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Xuan
Alger, 1947 (2). Pierre Ghenassia dit « El Hadj » (1939-1957)




22 février 2016 P.-J. Le Foll-Luciani

De la photographie familiale dans une rue d’Alger en 1947 à celle sur une plage de Ténès durant l’été 1956, le visage rieur du petit garçon au ballon est resté le même. Quelques semaines après cette journée de baignade, en novembre 1956, Pierre Ghenassia rejoindra un maquis de l’Armée de libération nationale (ALN). Il y mourra trois mois plus tard dans une attaque de l’armée française, le 22 février 1957, à l’âge de 17 ans.


Ténès, 1956. Pierre Ghenassia (à droite) et son cousin Jean-Pierre Saïd.

« Pierrot » est né le 24 juillet 1939 à Ténès, d’un père fonctionnaire des impôts et d’une mère bijoutière. Après son passage au maquis, les services de renseignements français présenteront ses parents, Roger Ghenassia et Odette Bensaïd, comme des militants du Parti communiste algérien (PCA). En réalité, si Roger Ghenassia a rejoint les Forces françaises libres après le débarquement anglo-américain de novembre 1942 par antifascisme, les parents Ghenassia ne sont pas politisés. Mais comme bien d’autres juifs de la petite commune de Ténès, sa famille a de bonnes relations avec son entourage musulman. Surtout, le jeune Pierre est influencé par des discussions avec son voisin communiste, le docteur Jean Massebœuf, et avec son cousin Jean-Pierre Saïd, de six ans son aîné et passé au début des années 1950 de l’anarchisme au communisme. Dans une note lapidaire, les Renseignements généraux (RG) affirmeront ainsi en juillet 1959 que Pierre Ghenassia était « de sentiments communistes notoires, manifestant ouvertement ses sentiments malgré son jeune âge ».

Plus qu’un communiste – il n’a jamais été adhérent du PCA –, Pierre Ghenassia est un anticolonialiste. Et lorsqu’il quitte Ténès pour l’internat du lycée Bugeaud d’Alger, il évolue dans des cercles de jeunes nationalistes et de jeunes communistes radicalisés par l’insurrection déclenchée en novembre 1954. Membre de la délégation algérienne du Festival mondial de la jeunesse de Varsovie à l’été 1955, il fréquente fin 1955-début 1956 des communistes algérois engagés dans la lutte armée, comme Abdelkader Choukal et Georges Marcelli. Avec son cousin Jean-Pierre Saïd, il dépose dans un lieu de Ténès fréquenté par des militaires des exemplaires de La Voix des soldats, journal clandestin du PCA adressé aux troupes françaises. Et quand l’Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA) déclenche en mai 1956 une grève illimitée des cours et des examens, il déserte le lycée Bugeaud comme de nombreux jeunes qui iront grossir les maquis de l’ALN.


Pierre Ghenassia vers 1956 .

C’est sans doute en novembre 1956, au moment de la fête juive de Hanouka – qui lui sert de prétexte pour quitter sa famille afin, dit-il, de se procurer de la viande casher dans une commune voisine –, qu’il gagne le maquis. Les RG, qui pensent en juillet 1959 qu’il est dans un maquis de la Wilaya V, inscrivent dans la rubrique « emploi dans la rébellion » : « De constitution fragile, sa fonction exacte dans l’ALN n’a pu être déterminée ». Sans doute d’abord monté dans un maquis de la région de Ténès par l’intermédiaire de réseaux communistes, il rejoint la Wilaya IV, où il remplit plusieurs fonctions, dont celle d’infirmier. Son chef, le commandant de l’ALN Si Azzedine, écrira en 1976 :

Parmi [les infirmiers et médecins], l’une des figures les plus attachantes fut celle de notre infirmier zonal, Hadj. Nous l’appelions ainsi, mais son vrai nom était Ganacia (sic). Il était israélite, parlait très bien l’arabe. Pour tous ceux qui tiennent comme un fait établi le prétendu antagonisme de nos origines religieuses, je voudrais qu’on le sache : Hadj est mort, refusant d’abandonner ses blessés. C’était un frère et nous l’avons pleuré. À Boukren, il sauva Boualem Oussedik de la gangrène. […] Hadj est mort à Tiberguent, en défendant une infirmerie et les blessés dont il avait la responsabilité.[1]

Comme dans les tracts de l’ALN adressés aux juifs algériens au sein desquels Pierre Ghenassia est honoré dès 1957 comme un exemple à suivre, le commandant Azzedine insiste sur la judéité du jeune homme, tant il a conscience d’être face à un exemple exceptionnel – si ce n’est unique. Il met aussi l’accent sur son arabité – ce que divers hommages feront par la suite en nommant sa mère Odette par son second prénom, Nedjma –, et plus généralement sur son algérianité. Cette triple insistance prend tout son sens lorsque l’on sait qu’une rue de Ténès baptisée de son nom à l’indépendance sera cyniquement renommée Al Qods (Jérusalem) dans les années 1990. Et si l’on ne sait rien du rapport de Pierre Ghenassia à la judéité, la dernière des trois lettres qu’il a pu adresser à ses parents du maquis, le 3 février 1957, est celle d’un jeune homme qui se considère de toute évidence comme un Algérien :

Le 3 février 1957
Chers Parents
J’emprunte cette fois ci l’organisation du maquis pour vous faire parvenir de mes nouvelles qui sont excellentes. En ce moment je me remets très vite dans une infirmerie d’une petite affection intestinale. Je vais déjà très bien. Cela fait déjà trois mois que je vous ai quittés et je n’ai pas vu le temps passer. Bien des aventures me sont arrivées mais celles-ci je me réserve de vous les conter après l’indépendance In challah.

Je milite depuis au milieu de millier de jeunes qui comme moi ont rejoint le maquis et dans un magnifique élan d’enthousiasme tendent tout leur être vers la réalisation de leur idéal. Un véritable esprit Révolutionnaire existe et nous marchons infailliblement vers la liberté. Je suis pour le moment assez loin de vous mais je pense peut être revenir dans nos parages. Et vous comment allez-vous ? Anne-Marie travaille-t-elle toujours aussi bien en classe. Et la 203 se porte-elle toujours aussi bien.

Nous avons ici un excellent moral car nous sommes sûrs en considérant tous les symptômes politiques que l’issue est proche. J’ai été affecté au service de presse de la wilaya et j’ai dernièrement fait, armé d’un appareil de photos, une enquête sur les atrocités des Nazis Français dans un douar particulièrement éprouvé. J’en été écœuré.
« Ici vois-tu l’on sue et l’on crève » comme dit la chanson. On ne se lave pas souvent non plus et on a des poux : mais cela fait rien on a tout accepté. J’ai appris par les journaux que l’organisation de Tenes avait été décapitée. J’ai fui à temps.
Bon je crois que je vous ai assez rassuré comme cela. Je vous quitte en vous embrassant affectueusement.

A bientôt dans une Algérie libre et indépendante.
Pierre – dit « El Hadj ».[2]



Cette lettre témoigne de l’enthousiasme révolutionnaire qui anime ce jeune homme de 17 ans, tant dans la perspective de son idéal – « une Algérie libre et indépendante » – qu’au regard de ce qu’il vit au maquis.
La mise en avant de son pseudonyme, « El Hadj » – marqueur de dignité pour les musulmans, dont on ne sait s’il se l’est choisi ou s’il lui a été attribué –, et l’utilisation de la formule « inch’Allah » marquent la communauté de destin avec ses frères d’armes.
Mais il est également frappant de voir combien la Seconde Guerre mondiale – que le jeune homme n’a pas vécue, mais que son père lui a sans doute racontée – est au cœur de ses représentations : aux « Nazis Français » s’opposent dans sa lettre les partisans, dont Pierre Ghenassia restitue des paroles du chant de 1943, hymne à la violence des résistants français qui lui vient à l’esprit lorsqu’il doit évoquer sa propre vie au maquis.

Dès 1957, les parents et la sœur de Pierre Ghenassia doivent fuir l’Algérie afin d’éviter les vengeances d’Européens qui les menacent de mort. Jusqu’aux premiers temps de l’indépendance, le sort de leur fils demeure toutefois incertain pour eux, du fait de rumeurs sur sa survie dont certaines ont probablement été lancées de manière malveillante auprès de la famille par des « ultras » de l’Algérie française.
« Si j’avais su qu’il était tombé, je l’aurais remplacé », aurait déclaré son père quelques années plus tard.

[1] Si Azzedine, On nous appelait fellaghas , Paris, Stock, 1976, p. 134.
[2] Lettre manuscrite de Pierre Ghenassia à ses parents, 3 février 1957 (archives personnelles de Jean-Pierre Saïd). L’orthographe est d’origine.
 
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