Sujet :

quartiers populaires : mépris et humiliation

Xuan
   Posté le 26-11-2014 à 14:24:29   

Le blog de Saïd Bouamama
Investig'Action

AVOIR 20 ans dans les quartiers populaires : mépris de « classe » et humiliation de « race »


SAÏD BOUAMAMA
Publié le 26 novembre 2014


Le mi-mandat de François Hollande a été l’occasion d’une émission télévisée avec le président de la République soigneusement préparée et tout aussi attentivement scrutée par les « experts » et « chroniqueurs » divers en charge d’éclairer « l’opinion ». Les quartiers populaires et leurs habitants ont été les grands absents, tant dans l’émission télévisée elle-même que dans les commentaires de nos chroniqueurs compétents.
Pourtant, lors des dernières présidentielles de 2012, les quartiers populaires sont au cœur de la campagne socialiste. « Avec François Hollande, nous avons fait un choix qui n’était pas évident : celui de ne pas vouloir annoncer un « plan gadget » de plus, mais plutôt d’aborder de manière transversale la priorité donnée aux quartiers populaires (1) » déclare par exemple au Monde, Razzy Hammadi, le chargé de la politique de la ville auprès de François Hollande.
Pourtant les quartiers populaires connaissent une véritable descente aux enfers depuis plusieurs décennies que les choix économiques de François Hollande confortent et accélèrent.
Regardons nos quartiers populaires.




Paupérisation, précarisation, discrimination

Avec sensationnalisme les médias lourds reviennent régulièrement sur les quartiers populaires pour en souligner les « dangers » : réserves de « djihadistes », espaces soi-disant de « non-droit », violences endémiques, lieux de deals incontrôlables et incontrôlés, etc.
Ces images chocs sont décontextualisées. Les contextes historiques et économiques sont éludés avec un double résultat : une réduction des quartiers populaires à la négativité avec l’occultation des résistances et des initiatives populaires pour résister à la dégradation de leurs environnements ; une imputation des responsabilités de la situation aux habitants, aux jeunes, aux parents, etc.
Pour ne citer qu’un exemple, citons celui du reportage d’Envoyé spécial consacré au quartier de la Villeneuve à Grenoble, intitulé « La Villeneuve : le rêve brisé » . Véritable caricature imbibée de mépris de classe, ce reportage a suscité la réaction suivante d’habitants du quartier :
« Nous habitants de La Villeneuve de Grenoble et de tous les quartiers populaires, citoyens, élus, sommes choqués, blessés et indignés par le reportage diffusé sur France 2 le 26 septembre 2013 dans l’émission « Envoyé spécial » : « Villeneuve, le rêve brisé ». Nous sommes en colère, car ce reportage ne montre qu’une face de notre quartier. En colère car il cède à la facilité et au sensationnel. Il est tendancieux, ce qui est indigne de notre service public de l’audio-visuel (2).

Rappelons donc quelques éléments de ces contextes occultés en prenant comme point d’appui les Zones Urbaines Sensibles (ZUS) qui sont des révélateurs d’un processus de dégradation qui touche l’ensemble des quartiers populaires. Le premier constat est le déploiement depuis plusieurs décennies d’un processus de paupérisation dans les quartiers populaires. Le rapport 2013 de l’Observatoire National des Zones Urbaines Sensibles (ONZUS) nous offre quelques indicateurs statistiques significatifs sur les 751 quartiers considérés comme « sensibles » : le taux de chômage y est en 2012 de 24, 2 % contre 10,1 % au niveau national, le taux de pauvreté est de 36,5 % soit 2,6 fois plus élevé que sur le reste du territoire (14,6 %), le revenu annuel moyen des habitants est de 12 500 euros c’est-à-dire 54 % seulement du taux moyen national (3).

La situation des jeunes est encore plus dramatique. Il ne s’agit pas d’une dégradation conjoncturelle mais d’une mutation structurelle s’étalant désormais sur plusieurs décennies comme en témoigne les rapports des années antérieures du même organisme. Pour ne prendre en exemple que les dernières années et le seul taux de chômage des 15-64 ans, le même rapport nous révèle l’évolution suivante : 16, 7 % en 2008, 18, 5 % en 2009, 21,9 % en 2010, 22,7 % en 2011, 24, 2 % en 2012 (4).
Les rapports 2014 du Secours Catholique (5) et du Secours Populaire (6) convergent vers le constat d’une aggravation de la paupérisation sur l’ensemble du territoire et à plus forte raison dans les territoires les plus pauvres. La situation est encore plus dramatique pour les nouvelles générations avec un taux de chômage de 45 % pour les 15-25 ans (contre 22,7 % pour les 25-49 ans en ZUS et 23, 1 % pour les jeunes hors ZUS).

L’inscription dans la durée du processus de paupérisation ne peut que susciter des tendances au développement d’un rapport craintif, sceptique, désespéré, etc., à l’avenir. Ce qui est surprenant ce n’est pas que des quartiers explosent régulièrement mais le fait qu’ils n’explosent pas plus souvent. L’explication est logique : ils n’explosent pas parce qu’une partie de leurs habitants implosent.

Le second processus en œuvre dans les quartiers populaires est le processus de précarisation. Le travail et la classe ouvrière existent encore dans les quartiers populaires contrairement aux affirmations nombreuses d’il y a quelques années. En revanche le rapport au travail est de plus en plus intermittent, passager, irrégulier, entrecoupé de périodes longues d’inactivité. L’organisation de la précarité est aussi institutionnellement produite par les fameux « contrats aidés » aux multiples noms, structurant progressivement un marché du travail segmenté aux droits inégaux. Le CDD, l’intérim et le contrat aidé sont pour un nombre toujours croissant d’habitants des quartiers populaires, et de manière encore plus prégnante pour les jeunes, l’horizon maximum d’attente.

L’entrée dans la vie active par l’emploi précaire c’est concrètement la perte de plusieurs horizons d’autonomie se répercutant sur toutes les sphères de la vie sociale : accès au logement autonome, rapports affectifs et amoureux, estime de soi et santé, agenda des priorités, etc.

Avoir vingt ans dans les quartiers populaires c’est objectivement, pour la majorité des jeunes, être dépossédé du droit à la projection et être assigné à une temporalité de l’immédiat.

Les jeunes issus de l’immigration postcoloniale subissent de surcroît des discriminations massives et systémiques dans l’accès à l’ensemble des biens rares (formation, logement, emploi, etc.) et en particulier dans l’accès à l’emploi en général et à l’emploi stable en particulier. Pour avoir été sous-estimées et même niées pendant des décennies, y compris dans les organisations des classes populaires, ces discriminations racistes n’en sont pas pour autant neuves. Les parents de ces jeunes les ont subies mais l’impact destructif est plus important pour les nouvelles générations.

Le sentiment d’injustice est d’autant plus insupportable pour ces jeunes qu’ils sont nés et ont été socialisés en France. Ne se percevant pas comme étrangers, ces jeunes ressentent, à juste titre et encore plus que leurs parents, les discriminations subies comme une injustice fondamentale, brutale et injustifiable. L’absence ou la place secondaire des discriminations racistes dans les programmes des organisations politiques ou syndicales renforce encore la certitude d’être traité comme une population de seconde zone. Depuis l’enquête du Bureau international du travail de 2008 (7) plus personne ne peut nier le caractère massif des discriminations d’autant plus que les résultats ont été confirmés depuis par de nombreuses autres recherches (8).

Cette enquête par testing met en exergue que 4 employeurs sur 5 privilégient le candidat du groupe majoritaire (non issu de l’immigration postcoloniale) sur ceux issus de groupes minoritaires (français Noirs ou Arabes).

Toutes les analyses qui occultent les discriminations racistes ne peuvent que devenir aveugles à la réalité des quartiers populaires. Quand par peur de prononcer le mot « race » ou que par coquetterie intellectuelle on se contorsionne pour mentionner une telle inégalité sans la nommer et/ou sans vouloir la mesurer, on contribue objectivement à la reproduire. De même, toutes les analyses qui confondent les réactions à la violence systémique subie (pouvant bien sûr se tromper de cibles) et le racisme systémique et la violence massive qui en découlent, en amalgamant les deux sous le vocable de racisme (9), alimentent volontairement ou non (le résultat est le même) le racisme systémique. Qu’on le veuille ou non, la classe se vit aussi de manière racisée dans le capitalisme mondialisé contemporain. Reconnaître la réalité pour ce qu’elle est, est la première étape pour pouvoir la transformer.

L’occultation dans les reconstructions médiatiques des quartiers populaires de ce contexte matériel révèle un mépris de classe. Que celui-ci soit volontaire ou non, conscient ou non, ne change rien à l’existence de ce mépris de classe déformant la réalité.



Essentialisation, racialisation et politique de la race

Les quartiers populaires sont également l’objet dans les discours politiques et médiatiques d’un traitement essentialiste et racialiste conduisant à la promotion de plus en plus ouverte d’une politique de la race. L’essentialisation est l’adoption d’une grille explicative d’un sujet ou d’une question niant les déterminants historiques, économiques, politiques, sociaux, etc. La négation de ces déterminants conduit logiquement à expliquer la réalité à partir d’une « essence » qui caractériserait un groupe social, une culture ou une religion. Ce groupe social, cette culture ou cette religion est dès lors considéré comme invariable historiquement, homogène et indépendant des interactions avec la société globale. Les causes conduisant à la multiplication contemporaine des traitements essentialistes des quartiers populaires peuvent se déduire de facteurs objectivables : d’une part, le besoin pour le gouvernement de masquer le lien de cause à effet entre une politique libérale de destruction des sécurités sociales et des services publics par la mise en avant d’autres causalités. D’autre part, la recherche du sensationnalisme à finalité d’audimat pour les journalistes qui conduit à simplifier les réalités et à produire de la peur, (qui est un) ingrédient fréquent de la « sensation ».

Donnons un exemple d’essentialisation des quartiers populaires parmi de nombreux autres.

Les jeunes des quartiers populaires, tant dans de nombreux reportages des médias lourds que dans les déclarations politiques implicites, apparaissent comme étant une population particulière et homogène. Ils seraient caractérisés par la violence dans leurs relations sociales et par la désocialisation (10). Les filles ne sont pas présentes dans cette image essentialiste si ce n’est en tant que victimes du virilisme des garçons qui serait une autre caractéristique essentielle des jeunes des quartiers populaires (11). Le jeune des quartiers populaires apparaît dès lors non pas comme le résultat d’un fonctionnement social mais comme un sujet fondamentalement porteur de dangerosité. Bien sûr dans un tel cas de figure la solution n’est pas à chercher dans la suppression des inégalités mais dans le contrôle et la répression.

La racialisation ou l’ethnicisation est le même processus recherchant l’« essence explicative » dans un facteur de « race ». Il faut bien entendu prendre le terme de « race » dans ses évolutions historiques. Nous savons en effet, depuis Frantz Omar Fanon, que la mécanique raciste s’adapte aux évolutions des contextes pour maintenir son efficacité. Fanon a en particulier souligné en 1956 la mutation du racisme biologique au racisme culturel du fait à la fois des progrès scientifiques, des horreurs de la seconde guerre mondiale et de la colonisation (12). Mais l’histoire se poursuit après Fanon et le racisme continue à prendre de nouveaux visages.

En particulier la traduction du facteur « race » en caractéristique religieuse est un des nouveaux visages de ce racisme sous la forme de l’islamophobie. Tous ceux qui pinaillent sur l’utilisation du terme islamophobie soit sincèrement, par coquetterie intellectuelle ou par calcul, contribuent au même résultat : l’enracinement et la banalisation de l’islamophobie.

Force est de constater la multiplication des grilles explicatives racialistes ou ethnicistes dans les médias et les discours politiques. Parlant des « émeutes urbaines » c’est-à-dire en fait des « révoltes des quartiers populaires » , Alain Finkielkraut peut déclarer :

« En France, on aimerait bien réduire ces émeutes à leur dimension sociale, les voir comme une révolte des jeunes des banlieues contre leur situation, contre la discrimination dont ils souffrent, contre le chômage. Le problème est que la plupart de ces jeunes sont des Noirs ou des Arabes avec une identité musulmane. Regardez ! En France il y a aussi des immigrés dont la situation est difficile — des Chinois, des Vietnamiens, des Portugais — et ils ne prennent pas part aux émeutes. C’est pourquoi il est clair que cette révolte a un caractère ethnique et religieux. » (13)

En 2010 le sociologue Lagrange publie son ouvrage Le déni des cultures (14) dans lequel il prétend expliquer l’échec scolaire et la délinquance par la culture d’origine des africains subsahariens. Selon cet auteur, à condition sociale égale, l’origine culturelle serait explicative des conduites sociales et en particulier de la délinquance. Il est bien sûr invité sur tous les plateaux. Il faut citer notre premier ministre Manuel Valls à propos des Rroms pour mesurer l’ampleur prise par la racialisation ou l’ethnicisation des grilles explicatives :

« C’est illusoire de penser qu’on règlera le problème des populations roms à travers uniquement l’insertion [ …] Oui, il faut dire la vérité aux Français [ …] Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation (avec les populations locales) [ …] C’est illusoire de penser qu’on règlera le problème des populations roms à travers uniquement l’insertion [ …] Il n’y a pas d’autre solution que de démanteler ces campements progressivement et de reconduire (ces populations) à la frontière. » (15)

Non seulement tous les Rroms sont homogénéisés dans une catégorie unique aux comportements identiques, mais celle-ci est de surcroît culturellement déterminée pour ne pas s’enraciner en France. Les modes de vie incriminés n’ont bien sûr rien à voir avec les traitements discriminatoires qu’ils subissent.

L’essentialisation et la racialisation passent un seuil qualitatif en se traduisant dans des politiques spécifiques : des politiques de la race. Au niveau national comme au niveau municipal se multiplient les exemples de politiques spécifiques pour des populations « particulières ». Il faut être bien naïf pour continuer à croire que la loi sur les signes religieux à l’école ne signifie pas concrètement une politique spécifique pour un foulard spécifiquement musulman. De même les municipalités ne ramassant pas les ordures des campements Rroms installés sur leur territoire adoptent une politique spécifique concernant une population particulière. La banalisation de l’essentialisation et de la racialisation prépare le terrain à une politique de la race de plus en plus assumée.

Au mépris de classe que vivent les habitants des quartiers populaires s’ajoute pour ceux issus de l’immigration une « humiliation de race » avec toutes les conséquences prévisibles d’encouragement aux passages à l’acte violents contre les populations désignées comme indésirables et dangereuses.

Violence sociale et violence contre soi

Les habitants des quartiers populaires subissent une violence sociale systémique d’autant plus destructrice qu’elle ne se présente pas et n’est pas perçue comme telle. C’est un des privilèges des classes dominantes que d’user de la violence économique en la présentant comme une simple gestion neutre et sans conséquence. Dans les faits les décisions libérales prises par le gouvernement socialiste détruisent nos quartiers, assomment notre jeunesse, poussent au désespoir une partie d’entre nous, « suicident » une autre partie dans la toxicomanie, mènent à la folie une autre partie encore comme en témoignent les patients pauvres et issus de l’immigration des hôpitaux psychiatriques, etc. Cette violence invisible est sans commune mesure avec les violences de réactions et/ou de défense qui éclatent régulièrement dans les quartiers populaires.

A cette violence économique s’ajoute la violence idéologique sous la forme du « mépris de classe » et de « l’humiliation de race » dont nous avons mentionné ci-dessus quelques formes parmi de nombreuses autres. La violence des mots qui stigmatisent les quartiers populaires, des explications de nos difficultés qui rabaissent leurs habitants, des programmes moralisants censés aider ces quartiers populaires, etc., est également sans commune mesure avec « l’impolitesse » et/ou la « vulgarité » que les reportages sensationnalistes imputent aux habitants des quartiers populaires. Comme le souligne justement Monique Pinçont-Charlot et Michel Pinçon, la violence des dominants est invisible, élégante, polie :

« Mobilisés à tous les instants et sur tous les fronts, les plus riches agissent en tenue de camouflage, costume-cravate et bonnes manières sur le devant de la scène, exploitation sans vergogne des plus modestes comme règle d’or dans les coulisses. Cette violence sociale, relayée par une violence dans les esprits, tient les plus humbles en respect : respect de la puissance, du savoir, de l’élégance, de la culture, des relations entre gens du « beau » et du « grand » monde. » (16)
Les habitants des quartiers populaires ne sont pas inactifs face à cette violence destructrice. Les solidarités de proximité tentent d’amoindrir l’impact destructeur de la violence économique et idéologique. Les médiations spontanées de voisinage évitent de nombreux drames. Les multiples groupes de Rap analysent et dénoncent culturellement (et donc politiquement) la descente aux enfers des quartiers populaires. De nombreuses initiatives de mobilisation se prennent dans des luttes pour le logement, contre les crimes racistes, contre les discriminations, etc. Ce sont toutes ces réactions de vie qui sont passées sous silence dans les multiples reportages médiatiques traitant des quartiers populaires. Mais l’ampleur de la violence économique et idéologique est telle, que ces mobilisations citoyennes ne peuvent pas l’enrayer de manière significative. A côté des réactions de vie se développent des autodestructions individuelles et/ou collectives. « On nous traite comme des esclaves, on se révolte comme des animaux » (17) me disait un jeune de Seine-Saint-Denis dans une interview consacrée aux révoltes populaires de 2005. Frantz Fanon a souligné l’émergence et le développement de cette autodestruction dans le rapport colonial. « Cette agressivité, souligne-t-il, sédimentée dans ses muscles, le colonisé va la manifester d’abord contre les siens. C’est la période où les nègres se bouffent entre eux (18) » . La situation est identique dans nos quartiers populaires et elle perdurera tant que n’est pas disponible un canal commun pour peser sur le rapport de force.

Les discours politiques et médiatiques contribuent par leur réductionnisme et leur essentialisme à maintenir cette violence contre soi en désignant des cibles de proximité, des « coupables » de voisinage, des « ennemis » dans la famille. « Si vous n’êtes pas vigilants, les médias arriveront à vous faire détester les gens opprimés et aimer ceux qui les oppriment » . disait Malcom X.
Le Rrom, le jeune dit « des cités », la femme voilée, les musulmans, le voisin, etc., la production de cibles médiatiquement et politiquement construites tourne à grand rendement depuis plusieurs décennies pour déstructurer les quartiers populaires et annihiler leurs capacités de résistance et d’offensive. Ce faisant, les dominants créent les conditions pour pouvoir appauvrir massivement sans risque de réaction collective, pour pouvoir multiplier les guerres coloniales sans ripostes importantes.

Il est temps de reprendre l’initiative.


________________


Notes :

1 - Razzy Hammadi, interview au Monde du 30 mars 2012.
2 - Pétition, « Après Villeneuve : le rêve brisé »
3 - ONZUZ, rapport 2013, Les Editions du Conseil Interministériel à la Ville (CIV), décembre 2013.
4 - Idem, p.8.
5 - Secours Catholique, Ces pauvres que l’on ne voit plus, rapport statistique du Secours Populaire
6 - Secours Populaire, La pauvreté s’étend et s’enracine
7 - E. Cediey et F. Foroni, Les discriminations à raison de l’ « origine » dans les embauches en France, une enquête nationale par tests de discrimination selon la méthode du Bureau International du Travail, OIT, Genève, 2007.
8 - Par exemple Emmanuel Duguet, Yannick L’Horty, Loïc du Parquet, Pascale Petit, Florent Sari, Discriminations à l’embauche des jeunes franciliens et intersectionalité du sexe et de l’origine : les résultats d’un testing, .
9 - C’est le cas malheureusement d’une grande organisation antiraciste française comme le MRAP qui inscrit dans son programme la lutte contre le supposé « racisme anti blanc » directement importé de l’appareil idéologique d’extrême-droite.
10 - Eric Marliere, Jeunes en cité. Diversité des trajectoires ou destin commun ?, L’Harmattan, Paris, 2005.
11 - Nacira Guenif-Souilamas, Eric Macé, Les féministes et le garçon arabe, Aube, Paris, 2006.
12 - Frantz Fanon, Racisme et culture in Pour la révolution africaine, La Découverte, Paris, 2001.
13 - Alain Finkielkraut, Interview au journal Ha’aretz, 17 novembre 2005.
14 - Hugues Lagrange, Le déni des cultures, Seuil, Paris, 2010.
15 - Manuel Valls, déclaration sur France inter le 24 septembre 2013.
16.Monique Pinçont-Charlot et Michel Pinçon, La violence des riches, Chronique d’une immense casse sociale, La découverte, Paris, 2013, Avant-propos.

17 - Said Bouamama, Des gentils « beurs » à la méchante « racaille », Culture et société, n° 15, pp. 61-68.
18 - Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre (1961), La Découvert, Paris, 2002, p.53-54.
Source : Investig’Action
Xuan
   Posté le 06-06-2015 à 14:15:43   

La révolte du quartier populaire de la Bourgogne à Tourcoing :
Quelques leçons sur l’articulation systémique police-médias-justice


Publié le 6 juin 2015 par bouamamas
Said Bouamama


Depuis 4 jours au moment où nous écrivons cet article, le quartier de la Bourgogne à Tourcoing est le lieu d’affrontement entre la police et les jeunes du quartier. Véritable scène de guerre avec un hélicoptère survolant le quartier dès le soir tombé, courses-poursuites contre des groupes de jeunes lançant des pierres et nombreuses arrestations. Le déclencheur est une nouvelle fois la « mort d’un frère (1) », comme disent couramment les jeunes dans nos quartiers. La presse locale se fait comme toujours le relais des explications officielles et ne se donne même pas la peine de recueillir les autres versions circulant sur le quartier ni d’interroger sur les conditions de l’accident. Quant à la presse nationale, le silence est assourdissant. Il faut attendre le quatrième jour et l’extension de la révolte aux villes voisines de Roubaix et Wattrelos pour entendre les premières émissions radio. Ce type de drame et les révoltes qui les accompagnent sont récurrents en France. Malgré cette fréquence, l’articulation systémique police-médias-justice conduit à une minoration des incidents et à leur occultation, elle-même productrice d’une banalisation.




La cécité volontaire

Les autorités françaises se refusent à comptabiliser les morts successives à un contact avec les « forces de l’ordre ». Il est dès lors impossible de produire des analyses objectives se basant sur les récurrences et les comparaisons des circonstances. Ce type de recensement existe dans d’autres pays comme les USA, le Canada ou l’Allemagne (2). Il s’agit donc bien d’une cécité volontaire ayant comme conséquence de construire chaque situation comme « cas » isolé ne relevant d’aucune cause systémique. Avec un tel aveuglement volontaire, les « morts de frères » apparaissent au mieux comme des « bavures » et au pire comme de la « légitime défense ».

Dans les deux cas, l’institution policière comme système n’est pas interrogée ni dans ses missions, ni dans ses méthodes, ni dans son organisation. L’organisation d’une cécité volontaire ne se limite pas en France à la police. Le refus de mettre en place des statistiques selon les origines aboutit à une même invisibilité des discriminations racistes avec le même résultat d’occultation des processus systémiques en œuvre.

Quelques récurrences peuvent cependant être relevées en comparant les situations parvenant à trouver un écho dans les médias. Au-delà des analyses de nombreux articles de presses se refusant par « professionnalisme » à toute comparaison, des faits têtus contraignent à l’interrogation :

« C’est un homme noir ou d’origine arabe, habitant un quartier populaire de l’agglomération francilienne ou lyonnaise, âgé de 25 à 30 ans. Idem pour les circonstances qui leur ont été fatales : course-poursuite en voiture, garde-à-vue ou placement en cellule de dégrisement, contrôle d’identité ou interpellation qui tourne mal, tentative de fuite…(3) »

Les journalistes sont pourtant (nous l’espérons) au courant de quelques caractéristiques de l’institution policière mises en évidence par la recherche. Celles-ci devraient au moins les conduire à une posture d’interrogation critique. Le journal le Monde se félicite ainsi que « l’extrême-droite ne parvient pas à percer dans la police » dans les élections professionnelles de décembre 2014 (4) en soulignant que « La percée des syndicats de police proches de l’extrême droite, redoutée par des organisations représentatives et la place Beauvau, n’a finalement pas eu lieu (5) ». Une autre conclusion de ce décalage entre crainte et résultat est cependant possible : celui de la banalisation, bien au-delà de l’extrême-droite classique des postures essentialistes, sécuritaires et racistes à l’endroit des quartiers populaires en général, de leurs habitants issus de la colonisation en particulier et des jeunes de cette origine encore plus spécifiquement.

En témoigne l’investigation anthropologique de Didier Fassin auprès d’une équipe de la BAC. L’auteur y met en évidence trois faits saillants des pratiques de la Brigade Anti Criminalité : les arrestations arbitraires ; le caractère disproportionné des moyens mis en œuvre ; (quatre véhicules, soit une quinzaine de policiers, avec exhibition de Flash-Ball…) ; le recours à des pratiques vexatoires. Surtout, il démontre le lien entre opinions racistes des policiers qu’il a accompagné dans leur travail et pratiques discriminatoires (6).

Le livre témoignage de la policière Sihem Souid concerne, lui, Les policiers de la PAF et met en évidence les mêmes propos racistes (ici complétés par d’autres mots homophobes) et les mêmes pratiques humiliantes et vexatoires (7).

Ces deux exemples convergent avec les rares études portant sur le point de vue des premiers concernés c’est à dire ici les jeunes des quartiers populaires. Marwan Mohammed résume ainsi l’opinion de ces jeunes dans son enquête sur les « bandes de jeunes » de la région parisienne : « le statut de la police est relativement homogène : elle est raciste, violente et vicieuse (8) ». Le son de cloche est le même dans les propos recueillis par Sophie Body-Gendrot, Catherine Wihtol de Wenden. Voici celui de Faudil à propos de son expérience :

:
« Ce qui m’a choqué, c’est le manque de respect … Ils m’ont mis la honte… On est rien du tout … C’est comme si j’étais pas comme eux, ils m’ont tué avec le fait que je sois basané… Ils m’ont massacré. J’étais comme un prisonnier de guerre avant l’exécution … Ce qui m’a le plus choqué… ils ont touchés à la dignité de mes parents … Ici on est victimes de la naissance à la mort … l’humiliation est dans ma tête, personne ne pourra me l’enlever sauf si justice est faite (9). »


Ce qui est frappant dans le point de vue des premiers concernés, c’est son caractère trans-générationnel. L’expérience d’humiliation que restitue le terme de « hoggra (10) » qu’utilisent les jeunes dans les quartiers populaires est la même que celle que nous avons-nous même vécue dans notre propre adolescence. Je l’ai retrouvée en novembre 2005 lors de conférences dans les quartiers populaires de la région parisienne (11). C’est encore elle que je rencontre dans les séances consacrées à l’écriture d’un livre avec un groupe de femmes de Blancs-Mesnil (12).

C’est enfin le même sentiment d’humiliation entendu par ces quadragénaires de Tourcoing à propos des explosions actuelles : « On a envie d’exploser nous aussi. On ne le fait pas parce qu’on a nos familles. La police et ses contrôles c’est vraiment de la hoggra qui dure et qui donne envie de tout faire péter » .

L’expérience du rapport à la police dans les quartiers populaires est généralement marquée par l’abus, la discrimination et surtout l’humiliation. L’occultation de cette donnée de base, empêche toute compréhension aux révoltes qui explosent fréquemment à l’issue des « morts des frères ». Mais bien sûr là-dessus : silence de la presse.



La production d’un système

Nous ne sommes pas, bien entendu, en présence d’une « essence » raciste de la police et des policiers mais bien du résultat d’un système de fonctionnement alliant des héritages culturels, des missions précises orientant les pratiques, des modes de fonctionnement, etc. Quelques études se sont penchées sur ces processus systémiques. Analysant la « flambée raciste de 1973 en France (13) » , Yvan Gastaut met en évidence une causalité historique marquant l’inconscient collectif :

« La crainte conjoncturelle du chômage donna au racisme anti-immigrés, au début des années soixante-dix, un visage nouveau, longtes masqué par l’euphorie de la croissance économique. Derrière cette perspective, d’autres peurs plus cachées, liées au souvenir de la guerre d’Algérie ou au mythe de l’invasion de l’Occident par l’Islam touchèrent les Français dans leur inconscient collectif. Le racisme semble être un comportement toujours présent dans notre société. Sa flamme, jamais véritablement éteinte, se rallume dès qu’un problème apparaît. En 1973, les comportements de rejet jusqu’alors enfouis dans la mémoire, ressurgissent sur un nouveau support : les Arabes. (14) »

Depuis, le support a encore changé pour devenir le « musulman », incluant ainsi les « noirs » perçus globalement comme musulmans. La police est plus que d’autres institutions et que la société globale un espace de reproduction des images héritées du bon « temps des colonies ». Emmanuel Blanchard a mis en évidence les facteurs de continuité entre la police en métropole et l’ordre colonial de 1944 à 1962 : continuité de discrimination avec des structures spécifiques pour les Algériens (Brigade Nord-Africaine de 1925 à 1945 puis Brigade des Agressions Violentes à partir de 1953) mais aussi continuité de pratiques discriminatoires (15). Les traces sont encore présentes dans le vocabulaire lui-même, comme le souligne ce commissaire de police :

« Plus tard l’expression : « individu de type N.A. » pour nord-africain a été employée dans les télégrammes et les messages radios. C’était pour préciser un signalement à l’attention des véhicules en patrouille. Cette expression est encore utilisée quelquefois. Elle est de plus en plus remplacée par « de type maghrébin ». Je n’aime pas l’entendre, comme celle de « J.V. » pour jeune voyou. (16) » .

Emmanuel Blanchard rappelle également les circulaires et notes confidentielles (17) appelant les policiers à ne pas utiliser les mots « bicot » et « raton » soulignant ainsi la banalité de cet usage.

Bien sûr, on ne peut pas réduire les rapports entre les forces de polices et les jeunes des quartiers populaires à ces héritages de structure et de culture. Mais les éliminer entièrement est tout aussi réducteur. Ils font partie, avec d’autres, des matériaux qui ont produit le système policier actuel dont une des caractéristiques est de comporter une norme raciste, sexiste et homophobe. Concernant la norme raciste qui nous intéresse aujourd’hui, Philippe Bataille (18) converge avec Sihem Souid pour en constater l’existence. La psychologue de la police Dominique Lhuillier souligne l’effet reproducteur de cette norme : on n’entre pas dans la police par conviction raciste mais on le devient ensuite par imprégnation des relations de travail (19).

Le système policier se caractérise également par une « norme de virilité » lourde de conséquences dans le rapport aux jeunes des quartiers populaires. Cette norme est produite et reproduite par les dispositifs de formation. Voici ce qu’en dit Geneviève Pruvost :

« La virilisation physique, comportementale, idéologique des élèves hommes et femmes est prise en charge par l’ensemble du dispositif d’enseignement – à commencer par le respect des règles militaires, qui n’accordent pas seulement une prime à la discipline, mais à la force, au courage et à l’endurance (20). » On comprend dès lors les constats rencontrés par Didier Fassin dans l’étude citée ci-dessus : peur de perdre l’estime des copains, d’être perçu comme « faible », « femmelette », « mauviette », « pédé », etc.

Ajoutons à ces matériaux la politique du chiffre utilisée périodiquement par les différents gouvernements pour mettre en scène la fermeté dans la « lutte contre la délinquance », le ciblage particulier de certains quartiers en fonction de leurs caractéristiques socio-économiques et ethniques, l’image de ces mêmes quartiers dans le champ médiatique, etc., l’ensemble de ces matériaux font système pour produire « la mort des frères ».



Le système médiatique

Il n’y a pas que la police qui intervienne dans la production d’un contexte et d’un climat meurtriers. La presse intervient également en amont et en aval de ces moments. En amont, elle contribue à forger une image des quartiers populaires, de leurs habitants et de leurs jeunesses en termes de dangerosité, de décomposition et d’irrationalité. Les résultats sont perceptibles dans les enquêtes annuelles de « l’observatoire de la jeunesse solidaire ». La livraison 2011 (21) nous apprend ainsi que trois Français sur quatre (73 %) ont un regard positif sur la jeunesse et qu’ils ne sont plus que deux sur cinq (39 %) à avoir une telle image pour les jeunes des quartiers populaires. Interrogés sur l’origine de cette image, ils sont 24 % à l’attribuer à la représentation de ces jeunes dans les médias et 24 % également à l’expliquer par la « délinquance ». Ici aussi, nous ne sommes pas en présence d’une volonté machiavélique de déformer la réalité mais d’une production systémique.

Jérôme Berthaut (22) a mis en évidence les différents segments du système : fait-diversification de l’actualité en lien avec les politiques éditoriales, « la conversion aux attitudes et aux points de vue des policiers », apparition de « journalistes des banlieues » ayant intérêt à défendre leur pré-carré, recherche de sensationnalisme aboutissant à la « mise à l’agenda permanent de la banlieue », sous-traitance de l’accès au terrain, etc. Ces facteurs conduisent pour l’auteur à la production d’un « journalisme de raccourci ». Une des conséquences essentielles, souligne Julie Sedel, est l’imposition « d’une représentation alarmiste de cette fraction de la jeunesse populaire […] dans les médias et dans le champ politique (23) » . Espace de non-droit, « territoires perdus de la république », lieux de la décomposition, du trafic et de l’islamisme, etc., l’image a vraiment de quoi faire peur même à des policiers fascinés par leur virilité.

Dans l’amont médiatique intervient également le processus d’ethnicisation des grilles explicatives. Analysant les « mots de l’immigration » de sept émissions télévisées des chaines hertziennes en 1996 et 1997, Christine Barats en arrive à la conclusion suivante :

« Il est question de certains groupes, de caractéristiques physiques, culturelles ou cultuelles. Cette observation sur « ce que parler veut dire » souligne bien à quel point les mots de l’immigration rendent compte d’une ethnicisation implicite de l’immigration. L’origine géographique fait l’objet d’une transmission généalogique à travers la stigmatisation des « banlieues ». L’appartenance religieuse est invoquée car elle rendrait impossible l’intégration (voir « musulman »). L’apparence physique, la couleur de la peau s’avèrent incontournables dans le traitement discursif de l’immigration, induisant une dimension ethnique de l’entité « France ». (24)


Au moment des drames et des révoltes, le rôle des médias n’est pas moins problématique. Nous l’avons déjà souligné, la « version policière » des faits est la seule qui a véritablement droit au chapitre. De même que les révoltes sont systématiquement renvoyées à des réactions « émotives ». Le facteur déclencheur est systématiquement le seul pris en compte pour analyser les révoltes requalifiées de « violences urbaines ». Les causes plus profondes de la révolte sont éludées (paupérisation, discriminations, rapport avec la police, etc.).


Le mode de traitement médiatique des quartiers populaires, des « morts des frères » et des révoltes qu’elles suscitent renforce ainsi à chaque drame le sentiment d’injustice et de « Hoggra ».

Le système judiciaire

Reste le système judiciaire sur lequel nous ne nous étendrons pas tant est grande la proximité avec la relaxe des policiers impliqués dans la mort de Zyed et Bouna. Contentons-nous de citer l’avocat des familles qui résume le sentiment massif existant dans les quartiers populaires à chaque fois qu’un procès oppose des habitants des quartiers populaires et un représentant de la police :

« la parole de deux policiers blancs l’emporte sur toute autre considération (…) Dans ce pays, il y a des fractures raciales. Dans ce jugement, je vois de la distance. […] A un moment, ce pays aura besoin de se réveiller, de se choquer (25) » .

Loin d’être de simples « bavures », les drames réguliers qui ensanglantent les quartiers populaires sont le résultat d’un fonctionnement systémique dans lequel sont acteurs l’institution policière, l’institution judiciaire et l’institution médiatique. Il en est de même des révoltes qui les accompagnent. Ces dernières ne font qu’exprimer une révolte légitime en l’absence d’autres canaux d’expressions disponibles et/ou face à l’invalidation médiatique et politique de ces canaux lorsqu’ils tentent de se mettre en place.

____________________________


Notes :

1) Au moment où nous écrivons un autre jeune est gravement blessé avec un pronostic vital engagé.

2) – http://wwwa.bastamag.net/Homicides-accidents-malaises, consulté le 5 juin à 10 h

3) – Idem.

4) – La Fédération Professionnelle Indépendante de la Police et France Police, les deux syndicats classés à l’extrême droite réunissent 3.3 % pour le premier et un peu moins de 1 % pour le second.

5) – http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2014/12/05/l-extreme-droite-ne-parvient-pas-a-percer-dans-la-police_4535304_1653578.html, consulté le 5 juin à 10 h 30,

6) – Didier Fassin, La Force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers, Seuil, Paris, 2011.

7) – Sihem Souid, Omerta dans la police, Le Cherche-Midi, Paris, 2010.

8) – Marwan Mohammed, La place de la famille dans la formation des bandes, thèse de sociologie, Université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines, 2007, p. 595.

9) – Sophie Body-Gendrot,Catherine Wihtol de Wenden, Police et discriminations raciales, le tabou français, l’Atelier, Paris, 2003, p. 51.

10) – Voici la définition que nous donnions en 2000 du sentiment de Hoggra : « Ce terme employé par les jeunes exprime un mélange de négation de la réalité vécue, une impression d’être méprisé et rabaissé volontairement et une discrimination vécue comme permanente », in Said Bouamama, Le sentiment de « Hoggra » : discrimination, négation du sujet et violence, in Les classes et quartiers populaires, Editions du Cygne, Paris, 2009, p. 51.

11) – http://www.youtube.com/watch?v=kztzaqODiVM, consulté le 5 juin à 12 h,

12) – Zouina Medour et Said Bouamama, Femmes des quartiers populaires en résistance contre les discriminations, Le Temps des Cerises, Paris, 2013.

13) – On dénombre cette année plus de 50 assassinats et près de 300 blessés.

14) – Yvan Gastaut, La flambée raciste de 1973 en France, Revue Française des Migrations Internationales (REMI), n° 9-2, 1993, p. 70.

15) – Emmanuel Blanchard, La police parisienne et les algériens 1944-1962, éditions du Nouveau-Monde, Paris, 2011.

16) – http://jeanfrancoisherdhuin.blog.lemonde.fr/2011/01/05/ce-que-je-sais-a-propos-du-racisme-dans-la-police-2/, consulté le 5 juin à 14 h,

17) – Emmanuel Blanchard, L’encadrement des algériens de Paris (1944-1954), entre contraintes juridiques et arbitraire policier, Revue Crime, Histoire et Société, volume 11, n° 1, 2007, p. 9.

18) – Philippe Bataille, Racisme et Police, in Michel Wieviorka (dir.), La France raciste, Le Seuil, Paris, 1992.

19) – Dominique Lhuillier, Les policiers au quotidien : une psychologue dans la police, L’Harmattan, Paris, 1987.

20) – Geneviève Pruvost, Profession : policier, sexe : féminin, Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 2007, p. 66.

21) http://www.afev.fr/communication/Observatoire2011/Afev_rapport_observatoire2011.pdf, consulté le 5 juin à 16 h

22) – Jérôme Berthaut, La banlieue du « 20 heures », Agone, Marseille, 2013.

23) – Julie Sedel, Les médias et la banlieue, éditions du Bord de l’eau, Paris, 2009,

24) – Christine Barats, Les mots de l’immigration et l’ethnicisation des rapports sociaux, le cas des débats télévisés sur l’immigration, Revue Réseaux, 2001/3, http://www.cairn.info/revue-reseaux-2001-3-page-147.htm, consulté le 5 juin à 18 h,

25) – Jean-Pierre Mignard, France inter, mardi 19 mai.
marquetalia
   Posté le 06-06-2015 à 19:42:39   

il ne faut pas "ethniciser" la problématique des banlieues,il s agit avant tout d un problème social,des quartiers rongés par le chomage,et dont le social-libéral Francois Hollande se fout eperdumment,et que Melenchon blase en se ralliant comme une bouée de sauvetage au p"s" à chaque grande élection.
Xuan
   Posté le 07-06-2015 à 20:51:55   

Tu es à côté de la plaque avec ton ethnicisation et ta problématique .
La « problématique » des banlieues…c’est qu’elles concentrent en majorité des immigrés de la première, deuxième, troisième génération. Et ceci est le résultat d’une longue histoire.

Dans les années 50 le ministre de la reconstruction Claudius-Petit s’est inspiré des idées du Corbusier en lançant les chantiers d’HLM. Ceci devait répondre aux nécessités de la reconstruction et du baby boom, et aussi à l’appel de l’abbé Pierre pour les mal-logés en 1954. Des millions de logements en grands ensembles sont construits, regroupant ouvriers, employés, « classes moyennes » dans une certaine mixité sociale.

Dans les années 60 la crise du logement perdure et l’industrialisation capitaliste de la construction de masse conduit aux barres et aux cités. Elles abritent « les ruraux qui arrivent en ville à la recherche de travail, les habitants des centres ville anciens en cours de réhabilitation (exemple de la Croix-Rousse >diminution du parc social de fait), les rapatriés d’Algérie (1 million de personnes à loger en 1962), les populations immigrés qui seront les dernières à rentrer dans le parc HLM de ces grands ensembles, dans les années 70, lorsque la population française commencera à en sortir. » (source).
Dans ces constructions la recherche du profit maximum entraîne de nombreuses nuisances, sous équipement et isolement.

Le 30 novembre 1971, au prétexte de « mettre fin à la ségrégation sociale » , Olivier Guichard - ministre de l'Aménagement du territoire, de l'Équipement, du Logement et du Tourisme - signe la circulaire « tours et barres » pour casser le développement des grands ensembles et développer les habitations individuelles, dont le parc ne doit pas être inférieur à 30 – 50 % en particulier dans les Zones d'Aménagement Concerté (ZAC).
Le 21 mars 1973 il récidive avec la
circulaire du 21 mars 1973
« relative aux formes d'urbanisation dites « grands ensembles » et à la lutte contre la ségrégation sociale par l'habitat » …« Ils [les grands ensembles] ne correspondent plus aux aspirations des français. Dans la mesure où ils sont très grands, ils sont un facteur de ségrégation sociale ! »
Ceci met un terme à la construction de logements sociaux pour encourager l’accession à la propriété individuelle.
En 74 Giscard accentue cet urbanisme qui développe l’univers pavillonnaire et concentre les plus pauvres dans les HLM.

Première conséquence : les HLM se vident de leurs occupants plus aisés.
L’équilibre financier est ébranlé et l’entretien des immeubles est délaissé. Les ascenseurs restent en panne des semaines, les parties communes se dégradent et les cités sont laissées à l’abandon.

Deuxième conséquence : les immigrés sont contraints d’y rester pour la simple raison qu’ils occupent les emplois les plus mal payés quand ils ne sont pas frappés par un chômage qui frise les 28% à 48%.

Ainsi toutes les conditions requises ont été réunies pour la constitution de ghettos.

On peut palabrer des heures sur l’ethnicisation et les problématiques , ça ne change rien à cette réalité.

Que se passera-t-il maintenant ? L’appauvrissement des « classes moyennes » met un naturellement un terme à l’accession à la propriété. Quand un jeune couple doit emprunter sur 25 ans pour acheter une maison, avec le risque du chômage c’est mission impossible. Ils seront probablement conduits à retourner dans les barres pas cher.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas la politique du logement qui peut résoudre les causes initiales de ses désordres, qu’il s’agisse de l’immigration de masse, du chômage, du racisme ou de la discrimination.

C’est le capitalisme qui est à l’origine des ghettos.


Edité le 07-06-2015 à 22:12:50 par Xuan


Xuan
   Posté le 11-06-2015 à 22:32:51   

Il manquait quelques chiffres à ces explications :

..."comme le montrent les travaux de Michèle Tribalat, directrice de recherche à l'Institut national des études démographiques (INED). Avec un expert de l'INSEE, Bernard Aubry [1], elle a tenté de mesurer la proportion de « jeunes d'origine étrangère » ville par ville. Avec une méthode simple : recenser tous les jeunes de moins de 18 ans issus d'au moins un parent né à l'étranger.

Globalement, sans surprise, il apparaît que la proportion de jeunes d'origine étrangère, dont beaucoup ont la nationalité française, a augmenté de manière significative sur les quarante dernières années en France : de 11,5 % des jeunes en 1968 à 18,1 % en 2005.

Mais, là où l'étude devient politiquement explosive, c'est dans l'analyse de la répartition de la population. Parce qu'elle montre l'ampleur des phénomènes de ghettoïsation à l'œuvre dans les banlieues françaises, notamment autour de Paris. « En 2005, la proportion de jeunes d'origine étrangère dépasse 60 % dans 20 villes. Toutes, sauf Vaulx-en-Vélin, sont en Île-de-France » , relèvent Michèle Tribalat et Bernard Aubry.

Or, la liste de ces 20 communes correspond, à quelques exceptions près, à la liste des villes les plus sensibles aujourd'hui. Une liste qu'on aurait aussi pu établir en recensant les épisodes de violences urbaines les plus graves de ces dernières années.
Clichy-sous-Bois compterait ainsi 76 % de jeunes d'origine étrangère en 2005, contre 61 % en 1990 et 30 % seulement en 1975.
Sur la même période (1975-2005), Aubervilliers est passée de 35 % à 75 % de jeunes d'origine étrangère, La Courneuve de 35 % à 74 %, Grigny de 19 % à 71 %, Pierrefitte-sur-Seine de 30 % à 71 %, Sarcelles de 25 % à 66 %, Stains de 24 % à 66 %, Villiers-le-Bel de 22 % à 65 %, Mantes-la-jolie de 32 % à 65 %, Les Mureaux de 29 % à 62 %.

Conclusion : la proportion de jeunes d'origine étrangère a augmenté à l'échelle du territoire. Mais elle a littéralement explosé dans quelques dizaines de villes, signe de la ghettoïsation en cours de la société française."

[1]. Commentaire, été 2009, n° 127.


Et concernant les HLM :

"Là réside le paradoxe de la politique de la ville française.
Le refus officiel de tout « communautarisme » et la mise en avant volontariste de la « mixité sociale » . Mais des pratiques aux antipodes. Ce que montre l'exemple de la loi SRU, qui oblige les communes en zone urbaine à disposer d'un minimum de 20 % de logements sociaux :
généreuse dans ses principes, elle demeure très mal appliquée, faute de sanctions suffisantes contre les communes riches qui refusent leur part de « pauvres » .

Idem pour le lent mais inexorable mouvement de paupérisation des HLM :
« 44 % du quart le plus pauvre de la population se trouvent dans le parc HLM en 2008 contre 13 % en 1973 » , révèle le dernier rapport 2009 de l'Union sociale pour l'habitat (USH), l'organisme qui fédère les bailleurs sociaux.

Même chose pour les étrangers : « La proportion des ménages immigrés logés dans le parc HLM augmente régulièrement, passant de 15 % en 1996 à 17,5 % en 2006, alors que, dans l'ensemble de la population, elle augmente seulement de 8,4 % à 9,6 %. »

Le pire, c'est que les milliards investis dans la politique de rénovation urbaine ne vont probablement rien changer. En moyenne, 60 % des appartements démolis sont reconstruits au même endroit.
Ce pourcentage monte même à 80 % en Seine-Saint-Denis, faute de terrains libres, faute aussi de volonté des communes plus riches d'accueillir leur part de pauvres et d'immigrés.
L'on reconstruit donc au même endroit ce qu'on avait bâti il y a quarante ou cinquante ans et qu'on vient de démolir. Malgré les milliards d'euros investis, la mixité sociale ne reste qu'un doux idéal."


Extraits de "la loi du ghetto - enquête dans les banlieues françaises" - Luc Bronner % Calmann-Lévy - pages 144-145 et 152-153

On peut lire à titre indicatif "Les immigrés et le logement en France depuis le XIXe siècle - Une histoire paradoxale", colloque de Marie-Claude Blanc-Chaléard à l'Université de Paris 1. Page 10 en particulier.



Edité le 11-06-2015 à 22:51:01 par Xuan


Xuan
   Posté le 11-10-2016 à 13:41:34   

Suite à l'attaque de policiers à Viry Châtillon vient sur le tapis la question d'un urbanisme "complice", où la police trouverait des obstacles à ses interventions.
Un article très détaillé sur ce sujet.


__________________


Jean-Pierre Garnier

UN ESPACE INDÉFENDABLE

L’aménagement urbain à l’heure sécuritaire


source


Jonathan Olley-Irlande 1999


“ La forme suit la frousse et vice-versa ”
Nan Ellin

“L’image de la ville, “refuge des libertés ” et “havre de paix ”, image encore proposée par des auteurs complaisants qui refusent de considérer ces désordres et ces drames de la guerre civile, est sans doute l’une des plus flagrantes impostures de l’histoire de nos sociétés d’Occident.” En faisant la part des choses, cette appréciation de l’historien Jacques Heers, en conclusion de sa magistrale étude sur la ville médiévale (Heers J, 1990), semble pouvoir être transposée aux discours, doctes ou communs, que l’on entend ici et là aujourd’hui, célébrant ce “ lieu par excellence du vivre-ensemble ” que serait la “ ville de l’âge démocratique ”, alors qu’une guerre sociale rampante est en train d’en démentir l’avènement.


Le regard irénique porté sur le fait urbain contemporain par nombre de théoriciens (sociologues, anthropologues, politologues, philosophes) ou de praticiens (architectes, urbanistes, paysagistes), pour ne rien dire de certains politiciens (ministres ou élus locaux), est pour le moins déconcertant. Cette vision contraste singulièrement, en effet, avec la prolifération simultanée de discours alarmistes, savants ou vulgaires eux aussi, sur la montée de la violence et de l’insécurité, le développement d’un nouvel “ apartheid urbain ” et les risques de “ sécession urbaine ” qui en résulteraient à terme, que ce soit de la part des classes les plus dominées, assignés de facto à résidence dans des quartiers anciens à l’abandon ou des “ cités-dépotoirs ” où leurs faits et gestes sont soumis à un contrôle de plus en plus strict, ou, au contraire, de la part des citadins aisés et apeurés, fuyant la promiscuité des basses classes dans de luxueuses zones résidentielles ultra protégées et coupées du reste de l’agglomération.

La vision lénifiante et consensuelle de la Cité comme communauté pacifiée de “ citadins -citoyens ” solidaires par-delà de leur diversité de conditions et d’aspirations fonctionnerait-elle, dès lors, comme un exorcisme ? À moins qu’elle ne participe d’une entreprise concertée de normalisation de l’espace urbain dont l’horizon ne serait rien moins que l’imposition d’un nouvel ordre local aussi contraignant, sous ses dehors avenants d’“ urbanité partagée ”, que le “ nouvel ordre mondial ” néo-libéral dont il n‘est d’ailleurs que la contrepartie obligée (Garnier J-P, 1997, 1999). C’est, en tout cas, un éclairage qui permet de mettre en lumière les diverses facettes d’un “ projet urbain ” où, faute de projet alternatif de société, la gestion territoriale de la marginalisation de masse, mise en œuvre en France sous l’appellation de “ politique de la ville ”, tend de plus en plus à se confondre avec la police de la ville, dans l’acception large du terme. (Rancière J, 1995).

Il est un aspect de cette politique urbaine, cependant, laissé jusque-là quelque peu dans l’ombre : le remodelage physique de l’espace construit à des fins plus ou moins explicites de défense sociale contre un nouvel ennemi intérieur : non plus le “ subversif ” qui voudrait, comme le passé, renverser l’ordre social, encore que le militant opposé à la mondialisation néo-capitaliste soit en passe, s’il enfreint la loi, d’être classé comme tel, mais le “ mauvais pauvre ”, celui qui, d’une manière ou d’une autre, vient troubler l’ordre public, ne serait-ce que par sa seule présence, comme dans le cas des mendiants ou des sans-logis.

Un préfet chargé de veiller au maintien de l’ordre dans la région de l’Ile-de-France, après avoir dirigé le département de Seine-Saint-Denis, au nord de Paris, réputé particulièrement “ chaud ”, résumait bien la préoccupation sécuritaire qui doit dorénavant guider les concepteurs de projets urbains: “ Il faut considérer aujourd’hui la prise en compte de la sécurité, comme naguère celle de l’incendie, ce qui a conduit à constituer des règles de sécurité incendie. Tous les architectes ont parfaitement intégré les contraintes d’évacuation d’un bâtiment en cas d’incendie. Il appartient aux architectes de se former aux problèmes de sécurité”, et donc d’“ intégrer les solutions dans leurs projets. ” (Duport J-P, 1999) Aussi apparaît-il urgent de commencer à analyser de manière critique les dispositifs spatiaux (urbanistiques, architecturaux, techniques, symboliques) concourant à “ sécuriser ” l’espace urbain.

“ De manière critique ” : la précision, ici, n‘est pas de pure forme, car les débats que ce thème suscite, d’ordinaire, ne portent pas sur la nécessité de rendre l’espace urbain physiquement “ défendable ”, mais sur l’efficacité des solutions mises en œuvre ou proposées pour y parvenir. Empruntée à la terminologie nord-américaine, la notion d’“ espace défendable ” (defensible espace) repose sur le postulat selon lequel il est des types d’espace construits propices aux actes délictueux. En conséquence, “ une meilleure conception de notre environnement architectural ” permettrait de “ prévenir la criminalité ” (Newman O., 1973). Ainsi qualifiera-t-on de “ défendable ” un espace dont la configuration vise à faciliter la protection, non plus contre les accidents ou les calamités naturelles, mais contre le fléau social représenté par la délinquance “ urbaine ” et, catégorie nouvelle, l’“ incivilité ”, c’est-à-dire tout acte ou comportement jugé contraire aux règles de conduite propres à la vie citadine.

En France, on parle plutôt d’“ architecture de prévention situationnelle ”. La formulation qui en résume officiellement la finalité, sinon la “ philosophie ”, est à cet égard tout à fait explicite : “ aménager les lieux pour prévenir le crime ”. À l’Institut des Hautes Études sur la Sécurité Intérieure, élus locaux, constructeurs de logements sociaux, promoteurs d’ensembles “ résidentiels ”, gestionnaires d’équipements collectifs publics ou privés, organisateurs de spectacles réfléchissent et débattent ainsi avec des policiers, des magistrats, des chercheurs et des hommes de l’art (urbain) autour de la “ reconstruction de la ville ” dans sa matérialité physique afin de mieux protéger la Cité contre les “ nouveaux barbares ”, qualifiés de “ sauvageons ” par un ministre de l’Intérieur “ socialiste ”. Or, il va de soi que, si la critique est la bienvenue dans ces échanges de vues entre gens autorisés, elle se doit d’être interne et constructive (qualificatif on ne peut plus approprié en la matière).

Dans d’autres pays, cependant, où les visées sécuritaires acquièrent une importance également croissante en matière d’urbanisme et d’architecture, un courant critique se développe parallèlement parmi les chercheurs et même certains praticiens pour mettre en garde l’opinion contre les aberrations de tous ordres auxquelles peut conduire ce que l’un d’entre eux appelle “ l’architecture ” ou “ l’écologie de la peur ” (Ellin N., 1997 ; Davis M., 1997). C’est dans ce courant que s’inscrivent les propos qui suivent, même s’il ne semble pas avoir fait encore beaucoup d’émules dans notre pays.

De l’espace coupable à l’espace complice

Parmi les “ acteurs ” engagés dans la croisade sécuritaire, de nouvelles recrues sont apparues, dès les années 70 aux Etats-Unis, plus tardivement en Europe : les architectes, urbanistes et les paysagistes. La mission nouvelle qui a été impartie à certains d’entre eux est de prendre soin du remodelage physique de l’espace urbain et, en particulier de l’espace public, non pas comme “ condition minimale de la démocratie politique ”, ainsi que l’imaginent (ou cherchent à le faire croire) certains politologues ou sociologues français1, mais à des fins très prosaïques de maintien de l’ordre.
Sans doute objectera-on que de telles fins ne sont pas choses inédites. Outre l’architecture militaire, mise à contribution tout au long de l’Histoire pour protéger les puissants contre la fureur de leurs propres sujets, et pas seulement contre un ennemi extérieur quelconque, le nom du baron Haussmann est souvent cité comme preuve qu’il peut en aller de même pour l’architecture civile. Nul n’ignore, en effet, que, même s’ils obéissaient aussi à d’autres préoccupations, les grands travaux de restructuration du tissu urbain parisien effectués sous son autorité visaient à en finir avec les traditions révolutionnaires du peuple de la capitale (Hazan É, 2002).

Après l’“ alerte ” de Mai 68, l’une des premières initiatives du gouvernement, en matière d’aménagement urbain, fut de faire disparaître les pavés des boulevards au Quartier Latin, qui avaient servi de projectiles aux manifestants, pour les remplacer par du bitume, puis de programmer l’installation des nouvelles universités à la périphérie de la capitale pour éviter à celle-ci d’être à nouveau troublée par les turbulences estudiantines. Aussi conviendrait-il peut-être de parler plutôt, pour ce qui est du présent, d’un certain retour à l’urbanisme répressif, encore que, comme on l’a mentionné, l’ennemi ait changé de visage, obligeant les professionnels chargés de le neutraliser à innover.

Le postulat de départ des adeptes de l ’“ espace défendable ” est qu’il existerait des espaces urbains “ criminogènes ”. Là encore, l’idée n’est pas neuve. Dès le XIXe siècle, il ne manqua pas d’esprits philanthropiques, parmi les membres des classes possédantes, pour dénoncer l’entassement des familles démunies dans les quartiers insalubres, perçus non seulement comme des foyers d’infection d’où les épidémies pourraient se répandre jusque dans les beaux quartiers, mais comme des foyers de dépravation morale et d’agitation politique. Et l’on sait que l’hygiénisme dont ces considérations étaient imprégnées inspirera la politique du logement dit “ social ” censée assainir les corps des prolétaires en même temps que leurs esprits. De même, cette idéologie indissociablement sanitaire et sociale sera-t-elle réactivée, au siècle suivant, par les théoriciens du “ mouvement moderne ” auxquelles on doit, en partie, l’urbanisme de barres et de tours qui s’est imposé après la seconde guerre mondiale. Or, par un étrange retournement, c’est précisément ce type d’habitat qui va être accusé, au milieu des années 70, de favoriser le malaise social que l’on baptisera du nom d’“ insécurité ”.

Lancée sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing et officialisée par le ministre de la Justice français Alain Peyrefitte, la thèse de l’urbanisme criminogène a rapidement été intégrée comme une évidence, donnant le signal à une série d’opérations de “ réhabilitation ”, que l’arrivée de la gauche au pouvoir, loin d’interrompre, ne fera qu’amplifier sous le signe de la “ civilisation urbaine ” à promouvoir dans les “ cités 2”. Au tournant des années 90, à peine élu, le Premier ministre Michel Rocard, confronté à une recrudescence de troubles dans les “ quartiers difficiles, s’en prendra encore à “ l’urbanisme criminogène ”. L’expression, cependant, avait, entre temps, reçu une tout autre acception.
Au départ, elle désignait une architecture et un urbanisme dont la configuration déshumanisante (standardisation, sérialisation, monotonie, anonymat, laideur) était considérée comme un véritable “ pousse-au-crime ”. Les barres, les tours, le béton brut, l’absence de rues, l’isolement des grands ensembles locatifs par rapport au reste de la ville ne pouvaient que susciter la colère et la révolte des habitants. Dans cette perspective, la “ violence urbaine ” était perçue comme une réaction logique et compréhensible, sinon légitime, de leur progéniture à la violence à la fois matérielle, visuelle et symbolique d’un cadre de vie jugé contraignant, humiliant et stigmatisant pour les couches populaires qui s’y trouvaient confinées. D’où l’interdiction par une circulaire gouvernementale de la construction de nouveaux “ grands ensembles ”. À la fois dégradant et dégradé — dégradé par ses habitants parce que dégradant pour eux —, l’habitat était présenté comme le facteur principal de dégradation de la vie sociale.

La solution, dès lors, allait de soi : il suffisait de “ changer la ville pour changer la vie ”. Pris au pied de la lettre pendant une quinzaine d’années par les ministres, les élus locaux, les professionnels de l’aménagement et, bien entendu, les architectes, ce slogan électoral du Parti socialiste témoignait de la prégnance, malgré les critiques dont il avait déjà maintes fois fait l’objet, du spatialisme. Cette idéologie qui établit un lien de causalité directe entre formes spatiales et pratiques des agents sociaux fait abstraction des rapports sociaux de domination (Castells M, 1973). Pourtant, ceux-ci déterminent largement le cadre de vie comme le mode de vie ainsi que leurs interactions réciproques. Pour avoir ignoré cette détermination structurelle, les innombrables interventions urbanistiques et architecturales destinées à “réurbaniser ” les banlieues populaires ne donneront pas les résultats escomptés. Au contraire, les exactions recensées sous la rubrique des “ violences urbaines ” (vandalisme, agressions, racket, trafic de drogue, recel, heurts avec la police, affrontements entre bandes, etc.) ne cesseront de s’y multiplier, au point même de gagner les centres-villes. Néanmoins, il en fallait plus pour inciter les autorités à abandonner la croyance selon laquelle le bâti peut être à la fois à l’origine des maux d’une société et en constituer, en même temps, l’un des remèdes.

La détérioration continuelle de la situation, y compris dans les groupes d’immeubles récemment rénovés, aurait pu inciter les gouvernants à admettre publiquement qu’elle résultait de processus qui ne relevaient pas du “ spatial ” ni même du “ local ”, mais d’évolutions plus générales, à l’échelle nationale, européenne et même mondiale, d’ordre économique, culturel et politique. Si de nouveaux “ barbares ” menaçaient la Cité, peut-être eut-il convenu de s’interroger sur le système social, de plus en plus “ mondialisé ”, dont cette barbarie était le produit, quitte à devoir le remettre en cause. (Garnier J-P, 1996). Mais, c’était là une éventualité impensable, étant donné l’orientation de classe des pouvoirs en place et les choix politiques qui en découlaient.

Ralliés à leur tour au social-libéralisme, les dirigeants de la gauche française vont renoncer à lutter contre les inégalités pour adopter la ligne politique qui prévaut désormais dans tous les pays occidentaux : lutter conte “ l’insécurité ”. Dans ce contexte, l’impératif ne sera plus de “ changer la ville ”, mais de la protéger contre les criminels. Ce qui ne va pas non plus sans quelques réaménagements urbanistiques ou architecturaux. Mais ceux-ci prendront désormais un tour résolument sécuritaire.

Dans cette nouvelle conjoncture politico-idéologique, la notion d’ “ espace criminogène ” a revêtu une nouvelle signification. Elle désigne dorénavant une architecture et un urbanisme qui favoriseraient les délinquants, réels ou virtuels. Alors qu’auparavant les jeunes générations issues des milieux “ défavorisés ” faisaient plutôt figures de victimes, condamnés, comme leurs aînés, à subir l’effet délétère d’une conception erronée de l’aménagement urbain, celui-ci cesse de légitimer la “ violence urbaine ”. Pas plus que d’autres composantes négatives de l’environnement social (chômage, précarisation, tri scolaire, discrimination…), un cadre de vie misérable et déprimant ne saurait justifier les méfaits des voyous. Dans la rhétorique sécuritaire qui prévaut maintenant, toute référence aux causes sociales du phénomène de la délinquance est qualifiée d ’“ excuse sociologique ”, donc rejetée comme nulle et non avenue. Seule compte la “ responsabilité personnelle ”.

Dès lors, des espaces seront classés comme “ criminogènes ” soit parce qu’ils encouragent les activités délictueuses (exemples : recoins, impasses, culs-de-sac propices aux trafics ou aux agressions et embuscades ; cours fermées, étendues de pelouse devant les immeubles “ squattées ” et appropriées par les jeunes désœuvrés...), soit parce qu’ils entravent la répression (halls traversant qui facilitent la fuite, parkings au pied des immeubles et cheminements piétonniers gênant les patrouilles motorisées de policiers...) ; soit pour les deux raisons à la fois (coursives, toits-terrasses, voirie labyrinthique...). Ce qui fait dire à certains préposés au maintien de l’ordre qu’il s’agit là d ’“ espaces complices ”. De là l’idée de réduire les délits et les “ incivilités ” en mettant fin à cette complicité, c’est-à-dire en agissant sur l’espace urbain non plus en tant qu’espace “ agressif ” pour les habitants, mais en tant qu’espace “ hostile ” aux forces de l’ordre puisqu’il place le nouvel ennemi intérieur en position favorable.

Cette approche de l’espace urbain, en général, et de l’espace public, en particulière, qu’il faut bien caractériser comme policière, va rapidement se diffuser parmi les autorités chargées de garantir la “ paix civile ” dans la ville. Certes, “ il n‘existe pas de forme urbaine intrinsèquement perverse ”, avertissait, par exemple, le préfet de région déjà cité (Duport J-P, 1999). Cependant, “ dans certains cas, la forme urbaine est source d’insécurité, notamment parce qu’elle rend extrêmement difficile l’intervention des forces de police. ”. À l’appui de ses dires, ce haut fonctionnaire citait le quartier du Landeau à Noisy-le-Sec, une ancienne commune ouvrière de l’est parisien. Enclavé dans la boucle d’une bretelle de dégagement, à un carrefour autoroutier, et totalement renfermé sur lui-même, ce quartier avait un fonctionnement circulatoire en “ coquille d’escargot ”. On ne pouvait y pénétrer, en effet, que par une seule entrée, étroite, de surcroît, et encombrée d’automobiles mal garées. Selon le préfet, le tout formait un “ parfait cul-de-sac ” où les forces de police n’osaient s’aventurer en voiture car elles pouvaient se retrouver enfermées. Seule une “ intervention lourde ”, de type quasi-militaire, toujours coûteuse et souvent hors de proportion avec l’incident signalé, permettrait de résoudre le problème. Les habitants étaient, paraît-il, “ sensibles à ce piège ” : ils s’imaginaient coincés en cas d’attaque par une bande, tandis que la police resterait bloquée pour leur porter secours. La conclusion allait de soi : il fallait, dans l’avenir implanter les nouveaux groupes de logements sociaux de telle sorte qu’ils forment des “ espaces plus ouverts ”.

Les propositions de l’agence Arcane, un cabinet d’architecture spécialisé dans la rénovation des ensembles de logements sociaux, obéissent à la même finalité stratégique. La cité des Courtillières, à Pantin, autre commune de l’est parisien, disposait d’un “ bel espace central ”, mais il avait l’inconvénient d’être “ insécure ”, car il était “ replié sur lui-même ”. Pour les architectes-réhabiliteurs, la voie à suivre était toute tracée : “ en faire un espace traversant pour y faire pénétrer la circulation, donc la vie. En supprimant le caractère clos de cet espace, on y fera plus facilement venir les habitants ”. Et surtout la police, aurait-il fallu ajouter. On pourrait encore mentionner, dans la même perspective sécuritaire, la “ restructuration ” de la Cité Bonnier à Paris, dans le XXème arrondissement : des immeubles d’habitation furent rasés pour percer une rue traversant le quartier de part en part afin de faciliter les rondes de police et l’arrivée des camions de CRS (compagnies républicaines de sécurité en cas de grabuge.

“ Ouverture ”, “ désenclavement ”, “ accessibilité ” : tels sont quelques uns des concepts-clefs de l’urbanisme sécuritaire. Sans doute étaient-ce également ceux mis en avant lors des opérations de “ réhabilitation ” menées auparavant. On affirmait — et on affirme toujours — vouloir éviter la ségrégation et la ghettoïsation pour faire accéder les couches populaires au “ droit à la ville ”. “ Il faut casser des immeubles pour casser la logique du ghetto ”, “ faire tomber les barrières ”, “ réinsérer le quartier dans la ville ”, proclament en chœur urbanistes et architectes. Largement médiatisés, ces discours ne doivent, cependant, pas faire illusion. Derrière cette façade humaniste voire progressiste, d’autant plus crédible que ce sont d’ex- “ contestataires ” de mai 68 qui y apposent leurs graffitis “ antiségrégationnistes ”, se dissimulent d’autres visées qui, étant donné leur nature, ne peuvent pas bénéficier de la même publicité.

Le but poursuivi est d’abord de faciliter l’intervention des forces de l’ordre, les patrouilles et les bouclages policiers, la surveillance généralisée, y compris par la population elle-même, comme le laisse entendre la thématique en vogue de la “ visibilité maximale des espaces publics ”, celle du “ surveyspace ” importée elle aussi des États-Unis. Un architecte-chercheur qui fait carrière dans l’urbanisme sécuritaire n’hésite pas à dévoiler la finalité réelle de “ l’ouverture ” préconisée par ses confrères : “ Il vaut mieux garder les espaces communs ouverts. Cela permet de garder la visibilité des territoires depuis la rue et des interventions des instances de prévention (police de proximité, équipes de médiation. ” (Landauer P, b, 2001).

Un situationnisme répressif

En France, le discours du pouvoir s’appuie sur une longue tradition d’euphémisation. À l’inverse des anglo-saxons, qui sont à l’origine de la plupart des modèles sécuritaires d’organisation de l’espace urbain mis en place depuis peu dans le pays, on n’appelle jamais les choses par leur nom. Ainsi préfèrera-t-on parler de “ résidences sécurisées ” plutôt que de “ communautés encloses ” (gated communities). Cette formulation évoque, sans doute trop crûment, un mode d’habiter que l’on croyait exclusivement américain, alors qu’il a commencé à se répandre en France, en région parisienne, dans le département des Yvelines, en particulier, ainsi que dans la périphérie de quelques grandes villes du sud, comme Bordeaux, Aix-en-Provence ou Toulouse. Par crainte du cambriolage, de l’agression, du vandalisme et, de manière plus général, d’un voisinage jugé peu fréquentable, des familles françaises appartenant aux couches aisées de la moyenne bourgeoisie (ingénieurs, cadres, enseignants du supérieur, architectes, avocats...) recourent à leur tour à l’auto-enfermement dans des ensembles de résidences entourés de murs ou de grilles, surveillées par des dispositifs électroniques et gardés par des vigiles armés qui refouleront tout visiteur s’il n’est pas l’invité de l’un des membres de ces phalanstères d’un nouveau genre.

Malgré l ’“ aggiornamento ” —, certains parlent même de “ révolution culturelle ” — opéré par la gauche de gouvernement vers la fin des années 80, désormais ouvertement ralliée aux thèses sécuritaires qu’elle vitupérait naguère comme “ liberticides ”, la notion d ’“ espace défendable ” est difficile à acclimater dans l’hexagone. À plus forte raison, refusera-t-on résolument de parler d’une “ écologie de la peur ”, comme le propose le sociologue nord-américain Mike Davis, d’orientation « radicale ”, il est vrai. On s’en tient donc, pour le moment, à une formulation plus élégante et plus allusive, à la fois : l ’“ architecture — ou l’urbanisme — de prévention situationnelle ”. Pour savoir de quel type de “ situation ” il peut bien s’agir, il suffira de se reporter aux travaux du chef de l’unité de recherche et de planification du Home Office (ministère de l’intérieur) britannique, Ronald V. Clarke, l’un des maîtres à penser des adeptes français de la prévention situationnelle (R.V. Clarke, 1991). On y apprend, entre autres, que “ l’environnement physique et social de la société [sic] crée des occasions de délit en réunissant, dans le temps et dans l’espace, les trois composantes de base que sont un délinquant probable, une cible appropriée et l’absence de dissuasion suffisante ”. Nous ne nous attarderons pas ici, faute de place, à disséquer l’arrière-plan idéologique, éminemment conservateur, qui définit la première de ces “ composantes de base ”. Bornons-nous à noter que, par les temps qui courent, c’est-à-dire ceux d’une suspicion généralisée à l’égard des laissés pour compte de la globalisation du capital (sans-travail, sans-logis, immigrés sans-papiers, jeunes gens sans avenir, mendiants, prostitués, etc.), tout individu appartenant aux strates inférieures des couches populaires est susceptible d’entrer dans la catégorie du “ délinquant probable ”.

Au début des années 90, le label Secured by design (SbD) fut instauré en Grande-Bretagne conjointement par les architectes et la police de Manchester pour définir les consignes de sécurité à appliquer dès l’élaboration des projets. Ces préconisations seront généralisées en 1994 par la circulaire gouvernementale Planning out crime, confirmant ainsi le rôle croissant de la police dans l’aménagement urbain. En France, une loi d’orientation et de programmation sur la sécurité (LOPS) dite surtout “ loi Pasqua ”, du nom d’un ancien ministre de l’Intérieur de droite, Charles Pasqua, et non abrogée par ses successeurs de gauche, comporte des dispositions répondant aux mêmes buts. Après avoir réaffirmé le “ droit à la sécurité ” comme un “ droit fondamental ”, elle innovait à l’époque (1995), en associant étroitement la question de la sécurité publique et les problèmes d’urbanisme, de logement et d’architecture. Selon l’article 11, en particulier, les études préalables pour les projets d’aménagement et de construction, indispensables pour recevoir le permis de construire, doivent comporter une enquête pour mesurer leur impact sur la sécurité publique.

Cette contrainte légale concernait les équipements collectifs, public ou privés, les espaces publics ou semi publics, qualifiés d ’“ espaces intermédiaires ”, ainsi que les opérations de logement de plus de 250 logements. Étaient ainsi visés tous les projets qui “ par leur importance, leur localisation ou leurs caractéristiques propres ” étaient susceptibles d’avoir des “ incidences sur la protection des personnes et des biens contre les menaces et les agressions ”. Les lois qui suivront ne feront que renforcer l’obligation faite aux maîtres d’ouvrages, aux constructeurs et, par voie de conséquence aux urbanistes et aux architectes, de veiller aux incidences des solutions urbanistiques et architecturales en matière d’« insécurité ”, laquelle, était-il rappelé par deux commentateurs enthousiastes de la nouvelle loi, “ ne réside pas seulement dans les actes répréhensibles pénalement, mais aussi dans les comportements d’incivilité et de petite délinquance ” (Montain-Domenach J, Froment J C, 1999).
Au-delà de leur diversité, les “ solutions ” urbanistiques et architecturales mises en œuvre dans ce contexte obéissent toujours à l’un des deux axes qui guident la conception de l’“ espace défendable ” : empêcher la survenance de faits délictueux ou, une fois ceux-ci commis, contribuer à la neutralisation de leurs auteurs. En d’autres termes, la configuration de l’espace sera tantôt “ dissuasive ”, tantôt “ répressive ”, encore que les deux orientations puissent être combinées.

Dans le premier cas, il s’agira d’“ empêcher le passage à l’acte des délinquants et criminels, en modifiant les circonstances dans lesquelles les délits pourraient être commis ”. Dès lors, les interventions censées “ requalifier ” les espaces publics ou semi-publics (entrées d’immeubles, passages...) seront conçus en fonction d’un unique critère : leur capacité à être surveillés. On s’attachera à les réorganiser pour que les habitants puissent voir et contrôler eux-mêmes ce qui s’y passe. C’est pourquoi on supprimera les recoins, les impasses et les passages isolés, considérés comme propices au recel, au trafic de drogue, au racket, au viol ou aux embuscades.

On pourra aussi opter, toujours à des fins dissuasives, pour la “ résidentialisation ” de certaines cités d’HLM. Ce néologisme donne à penser qu’elles mériteront enfin le titre valorisant de “ résidences ”, terme réservé d’ordinaire aux habitations bourgeoises, mais qui apparaissait jusque-là usurpé lorsqu’il servait à dénommer l’habitat populaire des “ cités ”. En réalité, cette appellation est moins innocente qu’elle ne paraît. Il s’agit, en effet, par un réaménagement approprié de l’espace public alentour, de convaincre les locataires des logements sociaux de se comporter en propriétaires, le but recherché étant de bouter physiquement le nouvel ennemi intérieur, à savoir la jeunesse dévoyée, hors des immeubles de logement et de leurs abords immédiats.

Cela fait quelque temps déjà que l’on incite, en France, les habitants populaires à “ se sécuriser ”, à faire eux-mêmes la police en adoptant les principes, forgés aux USA, du community policing (police de la communauté ou, en Grande-Bretagne, du neighbourwatch (surveillance de voisinage). Au nom du principe de la co-surveillance ou “ co-veillance ”, aucun lieu de doit être soustrait à la vue des habitants du voisinage. Mais l ’“ autogestion ” du contrôle social par les habitants, en coordination avec les policiers, est d’autant plus aisée que leur habitat se prête à un tel contrôle. C’est précisément ce à quoi tend le projet de réaménagement de l’espace public dans les zones d’habitat populaire baptisé “ résidentialisation ”.

Le prétexte invoqué pour reconfigurer l’espace public dans les ensembles de logements sociaux semble, à première vue, inspiré seulement par un souci de rationalisation technique : “ clarifier et hiérarchiser le statut des espaces libres pour éviter les conflits d’usage et entre usagers ”, car on ne sait plus, souvent, à qui ils doivent être accessibles. Mais chacun sait que les “ coins perdus ” ne le sont pas pour tout le monde. Ces “ espaces sans vocation particulière ” ont, en effet, vocation à accueillir des activités bien particulières, si l’on peut dire : celles de l’économie dite “ informelle ” ou “ parallèle ”. “ Les surfaces vides trop larges favorisent les réunions de hooligans ”, affirme la géographe-urbaniste britannique Alice Coleman. La publication en 1985 de son ouvrage, Utopia on trial (L’Utopie en procès), véritable manifeste de l’architecture de “ prévention situationnelle ”, avait donné le coup d’envoi à l’application de cette politique dans certains groupes de logements sociaux en Angleterre (Coleman A, 1985). Une obsession l’inspire : “ occuper ” le terrain, c’est-à-dire le quadriller, le découper et le réaffecter à des usages — et des usagers —… contrôlables.

Dans ce dessein, la majeure partie de l’espace public préexistant sera “ sectorisée ”, c’est-à-dire divisée et transformée en jardins annexés à chaque immeuble, protégés par des grilles. Disposés autour d’un bâtiment ou même au pied d’une ou deux cages d’escalier, ils deviennent alors des parties semi-privées. En effet, comme seuls les résidents des appartements correspondants en ont l’usage, elles sont de fait interdites aux résidents “ extérieurs ”, perçus comme des étrangers voire des ennemis virtuels. Le résultat est une privatisation partielle de l’espace public qui devient résiduel, dans la mesure où les surfaces qui échappent à la “ sectorisation ” se trouvent réduites à la fonction de circulation. Autrement dit, la “ résidentialisation ” a pour effet d’éliminer ou, au moins, de restreindre l’espace véritablement commun (cours, pelouses, terrains libres...).

Officiellement, on parie sur une “ solidarisation ” entre les habitants et une appropriation “ positive ” des lieux. On mise sur les vertus de l’entre soi aux dépens de l’altérité : mieux se connaître entre voisins pour mieux identifier les étrangers à sa cité ou même à son immeuble d’habitation, perçus a priori comme des intrus. Cette politique/police de l’espace urbain va dans le sens d’un renforcement des exclusives/exclusions à l’encontre des indésirables. Selon un architecte partisan de cette reconfiguration, “ la résidentialisation porte en elle l’idée qu’il faut sortir l’ennemi de l’intérieur. ” (Landauer P, b, 2001). Ce qui ne va pas, reconnaît-il, sans poser un problème : “ L’ennemi est-il à l’intérieur du pré-carré que l’on veut protéger ou vient-il de l’extérieur ? ” Les regroupements nocturnes de jeunes dans les halls d’entrée, par exemple, passibles depuis peu de poursuites pénales en France, mêlent des jeunes de l’intérieur et d’autres venus de l’extérieur. Il en va de même pour les graffitis et les déprédations.

Autre idée généreuse en apparence, la politique de “ mixité ” obéit elle aussi à des préoccupations d’ordre public. En raison de la “ violence urbaine ” qui émane de ces lieux, les poches urbaines de pauvreté qui se sont multipliées depuis une trentaine d’années sont souvent comparées à des “ poudrières ” menaçant d ’“ exploser ”. D’où l’idée de fractionner les “ grands ensembles ” en petits ensembles ou, à défaut, de les démolir, partiellement ou en totalité, pour mettre fin aux concentrations de « familles à problèmes ” et autres “ cas sociaux ”. Selon le bon vieux principe “ diviser pour régner ”, on cherchera donc à les disperser et les diluer dans des unités résidentielles de taille réduite, disséminées dans des quartiers “ sans problèmes ” — à l’exception, bien sûr des quartiers bourgeois où l’appariement sélectif et la culture de l’entre-soi propres à l’élite excluent toute injection, fut-ce à doses homéopathiques, de présence populaire — pour y réintroduire de la “ mixité ”. Minoritaires et placés sous le regard de familles de milieux plus aisés et mieux éduqués, les jeunes sous-prolétaires tentés par la délinquance et enclins aux “ incivilités ” perdront peut-être le “ sentiment d’impunité ” qu’encouragerait l’appropriation d’un espace public dont ils avaient fait leur “ territoire ”.

Dans une perspective plus répressive, celle de la “ reconquête des zones de non droit ” que seraient devenues les zones dites “ sensibles ”, on mènera des vastes opérations de restructuration urbaine afin que les délinquants ne se sentent plus sur “ leur ” terrain. Toujours au nom de la « requalification urbaine ”, les coursives et les halls traversant qui facilitent la fuite des “ voyous ”, en cas de courses-poursuites avec les forces de l’ordre, seront obturés ou supprimés. Les loges de gardiens seront repositionnées en “ vigie ”, c’est-à-dire en saillie sur la façade, et non plus au rez-de-chaussée — trop vulnérable — mais au deuxième niveau, pour permettre à leur occupant de voir sans avoir à se déplacer tout ce qui se passe au pied des immeubles. On évitera aussi la construction de toits-terrasses qui peuvent servir non seulement de refuge aux trafiquants de drogue, mais aussi de postes de surveillance pour les guetteurs qu’ils emploient ou de positions de tirs lors des affrontements avec la police, souvent accueillie par des caillassages, des jets de caddies d’hypermarchés, de vieux frigidaires ou de meubles usagés. Des architectes ou des paysagistes peuvent aussi être conduits à déplacer les parkings et redessiner les tracés circulatoires pour faciliter les rondes de police motorisées et même l’intervention éventuelle de blindés.

“ Il ne faudrait pas que l’espace public se réduise à l’espace qui reste entre des enceintes sécurisées ”, s’exclame l’adepte de l’“ architecture défendable ” cité plus haut. C’est pourtant déjà largement le cas dans les centres-villes et les quartiers commerciaux. La vogue idéologique dont jouit actuellement la thématique l’espace public, la rhétorique euphorique qui accompagne chacun des aménagements dont il fait l’objet, célébrant la “ renaissance urbaine ” et le “ retour de l’urbanité ”, ne sauraient, en effet, suffire à dissimuler le fait que le domaine public change peu à peu de caractère pour s’apparenter, dans son aspect comme dans son usage, au domaine privé. Entre les galeries marchandes, les “ piazzas ” ou les “ atriums ” des mégacomplexes commerciaux et autres “ shoppings malls ” édifiés à l’initiative de la promotion privée, et les rues “ piétonnisée ”, les places “ requalifiées ” sous l’égide des pouvoirs publics, la différence tend à s’estomper. La plupart du temps, en effet, le citadin est y réduit au statut de consommateur, ce qui exclue tous ceux qui, faute de moyens, ne peuvent prétendre à un tel statut et dont la présence en de tels endroits apparaîtra, dès lors, incongrue. Des activités gratuites qui se déroulaient dans le domaine public ont été ainsi peu à peu remplacées par des loisirs, des distractions, des services payants dans des lieux spécialisés accessibles au public mais étroitement surveillés. “ L’environnement construit contemporain contient de moins en moins d’espaces publics porteur de sens, et l’espace public existant est de plus en plus contrôlé par toutes sortes de dispositifs de surveillance et de plus en plus investi par des significations d’ordre privé. ” (Ellin N, 1997)

Il fut pourtant une époque où les rues, les boulevards, les places, les parcs étaient perçus et vécus comme autant de lieux de convivialité entre les groupes sociaux. Certains espaces urbains de qualité étaient alors conçus comme des sortes de soupapes de sûreté pour que les tensions opposant les classes et les ethnies puissent s’atténuer, pour que les uns et les autres se côtoient, à défaut de se mélanger, autour de loisirs et de plaisirs communs. De nos jours, en revanche, “ cette vision réformiste des espaces publics comme émollients de la lutte des classes, voire comme fondements de la polis, apparaît tout aussi obsolète que les panacées keynésiennes pour le plein emploi “. (Davis M, 1997). Avec leurs bibliothèques, leurs médiathèques, leurs musées, leurs auditoriums, leurs palais des congrès, leurs boutiques “ haut de gamme ” et leurs lieux de restauration “ différents ”, les quartiers rénovés ou “ réhabilités ” du centre sont de plus en plus sélectifs et exclusifs. Fréquentés en majorité par la bourgeoisie, grande ou petite, ils sont interdits de facto, sinon de jure, aux couches populaires.

Espaces voués principalement à la circulation des hommes... et des marchandises, les espaces publics sont, eux aussi “ sécurisés : disparition ou modification des bancs publics, susceptibles d’encourager le séjour d’individus indésirables (clochards, zonards, ivrognes, mendiants...) au profit d’un mobilier urbain d ’“ avant-garde ” d’abord destiné à orienter et canaliser les flux; multiplication des passages, des passerelles et des escaliers roulants fonctionnant comme filtres à l’égard des rues populaires voisines; mise en place, sous couvert d’“ embellissement ”, de bacs à fleurs, de fontaines et d’escaliers à l’entrée des voies commerciales pour éviter l’irruption soudaine de véhicules “ suspects ”...

À Montpellier, par exemple, des barres circulaires ont été scellées sur les bordures en pierre des massifs ou les margelles des fontaines à des fins qui ne sont pas seulement décoratives : leur angulosité dissuade le tout-venant de venir s’y asseoir. Les seuls sièges mis à la disposition du public avec profusion sont ceux, payants, des terrasses de café. Place de la Comédie, les célèbres « Trois Grâces » ne pouvaient souffrir plus longtemps de la promiscuité peu ragoûtante de punks dépenaillés accompagnés de chiens bruyants qui y avaient établi leurs quartiers. Sous couvert, une fois de plus, d’embellissement, le bassin et les marches qui l’entouraient ont été remplacés par un gracieux éboulis de pierres où l’eau dégouline en permanence, obligeant la “ zone “ à déménager à quelques pas de là. À Lyon, sur la place des Terreaux, ce sont des jets d’eau et des jeux d’eau intermittents qui se chargent de “ nettoyer ” la place, méthode plus raffinée et plus discrète que les arrosages aléatoires dont font l’objet les marches du patio du Forum des Halles à Paris, pour chasser les “ sangsues ” venues de banlieues qui s’y étaient incrustés.

À tous ces dispositifs ornementaux à vocation disciplinaire s’ajoute la prolifération dans les lieux publics des caméras de vidéosurveillance et des agents du contrôle social : policiers, militaires, vigiles, gardiens, mais aussi jeunes gens sans emploi ni qualification recrutés comme auxiliaires des forces de l’ordre officielles sous les labels les plus fantaisistes (“ adjoints de sécurité ”, “ agents locaux de médiation sociale ”, “ agents d’ambiance ”, “ correspondants de nuit ”, etc.). Dans la capitale, à peine élus, les édiles “ de gauche ” ont entrepris de “ requalifier ” certaines artères, reconnues mal famées au cours de “ parcours exploratoires ” nocturnes dûment médiatisés, pour les convertir en “ espaces civilisés ”. Pour les prémunir contre quelle barbarie, sinon celle venue d’ailleurs, c’est-à-dire des “ banlieues ”, proches ou lointaines de l’humanité.

L’espace public tend ainsi à devenir un espace policé placé sous le signe d’une urbanité placée elle-même sous le signe de la sécurité. La publicité, envahissante, elle aussi, avec ses affiches colorées, ses enseignes lumineuses et ses panneaux électroniques, suffira-t-elle à le faire oublier? Ne vient-elle pas, plutôt, corroborer l’hypothèse de sa privatisation, à l’image de la « rue des Marques », à Eurodisney? Sous la baguette magique des architectes et décorateurs, l’allée centrale d’un centre commercial s’y est transmuée en une grand’rue de village francilien aseptisée et sécurisée où le client est d’autant plus roi que le déviant en a été banni.

Selon l’un des aménageurs attelés à la mise en place de l’espace défendable “ à la française ”, “ l’émergence de la notion de sécurité transforme ainsi la logique spatiale des opérations urbaines d’après-guerre, tant dans ses buts stratégiques, ses organisations que dans ses découpages de l’espace. ” (Landauer P, 1996) Il aurait pu quand même préciser que l ’“ après-guerre ” à laquelle il faisait allusion renvoyait à la seconde guerre mondiale. Car, l’enrôlement des architectes et des urbanistes dans la “ lutte contre l’insécurité ”, un demi-siècle plus tard, ne faisait que marquer une étape supplémentaire dans la guerre, civile, cette fois-ci, d’un nouveau genre, engagée subrepticement contre les classes dominées depuis déjà une bonne vingtaine d’années, avec la mise en place d’un nouveau modèle d’accumulation du capital fondé sur la “ flexibilisation ” du marché du travail et le démantèlement de l’“ État social ” (welfare state).

L’aggravation de la précarisation, en France comme ailleurs, des conditions de vie des couches populaires ne pourra que conforter, parmi les habitantes plus aisées des métropoles, le désir de séparation et le souci de protection à l’encontre du reste de la population. Dans une société de plus en plus inégale, en effet, la diversification croissante des catégories sociales va de pair, désormais, avec une division accrue entre elles. Faute d’une remise en cause de la structure la société globale, il est peu probable que la Cité puisse redevenir une “ communauté ”. Au contraire, des murs, clôtures et des barrières de toutes sortes, matérielles ou virtuelles, visibles ou invisibles, continueront de s’élever entre les nantis, réfugiés dans des enclaves huppées autosurveillées, et les démunis, cantonnés dans des zones de relégation hyper-contrôlées. Dans les unes, Big Brother veillera sur les habitants; dans les autres, il les surveillera.

Pour s’en convaincre, citons la remarque désenchantée qu’inspire au sociologue Zygmunt Bauman cette apparition, au sein de la “ civilisation urbaine ”, de ce qui pourrait bien préfigurer une forme inédite de barbarie (Baumann Z, 1999) : “ La ville, qui fut construite à l’origine pour des raisons de sécurité — pour protéger les habitants à l’intérieur des murs de la cité contre des ennemis faisant toujours irruption de l’extérieur — est, à notre époque post-moderne, associée plus au danger qu’à la sécurité. Les “peurs urbaines” contemporaines, contrairement à celles qui entraînèrent autrefois la construction des villes, prennent pour objet l’“ennemi intérieur”. Cette forme de peur engendre moins une inquiétude quant au sort de la cité en tant que telle — conçue par ses habitants comme une propriété collective et une garantie de sécurité individuelle —, qu’elle conduit chacun à isoler et protéger sa propre demeure à l’intérieur de la cité. Les murs autrefois construits autour de la ville la parcourent maintenant en tout sens, sous forme de dispositifs plus ou moins visibles dirigés non plus contre des envahisseurs éventuels, mais contre des citadins indésirables. ”

À titre de conclusion provisoire, on peut avancer que l ’“ espace défendable ” s’avère plutôt indéfendable. D’abord, parce que s’il peut dresser des obstacles physiques aux agissements délinquants les plus courants, l’expérience prouve que des agresseurs décidés, expérimentés et organisés sauront toujours les surmonter, à plus forte raison si les criminels sont eux-mêmes issus les milieux “ protégés“, comme l’on prouvé quelques “ faits divers ” récents. Ensuite, si certaines personnes peuvent se sentir quelque peu rassurées par un tel environnement, celui-ci contribue en même temps, par l’ambiance paranoïde qu’il crée, à entretenir voire à accentuer le sentiment général d’insécurité et de méfiance qui prévaut de nos jours. Enfin et surtout, parce que, sauf à considérer les formes architecturales et urbaines comme des éléments autonomes qui, par leur logique propre, auraient le pouvoir d’engendrer ou de modifier les pratiques sociales, “ l’engagement à construire une communauté véritable va bien au-delà de la brique et du mortier ” (Blakely E, Snyder M G, 1997).

Sans doute est-il logique que, ne maîtrisant ni les conditions générales qui favorisent le développement des violences et des incivilités dans l’espace urbain, ni celles qui produisent la demande sécuritaire, l’action des pouvoirs publics et la réflexion des experts qui les conseillent tendent à se rabattre sur l’organisation et l’aménagement du cadre bâti. Mais toute démarche qui prétend résoudre des problèmes sociaux en les réduisant à une question de forme urbaine est vouée à l’échec : le fait qu’ils surgissent dans la ville n’implique pas qu’ils proviennent de la ville. Comme le soulignait le sociologue Pierre Bourdieu, “ l’essentiel de ce qui se vit et se voit sur le terrain, c’est-à-dire les évidences les plus frappantes et les expériences les plus dramatiques a leur principe tout à fait ailleurs. ” (Bourdieu P, 1993) Cet “ ailleurs ”, qui se trouve à la fois nulle part et partout, n’est autre que le capitalisme “ global ”. Défendre le bien-fondé d’un “ espace défendable ” ne reviendrait-il pas, dès lors, à défendre le système social, de moins en moins défendable aux plans éthique et politique, qu’il vise illusoirement à pérenniser ?

___________________________


Notes

1 À nos yeux, un minimum d’égalité sociale constituerait un meilleur garant.
2 Terme polysémique, le mot “ cité ” désigne ici un groupe d’immeubles, doté ou non d’équipements collectifs, construits à l’initiative des pouvoirs publics et destinés aux fractions les plus dominées des classes dominées.


Edité le 11-10-2016 à 13:49:46 par Xuan


Xuan
   Posté le 11-10-2016 à 13:46:34   

A télécharger sur internet :

F. Engels, la question du logement