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Finimore
Xuan a écrit :

Les révisionnistes boivent du petit lait en lisant les « analyses » de Michael Christofferson.


Il est évident l'analyse de Christofferson ne peut que justifier la ligne révisionniste du P"C"F.

Xuan a écrit :

La critique des intellectuels anti-autoritaires par Christofferson ne met pas en cause un instant la ligne révisionniste du P«C»F.


En effet c'est d'ailleurs ce point déterminant qui domine dans son livre, même si certaines analyses critiques de l'antitotalitarisme peuvent être justes. Face aux thèses de Glucksmann, BHL, Furet... certaines positions du P"C"F, de Marchais, du P"C"P de Cunhal, de l'URSS de Brejnev peuvent évidemment paraîtrent "léniniste" seulement, et c'est là que Chritofferson a tout faux, car les communistes marxistes-léninistes de l'époque faisaient très justement la distinction entre l'anticommunisme et l'antirévisionnisme (que ce soit dans la critique de l'URSS social-impérialiste, du P"C"P ou de Soljénitsyne).
Xuan
Les révisionnistes boivent du petit lait en lisant les « analyses » de Michael Christofferson.

Cependant Christofferson juge les luttes idéologiques en France à travers les lunettes de l'intelligentsia américaine, tout aussi étrangères au matérialisme dialectique que les belles histoires de Mazauric.

Peut-on mettre l’effondrement du P«C»F sur le dos des intellectuels de gauche reconvertis au libéralisme ?

La critique des intellectuels anti-autoritaires par Christofferson ne met pas en cause un instant la ligne révisionniste du P«C»F.
Cette ligne bourgeoise n’a-t-elle pas ruiné la confiance de la classe ouvrière dans ce qui était son parti ?
Pourquoi de nombreux ouvriers ont-il déserté les rangs du parti révisionniste et se sont-ils tournés vers le fascisme s’il ne s’agissait que du problème des intellectuels anti-autoritaires ?
En réalité c’est l’échec de l’électoralisme et l’effondrement du social-impérialisme qui ont provoqué cette brutale désaffection, et non les écrits de quelques intellectuels ignorés des masses.

Bien entendu, le gauchisme et les conceptions anti-autoritaires ont entravé la lutte entre la ligne marxiste-léniniste et le révisionnisme moderne. La construction d’un nouveau parti communiste a subi un cuisant revers et a été compromise pour de longues années.

Michael Christofferson prétend que :
« On peut dire que le soutien appuyé par le Parti communiste français à son homologue léniniste portugais et sa réponse ambiguë aux atteints à la liberté de l’expression au nom de la Révolution portugaise faisaient problème. »
Or ni les révisionnistes français ni les révisionnistes portugais n’étaient léninistes lors de la « révolution des œillets », et ce depuis de longues années.
La bourgeoisie et les intellectuels anti-totalitaires font volontiers leur deuil des « atteintes à la liberté d’expression » , quand ils n’en sont pas eux-mêmes responsables, si cela répond à leurs intérêts.
Il ne s’agissait donc nullement d’un combat contre les « atteintes à la liberté d’expression » mais du combat de l’impérialisme français et de l’impérialisme européen contre l’hégémonisme russe.
Ce combat avait pour objectif la défaite et le démantèlement total de cet empire. On en observe encore les derniers soubresauts.

La bourgeoisie française a pu imposer ses propres intérêts dans sa lutte contre le parti révisionniste et l’hégémonisme russe. Les intellectuels anti-autoritaires ou anti-totalitaires sont venus apporter aux socialos et à l’impérialisme français les concepts et les théories nécessaires pour cela.
Mais la première cause de cette défaite réside dans les contradictions internes de l’hégémonisme russe, dans les rapports de domination établis avec les pays du COMECON et dans les contradictions propres à ces pays, et non dans les manœuvres des anti-totalitaires .

Nous ne devons pas regretter la fin du social-impérialisme russe, ni la déroute électorale du P«C»F. Nous ne devons pas laisser s’infiltrer la confusion sur la nature bourgeoise du parti révisionniste. En apparence il soutient les luttes populaires. En réalité, il les sacrifie à ses ambitions électorales.

En revanche nous devons combattre l’antitotalitarisme , qui sert de couverture au totalitarisme bourgeois. Face à lui, nous devons dénoncer la dictature du Capital et brandir le drapeau de la dictature du prolétariat.
Face aux thèses anti-autoritaires , nous devons défendre la conception léniniste du parti prolétarien, fondée sur le centralisme démocratique.
Ni révisionnisme ni gauchisme.
Finimore
Lu sur le site de l'huma : http://www.humanite.fr/2009-10-09_Idees-Tribune-libre-Histoire_Aux-sources-de-la-droitisation-de-l

Idées - Tribune libre - Histoire - Article paru
le 9 octobre 2009

idées

Aux sources de la droitisation de l’intelligentsia française
Une relecture historique majeure de la notion de totalitarisme dans les années 1970 et de son instrumentalisation politique.
Les intellectuels contre la gauche. L’idéologie antitotalitaire en France (1968-1981), de Michael Scott Christofferson, traduit de l’anglais par André Merlot, préface de Philippe Olivera. Éditions Agone, 2009, 448 pages, 25 euros.

Voilà un grand livre, primitivement publié en 2004, enfin traduit en français et qui va causer beaucoup d’émoi chez nombre d’anciens gauchistes et pas mal d’actuels hiérarques, ci-devant de « gauche », aujourd’hui ralliés à toutes les variétés de libéralisme, de néolibéralisme, de sarkozysme, de pseudo-socialisme, bref qui ont fait retour dans le bercail capitaliste. On ne saurait évidemment en quelques mots rapporter à une simple épure le fruit d’une enquête aussi approfondie et qui redresse tant de lieux communs. Mais ce que le livre démontre pas à pas, à travers une initiale comparaison du cas français (surtout parisien) avec celui d’autres principaux pays d’Europe, est d’une importance capitale pour comprendre l’état actuel de l’opinion politique française. On y voit comment, à la suite de l’usage de la catégorie de l’antitotalitarisme qui fit florès entre 1956 et 1970, beaucoup d’intellectuels français se sont engagés dans un combat systématique contre les communistes qui avaient la faveur de beaucoup d’entre eux depuis la Libération, en prenant appui sur les errements commis dans les pays soumis au modèle soviétique, précisément au moment critique où celui-ci montrait son maximum d’obsolescence. De 1968 à 1981, l’intelligentsia française la plus en vue (les clercs) a donc réuni tout un arsenal idéologique, puisant à gauche et à droite les matériaux de son argumentaire, lequel a préparé la défaite des idéaux théoriques fondateurs de la gauche et du socialisme.

Cette défaite a préparé la révolution conservatrice, finalement victorieuse à la fin du siècle. Le rappel de ce schéma, que d’autres auteurs avaient déjà imaginé, ne rend cependant pas compte de la richesse concrète et de la subtilité du livre de Christofferson. Historien pragmatique, scrupuleux, sans préjugés comme on l’est si souvent sur les campus américains, l’auteur est parti d’une interrogation simple : quels sont la portée du concept d’antitotalitarisme, son origine, ses effets idéologiques et politiques ? Qui l’a introduit en France dans le champ de l’opinion, quand, à quelles fins, avec quelle acception éventuellement changeante ? Pour répondre à ces questions, l’auteur, brillant élève de Robert Paxton, a dépouillé une immense littérature, la presse, les hebdomadaires (Le Nouvel Observateur…), les revues (Esprit, Les Temps modernes…), exploité les ouvrages des mémorialistes, lu des quantités d’essais, de discours, de justifications, de pamphlets, toute une littérature, américaine, française, cosmopolite.

Le résultat de sa synthèse est saisissant. D’abord, des figures de proue apparaissent, Merleau-Ponty, Sartre évidemment, saisi successivement dans toutes ses contradictions vivantes, Lefort, Jean-Marie Domenach, Jacques Juillard, Foucault, les nouveaux philosophes, les maoïstes, les tiers-mondistes, les porte-parole des diverses variantes du gauchisme universitaire, d’autres encore, Jean Daniel émergeant en frégoli disert au milieu de cette mêlée… Mais c’est la figure quasi terminale de François Furet, dont Christofferson avait déjà traité dans un article de la revue French Historical Studies, qui finit par révéler l’origine du prétendu mal français : la survie dans l’inconscient national du message de la Révolution française et de ses illusoires dérapages populaires. Furet devient ainsi l’opérateur ultime de cette marche à la contre-révolution du XXe siècle : laquelle n’a pu s’imposer dans l’opinion qu’en raison du fait que la plupart de ses initiateurs venaient précisément de la gauche, même la plus radicale. Naturellement, le livre fera débat.

Deux questions immédiates. Premièrement, peut-on imputer ce basculement de fond, qui a touché tout l’Occident et l’Europe dans la seconde moitié du XXe siècle, à la seule responsabilité des intellectuels, notamment français ? En second lieu, ne majore-t-on pas la profondeur de l’adhésion initiale des « intellectuels » les plus en vue au communisme et à la gauche ? Étaient-ils majoritairement si détachés qu’on le dit de toutes les formes de corruption matérielles, intellectuelles et morales que procure une société de classe particulièrement intégratrice ? Vastes problèmes, que le livre impitoyable de Christofferson conduira peut-être à discuter.

Claude Mazauric, historien
Finimore
lus sur http://atheles.org/agone/contrefeux/lesintellectuelscontrelagauche/index.html

L'anti-anti-totalitarisme

French Intellectuals against the Left [Des Intellectuels français contre la gauche] prend pour point de départ le constat d’un troublant anachronisme : au milieu des années 1970, le concept de totalitarisme, qui ailleurs dans le monde était tombé en désuétude, en est venu à dominer la vie intellectuelle française, pour finir par liquider l’élan radical de mai 68, inaugurer un nouveau Thermidor et faire de Paris cette « capitale de la réaction européenne » que Perry Anderson a fustigée dans un article célèbre.

Christofferson a le mérite d’écarter deux approches complémentaires qui ont longtemps obscurci la compréhension de ce moment critique : d’une part, celle qui, considérant les difficultés de la France à faire siennes les vertus flegmatiques de la société civile anglo-saxonne, avance que « le moment antitotalitaire » s’explique par la nécessité de combler son retard et de se mettre à l’école du libéralisme, seul modèle permettant de penser de manière raisonnable l’articulation de la liberté et de l’égalité (la fraternité n’a, dans cette perspective, pas de place) ; d’autre part, la tendance des promoteurs de l’antitotalitarisme, comme d’ailleurs de ses critiques, à accepter sans autre forme de procès le récit de leur engagement élaboré par ses acteurs. Ce « mythe des origines de l’antitotalitarisme » est démantelé avec efficacité par Christofferson, notamment dans sa méticuleuse reconstitution de l’affaire Soljenitsyne.

Dans les chapitres de son livre qui traitent des vicissitudes de la politique révolutionnaire française – chapitres qui portent en particulier sur le rôle de L’Archipel du Goulag, des débats soulevés par l’Union de la gauche, de la référence à la dissidence, de François Furet et de l’émergence des nouveaux philosophes–, soucieux de contrecarrer aussi bien l’insuffisance et la partialité de la comparaison avec la Grande-Bretagne et les États-Unis que les errements du récit de leur engagement par les acteurs du moment antitotalitaire, Christofferson combine deux axes d’investigation : d’une part, un regard longitudinal sur les événements et les initiatives qui ont conduit des intellectuels révolutionnaires à abandonner leurs sympathies socialistes au profit d’un anticommunisme obsessionnel ; d’autre part, une enquête conjoncturelle visant à déterminer comment une pluralité d’attitudes et de points de vue en sont venus à se cristalliser, autour de la période qui va de 1975 à 1978, dans ce « moment antitotalitaire », alors qu’une possible victoire électorale de la gauche rendait envisageable la constitution d’un gouvernement auquel le Parti communiste français aurait été associé.

À première vue, le titre du livre semble faire référence à un groupe d’intellectuels centristes ou de droite. Son sens est en réalité rétroactif : comment et pourquoi des intellectuels, affiliés à l’origine à des projets d’émancipation révolutionnaires, en vinrent à élaborer et à soutenir des positions qui, pour exorciser le supposé péril représenté par le PCF, dissocièrent la liberté du socialisme et jetèrent les bases d’une politique conformiste du « moindre mal » ?

Une des lignes d’analyse les plus fructueuses développées dans French Intellectuals against the Left pour répondre à cette question consiste à souligner le rôle joué dans la formation du front antitotalitaire par le thème de la démocratie directe. Alimentée par le trotskisme hétérodoxe de Socialisme ou barbarieet le souvenir du conseillisme, exacerbée par la répression de l’insurrection hongroise de 1956, l’idée de démocratie directe devint, notamment parce qu’elle permettait de faire le lien entre les méfaits du pouvoir communiste à l’intérieur et à l’extérieur de la France, un moyen privilégié d’attaquer le PCF sur sa gauche (tâche qui n’était cependant pas si difficile, étant donné la collusion passive de ce parti avec l’oppression coloniale en Algérie). Dans les années 1970, le thème de la démocratie directe, débarrassé de sa dimension insurrectionnelle et réinterprété dans un lexique autogestionnaire, a continué à jouer ce rôle ; il est alors devenu un élément essentiel de la campagne idéologique du Parti socialiste pour acquérir une position hégémonique au sein de l’Union de la gauche – venant même occuper le devant de la scène aux Assises de 1974, lors desquelles la gauche anticommuniste chercha à prendre le parti, sans cependant parvenir à contrer les menées beaucoup plus terre-à-terre de François Mitterrand.

L’attention portée par Christofferson à l’amalgame opéré entre le thème de la démocratie directe et le maoïsme de la Gauche prolétarienne est tout aussi intéressante. Née de l’émergence inespérée du marxisme-léninisme au sein de la gauche étudiante, mais liée à la Révolution culturelle par les liens les plus imaginaires, la combinaison mise en place par la GP entre « populisme, volontarisme et spontanéisme », en même temps qu’elle produisait une idéologie éclectique aux liens plus que ténus avec le marxisme, servit d’intercesseur entre l’esprit subversif de mai 68 et la Restauration qui suivit. La façon dont, entre autres, Bénny Lévy (alias Pierre Victor) et André Glucksmann privilégièrent les actions exemplaires et les slogans tapageurs inaugura un nouveau mode de relation avec les médias qui caractérisera plus tard la figure de l’intellectuel antitotalitaire. Qui plus est, comme l’indique Christofferson, la GP fournit à d’éminentes figures radicales, à savoir Foucault et Sartre, un référent organisationnel à la fois violemment anti-PCF et suffisamment radical par son idéologie gauchiste. S’agissant de Foucault, l’hyperpopulisme de la GP lui fournit le moyen de couper court aux ambiguïtés qui entouraient son discours sur le pouvoir et sur la subjectivité politique, au profit d’un libertarisme anticommuniste plébéien encore palpable dans son analyse de la révolution iranienne. Plus tard, Foucault, paré de sa respectabilité radicale, s’est en en quelque sorte acquitté de la dette ainsi contractée en légitimant publiquement l’antimarxisme virulent de Glucksmann et en jouant le rôle d’accoucheur des nouveaux philosophes quand ceux-ci firent leur entrée en scène.

Retracer la généalogie discontinue du thème de la démocratie directe – que Christofferson débusque dans les écrits de Castoriadis et de Lefort (pendant et après Socialisme ou barbarie), les interventions stratégiques de la revue Esprit et la création du journal Libération – est certainement essentiel pour comprendre pourquoi les termes dans lesquels a été articulé l’antitotalitarisme français ne pouvaient qu’être le produit d’un discours mêlant moralisme vertueux de l’action politique, libertarisme radical – et radicalement vague – sur le plan organisationnel et suspicion constante envers toutes les formes musclées de pouvoir politique. En bref, le moment antitotalitaire fut préparé par la longue durée de l’antiléninisme.

Sur ce point, on pourrait faire au récit de Christofferson deux reproches, pendants peut-être nécessaires de ce qui fait la force de son livre : la façon très convaincante dont, en s’appuyant sur de multiples sources et archives exploitées avec rigueur, il décrit l’émergence de l’antitotalitarisme à partir des vicissitudes d’une idéologie politique (celle de la démocratie directe) et d’un combat politique particulier (contre l’hégémonie du PCF à gauche). Premièrement, parce qu’il s’attache presque exclusivement aux débats strictement politiques sur la démocratie, Christofferson, bien qu’il y fasse allusion, ne parvient pas à intégrer à sa description de la montée de l’antitotalitarisme le débat sociologique sur « le nouveau prolétariat » et « les nouveaux mouvements sociaux » apparu dans le sillage de Mai 68. Autrement dit, en retraçant l’histoire politique interne du phénomène, il est amené à laisser de côté la corrélation existant entre ce moment idéologique et le terrain changeant de la société et du capitalisme français – alors même que les transformations de l’organisation du travail et de la composition des classes ont joué un rôle décisif dans l’émergence à la gauche du PS du thème de l’autogestion. Deuxièmement, l’accent mis par Christofferson sur la trahison finale des aspirations à la démocratie directe avec l’arrivée des nouveaux philosophes et l’histoire révisionniste de la Révolution française de Furet, quoique méthodologiquement justifié, contribue à effacer du tableau d’autres courants de pensée antistaliniens qui n’ont pas mêlé leur voix au choeur de l’antitotalitarisme. Christofferson s’intéresse en effet peu aux critiques aiguës et systématiques du stalinisme portées par une gauche léniniste d’inspiration trotskiste que Birchall a quant à lui abondamment dépeint dans Sartre against Stalinism. De même, il ne dit pas grand-chose de l’antiléninisme des situationnistes, dont les interventions en Mai 68 étaient imprégnées de la tradition du communisme conseilliste et dont la conception de la démocratie directe était bien plus convaincante et radicale que celle de la plupart des promoteurs de l’antitotalitarisme. Dans un autre registre, si Christofferson met bien en évidence l’importance de la Critique de la raison dialectique dans l’effort pour parvenir à la formulation d’une solution spéculative au problème de la relation entre libération subjective et émancipation sociale, l’influence et la force de cette tentative restent inexplorées. Parfois, en particulier quand il évoque la faiblesse supposée de la critique de gauche de l’antitotalitarisme issue d’autres rangs que ceux du PCF, Christofferson semble mesurer la force de l’opposition à la jauge même que privilégiaient les antitotalitaires : la couverture médiatique. Le fait que des positions de gauche, à distance aussi bien du PCF que des nouveaux philosophes, aient échoué à atteindre la masse critique ne signifie pas que les partisans de l’antitotalitarisme aient eu le dessus dans ce débat polémique. Être capable de détourner à son profit la bande passante ne donne pas nécessairement une position hégémonique durable. D’autre part, les débats internes au PCF – notamment l’implication des althussériens dans la bataille suscitée par l’abandon du concept de dictature du prolétariat – ne sont malheureusement qu’évoqués, en dépit des liens qu’ils entretiennent sans doute avec les positions de la gauche non communiste, liens qu’il aurait été intéressant d’analyser.

Le deuxième axe de l’analyse de Christofferson, une fois décrits les usages et mésusages du thème de la démocratie directe, concerne le rôle catalyseur de la dynamique antitotalitaire joué par le programme commun et le spectre d’une arrivée au pouvoir du PCF. Le caractère anachronique et la pauvreté théorique de l’antitotalitarisme sont dus pour une large part à l’instrumentalisation dont il a été l’objet par ceux qui souhaitaient entraver l’intégration du PCF à l’espace politique légitime. Bien que l’emploi du concept de totalitarisme à l’époque de la guerre froide n’ait jamais été sans arrière-pensées, comme le rappelle Christofferson dans son utile, mais bref examen, de son histoire, il est clair dans le cas français que le recours à ce concept – même quand il se trouvait lié à un plaidoyer pour la dissidence et pour les droits humains dans les pays du Pacte de Varsovie – fut presque toujours et entièrement commandé par des préoccupations relevant de la politique intérieure. Que ce soit sous la guise de la pompeuse téléologie des Lumières de Glucksmann (de Platon à la Kolyma, « penser c’est dominer » ou de la mise à jour, chez Furet, dans une perspective révisionniste, des racines du totalitarisme dans la terreur jacobine, les différentes « théories » du totalitarisme – oublieuses pour la plupart du fascisme et du nazisme – témoignent d’une sorte de narcissisme politique qui a eu pour effet de subordonner l’élaboration de ce concept aux impératifs du calendrier électoral français. Notons au passage que, dans le monde anglophone, la pensée postmarxiste, parce que sa conception de la démocratie trouve son origine dans la vogue antitotalitaire, reste marquée par la pauvreté et le caractère opportuniste de ses origines.

Un des aspects les plus précieux de French Intellectuals against the Left réside dans le soin méticuleux qu’il porte au démontage du « mythe des origines » de l’antitotalitarisme, à travers la description de l’articulation intime entre événements politiques et mobilisation rhétorique des intellectuels. Cela vaut pour «l’effet Goulag» (un examen attentif de la chronologie montre que Soljenitsyne n’a été monumentalisé qu’après l’attaque du PCF contre L’Archipel du Goulag, plus d’un an après la parution du livre), mais aussi pour les nombreux « cas » et « affaires » qui ont impliqué des dissidents d’Europe de l’Est, ou encore, tout particulièrement, pour la manipulation rhétorique des luttes internes à la révolution portugaise de 1975, manipulation dont Christofferson décrit les moments et les ressorts avec une précision admirable et une grande richesse de détails.

Le livre parvient à mêler étroitement dans le récit des événements diverses enquêtes sur les alignements, affiliations et polémiques qui se sont enchevêtrés sur une scène intellectuelle de plus en plus dominée par les médias. Si le caractère exhaustif de ces enquêtes et leur intrication risquent de rebuter les lecteurs qui apprécient les descriptions à grands traits de la critique culturelle, elles sont riches cependant d’une foule de matériaux utiles pour une analyse sociologique, culturelle et politique de l’évolution du rôle et de la figure de l’intellectuel en France au XXe siècle. Christofferson retrace le passage d’une intellectualité organique effacée derrière la bannière du PCF au militantisme polémique pour les droits humains d’intellectuels antitotalitaires dépourvus d’affiliation à quelque mouvement politique que ce soit, mais néanmoins, comme François Furet (dont la biographie par Christofferson doit bientôt paraître), habiles entremetteurs idéologiques et universitaires. «L’intellectuel spécifique» de Foucault pourrait bien être le médiateur évanescent qui permit le passage de l’un à l’autre. Christofferson décrit avec brio l’attirail et les instruments clés de ce nouveau type psychosocial : pétitions, comités, entreprises éditoriales (les liens de Bernard-Henri Lévy et de Grasset sont ici emblématiques), talk-show, journaux (la fondation de Libération), revues (Esprit ou Tel Quel, passée de l’utopie maoïste à la « polytopie » américaine)... Ce tableau rend d’autant plus regrettable le fait que Christofferson n’exploite pas les intuitions du portrait sans concessions des nouveaux philosophes dressé par Deleuze, qui identifie leur fonction politique à la forme nouvelle de leur « intellectualité » plutôt qu’à leurs «thèses» de seconde ou de troisième main.

Ce livre est de toute évidence une ressource indispensable pour tous les historiens de la France et de la vie intellectuelle française au XXe siècle, et pour quiconque s’intéresse à la sociologie politique de l’intellectuel. Sa thèse centrale – selon laquelle les origines politiques du moment antitotalitaire sont à chercher dans la promotion idéologique de la démocratie directe et dans l’opposition au PCF – emporte la conviction et constitue un antidote bienvenu aux nombreuses distorsions qui obscurcissent encore la compréhension de cette transformation décisive de l’espace idéologique et politique français. Il n’est pas possible, en revanche, si l’on souhaite tirer pleinement profit du récit élaboré par Christofferson, de s’en tenir à sa conclusion, qui affirme que la vacuité du moment antitotalitaire est le fruit de « la propension des intellectuels français à universaliser et à idéologiser des débats politiques intérieurs ». Une telle affirmation réserve, de manière tautologique, l’appellation d’intellectuels à ceux qui ont été capables, en tirant parti des profonds changements qui ont affecté la société et l’Université françaises, de se déplacer du terrain de l’engagement à celui des médias de masse. Nous l’avons déjà suggéré, cette thèse ignore la vaste entreprise de démolition infligée à l’antitotalitarisme et aux nouveaux philosophes par des penseurs « de gauche » comme Deleuze, Rancière, Lecourt, Linhart et Badiou. Elle implique aussi une compréhension très étroite de la figure de l’intellectuel. C’est là peut-être un des développements qui font le plus défaut à ce livre : il ne rend pas véritablement compte des tensions et des évolutions qui ont caractérisé cette figure dans l’histoire française contemporaine. Il serait en effet nécessaire – si l’on s’accorde sur le fait que la pratique de l’universalisation définit en un sens l’intellectuel et si l’on s’entend pour reconnaître la dimension conjoncturelle de ses interventions – de prendre acte de la différence entre, d’une part, les postures universalistes insipides et intéressées caractéristiques de la plupart des invocations de la dissidence et des droits humains pendant les années 1970, et, de l’autre, l’effort pour penser une universalité concrète et singulière qui continue d’animer nombre de penseurs restés sourds aux sirènes de l’antitotalitarisme.

■Traduit de l’anglais par Hélène Quiniou – « French Intellectuals against the Left: The Antitotalitarian Moment of the 1970s », RP 138 © Radical Philosophy Ltd 2006
Alberto Toscano
RILI, septembre-octobre 2007
Finimore
Lu sur http://atheles.org/agone/contrefeux/lesintellectuelscontrelagauche/index.html

L’invention du « totalitarisme »

Dans cet entretien avec la revue ContreTemps, Michael Christofferson expose les traits essentiels de son livre Les Intellectuels français contre la gauche. Celui-ci constitue une analyse du phénomène antitotalitaire qui marque le champ intellectuel français à la fin des années 1970, de ses origines, ses développements et ses connexions profondes avec le contexte politique de l’époque. Il apporte ainsi un regard inédit, qui tranche avec l’absence d’analyse réelle en France, sur un des concepts qui a le plus marqué les intellectuels et politiques français ces trente dernières années.

Comment comprendre le retard ou plutôt l’incapacité à analyser ce rôle de l’antitotalitarisme, à en faire l’histoire politique ? Vous avez travaillé avec Paxton : feriez-vous une parenté dans ce décalage avec l’historiographie de Vichy ?

Il n’est jamais facile de faire l’histoire immédiate des événements controversés, surtout dans un pays comme la France, où la vie intellectuelle est très centralisée. En ce qui concerne l’antitotalitarisme, les obstacles à la compréhension de son histoire sont encore plus grands. Beaucoup d’intellectuels médiatiques et beaucoup d’universitaires en France sont antitotalitaires. Ils sont souvent au pouvoir précisément parce qu’ils sont antitotalitaires. Les enjeux du pouvoir intellectuel sont trop grands pour qu’on puisse écrire une thèse d’histoire sur l’antitotalitarisme qui conteste les lieux communs. Pour un doctorant français ambitieux c’est un sujet à éviter. Même à Columbia University un professeur bienveillant (pas Paxton) m’a dit qu’il fallait mieux éviter un sujet aussi récent et controversé si l’on voulait faire une brillante carrière universitaire.
Je crois qu’il n’est pas sans intérêt que La France de Vichy de Paxton a paru en anglais en 1972, vingt sept ans après la fin de la Deuxième guerre mondiale ; et mon livre en 2004, vingt sept ans après le point culminant de l’antitotalitarisme (1977). Ceci dit, le livre de Paxton est infiniment plus important que le mien. L’histoire de Vichy importe à toute la société française. L’histoire du moment antitotalitaire est essentiellement une affaire d’intellectuels.

Quelles sont les origines du concept « d’antitotalitarisme » ? Quels sont les acteurs « antitotalitaires » ?

Il est curieux que les mots « antitotalitaire » et « antitotalitarisme » ne soient pas souvent utilisés hors de la France. Aux États-Unis on parle du totalitarisme, et il est bien compris que tout le monde est contre. L’accent placé sur « l’anti- » indique que les origines du concept en France se trouvent dans un refus, notamment du communisme. En Allemagne et aux États-Unis, le concept de totalitarisme englobe le nazisme aussi bien que le communisme soviétique, mais en France le discours antitotalitaire des années 1970 ne se réfère presque jamais au nazisme. Il faut dire aussi, parce que vous parlez de Paxton, que le régime de Vichy n’entre pas dans le débat français sur le totalitarisme. Bernard-Henri Lévy a essayé d’assimiler le débat sur Vichy à la critique du totalitarisme dans L’Idéologie française (1981), mais ce livre – contrairement à son La Barbarie à visage humain (1977) – a été très mal vu. Enfin, même si l’on peut dire qu’il y avait des antitotalitaires avant les années 1970, c’est au cours de ces années que les intellectuels gauchistes ou proche du gauchisme fondent un mouvement anti-totalitaire en réaction à la montée vers le pouvoir de l’Union de la gauche et surtout du Parti communiste.

En quoi son émergence est-il étroitement lié au contexte politique, en particulier à la question de l’Union de la gauche ?

Avec cette question nous entrons dans le cœur de mon livre. Normalement on trouve l’origine de la critique du totalitarisme dans le prétendu choc de L’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne. Mais, la documentation ne justifie pas cette conclusion. L’Archipel du Goulag n’était pas une révélation. Ce qui a donné lieu à une controverse n’était pas le contenu du livre mais la critique au vitriol de Soljenitsyne et de ses défenseurs par le Parti communiste. Ceci a soulevé des questions sur le sort de la liberté et de la démocratie au cas où les communistes viendraient au pouvoir. Donc, les deux grandes livres antitotalitaires sur Soljenitsyne, La Cuisinière et le mangeur d’hommes d’André Glucksmann et Un homme en trop de Claude Lefort, sont basés sur des articles écrits en réaction à la réception communiste du livre et ultérieurement étoffés. L’Affaire Soljenitsyne de 1974 était, en effet, le premier conflit idéologique au sein de la gauche qui alimentait la critique du totalitarisme.
Pour comprendre la critique du totalitarisme, il faut savoir que la politique des intellectuels de gauche et celle des partis de la gauche se sont séparées plus que jamais pendant les années 1970. Le début de cette séparation date des années 1950, quand la Révolution hongroise et la guerre d’Algérie ont conduit des intellectuels à critiquer le léninisme et les traditions étatiques de la gauche. Après 1968, cette critique est devenue dominante parmi les intellectuels de gauche et a souvent pris la forme d’un plaidoyer pour la démocratie directe. Même après que la marée révolutionnaire ait reflué, beaucoup d’intellectuels sont restés fidèles à des utopies plus ou moins autogestionnaires et des critiques de toutes formes de pouvoir. C’est bien le cas de Jean-Paul Sartre et de Michel Foucault, ainsi que des intellectuels moins connus tels que Glucksmann et Lefort. Ces courants sont très bien représentés dans les pages de Libération, du Nouvel Observateur, et de la revue Esprit. En même temps, les partis politiques de gauche avançaient vers le pouvoir dans le cadre de l’Union de la gauche et de son Programme commun de gouvernement qui prônait des nationalisations et d’autres réformes étatiques qui allaient à l’encontre de la politique plus ou moins autogestionnaire des intellectuels. C’est bien l’incompatibilité de ces deux idées de la politique qui a donné lieu à la critique du totalitarisme. L’affrontement entre la politique des intellectuels et celle des partis politiques explique la chronologie de la critique aussi bien que son contenu.
Ainsi la critique du totalitarisme n’a pas commencé en 1974, avec la lecture de L’Archipel du Goulag, mais plutôt en 1975, après que des développements bien précis dans la politique de l’Union de la gauche ont abouti à une crise des relations entre des intellectuels de gauche et les partis socialistes et communistes. D’abord les élections partielles d’octobre 1974 ont démontré la monté électorale de l’Union de la gauche et la domination grandissante de la gauche par le Parti socialiste. Par conséquent les communistes ont attaqué les socialistes très durement. Les socialistes, qui voulaient que la dynamique de l’Union continue ont répondu avec modération. Beaucoup d’intellectuels, tels que ceux associés à la revue Esprit, étaient très déçus par la réponse des socialistes, surtout parce que les Assises du socialisme d’octobre (qui ont fait entrer au Parti socialiste la deuxième gauche) leur donnaient l’impression que le Parti socialiste évoluait dans une direction qui leur déplaisait. Ils ont commencé à dire que si les socialistes ne répondaient pas énergiquement aux calomnies des communistes, c’est que les communistes les dominaient idéologiquement.
Le deuxième développement qui a donné naissance à la critique du totalitarisme était la crise de la Révolution portugaise de l’été 1975 – ou plutôt les réactions françaises à cette crise. Sans entrer dans les détails, on peut dire que le soutien appuyé par le Parti communiste français à son homologue léniniste portugais et sa réponse ambiguë aux atteints à la liberté de l’expression au nom de la Révolution portugaise faisaient problème. En plus, le Parti socialiste et Le Monde ont déçu les intellectuels parce qu’ils n’ont pas pris le Parti communiste français à parti à cause de ses positions. Par conséquent, de nombreux intellectuels qui écrivaient dans les revues Esprit et Faire ainsi que Le Nouvel Observateur et Libération ont commencé à affirmer que le Parti communiste dominait la gauche idéologiquement et que le Parti socialiste était effectivement le fantoche des communistes, même si les socialistes étaient prédominants au niveau électoral. Il y avait, comme Jean-François Revel l’a dit, « une tentation totalitaire » qu’il fallait affronter par une critique du totalitarisme de gauche.

Ce concept d’antitotalitarisme a-t-il changé de sens pendant la période que vous avez étudiée ?

Je ne crois pas que le concept ait beaucoup changé entre le milieu des années 1970 et le début des années 1980, sauf pour devenir plus radical et intransigeant. Selon l’antitotalitarisme de ces années-là, tous projets révolutionnaires, marxistes, ou communistes menaient inéluctablement au totalitarisme à cause de leur idéologie manichéenne. En plus, cette idéologie aveuglait tous les « compagnons de route » de ces mouvements, ce qui explique pourquoi le Parti communiste pouvait représenter un danger grave en même temps qu’il subissait une chute importante de son poids électoral par rapport aux socialistes. Ceci dit, il faut absolument distinguer les versions différentes de l’antitotalitarisme. Même s’ils sont plus ou moins d’accord sur le danger totalitaire dans l’Union de la gauche, André Glucksmann, Jean-François Revel, et Claude Lefort – pour ne prendre que ces trois exemples – ont des interprétations très différentes de ce qu’ est le totalitarisme et de ce que devrait être une politique antitotalitaire.

En quoi l’antitotalitarisme est-il au cœur des changements intellectuels de la fin des années 1970 ?

Les années 1970 sont une période fascinante dans l’histoire de la France contemporaine. C’est à cette époque que naissent l’écologie politique et le mouvement féministe. Au niveau culturel et social nous sommes au cœur de ce que Henri Mendras a appelé « la deuxième révolution française ». Mon livre se concentre sur la politique et les idées politiques, mais cette critique du totalitarisme fait sûrement partie d’un bouleversement plus général des idées et de la culture française dont l’histoire reste largement à écrire. Pour commencer, il y a deux livres qui jettent beaucoup de lumière : Mai 68 : l’héritage impossible, de Jean-Pierre Le Goff, et From Revolution to Ethics : May 68 and Contemporary French Thought, de Julian Bourg. Comme Le Goff l’indique, cette période se caractérise en partie au niveau des idées politiques par une démocratie directe intégrale qui peut paraître absurde avec le recul. La critique du totalitarisme faisait partie de ce mouvement plus général de critique radicale de la politique représentative. C’était un de ses excès.
Au niveau de la politique des intellectuels, on peut dire que la critique du totalitarisme a favorisé pendant les années 1980 la renaissance du libéralisme aussi bien que l’avènement du postmodernisme. La critique a mis une fin au moins provisoire à l’intellectuel prophétique en faveur de l’intellectuel expert. Je ne dirais pas que l’intellectuel révolutionnaire ne peut pas refaire surface parce que l’avenir est trop imprévisible, mais il est évident que la France de 2008 est fondamentalement différente de celle de 1968 ou bien celle de 1977.

Quelle est la place de la relecture de la Révolution française et du modèle jacobin voire d’une relecture plus globale de l’universalisme français dans ce cadre ?

La relecture de la Révolution française est absolument fondamentale dans cette histoire, et François Furet y joue un rôle central. En mettant l’accent sur les origines du totalitarisme dans la Révolution française, il maintenait que la culture jacobine de la Révolution française explique l’attrait du communisme en France au XXe siècle. Il faut dire que Furet n’est pas arrivé seul à cette conclusion. Beaucoup d’autres, tels que Pierre Rosanvallon et Edgar Morin, sont arrivés en même temps à la même conclusion. Mais Furet, avec Penser la Révolution française (1978), a donné de la respectabilité et de la cohérence à cet argument que la France était susceptible d’une tentation totalitaire. En grande partie à cause de sa relecture de la Révolution française, la critique du totalitarisme avait des suites importantes dans la pensée politique française. Cette relecture de la tradition révolutionnaire française était liée à une critique plus générale de l’universalisme français. Mais je crois que cette critique était beaucoup plus poussée par la décolonisation et la revendication du droit à la différence par les divers mouvements sociaux des années 1970.

Qu’en est-il du présent et de l’avenir de l’antitotalitarisme dans le contexte politique d’aujourd’hui ?
Je n’ai pas suivi de très près l’emploi récent du discours antitotalitaire dans la politique française, mais je ne crois pas que cette pensée ait un très grand retentissement de nos jours. L’Union soviétique n’existe plus, et le communisme français n’est plus que l’ombre du communisme des années 1970. Il y a bien sûr une mobilisation du concept de totalitarisme pour justifier la guerre en Iraq et la lutte contre l’islamisme, mais cet antitotalitarisme-là n’a pas beaucoup de résonance hors quelques anciens combattants du mouvement antitotalitaire des années 1970. Le totalitarisme n’a jamais été un concept très élaboré, et c’est encore plus vrai en France. Il ne nous aide pas beaucoup à comprendre le monde, même s’il fonctionne comme une matraque formidable en politique. Donc, l’antitotalitarisme aura un avenir, mais comme le communisme semble bien mort, cet avenir ne sera pas très important.

Est-ce que vous avez une explication de pourquoi, malgré leur succès en France, les penseurs antitotalitaires (BHL, Glucksmann etc.) n’ont jamais vraiment « percé » dans le monde anglophone, et c’est plutôt des gens rétifs à cette pensée (Badiou, Rancière etc.) qui sont populaires aux États-Unis ?
Je ne suis pas sûr que Rancière et Badiou aient vraiment « percé », ailleurs que chez quelques universitaires. Et il faut dire qu’il y a des intellectuels, tel Paul Berman, un « faucon de gauche », qui admirent Glucksmann. Claude Lefort et Pierre Rosanvallon ont aussi des admirateurs aux États-Unis. Mais, en général, il est vrai que la pensée antitotalitaire française n’a pas séduit les Américains, et ceci pour une raison fondamentale : la pensée française sur le communisme était en décalage chronologique avec les États-Unis et beaucoup d’autres pays du monde occidental entre 1945 et 1989. Pour simplifier un peu, on peut dire que la vie intellectuelle américaine pendant les années 1950 était sous l’empire d’un antitotalitarisme de guerre froide tandis que les intellectuels français étaient plutôt favorable au communisme soviétique pendant ces mêmes années. Les grands ébranlements des années 1960 aux États-Unis ont mis en cause cet antitotalitarisme qui justifiait la guerre de Vietnam et qui faisait partie de l’ordre moral de l’après-guerre. En même temps les pères fondateurs de l’antitotalitarisme de guerre froide, Hannah Arendt, Zbigniew Brzezinski et Carl Friedrich ont modifié leurs idées pour minimiser la portée du concept. Arendt et Brezinski ont affirmé notamment que l’Union soviétique n’était plus totalitaire après la mort de Staline. Par contraste, en France, les contestataires de 1968 ont plutôt visé le communisme léniniste comme un faux mouvement de libération. Et quand l’antitotalitarisme est né en France au milieu des années 1970, le débat français a fonctionné sans référence aux débats antérieurs sur le concept aux États-Unis ou ailleurs. Par conséquent, il y avait pendant les années 1970 un grand malentendu entre les intellectuels américains, tel Noam Chomsky, pour qui le totalitarisme était un concept de guerre froide totalement instrumentalisé par le gouvernement américain, et les antitotalitaires français, pour qui l’antitotalitarisme était un combat nécessaire contre le communisme chez eux. Puisque le concept de totalitarisme reste un concept douteux pour beaucoup d’intellectuels américains, l’antitotalitarisme français n’a pas un grand intérêt Outre-Atlantique.

Que pensez-vous de la tentative d’Enzo Traverso dans son introduction à l’anthologie du Seuil sur le totalitarisme de tracer une tradition « de gauche », même révolutionnaire, de la pensée antitotalitaire ?
Je crois qu’il est vrai que la pensée antitotalitaire a souvent des racines à gauche. La plupart des antitotalitaires des années 1970 venaient de la gauche, et beaucoup d’entre eux ont commencé par préconiser un antitotalitarisme révolutionnaire. C’est notamment le cas de Claude Lefort. On peut même dire que les antitotalitaires historiques de droite, tel Raymond Aron, n’ont pas beaucoup influencé les antitotalitaires des années 1970. Si mon livre s’appelle Les Intellectuels français contre la gauche, cela ne signifie pas que la plupart des intellectuels antitotalitaires n’étaient pas à leur manière à gauche. Ils étaient plutôt contre les partis de gauche, la gauche historique, la seule gauche qui pouvait arriver au pouvoir et faire de la France un pays d’alternance démocratique. Par ailleurs, ces intellectuels ont souvent viré à droite, et presque tous ont fini – à cause de l’intransigeance de leur antitotalitarisme – par abandonner la révolution comme moyen légitime en politique. Un antitotalitarisme révolutionnaire est-il possible ? Je crois que oui, mais il n’y avait peut-être qu’un seul adepte d’une telle politique pendant les années antitotalitaires en France : Cornelius Castoriadis.

Jean Ducange
Contretemps, mai 2008
Finimore
Je crée ce sujet consacré au livre de Michael Christofferson qui vient de sortir et qui est intitulé : Les Intellectuels contre la gauche
L’idéologie antitotalitaire en France (1973-1981)




Michael Christofferson
Les Intellectuels contre la gauche
L’idéologie antitotalitaire en France (1973-1981)
Editions Agone 25/09/2009

Présentation sur le site
http://atheles.org/agone/contrefeux/lesintellectuelscontrelagauche/index.html
Au cours des années 1970, une vigoureuse offensive contre le « totalitarisme de gauche » ébranla la vie politique française. Dans leurs livres, leurs articles et à la télévision, les intellectuels « antitotalitaires » dénonçaient, sur un ton dramatique, une filiation entre les conceptions marxistes et révolutionnaires et le totalitarisme. Issus eux-mêmes de la gauche et ne craignant qu’une faible opposition de ce côté-là, ces intellectuels ont réussi à marginaliser la pensée marxiste et à saper la légitimité de la tradition révolutionnaire, ouvrant ainsi la voie aux solutions politiques modérées, libérales et postmodernes qui allaient dominer les décennies suivantes. Capitale de la gauche européenne après 1945, Paris devenait la « capitale de la réaction européenne ».
Cette histoire de la notion de « totalitarisme » depuis la Seconde Guerre mondiale retrace notamment les étapes de son instrumentalisation pour marginaliser le PCF et peser sur les orientations de l’Union de la gauche. Faisant un sort définitif à la légende de la « prise de conscience » qu’aurait provoquée L’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne en 1974, il révèle la continuité des stratégies permettant la conversion d’intellectuels radicaux en compagnons de route d’un PS sur le chemin du pouvoir. Cet « antitotalitarisme » doit donc bien moins à la découverte d’une tradition libérale à l’anglo-saxonne qu’à la droitisation de la gauche intellectuelle et politique française.
Michael Scott Christofferson est professeur d’histoire contemporaine à la Pennsylvania State University. Après une thèse avec Robert Paxton (dont ce livre est issu), il a notamment publié France during World War II : From defeat to Liberation (2006) et plusieurs articles, dont « François Furet entre l’histoire et le journalisme, 1958–1965 » (French History, 2001 ; Revue Agone 41/42, Les intellectuels, la critique et le pouvoir).
 
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