Sujet :

"révolution informationnelle" - automatisatisation

Xuan
   Posté le 17-05-2013 à 21:41:15   

La révolution informationnelle ou l’illusion du bénévolat



On trouve résumée la thèse de la révolution informationnelle dans plusieurs textes de Boccara, Lojkine, Verroust.

Par exemple dans le cours 1994/1997 à Paris VIII de Gérard Verroust : Histoire, épistémologie de l'informatique et Révolution technologique, qui retrace un historique très détaillé et instructif du calcul automatisé et de ses applications.

Ou bien dans Economie et Politique 626-627 septembre-octobre 2006 :
Dans le cadre des journées d'étude des 19 et 20 mai 2006 sur "Alternatives, émancipation, communisme" , un atelier a traité le thème, introduit par Paul Boccara : « révolution informationnelle, dépassement du capitalisme et enjeux de civilisation » .

Ou plus récemment dans Une autre façon de faire de la politique , de Jean Lojkine, dont communistes-unitaires fait en février de cette année un résumé sur Mediapart : La révolution informationnelle antichambre autogestionnaire du communisme 2.0 ?



Le sparadrap de Boccara

Avant d’aller au fond, cet extrait de l’introduction au thème « révolution informationnelle, dépassement du capitalisme et enjeux de civilisation » en dit long sur le « communisme » de Boccara.
Au milieu du jargon embarrassé sur les enjeux de civilisation nouvelle et les transformations démocratiques radicales se promène comme un petit papillon le sparadrap du capitaine Haddock, un sparadrap dont Boccara aimerait bien se débarrasser : le communisme.

« L'atelier sur la révolution informationnelle se situe dans le cadre du colloque « alternatives, émancipation et communisme ». Cependant, selon moi il n'y a pas un « a priori » de société communiste, de façon sectaire, mais des enjeux de civilisation nouvelle de nos jours pour toute la société. Et peut-être, alors, y a-t-il un « a posteriori » de l'analyse des potentiels de partage, de mise en commun jusqu'à chacun, et donc des caractéristiques d'un communisme de liberté pour chacun de cette civilisation qui deviendrait possible, face aux conditions nouvelles de l'humanité, vers laquelle on pourrait avancer avec des transformations démocratiques radicales » .

Pour résumer

Ces théoriciens développent la théorie d’une "révolution informationnelle" selon laquelle
« Le Capitalisme a changé de base, il n’est plus le capitalisme de la révolution industrielle mais un capitalisme informationnel aux prises avec les contradictions engendrées par les usages marchands, élitistes, du travail de l’information » (J.Lojkine).

Dans la même veine, l’information n’est pas une marchandise, c’est un bien collectif non-rival qui peut être partagé à l’infini. Mais elle est désormais devenue une « marchandise » de plus en plus déterminante alors que l’efficacité informationnelle s’oppose justement à cette logique marchande, d’où l’apparition de nouvelles contradictions au sein du capitalisme.
C’est le besoin de partage qui s’opposerait désormais au capitalisme et appellerait cette nouvelle révolution. « Mais une information, vous la donnez et vous la gardez encore. Elle peut être partagée indéfiniment, jusqu’à l’échelle de toute l’humanité. Ce serait une des bases d’une société future possible de partage, que l’on pourrait aussi appeler société communiste de liberté de chacun » (P.Boccara)

Dans la révolution informationnelle, il y a remplacement par des moyens matériels de certaines opérations du cerveau, d’opérations informationnelles, comme avec les ordinateurs. L’aliénation du savoir-faire des informaticiens crée une nouvelle classe révolutionnaire.

L’enseignement devient permanent, permis par les gains de productivité et/ou par les périodes d’inactivité (variante en temps de crise), ce qui justifie « des parcours professionnels, à l’opposé de la précarisation. » selon M . G. Buffet.
La disparition quasi-totale du travail aliéné deviendrait alors possible.

[à suivre]


Edité le 20-01-2018 à 20:23:40 par Xuan


Xuan
   Posté le 17-05-2013 à 22:50:47   

1 - Approximations et escroqueries conceptuelles


L’expression révolution informationnelle , partant de l’idée initialement généreuse du partage et d’une société libérée des rapports marchands, repose sur deux escroqueries conceptuelles, ou au minimum sur des approximations inacceptables venant d’un « agrégé d'histoire et maître de conférences honoraire en science économique », d’un « sociologue et directeur de recherche émérite au CNRS », et d’un « directeur de recherche honoraire au CNRS ».

La notion de révolution élude par son absence de définition sa nature technique ou sociale et passe allègrement de l’une à l’autre comme si elles pouvaient être indifférenciées.
La notion d’informationnel ne caractérise pas l’ensemble des propriétés de la révolution informatique, mais privilégie l’information au détriment du reste sans aucune justification.

Disparaissent dans les perspectives de nos théoriciens tout les aspects matériels de la révolution informatique, et avec eux sa fabrication industrielle, ses coûts, les rapports sociaux de sa production et de sa mise en œuvre. On ne parlera pas des suicides des ouvriers de Foxconn ou de France Télécom.
Concernant l’information elle-même, ces théories ne considèrent que son échange gratuit, c’est-à-dire sa valeur d’usage. La contradiction entre cette généreuse valeur d’usage et son opposé marchand deviendrait ainsi la principale contradiction du système capitaliste.
Il n’en est rien.


Edité le 17-05-2013 à 22:51:24 par Xuan


Xuan
   Posté le 17-05-2013 à 22:58:14   

2 - L’information invendable


Sous le titre « L'information, produit stratégique et son statut », Verroust écrit :
« Afin de faire comprendre le type de problèmes auquel est confronté le système économique, nous allons examiner le statut de l'information comme marchandise .
Nous avons vu qu'aujourd'hui l'homme, au lieu de créer directement des objets avec des outils ou des machines qu'il conduit directement, incorpore des parties de son savoir de production/création dans des machines automatiques de type nouveau sous forme d' information »
.
A moins de prendre les ouvriers pour des bêtes de somme, le travail productif a toujours incorporé dans la marchandise du travail manuel et du savoir de production /création. La particularité du travail dit manuel est qu’il incorpore les deux et pas seulement du savoir isolé de toute transformation matérielle.

« Si cette information qui constitue une partie de lui-même devient propriété de son employeur, celui-ci ne possède pas simplement un produit fabriqué par son salarié mais la force productive de ce salarié, une partie du travailleur lui-même . Il se constitue ainsi un rapport esclavagiste... Rappelons qu'en économie capitaliste sont inaliénables tant les œuvres de l'esprit que tout ou partie de la personne. Et l'introduction récente dans le droit de dispositions dépossédant les salariés de leur production informationnelle au profit de leur employeur, si elle a été motivée par le souci de défendre les intérêts des classes possédantes, pose des problèmes d'éthique graves et crée des contradictions inextricables. Remarquons que cette relation entre travail vivant et travail mort avait déjà été étudiée au XIXe siècle, mais elle ne concernait alors que quelques aspects marginaux de l'incorporation de tours de mains ouvriers dans quelques machines-outils. »

Remarquons plutôt que la relation entre le travail mort et le travail vivant est celle entre la matière première et les moyens de production achetés par le capitaliste d’un côté, et la plus-value créée par les ouvriers de l’autre, c’est la contradiction entre le Capital et le travail et non l’incorporation de tours de main (cf Denis Collin : le concept de travail mort).

Par contre il est notoire que les tours de main ouvriers n’ont rien de marginal au XIXe siècle. C’est aujourd’hui et dans la grande industrie qu’ils deviennent marginaux non seulement chez les ouvriers mais aussi chez les techniciens, par suite de la standardisation, de l’automatisation, de la généralisation des modes opératoires et des contrôles qualité. A présent les tours de main sont de plus en plus réservés à l’artisanat.
Notre distingué « agrégé d'histoire et maître de conférences honoraire en science économique » ne peut pas dissimuler son mépris d’intellectuel pour la classe ouvrière : s’il s’agit d’incorporer quelque réflexion dans une marchandise, c’est le cerveau du programmeur qui est dépouillé.
Pour les prolétaires c’est moins grave : juste un tour-de-main.
Mais à supposer qu’ils bougent leurs membres comme une grenouille décervelée, l’exploitation ne leur arrache les bras que lors d’un accident du travail et non dans le cours normal de la création de plus-value.
Et l’information n’est pas davantage une partie du salarié programmeur que l’effort physique n’est une partie du terrassier. En fait la question traduit surtout l’effroi de certains salariés jusque là privilégiés de tomber dans le prolétariat, au lieu de s’en détacher.

La thèse de l’accaparement de la force productive du programmeur suppose que l’information introduite dans une machine ou une marchandise devient une force productive, du travail vivant.
A ce titre n’importe quelle machine intégrant une invention, un brevet ou n’importe quelle création de l’esprit pourrait par elle-même créer de la plus-value.
En réalité sa valeur initiale est restituée sous forme de marchandise, jusqu’à ce qu’une « information » nouvelle plus pertinente ou plus efficace vienne la remplacer.

« Il faut en outre rappeler, qu'en droit et en économie politique l'information n'est pas une marchandise . En effet, une marchandise est une chose possédée qu'on n'a plus lorsque, lors d'une transaction, on l'échange contre de l'argent. Or dans le cas de vente d'information le vendeur reste propriétaire de cet objet qu'il peut continuer à vendre indéfiniment. On comprend les règles souvent étranges de fixation des prix par exemple de logiciels, et l'absurdité de certains chiffres donnés sur le coût du piratage, en fait rigoureusement impossible à chiffrer » . [id.]

Verroust joue sur la définition ambigüe de la notion d’information, qui recouvre à la fois les données, leur codage et leur traitement, soit :

- Le BIOS, système d’opérations élémentaires d’une machine
- Le système d’exploitation permettant l’utilisation d’une machine, comme Windows ou Linux
- Les progiciels comme Microsoft Office
- Les applications de ces progiciels, comme une base de données Access dédiée à un usage particulier (budget familial, gestion d’une collection de timbres, suivi de maintenance, gestion d’entreprise type SAP, ou gestion de chambre de compensation internationale).
- Les données.
- La transmission des données par liaison directe, réseau industriel, intranet, courrier électronique, internet, etc.

Au sens strict ce sont les données qui contiennent l’information, tandis que le logiciel constitue un moyen de stockage, de traitement ou de transmission des données.
Verroust maîtrise parfaitement la distinction entre tous ces éléments, qu’il confond volontairement dans le concept d’ information .

A ce degré de confusion celle-ci peut être étendue à son support matériel :
Par exemple un logiciel est un ensemble d’instructions écrit dans un langage évolué de programmation. A l’aide d’un langage encore plus évolué, plus convivial et destiné à l’utilisateur, il permet de traiter les données, par exemple rédiger et mettre en forme un texte.
En sens inverse le logiciel n’est utilisable par l’ordinateur qu’à travers sa compilation en langage machine, c’est-à-dire une combinaison d’états électriques. A ce stade le logiciel est évidemment matérialisé. Mais du reste il l’est aussi tout au long de sa création sur une machine, à travers les divers codages et leur enregistrement. Où devient-il immatériel ? Dans le cerveau du programmeur ? Non plus.

Poursuivons le raisonnement de Verroust sur la vente fictive de l’information.
Chacune de ces créations de l’esprit peut être effectivement vendue tout en restant la propriété de son vendeur. Quel est le mystère de cette escroquerie ?
En fait ce n’est pas le logiciel qui est vendu mais le droit à son utilisation.
La preuve en est qu’à l’exception des logiciels libres le code-source n’est généralement pas rendu ouvertement disponible et modifiable par tous.
D’autre part la vente du même logiciel n’est pas infinie, à cause de la concurrence, de l’obsolescence de tous ces produits, et de la nécessité de vendre de nouvelles versions pour éviter de saturer le parc.
Xuan
   Posté le 17-05-2013 à 23:05:19   

3 - Prédominance de l’information ou de l’industrie


Selon Boccara, « A la prédominance des activités industrielles succèderait celle des activités informationnelles, comme la recherche, la formation, l'accès aux données, etc. »
On appréciera à la fois l’absence de données chiffrées et le prudent conditionnel qui en résulte. Mais rien ne permet d’affirmer que les activités informationnelles vont prédominer sur les activités industrielles, à supposer qu’elles se développent séparément de ces dernières.

De quelle prédominance s’agit-il dans ces activités ?
Au fond il ne peut être question que de leur prédominance économique, c’est-à-dire de leur valeur ajoutée. Boccara ne le dit pas.

Passons sans insister sur la bulle internet dans la fin des années 90.

Matthieu Glachant, (Cours Intelligence Economique CERNA-Ecole des Mines de Paris 2001), dans le document « Economie de l’Information », englobe dans cette économie les biens informationnels numérisables et les technologies de l’information et de la communication (TIC).
Cela représentait alors 8 % du PNB américain et 5 % du PIB en France.
L’observatoire du numérique relevait que la part des TIC dans les principaux pays européens s’établissait entre 3,51 % et 6,31 % en 2009 :



Plus récemment en 2011, une étude du Medef sur L’impact de l’économie numérique indiquait : « Le secteur des TIC comprend les entreprises de l’industrie, des services et du commerce de gros exerçant leur activité dans les domaines de l’informatique, des télécommunications et de l’électronique. C’est un secteur totalisant en France près de 800 000 emplois, dégageant un chiffre d’affaires de 190 milliards d’euros en 2005 et réalisant 6,2 % de la valeur ajoutée marchande » .
La même étude regrettait le manque de données statistiques et relevait l’interpénétration entre les TIC et l’industrie classique.

Dans ces études, l’économie des TIC ne se limite pas à l’information au sens strict mais englobe leur support, leur traitement et leur transmission, qui sont bien des activités industrielles.
Quant à l’interpénétration avec l’industrie, que la quasi-totalité des entreprises utilisent les TIC ne change pas la nature de leur production.
Dans tous les cas la prédominance des activités informationnelles sur les activités industrielles ne correspond pas aux faits.

Sans développer l’ensemble du sujet, il faut noter que les pays impérialistes et leurs monopoles comme Microsoft sous-traitent pour des miettes des cartes électroniques en Asie et les réimportent pour les vendre cent fois plus cher.
Même en comptant que la valeur ajoutée de la R&D, l’ingénierie de la conception et de la mise en œuvre de ces cartes, soit très élevée, la prédominance de l’activité informationnelle sur l’activité industrielle relève ici des rapports de domination impérialistes, et s’apparente au transfert des profits de la sous-traitance au donneur d’ordre, ou bien aux marges arrières réalisées par la grande distribution et l’industrie agricole sur les producteurs.
Xuan
   Posté le 17-05-2013 à 23:09:39   

4 - Passage au numérique dans un process industriel


Avant le numérique la forme binaire des commandes simples et des retours d’état existait déjà dans les automatismes industriels : commandes de marche/arrêt, avance/recul, montée/descente, ouverture/fermeture et les retours correspondants des fins de course et capteurs de présence ou de position appropriés aux matériaux ou aux mouvements à détecter.
Ces signaux logiques étaient depuis longtemps utilisés au fil des techniques. L’électronique sous forme de composants discrets puis de microprocesseurs a permis d’unifier et de standardiser leur format, et de traduire leur combinaison avec l’algèbre binaire de Boole, inventée en 1854, et dont l’application aux machines fut mise en lumière par Paul Shannon en 1936.
Les bases théoriques existaient donc bien avant l’introduction du numérique dans l’industrie.

De même l’exploitation des signaux analogiques existait déjà auparavant et utilisait la conversion des mesures physiques en signaux équivalents : mécaniques, pneumatiques, électriques, hydrauliques, destinés à agir en retour sur le procédé par un actionneur (accélération/décélération d’un moteur, ouverture/ fermeture d’un positionneur de vanne, commande d’un thyristor de chauffage, etc.).
Ces techniques de régulation mettaient en jeu une grande quantité et une grande variété de pièces en mouvement, sujettes à des contraintes physiques pouvant les user ou les détruire. Leur fabrication, leur exploitation et leur entretien faisaient appel à des métiers très divers, à de longues expériences et à des qualifications parfois pointues.

La conversion de tous les signaux analogiques en signaux électriques puis en en signaux numérisés a permis la traduction binaire de toutes les mesures physiques (vitesse ou fréquence, tension, intensité, déphasage, déplacement, température, humidité, pression, débit, viscosité, couple, niveau, distance, luminosité, couleur, etc.).
La précision est améliorée et certains calculs automatiques peuvent être réalisés qui ne l’étaient pas auparavant :

La régulation de la vitesse et du courant existaient déjà sous forme analogique dans les technologies antérieures, mais la numérisation permet des innovations fonctionnelles dans les variateurs de vitesse. Par exemple la commande vectorielle, c’est-à-dire les calculs matriciels sur les courants actif et réactif, permet de modéliser le moteur et de commander avec précision la tension et la fréquence qui lui seront délivrées, y compris à basse vitesse.
(NB : le calcul matriciel remonte à 1850)
Autre exemple, un régulateur auto-adaptatif injecte un échelon dans la boucle de régulation, mesure le retard et la pente de la réponse, et peut ainsi calculer les actions proportionnelle, intégrale et dérivée de la régulation. Ceci supprime une part de l’activité du régleur.

La miniaturisation des cartes électroniques et leur fabrication industrielle en Asie abaisse les coûts. Le dépannage, que les procédés multicouches rendent impossible dans la plupart des cas, coûte plus cher que le remplacement. L’électronicien peut se recycler.

La standardisation numérique des signaux logiques et analogiques permet de les traiter simultanément dans un automate, qui concentre dans un volume réduit une grande quantité d’opérations tout ou rien, de boucles de régulation et de motorisation, et peut également communiquer avec un poste de conduite, voire avec l’ensemble du réseau de production de l’entreprise. Ceci supprime une très grande partie du relayage dans les armoires électriques.

Prenons le cas de la numérisation et de la refonte d’un ensemble motorisé dans une entreprise industrielle, les modifications apportées comprendront notamment :

> Le remplacement des dynamos tachymétriques par des codeurs optiques
> Le remplacement des composants électroniques discrets des variateurs de vitesse (composants passifs, diodes, transistors et ampli op) par des microcontrôleurs permettant la modélisation du moteur et sa commande par des calculs complexes.
> Le remplacement des thyristors par des transistors de puissance.
> Le remplacement des moteurs continus par des moteurs asynchrones
> Le remplacement de la plupart des transmissions mécaniques (renvois d’angle, réducteurs, trains d’engrenages, etc.) par des moteurs séparés et synchronisées par fibre optique.
> Le remplacement du relayage de commande par un automate et ses interfaces.
> Le remplacement pour l’utilisateur des cadrans à aiguille, du pupitre à voyants et boutons par un clavier et un écran, et un réseau industriel de données process.

Comme dans la téléphonie, la bureautique et dans l’informatique grand public, la numérisation dans l’industrie n’existe pas sans support matériel. Elle implique et génère la création de nouveaux matériels et technologies, leur simplification et leur standardisation. L’informatisation fait donc partie intégrante de la production industrielle et ne se substitue pas à elle.

Un autre aspect qu’on devine aisément est le prix considérable de cet investissement en matériel, démontage, montage, câblage, programmation, mise au point et en formation des utilisateurs.


Edité le 18-05-2013 à 08:56:59 par Xuan


Xuan
   Posté le 17-05-2013 à 23:17:10   

5 - Conséquences de l’automatisation


L’automatisation et l’informatisation vont du simple vers le complexe dans toutes leurs applications.
Il ne s’agit pas d’ intelligence artificielle mais de l’application de scénarios prédéterminés à des variables de commande ou à des conditions environnantes, afin d’obtenir la réponse souhaitée. Ce sont fondamentalement des recettes paramétrables.
La somme et la combinaison de dizaines d’automatismes dans un process industriel, somme qui peut être multipliée par la mise en parallèle de plusieurs chaînes de production, confère à tout l’ensemble une grande complexité.
Cela aboutit à un changement qualitatif, au miracle apparent d’une immense machine obéissant au doigt et à l’œil, dans un laps de temps très réduit, avec précision et reproductibilité.
Mais en même temps la conduite du procédé suit le chemin inverse pour remplacer la grande variété de techniques et de matériels par une interface simple et standardisée, dont l’apprentissage est plus rapide.


Standardisation et simplification des matériel, gain d’espace, de mise en œuvre, diminution des pannes et du stock de pièces détachées.
La suppression de pièces en mouvement entraine la réduction drastique des effectifs mécanos. La maintenance est simplifiée moyennant une formation sommaire des électriciens aux automates programmables, la programmation étant réservée aux informaticiens industriels. Les qualifications des électroniciens ne sont plus utiles et dans une moindre mesures celles des régleurs.
Certaines compétences d’ingénierie restent indispensables notamment au moment de la conception et de la mise en œuvre, mais lorsque l’installation est rôdée elles ne sont plus nécessaires.

Les tâches des ouvriers sont allégées, c’est-à-dire qu’une même dépense d’énergie physique et intellectuelle produit davantage de valeur ajoutée, mais de surcroît leur nombre est réduit. Ce sont d’ailleurs leurs postes de travail – là où est créée la plus value – qui sont les plus réduits.
L’automatisation ne se traduit donc pas par un travail moins pénible mais par des licenciements, et la redistribution des tâches entre ceux qui restent, soit une augmentation de la productivité et une charge de travail individuelle plus élevée qu’avant :
conduite simultanée de plusieurs machines et ajout de tâches annexes (contrôle, prélèvement, compte-rendu, suivi d’incidents, Assurance Qualité, approvisionnement, entretien et nettoyage, dépannage de première intervention, etc.).

Une partie des savoir-faire spécifiques à l’entreprise et liés à l’utilisation d’une grande variété de matériels et de technologies devenus caducs disparaissent avec eux.
Les opérations les plus courantes peuvent être exprimées en modes opératoires, ce qui permet la sous-traitance d’une grande partie de la maintenance par du personnel au forfait (en fait en régie), et l’introduction d’un volant d’intérimaires en fabrication.
L’aliénation des connaissances de l’homme à la machine s’effectuant souvent dans le contexte de licenciements, ceux qui partent ne vont pas révolutionner l’entreprise. Pour ceux qui restent le principal problème est la charge de travail accrue à salaire constant.
L’introduction du numérique n’entre pas en conflit avec le capitalisme mais accentue la contradiction Capital Travail.

Incidence sur la composition organique du capital


Les « informations » transmises au sein du réseau de production et « l’intelligence artificielle » intégrée dans les « capteurs intelligents » , les automates et les calculateurs ne sont pas plus gratuites qu’autrefois les mesures de signaux physiques, les relevés et les calculs réalisés manuellement (mis à part le fait qu’une partie d’entre elles étaient déjà automatisées et intégrées dans les matériels).
Auparavant elles nécessitaient du travail vivant, désormais ce travail vivant a été cristallisé dans les matériels et les logiciels et il s’oppose non pas au désir d’échange gratuit mais au travail vivant lui-même comme le Capital s’oppose au travail.
Ce qui les caractérise également est qu’elles ne produisent pas de plus-value mais que leur valeur est restituée dans la marchandise sous la forme d’amortissement.
Les nouvelles technologies permettent d’augmenter la productivité, cela passe par la diminution des postes de travail.
Les gains de productivité réalisés s’accompagnent de la diminution relative du travail vivant et de la plus-value qu’il produit, par rapport à l’investissement du capitaliste dans la refonte de son installation, et on a vu que cet investissement était considérable. Cet accroissement du capital constant relativement au capital variable, et que Marx définissait comme l’origine de la baisse tendancielle du taux de profit, réduit ces gains de productivité.

Certains économistes considèrent que l’accaparement des profits industriels par le capital financier est la cause principale de cette dégradation. Quoi qu’il en soit l’accaparement des profits industriels par le capital financier passe notamment par les investissements, et dans tous les cas les gains de productivité sont dilapidés.

Selon Patrick Castex dans Baisse des taux de profit et d’intérêt en France, les gains de productivité sont anéantis et il y a une baisse réelle des taux de profit industriels :





Edité le 17-05-2013 à 23:19:29 par Xuan


Xuan
   Posté le 17-05-2013 à 23:21:58   

6 - L’emploi et la formation


Le parcours de la suppression de poste passe généralement par la case Word-Excel, c’est une bonne occasion pour les entreprises formatrice de tondre la laine sur le dos des licenciés et pour ces derniers de perdre du temps.
Selon M. G. Buffet dans ses propositions pour l’emploi, mises en ligne le 22 janvier 2007, « Il est possible, en utilisant autrement les nouvelles technologies, d’aller vers la disparition du chômage et de la précarité en conciliant sécurité et mobilité. »
C’est-à-dire dans les «parcours professionnels, à l’opposé de la précarisation. » de combler les périodes de chômage par des périodes de formation à de nouveaux emplois.

Lors des transformations technologiques liées à l’automatisation et à la conduite informatisée des installations, les capitalistes ont exigé un niveau d’instruction très supérieur pour l’embauche des ouvriers. Tandis qu’un ouvrier bachelier en 1970 était considéré comme un martien, il lui fallait un bac technique voire un BTS en 2000.
Mais suite à la dégradation des grilles de classification dans les années 90 et au blocage des salaires, l’ouvrier doté d’un bac ou d’un BTS n’a pas été payé plus cher que son aîné 20 ans plus tôt.
Aujourd’hui il s’avère que les opérations réalisées par ces ouvriers diplômés ne sont pas plus compliquées qu’autrefois. Au contraire, l’aide à la conduite sur écran et la multiplication des modes opératoires aboutit à simplifier son apprentissage, rendant caduc tout le savoir pratique emmagasiné par les anciens.
Le surplus de formation n’aboutit donc qu’à garantir au capitaliste une polyvalence sur tous les postes de travail. Tandis que dans le passé les ouvriers pouvaient monnayer chaque changement de poste.
Il en résulte que si la formation scolaire ou extrascolaire peut sembler à chaque ouvrier pris isolément une porte de sortie vers une qualification ou une garantie d’emploi, en réalité le système capitaliste fait de cette formation un moyen de pression supplémentaire sur l’ensemble des salaires et des qualifications et lui assure une polyvalence quasi gratuite.

Concernant la formation des ouvriers dans le système capitaliste, Marx notait ceci :
« …faire apprendre à chaque ouvrier le plus de branches de travail possibles de façon que s'il est évincé d'une branche par l'emploi d'une nouvelle machine ou par une modification dans la division du travail, il puisse se caser ailleurs le plus facilement possible.
Supposons que ce soit possible:
La conséquence en serait que, lorsqu'il y aurait excédent de bras dans une branche de travail, cet excédent se produirait aussitôt dans toutes les autres branches de la production, et que la diminution du salaire dans une branche entraînerait encore plus fortement qu'auparavant une diminution générale immédiate. »
[travail salarié et capital]


La formation des salariés ne constitue donc absolument pas un viatique pour « un meilleur emploi, avec une garantie de droits et de revenus relevés » comme le prétendait M.G.B.

[ la question de l’emploi dans arracher la classe ouvrière au révisionnisme moderne]
Xuan
   Posté le 17-05-2013 à 23:37:10   

7 - Partage des informations bien ordonné …


Boccara écrit : « Au plan économique, ce qui est bouleversé avec le passage de la révolution industrielle fondée sur la machine-outil à la révolution informationnelle, c'est que la première est liée à l'échange, au marché, alors que l'autre implique des partages jusqu'à l'échelle de toute l'humanité.
Une machine-outil est ici ou elle est ailleurs, dans un unique endroit. Ce qui est l'une des bases de la propriété privée capitaliste. Mais une information, vous la donnez et vous la gardez encore. Elle peut être partagée indéfiniment, jusqu'à l'échelle de toute l'humanité. Ce serait une des bases d'une société future possible de partage, que l'on pourrait aussi appeler société communiste de liberté de chacun »
.

Dans le cadre de l’entreprise, l’information ne sort pas de l’intranet et elle est maîtrisée par la direction de l’entreprise. En ce qui concerne le réseau spécifique au procès de production, il relève du secret de fabrication et ne risque pas d’être partagé gratuitement aux confins de la planète.
L’esprit de corporation chez certaines catégories intermédiaires de salariés fait aussi que les logiciels ne sont pas plus accessibles aux ouvriers que le magasin d’outillage.

Boccara ajoute :
« Déjà, on ne vend pas, on n'achète pas à l'intérieur d'une multinationale, mais on y partage, par exemple les coûts de recherche. »
Il est fréquent qu’une grande entreprise se subdivise en entités, leur vend une matière première et leur rachète le produit fini ou semi-fini, afin d’optimiser ses plus-values ou d’échapper à une fiscalité plus contraignante. S’il faut partager les coûts de recherche, la solution consiste à supprimer les services R&D pour n’en conserver qu’un seul.

« Avec la révolution informationnelle … C'est aussi la possibilité de traitement nouveau de tout ce qui est information, pas seulement des écrits, et notamment le fait que chacun peut, en principe, intervenir sur ces informations. Cela pourrait s'opposer à la scission entre lecteurs et auteurs, avec l'imprimerie qui a accompagné la révolution industrielle. » [id.]
Là encore, et à l’image du règlement intérieur, l’intranet des entreprises n’est pas destiné à remettre en cause le pouvoir dictatorial de la classe capitaliste.
Plus encore, la liberté d’expression sur les réseaux sociaux s’arrête aux rapports de domination de classe, les exemples de licenciement qui l’illustrent ne manquent pas.

A l’inverse les possibilités de communication et de réécriture ont largement été mises à profit par le secteur financier dans le cadre des chambres de compensation.
Les nouvelles technologies dans ce cas n’augmentent pas la productivité mais accélèrent le cycle de rotation du capital.

Denis Robert raconte avec force détails à propos de l’affaire Clearstream comment la révolution informationnelle a permis de transférer virtuellement les capitaux à grande vitesse (la compensation financière réelle étant réalisée a posteriori), comment la manipulation des bases de données permet d’occulter des opérations, des noms ou des destinations dans l’ensemble du trafic, d’en effacer les traces pour les enquêteurs, voire d’ajouter des opérations fictives, comme dans le cas des faux listings.
Sur les chambres de compensation, voir la série de vidéos l’affaire Clearstream racontée à un ouvrier de chez Daewoo . Elles sont d’inspiration réformiste mais très instructives.


Edité le 17-05-2013 à 23:56:25 par Xuan


Xuan
   Posté le 17-05-2013 à 23:58:28   

8 - La valeur du travail gratuit


« il y a conflit entre l'usage capitaliste et l'usage "communiste" des nouvelles technologies de l’information, comme l'a bien vu Bill Gates, adversaire implacable des "logiciels libres" ! Il y a conflit antagonique entre le "traitement" capitaliste de l'information selon la logique de la rentabilité, de l'évaluation marchande, et l'essor des services collectifs de formation de l'humain (éducation, recherche, culture, communication, urbanisme, santé, protection sociale), de développement des individus, de création, de coopération. »
[ interview de Jean Lojkine sur Mediapart]

La gratuité des logiciels libres s’arrête malgré tout à l’estomac. Comme toute activité bénévole elle ne peut se développer que dans la mesure où les besoins indispensables sont déjà satisfaits.
Mais outre le fait qu’elle ne peut concerner qu’une fraction de la population, parmi les couches déjà nanties, son poids dans les rapports sociaux de production est nul.
D’autre part il est faux d’affirmer qu’à l’opposé de la gratuité les capitalistes veulent vendre l’information le plus cher possible, ceci dépend de leur position monopoliste ou concurrentielle à l’échelle mondiale, et de la saturation du marché.

Chacun des aspects vus précédemment, qu’il s’agisse du code-source, du progiciel, de son application, de la création d’un blog ou du renseignement des données dans un formulaire peut résulter d’un travail gratuit, réduit par conséquent à sa valeur d’usage.
Le travail réalisé possède alors la même valeur d’échange qu’une création tombée dans le domaine public, c’est-à-dire rien.
Que ce travail gratuit soit partagé ou non, qu’il soit répandu aux quatre coins de la terre ou qu’il dorme sur une cassette ou un CD ne change rien au fait qu’il ne participe pas davantage de la production et des rapports sociaux de production que la culture d’un potager ou la passion du philatéliste.
Il s’agit ici du travail individuel et improductif de l’amateur, et non de l’achat du PC, des semences ou des timbres, qui à l’inverse réalise la plus-value de ces différentes marchandises et la transforme en argent.

Mais l’achat et la vente, c’est-à-dire les rapports marchands ont précédé le capitalisme et ne prendront pas fin avec lui.
N’importe forme numérique peut être vendue et comporter une valeur d’échange.
Dans ce cas le partage ne concerne que l’aspect gratuit considéré, même s’il est « étendu à toute l’humanité ».
A supposer que la part commercialisée soit infinitésimale, dans le but de toucher la clientèle la plus large, considérer que ce mouvement tend vers la gratuité ignore que le gain dérisoire multiplié par des milliards de clients devient à terme une somme colossale.

Supposons qu’un logiciel libre soit utilisé gratuitement par un programmeur, rien ne l’empêche d’en commercialiser des applications spécifiques destinées à des particuliers ou à des industriels.
Dans ce cas il vendra à la manière d’un artisan le produit de son travail, additionné à l’usure de sa machine et à la péremption des systèmes d’exploitation qu’il a dû acheter par ailleurs.
Et par la même occasion prend fin l’aventure gratuite et la liberté du logiciel partagé, lesquels ne s’opposent pas davantage au capitalisme que le vol à l’étalage.
Xuan
   Posté le 18-05-2013 à 00:00:53   

Conclusion


Les thèses de la révolution informationnelle privilégient artificiellement l’information dans l’ensemble des transformations récentes de la production. Il s’avère que la production « non matérielle » et la production matérielle se fondent l’une en l’autre, et que l’économie spécifique des TIC ne prédomine pas.
Dans l’industrie, comme dans les autres domaines, les transformations sont essentiellement d’ordre technologique, même si le virtuel et l’immatériel envahissent l’univers de la représentation.

Les principales transformations sociales dans le cadre du capitalisme sont l’accroissement de la productivité et les licenciements, la simplification des tâches et la prolétarisation des catégories intermédiaires, dont le statut privilégié est remis en cause.
Ce déclassement est à l’origine de nombreuses thèses sur l’émergence de nouvelles classes révolutionnaires qui prendraient la place d’avant-garde de la classe ouvrière. La théorie de la « révolution informationnelle » en fait partie.
En fait ces transformations dans les catégories intermédiaires peuvent les rapprocher et en faire des alliés de la classe ouvrière, mais elles ne modifient pas fondamentalement la contradiction principale entre le Capital et le Travail ni celle entre la bourgeoisie et la classe ouvrière.

Les gains de productivité, comme l’accélération du cycle de reproduction du Capital, n’opposent pas les nouvelles technologies au Capitalisme mais elles accentuent ses contradictions internes.
L’accroissement des profits par rapport aux salaires s’accompagne de l’augmentation de la composition organique du capital et de la baisse tendancielle du taux de profit industriel.
Si on tient compte d’autres aspects inséparables comme la surexploitation, la concurrence sur les salaires, l’accaparement des profits industriels par le capital financier, la propagation rapide des bulles financières et la guerre des monnaies, plusieurs causes sont réunies pour une crise mondiale prolongée.

La théorie de la « révolution informationnelle » déduit les changements de comportement sociaux, voire une révolution sociale des progrès techniques. Mais les progrès techniques servent aussi à faire la guerre tout comme l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Xuan
   Posté le 19-05-2013 à 13:33:25   

Note sur l'augmentation de la composition organique du capital et la baisse tendancielle du taux de profit

Pour ne pas alourdir, et parce que ce n’est pas le fond du sujet, tous les graphiques ne figurent pas, ni les explications qu’on peut retrouver avec les définitions des variables à partir du lien Baisse des taux de profit et d’intérêt en France. Le texte contient une grande quantité d’abréviations et ça n’aide guère.
De plus les barres de fraction apparaissent mal sur les graphiques, de sorte qu’il faut lire :
VAB/E, Kc vol /E et VAB / Kr
Je précise aussi qu’il existe d’autres thèses que celle de Patrick Castex et qu’on n’est pas obligé d’avaler tout ce qu’il écrit.

Pour faciliter la compréhension quelques définitions :

VAB est la Valeur Ajoutée Brute
« La VAB est la valeur de la production moins celle des consommations intermédiaires nécessaires à cette dernière : c’est, au niveau macroéconomique, la « véritable production » brute du système productif qui permet de calculer le Produit intérieur brut, le PIB (aux impôts sur les produits, essentiellement la TVA, près). » [Patrick Castex]
Sur le graphique VAB/E est la valeur ajoutée brute divisée par le nombre d’emploi soit la valeur ajoutée par salarié.

Kc est la « composition technique du capital »
C’est la proportion entre la masse des moyens de production employés et la quantité de travail nécessaire pour les mettre en œuvre.
Kc/E est cette proportion ramenée à chaque salarié
La composition organique du capital exprimée en valeur est le rapport entre la partie constante (la valeur des moyens de production) et la partie variable (la valeur de la force ouvrière, la somme des salaires).

D’autres coefficients dont je n’ai pas affiché les courbes sont le prix relatif du capital qui dépend des taux d’intérêt, et la réévaluation du capital comptable qui intègre la spéculation boursière.
Ils corrigent Kc pour obtenir Kr.

Kr est la « productivité apparente du capital »
Selon l’INSEE : La productivité « apparente du capital » ne tient compte que du seul facteur capital comme ressource mise en œuvre. Le terme « apparente » rappelle que la productivité dépend de l'ensemble des facteurs de production (travail et capital) et de la façon dont ils sont combinés.
Elle est usuellement mesurée en rapportant la richesse créée au facteur capital
- la richesse créée est mesurée par la valeur ajoutée (évaluée en volume)
- seul est retenu le volume de capital mis en œuvre dans le processus de production, c'est-à-dire le capital fixe productif. »


Il vient que la dernière courbe est le rapport VAB/Kr, c’est-à-dire la plus-value divisée par la composition technique du capital (corrigée par plusieurs taux).

Lorsque Marx explique la baisse tendancielle du taux de profit, il prend :
c le capital constant (moyens de production)
v le capital variable (salaire)
s le surtravail
p’ le taux de profit résulte du calcul p’=s/(c+v)
On voit que si le capital constant augmente le taux de profit diminue, à productivité égale.

Le calcul de Patrick Castex est différent, puisque pour l’INSEE les salaires résultent du « partage de la valeur ajoutée » et n’apparaissent pas dans le calcul, mais il fait quand même apparaître le rapport de la valeur ajoutée divisée par le capital constant.

Ci-dessous la définition de Marx qu’on peut retrouver intégralement ici :
« Le salaire et la journée de travail étant donnés, un capital variable déterminé, un capital de 100 par exemple, correspond à l'emploi d'un nombre déterminé d'ouvriers et est la caractéristique de ce nombre. Supposons que le salaire de 100 ouvriers soit de 100 £ pendant une semaine; si ces ouvriers fournissent autant de surtravail que de travail (c'est-à-dire s'ils travaillent une moitié du temps pour reproduire leur salaire et l'autre moitié pour créer de la plus-value pour le capitaliste), ils produiront une valeur de 200 £, comprenant 100 £ de plus-value. Le taux de la plus-value sera donc de 100 % et il donnera lieu, ainsi que nous l'avons vu, à des taux de profit p' très différents, suivant l'importance du capital constant c et du capital total C, car le taux du profit est exprimé par pl / C.
Si c = 50 v = 100; p’ = 100/150 = 66 %
Si c = 100 et v = 100; p’ = 100/200 = 50 %
Si c = 200 et v = 100; p’ = 100/300 = 33 %
Si c = 300 et v = 100; p’ = 100/400 = 25 %
Si c = 400 et v = 100; p’ = 100/500 = 20 %
Un même taux de plus-value, avec un même degré d'exploitation du travail, donne lieu à un taux de profit allant en décroissant, lorsque la valeur du capital constant et par conséquent la valeur du capital total vont en augmentant. »
[K. Marx : Le Capital - Livre III - Le procès d'ensemble de la production capitaliste -§ 3 : Loi tendancielle de la baisse du taux de profit - Chapître XIII : La loi en elle-même]


Edité le 06-02-2016 à 11:08:53 par Xuan


Xuan
   Posté le 20-01-2018 à 20:45:38   

Un article paru récemment sur reporterre.
Il ne relie pas explicitement la robotisation à la course au profit maximum dans la société capitaliste, mais oppose "les nouvelles technologies" à ceux qui "voudraient défendre leur métier" .
Cependant il en dénonce les effets nocifs et nullement bienfaisants pour le travail humain, comme l'indique le chapitre 5 précédent.


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Les robots ne libèrent pas les humains du travail, au contraire


10 janvier 2018 / David Gaborieau
David Gaborieau est sociologue du travail à l’université de Marne-la-Vallée.



Contrairement à une idée reçue, l’automatisation ne libère pas les humains du travail, mais les asservit davantage. C’est ce qu’explique l’auteur de cette tribune, qui invite à une « critique sans concession des nouvelles technologies ».
David Gaborieau est sociologue du travail à l’université de Marne-la-Vallée
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Avec les robots, les drones-livreurs, les exosquelettes et l’intelligence artificielle, on nous promet la fin du travail pénible, voire la fin du travail tout court. Non seulement cette promesse est illusoire, mais elle cache ce que produisent déjà les automates dans le présent : une intensification du travail. La communication du groupe Amazon est un parfait exemple : elle met en avant des machines souriantes alors que des milliers d’intérimaires s’épuisent pour livrer les courses de Noël.

Rappelons une évidence trop souvent mise de côté : la robotisation s’inscrit dans le parfait prolongement d’un modèle industriel dont nous connaissons déjà les principes et les conséquences. Il se caractérise par un usage à outrance des ressources naturelles et humaines, ressources qu’il épuise à son profit. Et lorsque des machines sont perfectionnées, c’est bien pour augmenter la productivité des humains qui inévitablement travaillent autour. Malgré tout, l’automatisation est depuis longtemps présentée comme une forme de libération du travail humain. Andrew Ure, un des premiers penseurs de l’industrie, affirmait dès 1836 que « la plus parfaite manufacture est celle qui peut se passer du travail des mains » . En pleine époque des sweatshop [litt. « usine à sueur »] anglais, ces ateliers de misère de l’industrie textile qui brisaient les corps, la formulation était déjà osée.

Intensification du travail et perte des savoir-faire

Cette idée a fait un grand retour dans les années 1990, portée par un ouvrage célèbre dont le titre ne prévoyait ni plus ni moins que « la fin du travail ». Jeremy Rifkin y voyait les ouvriers disparaître sous ses yeux, remplacés par des machines. L’époque était à l’optimisme, les rapports de l’Union européenne annonçaient fièrement que « le taylorisme, c’est fini » [1]. Près de trente ans plus tard, un homme sur trois ayant un emploi est toujours ouvrier en France [2] et les emplois industriels que l’on dit « disparus » ont juste été déplacés dans des pays à bas coûts. La taylorisation peut même gagner du terrain, comme dans les centres d’appel, où les dialogues sont devenus répétitifs sous l’effet d’un logiciel qui guide les conversations. Et les caissières vous le diront toutes, rien de pire que la tâche consistant à surveiller en même temps six à dix caisses « automatiques ».


Une usine japonaise de fabrication de chocolats.

Malgré des échecs répétés, la prophétie de l’automatisation libératrice se renouvelle sans cesse. Une étude d’Oxford a récemment prédit que près d’un emploi états-unien sur deux était voué à disparaître d’ici vingt ans [3]. Moins alarmiste, l’OCDE estime tout de même que 9 % des emplois français présentent un « risque élevé d’automatisation » [4]. Si ces données ont de quoi faire peur, elles suscitent aussi certains espoirs. Une partie des défenseurs du revenu universel s’appuie ainsi sur l’argument d’un surplus de temps et d’argent, libéré par les machines, que nous pourrions redistribuer pour le bonheur de tous.

Mais il existe un décalage considérable entre la façon dont on s’imagine l’automatisation et sa réalité concrète. Les ouvriers de l’automobile le savent bien, eux qui entendent depuis longtemps les promesses de qualification et d’autonomie tout en étant confrontés quotidiennement à l’intensification du travail et à la perte des savoir-faire. Les médias participent pleinement à cette confusion : les journaux télévisés montrent des bras automatisés sur des chaînes de montage mais en arrière-plan les maladies du geste répétitif explosent. Elles sont de plus en plus précoces, comme dans les entrepôts de la grande distribution ou ceux de la vente en ligne. Et pourtant, les ouvriers de la logistique travaillent désormais avec de l’informatique : ils ont des écrans tactiles accrochés au bras ou des casques audios pour recevoir les ordres d’une voix numérique, une sorte de taylorisme assisté par ordinateur.

La menace de l’obsolescence devient courante et ruine toute possibilité d’expression

Même lorsque la machine brise la santé, l’automate reste la solution miracle. Pour maintenir les cadences sans revoir l’organisation du travail, les industriels testent actuellement des exosquelettes et autres cobots, ces robots collaboratifs censés accompagner l’humain. Plutôt que de revoir l’organisation du travail, ils préfèrent pousser à son comble la logique techniciste en équipant le corps humain jugé trop faible d’un artefact mécanique. Face aux impasses sanitaires, ils brandissent également le rêve d’une usine sans ouvriers, mirage qui s’éloigne dès qu’on s’en approche. Soyons patients, la souffrance au travail pour partie engendrée par la technologie va disparaître d’elle-même… grâce à la technologie. De cette façon, les discours sur la robotisation détournent les regards d’un présent inquiétant vers un futur toujours réenchanté.

Ce futur n’est pas tracé d’avance mais les discours sur le progrès technique ont déjà un lourd impact. Ils rendent invisibles des pans entiers de nos sociétés, ceux qu’on voudrait ne pas voir, en nous faisant croire qu’ils ont déjà disparu. Cet horizon robotisé permet aussi de signifier à tous ceux qui voudraient défendre leur métier qu’ils feraient mieux de rester silencieux s’ils ne veulent pas être remplacés par une machine. Dans les entretiens annuels, dans les négociations syndicales, la menace de l’obsolescence devient courante et ruine toute possibilité d’expression. Comment revendiquer des façons de bien faire le travail si l’on est voué à disparaitre ?

Combattre ces prophéties malveillantes implique de ne pas se focaliser sur un avenir trop lointain mais de regarder ce qui, dans le présent, rend indispensable une critique sans concession des nouvelles technologies. Avant de craindre ou d’espérer la disparition du travail, essayons d’empêcher qu’il ne soit systématiquement dégradé au nom de la modernité productiviste.

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[1] Dans le Livre vert de la Commission européenne, « Partenariat pour une nouvelle organisation du travail », 1997.
[2] Selon l’Insee, Enquête emploi 2012. Parmi ces ouvriers, la moitié appartiennent désormais au secteur tertiaire (logistique, transport, restauration, nettoyage…).
[3] Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne, The future of employment, Université d’Oxford, 2013.
[4] OCDE, Synthèses sur l’avenir du travail, « Automatisation et travail indépendant dans une économie numérique », 2016.


Edité le 20-01-2018 à 22:15:56 par Xuan


Xuan
   Posté le 20-01-2018 à 21:10:11   

Egalement sur reporterre. Les solutions préconisées sont purement réformistes mais elle observe à juste titre les conséquences sur la surpopulation ouvrière relative, due à l'explosion de l'intelligence artificielle . Il est clair que cette surpopulation relative conduit à une concurrence salariale accrue et à une baisse des salaires :

L’intelligence artificielle est le défi majeur posé à l’emploi humain


2 octobre 2017 / Tiffany Blandin
Tiffany Blandin est journaliste indépendante. Elle collabore à Reporterre et vient de publier " Un monde sans travail ? " (Seuil-Reporterre) août 2017, 128 p, 12 €.

L'intelligence artificielle est le défi majeur posé à l'emploi humain
Le projet de modification du Code du travail affaiblit encore les droits des travailleurs. Or, explique l’auteure de cette tribune, les progrès phénoménaux de l’intelligence artificielle menacent les emplois de multiples secteurs d’activité. Cette situation devrait être au coeur du débat.




Le monde du travail ne tourne pas rond. Ce constat s’est imposé à moi au fil de mes reportages, interviews et rencontres de ces dernières années. Je n’oublierai jamais cette journée à la Maison souffrance et travail 78 de Poissy (Yvelines). Postée dans le bureau d’une psychologue, j’ai écouté, des heures durant, des salariés victimes de harcèlement moral ou de burn-out se confier. Dévastés, ces hommes et ces femmes racontaient tous la même histoire : un management agressif, une volonté de bien faire, mais des objectifs de production inatteignables.

En France, 480.000 professionnels souffrent à cause de leur travail. Et combien encore subissent sans rien dire une gestion de plus en plus tournée vers la performance, et acceptent de faire toujours plus, plus longtemps et plus vite… Quant aux jeunes, derniers arrivés sur le marché de l’emploi, ils se voient surtout proposer des contrats de stagiaire, d’autoentrepreneur, de pigiste et autres statuts précaires. En 2017, les employeurs peuvent tout se permettre, et les travailleurs n’osent plus rien refuser. Plus de 6 millions de chômeurs [1] sont prêts à prendre leur place.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la nouvelle réforme du Code du travail. Mise en place du CDI de projet, plafonnement des indemnités prud’homales ou encore généralisation des accords d’entreprises… Le plan du gouvernement, selon Édouard Philippe, est d’ « attaquer le chômage sous tous les angles : les réticences à l’embauche des patrons des petites et des très petites entreprises (…) mais aussi le coût du travail » . Comme si, pour réparer ce marché de l’emploi, il fallait rendre les travailleurs plus flexibles, et moins chers.

L’humain ne sera jamais assez flexible, jamais assez bon marché, jamais assez performant

Après une enquête d’un an sur les évolutions futures du travail, je m’interroge sur ces choix politiques. Pas seulement parce que la libéralisation du marché du travail, débutée dans les années 1970, n’a jamais permis d’endiguer la montée du chômage. Mais aussi parce que le gouvernement éclipse une partie du problème : la révolution technologique. Je ne parle pas du récent développement des plateformes en ligne qui créent des jobs de chauffeurs ou de livreurs. Le gouvernement a prévu d’améliorer le quotidien de ces travailleurs précaires avec son « plan indépendants » présenté le 5 septembre.

Ce que les politiques semblent ignorer, c’est la prochaine vague d’innovations autour de l’intelligence artificielle. Des programmes intelligents sont actuellement testés dans les entreprises du monde entier. D’autres, plus évolués, sont en gestation dans les laboratoires des géants de la Silicon Valley. Depuis des décennies, l’informatique, la téléphonie mobile ou internet ont permis d’« augmenter » le travailleur. Aujourd’hui, les technologies numériques sont capables de le remplacer en partie. Or, face à des programmes qui fonctionnent 24 heures sur 24, jours fériés compris, sans jamais se fatiguer, l’humain ne sera jamais assez flexible, jamais assez bon marché, jamais assez performant.

La perspective de la fin du travail peut faire sourire. Depuis les débuts de l’industrialisation, les hommes craignent de se faire voler leur gagne-pain par les machines. Dès 1675, des tisserands londoniens se rebellaient contre l’introduction d’appareils à produire des rubans. De nombreux penseurs ont théorisé cette question, comme Hannah Arendt, André Gorz ou Jeremy Rifkin. Or, la machine à vapeur et l’électricité n’ont jamais dévasté notre société, pas plus que l’informatique ou internet. C’est pour cette raison que beaucoup pensent que l’intelligence artificielle et ses applications ne sont pas une menace pour l’emploi et la société.

Le travailleur a plus que jamais besoin d’être protégé

Pourtant, des expertises comme celles de l’Organisation internationale du travail (OIT) ou du cabinet de conseil McKinsey & Company ont démontré que l’automatisation des métiers sera rapide, et touchera tous les secteurs en même temps. Les conséquences pourraient en être dramatiques : chômage de masse, mais aussi explosion des jobs précaires et des inégalités sociales. L’étude de McKinsey parle ainsi de… 1,16 milliard d’emplois automatisables dans le monde. Ces derniers mois, des dirigeants de la Silicon Valley, dont Marc Zuckerberg ou Elon Musk, se sont déclarés en faveur de l’instauration d’un revenu universel, possible réponse à la crise de l’emploi future.

Dernier exemple : l’administration de Barack Obama a publié en octobre 2016 un rapport sur l’intelligence artificielle, alertant sur la question de la disparition des emplois. Alors, pourquoi les dirigeants français font-ils comme si tout cela n’existait pas, alors qu’ils disent vouloir adapter le droit du travail aux réalités économiques ? Faut-il vraiment vider le Code du travail de sa substance, alors que le travailleur a plus que jamais besoin d’être protégé ? Ne devrait-on pas, au contraire, réfléchir à des mesures pour prévenir la flambée des inégalités ?


[1] Demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, toutes catégories confondues, en France métropolitaine.
Xuan
   Posté le 20-01-2018 à 23:09:20   

Complément sur la robotisation et le taux de profit


On rappelle qu’au même titre qu'une machine, le robot ne produit ni surtravail ni plus-value. Sa valeur est simplement transférée dans la marchandise qu’il produit.

La réduction du capital variable (pour simplifier la masse salariale) due à la robotisation ou à l’intelligence artificielle, aboutit (à production constante) à augmenter le rapport du surtravail sur cette masse salariale, c’est-à-dire le taux de plus-value.

La production constante signifie que la productivité a augmenté. Chaque salarié produit davantage alors que son salaire n’a pas changé. On note que le taux de plus-value augmente mais pas sa quantité.
C'est la composition organique du capital qui est modifiée puisque le capital fixe croît à l'inverse du capital variable. La valeur de la marchandise n'a pas changé mais la part de capital variable a diminué.

Mais à l’inverse le taux de profit, rapport de la plus-value sur le capital total (capital fixe + capital variable) diminue, puisque le capital fixe aura augmenté.

Marx en montre quelques conséquences :

"A part quelques exceptions (comme lorsque la production du travail diminue dans une même mesure tous les éléments du capital constant et du capital variable), le taux du profit baisse malgré l'élévation du taux de la plus-value :
1. lorsque le travail vivant nécessaire étant devenu moindre, la fraction non payée de ce travail, bien que représentant une partie plus considérable de ce dernier, est plus petite qu'auparavant;
2. lorsque le capital ayant atteint une composition plus élevée, ce progrès a pour conséquence de faire diminuer, dans chaque marchandise, la fraction de la valeur représentant le travail vivant par rapport à l'autre fraction représentant les matières premières, les matières auxiliaires et l'usure du capital fixe."
...
Les faits suivants assignent une limite à la production capitaliste :
1. En entraînant la baisse continue du taux du profit, le progrès de la productivité du travail donne le jour à une force antagoniste, qui à un moment donné agit à l'encontre du développement de la productivité et ne peut être vaincue que par des crises sans nombre;
2. L'importance de la production, qu'elle doive être accrue ou restreinte, est déterminée, non par les besoins sociaux, mais par l'appropriation par le capitaliste du travail qu'il ne paye pas et le rapport de ce travail au travail matérialisé, en d’autres termes, par le profit et le rapport du profit au capital engagé; d'où il résulte que la production s'arrête, non lorsque les besoins sont satisfaits, mais lorsque l'impossibilité de réaliser un profit suffisant commande cet arrêt.
Le Capital - Livre III – Section III - Loi tendancielle de la baisse du taux de profit


Edité le 20-01-2018 à 23:10:07 par Xuan


Xuan
   Posté le 08-08-2018 à 22:51:58   

Sur le blog de Danielle Bleitrach un article très intéressant sur la confusion concernant la culture industrielle. Ici il s'agit des théories répandues dans le parti révisionniste. Elles ont un écho beaucoup plus large et relèvent de l'idéalisme commun :

POUR UNE VÉRITABLE CULTURE INDUSTRIELLE, ROMPRE AVEC L’INFANTILISME TECHNOLOGIQUE

08
AOÛT

juin 1, 2018 par Amar Bellal
Contribution pour le congrès du PCF – Amar Bellal

http://histoireetsociete.wordpress.com/2018/08/08/pour-une-veritable-culture-industrielle-rompre-avec-linfantilisme-technologique-2/#comment-35476



Un enjeu central

L’industrie est le cœur de la production de richesse d’un pays : nous pouvons tirer n’importe quel fil de l’activité humaine, l’enseignement, le secteur de la santé, le transport, au bout se trouvera immanquablement un processus de production, une usine pour le dire plus simplement. Le secteur des services, bien souvent, n’est en effet qu’au service d’un processus industriel ou en dépend très étroitement : sans un secteur industriel fort, un pays est condamné, à plus ou moins long terme, car obligé d’importer massivement les produits qu’il consomme, avec le déséquilibre de la balance commerciale et l’appauvrissement qui s’en suivent. Un pays qui ne vivrait qu’avec un secteur primaire et un secteur tertiaire, ne pourrait pas survivre longtemps. Cela doit occuper une place importante dans notre réflexion

Un défaut grave de culture industrielle dans le parti

On se heurte pourtant à une difficulté. La sociologie du parti a beaucoup changé, et plus particulièrement parmi ceux qui animent les groupes d’idées et ceux chargés de rassembler notre réflexion sur ce sujet: beaucoup d’enseignants, de camarades issus des sciences humaines, qui n’ont pas toujours beaucoup d’expérience dans ces secteurs. Il ne s’agit ici pas de les blâmer bien sûr, l’auteur de ces lignes en est d’ailleurs issu. Mais convenons- en : il en découle souvent un désintérêt et un manque d’expertise autour de ces enjeux dans le parti. Cette perte d’expertise est dramatique car elle est la porte ouverte à toutes sortes d’utopies faciles d’accès, qui donnent l’impression de fournir une culture dans ce domaine à peu de frais. Cette culture, souvent, se limite à la lecture du dernier livre à la mode qui met en avant telle ou telle vison utopiste de ce que serait l’industrie de demain par exemple. Ainsi en est il de la fascination autour des imprimantes 3D, des Fablab, de la société du « tous producteurs », de certaines visions proudhoniennes de l’économie, des graves sous-estimations des défis énergétiques… Il faut dire que les philosophes et les sociologues, spécialisés dans la narration de certaines utopies technologistes, ne manquent pas : Besnier, Rifkin, Morin, Stiegler … pseudo-visionnaires qui ont pour point commun de ne pas comprendre grand-chose aux réalités industrielles et au monde de la recherche, pour ne s’y être jamais vraiment frotté, et pour tout dire, n’y avoir jamais travaillé et n’ayant jamais réalisé le moindre projet concret. Et ce sont, hélas, les livres de chevet de beaucoup de dirigeants à gauche, qui s’imaginent ainsi être à la pointe de l’avant-gardisme avec ce genre d’idées

Pourtant, il suffit d’échanger avec quelques ingénieurs, ou chercheurs d’école d’ingénieur, d’institut de technologie, en process de production, en génie productique, pour comprendre que ces visions, sont surtout idéologiques et ne s’appuient sur rien de vraiment crédible. Les évolutions de l’industrie et ses bouleversements sont ailleurs, ce qu’on recouvre par le terme générique d’usine du futur, beaucoup plus difficile à appréhender, mais dont les germes sont déjà là, aux conséquences indiscutables sur les conditions de travail, lorsqu’on prend la peine de discuter avec des salariés ou des militants syndicaux sur le terrain.

Ici faisons une liste des « égarements » les plus fréquemment rencontrés sur le sujet : un premier pas serait en effet de déconstruire les visions simplistes et erronées autour de la production et de l’industrie.



La paillasse de laboratoire et la grande échelle

Ce qui fonctionne sur une paillasse de laboratoire ne fonctionne pas forcément à grande échelle. Ainsi en est-il par exemple des utopies sur la « société hydrogène » et la production d’énergie décentralisée qui nous permettraient, selon certains, de nous passer des grandes unités de productions. La pile à combustible existe, la voiture à hydrogène existe, et ce depuis plusieurs dizaines d’années, mais si cela ne se généralise pas, ce n’est pas parce qu il y aurait un complot contre cette technologie fomenté par les industriels de l’automobile par exemple, mais tout simplement parce que c’est très cher et d’un rendement médiocre, et que les chercheurs du monde entier ne trouvent tout simplement pas de solution pour qu’il en soit autrement. Le domaine de l’énergie est d’ailleurs un des secteurs les plus propices à ces visions qui font fi des ordres de grandeurs et de l’état réel des technologies à plus ou moins long terme. Comment expliquer cela à un dirigeant politique qui, ayant lu le dernier livre de Rifkin, ne jure que par cela, et s’imagine ainsi être un avant-gardiste visionnaire avec ces idées, face à des scientifiques ringards et frileux selon lui, qui lui expliquent le contraire ? C’est très difficile… (c’est du vécu)

Notre penchant pour la science fiction et le sensationnel

On pourrait aussi citer le délire autour de l’homme augmenté et du transhumanisme. C’est la première chose qui nous vient à l’idée lorsqu’on évoque les progrès de la robotique appliquée à l’homme sous forme de prothèses évoluées. Mais l’écrasante majorité des chercheurs en robotique, dans ce domaine précis, cherchent tout simplement à améliorer le quotidien de personnes qui ont perdu un membre et sont gravement handicapées, ou bien ils cherchent par exemple à fabriquer un cœur artificiel le plus fiable possible: non pas pour créer de nouvelles émotions artificielles, dans un délire puéril de film de science fiction, mais plus prosaïquement pour prolonger la vie de milliers de personnes. Et nous passons à coté de cela, de toute une filière, nous focalisant sur l’accessoire, en contribuant à véhiculer les fantasmes de certains philosophes qui voient venir la fin de l’humanité ou une menace pour l’espèce humaine. Pour qu’il en soit autrement il faudrait fréquenter vraiment les chercheurs de cette discipline et s’y intéresser sincèrement, débattre avec eux, quitte à écrire des livres moins sensationnels. Peut-être aussi faire un stage de découverte pour s’immerger dans le monde de la recherche et de l’industrie : il n’y a pas de honte à cela, et cela éviterait d’écrire et de professer des contrevérités.

Nous pourrions citer des dizaines d’exemples de ce type où, y compris au PCF, nous naviguons entre absence complète d’analyse et analyses complètement erronées qui se focalisent sur des aspects périphériques en passant à coté de l’essentiel.

Une utopie technologiste emblématique : les Fablab

L’avenir serait aux fablab et aux associations de quartier de type « do it yourself » (faites-le vous-même), le tout sous couvert d’une aspiration à l’ émancipation de chacun, enfin libre de produire soi- même la poignée de porte cassée de son logement dans son Fablab de quartier, plutôt que d’aller l’acheter à Castorama, acte très aliénant il va sans dire, et selon son désir bien sûr et pour l’usage voulu: ça c’est pour le volet « émancipation »… Ce serait annonciateur de la fin des usines telles qu’on les connaît, la fin des gros centres de production : place à la décentralisation des productions, au partage des savoirs et des connaissances, qui feront que n’importe qui pourra produire ce que bon lui semble en s’improvisant ingénieur, technicien et ouvrier spécialisé, dans la branche qu’il veut, selon la pièce ou l’objet qu’il veut produire soi-même, et en téléchargeant le plan de fabrication sur internet sur des plateformes collaboratives etc (dans ce cas, il ne faut pas avoir peur de sacrifier ses congés de Noël, si les freins de son vélo lâchent, et qu’on ne veut surtout pas passer chez Décathlon…).

C’est évidemment une vision naïve du monde qui nous entoure, car elle sous-estime le haut niveau de technicité des objets les plus banals qui nous entourent et les problèmes ardus qu’ont dû résoudre nos ingénieurs et techniciens pour produire des objets avec des cahiers des charges de plus en plus exigeants. En termes de résistance des matériaux, de fiabilité, de normes sanitaires, de sécurité et avec la nécessité de les produire à des centaines de milliers d’exemplaires avec le même niveau de qualité : autant dire que ce n‘est pas à la portée du bricoleur du dimanche ne serait-ce que pour fabriquer un « simple » pédalier de vélo, un stylo-bic ou même un pot de yaourt… Faut il rappeler qu’on a justement inventé la division du travail pour cela, des normes, des métiers très pointus, qui interdisent toute utopie de ce genre à moins d’accepter un recul de civilisation sans précédent avec un retour à l’artisanat. Bien sûr, on peut rétorquer que la Nasa a une imprimante 3D à bord de l’ISS, que la médecine produit des prothèses à partir d’imprimante 3D, qu’Airbus produit également des pièces à partir de ce type de procédé, et s’imaginer qu’on est avant-gardiste en voyant là les prémisses d’une nouvelle révolution des modes de production. Mais justement, c’est parce que dans ces cas très précis et spécifiques, cela a un réel intérêt, c’est ce qu’on appelle des « niches », rien à voir avec un bouleversement général (encore moins une « révolution »). Ainsi, pour la Nasa, l’isolement de l’ISS exige qu’une pièce aussi spécifique soit-elle puisse être produite en urgence en dépannage à bord : en effet, à 400 km d’altitude, les garagistes sont rares. En médecine, une prothèse est unique, pour un être humain, unique lui aussi, qui va la recevoir. Enfin Airbus a les moyens de se payer une imprimante extrêmement performante, très chère et très spécifique aux pièces qu’elle va réaliser, et qui ne serviront que là. D’ailleurs pour que les centres Fablab soient vraiment efficaces, il faudrait disposer de machines et d’ imprimantes 3D très coûteuses et performantes, se spécialiser dans la production de quelques objets précis pour optimiser la matière et en faire beaucoup, et ensuite que ces machines très chères se regroupent dans un même lieu avec du personnel qualifié sachant piloter ces appareils et assembler les pièces du produit fini (pour faire ne serait qu’un vélo il faudrait des dizaines d’imprimantes 3D vus les différentes pièces et matériaux nécessaire). Comment appellera-t-on de tels lieux ? …des usines tout simplement!… On revient ainsi à la case départ, et avec le questionnement des Fablab on rejoue le débat autour du passage de l’artisanat à l’ère moderne de l’efficacité industrielle, depuis longtemps résolu. On se fait plaisir avec un vernis de modèle alternatif rebelle/contestataire. Avec de telles idées, autant dire que les financiers tremblent… L’illusion ici vient du fait qu’on confond l’imprimante 3D du TP de collège du professeur de technologie, soucieux de faire réaliser des « activités » à des élèves, et l’imprimante 3D de l’atelier de PSA ou d’Airbus, qui n ‘est rien d’autre qu’une évolution de l’usinage à commande numérique qui existe déjà. Mais pour le comprendre il faut un minimum de culture technologique et une notion sur les contraintes que pose une ligne de production. Ne pas confondre progrès, niches et révolution technologique.

Appréhender le « temps industriel »

Le temps industriel est un temps long : déployer une technologie, développer une filière, fiabiliser un produit, de l’Airbus A380, au réacteur EPR, en passant par le TGV, ou le dernier moteur à combustion qui sera produit par millions, c’est long et n’est pas souvent compatible avec certaines incantations et impatiences exprimées par des idéologues (surtout âpres au gain et profit immédiats) qui proposent de remplacer des secteurs entiers par des filières qui ne sont pas mûres et ne dépassent même pas le stade de la paillasse de laboratoire ou du prototype. Ces discours « de la table rase » ont des effets catastrophiques car mettant sous pression des industries entières sommées constamment de justifier de leur utilité, devant sans cesse s’excuser d’exister, provoquant ainsi de graves crises des vocations (la meilleure façon de tuer une filière : envoyer le signal qu’on n’investira plus dans ce domaine, vous videz alors les écoles d’ingénieurs). Comment s’étonner que les facultés de sciences se vident de façon aussi dramatique ? Faut il rappeler qu’il faut 5-6 générations d’effort, de travail, pour développer une filière industrielle d’excellence dans un pays, mais seulement 5 à 10 ans pour la détruire ? C’est ainsi qu il faut veiller à ne pas relayer des discours faciles d’anticipation de la fin de telle ou telle technologie. Ce n’est pas faire preuve d’avant-gardisme de prôner le « nouveau » systématiquement et de vouloir tout remplacer avec une nouvelle idée tous les 2 ans : ce n’est pas sérieux. On devient les idiots utiles du système car ce sont ces discours qui déclenchent en silence la disparition du peu d’industrie qui nous reste : on rejoue en version moderne la fable de « Perrette et le pot au lait », en perdant ce qu’on sait déjà faire avec la promesse de nouvelles filières qui ne verront pas le jour car non viables. Et la finance, s’intéressant de moins en moins aux usines, à la rentabilité médiocre par rapport à la spéculation, s’en frotte les mains.

Un oubli fréquent : le support matériel de la « révolution numérique »

C’est une figure de style au parti : quand on parle de révolution numérique , on parle de bla-bla-car, d’Uber, de Waze, on parle des Gafa, on explique qu’il y a d’immenses potentialités avec les « communs » grâce aux logiciels libres…avec des formules favorites « un autre internet est possible ! si on se donnait les moyens d’une maitrise publique » etc etc ..mais dans ces Rdv et colloques, journées d’étude, on évite soigneusement d’inviter un syndicaliste d’Orange, ou d’Alcatel (maintenant racheté par Nokia), ou un ingénieur des télécom, de l’industrie informatique ou des nouvelles technologies : il n’y a de place que pour les hackers, ou les militants du logiciel libre . C’est symptomatique d’un parti qui n’a plus les moyens d’appréhender le cœur des évolutions profondes dans des pans entiers de l’économie faute de salariés y travaillant, mais plus grave encore, faute même de réelle volonté de comprendre ce qui s’y joue. Il est en effet à la portée de n’importe qui, même de quelqu’un qui n’a jamais travaillé dans ces secteurs, d’avoir la présence d’esprit d’inviter un ingénieur de cette filière afin de nous parler du support de cette révolution numérique : la fabrication des serveurs, des réseaux, des fibres optiques, des composants électroniques, sans lesquels internet et tout le reste n’existeraient pas. Une entreprise comme Alcatel a été rachetée 3 fois déjà, peut être serait-il temps de s’y intéresser et de comprendre que les « données » et leurs traitements sont une dimension essentielle, mais que les « tuyaux » les transportant et ceux qui les fabriquent, sont tout aussi importants. De grands mouvements se font dans le monde impitoyable du capitalisme, pour récupérer des brevets et des savoir-faire précieux de cette industrie. A défaut de pouvoir/vouloir aborder ces sujets, de sincèrement et collectivement les travailler, on se limite tout au plus à la réflexion d’un ou deux camarades, et on se contente des aspects périphériques à notre portée, et flattant ce qu’on croit déjà savoir, ce qu’on a entendu mille fois ici ou là dans les médias. Et ne cachons pas ce penchant : ce sont surtout les idées les plus compatibles avec une culture de type cyber-punk, proche de l’univers d’anarchistes « hacker » de la côte ouest états-unienne, qu’on favorise et valorise, celles qui sont à la portée d’utopistes contemplant le monde du haut de leur bureau, mais n’ayant jamais vraiment travaillé dans ces secteurs.

L’économie immatérielle est de plus en plus ….matérielle.

Il est toujours frappant de voir des personnes avec de forts penchants vers la décroissance exposer leurs thèses sur les réseaux sociaux, par mail, par blog, en expliquant que l’économie est de plus en plus immatérielle et qu’on peut économiser énormément d’énergie et de matière première grâce aux nouvelles technologies. Pourtant, c’est tout le contraire, ces technologies pour exister, nécessitent énormément de matière première et d’énergie. Derrière les heures passées sur les réseaux sociaux, il y a une consommation énergétique phénoménale pour faire fonctionner les serveurs et centres de données. D’autre part l’exigence de miniaturisation, paradoxalement, est un facteur aggravant sur le plan environnemental : elle demande d’aller chercher des matériaux de plus en plus rares, et derrière l’apparence « anodine » d’un smartphone, cet accès à internet qui tient dans notre poche, il y a toutes ces mines en Afrique, en Chine, de plus en plus immenses pour justement assouvir notre soif d’« économie immatérielle » : internet, smartphone, écrans plats…. Bien sûr, si un jour on avait idée d’ouvrir de telles mines en France : nous aurions à coup sûr des ZAD partout et des millions d’internautes mobilisés pour dire « non », avec des outils nécessitant donc massivement ces métaux rares: relevons cette absurdité. Mais tant que les mines sont ailleurs qu’en France …

Le « pétrole de demain » ce sera… le pétrole !

C’est l’expression la plus agaçante qu’on entend ici et là dans les média mais aussi reprise dans nos milieux militants : « les données informatiques sont le pétrole de demain », pour sensibiliser aux enjeux autour du « big data ». On peut traiter un enjeu sérieux (le traitement des données) sans être obligé de verser dans le sensationnel. Non, le pétrole de demain, ça restera encore le pétrole… et pour longtemps ! en effet, comme dit plus haut, pour maintenir toutes ces technologies en fonctionnement, ce seront surtout les matières premières et d’énergie qui manqueront cruellement demain à l’Humanité. On fera des guerres de plus en plus dures pour acquérir les dernières ressources pétrolières, car cette ressource restera indispensable dans certaines applications. Et il en va de même pour toutes les matières premières : y compris un minerai aussi banal que le cuivre !

La matière reste essentielle

Oui la révolution numérique a un impact dans pratiquement tous les métiers, elle permet un travail collaboratif plus important, une meilleur réactivité, des projets conçus en amont avec une précision de plus en plus fine, les logiciels sont de plus en plus ergonomiques et capables de véritables prouesses de calcul. On est loin du temps où il y a 40-50 ans, des équipes entières de techniciens et ingénieurs dans les bureaux d’étude, faisaient et re-faisaient des calculs à la main, et derrière, les re-vérifiaient encore une fois , et ceci pendant des semaines. Aujourd’hui cette étape peut se faire en quelques heures et par une seule personne, grâce à des logiciels dédiées. C’est un progrès spectaculaire, mais qui ne doit pas non plus nous illusionner sur la part qui relève du « numérique » et celle qui relève de « la mise en œuvre de la matière » qui reste malgré tout essentielle dans la valeur ajoutée : elle conditionne même toute la chaîne de production. Prenons un exemple: pour faire un réacteur EPR, il y a des années de calcul, de conceptions, d’essais, de prototypages, avec des logiciels puissants, du travail impliquant des dizaines d’équipes, des milliers d’ingénieurs et de chercheurs, où le numérique va effectivement jouer un grand rôle. Mais une fois le projet stabilisé, il faut le réaliser concrètement, cela implique de savoir couler du béton de qualité, de produire et souder de l’acier de haute qualité, sur place de s’assurer de la qualité de la réalisation en conformité avec les plans, affiner les systèmes électro-mécaniques, l’électricité de haute puissance etc etc… et savoir faire travailler des dizaines d’entreprises à la fois, effectuer tous les contrôles…. et tout cela devra être répété pour des dizaines de réacteurs (si on part sur l ‘hypothèse d’un renouvellement du parc nucléaire en France), et même sur des centaines d’exemplaires, si on vise un objectif de déploiement mondial. On comprend alors que la part de conception restera mineure face à la réalisation concrète de ces exemplaires (même si la part du numérique ne disparaît pas complètement loin de là). L’exemple de l’EPR reste valable pour les grands projets industriels. Et c’est le grand problème en France : on perd ce « savoir-faire » de mise en oeuvre, il suffit de voir les retards de l’EPR avec toute une génération qui doit réapprendre à traiter ce type d’ouvrage, les retards de différents chantiers et les multiples erreurs et bug dans l’industrie. On manque de main d’œuvre qualifiée au sens large, d’ingénieurs de terrain, le « savoir-faire français » bat de l’aile. Cela est en partie dû au fait qu’on a longtemps cru que « tout était numérique » et que l’essentiel s’y jouait, qu’il suffisait d’avoir un beau dessin technique sur son écran d’ordinateur en 3 D avec des détails et une anticipations de tous les paramètres très poussée, aboutissement d’années d’études et de recherches d’équipes d’ingénieurs, pour se donner l’illusion que le plus dur était fait. Non, il faut aussi que la réalisation sur place puisse suivre, et elle exige peut-être des compétence encore plus poussées : la nature, le terrain, ça ne pardonne pas, et ils sont incomplètement restitués à travers les logiciels.

Le PCF doit renouer avec le monde du travail, loin des illusions technologistes

L industrie, c’est en effet la grande question, le grand enjeu, auquel fait face notre pays.

La France est-elle condamnée à être un pays parsemé de ronds-points et de centres commerciaux sans usine avec des « job à la con » (jobs qu’on retrouve dans ces même centres commerciaux) ?

Doit-on condamner toute une génération à des métiers absurdes et dévalorisants, et devenir, comme le prédisait Condoleezza Rice, un grand parc d’attraction Dysneyland pour riches touristes du monde entier ?

Doit-on pointer le problème de la désindustrialisation, juste durant les analyses de lendemain d’élections pour déplorer le vote massif pour le FN dans les territoires périphériques, ceux frappés le plus durement par la désindustrialisation, et l’oublier quelques semaines plus tard, jusqu’à la prochaine élection ?

Un parti communiste, digne de ce nom, doit avoir ce sujet comme une des préoccupations centrales, au cœur de son projet.

Cette question est souvent la grande oubliée de nos textes de congrès. Une fois tous les 2- 3 ans un colloque lui est consacré durant un WE au siège du PCF, et nous nous quittons en nous promettant de poursuivre le travail et d’y consacrer des campagnes de longues durées. Pourtant il n‘en est rien. Il y a bien des initiatives comme celle de la commission économique et tout le travail autour d’Alstom et maintenant autour de la SNCF et la reprise de sa dette, avec des pétitions et des démarches rassembleuses : mais ces initiatives devraient être démultipliées et avec des moyens et un soutien politique d’une toute autre ampleur.

Il faut changer d’état d’esprit, renoncer aux utopies faciles, technologistes, et retrouver le chemin du dialogue avec les syndicalistes, les professionnels, osons même un « gros mot » : avec les experts de ces domaines. C’est un chemin plus difficile, mais c’est le seul valable si on veut que la gauche, notre parti en particulier, retrouve force et crédibilité.
Xuan
   Posté le 08-08-2018 à 23:20:30   

L'article précédent peut être relié à l'étude sur le matérialisme-dialectique parue sur le site des Editions Prolétariennes contrairement à une opinion répandue, le soleil brille aussi la nuit

Plus précisément le chapitre "la matière disparaît"...le retour.
et dans ce chapitre page 73 "Réalités industrielles de la « révolution informationnelle »."


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III - « La matière disparaît » : …le retour


En 1908, dans « matérialisme et empiriocriticisme », Lénine critiquait l’idéalisme des néo positivistes de son époque, dissimulé derrière « la matière disparaît ».

« "La matière disparaît", cela veut dire que disparaît la limite jusqu'à laquelle nous connaissions la matière, et que notre connaissance s'approfondit; les propriétés de la matière qui nous paraissaient auparavant absolues, immuables, primordiales (impénétrabilité, inertie, masse, etc.) disparaissent, reconnues maintenant relatives, inhérentes seulement à certains états de la matière. Car l'unique "propriété" de la matière, que reconnaît le matérialisme philosophique, est celle d' être une réalité objective , d’exister hors de notre conscience. »
[…]
Il n'y a d'immuable, d'après Engels, que ceci : dans la conscience humaine (quand elle existe) se reflète le monde extérieur qui existe et se développe en dehors d'elle.
Aucune autre « immuabilité », aucune autre « essence », aucune « substance absolue », au sens où l'entend la philosophie oiseuse des professeurs, n'existe pour Marx et Engels.
L'« essence » des choses ou la « substance » sont aussi relatives ; elles n'expriment que la connaissance humaine sans cesse approfondie des objets, et si, hier encore cette connaissance n'allait pas au delà de l'atome et ne dépasse pas aujourd'hui l'électron ou l'éther, le matérialisme dialectique insiste sur le caractère transitoire, relatif, approximatif de tous ces jalons de la connaissance de la nature par la science humaine qui va en progressant.
L'électron est aussi inépuisable que l'atome, la nature est infinie, mais elle existe infiniment ; et cette seule reconnaissance catégorique et absolue de son existence hors de la conscience et des sensations de l'homme, distingue le matérialisme dialectique de l'agnosticisme relativiste et de l'idéalisme »
.
[Matérialisme et Empiriocriticisme, p. 271.]

Aujourd’hui plus aucun physicien n’ose reprendre les naïvetés des néo positivistes mais chassées par la porte elles reviennent par la fenêtre. L’école de Copenhague niait que la matière et ses lois fussent indépendantes de la conscience.
«Il n’y a pas d’univers quantique. Il n’y a qu’une description mécanique quantique abstraite. C’est une erreur de croire que la tâche de la physique est de découvrir comment est la nature. La physique concerne ce que nous pouvons dire de la nature.» [Niels Bohr (cité par Manjit Kumar in Le grand roman de la physique quantique. Ed. Flammarion 2008].

Einstein critiquait ainsi cette attitude courante à l’époque chez les physiciens quantiques :
« A la source de ma conception, il y a une thèse que rejettent la plupart des physiciens actuels (école de Copenhague) et qui s’énonce ainsi : il y a quelque chose comme l’état "réel" du système, quelque chose qui existe objectivement, indépendamment de toute observation ou mesure, et que l’on peut décrire, en principe, avec des procédés d’expression de la physique. » dans "Remarques préliminaires sur les concepts fondamentaux".

Dans Physique et matérialisme , Bitsakis relève que l’école positiviste nie toute réalité matérielle en dehors des conditions de l’expérience :
Heisenberg écrivait ainsi dans « Physique et philosophie » : « Les atomes, ou les particules élémentaires elles-mêmes, ne sont pas réels ; ils constituent un monde de potentialités ou de possibilités plutôt qu’un monde de choses ou de faits. » Heisenberg découvre ici un germe de dialectique mais, en même temps et surtout, il s’efforce de justifier une négation de la dialectique objective, quand il parle de la possibilité d’une réalité et, encore plus, quand il rejette toute idée d’une réalité objective. (…) La dichotomie introduite par Heisenberg est conforme à la contradiction formelle entre le potentiel et le réel. (…) Heisenberg a développé systématiquement des conceptions idéalistes et platoniciennes, et ses idées ont eu une grande influence sur ses contemporains. Parlant des conséquences extrêmes de ces idées, A. Landé a dit : « Il n’est pas étonnant que Sir James Jeans, après avoir étudié Bohr et Heisenberg, soit arrivé à la conclusion triomphale que la matière consiste en ondes de connaissance, ou en absence de connaissance dans notre esprit. » (…) La pensée mécaniste sépare l’objet des conditions de son existence. La pensée positiviste (mécaniste d’un point de vue diamétralement opposé ) prend la position inverse, quand elle affirme que « l’objet n’existe pas avant l’interaction avec l’instrument » et que « la réalité est création de nos moyens d’observation ». Mais la pensée positiviste contient dans ce cas un germe de vérité. En réalité, l’objet n’a pas d’existence en dehors de conditions concrètes, en dehors de son milieu et de ses relations concrètes avec ce milieu. De ce point de vue, l’instrument d’observation « crée » la particule. Mais il ne la crée pas du néant, il la transforme, et d’un être initial donné, dans des conditions concrètes, il crée divers êtres, selon la nature de la particule initiale et les conditions de l’expérience. Les interactions de la particule avec le milieu, ou avec l’appareil de la mesure, transforment certains de ses éléments de réalité en des éléments différents. Ainsi la particule passe d’un état à un autre, ou se transforme en autre chose. Ce dynamisme interne de la matière a été considéré comme une preuve de non existence !

L’idéalisme moderne nie l’existence de la matière en la remplaçant ici par ses relations interdépendantes , ailleurs par des multimondes , ou par des informations .
Ces théories sont niées par les faits. Quelle que soit la forme que prend la matière – y compris ondulatoire à l’échelle subatomique – elle ne cesse jamais d’exister. On peut opposer la lumière et la matière en considérant que la première n’a pas de masse et possède une caractéristique ondulatoire. Pour autant, et au même titre que le vide ou les quatre interactions fondamentales de la physique, la lumière est partie constitutive de la matière, par opposition aux concepts et aux idées. La matière réelle existe hors de notre conscience, qui en émerge et ne la crée pas. En retour, le concept abstrait de la matière - à la différence des matières déterminées existantes - est un produit de la conscience.

Inversement le matérialisme-dialectique affirme que la matière existe indépendamment de la pensée, tandis que la pensée naît de la matière. La pensée est le produit et le reflet de la matière et de la société, et non l’inverse.
Notre matérialisme est scientifique, il part du principe que le monde et ses lois sont parfaitement connaissables, s’ils sont vérifiés par l'expérience, par la pratique. Les lois ainsi définies sont des vérités objectives, jusqu’à ce que d’autres définitions plus justes les remplacent.
Contrairement à l'idéalisme qui considère le monde comme l'incarnation de « l'idée absolue », de l' « esprit universel », de la « conscience », le matérialisme philosophique de Marx part de ce principe que le monde, de par sa nature, est matériel, que les multiples phénomènes de l'univers sont les différents aspects de la matière en mouvement ; que les relations et le conditionnement réciproque des phénomènes, établis par la méthode dialectique, constituent les lois nécessaires du développement de la matière en mouvement ; que le monde se développe suivant les lois du mouvement de la matière, et n'a besoin d'aucun « esprit universel » . [Staline : Matérialisme dialectique et matérialisme historique]


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Le théorème du soufflé au fromage

Dans « Le Cosmos et le Lotus » , l’astrophysicien « réaliste » Trinh Xuan Thuan écrit :

La vacuité : l'absence d’une réalité intrinsèque


La notion d'interdépendance nous amène directement à l'idée bouddhiste de la vacuité, qui ne signifie pas néant, (je l'ai dit, c'est par méconnaissance que le bouddhisme a souvent été accusé à tort de nihilisme), mais « absence d'existence propre». Parce que tout est interdépendant, rien n'existe en soi, ni ne peut être sa propre cause. L'idée d'une réalité autonome n'est pas valide.
De nouveau, la mécanique quantique tient des propos étonnamment similaires. Selon Bohr et Heisenberg, nous ne pouvons plus parler d'atomes ou d'électrons en termes d'entités réelles possédant des propriétés bien définies, telles que la vitesse ou la position. Nous devons les considérer comme formant un monde non plus de choses et de faits, mais de potentialités. Pour reprendre l'exemple de la lumière et de la matière, leur nature devient un jeu de relations interdépendantes. Elle n'est plus intrinsèque, mais change par l'interaction entre l'observateur et l'objet observé. La lumière comme la matière n'ont pas d'existence intrinsèque parce qu'elles peuvent apparaître soit comme des particules, soit comme des ondes, selon que l'appareil de mesure est activé ou pas. Leur nature n'est plus unique mais duelle. Ces deux aspects sont complémentaires et indissociables l'un de l'autre. C'est ce que Bohr a appelé le « principe de complémentarité ».
L'observation modifie la réalité du monde atomique et subatomique et en crée une nouvelle. Parler d'une réalité « objective » pour un électron, d'une réalité qui existe sans qu'on l'observe, a peu de sens puisqu'on ne peut jamais l'appréhender. Toute tentative visant à saisir une réalité intrinsèque se solde par un échec cuisant. Celle-ci est irrémédiablement modifiée et se transforme en une fatalité « subjective » qui dépend de l'observateur et de son instrument de mesure. La réalité du monde subatomique n'a de sens qu'en présence d'un observateur. Nous ne sommes plus des spectateurs passifs devant le drame majestueux du monde des atomes, notre présence en change le cours. Bohr parlait de l’impossibilité d'aller au-delà des faits et résultats des expériences et mesures : « Notre description de la nature n'a pas pour but de révéler l'essence réelle des phénomènes, mais simplement de découvrir autant que possible les relations entre les nombreux aspects de notre existence »(*). La mécanique quantique relativise radicalement la notion d'objet en la subordonnant à celle de mesure, c'est-à-dire à celle d'événement. De plus, le flou quantique impose une limite fondamentale à la précision des mesures. Heisenberg a démontré qu'il existera toujours une incertitude soit dans la position, soit dans la vitesse d'une particule. La mécanique quantique a fait perdre à la matière sa substance. Par là, elle rejoint la notion de vacuité bouddhiste.


(*)Niels Bohr, Atomic Theory and the Description of Nature, Woodbridge, Conn. : Ox Bow Press, 1987, traduit pas mes soins. (Note de l’auteur Trinh Xuan Thuan)

On remarquera l’affirmation directement inspirée de la philosophie positiviste de l’inexistence de la matière, qui n’a pas d'existence intrinsèque puisque sa dualité n’apparaît qu’avec l'interaction entre l'observateur et l'objet observé… Toute tentative visant à saisir une réalité intrinsèque se solde par un échec cuisant... La réalité du monde subatomique n'a de sens qu'en présence d'un observateur… etc.
S’agissant de vacuité , on mesurera davantage celle de la démonstration en citant le fameux théorème du soufflé au fromage :
Faisons cette expérience de pensée suivant laquelle la vitre du four a été lavée à la vitesse de la lumière et à une époque indéterminée. Il en résulte qu’il est impossible d’observer la cuisson du soufflé au fromage à l’intérieur, à moins d’ouvrir la porte du four.
Or il s’avère que « Toute tentative visant à saisir une réalité intrinsèque se solde par un échec cuisant. Celle-ci est irrémédiablement modifiée » et le soufflé subit un effondrement gravitationnel.
Une seule ressource subsiste alors : balancer le soufflé à la poubelle et annoncer aux invités qu’il n’a « pas d’existence intrinsèque ».

Que l’appareil de mesure fasse apparaître tel ou tel aspect contradictoire de la matière nous renseigne sur sa nature dialectique, corpusculaire ou ondulatoire par exemple, et non sur son existence intrinsèque, sans laquelle il n’y aurait ni mesure ni apparition d’aucune sorte pour le physicien, lequel ne serait pas là non plus pour spéculer sur l’existence intrinsèque de la matière.
« A l’heure actuelle beaucoup de chercheurs subissent encore, parfois à leur insu, l’influence de la doctrine positiviste. (...) Elle tend à atténuer sinon à supprimer la notion de réalité physique objective indépendante de nos observations. » [Louis De Broglie dans « Sur les sentiers de la science »]


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La révolution informationnelle et la matière

Le développement de la transformation matérielle par des outils numériques, de la représentation numérisée des processus, multiplie notre capacité d’abstraction et d’action, mais il nous détache en même temps de la réalité, donnant l’illusion que l’action virtuelle accomplit la transformation matérielle.

Les délires d’Elon Musk sur l’inexistence de la terre et sa simulation informatique trahissent plutôt l’existence cloîtrée d’un geek. Mais les divagations idéalistes ont d’autres implications.
Certains économistes ont déduit de l’introduction du numérique la fin de la lutte de classe et une série de théories sur « une société future de partage » (Paul Boccara) qui ne nécessiterait pas une révolution socialiste mais se déroulerait en douceur à travers une « révolution informationnelle »
« L'atelier sur la révolution informationnelle se situe dans le cadre du colloque « alternatives, émancipation et communisme ». Cependant, selon moi il n'y a pas un « a priori » de société communiste, de façon sectaire, mais des enjeux de civilisation nouvelle de nos jours pour toute la société. Et peut-être, alors, y a-t-il un « a posteriori » de l'analyse des potentiels de partage, de mise en commun jusqu'à chacun, et donc des caractéristiques d'un communisme de liberté pour chacun de cette civilisation qui deviendrait possible, face aux conditions nouvelles de l'humanité, vers laquelle on pourrait avancer avec des transformations démocratiques radicales » . (P. Boccara)

« Le Capitalisme a changé de base, il n’est plus le capitalisme de la révolution industrielle mais un capitalisme informationnel aux prises avec les contradictions engendrées par les usages marchands, élitistes, du travail de l’information » (J.Lojkine).

Le vecteur de cette « révolution » serait l’information elle-même à cause de sa nature non-marchande .
« Mais une information, vous la donnez et vous la gardez encore. Elle peut être partagée indéfiniment, jusqu’à l’échelle de toute l’humanité. Ce serait une des bases d’une société future possible de partage, que l’on pourrait aussi appeler société communiste de liberté de chacun » (P.Boccara)

Cette révolution informationnelle avait aussi été définie depuis 1982 par des intellectuels sociaux-démocrates dans le cadre du groupe des dix et Transversales (*) .
L’e-commerce a ruiné ces thèses accordant à l’information un caractère fétichiste, qu’on retrouve dans certaines philosophies des sciences.
Le rêve du « partage des informations » s’est traduit financièrement par les trafics gigantesques et frauduleux des chambres de compensation et les transferts de capitaux à très grande vitesse.
Le « partage » dans le système capitaliste n’est en rien un progrès vers le communisme, mais relève encore d’un reliquat du troc tel que le défendent certaines thèses décroissantes : je t’échange mon aquarelle texturée de sable et de pâte à modeler contre tes picodons et ton gilet en poils de chèvre. Dépourvues de valeur d’échange(**) , ces marchandises qui n’en sont pas restent à la marge du marché capitaliste, ou ne peuvent se développer que sous forme de marchandises réelles mais dans le process social de production capitaliste.
Mais surtout, la numérisation a des implications dans la productivité et la simplification du travail, aboutissant à une exploitation accrue dans ce mode de production.

(*)Voir l’interview de Jacques Robin « un autre monde est possible ». Et son article « du groupe des dix à Transversales »
(**)De la même façon que les activités bénévoles des retraités, présentées par Bernard Friot comme partie constituante d’une « valeur économique » qui ne serait pas propre au capitalisme contrairement à la valeur d’échange. Or la valeur d’échange n’est pas non plus propre au capitalisme et ne disparaît pas avec lui. Les thèses de Friot aboutissent à « dépasser le capitalisme » en faisant l’économie de la société socialiste…

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La révolution sans le prolétariat

Quelques rapprochements au prix d’une petite digression permettront de mieux comprendre la nature idéaliste de ce genre de révolution.
L’illusion de passer de transformer la société par le biais de la science ou de la technologie, se retrouve aussi chez des non communistes, comme Le Corbusier ou Monod.
Nous avons déjà signalé le chapitre dans Le congrès Solvay et la lutte idéologique la position pour le moins ambigüe de l’architecte et urbaniste Le Corbusier : « Architecture ou révolution. On peut éviter la révolution ». [Vers une architecture – 1925]
Revenons de façon plus détaillée sur l’argument résumé dans l’introduction de ce chapitre :

« ARCHITECTURE OU RÉVOLUTION
Dans tous les domaines de l'industrie, on a posé des problèmes nouveaux, créé un outillage capable de les résoudre. Si l'on place ce fait en face du passé, il y a révolution.
Dans le bâtiment, on a commencé à usiner la pièce de série; on a, sur de nouvelles nécessités économiques, créé des éléments de détail et des éléments d'ensemble : des réalisations concluantes sont faites dans le détail et dans l'ensemble. Si l'on se place en face du passé, il y a révolution dans les méthodes et dans l'ampleur des entreprises.
Alors que l'histoire de l'architecture évolue lentement à travers les siècles, sur des modalités de structure et de décor, en cinquante ans, le fer et le ciment ont apporté des acquisitions qui sont l'indice d'une grande puissance de construction et l'indice d'une architecture au code bouleversé. Si l'on se place en face du passé, on mesure que les « styles » n'existent plus pour nous, qu'un style d'époque s'est élaboré; il y a eu révolution.

Les esprits ont consciemment ou inconsciemment pris connaissance de ces événements; des besoins sont nés, consciemment ou inconsciemment.
Le rouage social, profondément perturbé , oscille entre une amélioration d'importance historique ou une catastrophe.
L'instinct primordial de tout être vivant est de s'assurer un gîte. Les diverses classes actives de la société n'ont plus de gîte convenable, ni l'ouvrier, ni l'intellectuel. C'est une question de bâtiment qui est à la clé de l'équilibre rompu aujourd'hui : architecture ou révolution. »


Le Corbusier avait une forte influence dans l’architecture soviétique et le mouvement constructiviste jusqu’en 1931, où le style néo classique prit le dessus.
A sa mort en 1965, la Pravda écrivit : « L'architecture moderne a perdu son plus grand maître » .
Dans Le Corbusier et la mystique de l'URSS: théories et projets pour Moscou, 1928-1938 , Jean-Louis Cohen raconte les voyages de Le Corbusier en URSS et cite ses commentaires sur les réalisations soviétiques lors de ses visites, notamment sur le programme des clubs ouvriers instaurés depuis le début des années vingt, pour réaliser la « révolution culturelle » :
« J’ai visité les entrepôts du Centrosojuz , fourmilière où tout le monde travaille. Dans les vestibules des affiches intéressantes pour leur multiple imagerie. Lutte contre l’alcool, lutte contre l’église = ignorance et capital. Est affiché chaque semaine le « journal de l’Institut de la firme » (…) tapé à la machine, aquarelle, exposés de thèses, propositions aux chefs, les discussions des mesures à prendre… La conséquence de la journée finissant à 3 h c’est la fondation des clubs. Les clubs commencent le principe des écoles du soir complémentaires… Il n’y a pas de café à Moscou. Impossible d’aller boire un verre. Le monde ne rigole pas. Chez eux ils ont l’air de savoir s’arranger. Et dans les clubs la grande idée… 1 club = salle de cinéma, théâtre (la scène ouvre dedans et en plein jour), culture physique… »

Mais l’enthousiasme un peu paternaliste de Le Corbusier n’en fait pas pour autant un révolutionnaire communiste. Jean-Louis Cohen cite David Arkin.
« Arkin décrit les multiples registres de l’activité de Le Corbusier et rapporte les positions théoriques de Vers une architecture sur l’ « esthétique de l’ingénieur », mais il ne fait pas mystère de ses réserves sur le volet politique de ses convictions lorsqu’il évoque l’impossibilité de réaliser les idées contenues dans Urbanisme dans un pays où la propriété privée du sol est la règle. Le Corbusier a-t-il à ce sujet des réponses aussi révolutionnaires qu’à propos de l’esthétique ? Sa pensée critique, aigüe et originale, s’arrête au seuil des conclusions décisives. Et le Corbusier pose la question à l’envers : il incline à donner à l’architecture elle-même le rôle de facteur révolutionnaire, il attend d’elle une « révolution dans le mode de vie » qui rendrait superflue la révolution sociale ! A ce point, l’audacieux profanateur des idoles esthétiques de la société bourgeoise s’enferme dans l’impasse de la phrase esthétique. »
Il ajoute :
« Arkin reste relativement modéré dans ses réserves, alors que l’analyse du livre faite par N. Ljamin dans Architektura SSSR juge Le Corbusier beaucoup plus proche de la réaction fasciste qu’il ne le laisse entendre lorsqu’il combat les « académistes », et relève à propos des remarques aigres qu’il fait sur l’épisode soviétique, le « refus conscient » qui serait le sien de comprendre les « gigantesques tâches créatrices» de l’architecture soviétique » .

De son côté, le biologiste Jacques Monod fondait les progrès de l’humanité sur la science, mais indépendamment des rapports sociaux de production et de la lutte des classes. Evidemment il proscrit absolument la révolution prolétarienne :
« Les sociétés modernes sont construites sur la science. Elles lui doivent leur richesse, leur puissance et la certitude que des richesses et des pouvoirs bien plus grands encore seront demain, s’il le veut, accessibles à l’Homme …Une fois pour toutes, il faut renoncer à cette illusion qui n’est que puérile lorsqu’elle n’est pas mortelle. Comment un socialisme authentique pourrait-il jamais être construit sur une idéologie inauthentique par essence, dérision de la science sur quoi elle prétend, sincèrement dans l’esprit de ses adeptes, s’appuyer ? Le seul espoir du socialisme n’est pas dans une « révision » de l’idéologie qui le domine depuis plus d’un siècle, mais dans l’abandon total de cette idéologie.
Où donc alors retrouver la source de vérité et l’inspiration morale d’un humanisme socialiste réellement scientifique sinon aux sources de la science elle-même, dans l’éthique qui fonde la connaissance en faisant d’elle , par libre choix, la valeur suprême, mesure et garant de toute les autres valeurs ? Ethique qui fonde la responsabilité morale sur la liberté même de ce choix axiomatique. Acceptée comme base des institutions sociales et politiques, donc comme mesure de leur authenticité, de leur valeur, seule l’éthique de la connaissance pourrait conduire au socialisme »
p185 et 194.

Sous une autre forme, Bernard Friot noie lui-aussi le poisson de la classe révolutionnaire dans le « salariat »…du manœuvre au directeur :
« Salariat » me semble donc le terme adéquat, meilleur que « classe ouvrière ». Est-ce que celle-ci a disparu ? Oui, si l’on considère les syndicats et les partis qui l’ont organisée et qui aujourd’hui ne sont plus révolutionnaires. Il n’empêche que c’est à partir des institutions du salaire qu’elle a créées que le salariat se constitue aujourd’hui dans la lutte de classes. » [Entretien avec Bernard Friot "Une autre pratique de la valeur économique"]

Le caractère révolutionnaire de la classe ouvrière dépend d’abord de sa position dans les rapports de production qui définit en soi . Sa conscience de classe pour soi ne disparaît pas en vertu de la direction révisionniste du PCF ; c’est son caractère d’avant-garde pour l’ensemble de la société qui est dissimulé. Mais ceci ne justifie pas que le concept de salariat s’impose et encore moins que la classe ouvrière ait disparu . Toutes ces thèses ont fait long feu. Comme on peut le constater, chacun tire la couverture à soi dans une sorte de corporatisme ou de messianisme d’élite qui ferait sourire si on les mettait ensemble. Il ne manque plus que les économistes atterrés , les décroissants , et autres insoumis , pour renverser la table du capitalisme chacun à sa façon. Mais on observera que les uns et les autres ont pour point commun de rejeter le rôle révolutionnaire dirigeant de la classe ouvrière.

Il en est de même pour le très modeste apôtre de la « révolution tranquille » Pierre Rabhi :
« Nous, croyons profondément qu’un changement de société adviendra par le changement des individus. C’est la raison pour laquelle nous n'aurons recours au vieux réflexe du bouc émissaire, vieux comme le monde, qui nous dédouanerait de notre propre responsabilité.
Le poing levé et les barricades ne garantissent pas des tyrannies qui, trop souvent, ont fleuri sur le terreau des révoltes, comme l’histoire nous l’a jusqu’à aujourd’hui abondamment démontré. Certaines dictatures parmi les plus féroces ont pris prétexte, pour s’installer, d’une révolte tout à fait légitime contre l’oppression. Malheureusement les opprimés sont des oppresseurs en devenir, et il en sera toujours ainsi tant que chaque individu n’aura pas éradiqué en lui-même les germes de l’oppression.
Nous espérons que tous nos efforts serviront de révélateur aux énergies créatives diffuses sur tout le territoire national et ailleurs, dont la fédération mettra en évidence l’ampleur, mais aussi la puissance. Nous espérons que celles-ci inspireront à la gouvernance politique des options et des décisions qui prennent en compte cette énergie omniprésente et latente, pour orienter le navire-monde vers la bonne étoile… »
[août 2011 – éloge du génie créateur de la société civile - p 40]

Toutes ces positions aboutissent à des solutions réformistes parce qu’elles considèrent la société de façon idéaliste, une société irréelle, vidée de la réalité de la lutte des classes entre le prolétariat et la bourgeoisie. Et d’autre part elles ignorent la réalité de la classe ouvrière pour soi (*) , sa caractéristique inédite dans l’histoire de n’être pas propriétaire des moyens sociaux de production et de ne pouvoir s’en rendre maître que collectivement, en renonçant à tout autre mode de propriété.

(*)Bien que Pierre Rabhi fût un temps lui-même ouvrier spécialisé, membre de la classe ouvrière en soi, mais non pour soi c’est-à-dire conscient de son appartenance de classe, comme son enfance et son histoire personnelle le conduisit à se tenir à l’écart de la lutte de libération nationale du peuple algérien.


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Réalités industrielles de la « révolution informationnelle »

L’automatisation et l’informatisation vont du simple vers le complexe dans toutes leurs applications. (Le mouvement du simple vers le complexe vaut aussi de la particule vers l’infiniment grand mais inversement vers l’infiniment petit puisqu’elle se divise à son tour et de plus en plus.)
Il ne s’agit pas d’ intelligence artificielle, y compris sous la forme auto adaptative, mais de l’application de scénarios prédéterminés à des variables de commande ou à des conditions environnantes, afin d’obtenir la réponse souhaitée. Ce sont fondamentalement des recettes paramétrables. La somme et la combinaison de dizaines d’automatismes dans un process industriel, somme qui peut être multipliée par la mise en parallèle de plusieurs chaînes de production, confère à tout l’ensemble une grande complexité.
Cela aboutit à un changement qualitatif, au miracle apparent d’une immense machine obéissant au doigt et à l’œil, dans un laps de temps très réduit, avec précision et reproductibilité.
Mais en même temps la conduite du procédé suit le chemin inverse pour remplacer la grande variété de techniques et de matériels par une interface simple et standardisée, dont l’apprentissage est plus rapide. Standardisation et simplification des matériel, gain d’espace, de mise en œuvre, diminution des pannes et du stock de pièces détachées.
La suppression de pièces en mouvement entraine la réduction drastique des effectifs mécanos. La maintenance est simplifiée moyennant une formation sommaire des électriciens aux automates programmables, la programmation étant réservée aux informaticiens industriels, lesquels interviennent ponctuellement et sont externalisés. Les qualifications des électroniciens ne sont plus utiles, puis celles des régleurs avec des régulations « auto-adaptatives » et la simplification de réglage des capteurs de mesure.
Certaines compétences d’ingénierie restent indispensables notamment au moment de la conception et de la mise en œuvre, mais lorsque l’installation est rôdée elles ne sont plus nécessaires.
Les tâches des ouvriers paraissent allégées à production égale, mais de fait une même dépense d’énergie physique et intellectuelle produit davantage de valeur ajoutée ; puis leurs effectifs diminuent. Ce sont d’ailleurs leurs postes de travail – là où est créée la plus value – qui sont prioritairement réduits.
L’automatisation ne se traduit donc pas par un travail moins pénible mais par des licenciements, et la redistribution des tâches entre ceux qui restent, soit une augmentation de la productivité et une charge de travail individuelle plus élevée qu’avant, à savoir la conduite simultanée de plusieurs machines et l’ajout de tâches annexes (contrôle, prélèvement, compte-rendu, suivi d’incidents, Assurance Qualité, approvisionnement, entretien et nettoyage, dépannage de première intervention, etc.). Les ouvriers sont moins nombreux mais leur poids dans la production sociale est plus lourd qu’avant.
Une partie des savoir-faire spécifiques à l’entreprise et liés à l’utilisation d’une grande variété de matériels et de technologies devenus caducs disparaissent avec eux. Précisons quand même que les vues synoptiques, les courbes d’enregistrement des salles de contrôle, ne sont pas le process proprement dit mais sa représentation ou une extension déportée des actionneurs électriques, mécaniques, hydrauliques ou pneumatiques, qui agissent directement sur lui. De ce point de vue la numérisation donne l’illusion de l’immatérialité.
Les opérations les plus courantes peuvent être exprimées en modes opératoires, ce qui permet la sous-traitance d’une grande partie de la maintenance soit par une entreprise extérieure, soit par du personnel « au forfait » et l’introduction d’un volant d’intérimaires en fabrication. Il vient que la maintenance sous-traitée devient alors productrice de plus-value, le donneur d’ordre en récupère même une partie par le biais du paiement différé et de la concurrence sur les devis, voire directement par la régie déguisée.

L’aliénation des connaissances de l’homme à la machine s’effectuant souvent dans le contexte de licenciements, pour ceux qui restent la charge de travail s’accroît à salaire constant.
L’introduction du numérique n’entre pas en conflit avec les « usages marchands » du capitalisme comme l’affirmait Lojkine mais accentue la contradiction Capital Travail.

Dans cette transformation des modes de travail le savoir-faire ouvrier intégré auparavant dans son travail vivant disparaît, remplacé par l’algorithme intégré à la machine, qui relève du travail mort et ne crée pas de plus-value, suivant la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Et cela même si un seul ouvrier, au lieu de quatre il y a 20 ans, peut conduire plusieurs machines.
« En résumé, la baisse tendancielle du taux de profit va de pair avec une hausse tendancielle du taux de plus-value, donc avec un accroissement du degré d’exploitation ». [Le Capital – III, troisième section - X - influences contraires]
L’automatisation accroît les contradictions du capitalisme.

Enfin, les transformations matérielles s’accompagnent d’un bourrage de crâne pompeusement baptisé philosophie d’entreprise : rationalisation des modes d’intervention, de rangement, de nettoyage, etc. destinée à refiler aux ouvriers le boulot de l’encadrement, des anciens services annexes, voire de l’entretien. La « tortue de Crosby », les 5S et la Total Productive Maintenance ont pour finalité l’augmentation de la productivité à salaire égal ou inférieur et l’ajout de tâches supplémentaires.
« 35 % de l’effectif impliqué ! »… « Ils ont été souvent surpris du nombre d’actions qu’ils pouvaient mener eux-mêmes, sans coût élevé, alors qu’ils étaient habitués à appeler la maintenance au moindre problème »… « les opérateurs ont pris goût à cette méthode qui redistribue les rôles dans leur espace de travail », etc. [tract d’autosatisfaction de la succursale polonaise d’un groupe français]

Lancée au Japon en 1971, la TPM se développe ici comme par hasard dans les années 80 et d’abord dans l’automobile, pour faire pièce à la concurrence mondiale, mais aussi pour récupérer au centuple la 5e semaine et des RTT : « acquis » chèrement payés par la hausse inégalée de la productivité, le blocage des salaires et la dégringolade des grilles de classification. L’ouvrier de fabrication se voit chargé d’effectuer la « maintenance de premier niveau » , tandis que – côté entretien - le mécanicien et l’électricien se transforment en un électromécanicien, puis en électromécanicien…fabricant. Une surveillance accrue s’ajoute. Adieu l’apéro amical et l’arrosage fraternel du mariage, de la naissance, de la nouvelle voiture ou de la rallonge, et le dicton gouailleur « on n’est pas payé cher mais on rigole ! » . A quelque chose malheur est bon, les prolos et les techniciens auront pu profiter de ces heures de boniment pour buller aux frais du patron.

Ce mouvement n’a rien d’extrêmement nouveau, il prolonge et accélère ce que le capitalisme a initié depuis sa naissance, à la fois dans ce qu’on appelle de nouvelles « révolutions technologiques » et dans la destruction des formes antérieures de production :
« La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. Le maintien sans changement de l'ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelle distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes. » [Le Manifeste du Parti Communiste]
Les bases d’une société future possible de partage ne résident pas dans la révolution informationnelle. Seul le socialisme peut permettre un bénéfice collectif dans le progrès et les innovations.


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L’idéalisme contemporain : l’information

Le caractère immatériel de l’informatique permet de renouveler un genre usé jusqu’à la trame, repris en biologie sous forme d’ information traversant les âges, voire transportant une finalité, un projet venu d’on ne sait où, comme dans la thèse de Monod sur la téléonomie :
« L’objectivité cependant nous oblige à reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants, à admettre que, dans leurs structures et performances, ils réalisent et poursuivent un projet. Il y a donc là, au moins en apparence, une contradiction épistémologique profonde. Le problème central de la biologie, c’est cette contradiction elle-même, qu’il s’agit de résoudre si elle n’est qu’apparente, ou de prouver radicalement insoluble si en vérité il en est bien ainsi. » [Monod – le hasard et la nécessité p. 3]

« quelque chose constitue le fil de la vie. De quoi est-il fait ? De rien. De rien de matériel. Il est comme une information . L’information est portée par la matière, mais elle dépend peu de la matière qui la porte. L’information perdure quand les objets passent et se transforment. Analyser le monde en termes d’information plutôt qu’en termes d’objets, c’est regarder au-delà des apparences… » [Le fil de la vie - la face immatérielle du vivant - Gaucherel & Gouyon]

Le langage courant est envahi des spéculations les plus diverses sur la nature de la révolution informatique , ou informationnelle ou dématérialisée que nous vivons. La multiplication des informations, l’accélération de leur transmission (c’est-à-dire la transformation quantitative et qualitative de leur transmission), ont fait prendre le résultat pour la cause, et l’information elle-même comme la source des transformations qui l’ont affectée.
Depuis la nuit des temps d’autres transformations, comme l’écriture cunéiforme, le papier ou l’imprimerie, avaient déjà affecté la transmission de l’information, sans qu’on parlât de révolution informationnelle pour autant.

L’origine réelle de cette nouvelle transformation réside dans les progrès scientifiques et technologiques en électronique. Ils ont permis en l’espace de 30 ans de passer un ordinateur individuel d’une capacité de quelques Kilo octets(*) au téraoctet et de communiquer instantanément au bout de la terre, via plusieurs réseaux.

(*)En 1980 le ZX80 ne dépassait pas 1,5 Ko et le Commodore Vic20 doté d’un processeur MOS 6502, n’avait que 5Ko de mémoire vive. Les bricoleurs devaient s’imprimer une carte additive pour aller plus loin et les programmes étaient stockés sur une cassette. Par contre le fonctionnement et la matérialité de ces machines étaient accessibles au profane.

D’autres technologies sont envisagées, davantage miniaturisées et accélérées, pour remplacer le principe d’une mémoire constituée de transistors polarisés positivement ou négativement, de façon volatile ou non, réversible ou pas, on parle de transfert de mémoire sur un électron unique, de transmission quantique, de cryptographie quantique, voire d’ordinateur quantique. Ces progrès correspondent aux découvertes théoriques et pratiques réalisées dans la décomposition des atomes et des particules, dans l’identification de leurs états de polarisation ou de spin, et dans la manipulation de ces états.
Mais, mise à toutes les sauces, des jeux vidéo aux particules et à l’acide désoxyribonucléique, l’information est présentée par l’idéologie dominante comme le Deus ex machina de l’univers. En fait derrière cet envahissement simplificateur circule encore la notion idéaliste selon laquelle l’idée prime sur la matière et l’information sur son support, et qu’elle est de surcroît indépendante de la matière.
Il est nécessaire de préciser un peu de quoi on parle, par exemple dans le domaine informatique.
L’information ou les data de l’informatique ne constituent qu’une partie de toutes les données traitées et transmises par la machine, qui traite indifféremment le contenu, la forme, le format de transmission, mais aussi le BIOS, le système d’exploitation, les progiciels et leurs applications, etc. Ces derniers sont aussi le fruit d’un savoir-faire cristallisé dans la mémoire de la machine et transformé en outil.
Mais à chaque instant toutes ces formes de la pensée sont transformées en matière et restituées, l’information se transforme en matière et inversement.

On parle par commodité de langage informatique entre l’homme et la machine. Mais la notion de langage induit une communication entre deux être pensants, ce qui n’est pas le cas.
Derrière cette ambiguïté se dissimule toute une littérature de science fiction transformant l’informaticien en démiurge et la carte mère en alter ego. Mais qui parle hexadécimal ?
Le langage dont il est question est en réalité une interface pratique permettant soit au programmeur soit à l’utilisateur de manipuler et de transformer des états électriques. C’est un outil évolué.
Le langage binaire ou hexadécimal, les instructions , etc. ne parlent pas à la machine mais à son utilisateur, constituent une traduction intelligible, comme la pierre de Rosette, des écritures et des lectures effectuées en dur par l’homme sur les composants de la machine.
L’intelligence artificielle apparente est la manifestation d’une intelligence humaine, qui a préalablement associé chaque touche du clavier ou chaque pixel de l’écran à un code dans une table, anticipé la signification de chaque signal en fonction d’une configuration donnée, défini la séquence de lecture de ces signaux, leur décodage et leur transformation en données binaires, le traitement à leur attribuer dans les circuits de calcul, et en sens inverse les signaux de retour, etc. La machine n’est qu’un prolongement du cerveau et de la main.

Un logiciel est donc un ensemble d’instructions écrit dans un langage évolué de programmation. A l’aide d’un langage encore plus évolué, plus parlant et destiné à l’utilisateur, il permet de traiter les données, par exemple rédiger et mettre en forme un texte.
En sens inverse le logiciel n’est utilisable dans l’ordinateur qu’à travers sa compilation en langage machine, puis dans une combinaison d’états électriques binaires correspondant à des basculements électroniques. A ce stade le logiciel est évidemment matérialisé dans le disque dur, dans les mémoires, dans les registres du processeur. Mais du reste il l’est aussi tout au long de sa création sur une machine, à travers les divers codages et leur enregistrement, dans son stockage et dans sa transmission, quel qu’en soit le support. Où devient-il immatériel ? Dans le cerveau du programmeur ? Non plus.


Edité le 08-08-2018 à 23:35:22 par Xuan