capitalistes, dans l’agriculture, l’industrie et le commerce.

L’agriculture

Carr montre, dans Socialism in one Country9, comment les rapports de production utilisent :

– des formes collectives dégradées (par exemple les koulaks trouvant, au Caucase du Nord, un cadre à leur exploitation dans le mir) ou encore vides (certains artels et communes dominés par les koulaks et les anciens propriétaires fonciers, situation contre laquelle essaiera de sévir un décret de mars 1925 – ces faux artels avaient leurs homologues dans l’industrie et le commerce ; cf. plus loin).

– des rapports juridiques qui inversent le rapport réel (le salarié étant en fait l’exploiteur) :

… rien n’était tout à fait ce qu’il semblait. La relation classique entre le propriétaire foncier et le fermier était souvent inversée. Le paysan riche qui, propriétaire du sol, le louait en parcelles aux paysans pauvres à un loyer exorbitant, était un phénomène moins courant que le paysan pauvre louant au paysan riche la terre dont il avait la jouissance adéquate, qui ne suffisait pas à le nourrir, lui et sa famille, ou que, par manque de bétail et d’instruments, il était incapable de cultiver. (…) En théorie, le paysan riche avait loué son travail sur la terre du paysan pauvre et, à travers ce statut légal fictif, il espérait éviter l’opprobre d’être marqué comme koulak10.
L’analyse de cette inversion est faite par Kritsman (Klassovoe Rassloenie v Sovietskoi Derevui), cité par Carr :

la forme de base de l’économie capitaliste dans la campagne soviétique, et une forme qui gagne en importance, est une économie capitaliste (surtout petit capitalisme) fondée sur le louage d’animaux de trait et d’instruments aratoires, dans laquelle le capitaliste caché apparaît sous la figure du travailleur qui travaille la ferme d’un autre avec ses propres animaux et outils, et le prolétaire caché apparaît sous la figure du propriétaire…
On saisit sur cet exemple l’opacité des rapports sociaux et l’extrême difficulté, pour les dirigeants soviétiques eux-mêmes, d’une analyse de la différenciation de classes à la campagne sous la NEP.

– enfin, les rapports capitalistes utilisaient même des formes juridiques familiales pour se dissimuler :

des exemples de la façon dont on tournait les limitations légales au droit de louer du travail salarié par des stratégies telles que les mariages fictifs ou l’adoption, ou la prestation de travaux en échange d’avances de grains ou de semences, dons donnés dans L. Kritsman11.
L’industrie et le commerce

Dans un rapport à l’Académie Communiste, « Le capital privé dans l’économie nationale » (1927), Larine énumère les modes d’insertion du capital privé dans les structures économiques socialistes :

– pénétration des capitalistes privés dans les administrations soviétiques avec des contrats rémunérateurs pour eux, leur assurant un pourcentage des bénéfices (« fondés de pouvoirs spéciaux avec des contrats particuliers »

– organisation de pseudo-coopératives de production et de consommation, d’ « artels d’invalides », etc. :

il est connu que de nombreux artels d’invalides ne sont que de simples couvertures de protection pour l’industrie privée. Ces « artels de travailleurs » et les organisations pseudo-coopératives comptent plus de salariés que d’associés. Les cas d’utilisation d’autres simulacres d’organisation sociale sont également fréquents. Enfin, on trouve quelques cas d’alliance des entreprises privées avec des concessionnaires étrangers. Ainsi, dans sa lutte contre les difficultés d’existence et d’approvisionnement, le capital privé se fractionne, se rapetisse, adopte des formes camouflées, mais accomplit quand même un travail considérable12.
On comprend, à la lecture de ces analyses, que la puissance du capitalisme privé dépassait largement les seules opérations capitalistes « visibles », enregistrées par le pouvoir (il faudrait ajouter aux textes de Larine toutes les descriptions du rachat, par les grossistes privés, de produits vendus par les coopératives de détail, et des opérations commerciales fondées sur ce procédé, ainsi que les échanges entre trusts d’État qui étaient des transactions déguisées entre nepmen, etc.) : dans toute la structure économiste, les agents capitalistes et les rapports capitalistes s’infiltraient, donnant leur forme aux procès de production et de circulation, les noyant aux yeux de la direction sociale et des travailleurs, dans une gangue marchande-capitaliste.

III. La N.E.P. du point de vue des fins et des conséquences

Bilan et conséquences de la N.E.P.


On peut entendre, du point de vue stratégique, la N.E.P. de deux façons, lui donner si l’on veut, un sens fort et un sens faible : si l’on conçoit la N.E.P. comme une simple pause dans la socialisation et un moyen de relever les forces productives, on peut dire qu’elle a atteint, en gros, son objectif ; mais si l’on voit dans la N.E.P. une méthode audacieuse pour résoudre d’une façon appropriée les contradictions secondaires, élever le niveau de conscience et de connaissance des masses, réajuster les rapports réels aux rapports juridiques et politiques, implanter l’entente des ouvriers et des paysans, alors il devient impossible d’émettre le même jugement.

En fait, plusieurs raisons nous incitent à analyser séparément, en quelque sorte, le schéma stratégique complexe que l’on peut organiser autour du concept de N.E.P., et le développement réel de la formation soviétique de 1921 à 1928 : en effet, on peut dégager des textes de Lénine de 1921-1922, et même des textes antérieurs, un certain nombre de mots d’ordre fondamentaux concernant l’éclaircissement aux yeux de la masse des travailleurs des procès de production et de circulation, l’élévation du niveau de conscience et de culture des producteurs, mot d’ordre qui, du fait de conditions objectives et d’erreurs subjectives, n’ont pas pénétré la structure sociale mais qui constituaient sans doute l’une des composantes, plus ou moins implicites, de la nouvelle stratégie. De même, les descriptions idéalisées de la N.E.P. par Boukharine en 1925 constituent souvent plus un programme qu’une analyse de la réalité sociale ; d’ailleurs les critiques du même Boukharine contre le fonctionnement de la N.E.P. en 1927, et l’esquisse de nouvelle tactique au sein de la N.E.P. dont il les assortit complètent très utilement la construction de la N.E.P. idéale par l’énoncé d’une politique de pression organisée de la base contre les tendances parasitaires de l’appareil, de vulgarisation des méthodes de comptabilité et de calcul économique parmi les travailleurs au moyen des syndicats, etc.

Enfin, la politique industrielle esquissée dans le testament politique de Boukharine (Remarques d’un économiste) en 1928, complète cette stratégie en esquissant une méthode d’ajustement de la production par l’élimination des goulots d’étranglement.13

On arrive ainsi à la construction d’une N.E.P. idéale, qui, au regard de l’analyse marxiste, prend figure de « système économique cohérent », pour reprendre la terminologie de Lénine. Cette structure idéale est, pour nous, l’un des éléments d’une typologie générale des systèmes cohérents possibles dans une économie en transition, typologie indispensable aussi bien à la théorie qu’à la pratique de la transition.

C’est en contrepoint de cette stratégie idéale que les développements de la situation objective prennent leur signification, et permettent de rendre compte de l’issue. Si la N.E.P. idéale peut être définie comme la stratégie du pouvoir, la situation réelle est la résultante de cette stratégie et de celle de l’adversaire et de l’ « allié de classe », lesquelles étaient dans une certaine mesure, incorporées à titre de prévision dans la stratégie révolutionnaire, mais lui ont échappé à d’autres égards : ainsi, Lénine n’avait pas prévu que la libération des échanges et la libre disposition du surplus agricole ne suffiraient pas à assurer l’entente avec la paysannerie, mais que celle-ci se regrouperait autour de ses couches les plus aisées pour tenter d’imposer une forme différente d’alliance, l’échange inégal à son profit, transformant ainsi la communauté d’intérêts en un antagonisme entre les formes de l’ accumulation agricole et les nécessités de l’accumulation industrielle.

De même, toutes les théories de Lénine, puis de Boukharine, relatives à la compétition, sur le terrain de la concurrence capitaliste entre l’économie d’État et l’économie capitaliste, en particulier dans la sphère du commerce, et l’objectif d’une victoire sur ce terrain, ont été contrecarrées par la supériorité du capital privé, son ingéniosité manœuvrière, sa faculté de pénétration et de camouflage. La stratégie révolutionnaire avait riposté contre les conséquences parasitaires et obscurcissantes du communisme de guerre par la N.E.P., mais la stratégie capitaliste s’adapta à ce nouveau terrain de bataille, trouva de nouvelles formes d’obscurcissement et réussit à compenser le contrôle étatique plus rigoureux et plus précis des flux de production et d’échange – ce qu’on peut appeler l’ « imprégnation capitaliste » de toutes les sphères de la production et de l’échange sous la N.E.P.

Nous tenterons plus loin de dresser le bilan de ces batailles.

Notons dès maintenant qu’il est possible d’assortir le schéma idéal d’un certain nombre de conditions réelles, que les difficultés de la N.E.P. permettent de mettre en évidence, et, sans doute, de généraliser : en particulier, l’entente avec la paysannerie ne peut se stabiliser par un simple alignement sur les intérêts subjectifs spontanés de cette classe, mais exige une modification en profondeur de son idéologie, une modification de la façon subjective dont elle conçoit son intérêt ; la présence d’un parti de masse au sein de la paysannerie est, par conséquent, l’une des conditions objectives requises pour la mise en œuvre et le succès d’une telle stratégie.

La stratégie N.E.P. du point de vue économique

Je n’insisterai pas sur les objectifs économiques de la N.E.P., alliance des modes de production existant en Russie :

– dégager le surplus agricole par les échanges marchands, puisqu’il est impossible de l’obtenir directement ; remettre sur pieds un système de rapports entre la ville et la campagne.

– remettre en activité les forces productives inutilisées sous le communisme de guerre, faire à nouveau fonctionner l’industrie grâce à la renaissance d’une demande solvable et d’un surplus qui fournit matières premières, fonds de consommation etc.

J’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises, d’énoncer certaines des caractéristiques économiques de ce régime – qui d’ailleurs pourraient faire l’objet d’une étude séparée, certainement très utile.

Je m’arrêterai plus spécialement sur les aspects complémentaires de la stratégie N.E.P., et qui me semblent décisifs – du fait que de leur réalisation ou de leur échec, dépendait, en grande partie, le coût de l’opération quant à l’avenir de la transition soviétique.

La N.E.P. idéale comme stratégie au niveau des superstructures idéologiques

Pour articuler la stratégie autonome que les dirigeants bolcheviques ont plus ou moins tenté de mettre en œuvre au niveau des superstructures idéologiques, administratives et politiques, pendant le stade de la N.E.P., nous nous appuierons principalement sur les textes suivants :

– les derniers articles de Lénine, écrits en 1923, qui développent les principes de l’offensive culturelle sur deux fronts : la petite paysannerie (articles sur la coopération) et l’appareil d’État (« Comment réorganiser l’inspection ouvrière et paysanne »). Ces textes constituent l’élaboration théorique la plus développée de Lénine sur les racines objectives de la bureaucratie et l’esquisse d’une stratégie spécifique pour résoudre cette contradiction secondaire en principe.

– les textes de mars 1918 sur les objectifs du capitalisme d’État concernant l’élévation du niveau de conscience et de connaissance par les travailleurs des procès de production et d’échange, les tâches pratiques du contrôle et du recensement par le peuple, la publicité socialiste, etc. Il n’y a en effet aucune raison pour penser que ce pan de la stratégie et de la tactique de 1918 ait été éliminé dans la perspective de la nouvelle stratégie. ; au contraire, la norme du capitalisme d’État du printemps 1918 reste présente dans la démarche de la N.E.P. – concessions, se mettre à l’école du capitalisme, apprendre à compter, etc.

– les textes de Boukharine de 1925, 1927, 1928, où l’auteur se contente d’abord de reprendre les thèses de Lénine (1925) mais est amené (1925 et 1928) à préciser et étendre le concept de tactique autonome au niveau de l’appareil d’État et des appareils économiques du fait de la détérioration de la situation en ce domaine (excroissances parasitaires, profits cachés, etc.). À ce dernier niveau, il faut préciser que la nouvelle tactique népienne est restée purement théorique.

Il y a, dans les textes de Lénine, toute une série d’analyses serrées de ce que la formation sociale précédente a légué au pouvoir soviétique dans le domaine des superstructures, et qui n’a pas disparu purement et simplement du fait de la prise du pouvoir ; pour chacune de ces contradictions idéologiques et culturelles, Lénine avance une méthode de résolution spécifique, également idéologique (la méthode dialectique de résolution des contradictions se manifeste ici par le fait que chaque niveau de contradiction secondaire fait l’objet d’une tactique de même niveau, et que l’on ne se fie pas à la résolution de la contradiction principale pour liquider mécaniquement les contradictions dérivées).

Un seul domaine échappe partiellement à cette méthode, et c’est une exception fondamentale : Lénine ne pense pas que l’idéologie communiste puisse être implantée dans la paysannerie avant un bond en avant au niveau des forces productives matérielles. Nous reviendrons sur ce point décisif.

Les principales composantes du legs idéologique sont les suivantes :
1. l’idéologie capitaliste du secret commercial, du caractère irréductiblement privé de toutes les opérations d’échange, des revenus, etc. La concentration aux mains de spécialistes au service du capital de toutes les connaissances synthétiques nécessaires à l’organisation de la production, et l’ignorance du procès de production et d’échange où sont tenus les ouvriers ;
2. le caractère bureaucratique de l’appareil d’État tsariste, dont a hérité le pouvoir bolchevique et qu’il est obligé d’utiliser ;
3.l’ignorance par les cadres communistes des méthodes capitalistes d’échange et de comptabilité ;
4. l’idéologie réactionnaire de la petite paysannerie quant aux tâches d’organisation et de développement des forces productives.

Les méthodes spécifiques pour résoudre ces contradictions au niveau des superstructures sont :

1. « la lutte pour le recensement et le contrôle populaire », l’ « organisation de l’émulation », la « publicité socialiste » ;
2. l’apprentissage par les cadres de la science administrative, le contrôle étroit et organisé de l’appareil d’État par le pouvoir politique (l’inspection ouvrière et paysanne) ; la décentralisation et l’unification locale de la vie économique ;
3. se mettre à l’école des capitalistes pour apprendre la gestion et le commerce même si le capital privé récolte provisoirement les « frais d’apprentissage ».
4. provisoirement : « civiliser » la paysannerie au sens capitaliste du terme, par la coopération et les échanges avec la ville. La résolution en dernière instance ne peut venir que de la modification des forces productives matérielles dans l’agriculture (« industrialisation de l’agriculture »).

À quoi il faut ajouter une nouvelle contradiction superstructurelle qui s’est développée pendant la N.E.P., et une nouvelle méthode pour la résoudre : l’esprit capitaliste nepien des appareils économiques d’État et la méthode de Boukharine de pression organisée des consommateurs et des travailleurs sur les prix de revient.

Passons à l’analyse détaillée de ces contradictions et des tactiques élaborées pour les résoudre.

La lutte pour le recensement et le contrôle populaire
Après la Révolution, deux sentiments solidaires restent profondément ancrés au sein des masses et font obstacle aux progrès du socialisme : la méfiance à l’égard de l’État et de tous les appareils ; l’idée que la vie économique est l’affaire individuelle de chaque agent économique. Ce sont deux manifestations de la prépondérance persistante de l’idéologie de l’époque du capitalisme bureaucratique-féodal :

L’État qui fut durant des siècles un instrument d’oppression et de spoliation du peuple, nous a légué la haine farouche et la méfiance des masses à l’égard de tout ce qui se rapporte aux choses de l’État14.
Toutes les habitudes et les traditions de la bourgeoisie en général et de la petite bourgeoisie en particulier, s’opposent, elles aussi, au contrôle de l’État et s’affirment par l’inviolabilité de la « sacro-sainte » propriété privée, de la « sacro-sainte » entreprise privée15.
Contre cette idéologie, il faut élaborer une propagande, appuyée sur l’expérience nouvelle des masses, et qui leur inculque l’idée que l’État a changé de nature et leur appartient, et que le contrôle économique est l’affaire de tous. Il faut, à la fois, implanter une idéologie nouvelle et donner aux masses les moyens réels d’effectuer le contrôle (unités de compte simple, divulgation systématique de connaissances économiques, etc.). Ces objectifs spécifiquement idéologiques sont clairement définis par Lénine.

La lutte pour inculquer aux masses l’idée de l’enregistrement et du contrôle soviétiques ; la lutte pour l’application de cette idée, pour la rupture avec le passé maudit qui avait habitué les gens à considérer l’effort pour se procurer le pain et les vêtements comme une affaire « privée », la vente et l’achat comme une transaction « qui ne regarde que moi », c’est là une lutte d’une immense envergure, d’une portée historique universelle, de la conscience socialiste contre la spontanéité bourgeoise et anarchique.
(…) Nous ne soulignons pas assez dans notre propagande – les ouvriers et les paysans d’avant-garde ne méditent pas, n’évoquent pas assez cette vérité – que l’absence d’enregistrement et de contrôle dans la production et la répartition des produits, détruit les germes du socialisme, qu’elle équivaut à dilapider le Trésor16…
Il faut prêter une attention particulière à la méthode préconisée par Lénine pour liquider le gaspillage : c’est en effet un problème qui restera aigu sous la N.E.P., prenant la forme du « parasitisme de monopole », et pendant la planification. On peut dire qu’à certains moments, le gaspillage bureaucratique a été l’un des obstacles majeurs à l’accumulation (cf. Boukharine en 1927 : « La question des prix »).

Or, pour Lénine, la solution de ce problème ne réside pas dans la centralisation administrative – comme le penseront certains plus tard – mais dans l’organisation des masses, la pression de la base, l’idéologie socialiste appuyée sur des moyens simplifiés de comptabilité et de gestion économique17 et une diffusion massive des connaissances élémentaires du procès de production et de répartition.

L’organisation d’une véritable publicité économique est analysée dans le détail, comme une tâche primordiale. : il décrit les moyens pratiques de cette publicité, insiste sur la nécessité de la rendre vivante, de l’adapter à la conscience des masses.

Jusqu’à présent, nous n’avons presque pas abordé cette tâche immense, ardue mais féconde, qui consiste à organiser l’émulation des communes, à introduire la comptabilité et la publicité dans la production du blé, des vêtements, etc., à transformer les comptes-rendus bureaucratiques, arides et morts, en des exemples vivants, servant parfois de repoussoirs, parfois de modèles.
(…) Dans la société capitaliste, la statistique était le monopole exclusif d’ « hommes de bureau » ou de personnes étroitement spécialisées. Tandis que nous, nous devons la porter dans les masses18.
Nous indiquerons plus loin comment la dynamique propre de la N.E.P., l’imprégnation par l’esprit capitaliste – spéculateur, le rétablissement du secret commercial et de la comptabilité capitaliste, ont empêché la réalisation de cet objectif et rejeté les masses dans une ignorance relative des faits économiques, comment la maîtrise des données s’est déplacée au niveau des appareils supérieurs et des « spécialistes », ce qui n’a pas manqué de déformer la planification dans un sens « administratif » et de perpétuer les conséquences dénoncées par Lénine : gaspillage, faux frais, etc. Il est néanmoins utile de mettre en regard du texte de Lénine que nous venons de citer l’appel de Boukharine à plus de lumière pour les masses, appel par lequel il commence son dernier texte important, qui est en fait, un bilan de la N.E.P. en même temps qu’un programme :

La nouvelle économie est là. Il est tout à fait évident que chaque ouvrier qui pense – à plus forte raison chaque ouvrier communiste – éprouve le besoin de faire un certain bilan, de poser certaines perspectives, d’avoir une vue d’ensemble de tout le tableau de notre activité économique dans sa totalité. Qu’on lise les lettres des ouvriers, qu’on lise les écrits qui parviennent dans les nombreuses réunions, qu’on écoute les discours des simples prolétaires ! Quel accroissement culturel et politique formidable ! Combien le niveau des questions et des problèmes qui agitent les cerveaux des masses est élevé ! Quel besoin croissant d’ « aller au fond » des choses ! Quel mécontentement des phrases vides et banales, primitifs comme un tronc noueux et qui se ressemblent comme un œuf ressemble à un autre. Il faut l’avouer. Il y a là une disproportion entre les exigences des masses et cette « nourriture spirituelle » qui leur est offerte (et que souvent nous leur servons toute crue, ou fade et à peine réchauffée). La faute est pour la plus grande part à nous et en particulier à notre presse. Pouvons-nous dire que ces questions brûlantes et « sensibles » qui s’agitent dans tant de têtes trouvent un écho suffisamment vivant auprès de nous !? Pouvons-nous dire que nous nous occupons de façon suffisamment sérieuse des doutes qui surgissent ça et là !? Que la question d’une information sérieuse sur notre économie a trouvé une solution suffisamment satisfaisante !? Que devant les masses et surtout devant la masse ouvrière, nous exposons de façon suffisamment approfondie les plans les plus compliqués de notre direction économique ? Non, mille fois non. Il y a là chez nous une lacune énorme, qu’il nous faut combler si nous voulons avoir le droit de pouvoir parler d’efforts sérieux pour appeler les masses la participation active à l’édification socialiste19.

2. La question de l’appareil d’État

De même que l’ignorance par les masses des données de la vie économique, la bureaucratie dans l’appareil d’État est analysée par Lénine comme un héritage de la période antérieure.

Notre appareil d’État, excepté le Commissariat du Peuple aux Affaires étrangères, constitue dans une très grande mesure une survivance du passé, et qui a subi le minimum de modifications tant soit peu notables. Il n’est que légèrement enjolivé à la surface : pour le reste, c’est le vrai type de notre appareil d’État20.
Comme l’ignorance des masses, le bureaucratisme est un legs spécifiquement idéologique, qui ne peut être extirpé que par une action en profondeur, que Lénine tentera de déterminer à plusieurs niveaux, mais qui sera au premier chef d’ordre idéologique et théorique :

[les défauts de notre appareil] remontent au passé, lequel, il est vrai, a été bouleversé mais n’est pas encore aboli ; il ne s’agit pas d’un stade culturel révolu depuis longtemps. Je pose ici la question précisément de la culture, parce que dans cet ordre de choses, il ne faut tenir pour réalisé que ce qui est entré dans la vie culturelle, dans les mœurs, dans les coutumes21.
Lénine entre d’ailleurs dans le détail de l’analyse, et indique certaines formes précises du retard idéologique de l’appareil, retard dont l’appareil a réussi à imprégner les dirigeants communistes de l’État eux-mêmes :

Dans toute la sphère des rapports sociaux, économiques et politiques, nous sommes « terriblement » révolutionnaires. Mais en ce qui concerne la hiérarchie, le respect des formes et des usages de la procédure administrative, notre « révolutionnarisme » fait constamment place à l’esprit de routine le plus moisi. On peut ici constater un phénomène du plus haut intérêt, savoir que dans la vie sociale, le plus prodigieux bon en avant s’allie fréquemment à une monstrueuse indécision devant les moindres changements22.
Le principe de la méthode à employer pour liquider ce retard est célèbre : « premièrement, nous instruire ; deuxièmement, nous instruire ; troisièmement, nous instruire toujours ».

Il va de soi que la définition d’une tactique précise est autrement épineuse ; on sait que Lénine a, à la fois, tenté de définir une pression sur l’appareil d’État par le haut (action du pouvoir politique d’État, par le moyen de l’Inspection ouvrière et paysanne) et par le bas (intensification du travail local, décentralisation et unification de la vie économique au niveau communal).

La question des appareils administratifs et économiques n’a fait que se développer sous la N.E.P., et Boukharine a été amené, en 1927 et 1928, à reprendre les principes de la tactique de Lénine (en particulier sur la question de la décentralisation) et à développer l’analyse des moyens pratiques d’organiser une pression de la base (travailleurs et consommateurs) ; c’est ce que Boukharine appelle la « lutte contre la bureaucratie dans son principal nid », et qui est un véritable plan d’une offensive conjointe du pouvoir soviétique comme agitateur et de la masse, qui en aurait reçu les moyens objectifs et subjectifs, contre l’appareil de gestion et d’administration de l’État :

Nous parlons beaucoup de rendre plus actives les conférences de production, de réaliser des améliorations techniques de toutes sortes, nous avons une foule de conflits entre nos administrateurs et nos militants syndicaux. Si nous posions la question de façon que les ouvriers et les syndicats s’occupent de la question des prix, ils devraient dès lors, même du point de vue des intérêts immédiats des ouvriers, participer à l’examen des questions de calcul, de rendement du travail, etc. Nous pourrions dire à l’ouvrier : « Tu es intéressé à toucher tel salaire nominal, tu es encore plus intéressé dans la question des prix. Dans ce cas, aie l’obligeance de calculer toi-même. Tu es intéressé à avoir des prix bon marché, occupe-toi donc du fonctionnement de notre appareil commercial. Aie l’obligeance de nous aider, intéresse à cette œuvre les membres de la coopérative de consommation. » Il faut que le consommateur ait un droit de contrôle plus grand. Il faut développer une initiative réelle en matière de coopération, il faut attirer la masse dans la lutte pour la diminution des prix. Il faut, dans une certaine mesure, opposer cette masse à nos organisations. Bien entendu, ce mot d’ordre peut créer un certain danger, entraîner certaines frictions, pousser à des exagérations. Mais pour corriger tout cela, nous avons un parti puissant et de grands moyens de persuasion. Ce qui est un plus grand mal, c’est que, bien que nous criions beaucoup ces derniers temps pour diminuer les prix de détail, nous sommes toujours embourbés dans la même ornière. Il faut renforcer la pression organisée du consommateur sur nos organisations commerciales et intéresser davantage nos syndicats à une participation effective aux calculs économiques, à la lutte pour la réduction des prix de détail23.
On voit que la question de l’appareil rejoint finalement celle du contrôle et du recensement populaires. Il n’est pas inutile de remarquer que l’aspect proprement économique (gaspillage) du problème se retrouve, à un niveau encore plus aigu, dans la structure de la N.E.P. : il prend à ce stade la forme du niveau des prix industriels et de l’ « accumulation sauvage », non planifiée et par conséquent, déséquilibrée avec un dangereux développement des goulots d’étranglement.

À ce point, la tactique idéologique de liquidation de la bureaucratie rejoint le fond de la stratégie économique de la N.E.P. : le niveau de conscience et le facteur connaissance ont une incidence directe sur l’organisation des forces productives, sur la production elle-même.

3. L’action idéologique sur la paysannerie

Si la N.E.P. est fondée sur une alliance objective et subjective avec la paysannerie et le ralliement aux principales revendications économiques petites-bourgeoises, elle doit, aux yeux de Lénine, modifie d’une certaine façon l’idéologie paysanne. Très précisément, elle doit implanter dans les campagnes la « civilisation » , au sens capitaliste, c’est-à-dire les méthodes modernes de l’échange commercial et de la collaboration avec les villes ; la pointe extrême du combat idéologique dans la paysannerie est fixée à ce point : utiliser l’intérêt privé du paysan dans le sens d’une ouverture à la ville, aux échanges, à la coopération. Sur la nature spécifiquement idéologique de cette tâche, il n’y a pas d’ambiguïté :

Deux tâches essentielles s’offrent à nous, qui font époque. C’est d’abord de refondre notre appareil administratif … Notre seconde tâche est d’engager une action culturelle pour la paysannerie. Or, ce travail parmi les paysans a pour objectif la coopération. Si nous pouvions les grouper tous dans des coopératives, nous nous tiendrions des deux pieds sur le terrain socialiste. Mais cette condition implique un tel degré de culture de la paysannerie (je dis bien de la paysannerie, puisqu’elle forme une masse immense), que cette organisation généralisée dans les coopératives est impossible sans une véritable révolution culturelle24.
Les méthodes précises de cette « révolution culturelle » sont esquissées par Lénine dans d’autres textes (« feuillets de bloc-notes » en particulier) : « parrainage de la population des campagnes par les ouvriers des villes », promotion des instituteurs, formes diverses de propagande. Il est significatif que l’absence d’implantation paysanne du Parti impose que ce soient les ouvriers qui viennent porter la propagande dans les campagnes ; on sait les difficultés auxquelles cette situation a abouti dans la pratique. On peut lier à cette absence d’implantation, et sans doute au manque de traditions de coopération de production dans la paysannerie ruse (le mir étant seulement une forme collective de redistribution des terres) une réserve très importante de Lénine quant à la possibilité d’implanter l’idéologie communiste à la campagne ; il est clair que pour lui, cette implantation est impossible sur la base matérielle existante et présuppose l’ « industrialisation de l’agriculture » :

… nous pouvons et nous devons employer notre pouvoir à faire réellement de l’ouvrier urbain le propagandiste des idées communistes au sein du prolétariat rural.
J’ai dit « communistes », mais je m’empresse de faire des réserves, craignant de provoquer un malentendu et d’être compris trop à la lettre. Cela ne doit être aucunement pris dans le sens que nous devrions tout de suite porter dans les campagnes les idées communistes pures et simples. Tant que nous n’avons pas de base matérielle pour le communisme au village, ce serait, pourrait-on dire, faire œuvre nuisible, œuvre néfaste pour le communisme.
Non. Il faut commencer par établir un contact entre la ville et la campagne, sans s’assigner délibérément d’implanter le communisme au village. Ce but ne serait pas utile, mais préjudiciable à notre cause25.
L’importance de cette analyse pour caractériser la transition soviétique doit être pleinement appréciée : contrairement à ce qui s’est passé en Chine, il n’y a pas eu, dans la masse de la paysannerie russe, de bond en avant des forces productives et des rapports de production sur une base idéologique ; on peut même constater que l’objectif limité de « civilisation par le commerce » s’est, dans la pratique, trouvé déformé et mis en échec par un progrès de l’esprit de « commerce » dans le sens spéculateur, et que l’échange s’est fait non sur la base de la coopération, mais de la lutte économique entre les couches aisées de la paysannerie et accessoirement le paysan moyen (lorsqu’il était en état de commercialiser un surplus) et le prolétariat, l’unité devenant contradiction en 1924-1925 et contradiction antagonique en 1928-1929.

Bilan de la N.E.P. réelle : la révolution interrompue

– les aspects positifs de la N.E.P. sont essentiellement la reconstitution des forces productives agricoles et industrielles et l’accumulation de connaissances sur les procès de production, de circulation, de reproduction et de distribution dans les sphères supérieures de l’appareil d’État.

– Par contre, la N.E.P. n’a pas réussi à étendre cette accumulation de connaissances aux sphères inférieures de l’appareil d’État et, à plus forte raison, à liquider les mondes économiques parallèles, qui ont reparu sous de nouvelles formes – profit caché, accumulation non planifiée – dans l’appareil d’État et le système étatique de production. Une partie du procès est donc restée opaque aussi bien à la direction politique et administrative qu’à la masse.

Cela peut être caractérisé comme la conséquence superstructurelle de la domination économique du mode de production capitaliste. S’il y a eu antagonisme entre la forme de conscience sociale solidaire du capitalisme – méconnaissance des procès réels, obscurcissement des rapports sociaux, etc. – et la forme de conscience sociale socialiste – connaissance par la masse des procès et des rapports – c’est la force économiquement dominante26 qui l’a emporté contre la force politique dominante.

Les rapports capitalistes ont en effet rapidement imposé les formes diverses de camouflage qui leur sont propres : en particulier, le secret commercial a été imposé par les nepmen pour échapper au fisc ; les industries d’État, sachant pertinemment bien que seuls des intermédiaires privés habiles et peu scrupuleux pouvaient les approvisionner rapidement, acceptaient de garder le secret sur leur rémunération. De la même façon, la spéculation, le fonctionnement selon des critères de comptabilité capitaliste, la multiplication des intermédiaires, introduisaient dans les pores des prix de production et des prix de vente d’innombrables parasites occultes qui rendaient finalement toute comptabilisation sociale illusoire ; seule restait la comptabilité financière globale manipulée par quelques spécialistes des manœuvres capitalistes.

Les ouvriers de l’industrie d’État restaient dans les mêmes conditions d’ignorance des procès de production et d’échange et du mécanisme des prix que les ouvriers des entreprises capitalistes.

En fait, les tâches fondamentales aux yeux de Lénine, de « contrôle » et de « recensement » « par le peuple entier », étaient abandonnées, noyées dans les conditions générales de l’obscurcissement capitaliste.

Le savoir économique se déplace au niveau des spécialistes, sa nature même l’éloignent des conditions réelles de la production (connaissances financières, gestion de type capitaliste – spéculateur, etc.)

Les conséquences de cette situation sont graves, et pèseront sur les caractéristiques de la planification soviétique.
1. les ouvriers se désintéressent d’un procès trop complexe, obscurci, et qu’on ne leur donne pas les moyens d’élucider. Il n’y a pas de contrôle par la masse ouvrière, pas d’apprentissage de la gestion ;
2. les appareils économiques fonctionnent, sans pression de la base, dans le sens de l’autorenforcement, du profit caché etc. Si les résultats peuvent être contrôlés, les moyens utilisés pour les atteindre sont obscurs et échappent à la direction sociale (ce sera, plus tard, le « plan parallèle »).

Cette situation est analysée par Boukharine dans « La situation extérieure et intérieure de l’URSS » (1927).

Cette stagnation du niveau de connaissance par les masses, des procès de production et d’échange, jointe au fait que la nouvelle politique économique du pouvoir ne correspond plus aux aspirations spontanées du prolétariat et introduit entre les intérêts de celui-ci et les buts immédiats des médiations complexes, se traduit par une rupture du processus subjectif de la révolution, en même temps qu’objectivement, l’offensive a cessé. Des phénomènes comme la « fonctionnarisation du Parti », la liberté de manœuvre des appareils économiques, en sont les conséquences.

On peut dire que, du point de vue de la lutte des classes concrètes qui s’est déroulée sous la N.E.P., le capitalisme (qui était représenté sous ses formes les plus malsaines : spéculation, commerce habile, etc.) a imposé à l’ensemble de l’organisme économique un « style de fonctionnement » qui a lourdement pesé par la suite. En ce sens, le capital privé a fait plus que récolter « les frais d’enseignement » des organisations qui se mettaient sur pied pour lutter avec lui (pour reprendre les expressions de Lénine et de Boukharine) : il a déformé cet enseignement, ou plutôt, il lui a donné sa marque, et en a fait un obstacle au développement ultérieur du socialisme.

Cette situation était-elle inévitable, faisait-elle partie intrinsèquement de la N.E.P., comme armistice avec le capitalisme ? Il faudrait poser ce problème d’une façon approfondie, en tenant compte de l’expérience chinoise en particulier. C’est toute la question de l’inégalité de développement du processus révolutionnaire : est-il possible de procéder à une phase de stabilisation ou même de réformisme dans la stratégie économique sans interrompre les progrès de la conscience sociale ? Le pouvoir révolutionnaire peut-il susciter les initiatives conscientes des masses à l’encontre même de ses propres appareils économiques et administratifs, créant volontairement une contradiction qui peut permettre ensuite de modifier la nature de ces appareils, et de la gestion sociale elle-même ? Boukharine le pensait, et l’expérience chinois semble le confirmer.

Robert Linhart


Article retranscrit par Guillaume Fondu et initialement paru sous le titre : « La NEP : analyse de quelques caractéristiques de la phase de transition soviétique », in Études de planification socialiste, n°3 (mars 1966) S.E.R., Paris, 1966. Il est reproduit ici avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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Lénine au XIème Congrès, Œuvres, tome 33, p. 288. [↩]
Lénine à la VIIème Conférence de la Province de Moscou, Ibid., p. 98. [↩]
Xème Congrès du PC, Œuvres de Lénine, tome 32, p. 244-245. [↩]
« Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets », Œuvres, tome 27, p. 286. [↩]
Lénine au Xe Congrès, Œuvres, tome 32, p. 225. [↩]
Il faut préciser que la chute concernait le blé, sur lequel portait la spéculation, mais non les cultures industrielles. [↩]
On peut remarquer que cette pénétration des organes inférieurs de l’appareil d’État par les koulaks et les paysans aisés aura des conséquences sur l’impact du grand tournant de 1929 : la politique de collectivisation entraînera une offensive violente contre certaines sphères de l’appareil d’État – offensive dont on trouve l’écho plus ou moins déformé dans la partie des procès de Moscou qui a trait au sabotage dans l’administration. [↩]
Pravda du 21 janvier 1930. [↩]
E. H. Carr, A History of Soviet Russia, III : Socialism in one country 1924-1926, Londres, Macmillan and co., 1958-1959. [↩]
Carr, p. 235. [↩]
Il semble que Kritsman se soit attaché à analyser les rapports sociaux clandestins à la campagne sous la NEP. Il serait intéressant de savoir si Boukharine, qui a si finement analysé les mondes économiques parallèles du communisme de guerre, a également théorisé les inadéquations de la NEP. [↩]
Larine, cite par A. Krimmer, dans « Sociétés de capitaux en Russie impériale et en Russie soviétique ». [↩]
Il est intéressant de noter que la « N.E.P. idéale » n’a pas été donnée au départ mais s’est progressivement constituée en intégrant une partie des difficultés de la N.E.P. réelle ; le fait qu’elle soit restée idéale peut être imputé à l’irréductibilité de certaines de ces difficultés réelles – en particulier la stratégie agressive des couches aisées de la paysannerie. [↩]
Œuvres de Lénine, tome 27, p. 26. [↩]
Ibid., p. 263. [↩]
Ibid., p. 263. [↩]
« une unité de mesure extrêmement claire, simple et pratique », op. cit. , p. 266. [↩]
Ibid., p. 270. [↩]
Remarques d’un économiste. [↩]
Œuvres de Lénine, tome 33, p. 495. [↩]
Ibid., p. 502. [↩]
Ibid., p. 511. [↩]
« La situation intérieure et extérieure de l’U.R.S.S. », 1927. [↩]
« De la coopération », Œuvres, tome 33, p. 487-488. [↩]
Ibid., p. 477-478. [↩]
Il faut entendre la domination économique du mode de production capitaliste sous la N.E.P., non nécessairement comme une prépondérance quantitative, mais comme une primauté qualitative – l’industrie d’État et le commerce d’État fonctionnant selon des critères capitalistes, l’ensemble de la structure économique est de type capitaliste. [↩]
Robert Linhart


Edité le 05-12-2017 à 14:51:16 par Xuan