Sujet :

Infos et témoignages de Oaxaca

Paria
   Posté le 05-11-2006 à 21:50:38   

Un témoignage venu de Oaxaca

Une lettre en français datée de samedi 28 octobre, qui nous éclaire sur la lutte du peuple de Oaxaca et sur les manipulations sordides de ceux qu’elle gêne.

Bien le bonjour d’Oaxaca,

Cette journée d’arrêt de toute activité a été particulièrement meurtrière, quatre morts et un grand nombre de blessés par balles, ou comment se défend la dignité de tout un peuple. Les barricades dans les colonies et sur toutes les voies d’accès au centre ville ont bien tenu malgré les escadrons de la mort et surtout les troupes de choc de policiers municipaux en civil fortement armés face à des gens qui les affrontaient avec des pierres. Ce sont les municipalités des environs, encore contrôlées par le PRI, le parti révolutionnaire institutionnel d’Ulises Ruiz, qui ont recruté et armés ces tueurs et qui sont directement responsables des violences et des assassinats. La municipalité de Santa Lucía del Camino où un jeune journaliste nord américain d’Indymédia a trouvé la mort, et la municipalité de Santa María Coyotepec où il y eut deux morts et dix huit blessés ont joué un rôle déterminant dans cet affrontement contre les membres de l’Assemblée populaire. L’ambassadeur des États-Unis ment en parlant d’un échange de coups de feu. Rueda Pacheco, dirigeant du syndicat enseignant, ment en parlant de groupes violents et en se gardant bien de dire d’où viennent les tueurs. L’État a désormais le prétexte qu’il attendait pour rétablir l’ordre et l’État de droit comme il dit si bien. Ulises Ruiz joue-t-il son va tout dans une ultime confrontation meurtrière ou a-t-il l’aval de l’État pour provoquer des morts en vue de l’intervention de l’armée et de la police préventive fédérale ?

L’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca n’a pas jusqu’à présent répondu à la provocation en s’armant, ce qui justifierait l’envoi des troupes, et c’est les mains nues qu’elle garde les barricades et qu’elle fait face, avec une vaillance admirable, aux escadrons de la mort et aux sbires du PRI. Les familles ou les amis restent auprès des blessés et veillent à ce qu’ils soient soignés par des médecins et transportés par les ambulances rouges de l’APPO, les ambulances de la protection civile sont fliquées et l’hôpital n’est pas sûr. La croix rouge, nous dit-on, refuse d’intervenir sur ordre du gouverneur déchu. Les disparitions sont nombreuses, la personne qui avait été enlevée ce matin a été retrouvée en prison. Heureusement la radio université fonctionne, ce qui permet de coordonner les mouvements, de renforcer une barricade qui montre des signes de faiblesse par exemple, de prévenir de la venue des troupes de choc, ainsi s’est organisé tout un réseau d’entraides, les habitants de Saachila, une commune en résistance, se sont regroupés pour envoyer des équipes afin de prêter main forte aux habitants d’Oaxaca, à San Bartolo Coyotepec les habitants se sont retrouvés pour venir en aide à leurs voisins de Santa María Coyotepec.

La nouvelle s’est répandue rapidement et la capitale réagit, des barricades ont été élevées à proximité de l’hémicycle Benito Juárez, nous dit-on. Le bruit court que le ministère de l’intérieur est occupé par ceux qui se trouvaient devant le Sénat. C’est le matin, j’apprends qu’Abascal, le ministre de l’intérieur, vient de donner l’ordre à la troupe d’intervenir. La complicité entre le gouverneur tueur et le gouvernement fédéral est donc bien une complicité objective, l’assassin avait l’aval de l’État pour lancer ses troupes de choc contre les habitants. La ville est bien décidée à résister et toutes les voies d’accès sont hermétiquement fermées par des barricades.

Oaxaca, le 28 octobre 2006

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Dimanche 29 octobre, le président mexicain Vicente Fox, après des semaines d'hésitation, a finalement envoyé ses troupes, flanquées de blindés et d'hélicoptères, dans la ville d'Oaxaca, où la population est en rébellion depuis des mois contre le gouverneur.

Officiellement, il s'agit de rétablir l'ordre public troublé par... la police du gouverneur. Ce qui aurait décidé Fox est le fait que, vendredi 27, des policiers locaux, en civil, ont tiré sur des manifestants et tué au moins trois personnes, dont un jeune journaliste américain. Mais l'intervention des troupes fédérales était attendue, depuis des semaines, par le gouverneur contesté.

Depuis août dernier, la ville était contrôlée par sa population, qui exige la démission d'Ulises Ruiz, politicien corrompu comme tant d'autres, et responsable de la répression.

Le mouvement a commencé le 22 mai dernier avec la répression d'une manifestation d'enseignants qui exigeaient une prime de vie chère et des moyens pour l'école. À partir de là, le mécontentement s'était étendu. Les 70000 enseignants de l'État avaient trouvé le soutien de centaines de milliers de personnes parmi les déshérités, en majorité indiens.

Oaxaca était un des fiefs du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), qui fut pendant des dizaines d'années le parti unique régnant sans partage sur le pays. Il a finalement dû céder la présidence au Parti d'Action Nationale (PAN) de Vicente Fox, qui est une scission du PRI. Mais les notables locaux du PRI comme Ruiz entendent conserver leur fief. Aussi le gouverneur, dont les manifestants réclament la démission, a continué de faire parler les armes. En cinq mois, ses hommes de main ont tué une quinzaine de militants du mouvement.

En juin, suite à la répression, la population s'insurgeait avec la participation des syndicats indépendants, d'associations et de municipalités, paralysant la capitale. Trois cent quatre-vingts organisations regroupées dans une Assemblée populaire du peuple de Oaxaca (Appo) entendaient substituer leur autorité à celle des administrations locales. Cinq marches nationales de protestation ont regroupé des centaines de milliers de manifestants. Une trentaine de mairies ont été occupées, des administrations et des tribunaux fermés, des routes bloquées pour tenter de paralyser l'activité économique.

L'entrée des troupes envoyées par le président Fox a été applaudie par les commerçants du centre-ville, où de nombreux magasins et restaurants sont fermés du fait des événements, mais pas par la population pauvre. Les possédants attendent la reprise des affaires et le gouverneur espère sauver son siège. Mais la population d'Oaxaca, qui a participé à ces mois de luttes, n'a peut-être pas dit son dernier mot.

Jacques FONTENOY.

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Tout le monde aura remarqué le total passage sous silence de ces infos...

Quelques photos (au cas où certains anarchistes auraient l'intention de se réaproprier ce mouvement comme ils aiment le faire avec le Commune):

http://static.flickr.com/58/223055027_07d4a041fb_o.jpg



http://static.flickr.com/120/267234146_570f3b78be_o.jpg

Et pour plus de photos voir ICI

Message édité le 25-06-2007 à 20:47:31 par Paria
sti
   Posté le 05-11-2006 à 22:07:25   

Paria, le lien marche pas.
Paria
   Posté le 05-11-2006 à 22:09:03   

Désolé, réparé.
sti
   Posté le 05-11-2006 à 22:20:01   

super info que tu nous donne là !
Membre désinscrit
   Posté le 05-11-2006 à 23:12:53   

J'ai déjà vu cette info dans certains journaux online, mais je n'avais pas encore vu de photos. Merci Paria

site de l'APPO
Jameul
   Posté le 06-11-2006 à 10:07:13   

un magnifique signe également de la propagande bourgeoise....

ça fait 6 mois que le souleèvement à commencer mais les médias en ont réellement parler que lors de l'arrivée de la police fédérale...


mise à part ça ça fait plaisir de voire les portaits de MELS dans un mouvement comme celui-ci même si je le soutiendrais sans...
Paria
   Posté le 06-11-2006 à 19:02:32   

Chronique de la situation du 4 novembre, 17 heures, au 5 novembre, 2 h 25. (soit de minuit à 9 h 25 le 5 novembre, heure de Paris)

17 heures. Au barrage de Nochixtlán, le plus important (il y en a d’autres). Près de mille éléments de la PFP fouillent, questionnent et enregistrent les personnes qui passent par là. Le barrage est une violation flagrante du droit à la libre circulation. La PFP est anticonstitutionnelle. Si, comme le disent les mass-médias de communication, la situation à Oaxaca se limite à un seul quartier, ou à l’UABJO [Université autonome Benito Juárez, ndt], pourquoi y a-t-il un barrage à 40 kilomètres de la ville d’Oaxaca ?

17 h 01. La caravane de soutien à Oaxaca qui est partie de la ville de Mexico passe le péage de Puebla ; l’enthousiasme grandit.

17 h 49. Pendant toute la journée, des avions de type boeing de la PFP ont survolé la ville d’Oaxaca, et la PFP se repli en dehors de la ville. (la question est simple : pourquoi le font-ils, vont-ils chercher du renfort ?). Il y a aussi une avionnette de reconnaissance qui survole depuis 15 minutes.

18 h 04. Radio Universidad continue à transmettre sur le 1400 am dans la ville d’Oaxaca. On signale qu’il y a un barrage à Huitzo, avant d’arriver à Telixtlahuaca et Etla, à 30 minutes d’Oaxaca.

18 h 50. Dans les stations, on refuse l’essence à la caravane qui se dirige vers Oaxaca ; la PFP a donné l’ordre qu’aucune station-service ne vende de combustible aux membres de la caravane qui se trouve pour le moment arrêtée à Chachapa, Puebla.

19 h 43. Radio universidad est bloquée, tant sur la fréquence am que sur Internet. Il y a deux antennes bloquées ; elles ont été localisées, mais sont fortement protégées par la PFP.

20 h 24. La caravane qui se rend à Oaxaca se trouve vers Tehuacán, Puebla ; elle fera un arrêt à Huajapan de León pour secourir les 8 autobus qui sont retenus à cet endroit par des membres de la PFP.

20 h 52. Un convoi de 6 camions pleins de PFP et 12 camionnettes de type pick-up ont été vus à la hauteur de Huitzo, en direction de la ville d’Oaxaca.

20 h 56. La Police fédérale des chemins et la fédérale préventive suivent la caravane qui se dirige vers Oaxaca.

21 h 08. À l’entrée de la ville d’Oaxaca, un barrage militaire très important a été installé afin « d’éviter que les groupes qui soutiennent l’APPO ne fassent entrer des armes ou des explosifs dans la ville. »

1 h 50. Dans le discours officiel, et dans les mass médias, il est dit que l’APPO et les compañeros solidaires qui arrivent à Oaxaca agressent la PFP avec des bâtons, des pierres et des cocktails molotov ; cependant, les images montrées à la télévision montrent clairement que l’armée d’occupation a des camions anti-émeutes et des gaz lacrymogènes entre autres armes. Le gouvernement justifie que pour une pierre, il faut un camion anti-émeutes, que pour un cocktail molotov, il faut 10 000 policiers (soldats). Le peuple d’Oaxaca n’agresse pas, il se défend ; Radio Universidad n’incite pas, elle est la voix des Oaxaqueñ@s. Le gouvernement de Fox a signé un grand nombre de traités, en faveur des droits humains, au cours de son mandat.

Il réclame mollement pour le mur de la frontière, mais se tait de toutes ses forces à Oaxaca. Il y a des protestations dans le monde entier contre la répression à Oaxaca et contre URO qui reste gouverneur.

2 heures. 5 novembre. Dans quelques heures, ce sera la mégamarche à Oaxaca, demandant la démission d’Ulises Ruiz. Radio Universidad a convoqué le peuple d’Oaxaca à se réunir au monument Benito Juárez du carrefour de Viguera.

1400 d’Amplitude Modulée. Radio Universidad. Si on s’y branche, la première chose que l’on entend est un synthétiseur qui simule frénétiquement un violon et un aller-retour sur les mêmes tons. Ça dure 30 secondes, et après une coupure arithmétique, un "tu rrún tu rrún tu rrún" d’un tambour, un cri aigu et strident, et de nouveau le violon dans sa frénésie. Il s’agit de l’intervention sur le signal de Radio Universidad. En à peine quelques secondes de silence, on peut entendre, au loin, les voix des locuteurs qui veillent pour continuer à informer le peuple d’Oaxaca de la situation qui se vit actuellement dans cet État de la république mexicaine blessée.

2 h 25. On entend les pétards de reconnaissance entre barricades. Des tirs lointains. C’est une nuit de pleine lune, et ceux qui le peuvent à Oaxaca dorment d’un calme tendu, d’autres veillent, supportant le froid de la nuit, pour éviter que la prise de la radio ne se convertisse en la prise des installations, ce qui amènerait sans aucun doute une arrestation de ceux qui, dignement, ont soutenu ce moyen de communication au service du peuple et de ses luttes.

2 h 25. La caravane est arrivée à Huajuapan, son pas est sûr, ils vont bien. Ils sont reçus avec un dîner (ou petit-déjeuner anticipé) et vont décider s’ils continuent ou dorment un peu.

Centro de Medios Libres

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Où est la caravane

Par Juan Pablo Romo, 5 novembre, 3 heures.

Ce matin, à 11 h 30 précises, Radio Universidad annonçait qu’à Mexico, une caravane de compañeros partait en direction d’Oaxaca, dans l’intention de soutenir le mouvement du peuple d’Oaxaca, et de manifester sa réprobation face à la situation de violence et d’état de siège qui se vit dans cette ville, principalement depuis l’arrivée de la Police fédérale préventive (PFP) le samedi 28 octobre dernier.

Cette caravane est partie de l’Hémicycle à Juárez dans le District fédéral (Mexico) et avait comme objectif d’arriver vers 5 heures du matin ; cependant, vers 16 h 30, les rumeurs disant qu’ils avaient été arrêtés sur le trajet se confirmaient ; le Collectif juridique contre la répression à Oaxaca, signalait que la caravane en question avait été retenue dans la ville de Nochixtlan, qui se trouve à 45 minutes de cette ville.

Selon les informations données par les représentants de divers groupes de droits humains, la caravane qui se composait de 12 autobus qui transportaient des compañeros de plusieurs universités, ainsi que d’organisations comme le Front communal en défense de la terre, le Front Francisco Villa, l’UNAM (Université nationale autonome de Mexico), l’IPN (Institut polytechnique national), l’ENAH (École nationale d’anthropologie et d’histoire), l’Université autonome de Chapingo, le collectif CLETA (Centre de libre expérimentation théâtrale artistique) entre autres, avait été retenue dans une opération montée par la PFP et l’armée mexicaine, pour laquelle près de 500 éléments avaient été utilisés.

Ainsi, on informait qu’on les empêchait de faire le plein d’essence, ce qui fait que vers 5 heures de l’après-midi, une commission de défense des droits humains, ainsi que des journalistes, allaient se rendre à cette ville pour superviser et participer comme observateurs de la situation.

En ce moment, à presque 2 heures au matin du 5 novembre, l’information sur le trajet de la caravane est très réduite, puisque le seul moyen de communication (Radio Universidad) qui pourrait donner des informations, est constamment saboté et bloqué par le personnel de la SCT (Ministère de la communication et des transports), ce pourquoi nous demandons à tous les compañeros d’être attentifs à cette situation et de s’informer de façon régulière de ce qui se passe.

Message édité le 06-11-2006 à 19:03:02 par Paria
Julien Lahaut
   Posté le 06-11-2006 à 19:17:57   

Jameul a écrit :

un magnifique signe également de la propagande bourgeoise....

ça fait 6 mois que le souleèvement à commencer mais les médias en ont réellement parler que lors de l'arrivée de la police fédérale...


mise à part ça ça fait plaisir de voire les portaits de MELS dans un mouvement comme celui-ci même si je le soutiendrais sans...


Et encore , juste pour dire que le soulèvement avait été "écrasé" et que la police avait "rétablit l'ordre", limite si c'était pas "bienfait pour eux à ces sales pauvres"

sinon merci à paria pour les infos
Paria
   Posté le 06-11-2006 à 19:24:36   

Sur indymedia Paris ils anoncent "VIDEO OAXACA LIBRE EN FRANÇAIS (Résumé du 1er mai au 2 novembre 2006)" , je vient de télécharger le fichier mais chez moi c'est un son audio en espagnol.
Si vous voulez essayer, ou si vous êtes espagnol : http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=72296
sti
   Posté le 06-11-2006 à 23:34:55   

Ils disent que la vidéo est en divx et que le francais est en sous titre, peut être n'as tu pas les codecs divx installés sur ton ordi

vas sur cette page ( ici )et descend jusqu'en bas, download le pack de codec, il y a tout ce qu'il faut pour lire tout les formats vidéo en vogue (divx, xvid, vcd/svcd ect.)

je télécharge en ce moment ...verra bien ...
sti
   Posté le 07-11-2006 à 00:12:31   

Super video, à télécharger et a diffuser. Belle révolte populaire, cela force le respect une détermination comme celle-ci émanant de toutes les couches populaires ...

Des infos plus précises sur les syndicats ouvriers en présences ou les partis d'extréme gauche seraient les bien-venues, Paria tu pourrais peut être suivre l'affaire et faire qlqs recherches puisque tu as lancé le topic' ?
Qu'en penses-tu ?
Je regarderais aussi de mon côté.
Paria
   Posté le 07-11-2006 à 11:38:31   

Pas de problème, je vais essayer de trouver plus d'infos, mais je ne garantie rien, les infos ne se bousculent pas...

Message édité le 17-01-2007 à 12:18:34 par Paria
Paria
   Posté le 07-11-2006 à 12:07:06   

Information du 22 juin 2006 :

Cela faisait trois semaines que les maestros (professeurs) de la section 22 du syndicat national des travailleurs de l’éducation (SNTE), de l’État de Oaxaca, avaient établi un campement dans le centre historique de la capitale. Ils revendiquaient jusqu’à maintenant une augmentation de salaire, des aides matérielles, comme des petits déjeuners et un transport gratuit pour les enfants, ainsi que le refus de la réforme de l’éducation, qui prévoit, outre une privatisation avancée, une négation de l’apprentissage de l’histoire pré-colombienne du pays.

Rejoints plus tard par des pères de familles, ils ont dû faire face, le 14 juin, à une tentative de délogement par la police de l’État. A 4h30, peu avant le lever du soleil, des sirènes et des cris se sont fait entendre, suivis à 5h00 par des gaz lacrymogènes. A l’aide de couteaux et de flammes, la police a mis à sac le campement et a rapidement dispersé le millier d’hommes, de femmes et d’enfants présents sur les lieux. Vers 6h00, la résistance a commencé a s’organiser et environ 600 personnes se sont confrontées aux forces de l’ordre de Oaxaca. A l’aide de pierres, de pavés, de barres de fer, parfois de machettes, de bus urbains requisitionnés, de voitures abandonnées, de vinaigre, de coca-cola et surtout d’une phénoménale force collective, ils ont lutté contre les gaz et les uniformes. Jusqu’aux environs de 9h00, la police a subi physiquement les effets de la résistance, avant de se retirer pour envoyer les gaz directement par hélicoptère, sur la foule. Les affrontements ont finalement cessé vers 10h30 et les maestros, les pères de familles, rejoints par une partie de la population, ont reintégré leur campement

Le triste spectacle de leurs tentes et pétitions en cendres, de la nourriture éparpillée, du nombre de bombonnes de gaz lacrymogène vides dans les caniveaux, n’a fait que raviver un désir de lutte et de rancoeur envers le gouverneur de Oaxaca. Issu du parti de la révolution institutionnelle (PRI), qui est resté 70 ans au pouvoir au Mexique sans élections libres, le gouverneur Ulices Ruiz avait en effet été élu grâce à la corruption et à la falsification des bulletins.

Vers 13h, le bilan de la répression tombe : une femme a dû avorter du fait des gaz, deux enfants sont morts asphyxiés, deux professeurs sont morts, près de 20 blessés et environ 16 prisonniers, dont 12 ont été relachés plus tard. On est sans nouvelle des autres, ainsi que de l’état des blessés. Officiellement, la police ne détenait pas d’armes à feu, mais des dizaines de balles ont été retrouvées sur les lieux. Des actes d’attouchements sexuels, voire de viols, ont également été rapportés.

Après quelques heures de repos, le campement a été reconstruit, et a dû être étendu, du fait du ralliement de la population de Oaxaca. Le quartier du centre de la ville a été barricadé, et des tours de garde ont été organisés durant la nuit.

Le lendemain, diverses assemblées se sont formées, pour organiser tous les angles de la lutte à mener. Le gouvernement mexicain a fait savoir au gouvernement de Oaxaca que les forces fédérales n’interviendraient pas (à la difference de ce qui s’était passé à San Salvador Atenco, en mai dernier). La principale revendication du mouvement est, depuis ce jour, la destitution du gouverneur de Oaxaca, ce qui est un droit garanti par la constitution mexicaine.

Le 16 juin, une megamarcha, la troisième organisée en deux semaines, a réuni près de 300 000 personnes, sur un trajet d’environ dix kilomètres. Il y avait autant de monde sur la route que de gens autour, avec des messages de soutien à la lutte des maestros, mais surtout contre la répression et pour la destitution du gouverneur. A la suite de cette marche, et de la réappropriation du campement, des négociations ont été ouvertes par le gouvernement. Celui-ci persiste à dire que les moyens manquent pour satisfaire les volontés des maestros, et surtout à ignorer la demande de destitution.

Le 20 juin, les négociations ont été rompues, sans parvenir à un accord. Le campement est toujours en place, le quartier est toujours bloqué, et les campeurs s’attendent à une nouvelle répression policière.

Les préoccupations principales du gouvernement de Oaxaca sont la chute du tourisme et les éventuelles perturbations à prévoir pour les élections présidentielles qui se tiendront le 2 juillet 2006. Dans la presse nationale et régionale, la censure persiste. Les maestros sont montrés du doigt comme des terroristes prenant en otage toute une région.

En parallèle, le syndicat des professeurs est loin d’être uniforme. Il abrite environ sept courants, et son secrétaire général, membre du PRI, a plusieurs fois été en première ligne lors de scandales de corruption. Proche du parti de la révolution democratique (PRD), la coalition de gauche réformiste, candidate aux élections présidentielles, il est confronté à des aspirations moins institutionnelles, plus proches de l’EZLN du subcommandante Marcos. Ce dernier mène actuellement une otra campaña en marge de la campagne présidentielle, dans tout le pays, pour sensibiliser la population au problème des indiens du Mexique, et à celui des méfaits du néo-libéralisme mondial.

Apres la répression des miniers au début de l’année, celle de San Salvador Atenco en mai, et celle de Oaxaca, le nouveau président à venir va devoir rendre les comptes que son prédécesseur, Vicente Fox (Parti de l’Action Nationale, PAN, libéral), n’a toujours pas rendu.

Message édité le 07-11-2006 à 12:09:36 par Paria
Paria
   Posté le 07-11-2006 à 12:14:32   

Résumé depuis vendredi 27 octobre 2006 :

La journée du vendredi 27 octobre, où ont attaqué des groupes paramilitaires ou policiers locaux en civil, s’est soldée par 4 morts, dont le compagnon d’Indymedia Brad Will, et une vingtaine de blessés. La journée de dimanche 29 octobre fut celle de la résistance du peuple d’Oaxaca à l’envahissement de la ville par des policiers fédéraux, arrivés par mer, air et terre, agissant de manière violente, au moyen de graves violations des droits humains. On déplore 3 morts de plus, dont un enfant, 70 personnes arrêtées illégalement, et de nombreuses personnes blessées ou disparues. Le lundi 30 octobre marque de nouvelles mobilisations réalisées dans Oaxaca pour reprendre la place centrale, la base de la résistance au tyran gouverneur Ulises Ruiz. Mardi et mercredi toute la ville continue de résister. Jeudi, la police est repoussée du campus.

Samedi 28 octobre

Dès le matin, le président du Mexique, Vicente Fox, ordonne l’envoi de forces fédérales qui se concentreront dans la capitale d’Oaxaca. L’après-midi, des policiers ministériels en civil, dans des camionnettes et sur des motos, ouvrent le feu et criblent de balles les barricades de Bartolo Coyotepec Sain où un enseignant a été assassiné.

L’Assemblée Populaire des Peuples d’Oaxaca (APPO) appelle à la grève nationale, et à des blocages de commerces et de routes pour exiger qu’Ulises Ruiz abandonne sa charge de gouverneur de l’État.

Dans la ville de Mexico, des enseignants qui font la grève de la faim dans un campement, en soutien à l’APPO, installent une barricade symbolique face au Secrétariat de Gouvernement.

L’autre campagne de l’EZLN (Chiapas) appelle à soutenir l’APPO et le peuple d’Oaxaca.

Dimanche 29 octobre

Alors que l’armée occupe la région montagneuse alentour à la recherche de résistants, six hélicoptères survolent la ville de Oaxaca. Après le débarquement par avion de 500 policiers fédéraux, arrivent ensuite 40 camions plein de policiers et de grenadiers, ainsi que de nombreux tancks compacts, en même temps que 16 camions lanceurs d’eau et des grues destinées à broyer les barricades.

Ce sont alors des barrières humaines pacifiques qui viennent s’opposer à l’avancée des policiers fédéraux, en leur offrant des fleurs blanches, symbole de la résistance pacifique, et aussi des affiches, en les exortant de refuser d’occuper la ville et de réprimer le peuple.

À deux heures de l’après-midi, en faisant hurler des sirènes, les 16 lanceurs d’eau avancent pour essayer de casser les barrières humaines. Dans l’eau projetée il y a un acide qui esquinte la peau. Les manifestants essayent de les arrêter désespérément avec la seule arme dont ils disposent c’est-à-dire leurs corps. La lutte dure plus d’une heure. Les éléments terrestres de la police font tout pour pousser les manifestants, qui décident finalement de se replier pacifiquement et d’éviter une confrontation violente.



Le premier contingent de la PFP de 500 grenadiers et policiers armés de grenades lacrymogènes a effectué une action de diversion, en passant le premier pont, et est resté stationné à cet endroit. Pendant ce temps, des convois d’environ 100 véhicules de la PFP ont été obligés de se dévier en prenant la direction de la rivière Atoyac, pour éviter les centaines de barricades situées sur toute la route fédérale. En même temps d’autres éléments de la PFP, commençaient la tentative de la prise du contrôle du centre métropolitain.

Alors, le comité de sécurité de l’APPO a donné l’ordre de maintenir et de renforcer les barricades pour empêcher l’arrivée des renforts de la PFP.

Trois hélicoptères effectuent sans cesse des vols à basse altitude dans toute la ville près des différentes barricades.

Il n’y a aucun transport en commun qui ne circule. Environ dix mille manifestants masculins partis vers 11h du matin du Monument de Juárez - situé à l’extérieur de la ville, de fait bon nombre d’habitants de la Montagne Nord ont pu s’y joindre - sont arrivés dans le centre dans l’après-midi, mais ils ont été dispersés avec des gaz lacrymogènes de la PFP qui avait déjà le contrôle de la place centrale. Cependant pendant le repli ils brûlent des camions urbains garés dans les premiers halls du centre, puis ils se réorganisent... Un groupe décide de retourner sur la place pour faire une assemblée, et un autre groupe marche vers le campus universitaire de l’UABJO, d’où émet Radio Université, dans le but de renforcer la surveillance devant un possible délogement.

On décide de convoquer pour les 9, 10 et 11 novembre une assemblée constituante de l’APPO avec la désignation de délégués de chaque secteur.

Un contingent de la PFP pénètre à la hauteur du Canal 9 (la télévision qui a été prise par les femmes d’Oaxaca) et réprime les manifestants, avec l’aide d’un hélicoptère depuis lequel sont lancés des gaz lacrymogènes. Environ 300 policiers de la PFP sont aidés par un bulldozer à l’angle de Porfirio Díaz avec la rue de l’Indépendance et 300 autres policiers se trouvent au carrefour de la rue Bustamante.

Le médecin volontaire José Alberto López Bernal a été tué par l’explosion d’une grenade lancée par un policier, qui lui a perforé la poitrine, entre la Chaussée le Madrier et l’ancien marché. Une autre personne a été tuée à la hauteur de l’ITO (Institut Technologique d’Oaxaca). On a en outre eu connaissance du décès d’un enfant de 12 ans par un tir d’arme à feu. Cela fait donc trois morts supplémentaires pour cette seule journée de dimanche.

Une quarantaine de professeurs ont été arrêtés dans le Parc de l’Amour et ont été embarqués par hélicoptère. D’autre part, en les embarquant dans une Suburban de couleur blanche, des policiers ont arrêté deux jeunes qu’ils ont livré à des éléments de l’AFI. De plus des recherches ont été effectuées au domicile-même de professeurs et de personnes reconnues sur des barricades pour les arrêter.

A 19h, il y eu une coupure d’électricité sur le campus de l’UABJO et Radio Université cessa d’émettre.

Pendant ce temps à Mexico, la circulation a été bloquée dans l’après-midi pendant près de 2 heures par deux trolleybus au croisement de l’Axe Central et de l’avenue Juárez, en solidarité avec le peuple d’Oaxaca.



Lundi 30 octobre

Ce lundi, de nouvelles mobilisations se sont réalisées dans Oaxaca pour reprendre à la police la place centrale. A l’une des entrées de la place, les manifestants ont lancé des pierres et des pétards sur les policiers fédéraux pour les déloger ; ils ont aussi enflammé des pneus. Les policiers ont tiré, eux, des grenades lacrymogènes sur la foule. Le peuple d’Oaxaca continue de résister.

Dans de nombreuses villes du monde des rassemblements se sont produits en soutien à la lutte du peuple d’Oaxaca et contre la répression sanglante de l’État du Mexique.

Mardi 31 octobre

Daniel Gildardo Mota Figueroa, journaliste au journal « l’Avis », a été arrêté par les policiers fédéraux vers 4 h du matin dans le secteur de l’aéroport.
Dans l’état du Michoacán, plus de deux mille professeurs du Syndicat National de Travailleurs de l’Éducation (SNTE) se mettent en grève et annoncent qu’ils partent à Oaxaca soutenir l’APPO et les enseignants d’Oaxaca en lutte.
On commence à désigner des délégués pour l’Assemblée Constituante de l’APPO du 9 au 11 novembre.

L’aéroport est transformé en quartier général de la police fédérale. Des renforts, avec des brigades spéciales, se sont installés dans le Parc de l’Amour.
A Santa Maria Coyotepec, les médecins, qui soignaient des professeurs blessés, se sont fait arrêter.

Près de la Place de la Vallée, des personnes qui tenaient les barricades ont vu des groupes de partisans d’Ulises Ruiz piller les magasins "Usines de France", ainsi que d’autres magasins situés près de la station de pompiers.
D’autre part, des éléments de la police fédérale ont pillé et saccagé des commerces dans le quartier de la Place Centrale (On parle de 37 magasins saccagés). Evidemment, ces faits ont immédiatement été attribués à l’APPO, alors qu’il n’y a pas eu un seul vol dans un commerce par des résistants depuis le début de la lutte. On a bien identifié que c’était des policiers fédéraux qui ont saccagé ces commerces, ainsi que le dépot des périodiques, situé près de l’ancien palais du gouverneur.

Mercredi 1er novembre

La PFP a commencé à encercler le campus d’où émet Radio Université. Dans la nuit, la PFP et des convois militaires, ainsi que des groupes de paramilitaires, soutenus par les policiers, ont fait du harcèlement contre les barricades qui protègent la radio du mouvement populaire pour faire tomber l’assassin Ulises Ruiz. Deux membres de l’APPO ont été brutalement arrêtés et frappés, un fonctionnaire de la PFP les a libérés ensuite, non sans les frapper aussi. Trois personnes mineures ainsi qu’une autre ont été arrêtées sans avoir été libérées.

La population est alors arrivée en masse au carrefour de Cinq Messieurs pour dissuader de manière pacifique trois convois militaires qui voulaient passer en force sur le campus. Dans d’autres points de la ville on prépare des marches en direction de l’Université où les policiers attaquent déjà avec des tancks, des canons à eau et lancent des grenades de gaz depuis des hélicoptères.

Sur l’aéroport d’Oaxaca arrivent 3000 éléments de la PFP. La bataille s’engage sur le campus ; la PFP recule un instant et attaque de nouveau. Entre-temps des policiers ministériels essayent d’entrer sur le terrain universitaire. Au carrefour de Cinq Messieurs il y a plusieurs blessés et d’avantage encore de personnes arrêtées. La PFP lance des grenades lacrymogènes à l’intérieur même des maisons.

Dans la ville de Mexico, l’APPO et des sympathisants ont bloqué de manière indéfinie l’axe central « Lazaro Cardenas » à la hauteur du centre ville. Les médias corporatistes, notamment Televisa et TV Aztèque, sont des complices de l’occupation militaire à Oaxaca.


Attaque du Campus par la PFP ("soi-disant entree pacifique" ) : tirs avec balles reelles

Jeudi 2 novembre

Le matin du Jour de Morts, des forces fédérales ont encerclé complètement le campus. Après plus de 7 heures de confrontation, des milliers de personnes ont réussi à contenir l’avance des forces fédérales qui sont soutenues par des brigades de policiers ministériels encore au service du gouverneur. Comme il fallait s’y attendre, les autorités policières ont informé que leur « objectif a été atteint » alors que le Secrétariat de la Sécurité Publique a fait diffusé de fausses informations.

À 21 h, le rapport préliminaire note 50 personnes blessées (10 policiers fédéraux inclus), ainsi que 30 détentions arbitraires.

L’appareil policier avec des milliers d’hommes en armes, des buldozers, des tanks, des hélicoptères et des gaz lacrymogènes n’ont rien pu faire contre la volonté du peuple en lutte.

Dimanche 5 novembre

Tandis que les barricades ont été renforcées partout, et notament autour du campus, la PFP reste sur la place du Socle. Mais une énorme manifestation s’ébranle à 10h, c’est la 6ème mégamarche avec près d’un million de manifestants qui réaffirment leurs exigences de voir partir de l’état d’Oaxaca le tyran Ulises et les forces de répression de la PFP !



Message édité le 07-11-2006 à 12:15:43 par Paria
Jameul
   Posté le 07-11-2006 à 12:47:31   

merci Paria
Paria
   Posté le 07-11-2006 à 14:27:09   

Qu’est-ce que l’APPO ?


Bien le bonjour,

Je vais répondre à tes questions, cela m’a paru intéressant de faire un petit topo sur le fonctionnement interne de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO), je ne vais pas rentrer dans les détails, du moins je vais essayer de trouver un juste équilibre.

À la suite de l’envoi des forces de police le matin du 14 juin contre les enseignants, qui manifestaient depuis le mois de mai, la population de la ville d’Oaxaca prit spontanément le parti des maîtres d’école. C’est en grande partie avec l’aide des habitants du centre que les enseignants purent se remettre de l’attaque surprise des flics et reprendre l’offensive, infligeant aux forces de l’ordre de l’État d’Oaxaca une défaite dont ils ne se remettent pas. À la suite de cet affrontement, eurent lieu deux manifestations, qui ont regroupé plusieurs centaines de milliers d’habitants. Peu à peu, les gens ont commencé à s’organiser.

Le 23 juin, les délégués des colonies (les colonies sont des quartiers créés à partir de la concession de terrains par les habitants eux-mêmes), des associations civiles (de développement, de communication, de culture, d’éducation, de santé, de droits humains, de protection de la nature... Il y en a plus de 500 répertoriées dans tout l’État d’Oaxaca), des associations indiennes (UNOSJO, Service Mixe, CIPO - Ricardo Flores Magón, Conseil des anciens de Yalalag, Service communautaire Ñuu Savi, Union des communautés et peuples indigènes Chontales, Union des femmes Yalatèques...), des représentants des communes de l’État (plus de cent communes se sont libérées à cette occasion, de la tutelle du Parti révolutionnaire institutionnel - PRI), des artistes, des représentants du secteur académique (université autonome Benito Juárez d’Oaxaca - UABJO), des groupes politiques de gauche et d’extrême gauche, des étudiants, des individus sans qualité particulière, des libertaires, des syndicats (de la santé, par exemple) et, bien entendu, la section 22 du syndicat de l’éducation (la section 22 est la section syndicale qui correspond à l’État d’Oaxaca) se sont réunis en assemblée pour désigner les membres d’une commission provisoire négociatrice. Cette commission, comme son nom l’indique, est chargée d’entreprendre les négociations avec le gouvernement fédéral (pour l’assemblée, le gouvernement de l’État d’Oaxaca n’existe plus), elle doit continuellement rendre compte des négociations à l’assemblée populaire, qui, en retour, lui dicte ses volontés. Théoriquement, les décisions sont prises par l’APPO, par la majorité des présents quand le consensus ne peut être atteint, jusqu’à présent la majorité a toujours été proche du consensus. J’écris "théoriquement" et "jusqu’à présent", car il se dessine une tendance, parmi les dirigeants syndicaux proches des partis, qui cherche à passer outre aux décisions de l’assemblée. La base ne se laisse pas faire mais ces manœuvres sont déplaisantes et à la longue accentuent le divorce entre deux courants (les modérés et les radicaux) et affaiblit par des tensions internes l’assemblée. Le 10, le 11 et le 12 novembre aura lieu le congrès constituant de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca. Une dernière remarque, c’est une assemblée ouverte, tous les habitants peuvent y participer, cependant il existe comme une vigilance interne à travers une chaîne ou réseau de reconnaissances, dans le sens où il est toujours possible de savoir qui est "ce nouveau venu".

Il faut comprendre que la ville n’a pas été ébranlée dans ses fondements par l’absence et le non-fonctionnement des institutions gouvernementales. La vie continue comme avant, elle est même plus passionnante et agréable, c’est une ville touristique et les touristes l’ont désertée, ce qui a entraîné une perte des profits de l’industrie touristique et de ses satellites, mais les marchés sont approvisionnés, les magasins sont ouverts, les transports publics fonctionnent, les restaurants et les cafés sont ouverts, on y dépense son argent, seulement la ville est en alerte, des barricades aux entrées d’Oaxaca obligent à de longs détours et parfois, en alerte maximale, l’entrée de la ville est interdite, ou alors très difficile. Il y a aussi des barricades dans les colonies et dans les endroits stratégiques, elles sont en général ouvertes la journée, sauf celles qui se trouvent dans des endroits à protéger comme la radio communautaire, le zócalo, le siège de l’assemblée, ou des bâtiments publics désoccupés et interdits comme le siège du gouvernement, le tribunal, etc. Ces barricades ont été dressées spontanément par les habitants des colonies pour se protéger des opérations commandos des escadrons de la mort (des policiers municipaux en civil qui tiraient sur les gens, la nuit, à partir de camionnettes). Ces opérations d’assassinat, commanditées par le gouverneur déchu, à partir de commandos et de francs-tireurs continuent à faire des blessés et des morts à proximité des barricades ou dans des rues isolées. Des commissions ont été créées par l’assemblée pour le fonctionnement minimal de la ville, j’en cite quelques-unes de mémoire : commission de la santé, de l’hygiène, des finances, de la logistique, de la presse, de la cuisine et de l’approvisionnement (pour les campements et pour ceux qui viennent de l’extérieur), commissions des brigades mobiles et de la surveillance, de la sécurité.

La commission de sécurité a été constituée sur le modèle des topiles, ou plus précisément de la police communautaire telle qu’elle existe dans le Guerrero ou au Chiapas parmi les zapatistes, ils ont été désignés, ou plutôt acceptés (ce sont pour la plupart des volontaires) par l’assemblée. Les délinquants sont remis à l’APPO, qui, en général, après leur avoir expliqué la situation, les condamnent à un travail d’intérêt collectif comme balayer les rues, actuellement la situation se durcit et les voleurs sont souvent frappés quand ils sont pris par les commerçants. Quand il s’agit d’un assassin, d’un paramilitaire ou d’un franc-tireur, l’assemblée le remet à la justice fédérale, la PGR (Procuraduría General de la República) par l’intermédiaire du syndicat des enseignants.

Les revendications des enseignants et la destitution par l’État fédéral d’Ulises Ruiz restent au premier plan des négociations. Les enseignants ont obtenu satisfaction sur l’ensemble de leurs demandes, reste la destitution du gouverneur ou la reconnaissance de la disparition des pouvoirs dans l’État d’Oaxaca, qui est la revendication principale de l’Assemblée populaire. C’est là qu’apparaît la fracture entre les dirigeants syndicaux qui ont obtenu satisfaction sur tous les points et l’Assemblée, qui comprend aussi les instits de base, qui ne veut plus d’Ulises Ruiz. C’est la partie qui se joue actuellement. Les dirigeants syndicaux ont l’appui de l’opposition dite de gauche et représentée par le premier parti de l’État, le PRD, et avec lui une grande partie de la société civile. L’APPO se trouve face à une union sacrée de l’ensemble des forces politiques capitalistes. Derrière ces objectifs du premier plan se sont dessinés d’autres objectifs plus généraux et plus pratiques à travers une réflexion sur un nouveau pacte social, à laquelle a été conviée la société d’Oaxaca (par l’assemblée). Ce travail de réflexion et de proposition a commencé le 10 octobre et se prolongera par le moyen de tables de discussion et de dialogue, d’assemblées générales et de retour aux tables de discussion, jusqu’au congrès constituant de l’APPO. Environ 1 500 personnes de tous horizons (dont les délégués des communes indiennes) participent à ce travail de réflexion sur un nouveau contrat social. Les tables sont les suivantes :

1. Nouvelle démocratie et gouvernabilité à Oaxaca ;
2. Économie sociale et solidaire ;
3. Vers une nouvelle éducation à Oaxaca ;
4. Harmonie, justice et équité sociale ;
5. Patrimoine historique, culturel et naturel d’Oaxaca ;
6. Moyens de communication au service des peuples.

La solidarité envers ce mouvement insurrectionnel s’exprime sur plusieurs plans, il y a d’abord une solidarité proche et quotidienne, des familles des quartiers qui, à 2 heures ou à 3 heures du matin, vont apporter du café chaud à ceux qui se trouvent derrière les barricades, qui apportent des provisions aux campements, des communes (souvent très pauvres) qui font parvenir de l’argent à l’assemblée. La marche sur Mexico a donné l’occasion à cette solidarité populaire de s’exercer avec toute la générosité dont elle est capable ; le campement qui se trouve actuellement dans la capitale reçoit de l’aide, alimentaire ou autre, de la part de la population. Il y a ensuite une solidarité plus militante du fait de certaines organisations syndicales, politiques et sociales qui s’est exprimée au cours du forum national et international qui eut lieu à Oaxaca le 14 octobre au cours duquel diverses propositions de soutiens ont été avancées : mobilisation nationale et internationale un jour déterminé (à préciser), bloquer la circulation en divers points de la capitale du Mexique, création d’une alliance nationale unitaire, manifestation devant la télévision pour exiger un droit de réponse, campements dans tous les États de la république pour exiger la libération des prisonniers politiques et de conscience... En fait, la solidarité s’est surtout manifestée par l’intermédiaire de petits comités (étudiants, libertaires, radios libres, associations civiles, groupes d’extrême gauche, l’Autre Campagne zapatiste) qui se sont constitués à cette fin et qui offrent un appui logistique (au cours de la marche et dans la capitale) et de communication, informer sur ce qui se passe à Oaxaca (face à la désinformation et la calomnie). Il faut savoir qu’au Mexique les principaux syndicats ouvriers et paysans sont aux mains du pouvoir par le biais du Parti révolutionnaire institutionnel, qui a contrôlé le mouvement ouvrier, et plus tard paysan, à partir de 1920. Ce n’est qu’exceptionnellement que certaines sections syndicales ont pu s’émanciper de la tutelle de l’État, comme ce fut le cas de la section 22 du syndicat de l’éducation nationale, le syndicat reste dans son ensemble entre les mains de dirigeants "charros", c’est-à-dire des dirigeants qui sont dans le cercle du pouvoir. Dans ce domaine d’une solidarité effective c’est encore le monde indigène, et paysan (70 % de la population d’Oaxaca est indienne) qui l’apporte par sa détermination à mettre fin à la domination des caciques, ceux qui, avec l’appui de tout l’appareil de l’État, cherchent à s’emparer à leur seul profit des biens collectifs.

Je ne pense pas avoir répondu à toutes les questions que vous vous posez et surtout y avoir répondu avec la clarté et la précision nécessaires à une bonne compréhension de la réalité. J’ajouterai qu’à mon sens le mouvement insurrectionnel d’Oaxaca est essentiellement empirique et pragmatique, les idéologies sont à sa traîne et elles ne cherchent même pas à le contrôler. Il risque d’être marginalisé par la société civile, cette part indéfinissable, mais importante, de la société attachée aux droits de l’homme contre le droit des peuples et des communautés villageoises (ou de quartiers). C’est un mouvement désarmé face à l’infanterie de la marine mexicaine à laquelle s’ajoutent des bataillons de l’armée de terre et les forces de la Police préventive fédérale. Sa marge de manœuvre dans ces conditions est très étroite. L’État attend sa marginalisation dans la société pour intervenir au nom du rétablissement de l’État de droit. À la suite de cette intervention, les leaders dans les communes isolées, qui n’auront pas été emprisonnés sous divers prétextes, seront assassinés par des groupes de choc paramilitaires. D’un autre côté, la société mexicaine n’est pas disposée (du moins, il me semble) à accepter un retour aux bonnes vieilles traditions de la violence étatique, qui avait caractérisé les temps, désormais révolus, du parti unique, dans ces conditions, il appartient à l’assemblée populaire de surmonter les tentatives de division, de trahison et d’isolement instruites par l’État et ses partisans. Le prochain congrès, le 10 novembre, pour la mise en place d’une assemblée constituante sera déterminant pour l’avenir de ce mouvement social.

Oaxaca le 18 octobre 2006.

George Lapierre

Message édité le 07-11-2006 à 14:30:28 par Paria
sti
   Posté le 07-11-2006 à 19:30:25   

Merci Paria, avoir l'info en direct ici même c'est quand même bien pratique
Paria
   Posté le 07-11-2006 à 19:48:48   

De rien.

Pour la composition de l'APPO en parti d'extrême gauche et syndicat ouvrier j'ai cherché et mailez certains site d'information mais ils ne sont pas avancé que nous sur ce point...

Message édité le 07-11-2006 à 19:51:51 par Paria
Paria
   Posté le 08-11-2006 à 18:26:51   

Actions armées au Mexique

Des mouvements armés de gauche ont revendiqué lundi la responsabilité de l`explosion de bombes de faible puissance la nuit précédente à Mexico, selon Reuters.

Ces attentats dans la nuit de dimanche à lundi dans un tribunal, au QG du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, opposition) et dans une banque n`ont pas fait de victimes.

Les bombes ont explosé simultanément, peu après minuit.

Cinq mouvements de guérilla de gauche ont revendiqué ces attentats dans un communiqué commun, dans lequel ils ont en outre demandé la démission du gouverneur PRI d`Oaxaca Ulises Ruiz et le retrait des forces fédérales déployées dans la ville du même nom.

"Tant que les forces fédérales d`occupation resteront sur le territoire d`Oaxaca, tant qu`Ulises Ruiz restera à la tête du gouvernement d`Oaxaca, les soldats de notre révolution armée poursuivront leurs actions politiques et militaires", ont déclaré ces mouvements.

"Nous n'avons rien à voir avec cela. Notre combat est pacifique et démocratique", a dit Flavio Sosa, un des leaders de la contestation à Oaxaca.

La police a affirmé qu'elle connaissait les mouvements qui ont revendiqué ces attaques.

Une déflagration a fait voler en éclats des fenêtres du Trife, tribunal électoral qui a suscité la colère de partisans de la gauche, en septembre, pour avoir estimé que le candidat conservateur à la présidentielle de juillet, Felipe Calderon, l'avait remporté à la régulière.

Les juges ont débouté le candidat de la gauche, Andres Manuel Lopez Obrador, qui a dénoncé des irrégularités après avoir perdu de justesse.

Un bâtiment du PRI a lui aussi été endommagé par une bombe. Une succursale de la banque canadienne Scotiabank, dans sud de Mexico, a également été la cible d'une explosion. Une quatrième bombe posée près d'une banque n'a pas explosé et la police a désactivé un cinquième engin dans un restaurant proche du QG du PRI.

Le PRI, qui a dirigé le pays pendant 71 ans jusqu'à ce que le président Vicente Fox le chasse du pouvoir en 2000, est aujourd'hui la troisième force politique du pays.
Le ministère des Affaires étrangères a été évacué en raison d'une alerte à la bombe qui s'est avérée fausse.

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Sur un autre site j'avais lu hier que les poseurs de bombe avaient prit des précautions pour ne pas faire de victime : en prévenant la police et même en mettant un panneau "Danger Bombe" .
Paria
   Posté le 08-11-2006 à 18:48:32   



Evénement à Oaxaca le 7 novembre 2006

Evenements de Oaxaca d'aujourd'hui

Ce matin Le compas des grévistes lèvent la grève de faim,

Une Marche de paramilitaires Priistses protégés par la Pfp a eue lieue 10 :30 du matin

Une Marche des femmes de l'APPO leur a répondu a 16 :00. Plus nombreuses qu'eux

La RADIO APPO D'OAXACA CONTINUE À TRANSMETTRE. Il y a des miroirs sur Radio Zapote ,. On tombe de manière intermittente sur le signal en ligne, par internet, quand il se produit, on peut continuer à l'écouter par la radio Ke Huega

Des ACTIONS de SOLIDARITÉ NATIONALE ET INTERNATIONALE dans quelques lieux du Mexique ont eues lieues certaines ont étés réprimées a mexico notamment

De nombreuses mobilisations solidaires internationales ont cependant lieues un peu partout

13 :29 la Faculté Médecine et chirurgie de l'Université Autonome Benito Juárez d'Oaxaca a été prise aujourd'hui par des étudiants, qui ont activement soutenu le mouvement social depuis les différents postes d'aide, la Communauté de la faculté a rédigé là un pli avec les points suivants : chômage de 24 heures en protestation par l'entrée de la PFP dans l'université, le respect sans restriction à l'autonomie universitaire, l'appui aux étudiants et les académiciens qui donnent appui dans les postes d'aide, on décidées de rendre le gouvernement responsable pour toutes agressions dont pourraient souffrir les membres de la Communauté de la faculté, ils seront les gardiens du respect à l'intégrité physique et la liberté de membres de la Communauté médicale universitaire qui prennent part les actions populaires en Oaxaca.

10 :24 un marche de collabos Priistes protégé par la Pfp a prié en criant "Dehors l'APPO de l'université" Radio Université d'Oaxaca clarifie que l'APPO n'est pas dans l'Université, mais dans la place de Saint-Domingue et que qui sont sur le terrain universitaire et le Secteur Estudiantin de l'Assemblée Populaire, mais en dehors de la faculté

10 :20 Radio Université annonce que des " autobus du sud " et de la compagnie " starbus " sont les autobus qui ont transportés les paramilitaires et sicaires et tueurs priistes à la marche qu'ils avaient organisés aujourd'hui pour tenter de terroriser la population de Oaxaca , en arrivant à la ville ils obligeaient les autobus urbains à les transporter en rackettant les chauffeurs

09 :05 Radio Université transmet toujours sur le net

00 :30 le mouvement en Oaxaca est pacifique, ainsi nous l'avons vu, APPO, Radio Université, est transmis jusque dans les images des journaux télévisuels. , Radio Appo annonce que lutte doit continuer mais de manière pacifique. et d'éviter le contact frontal avec la Pfp pour éviter le maximum d'arrestation

La résistance continue dans toute ville Radio Université depuis UABJO continue à transmettre

Par contre a minuit heure locale de nombreuses informations sur les disparus et les personnes arrêtées nous manquent toujours

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Nouvelle de Oaxaca le 8 nomvrembre 2006 :

Désolé pour cette traduction un peu sommaire je parle pas bien l'espagnol

section 18 démocratique de Michoacán, qui soutient à la CNTE et l'APPO, déclare que le 9 et 10 novembre en appui aux actions de l'APPO et de la section 22 d'Oaxaca, s'ajoutera aux marches qui auront lieues dans diverses régions de l'état au moins, plus de onze mille professeurs vont sortir dans les rues à exprimer l'appui au peuple d'Oaxaca et exiger la démission de Ulises Ruiz.

D'autre part dans la ville importante de Morelia, des professeurs de tout l'état se réuniront à 10 :00 heures dans l'Obélisque à Lázaro Cárdenas pour mobiliser du premier panneau de la ville, jusqu'à à la Place Melchor Ocampo à 12 :00 heures où on prévoit de mener à bien un meeting dans lequel seront présents Artemio Ortiz l'appo la section 18.

On informe aussi par l'APPM, qu'il y aura vendredi une grève des tâches agricoles et industrielles qui s'ajouteront aux actions du corps enseignant michoacano, tandis que les 75 organisations sociales qui intègrent l'APPM continueront dans grève civique national

Action de la journée du 8

ÉVÉNEMENTS DU JOUR : La marche qui est convoquée partira de Radio Université à 11 :00 AM

03 :20 Dans la barricade la Calicanto on a pus voir des camionnettes ministérielles remplies de sicaires en civil qui rodaient dans la ville

00 :53 on annonce des tirs près de la barricade de la Soria et il y a six personnes arrêtées dans la barricade de la colonie Carrillo Port, deux d'entre eux mineurs d'âge. On demande de l'aide et des informations.

00 :08 on nous annonce qu'il y a un instant une voiture la police ministérielle a été repéree remplie de sicarios en civil qu'ils ont attaqués et tirés a la barricade de Santa Lucia del camino cette attaque est attribué a l'adjoint municipal Manuel Martínez Feria un priiste local

Il N'Y A PAS de blessés ni de décés signalés mais la tension est vive en ville .
Paria
   Posté le 08-11-2006 à 21:19:43   

Chronique d'Oaxaca, 8 novembre 2006


Le gouverneur Ruiz est lâché par le gouvernement fédéral

Le ministre de la politique intérieure, Carlos Abascal, a déclaré dans une
conférence de presse que le gouverneur d'Oaxaca, Ulises Ruiz, devait, ou
bien parvenir à un pacte de gouvernement avec ses opposants et obtenir une
trêve pour montrer qu'il était capable de gouverner, ou bien donner sa
démission. Le ministre a refusé d'évoquer un possible chantage du PRI, qui
menacerait d'être absent à la cérémonie d'investiture de Felipe Calderon.
Il a annoncé que, si le fédéral n'avait pas le droit de destituer un
gouverneur d'Etat, en revanche il existait des moyens légaux pour le
contrôler : 1. un audit de la gestion des ressources fédérales reçues par
l’Etat ; 2. une enquête judiciaire sur la responsabilité du gouverneur
dans les violences perpétrées par des paramilitaires. Cependant, il s'est
refusé à avancer une date pour le retrait de la police fédérale de la
capitale oaxaquénienne, celle-ci étant, selon lui, nécessaire "pour
garantir la sécurité des citoyens".

La situation sur place

Ce mercredi, l'APPO doit remettre une proposition au gouvernement fédéral
dans laquelle elle demande la destitution de plusieurs hauts mandataires
de l'administration Ruiz, comme condition pour entamer des négociations
avec le ministre de l'intérieur.

Les étudiants estiments nécessaire de maintenir les barricades qui
défendent l'université et la radio. En effet, la situation est toujours
dangereusement tendue : des agressions sporadiques de la part de policiers
ont encore eu lieu contre des indigènes ou contre des habitations ; la
radio du gouvernement, Radio Ciudadana, continue à émettre des appels à la
haine contre les professeurs et les militants de l'APPO ; des inconnus
cagoulés ont détruit un fast-food à coups de cocktails Molotov.
La chambre des députés a refusé au président l'autorisation de partir en
voyage officiel au Vietnam et en Australie, estimant que la gravité de la
situation requérait sa présence dans le pays. Un député de son propre
parti s'est demandé non sans humour : "Pourquoi veut-il aller au Vietnam,
puisqu'il a le sien ici ?"

Les actions futures

L'APPO appelle tous les groupes de lutte, formels ou informels, à envoyer
des délégués à un congrès constitutif à Oaxaca, du 10 au 12 novembre, qui
aura les objectifs suivants :

1. Constituer formellement l'Assemblée populaire des Peuples d'Oaxaca
2. Discuter et approuver les statuts, principes, programme et propositions
de l'Assemblée nationale des peuples d'Oaxaca
3. Elire le premier Conseil national des peuples d'Oaxaca, qui sera
l’organe de coordination et de représentation de l'APPO
4. Approuver le plan d’action à court, moyen et long terme.

L'organisation souligne à cette occasion que sa lutte ne se limite pas à
chasser "le tyran Ruiz" mais a pour objectif de transformer profondément
l'organisation politique de l'Etat pour répondre aux demandes des peuples
qui l'habitent.

Les attentats à la bombe du DF revendiqués par cinq groupes de guérilla

Les attentats à la bombe qui ont secoué la ville de Mexico la nuit de
dimanche à lundi ont été revendiqués en commun par cinq groupes de
guérilla : le Mouvement révolutionnaire Lucio Cabanas Barrientos (MR-LCB),
la Tendance démocratique révolutionnaire – Armée du peuple (TDR-EP),
l'Organisation insurgée 1er Mai, la Brigade de justice 2 décembre et les
Brigades populaires de libération. Ces organisations avaient déjà annoncé
à la presse le mois dernier qu'elles passeraient à l'action si la police
fédérale réprimait violemment la contestation à Oaxaca. Dans leur
communiqué, elles reprennent les revendications de l'APPO et dénoncent en
outre la fraude électorale et "la violence néolibérale institutionalisée".
Malgré cette revendication, les autorités judiciaires n'excluent pas la
possibilité que ces groupes ne soient pas les auteurs des attentats mais
"profitent de l'opportunité pour se montrer". En tout cas, aucun
mandataire judiciaire ou politique n'accuse l'APPO ou le PRD d'en être
responsables, comme on l'avait tout de suite craint. Le ministre de la
Sécurité publique, Eduardo Molina Mora, a déclaré l'état d'alerte contre
la menace d'autres attentats, ce qui consiste à renforcer la surveillance
policière et militaire des ports, terminaux aériens et routes fédérales.

Annick Stevens
Paria
   Posté le 09-11-2006 à 20:51:38   

Evénement de Oaxaca le 9novembre 2006

Les femmes combattent, elles aussi Uro et les fascistes du Pri et du Pan

Les Femmes Oaxaqueñas manifestent plus déterminées que jamais

5 :00 de l'après midi les femmes de Oaxaca ont entamées la marche luctuosa convoquée par le COMME (Coordination des Femmes Oaxaqueñas crée le 1 août ) et la COFADAPPO (Comité qui regroupe les familles de Disparu-es des personnes Assassiné-es et Emprisonné-es par les Politiciens d'Oaxaca) face à la Faculté de Medicia, 5000 femmes oaxaqueñas habillées de noir avec des bougies, ont défilées avec des veilleurs et piqueteros avec des pancartes. Les hommes ont formé une barrière humaine comme mesure de sécurité contre la pfp et les sicaires et tueurs priistes de Uro.

Aux cris de le puño de la femme lutte contre le pouvoir " le défilé avançait en criant " ici nous voulons revoir tout les prisonniers en vie maintenant "

Les femmes ont défiée aux cris de " Avec les cheveux d'Ulises je vais à faire une éponge, pour me tailler l'ombligo et la partie plus bas " ou " Ni ici ni là la les femmes se laissent faire"

La manifestation se dirige vers le palais de Uro gardée comme une place forte

Dans la rue V. Trujano au coin de celle du 20 novembre une barricade de femmes a fait face à la PFP, qui en réponse les a bombardé a coup de canon a eau pour essayer de les intimider ça ne semble d'ailleurs pas marcher beaucoup.

La manifestation s'est conclu par un énorme meteting à l'ex Couvent de Saint-Domingue de Guzmán, avec participation de tout-es les compagnons et les parents de des disparu-es , emprisoné-es ou assassiné-es par les tueurs priistes ceux de Uro et de la Pfp

PS de Paira : désolé pour la traduction, j'essaye d'arranger certaines fautes d'un texte déjà traduit, mais je suis pas espagnol.

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Répression et manifestation, le pain quotidien à Oaxaca

Seules trente minutes s’étaient écoulées ce mercredi 8 novembre quand la Doctora Berta, une des voix les plus emblématiques et combatives de 1400 AM, Radio Universidad, nous informa de la détention arbitraire et illégale de 16 camarades universitaires, l’ un d’eux participait à l'antenne.

Selon les premières informations qui furent transmises par la radio, 8 de ces camarades étaient détenus avenue Ferrocarril, très près de la barricade de cinco señores, 6 autres étaient détenus avenue Carillo Puerto et les deux derniers à seulement un pâté de maison du Campus Universitaire. On nous informa aussi que l’ on avait entendu des tirs près de la barricade de Soriana, il faut signaler que ces tirs nocturnes ne sont plus une nouveauté, cela fait 6 jours que nous sommes ici et chaque nuit nous avons entendu ces tirs. Malheureusement, deux de ces balles répressives ont atteint le camarade Marcos Manuel Sánchez Martínez, étudiant de l’ Instituto Tecnologico d Oaxaca (ITO), dimanche dernier 5 novembre, le blessant gravement. Actuellement, ce camarade est hospitalisé au « Seguro Social », se battant pour rester en vie.

Selon l ’info que transmettait Radio Universidad, « la voix de la vérité », les camarades appréhendés ont été embarqués dans des camionnettes de la police municipale de Sta Lucia del Camino, commune qui se trouve à dix minutes de Oaxaca et où fut assassiné le camarade d’ Indymedia Bradley Will, raison pour laquelle la radio accuse le maire de la commune, Manuel Martínez Puerto, d ’avoir dirigé cette opération.

Selon les versions que donnent les témoins, plusieurs policiers de l'État, des « porros » (ndt : paramilitaires au service du gouvernement d'Oaxaca) et autres vandales reçoivent quotidiennement de petites sommes pour faire ce genre de basses oeuvres ; ces sommes dépendent du niveau du fonctionnaire et du travail qu ’il doit effectuer : cela va de centaines de pesos à quelques milliers (ndt : de dizaines d’ euros à quelques centaines). On dit aussi que le Sr. Ruiz a engagé ce que l’ on appelle des « cholos », qui ne sont rien de plus que des vandales, pour aller frapper les gens et en particulier les étudiants qui défendent dignement, jour après jour, leur Université et leur Radio.

Durant cette émission très matinale, on nous informait aussi qu ’il était prévu qu’ à 11h du matin du jour même les étudiants et les travailleurs du syndicat de l’ UABAJO (Universidad Autónoma Benito Juárez de Oaxaca) allait effectuer une manifestation de l’ avenue Universidad jusqu ’aux bureaux de la SCT Secretaria de Comunicaciones y Transportes) pour exiger que cette succursale fédérale cesse de bloquer le signal de Radio Universidad. Le blocage de la radio a commencé samedi 3 novembre, il consiste principalement recouvrir le signal de radio Universidad par une musique rock stridente et étourdissante qui empêche quasiment d’ entendre les voix des locuteurs et, étant répétitive, génère tension et dégoût chez celui qui l’ écoute.

La manifestation, à l’ appel des étudiants, ne partit pas comme prévu à 11h, mais quasiment une heure et demie plus tard, cependant elle fut menée à terme y dura environ 2h30. Le point d’ arrivée fut la Secretaria de Comunicaciones y Transportes, où il y eut lieu une prise de parole d’ environ 20 minutes durant laquelle deux orateurs du Trabajadores de la UABJO se pasèrent le micro et reprochèrent à cette succursale son intervention et le blocage du signal de Radio Unversidad.

Vers 14h30, la manifestation, qui regroupait près de 500 personnes parmis lesquels des étudiants, des travailleurs, des ouvriers et des membres de la société civile, avait accompli son objectif.
Paria
   Posté le 11-11-2006 à 13:17:44   


Les camarades Blanca Canseco Méndez, professeur Coordinatrice du Secteur Tlacolula, Vallées Centrales, de la Section 22 de Oaxaca, et l'étudiant de la Faculté des Sciences de l'UNAM et ex dirigeant du CGH de l'UNAM, Jaime Rouges Guzmán, sont partis vers la ville de Huajuapan de Leon à 23:25 le vendredi 3 novembre, à partir du terminal ADO-AU du Metro Acatitla, dans un autobus de la ligne SUD à destination de la Ville d'Oaxaca, pour prendre part à l'Assemblée d'Etat de la Section XXII en appui à Oaxaca.

Ils ont été arrêtés au poste militaire localisé dans la station d'essence de Nochixtlán, à 7:30 h le matin suivant, alors qu'ils voyageaient à ce moment là dans une camionnette Suburvan du transport public étatique vers cette localité.

Ils avaient présumément été présentés à la prison d'Yanhuitlán, proche de Nochixtlán, mais des parents et des compagnons maîtres de la Section 22 du SNTE ont confirmé qu'ils n'étaient pas retenus là.

Les camarades ont en réalité été transférés dans un camp militaire de la région où ils ont été interrogés et gravement torturés physiquement (frappés principalement dans la nuque et les côtes) et psychologiquement pendant toute la journée et la nuit par des effectifs de la Marine, de l'Armée et des services de renseignement Militaire.

En outre, ils ont été dévêtus et ont été photographiés et filmés, et emportés dans un hélicoptère militaire pendant plus de deux heures, pieds et mains liés et menacés d'être lancés à la mer s'ils ne se déclaraient pas "senderistes", "qui allaient déstabiliser le gouvernement d'Ulises Ruiz Ortiz", "qui étaient responsables d'incendies de camions", "qui appartenaient à un groupe subversif". On voulait particulièrement que le camarade Jaime Rouges Guzmán accepte la charge d'être membre de Sentier Lumineux.

Après ces faits ils ont été présentés le soir dans le pénitencier d'état (CERESO) d'Etla.

À la demande de la famille du Professeur Blanca Canseco, il a été obtenu que la Commission des Droits de l'Homme de l'état leur rende visite. On sait qu'ils ont été examinés par le médecin légiste du pénitencier, celui-ci ayant seulement annoté les plus petites lésions, mais on a empêché qu'un médecin légiste des Droits de l'Homme les examine pour constater les lésions dont ils ont fait l'objet.

Jusqu'à aujourd'hui, dimanche 5 novembre, au matin, on a eu connaissance de sa présentation dans le dit Pénitencier d'Etla. On a informé les parents du professeur et les camarades du Secteur Tlacolula auquel elle appartient. Le Dossier Administratif 224/FM/06 a été ouvert (il n'y a pas eu d'enquête préalable). Les camarades ont été arrêtés sans mandat d'arrêt ils se réservent son droit constitutionnel à déclarer.

Aujourd'hui à 7:30 les 48 heures légales pour déterminer leur situation sont dépassées. Jusqu'à ce maintenant, ils sont illégalement détenus.


Nous exigeons la liberté immédiate de nos camarades et de tous les prisonniers politiques ! Nous sollicitons le soutien solidaire pour la diffusion de ce message! Front Enseignant Indépendant National (FMIN) et Mouvement etudiant Révolutionnaire Internationaliste (MERI) - Dimanche 5 novembre 2006.
Paria
   Posté le 11-11-2006 à 21:46:11   

Poster par Gorki dans la rubrique "action en communs des menbres" :

Communiqué du Comité Central du Parti Communiste du Mexique (ML) à propos des événements d'Oaxaca

Le processus démocratique et révolutionnaire va de l'avant, acculant les forces de la réaction, les forces du fascisme, le régime capitaliste, à prendre des mesures contre le peuple, mais celles-ci n'ont pas réussi à nous affaiblir. Au contraire, ces mesures se sont attirées le rejet de millions et de millions d'opprimés du Mexique et renforcent l'organisation d'un futur Front Unique contre l'oligarchie financière.

Ainsi, l'oligarchie financière, incapable de résoudre les grands problèmes du Mexique puisqu'elle en est la cause, prétend, avec ses forces d'occupation, freiner et anéantir ce processus démocratique, pour le bon plaisir des monopoles impérialistes, pour aller plus loin encore dans l'exploitation et l'oppression, déjà exacerbées.

Les enseignements que nous offre le peuple d'Oaxaca dans sa longue marche et sa ferme résistance à l'offensive fasciste, nous amènent, à n'en pas douter, à une nouvelle interprétation de la réalité nationale, interprétation plus large, beaucoup plus claire, de ce que signifie le système capitaliste, de ce que représente la soumission du Mexique au néo-colonialisme, de ce qu'implique le Plan Puebla-Panama, le Traité de Libre Echange, de toute la cochonnerie des négoces bourgeois du tourisme international, de la sauvegarde de caciques et de propriétaires terriens et de la protection des usines-prisons de millions de prolétaires.

Oaxaca est une source d'inspiration pour la classe ouvrière et pour tout le peuple mexicain. Celui-ci, acculé à la pauvreté et à l'oppression de la bourgeoisie et de ses partis, subit aujourd'hui la répression féroce du régime, pour le simple fait d'exiger la liberté, d'exiger la démocratie, d'exiger de meilleurs conditions de vie. Pour toute réponse, l'oligarchie financière n'a fait que manoeuvrer et imaginer différents subterfuges pour conserver le statut-quo, mettant ainsi au grand jour le rôle de son Etat, de ses institutions, de ses partis politiques et de ses moyens d'information ; par là-même, elle démontre la nécessité de la révolution prolétarienne.

La réaction de l'oligarchie financière et de son Etat face au problème social à Oaxaca est partie intégrante de la politique destinée à maintenir soumis le peuple. Les Ulises Ruiz sont présents dans tous les Etats de la république, sous toutes les couleurs (jaune, bleu et tricolore), mais, à Oaxaca, ils ont dû faire face à une résistance organisée, à la conscience de classe ; c'est pour cela qu'ils cherchent à noyer ce peuple dans le sang.

La dictature du capital, voilà ce que défend la Police Fédérale Préventive à Oaxaca, rien d'autre. Les grands affairistes, voilà qui appuie Fox en pressurant les peuples. Offrir le pays à l'impérialisme, voilà le programme de Calderon. Offrir à la bourgeoisie les ressources du peuple, voilà l'objectif d'Ulises Ruiz et de la classe qu'il représente. Voici les questions qui sont en débat à Oaxaca comme dans tout le pays, et c'est pourquoi la lutte doit être développée activement et largement, dans la montagne, sur la côte, à la campagne et dans les villes, dans tous les recoins de notre pays.

L'offensive des "forces publiques" contre les peuples d'Oaxaca signifie par ailleurs l'échec de la démocratie bourgeoise, démasquée, et l'entrée en scène du fascisme, face à l'impossibilité pour la bourgeoisie de continuer à gouverner comme jusqu'à présent. Voilà pourquoi tant d'opérations militaires et cet entêtement à soumettre ce peuple, pour qu'aucun exploité et opprimé n'ose remettre en cause l'ordre actuel des choses.

Mais les choses ne tournent pas comme l'espérait l'oligarchie financière, et elle y risque encore plus sa crédibilité, elle y risque son régime même, face au rejet général. Ainsi, il ne resta plus à la bourgeoisie qu'à se jeter dans les bras de l'impérialisme, totalement et définitivement. Pas à pas, petit à petit, dans les rues de la ville d'Oaxaca, le foxisme, les impérialistes, l'oligarchie financière et ses partis serviles reçoivent en pleine figure le rejet de leur système et, surtout, une déclaration de guerre de la part de ce peuple, lassé de la misère et de l'exploitation auxquelles il a été soumis.

La répression de la part régime et la façon dont cette tendance s'est consolidée à travers le Sénat et les structures dirigeantes du PRI, du PAN et du PRD, montre suffisamment que toutes les forces du capitalisme sont associées afin de conserver le système de domination de la propriété privée.

Ainsi, les différentes tendances soi-disant humanistes du capitalisme se démontrent inefficaces à détenir le fascisme, puisqu'assises sur le fondement du profit maximum et du régime en soi de la démocratie du capital. Tout ceci démontre leur incapacité à résoudre les problèmes économiques, politiques et sociaux, et démontre qu'aucune des vieilles politiques social-démocrates, qu'elles se proclament "de gauche", néo-libérales, national-bourgeoises, ou bien "patriotiques", ne sont suffisantes pour endormir l'instinct de classe des masses travailleuses.

Ainsi donc, notre Parti et le FPR appellent à la résistance populaire et à l'offensive contre le régime bourgeois, pour la défense de nos intérêts sociaux, pour un gouvernement ouvrier, de paysans pauvres, et populaire.

Halte à la répression !
Police Fédérale Préventive, hors d'Oaxaca !
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Seule la Révolution Socialiste est changement !

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Communiqué de médias indépendants harcelés à Oaxaca

Oaxaca de Juárez, Oaxaca.
7 novembre 2006.

à Vicente Fox Quezada, président de la République,
à Carlos Abascal Carranza, ministre de l'Intérieur (Secretario de
Gobernación),
à José Luis Soberanes, de la Commission nationale des droits humains,
à la Commission internationale des droits humains,
aux défenseurs des droits humains indépendants,
à la société civile nationale et internationale,

Depuis le début du conflit, la majorité des moyens de communication
commerciaux, au niveau national et international, a systématiquement
dissimulé des informations sur ce qu'il se passe dans l'État et dans la
ville d'Oaxaca, particulièrement en ce qui concerne les actes de violence
provenant du gouvernement de l'État, et maintenant aussi de la Police
fédérale préventive.

Durant les dernières semaines, beaucoup de journalistes alternatifs qui
couvrons le conflit pour les médias libres, avons subi toutes sortes de
harcèlements et de menaces de la part des groupes paramilitaires qui
opèrent pour le gouvernement de l'État, de la radio clandestine qui opère
avec l'aval de M. Ulises Ruiz Ortiz, et maintenant aussi de la Police
fédérale préventive. Il est évident que le travail des médias libres
empêche les actions répressives provenant de l'État.

La mort du journaliste américain Brad Will, produite de la main de
fonctionnaires municipaux sympathisants d'Ulises Ruiz Ortiz, est une
preuve de ce qui précède, bien que le scandale qui se déchaîne autour de
ce fait ait aggravé la situation précaire dans laquelle nous nous trouvons
en travaillant comme organisations, groupes et journalistes de médias
libres.

Des exemples de cela sont : les appels de l'autonommée "Radio citoyenne"
pour attaquer les journalistes "étrangers", produisant ainsi une campagne
de xénophobie contre toute personne qui n'est pas oaxaquénienne ; menaces
de mort directes à des journalistes ; le vol de leurs matériels ; coups et
menaces avec des armes à feu.

Comme journalistes indépendants, nous réprouvons aussi le blocus des
transmissions de Radio Universidad parce qu'il viole l'autonomie
universitaire et la liberté d'expression protégée par la Constitution
mexicaine et la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Nous nous opposons à la discrimination entre les médias officiels et les
médias libres, parce que nous accomplissons tous la fonction d'informer.
Pour toutes ces raisons, nous rendons responsables M. Ulises Ruiz Ortiz et
le président de la République, Vicente Fox Quezada, de tout incident qui
pourrait arriver à un membre des organisations et des groupes signataires
ci-dessous ou à tout autre journaliste.

Salutations,

Agence populaire de photographie Lok'tavanej, Bibaani, A.C., Canal 6 de
Julio, Centre d'information et de documentation communautaire Yagavila,
Centre des médias libres DF, Collectif Chanti Ollín, Collectif Radio
Zapote, Convergence des groupes de l'ENAH, Édition Lucía Zenteno, Estéreo
Communal, Front oaxaquénien de communication alternative, Indymedia
Oaxaca, Ke Huelga Radio, Mal de Ojol TV, OaxacaLibre, Ojo de Agua
Communication, Radio Bemba, Radio Chapingo, Radio Guetza, Radio Maíz,
Radio Molocha, Radio Nandiá, Radio Pacheco, Radio Plantón, Radio Réforme,
Radio Sabotaje, Radio Tupa Oaxaca, Radio Universidad, Réseau de radios
communautaires de l'Isthme (Radio Ayuuk, Radio Ikoots, Radio Umalalang,
Radio Totopo, Radio Huave), Corrugated Films, Indymedia Barcelona,
Indymedia NYC, Kaos en la Red, La Haine.org, Organisation anglaise de
journalistes, 43 signatures de journalistes indépendants...
Paria
   Posté le 12-11-2006 à 21:45:57   

La lutte continue à Oaxaca

Cependant hier de nombreuses disparitions et arrestation restent a déplorer, de nombreux convois de gens solidaires convergent toujours vers Oaxaca , même s'ils sont bloqués car les porcs fascistes de la Pfp interdisent aux stations services de vendre de l'essence a ceux et celles qui sont sur les routes qui mènent a la villes

les sicaires et tueurs du Pri de Ulisse Ruiz eux continuent de tuer en toute impunité alors que la Pfp elle se retranche derrière des barbelés et tiens certains coin stratégiques de la ville comme le Zocalo laissant les sicaires et tueurs du Pri " sous traiter " les arrestations et " disparitions "

Quand à l'assassin Uro il refuse toujours de démissionner et déclare aux médias mexicains que le " problème " de Oaxaca se résume "une avenue dans la capitale". et la Pfp reconnaît détenir " que 50 personnes " ils sembleraient qu'ils mentent et que le chiffre soit beaucoup plus élevé qu'ils ne l'annoncent

Ce 11 novembre l'appo tiendra un grand meeting a Oaxaca , de nombreuses actions sont prévues

de nombreuses caravane convergent toujours d'un peu partout au Mexique vers Oaxaca malgré les contrôles de la Pfp

le mépris toujours le mépris, les coups de matraque de Oaxaca a Neuilly les encostumés fascisants n'ont que ça a nous apporter

En attendant d'autres nouvelles les Photos de la méga marche du 6 novembre a 0axaca http://nyc.indymedia.org/en/2006/11/78870.html

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L'APPO commence sa réunion constitutive.

Oaxaca, Oax.

L'Assemblée Populaire du Peuple d'Oaxaca a convoqué ses sympathisants à célébrer, ce vendredi, la réunion constitutive de l’APPO. Les dirigeants ont annonce qu’elle définira les principes et les objectifs de la lutte,

La réunion qui a débuté ce vendredi dans la capitale pourrait emmener l'APPO à se transformer en une Assemblée de l’Etat du Peuple de Oaxaca, d'après un rapport diffusé par W Radio.

La réunion se fixe aussi pour objectif l'élection d'une direction permanente, vu que jusqu'aujourd'hui, l'organisation formée en juin par le conflit d’Oaxaca, ne compte que des portes paroles.

A peu près 3.000 personnes, représentant les différentes régions de l'Etat (qui compte environ trois millions et demi de personnes), sont attendues à cette rencontre.

Florentino López Martínez, l'actuel porte parole de l'APPO, a informé que la réunion se terminerait dimanche, et que lundi ils appelleront de nouveau à une manifestation dans les rue de la ville

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Oaxaca : Appel d'un partisan de l'autonomie individuelle et collective


Chaque fois qu'une révolution a dédaigné de considérer comme son objectif prioritaire le soin d'améliorer la vie quotidienne de tous, elle a donné des armes à sa répression

Appel d'un partisan de l'autonomie individuelle et collective.

Raoul Venegeim

Considérant que les habitants d'Oaxaca ont le droit de vivre comme ils le veulent dans la ville et dans la région qui sont la leur ;

Considérant qu'ils ont été victimes d'une agression brutale des policiers, des militaires et des escadrons de la mort à la solde d'un gouverneur et d'un gouvernement corrompus dont ils ne reconnaissent plus l'autorité ;

Considérant que le droit de vivre des habitants d'Oaxaca est un droit légitime et que l'illégalité est le fait des forces d'occupation et de répression ;

Considérant que la résistance massive et pacifique de la population d'Oaxaca atteste à la fois sa résolution de ne pas céder à la menace, à la peur, à l'oppression, et sa volonté de ne pas répondre à la violence des policiers et des tueurs paramilitaires par une violence qui justifierait le travail de souffrance et de mort accompli par les ennemis stipendiés de la vie ;

Considérant que la lutte du peuple d'Oaxaca est la lutte de millions d'êtres revendiquant le droit de vivre humainement et non comme des chiens dans un monde où toutes les formes de vie sont menacées par les intérêts financiers, la loi du profit, les mafias affairistes, la transformation en marchandises des ressources naturelles, de l'eau, de la terre, des espèces végétales et animales, de la femme, de l'enfant et de l'homme asservis dans leur corps et dans leur conscience ;

Considérant que la lutte globale entreprise au nom de la vie et contre l'emprise totalitaire de la marchandise est ce qui peut empêcher le peuple d'Oaxaca de céder à ce désespoir qui sert toujours fidèlement le pouvoir parce qu'il paralyse la pensée, ôte la confiance en soi, entrave la faculté d'imaginer et de créer des solutions nouvelles et de nouvelles formes de lutte ;

Considérant que la solidarité internationale se contente trop souvent de rabâchages émotionnels, de discours humanitaires et de déclarations creuses où seule la fatuité de l'orateur trouve un objet de satisfaction ;

Je souhaite qu'un soutien pratique soit apporté aux assemblées populaires d'Oaxaca afin que ce qui n'est pas encore une Commune puisse le devenir. Car ce qui est en train de s'ébaucher se situe dans la lignée de la Commune de Paris et des collectivités andalouses, catalanes et aragonaises durant la Révolution espagnole de 1936-1938, où l'expérience autogestionnaire jeta les bases d'une société nouvelle.

A cette fin, je fais appel à la créativité de chacun pour aborder des questions qui, sans préjuger de leur pertinence et de leur intérêt, sont de nature à apparaître, à tort ou à raison, dans la constitution d'un gouvernement du peuple par le peuple, c'est-à-dire d'une démocratie directe où les revendications individuelles soient prises en considération, examinées sous l'angle d'une harmonisation possible et dotées d'une accréditation collective qui permette de les satisfaire.


_Si tant est qu'il soit possible et souhaitable que les parents des victimes de la répression et de l'occupation policière se constituent partie civile contre le gouverneur et les instances responsables des assassinats et des violences, comment leur garantir un soutien international ?


_Comment empêcher les emprisonnements, l'action des paramilitaires, le retour de la région entre les mains sanglantes des corrompus ?


_Au-delà du sursaut d'indignation suscité par la barbarie policière et mafieuse, comment aider la population d'Oaxaca à donner des garanties effectives à cette aspiration qu'elle ne cesse d'exprimer : nous ne voulons plus être en proie à aucune violence ?


_Comment agir en sorte qu'aucune oppression ne s'exerce sur le droit de vivre des individus et des collectivités attachées à la défense de ce droit universel ?


_Quel soutien la solidarité internationale peut-elle apporter à la résistance civile d'Oaxaca en sorte que cette résistance civile devienne simplement la légitimité d'un peuple à se gouverner directement lui-même par le recours à la démocratie directe ?

Et dans une perspective de plus longue échéance :


_Si celle-ci le souhaite, comment pouvons-nous aider la Commune d'Oaxaca à collaborer à l'organisation de l'approvisionnement en nourritures et en biens d'utilité individuelle et collective ?


_Comment pouvons-nous aider les associations populaires à assurer elles-mêmes et sans dépendre des pouvoirs "d'en haut" la gestion des transports, des services sanitaires, de la fourniture en eau, en électricité ?


_Quel appoint international peut-il être fourni au projet d'"éducation alternative" qui, après la longue grève des enseignants, s'esquisse en Oaxaca ?


_Ne se trouve-t-il aucune association scientifique qui puisse faciliter le développement d'énergies naturelles et non polluantes dans la région d'Oaxaca ? Le but serait double. D'une part, éviter que celles-ci soient implantées autoritairement au profit de l'Etat et des multinationales -comme cela s'est passé dans l'isthme. D'autre part, rappeler que la préoccupation énergétique et environnementale n'a de sens pour nous que dans sa relation avec l'autogestion. Car mises au service de communautés autogérées, elles ne permettent pas seulement de se rendre indépendants des mafias pétrolières et technologiques, elles instaurent peu à peu cette gratuité que leur caractère renouvelable et leur source inépuisable garantissent, une fois couverts les frais d'investissement. Et cette idée de gratuité des énergies, qui implique aussi la gratuité des moyens de transport, des soins, de l'éducation, est, plus encore qu'une arme absolue contre la tyrannie marchande, le plus sûr garant de notre richesse humaine.

Message édité le 12-11-2006 à 21:53:06 par Paria
Paria
   Posté le 14-11-2006 à 19:20:19   

Textes sur oaxaca

témoignages contre le silence des pantoufles de la médiocre médiacratie française

Bien le bonjour,

Dimanche 5 novembre, le départ de la marche avait lieu à Viguera, petite municipalité qui se trouve à l'entrée de Oaxaca et à environ 12 kilomètres du centre ; là, sur la route qui vient de Mexico se dresse la statue de Benito Juarez. La marche s'est ébranlée, il était un peu plus de dix heures du matin. ¡Hombro con hombro, codo con codo, la APPO, la APPO, la APPO, somos todos ! (Epaule contre épaule, coude contre coude, l'Appo, l'Appo, nous sommes tous l'Appo !) Le Comité des familles et des amis des disparus, des assassinés et des prisonniers politiques a pris la tête de la marche, venait ensuite, se tenant par le bras, les membres de la direction provisoire de l'assemblée populaire, puis les autorités municipales de la Sierra Juarez avec leurs bâtons de commandement enrubannés, que leur a confiés l'assemblée du village. Et puis le fleuve s'est écoulé, puissant, énorme, tranquille, sur la route à quatre voies qui conduit à Oaxaca. ¡No que no, si que si, ya volvimos a Salir ! Tout devant, en haut d'une perche, se balance la maquette en carton d'un tank chasse barricade de la police fédérale préventive, avec dans la coupole le pantin d'un policier anti-émeute tout harnaché. ¡Se ve, se nota, en Oaxaca no hay derota ! Plus de deux kilomètres et demi de long, sans musique ni fanfares, mais avec des slogans repris à tue tête sur un ton chantant, toujours ; pas de haut parleurs, mais des pancartes brandies au bout d'un bâton, des gens d'humble condition, ni riches, ni puissants, ont arpenté l'asphalte d'un pas alerte et soutenu. ¡Ya cayó, ya cayó, Ulises ya cayó ! (Il est tombé, il est tombé, Ulises est tombé !) Dans ce défilé sans fin, nous avons pu remarquer les brigades de Puebla, le Front populaire Francisco Villa, un groupe de paysans armés de leurs bâtons à fouir (bâton avec lequel le paysan creuse un trou où il dépose le grain de maïs), les femmes triquis vêtue de leur robe traditionnelle rouge avec de fines lignes blanches, elles font partie du mouvement unificateur de la lutte triqui indépendante (MULTI). L'Assemblée des peuples en résistance de San Salvador Atenco fermait la marche. ¡Que sube, que baja, Oaxaca no se raja ! (Qu'il monte, qu'il descende, Oaxaca ne se dégonfle pas !) Le long de la route des gens nous offraient des oranges, de l'eau fraîche, des tortillas, du pain, des mandarines, et le fleuve humain a pénétré dans la ville, resserré comme un torrent immobile, bouillonnant, dans les rues trop étroites (en haut des murs, aux fenêtres, sur les terrasses, les gens nous acclamaient), pour finalement se déverser sur la place Santo Domingo et s'écouler dans les rues environnantes. ¡Oaxaca no es cuartel, fuera Ejercito de el ! (Oaxaca n'est pas une caserne, que s'en aille l'armée !) Pourtant l'armée était bien là, qui avait transformé le Zócalo en camp retranché. Plusieurs rouleaux de fil de fer barbelé tranchant comme des rasoirs en barraient l'accès, une rue était même barrée par un haut mur d'acier, les camions tanks, les canons à eau étaient prêts à entrer en action, en haut, sur les terrasses des maisons autour de la place, les vigiles observaient avec angoisse cette déferlante qui arrivait vers eux. Quelques échauffourées commençaient d'ailleurs, quand la locutrice, désormais célèbre, de la Radio Universitaire, une femme assez âgée, est intervenue pour calmer le jeu, et les jeunes avec leurs foulards, sortis tout prêts à en découdre de la marche, les durs à cuire et les irréductibles l'ont écoutée.

« Face à face se trouvent les deux défenses ennemies : la barricade du peuple et la tranchée militaire. La barricade montre au soleil son énorme masse irrégulière et paraît fière de sa difformité. La tranchée militaire fait valoir ses lignes géométriques et sourit de sa rivale contrefaite. Derrière la barricade se tient le peuple insurgé, derrière la tranchée se trouve la milice.

─ Quelle horrible chose qu'une barricade ! s'exclame la tranchée, aussi horrible que les gens qui se trouvent derrière, on sait bien qu'il y a seulement des gens perdus derrière ce machin encombrant et inutile. Je n'ai jamais vu qu'un truc aussi mal fichu et si ridicule puisse servir à autre chose qu'à protéger d'une mort méritée la canaille. Des gens crasseux, qui sentent mauvais, des bandits, la plèbe turbulente, c'est tout ce que peut protéger une chose si moche. Par contre derrière moi se trouvent les défenseurs de la loi et de l'ordre, les piliers des institutions républicaines, gens disciplinés et corrects, garants de la tranquillité publique, bouclier de la vie et des intérêts des citoyens.

Les barricades ont de l'amour propre et la barricade dont on parle ne peut faire exception à la règle. Elle sent que ses entrailles de bois, de vêtements, de tessons, d'ustensiles divers, de carcasses, de pierres, tressaillent d'indignation et dans le ton de sa voix il y a la solennité des suprêmes résolutions et la sévérité des déterminations populaires. ─ N'en dis pas plus, refuge de l'oppression, réduit du crime, tu es en présence du bastion de la Liberté ! Moche et contrefaite comme je suis, je suis grande parce que je n'ai pas été fabriquée par des gens à gages, par des mercenaires au service de la tyrannie. Je suis fille de la désespérance populaire, je suis le produit de l'âme tourmentée des humbles et de mes entrailles naissent la Liberté et la Justice.

Il y a un moment de silence, la barricade paraît méditer. Elle est difforme et belle tout à la fois. Difforme de par sa constitution, belle par sa signification. Elle est un hymne fort et robuste à la liberté, elle est la protestation formidable de l'opprimé.

─ Une barricade dans chaque ville au même moment, et la liberté jaillira de mes entrailles, lumineuse, rayonnante comme la respiration d'un volcan ! Obscure comme je suis, j'illumine. Quand le pauvre m'aperçoit, il soupire et dit : Enfin ! » (Ricardo Flores Magón, Regeneración, número 213, 20 de noviembre 1915)

Ce mouvement social se veut pacifique, il est l'expression d'une volonté populaire face à un pouvoir totalitaire et despotique, ce mouvement entend substituer à un rapport vertical, une relation horizontale : « Eux, ils ont les armes, nous, nous avons la raison et la raison doit triompher de la force ». C'est une insurrection pacifique. La lutte devant l'université fut une lutte de résistance, la défense opiniâtre d'une liberté. L'armée pouvait venir à bout des bombas molotof et des coyotas, mais pas des gens qui sont descendus dans la rue avec un seul mot d'ordre : « A bas le tyran ! »

Pourtant la lutte ne peut se circonscrire à la chute du tyran. Derrière ce mot d'ordre se trouve l'exigence d'un changement de régime, substituer à un régime autoritaire, un gouvernement véritablement démocratique, selon le modèle des communautés indiennes, où les « autorités » sont désignées pour accomplir ou veiller à l'accomplissement des initiatives prises par l'assemblée du village. Le Congrès Constituant de l'assemblée populaire des peuples d'Oaxaca, qui se tiendra à partir du 10 novembre, devra définir les statuts, les principes, le programme et les objectifs de l'assemblée. Il élira le Conseil des peuples d'Oaxaca et approuvera un plan d'action. Il analysera les contextes international, national et régional ainsi que la crise des institutions pour entreprendre une réforme de l'Etat pour Oaxaca. Il y discutera les caractéristiques du nouveau gouvernement, de la nouvelle constituante et de la nouvelle constitution. Vaste projet, mais qui prend forme peu à peu, déjà les tables pour le dialogue et les premières résolutions dites de Santo Domingo avaient abordé ces thèmes et ébauché une réflexion.

Nommer une direction, désigner des dirigeants, c'est toujours un moment délicat et bien ambigu et tout peut très vite dégénérer en une forme plus ou moins larvée de pouvoir, pouvoir qui cherche, selon sa propre logique, à se renforcer par divers moyens ; c'est ce qui s'est passé, il y a quelques années à Juchitán avec la dérive de la COCEI (Coalition ouvrière, paysanne étudiante de l'Isthme) au cours de laquelle se sont perdues et dénaturalisées des années de luttes. Déjà certains dirigeants nommés provisoirement ont donné des signes de faiblesse face au pouvoir au cours des négociations. Pas tous, bien des gens sont clairs, d'autres se mettent trop en avant pour être honnêtes. Après la trahison de la direction de la section 22, se préparent d'autres trahisons. L'Assemblée devra se montrer vigilante. Gustavo Esteva avait relevé sur un mur de la ville cette phrase, que je cite de mémoire : « Ne tombons pas dans la provocation, ne prenons pas le pouvoir. » A suivre…

Jusqu'à présent l'assemblée populaire repose sur les pratiques ancestrales des communautés indiennes : les « autorités » désignées obéissent aux décisions prises par l'assemblée communautaire, ce que les zapatistes traduisent par « mandar obedeciendo » (commander en obéissant). Ce n'est pas si facile et je vois bien que certaines personnes de la direction provisoire suivent leur propre ligne de conduite ou celle de leur parti. Cette façon de faire s'appuie sur des traditions sociales ou culturelles fortes, celle du tequio, qui est une forme de travail bénévole, communautaire et solidaire et celle de la guelaguetza, mot zapotèque qui signifie « art de donner » et qui recouvre l'ensemble des échanges festifs. Tout ce mouvement de résistance sociale a pu s'organiser, se construire, se maintenir et durer grâce à ces deux coutumes : activité bénévole et solidaire, appui matériel et alimentaire de la part de la population.

L'assemblée est bien hétéroclite elle draine des organisations les plus diverses, indigènes, civiles, des droits humains comme la Ligue mexicaine des droits humains (Limedh), des autorités municipales, des délégués syndicaux, des étudiants, des partis politiques comme celui de Flavio Sosa (Nueva Alianza), le Parti Ouvrier Socialiste (POS), le Parti communiste mexicain etc., etc., des organisations comme le Front populaire révolutionnaire (FPR), le comité de défense des droits du peuple (Codep)… Ce côté hétéroclite constitue à la fois la faiblesse et la force de l'Appo. Force car il conduit pour l'instant l'assemblée à chercher le consensus, les divergences idéologiques sont mises de côté dans la recherche d'un « dénominateur commun », faiblesse car il peut laisser trop de marge de manœuvre à la direction, qui en profitera nécessairement.

Ce dimanche matin un étudiant, Marcos Manuel Sanchez Fernandez, a été gravement blessé par des groupes paramilitaires. Il était 6H45 quand diverses personnes fortement armées sont arrivées à bord de plusieurs véhicules et ont fait feu à partir d'endroits différents en direction de la cité universitaire et de la barricade de los Cinco Señores.

Oaxaca, lundi 6 novembre 2006.



Bien le bonjour,

Nous sommes le mercredi soir, nous pensions aller « monter la garde » au camp retranché, qui défend la Radio Universitaire au sein de la cité du même nom. Après réflexion, nous n'allons pas nous y rendre, c'est fort Alamo et, en plus, cette cité universitaire est une véritable nasse, j'ai horreur de me sentir ainsi pris au piège. Nous ne sommes pas les seuls à prendre, ou à avoir pris, cette décision, d'autres se sont rendus compte du danger que représente cette cité universitaire complètement close. A l'extérieur, les habitants ont dressé des barricades, mais la cité est vaste et n'est protégée que sur deux côtés, pourtant ce n'est qu'à l'extérieur que l'on peut espérer, non pas arrêter, mais ralentir, freiner, l'avancée de l'armée et laisser le temps aux gens de la radio de s'échapper. Je pense que c'est finalement ce qui va se passer, les mexicains (les gens du peuple, s'entend) choisissent en général la solution la plus rationnelle.

Nous irons à Santo Domingo qui est toujours occupé par les membres de l'assemblée populaire, avec une présence remarquée des maîtres d'école, qui sont venus contre l'avis de leur direction syndicale. Ils ont le sourire, les yeux clairs et brillants de ceux qui ont su garder leur dignité. La direction syndicale non seulement a apporté la division au sein de l'assemblée, mais elle est devenue l'ennemie déclarée de tous ceux qui l'ont critiquée et mise en cause, se rappeler Rueda Pacheco, un dirigeant, courant sous les insultes et les débris de nourriture, désormais, il n'a plus qu'une idée en tête, briser l'assemblée, il est devenu l'allié inconditionnel de l'Etat. Il y avait bien 3000 personnes qui occupaient ainsi l'espace devant le couvent des dominicains ce matin. De Santo Domingo, nous pourrons toujours nous rendre aux abords de la cité universitaire si la situation là-bas devient critique.

Au cours de son avancée, l'armée a perquisitionné, sans mandat, évidemment, un grand nombre d'habitations (une cinquantaine) et arrêté plus d'une trentaine (sans doute beaucoup plus avec les disparitions) de personnes. Elle a l'ordre d'appréhender tous ceux qui ont un mandat d'arrêt, plus de 200 personnes pour l'instant, mais le nombre augmente tous les jours. Aujourd'hui, elle a repris deux barricades importantes, Brenamiel, qui se trouvait à l'entrée nord d'Oaxaca, le long du rio Atoyac, et celle du Canal 9. Nous avons appris qu'elle avait reçu l'ordre de perquisitionner la cité universitaire, malgré l'opposition clairement exprimée du recteur (cela mérite d'être signalé) ; ce ne sera sans doute pas pour ce soir. Dans les jours qui viennent, la police fédérale va chercher à détruire une par une les dernières barricades et puis elle va occuper, par des rondes continuelles, toute la ville. Elle n'occupera pas si facilement le cœur des habitants.

Aujourd'hui, 1er novembre, c'est la fête des morts et l'assemblée a hélas beaucoup de morts récents à fêter. La coutume consiste à dresser un autel avec des berceaux faits de palmes et de fleurs, de ces fleurs qui ressemblent à nos chrysanthèmes, mais plus petites, de couleur orange foncé, que l'on appelle cempasúchitl, avec les pétales de ces fleurs on trace le chemin des morts jusqu'à l'autel.

A Oaxaca les autels sont renommés pour leur débauche de fleurs et de fruits, ils sont en général à trois étages où sont exposés les offrandes pour les morts qui vont venir au cours de la nuit du 1er au 2 novembre : du tabac, un verre de mescal, des fruits, des petites têtes de mort en sucre, des épis de maïs et, surtout le pain des morts, c'est un pain fait spécialement pour eux et que l'on mangera le lendemain en buvant le fameux chocolat bien mousseux d'Oaxaca. Ce matin nous nous sommes rendu à Santa Lucia, à la barricade où a été tué le jeune reporter Brad Will, les habitants de ce quartier populaire lui rendait hommage, ils ont dressé un autel à un coin de rue, proche du lieu où il est tombé, lieu dit le Ferrocaril, une ligne de chemin de fer partageant l'avenue en deux ; la mort nous a laissé en mémoire une chaussure au milieu de l'asphalte, les jeunes du quartier ont fermé un grand espace avec des bougies autour de cette chaussure et ils ont écrit le nom de Bradley Will en lettres dorées avec des étoiles. Les familles se sont ensuite retrouvées pour une oraison publique autour de l'autel qu'elles lui avaient élevé.

Je reprends cette chronique deux jours plus tard, nous sommes maintenant vendredi soir. Jeudi, au matin, nous avons été appelés en renfort pour protéger la radio universitaire, les troupes de la police fédérale venaient de prendre la barricade de la Glorieta Cinco Señores, qui protégeait la cité universitaire. La radio poussait son cri d'alarme et lançait un appel au peuple d'Oaxaca : « Nous sommes menacés, venez en grand nombre, ne restez pas chez vous, venez défendre votre radio ! » La police avait choisi son jour, jour de la fête des morts, le 2 novembre est une fête familial importante : on invite les voisins à déjeuner, à boire le chocolat et à manger le pain des morts, on a préparé le mole, la sauce aux vingt épices, au piment et au chocolat, que l'on mangera, accompagnée de poulet, en famille, avant de se rendre au cimetière.

Nous sommes arrivés assez tôt et nous avons pu contourner, avec l'aide des habitants des quartiers environnants, les flics qui avaient pris los Cinco Señores pour nous trouver au pied de l'université. Il fallait renforcer les barricades existantes et en élever d'autres à des points stratégiques afin de ralentir les forces de police. Les habitants du quartier se sont mis à l'œuvre, pas tous, des familles du parti du gouverneur déchu ont soulevé des objections, ce qui a entraîné de fortes discussions entre voisins, finalement notre parti l'a emporté et les familles récalcitrantes sont rentrées s'enfermer chez elles. Le matin, de bonne heure, vers 7H, des gens du PRI étaient passés en camionnette aux abords de l'université et avaient tiré en direction de la radio, nous avons retrouvé 24 douilles de différents calibres.

Des carcasses de voitures, et même la carcasse d'un camion, ont été soulevées et transportées à la force des poignets au pied des gendarmes mobiles. Les habitants et les jeunes de l'université allaient faire feu, c'est le cas de le dire, de tout bois, et nous pourrions ajouter, de tout véhicule avec cependant une prédilection pour les bus. Trois autobus de Montoya, une colonie assez éloignée, sont venus nous prêter main forte, à leur arrivée les passagers ont pris les clés et ont dit aux chauffeurs : « les bus ne sont pas à vous, donc on vous les prend, on vous rendra les clés plus tard. » Les bus ont servi de barricades, une des tactiques consiste aussi à mette le feu à un bus et à le lancer ainsi tout enflammé sur les forces de police. A la fin de l'affrontement, nous avons vu les chauffeurs partir avec les clés, mais sans leurs bus.

Nous avons fait de belles rencontres, des mères de famille, des personnes âgées, des gens simples, sans parler des jeunes et des gamins, tous sur le pied de guerre, et ils allaient être toujours là aux moments les plus durs et les plus critiques, quand les hélicoptères nous bombardaient avec des grenades de gaz lacrymogène. La bataille a duré 7 heures. Des équipes médicales étaient présentes avec du vinaigre, du coca-cola et de l'eau, le vinaigre pour respirer sous les gaz lacrymogènes, le coca pour s'en asperger, ce qui a pour effet d'atténuer rapidement les brûlures du gaz, on peut employer aussi de l'eau sucrée, mais les gens ici préfèrent le coca, et l'eau pure pour les yeux. Les jeunes ont fait preuve d'une vaillance et d'une imagination à toute épreuve : bazookas improvisés avec des tubes de PCV, il m'a semblé, mais je ne suis pas un expert en guérilla urbaine, des bouteilles de gaz enflammées, je vous assure qu'une grande bouteille de gaz, comme ils ont ici, au milieu de la rue fait le vide autour d'elle, aussi bien du côté de la police que des assaillants, ils ont aussi des fusées, sans parler des traditionnelles bombas molotof ; j'ai aussi noté des pétards de fabrication artisanale ou coyotas, on mélange de la poudre, un acide, des clous et des punaises, le tout dans du papier d'aluminium qu'on entoure ensuite d'un adhésif, on y ajoute une mèche et le tour est joué ; j'ai pu apprécier leur habileté à la fronde, la pierre atteint une vitesse, une hauteur et une distance impressionnante.

Offensive, repli, offensive…, vers trois heures nous avons ressenti comme un petit relâchement, le combat semblait se déplacer vers les rues adjacentes, on annonçait à la radio une série d'arrestations, j'ai pensé que les flics nous encerclaient et que je devais trouver un moyen de sortir de cet encerclement si je ne voulais pas me trouver déporter en Europe. Nous avons offert notre aide à un groupe médical qui avait une camionnette, transporter du coca-cola et du vinaigre sur le front, mais le front reculait au fur et à mesure que nous avancions, la troupe battait en retraite et finalement nous nous sommes retrouvés tous sur la Glorieta Cinco Señores, et les gens venaient de partout. Les habitants d'Oaxaca venaient de remporter la victoire sur plus de 4000 hommes de troupe, les hélicoptères ont fait un dernier passage pour lancer quelques grenades et ils sont partis.

Réduit à ma portion de quartier, pour ne pas dire de rue, entre la cité universitaire et le bataillon de flics, je n'avais aucune vision d'ensemble. En fait les habitants, qui peu à peu arrivaient par vagues sur les lieux à l'appel de la radio, ne purent passer le barrage des policiers qui tenaient les cinq avenues, bientôt ceux-ci se sont trouvés pris en tenaille, les arrivants ont commencé à dresser des barricades et à s'affronter aux forces de police, et ils étaient de plus en plus nombreux, au bout de quelques heures la police fédérale préventive a commencé à manquer de munitions et les canons à eau se sont trouvés vides. Elle a été débordée par le nombre. La seule solution qui lui restait était de faire feu sur la foule qui l'entourait, elle a choisi de battre en retraite : No fue un fracaso, se evito un baño de sangre, porque no teniamos por qué cambiar los toletes por metralla (ce ne fut pas un échec, on a évité un bain de sang, car nous n'avions d'autre solution que de remplacer les matraques par la mitraille). La victoire revient au peuple d'Oaxaca qui s'est mobilisé pour défendre sa radio.

Depuis le début nous avons affaire à une révolte sociale, qui émerge des profondeurs de la société, et tout l'appareil d'Etat est en train de se fissurer sous la poussée de cette force. Ces deux mobilisations populaires, celle de dimanche et celle de jeudi, ont pallié l'absence, pour ne pas dire la trahison de la section 22, et l'assemblée s'est trouvée toute revigorée, ce qui est bon signe pour le Congrès Constituant qui doit se tenir le 10, 11 et 12 novembre. Ce n'est qu'une victoire dans une guerre sociale qui promet d'être longue.

Déjà le lendemain, c'est-à-dire aujourd'hui, à 6h50 du matin, des escadrons de la mort dans un style commando ont à nouveau tiré avec des armes de gros calibre sur les installations de la radio. Une grande manifestation est prévue dimanche prochain avec l'arrivée de trois caravanes venant du Nord, du Centre et du Sud. Les caravanes, qui ne pourront entrer, dresseront une barricade à l'endroit même où elles seront arrêtées, cette proposition fut faite à l'assemblée cet après-midi. A dimanche ! Oaxaca, vendredi 3 novembre 2006. George
Paria
   Posté le 16-11-2006 à 19:38:54   

Bien le bonjour d’Oaxaca, le 14 novembre.


Bien le bonjour,

Le Congrès constituant de l’Assemblée s’est ouvert le vendredi 10 novembre. Il avait pour but de définir, autour de trois thèmes de discussions, les perspectives, les principes, le programme et le plan d’action, à court, moyen et long terme, de l’Assemblée, puis de désigner les membres qui formeront le Conseil de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca. Ce Conseil des peuples d’Oaxaca, (Consejo Estatal de los Pueblos de Oaxaca) constituera la direction collective permanente de l’Assemblée, elle sera l’organe de coordination et de représentation de l’APPO. Trois jours plus tard, le lundi 13, à 4 heures du matin, après d’âpres disputes, interrompues par des discours de soutien venus de toute part, la recherche opiniâtre du consensus et quelques tentatives de manipulation, le Congrès avait atteint ses objectifs.

Le Congrès s’est tenu dans une salle des sports, surchauffée en milieu d’après-midi, froide la nuit, qui se trouve à la sortie de la ville. Les délégués des sept régions de l’État d’Oaxaca et des différents secteurs de la société composant l’Assemblée formaient le corps du Congrès, huit cents au début, un peu plus de mille sur la fin, ils avaient un carton orange et eux seuls avaient le droit de vote, puis venaient les invités munis d’un carton jaune (les invités avaient le droit à la parole, mais non au vote) et la presse, autre carton, qui a dû sortir dès le commencement des débats. Interdiction était faite de sortir avant la fin des débats, sauf pour les invités, qui, dans ce cas, ne pouvaient pas revenir. L’alcool et les armes à feu étaient interdits, ainsi que les appareils photo. Un comité de vigilance veillait au bon respect des règles et cherchait à éviter l’infiltration de gens indésirables. Au dernier jour, nous avons été retardé par la découverte de faux délégués, qui avaient présenté une « feuille de route » suspecte. En général, les gens, par délégation, se connaissaient, et il était difficile de se glisser à l’intérieur d’une délégation sans soulever des interrogations. Cela dit... Certains délégués, venus des régions, ont apporté leurs couvertures et dormaient sur place. Petits déjeuners, repas du midi et du soir étaient prévus, en outre les habitants des quartiers et des barricades apportaient à manger dans des camionnettes ou des autos particulières, qu’ils distribuaient à l’heure de la comida. Le repas de midi se faisait dehors sous un soleil assassin et la file était interminable.

Les Indiens, les jeunes et les femmes étaient un peu perdus dans un monde d’hommes, d’adultes et de métis. J’ajouterai que le monde paysan était sous-représenté au profit du corps enseignant. Pourtant, ces minorités issues des colonies, des barricades et des communautés villageoises vont marquer d’un esprit nouveau l’Assemblée populaire face aux traditions de lutte des militants marxistes, qui constituaient tout de même le gros morceau de l’Assemblée. Durant toute la durée du congrès, ces deux formes de pensée vont s’affronter, mais aussi s’écouter, pour finir par conclure une forme d’alliance, un pacte provisoire : les militants ayant parfois été sensibles à ce qui constitue le fondement de l’Assemblée et lui donne un sens, la communauté ; les jeunes libertaires, les habitants des colonies et des villages reconnaissant, semble-t-il, la capacité d’organisation et de convocation des militants issus des formes historiques de la « lutte des classes ». En fin de compte ce que cherche l’Autre Campagne zapatiste, l’alliance entre le mouvement indien et les forces d’opposition au monde capitaliste, semble se concrétiser ici avec l’APPO. Cette union ne se fait pas sans grincements de dents, torsions et contorsions, ce qui donne à l’Assemblée une tournure complexe et parfois ambiguë, elle est populaire, ce qui convient à l’esprit marxiste et léniniste, mais elle est aussi l’assemblée des peuples d’Oaxaca, ce qui lui donne un tout autre esprit.

La première journée a été en grande partie occupée à enregistrer les délégués et les invités, et le congrès n’a véritablement commencé qu’au début de l’après-midi. Les sept présidents et vice-présidents, les quatre rapporteurs et les dix scrutateurs chargés de la direction du congrès ont été désignés par les délégués, chaque région devant nommer trois représentants. La règle du consensus a été retenue et le programme des trois tables de travail a été présenté. Durant cette journée, à travers des discussions, des idées ont pu se préciser : maintenir l’unité entre les forces qui composent l’Assemblée, entre un mouvement anti-autoritaire et spontané et un mouvement organisé ; des concepts comme la révocation des mandats, la démocratie participative, l’initiative citoyenne, du « mandar obedeciendo », la reconnaissance des droits indigènes, une éducation multiculturelle, l’égalité des genres, ont été avancés, qui devaient définir et rappeler les grands traits de l’Assemblée.

La deuxième journée a été plus consistante, avec la tenue des trois tables de discussion autour des thèmes suivant :

Table 1, analyse du contexte international, national et régional, à l’intérieur duquel se constitue l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca.

Table 2, la crise des institutions : pour une réforme intégrale de l’État libre et souverain d’Oaxaca, pour un nouveau gouvernement, une nouvelle constituante et une nouvelle constitution.

Table 3, l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca, perspectives, déclaration de principes, statuts et buts, plan d’action à court, moyen et long terme.

Nous avons assisté à la table numéro 3, les résolutions et les propositions de la première assemblée des peuples d’Oaxaca, qui eut lieu fin septembre, ont été reprises dans leur ensemble, ce sont en général des déclarations de principes, qui n’ont de sens que s’ils sont réellement appliqués, ce qui est encore à voir. Retenons le principe de la révocation des membres élus du Conseil, que toutes les décisions prises par l’APPO devront être analysées et discutées par la base, le consensus sur les décisions, le service ou tequio, le « mandar obedeciendo »... Nous retrouvons ce caractère de généralité quant aux propositions concernant le programme de lutte, souveraineté nationale, pour un nouveau modèle de développement économique, pour une démocratie populaire, pour la justice sociale... Je vous laisse deviner le contenu de tous ces paragraphes, je retiendrai le droit à la terre pour les femmes indigènes et le respect de la médecine traditionnelle et des médecins et des sages-femmes indigènes ; et puis chacun y a été pour de nouvelles propositions de principes ou de luttes ou pour confirmer et préciser les propositions existantes, insistant sur l’horizontalité des rapports, les radios communautaires, le système des charges, une cinquantaine de personnes sont ainsi intervenues, chacune d’entre elles exprimant, dans une certaine confusion entre réformisme et radicalité, ses préoccupations et ses idées.

Au cours de toutes ces interventions, se dessinaient peu à peu les trois courants qui allaient s’affronter le lendemain : le courant que j’appellerai « magoniste » et qui s’appuie sur les pratiques et les règles de la vie communautaire (souvent, d’ailleurs, la communauté est mise en avant comme une simple référence, un peu abstraite, par de jeunes libertaires venus des barricades), le courant « révolutionnaire » marxiste-léniniste, qui tourne autour du concept clé de pouvoir populaire, et un courant plus souterrain, moins visible mais qui pointe parfois le bout de son nez, le courant réformiste proche du Parti de la révolution démocratique et de la Convention nationale du même nom.

La troisième journée a été consacrée au débat, à partir de l’analyse des résultats ou conclusions des trois tables, et ce ne fut pas une mince affaire, tentatives de manipulation ou l’art de faire passer en force ou en douceur des propositions inacceptables pour la majorité des délégués. Usure, résistance, acharnement, fatigue, les militants des partis politiques et en particulier du PRD, ressortaient de leurs sombreros tous les vieux procédés usés jusqu’à la corde pour faire accepter l’inacceptable. Pris dans la tourmente le bateau du congrès a tenu bon, malgré quelques voies d’eau qui n’ont pu être colmatées à temps. Il s’agissait ensuite de nommer les membres du Conseil, la règle de pas moins de 30 % de femmes ayant été acceptée et retenue par la majorité : dix hommes ou femmes pour chacune des sept régions à l’exception de la Vallée centrale, où se trouve Oaxaca, qui sera représentée par vingt délégués auxquels s’ajouteront les représentants des différents secteurs (de 3 à 5 par secteur) : colonies et quartiers, barricades, femmes, organisations civiles, organisations des peuples indigènes, syndicats, autorités municipales, jeunes et étudiants, paysans et producteurs, religieux, commerçants, secteur culturel et artistique, intellectuels. Tout le monde y retrouvait son compte finalement et il y eut plus de 260 membres nommés pour deux ans. Remarquons que les délégués de la Sierra Norte au Congrès, conséquents avec leur tradition communautaire, n’ont pas nommé de membres au Conseil, laissant ce soin à l’assemblée régionale, qui se réunira prochainement à Guelatao.

Je reviendrai sur ce congrès dans une prochaine lettre.

Oaxaca, le mardi 14 novembre 2006.
George Lapierre.
Paria
   Posté le 16-11-2006 à 19:42:00   

CHRONIQUE DU MEXIQUE EN LUTTES, 15 NOVEMBRE 2006


Oaxaca

L’APPO (Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca) annonce qu’elle empêchera le gouverneur de l’État, Ulises Ruiz, de rendre son deuxième rapport d’activités au Congrès. Cette cérémonie, en effet, vise à montrer qu’il y a gouvernabilité, ce que conteste l’APPO. Le programme de gouvernement présenté mercredi passé par Ruiz au ministre de l’Intérieur comprenait six points : réconciliation, réforme de l’État, réactivation économique, sécurité, révision des structures de gouvernement et avancée dans l’accomplissement des accords passés avec les enseignants. Cependant, aucun détail n’a toujours été fourni quant à savoir comment seront accomplis ces six engagements.

Les étudiants de l’Université autonome Benito Juárez d’Oaxaca refusent de reprendre les cours, ainsi que de démanteler les barricades qui entourent le campus. Le recteur a annoncé lui-même que les cours étaient suspendus jusqu’à nouvel ordre, mais il avait demandé la levée des barricades en échange d’une protection policière pour les étudiants militants, protection que ceux-ci estiment "incongrue" étant donné la répression violente que la police a exercée sur eux il y deux semaines. Trois étudiants sont toujours incarcérés ; la section locale de la Ligue des droits humains demande leur libération ainsi que la présentation en vie de 31 personnes disparues lors des assauts policiers subis par la ville. Pour marquer leur détermination, 2 000 étudiants ont effectué une marche depuis la Cité universitaire vers le camp principal de l’APPO, au couvent de Santo Domingo.

Dans une petite ville de l’État, des professeurs ont fait prisonniers six militants du PRI qui cherchaient à remplacer les professeurs de la section 22 du syndicat, toujours en grève.

L’ex-maire de Mexico, Andrés Manuel López Obrador, ainsi que des députés du PRD organisent vendredi prochain une rencontre nationale "pour la défense d’Oaxaca" ; ils exigent le retrait de la PFP et la démission du gouverneur comme préalable à toute négociation et souhaitent promouvoir des actions pour éviter de futures violences et terreurs à l’encontre des populations en lutte.

Chiapas

Lundi dernier, des indigènes lacandons, militants du PRI, ont entrepris de chasser par la force des indigènes tzetales et choles, sympathisants de l’EZLN, de certaines terres revendiquées par les deux parties dans la réserve écologique des Montes Azules. Selon le Centre des droits humains Fray Bartolomé de las Casas, proche des zapatistes, l’affrontement a fait 14 morts, 10 du côté des sympathisants de l’EZLN et 4 du côté des Lacandons. Le ministère fédéral de la réforme agraire et le gouvernement du Chiapas avaient, au terme d’une négociation, attribué ces terres aux Lacandons et obligé les autres indigènes à les évacuer.

Lutte pour la présidence

La tension monte à l’approche de l’entrée en fonction du nouveau président de la République, qui doit avoir lieu le 1er décembre au Palais législatif. Le PRD, dont fait partie le candidat Andrés Manuel López Obrador (AMLO), évincé par une fraude électorale plus que probable, a réaffirmé son intention d’empêcher à tout prix cette cérémonie. Le PAN, parti du président, veut faire protéger les lieux par l’armée, ce qui est refusé par les autres partis, y compris le PRI qui estime "lamentable" qu’un acte constitutionnel comme la transmission de pouvoir doive se faire sous la protection de l’armée et de la police ; le PRI demande que des négociations politiques soient faites avec le PRD pour que les choses se passent sans violence. L’APPO annonce sur son site Internet qu’aura lieu le 1er décembre une marche d’un million de personnes vers Mexico, à la fois pour exiger la démission de Ruiz et pour rejeter la présidence de Calderón.

Le porte-parole de l’actuel président a demandé que la voix de la majorité soit respectée, puisqu’en démocratie c’est la majorité qui commande, et puisque la majorité a voté pour Calderón. AMLO, de son côté, a déclaré que le gouvernement de Calderón serait une mascarade et un pur appareil bureaucratique, car tel est un gouvernement "sans l’appui du peuple". Il a ajouté que le parti pris de la majorité des médias, "vendus à la droite néofasciste", est une preuve que le pays n’est pas une démocratie. Il maintient que le 20 novembre aura lieu sa propre entrée en fonction comme "président légitime", avec le cabinet qu’il a constitué et avec le programme qu’il a annoncé pour gouverner "pour le peuple et avec le peuple".

La hiérarchie catholique abonde dans le sens de la présidence, méprisant les accusations de fraude électorale. Pour rappel, les indices de fraude sont surtout le nombre beaucoup plus important de votes que de votants officiels dans certains États, des bizarreries dans la progression du décompte des voix, une partialité évidente de l’IFE (Instituto Federal Electoral, institution créée en 1988 pour garantir la transparence du processus, mais qui a été immédiatement assujettie au gouvernement en place, ses membres faisant exclusivement partie du PAN et du PRI) - tout cela sans parler d’une campagne électorale véritablement haineuse et diffamatoire envers le candidat du PRD. Un article extrêmement détaillé, et dont la conclusion est accablante pour le PAN, a paru à ce propos dans "La Chronique des Amériques" (juillet 2006, n° 26, Observatoire des Amériques, Université du Québec à Montréal) : Les élections présidentielles mexicaines : parodie électorale ou tragédie démocratique ?, par Émilie E. Joly.

Les sénateurs du PRD, reprenant l’ensemble des irrégularités commises lors des élections, demandent la démission de tous les membres de l’IFE.

Annick Stevens, à partir de "La Jornada".
sti
   Posté le 16-11-2006 à 21:03:12   

Le compte rendu de George Lapierre est intéressant et notement sur le rôle des ML qui consisteraient une des trois forces du congrés et apparement la mieu organisé mais les décisions d'organisations collégiale de l'assemblé suivant des critéres sociaux culturels un peu flou semble sujet à caution.
Ce qui serai bien ce serait d'avoir un texte des ML précisant la stratégie au sein du congrès et de l'assemblée puisqu'ils représentent une force trés importante. Il se joue peu être un événement politique important ...
Paria, quelque part on lit que l' APPO a un site internet, tu l'as trouvé ?

(encore merci pour ce dossier)
sti
   Posté le 16-11-2006 à 21:05:48   

http://www.asambleapopulardeoaxaca.com/

c'étais pas compliqué en fait ...
Paria
   Posté le 16-11-2006 à 21:12:45   

Oui, oppong l'avait mis un peu plus haut : http://www.asambleapopulardeoaxaca.com

Pour ce qui est des groupes ML présent à l'APPO je cherche toujours des informations supplémentaires mais je n'ai encore rien trouvé.
sti
   Posté le 16-11-2006 à 21:21:18   

Merde, je l'avais zappé. Désolé
Paria
   Posté le 22-11-2006 à 16:05:15   

CHRONIQUE DU MEXIQUE EN LUTTES, 21 NOVEMBRE 2006


Naissance de l’Assemblée populaire des peuples du Mexique, pour la
démocratie directe issue de la tradition indigène.


Ce 20 novembre a été un jour historique au Mexique pour plusieurs raisons.
La plus importante pour l’avenir est probablement la constitution
officielle de l’Assemblée populaire des peuples du Mexique (APPM), qui
regroupe 19 assemblées populaires, dont l’APPO, et 75 organisations
sociales et politiques. L’APPM cherche à former un front le plus large
possible contre la domination politique et économique de droite ; c’est
pourquoi elle invite les zapatistes de l’« Autre Campagne » et le « Front
élargi progressiste » (c’est-à-dire le PRD et les petits partis qui lui
sont alliés) à se joindre au mouvement ; seuls sont exclus les groupes
liés au PRI ou au PAN, dans la mesure où il doit s’agir d’un « processus
d’organisation populaire qui veut en finir avec les vieux cercles de
pouvoir et où les décisions émanent directement des assemblées, avec une
coordination horizontale, sans possibilité d’imposer des décisions depuis
des petits cercles de pouvoir ». Parmi les objectifs de l’APPM, en effet,
le plus révolutionnaire est sans doute celui de promouvoir la formation
d’assemblées à tous les niveaux, depuis le plus local jusqu’au plus
fédéral, afin de « retrouver les traditions collectives, communautaires et
populaires qui trouvent dans les assemblées l’expression la plus complète
et la plus développée de la démocratie directe ».

La première activité de l’APPM sera l’appui au plan d’action de l’APPO,
qui comprend, demain mercredi, une mégamarche vers la ville d’Oaxaca, des
blocages de routes autour de celle-ci, et des meetings devant une
quinzaine d’ambassades dans divers pays du monde.

À Mexico, les promesses du « Président légitime » López Obrador.

La célébration de l’anniversaire de la Révolution dans le centre ville de
Mexico, c’est d’abord une foule de plusieurs centaines de milliers de
personnes qui assiste au défilé commémoratif, culturel et sportif, dans
une atmosphère joyeuse et bon enfant. Mais cette année c’est surtout
l’occasion qu’a choisie le candidat présidentiel, évincé par fraude,
Andrés Manuel López Obrador (AMLO), pour prendre symboliquement ses
fonctions de Président légitime, avant que son rival Felipe Calderón ne le
fasse officiellement le 1er décembre. Devant la foule accourue de tous les
coins de la république, AMLO s’est engagé à protéger les droits du peuple,
défendre le patrimoine et la souveraineté nationale et entamer la
transformation profonde du pays. À cette fin, il a annoncé un programme en
20 points, parmi lesquels des initiatives légales pour affronter les
monopoles économiques liés au pouvoir et pour favoriser l’économie
populaire.
En préparation du 1er décembre, le Palais législatif où doit se passer la
cérémonie d’investiture de Calderón s’est transformé en une véritable
place forte, gardée par des centaines de policiers, et dont tous les accès
sont désormais scellés, murés, contrôlés. Une exposition consacrée à
Pancho Villa, qui devait être inaugurée aujourd’hui, a été interdite par
le PAN, au grand dam de tous les autres groupes politiques qui estiment
les mesures de prévention démesurées. Qui sait cependant ce qui va se
passer ce jour-là ? Une banderole sur le zócalo annonçait clairement : «
La démocratie est morte. S’il n’y a pas de solutions, ce sera la
révolution ».

Toujours l’état de siège à Oaxaca.

Dans la capitale d’Oaxaca, des affrontements ont eu lieu entre la Police
fédérale préventive (PFP) et les quelques 1 500 partisans de l’APPO qui
avaient organisé une marche pour commémorer l’anniversaire de la
Révolution. Durant tout l’après-midi, les jets de pierres et les pétards
ont lutté contre les gaz lacrymogènes et les matraques, avant que la PFP
finisse par se retirer de la zone de la manifestation. On compte 53
blessés du côté de l’APPO et au moins 5 du côté des policiers. Plusieurs
manifestants ont été arrêtés et remis aux autorités judiciaires. Plusieurs
journalistes et preneurs d’images, y compris appartenant à des agences de
presse internationales et à la toute puissante télévision TV Azteca, ont
été poursuivis et agressés par des policiers.

La Ligue mexicaine de défense des droits de l’homme dénonce le fait que «
La Police fédérale préventive continue à violer les droits de l’homme,
outrepasse ses fonctions et, au lieu de rétablir la paix, provoque le
contraire » ; elle demande au gouvernement fédéral de retirer la PFP de
l’État, vu que « sa présence aiguise le conflit ». Une femme n’ayant aucun
lien avec l’APPO a porté plainte pour agression sexuelle de la part de
policiers, et l’APPO dénonce un harcèlement continuel vis-à-vis des femmes
de la part de la force d’occupation policière qui campe toujours dans le
centre ville.

La radio libre sympathisante des insurgés, Radio Universidad, est toujours
complètement entourée de barricades et gardée comme une forteresse ; la
professeure de médecine Berta Muñoz, qui avait assuré l’antenne durant les
sept heures d’assaut policier le 2 novembre, est désormais cantonnée à
l’intérieur des locaux de la radio en raison des menaces de mort qu’elle
reçoit sur son portable et qui sont diffusées par la radio proche du
gouvernement. Elle a confié à une journaliste de « La Jornada » que rien
ne serait plus pareil à l’université, qui doit désormais se rapprocher du
peuple et lui donner la parole.

Quant au gouverneur de l’État, Ulises Ruiz, comme seule réponse à
l’immense mouvement populaire qui réclame sa démission, il a déclaré que «
celui qui retire et impose, c’est Dieu ». Cette tranquille assurance de
gouverner de droit divin lui a valu le sévère reproche du coordinateur de
la commission « Justice et Paix » de l’archidiocèse d’Oaxaca, pour avoir
évoqué le nom de Dieu pour « justifier son maintien au pouvoir, qui
manifestement est autoritaire, méprisant, despotique et tyrannique. Quand
on idolâtre le pouvoir, on tombe dans la fétichisation et on n’écoute plus
la voix du peuple. »

Du côté des zapatistes

D’État en État et de communauté en communauté, l’ « Autre Campagne »,
entamée il y a déjà presque un an, continue de donner la parole à toutes
les victimes des confiscations de terres, des assassinats et disparitions,
de la misère imposée par les grands propriétaires et leurs milices
privées, les caciques et leurs policiers corrompus, les narcotrafiquants
et leurs blanchisseurs. Donnant ainsi une voix aux sans voix, elle permet
au moins de révéler à quel point la façade de démocratie et d’État de
droit qu’affiche le Mexique vis-à-vis de l’extérieur est un leurre et une
mascarade.

Hier, des milliers d’indigènes, « bases d’appui » de l’EZLN, ont bloqué
diverses routes du Chiapas pour manifester leur soutien aux revendications
de l’APPO.

Annick Stevens, à partir de « La Jornada ».

Message édité le 22-11-2006 à 16:05:43 par Paria
Paria
   Posté le 22-11-2006 à 19:33:35   

Bien le bonjour,

Nous en étions restés à la troisième et dernière journée, celle des débats
houleux (je n’ai pas perdu de vue ma métaphore du bateau dans la tempête)
et de la nomination des membres du conseil. Du débat houleux, j’ai retenu
quelques sujets qui posaient problèmes, le premier concernait la question
du pouvoir et avec elle, celle des partis politiques, devait-on accepter
comme membres du Conseil des adhérents à un parti politique ? Le deuxième
concernait le nombre de places à l’intérieur du Conseil consenties aux
enseignants ? Nous reviendrons un peu plus loin sur ces deux questions,
nous allons commencer par les conclusions des tables de travail. Dès le
matin, consacré à la lecture des résultats, les mésententes ont fait
surface et ont envenimé les discussions.

La première table concernant l’analyse de la situation internationale,
nationale et régionale n’a pas posé de problèmes particuliers, tous sont
tombés d’accord pour trouver la situation catastrophique : capitalisme
généralisé s’appuyant en grande partie sur l’impérialisme des Etats-Unis,
qui conduit à l’appropriation des ressources et à la destruction du
milieu, des cultures et de la vie sociale (avec parfois un petit côté
marxiste au sujet des contradictions du capitalisme et des allusions à la
classe ouvrière), la signature des traités commerciaux ont ruiné le marché
national et prolétarisé les paysans, condamnés à émigrer aux Etats-Unis.
Sur le plan régional cette avancée du capitalisme s’accompagnant de la
privatisation des biens communs est une agression contre la vie
communautaire, les usages et les coutumes ancestraux. Cette destruction de
la richesse naturelle et culturelle, s’accompagne d’un accroissement de la
répression : violation constante de la liberté, des droits collectifs et
des droits humains.

On vient de m’appeler pour me dire que la situation est critique du côté
du Zócalo, la manifestation de ce jour, 20 novembre, vient de s’affronter
à la police fédérale préventive qui garde l’endroit. Je vais y faire un
saut, je vous tiendrai au courant… Ce sont surtout des jeunes qui
harcèlent les forces militaires, ils ont dressé une belle barricade avec
les matériaux d’un immeuble en construction sur la rue qui descend de
Santo Domingo au Zócalo, de ce point, ils asticotent les flics, qui, de
leur côté, répliquent en lançant des grenades lacrymogènes ; les autres
rues d’accès sont mal protégées si bien que les forces ennemies peuvent
nous prendre à revers, c’est d’ailleurs ce qui se passe à un moment donné,
ce n’est heureusement qu’un commando d’une vingtaine d’individus, qui
tirent à bout portant avec leurs fusils lance-grenades et puis se
replient, quelques blessés. Des secours se sont formés spontanément, des
familles sont venues avec tout le matériel et proposent des tampons de
vinaigre, du coca-cola et de l’eau pour les yeux. Des équipes médicales
sont en place. Les jeunes ne sont pas en position de force et ils n’ont
pas une vue stratégique qui leur permettrait de coordonner leurs
mouvements, ils en ont conscience, déjà toute une équipe est partie
renforcer la barricade de los Cinco Señores dangereusement laissée sans
protection. Ce qui me paraît préoccupant est l’attitude des membres du
Conseil présents, au lieu de prendre le parti des jeunes, ils ont commencé
à parler de provocations, de manifestation pacifique, nous connaissons
tous ce genre de discours, pour ensuite donner l’ordre du repli. "Comment,
vous, qui représentez d’une certaine manière le peuple, osez parler de
provocations quand vous devriez être en première ligne pour le défendre
contre les exactions des forces d’occupation, les jeunes font ce travail,
alors respectez-les et ne les accusez pas d’être des provocateurs !!", la
réponse ne s’est pas laissé attendre ! Si tous ceux qui ont des ambitions
politiques, forts de leur position au sein du Conseil, continuent à se
manifester de cette manière autoritaire bien des gens des barricades, des
colonies et des quartiers vont se sentir rejetés ou écartés et ne vont
plus participer à l’Assemblée ; un divorce en ce moment me paraît
prématuré car il laisserait le champ libre aux politiques et mettrait un
terme à la commune d’Oaxaca.

Fin de cette grande parenthèse, qui est celle de l’action un après-midi à
Oaxaca, et revenons à l’analyse de cette troisième journée du Congrès, qui
est, elle aussi, pleine d’enseignements.

La lecture des conclusions de la table 2 va soulever de vigoureuses
protestations et mettre en péril l’unité du Congrès. Le passage incriminé
est le suivant :

"Se consideró importante que la APPO negocie y vaya ocupando espacios de
decisión y de poder en las instituciones vigentes, que se negocie con el
gobierno federal y se ocupen espacios en el gobierno estatal… que la APPO
sea un ente político en la legislatura local… y participar en el próximo
proceso electoral."
(On a considéré important que l’APPO négocie et occupe des espaces de
décision et de pouvoir dans les institutions existantes, qu’on négocie
avec le gouvernement fédéral et qu’on occupe des espaces dans le
gouvernement de l’Etat [d’Oaxaca]… que l’APPO soit un organisme au sein de
la législature locale… et participe au prochain processus électoral.)

Les rapporteurs ont bien ajouté que ce passage n’avait pas obtenu le
consensus, il était tout de même proposé au Congrès, avec l’espoir de
passer inaperçu ? Ce ne fut pas le cas. Les gens étaient vraiment en
colère, à tel point que l’unité du Congrès s’est trouvée, un temps,
compromise. Il fut décidé de refaire le texte pendant l’heure du repas. Le
Congrès avait pris un coup dans l’aile. Etait-ce une réalité ou un
prétexte ? La découverte de personnages suspects venait à point pour
ressouder artificiellement l’assemblée et calmer le jeu : attente
interminable après le repas, retour au compte goutte dans la salle des
débats, musique et danse au "son de la barricada", discours de soutien, la
lecture d’un nouveau rapport n’eut lieu qu’à 6 heures du soir devant des
esprits qui avaient été divertis de la dispute du matin. Un rapport qui
ménage la chèvre et le chou, d’un côté il est question d’un pouvoir
populaire, de l’autre on reconnaît "comme instances fondamentales dans la
prise de décisions à l’intérieur de l’APPO les assemblées communautaires."
Des interventions qui ont suivi cette lecture, je retiens la proposition
de reconnaître l’autonomie et la libre détermination des peuples indiens,
la valorisation du tequio ou travail communautaire, l’accomplissement des
accords de San Andrès, la critique du Plan Puebla-Panama et du projet de
dresser plus de 2000 éoliennes dans l’isthme de Tehuantepec, par contre,
je me garderai de retenir la motion proposant de "construire un pouvoir
populaire et un nouvel Etat".

Je vous ai déjà parlé de la table 3 portant sur les principes généraux de
l’Assemblée et sur les plans d’action, je les rappelle ici brièvement :
communalité, démocratie participative ou démocratie directe, plébiscite et
référendum, révocation des mandats, non réélection, probité et
transparence, équité du genre, égalité et justice, service (mandar
obedeciendo), unité (les partis politiques apportent la division),
autonomie (respect de l’autonomie des communautés, des groupes et des
associations), consensus (décisions prises par consensus), la critique et
l’autocritique, inclusion et respect de la diversité, discipline et
respect mutuel, solidarité internationale, mouvement anticapitaliste,
anti-impérialiste et antifasciste, mouvement social pacifique. Avec ces
principes comme base, il fut décidé que l’instance suprême des décisions
sera l’Assemblée de l’Etat d’Oaxaca. Cette Assemblée au niveau de l’Etat
d’Oaxaca, ou Assemblée estatal, devra être soutenue et nourrie par les
assemblées des peuples, des régions et des secteurs, constituant ainsi
l’Assemblée des assemblées. Face à la crise actuelle de la démocratie
représentative, le congrès de l’APPO a revendiqué et assumé les formes
concrètes de la démocratie directe.

L’APPO, malgré la présence de délégués venus des communes avoisinantes, a
été jusqu’à présent un mouvement essentiellement urbain, dominé par les
groupes politiques de la gauche traditionnelle surtout d’obédience
marxiste-léniniste ; les familles et les jeunes venus des barricades ont
rompu les schémas des "avant-gardes" dogmatiques et ouvert de nouveaux
espaces à l’intérieur des luttes populaires. Jusqu’à la dernière minute,
les délégués indiens ont hésité à s’intégrer au Conseil ; la participation
massive et spontanée des habitants des quartiers, des colonies et des
barricades, la barricade définissant à la fois un territoire et une
communauté, les a amenés à faire le pas. La figure centrale de l’Assemblée
reflétant l’esprit et l’expérience communautaire a fini par s’imposer
malgré toutes les ambiguïtés qui ont pu surgir au cours des débats. Dans
une entrevue collective réalisée par Blanche Petrich de La Jornada (La
Jornada du 14 novembre), plusieurs leaders de la montagne, Aldo González,
de Guelatao, Adolfo Regino, d’Alotepec-Mixe, Joel Aquino, de Yalálag,
Fernando Melo et Manuel Suárez, du secteur Soogocho, et Fernando
Soberanes, du Congrès de l’éducation indigène et interculturel, ont
reconnu qu’il n’y avait jamais eu de conditions aussi favorables pour
unifier les forces des peuples indiens avec le reste du mouvement
populaire.

Cela ne va pas être facile. Le processus qui consiste à sortir de la
cellule marxiste-léniniste et être avec le peuple au service de la
communauté commence à peine. Mais, aujourd’hui, nous avons vécu un moment
unique car sont en train de naître de nouvelles pratiques politiques.
(Aldo González)

De cela dépend la réussite ou l’échec du Conseil estatal. S’il n’y arrive
pas, cela peut conduire le mouvement à une impasse comme cela est arrivé
avec la direction des enseignants. (Joel Aquino)

Le Congrès eut la volonté sous la pression de la majorité d’incorporer des
concepts qui n’étaient pas contemplés dans les documents initiaux :
culture communautaire, aide mutuelle, serviteurs au lieu de dirigeants.
Tout cela fut bien vu et accepté parce que cela se trouve à la racine
indigène de la majorité de la population urbaine dans les quartiers, les
colonies et les barricades. (Adolfo Regino)
L’influence de l’esprit communautaire a marqué dès le début la forme
d’engagement des populations bases d’appui de l’APPO, c’est un chemin qui
vient de loin. (Fernando Soberanes)

L’inévitable opposition entre la verticalité de la gauche traditionnelle
et l’horizontalité de la cosmovision indienne n’est pas résolue pour
autant, c’est une question qui reste en suspens ; même si l’apport des
Indiens a ouvert l’horizon du Congrès, l’esprit politique reste bien
présent :

"Maintenant nous devons initier un processus sérieux et profond de
discussion avec la participation de tous les secteurs du peuple pour
élaborer le programme de lutte et de gouvernement, qui devra reprendre les
aspirations des grandes masses dans le but de conquérir le pouvoir pour le
mettre au service de tous." (Zenén Bravo du Front populaire
révolutionnaire – FPR)

"Il s’agit d’adopter le modèle bolivien d’inclure les indigènes dans la
dispute pour le pouvoir politique." (Flavio Sosa, qui se rêve en futur Evo
Morales !)

C’est cet esprit qui va se faire entendre pour réserver 40 places au
Conseil aux enseignants de la Section 22, alors que la plupart avaient
déserté le Congrès, pour admettre les adhérents du PRD, Parti de la
révolution démocratique, qui soutien Lopez Obrador, et d’autres partis de
gauche. C’est encore lui qui va chercher à accaparer les commissions que
les hommes politiques jugent importantes et à en écarter les délégués des
quartiers ou les jeunes des dernières barricades. Il y a 23 commissions,
les conseillers, nommés pour deux ans, doivent s’intégrer à chacune
d’elles et y remplir leur fonction selon le principe du service
communautaire : commissions d’organisation, de liaison et de relations, de
presse et d’information, juridique, de sécurité, de finance, d’éducation,
de culture, de santé intégrale, des droits humains, des affaires
administratives...

Le Congrès s’est terminé par le rituel de la prise de fonction des
conseillers (la toma de protesta). Alors qu’il devait être confié à Felipe
Martínez Soriano, ex-recteur de l’université d’Oaxaca, ancien leader
guérillero du PROCUP (maintenant dissous), proche du FPR, il fut
finalement confié au président de la communauté de San Juan Tobaa, de la
région Soogocho de la Sierra Norte, le Zapotèque Melitón Bautista. Il a
expliqué ce que signifie pour un Indien de recevoir de l’assemblée
communautaire le bâton de commandement, l’engagement qu’il implique auprès
de toute la communauté. Il a raconté sa trajectoire, le parcours de tous
les échelons des charges communautaires, toute une vie consacrée au
service des siens, de son peuple, un honneur, un prestige et une dignité.

Ce matin, à l’aube, des groupes paramilitaires sont intervenus à Santo
Domingo et ont tiré plusieurs coups de feu avec des armes de gros
calibres. Deux arrestations à la barricade Cinco Señores.

Oaxaca, le 21 novembre 2006.

George Lapierre
Paria
   Posté le 23-11-2006 à 12:59:18   

ASSEMBLÉE DES PEUPLES ZAPOTÈQUE, MIXÉ ET CHINANTÈQUE DE LA SIERRA JUÁREZ


DÉCLARATION DE GUELATAO

Les autorités municipales et communales représentant les organisations
communautaires et régionales et les citoyens et citoyennes venus des
communautés et des communes de San Miguel Cajonos, San Francisco Cajonos,
Santa Cruz Yagavila, San Baltasar Yatzachi, Villa Hidalgo Yalalag, San
Juan Analco, Calpulalpan de Méndez, San Juan Yetzecovi, San Juan Yalahui,
San Juan Atepec, San Cristóbal Chichicaxtepec Mixe, San Juan Tabaá, Santa
María Yavesía, Ixtlán de Juárez, Tanetze de Zaragoza, Asunción Cacalotepec
Mixe, Villa Alta, Macuiltianguis, Ayutla Mixe, Tamazulapan Mixe, San Juan
Teponaxtla, San Miguel Tiltepec, Guelatao de Juárez, Santa María Alotepec
Mixe, Jaltepec de Candayoc Mixe, Asunción Lachixila, San Mateo Éxodo,
Cristo Rey La Selva, Arroyo Macho, Talea de Castro, Santa María Mixistlán
Mixe, Chuxnaban Mixe, San Lucas Camotlán Mixe, San Miguel Quetzaltepec
Mixe, Totontepec Villa de Morelos, Amatepec Mixe, San Juan Guichicovi
Mixe, San Pedro Ocotepec Mixe, Santa Cruz Condoy Mixe, San Isidro Aloapan,
Santiago Zoochila et Santa María Tepantlali Mixe, appartenant aux peuples
Zapotèque, Mixé et Chinantèque et réunies dans la commune de San Pablo
Guelatao de Juárez, État d’Oaxaca, Mexique afin d’analyser la situation
réelle dans laquelle vivent nos communautés, d’engager une réflexion et de
proposer notre propre manière de participer à l’Assemblée populaire des
peuples d’Oaxaca,

ONT DÉCIDÉ :

Que tant que Monsieur Ulises Ruiz Ortiz conservera son poste [de
gouverneur], il ne pourra y avoir ni paix, ni stabilité gouvernementale ni
harmonie dans l’Oaxaca. Aussi exigeons-nous qu’il soit démis de ses
fonctions suivant une procédure politique et légale conforme aux
règlements en vigueur, attendu qu’il est l’incarnation même du régime de
caciquisme autoritaire.

ET EXIGENT :

Une profonde transformation de l’Oaxaca, afin de surmonter la terrible
arriération, la grave marginalisation et l’oubli dont nos peuples sont
victimes. Il est urgent de sceller un nouveau pacte social entre tous les
Oaxaquiens, qui permette de fonder un nouvel ordre des choses et une
nouvelle société où vivre en paix, dans la justice et la démocratie.

Nous condamnons l’emploi de la violence et de la répression pour résoudre
les graves problèmes sociaux que nous connaissons. C’est pourquoi nous
exigeons le départ des forces fédérales de l’Oaxaca, la démilitarisation
des communautés de la Sierra Norte, la libération des prisonniers
politiques, la présentation des disparus vivants, l’annulation des mandats
d’arrestation, le respect de l’autonomie universitaire et la fin immédiate
de toutes agressions à l’encontre du mouvement populaire d’Oaxaca.

Nous exigeons le départ immédiat de toutes les administrations et
délégations gouvernementales de l’ensemble des régions indigènes, et en
particulier de la Sierra Norte, attendu que ce sont elles qui ont fomenté
la division au sein de nos communautés et que ce sont leurs agents qui ont
agressé nos autorités et dirigeants communautaires. Nous demandons de même
à tous les partis politiques, et en particulier le PRI, qu’ils cessent de
commettre des agressions contre les institutions politiques de nos
communautés et de nos communes, et qu’ils n’interviennent en rien dans le
déroulement de notre vie communautaire. Si ces exigences ne se voyaient
pas respectées, nous nous verrions forcés à prendre des mesures radicales
pour procéder à leur expulsion définitive de la Sierra.

Nous appelons à l’unité des autorités et des membres des peuples
zapotèque, mixé et chinantèque afin de faire triompher nos exigences et
nos aspirations à mener la vie que nous souhaitons. Nous savons que
certaines personnes et institutions ont cherché à nous diviser et nous ont
fait nous affronter. Nous ne permettrons plus qu’elles continuent à nous
dominer et à nous manipuler. Aussi devons-nous ouvrir les yeux et
réveiller nos consciences afin de nous unir et marcher ensemble pour
renverser le mauvais gouvernement et opérer les changements nécessaires
dans notre État.

Les autorités indigènes soussignées estiment que les problèmes que l’on
connaît aujourd’hui dans l’Oaxaca doivent être résolus par la voie du
dialogue. C’est pourquoi nous trouvons bonne l’actuelle « Initiative
citoyenne de dialogue pour la paix, la démocratie et la justice dans
l’Oaxaca » et nous rejoignons cette initiative. Notre démarche doit se
poursuivre par des moyens pacifiques afin de parvenir à la conciliation et
à l’unité de tous les habitants de l’Oaxaca.

En vertu de ce qui précède, nous avons DÉCIDÉ ce qui suit :

PREMIÈREMENT : Les autorités et organisations zapotèques, mixés et
chinantèques soussignées ont accordé de se constituer en Assemblée des
peuples Zapotèque, Mixé et Chinantèque, lieu de rencontre régional ainsi
créé dans le but de partager nos problèmes et d’y apporter ensemble des
solutions, différentes le cas échéant, solutions reposant sur notre droit
inaliénable à la libre détermination et à l’autonomie comme il est établi
par les Accords de San Andrés et par le droit international. Aussi
déclarons-nous séance tenante la formation de l’Assemblée des peuples
Zapotèque, Mixé et Chinantèque ;

DEUXIÈMEMENT : Pour que cette grande Assemblée des peuples Zapotèque, Mixé
et Chinantèque soit une réalité, nous devons renforcer et étendre les
attributions de nos assemblées communautaires, municipales et régionales,
pour en faire les organes de débat et de décision de toutes les affaires
qui nous concernent. Dans l’assemblée réside notre force et notre
légitimité. L’assemblée est à la base de l’autogouvernement indigène et
c’est sur elle que repose l’ensemble du système politique communautaire.
C’est pourquoi nous la revendiquons et nous voyons en elle une arme pour
la lutte actuelle du peuple de l’Oaxaca contre le mauvais gouvernement ;

TROISIÈMEMENT : L’assemblée des peuples Zapotèque, Mixé et Chinantèque
sera la base qui facilite nos relations avec l’Assemblée populaire des
peuples d’Oaxaca. C’est le lieu où nous prendrons les décisions et les
engagements qui devront guider nos travaux pour réussir à ce que les
exigences des peuples d’Oaxaca deviennent réalité, en particulier la
reconnaissance des droits et des aspirations fondamentales de nos peuples
indigènes ;

QUATRIÈMEMENT : Afin d’assurer comme il se doit notre participation au
Conseil populaire de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO),
les autorités et organisations soussignés ont décidé de nommer nos
représentantes auprès de cette instance, en fonction des critères suivants
:

a) Les peuples Zapotèque, Mixé et Chinantèque doivent être dûment
représentés au sein du Conseil populaire, selon les travaux et capacités
requises ;

b) Les femmes devront y être représentées et participer en toute équité et
égalité ;

c) Il s’agit également d’établir une relation mutuelle avec les groupes de
migrants des montagnes se trouvant dans l’Oaxaca, au Mexique et aux
États-Unis d’Amérique ;

d) Les conseillers choisis devront respecter à tout moment notre principe
communautaire « servir en obéissant » ;

CINQUIÈMEMENT : En vertu de ce qui précède, les personnes suivantes ont
été désignées pour nous représenter au Conseil populaire de l’APPO :

Pour le peuple Zapotèque :

Teresa Rodríguez Valdivia, Nehemias Pascual Pascual, Oliverio Hernández
Chávez, Constantino Martínez Rincón (Maire de la commune de Lalopa),
Olegario Bautista Benítez, Constantino Carrillo Morales, Teódulo Fernández
Jiménez, Álvaro Vázquez Juárez, Aldo González Rojas, Isaac García Reyes,
Gloria Castillo, Juan Tereso Hernández, Germán Octavio Mayoral, Edita
Alavez Ruiz ;

Pour le peuple Mixé :

Genaro Rodríguez Rojas, Commissaire principal des Biens Communaux de San
Miguel Quetzaltepec ; Epifania Domínguez Gónzalez, habitante de
Cacalotepec ; Fortunato Montes Jiménez, Commissaire principal des Biens
Communaux de San Pedro Ocotepec ; Margarita Melania Cortés, habtante de
Santa María Ocotepec, Totontepec Villa de Morelos Mixe ; Víctor Gutiérrez
Contreras, Commissaire principal des Biens Communaux de San Cristóbal
Chichicaxtepec ; Arnulfo Aldaz González, habitant de Santa María Mixistlán
; Silvestre Ocaña López, régisseur du Trésor publicde San Juan Guichicovi,
et Hildeberto Díaz Gutiérrez, habitant de Jaltepec de Candayoc Mixe.

En ce qui concerne le peuple Chinantèque de la Sierra, la communication et
la liaison nécessaire s’établiront pour que ses autorités, organisations
et membres rejoignent le processus en cours.

SIXIÈMEMENT : Nous appelons les autorités et membres des peuples
Zapotèque, Mixé et Chinantèque à rejoindre ce processus d’organisation
régionale. Nous savons que ce ne sera pas là une tâche facile, mais nous
devons tous faire au mieux pour parvenir à nous unir et à nous organiser
pour pouvoir résoudre nos problèmes et atteindre les objectifs que nous
nous sommes fixés. C’est pourquoi nous demandons que la présente
Déclaration ainsi que les accords émanant de cette Assemblée soient
diffusés le plus largement possible. En particulier, nous demandons aux
stations de radio communautaires existant dans la Sierra de diffuser les
propositions et les aspirations de nos peuples ;

SEPTIÈMEMENT : Conformément à ce qui est établi par les Accords de San
Andrés, nous exigeons que l’on remette la chaîne de radio XEGLO « La Voz
de la Sierra » [La voix de la Sierra] aux mains des peuples Zapotèque,
Mixé et Chinantèque, suivant les démarches et mécanismes qui auront été
convenus conjointement.

Nous déclarons que dès maintenant nous avançons dans la consolidation de
l’organisation des peuples indigènes de la Sierra de l’Oaxaca, tout en
contribuant au renforcement de la construction de notre autonomie
respective, à notre reconstitution et à notre développement en tant que
peuples. C’est notre meilleur chemin et notre rêve le plus cher.

POUR LA LIBRE DÉTERMINATION ET L’AUTONOMIE DES PEUPLES INDIGÈNES

Établi dans la communauté de San Pablo Guelatao de Juárez, État d’Oaxaca,
Mexique, en ce 19e jour du mois de novembre de l’année 2006.

Traduction : Ángel Caído.
Paria
   Posté le 23-11-2006 à 19:06:21   

Le mouvement d’Oaxaca devient « gouvernement alternatif »



La chute des barricades ne freine pas le mouvement social d’Oaxaca. Sans arrêter de réclamer le départ du gouverneur corrompu Ulises Ruiz, les « communards » mexicains se concentrent sur leur expérience autogestionnaire.

par Christophe Koessler

« Oaxaca, c’est moi. Nous sommes tous Oaxaca. » Le slogan qui retentit chaque jour dans les rues des villes de Mexico et de Oaxaca symbolise l’espoir que soulève aujourd’hui, dans tout le pays, la lutte des 300 organisations sociales, communautés indigènes et syndicats de cet Etat du Sud du Mexique pour la démocratie et la satisfaction des besoins de la population. Après 184 jours de conflit, 22 morts, 34 disparus, et plus de 104 détentions illégales, le mouvement social, réuni au sein de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO), continue à tenir tête pacifiquement au gouvernement local du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), au pouvoir depuis plus de septante ans.

Répression et prédation

Quotidiennement, des milliers de personnes défilent dans les rues, exigeant la démission du gouverneur Ulises Ruiz, ainsi que le repli de la police fédérale, qui occupe depuis fin octobre la place centrale de la ville, après avoir balayé les centaines de barricades dressées par les insurgés. Si des voyageurs s’aventurent à nouveau dans la très touristique ville d’Oaxaca dans ce climat surréaliste, un graffiti tout récent en anglais vient les mettre en garde : « Touristes ! La ville est fermée momentanément, et sera réouverte dès que nous obtiendrons justice. »

La semaine passée, à la suite de trois jours de débats exténuants, un millier de délégués de l’APPO ont formellement constitué l’organisation du mouvement, adopté ses statuts et élu ses 230 membres, tous sur pied d’égalité. A la satisfaction générale : « Il y avait de grands risques que le mouvement se divise ou que soit adoptée une structure très verticale, car ce sont deux spécialités de la gauche traditionnelle », assure Gustavo Esteva, chercheur et directeur de l’Université de la terre, à Oaxaca.
Or rien de tout cela. C’est à travers 23 commissions de travail thématiques que les délégués vont organiser la résistance civile et coordonner leur appui aux communautés locales, sans comité central.

A court terme, l’objectif de l’APPO est de pousser à la démission le gouverneur Ulises Ruiz, qui cristallise à lui seul le mécontentement populaire. Arrivé au pouvoir par la fraude en décembre 2004, le cacique du PRI a immédiatement réprimé toute contestation. Avant même le début des grandes mobilisations de mai 2006, les organisations locales de défense des droits humains dénombraient déjà 32 assassinats commis par les autorités locales et les groupes paramilitaires.
Un autoritarisme qui a fait l’unité contre lui - alors que les groupements étaient très dispersés jusqu’alors - surtout après la dure répression qui s’est abattue le 14 juin sur les instituteurs, alors en grève pour une simple augmentation salariale. « Les puissants ont cru que la violence pouvait résoudre le conflit. En réalité, ils n’ont fait que jeter de l’huile sur le feu », explique Rodolfo Rosas Zarate, jeune sociologue, militant du Comité de défense des droits du peuple.

Le pouvoir par le bas

Loin de répondre aux besoins criants en eau, santé et éducation des populations marginalisées, Ulises Ruiz s’est lancé dans de grands travaux de rénovation des places principales de la Ville de Oaxaca. « Il a détruit les places de la ville pour attirer des fonds de l’Etat fédéral, sans aucun égard pour le patrimoine national. Remplacer la pierre verte d’Antequera de nos régions par des dalles de béton est une absurdité, tout comme l’abattage d’arbres centenaires », s’emporte M. Esteva. Une pratique qui avait pour but de détourner une grande partie de cet argent pour les besoins de son parti et de son entourage, assurent les militants.

L’outrance avec lequel le régime local poursuit les pratiques classiques de prédation, de népotisme et de corruption a encouragé le mouvement à se lancer dans un processus de changement radical du politique. « Nous voulons construire un pouvoir qui va peu à peu détruire de lui-même le pouvoir existant », explique Soledad Ortiz Vázquez, déléguée élue de l’APPO. D’où le nom du nouvel organe constitutif de l’organisation : le « Conseil étatique » (Consejo estatal), qui vise non seulement à faire tomber les caciques actuels, mais aussi à assumer actuellement des fonctions dévolues à l’Etat. Au plus fort du conflit, par exemple, l’APPO se chargeait de sanctionner les délits de droit commun, le plus généralement par l’assignation des coupables à des travaux d’utilité publique. Aujourd’hui, le Conseil veut aussi répondre de lui-même aux besoins les plus pressants de la population. Il a ainsi constitué une commission de sécurité sociale, une autre de développement communautaire et rural, ou encore de santé publique. « Il s’agit d’un gouvernement parallèle, et ces commissions sont nos départements », explique fièrement Mme Ortiz. « A long terme, nous l’installerons au palais du gouvernement. »

Valeurs indigènes

Les valeurs du Conseil s’inspirent en grande partie des pratiques politiques des communautés indigènes : « L’APPO a fait un grand pas dans notre direction en adoptant les principes de communauté et d’autonomie comme premiers principes de l’organisation », s’enthousiasme Adelfo Regino, président de l’Organisation des peuples Mixes. Si les nations autochtones n’ont pas été suffisamment intégrées à l’APPO à ses débuts, le mouvement s’est toutefois fortement inspiré des us et coutumes indigènes : l’organisation en Assemblée, où toutes les décisions importantes sont prises, le tequio, travail collectif non rémunéré et obligatoire, et la guelaguetza, solidarité ou aide désintéressée entre les membres d’une communauté.

Mais la déclaration de principe du nouveau Conseil va encore plus loin : elle stipule qu’aucun des 230 membres ne pourra être réélu à l’issue d’une période de un à deux ans, intègre le principe de l’égalité des genres et fait sienne la consigne des zapatistes du Chiapas : « Ordonner en obéissant » (mandar obedeciendo).

Au-delà, c’est à une véritable transformation économique et sociale qu’en appelle l’APPO, en se prononçant pour l’avènement d’un monde non capitaliste et non impérialiste, sur une base démocratique.

Pour l’heure, les esprits sont à la mobilisation. Après cinq mois de conflit et une situation d’ingouvernabilité de fait dans la ville d’Oaxaca, le gouverneur s’obstine toujours. Cette semaine, l’APPO a d’ores et déjà prévu d’occuper le Palais du gouvernement, d’ériger des barricades symboliques devant les bureaux de l’Etat pour dissuader les fonctionnaires de se rendre à leur travail, et de bloquer des routes régionales.
L’organisation participe aussi, depuis hier, à une grève nationale lancée par le mouvement zapatiste et se joindra aux protestations massives contre l’entrée officielle à la présidence du pays de Felipe Calderon le 1er décembre. Son élection a également été entachée de fraudes. Inspirées par l’Assemblée d’Oaxaca, 25 organisations sociales du Chiapas ont fondé, le 11 novembre dernier, une APPCH. Une assemblée populaire de Mexico devait être constituée ce week-end. Le mouvement d’Oaxaca sera-t-il le déclencheur d’un changement radical pour l’ensemble du pays ?


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Les femmes s’emparent de la télévision d’état

« Nous étions 20 000 », raconte Soledad Ortiz Vázquez, déléguée de l’APPO. « Nous avions décidé de convoquer une manifestation le 1er août pour rendre plus visible notre force. Car depuis le début de la résistance, nous avons joué un rôle fondamental au sein du mouvement. » Casseroles à la main, « en hommage aux femmes chiliennes », les femmes défilent au centre-ville et « ferment » un hôtel qui jouait le rôle de Chambre des députés (le Parlement ayant été occupé depuis longtemps par les insurgés). Spontanément, arrivées au Zocalo (la place centrale), elles décident de demander un espace d’antenne à la chaîne de télévision publique Canal 9, pour exprimer leurs revendications. Devant le refus de la direction, celles-ci décident tout simplement de... « prendre » la télévision. Pendant deux mois, les femmes se chargeront de gérer ce qui devient la chaîne de l’APPO, malgré leurs faibles connaissances techniques, les hommes étant appelés pour protéger les antennes de diffusion situées sur les collines alentours. L’aventure se termine avec l’entrée en force de groupes paramilitaires lourdement armés à 4 h du matin, à la fin septembre. Qu’à cela ne tienne. A 6 h, elles décident d’occuper les douze radios commerciales et étatiques, qu’elles garderont plus d’un mois.

Désormais, il faudra compter avec la Coordination des femmes de Oaxaca du 1er août pour promouvoir la place des femmes aux postes à responsabilité. Car, sur les 230 membres du Conseil étatique de l’APPO, seules vingt-cinq sont des femmes : « Peu de femmes ont pu participer aux congrès. Les leaders de communautés sont en général des hommes. Nous devons construire l’égalité peu à peu, ce sera un travail intense. Nous avons rendu visible notre rôle. Les hommes se sentent plus sûrs avec nous », assure Mme Ortiz Vázquez.


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Trois questions à Gustavo Esteva, de l’Université de la Terre

Gustavo Esteva a créé, il y a quatre ans, l’Université de la Terre, destinée aux jeunes des communautés indigènes. Celles-ci ont pour la plupart chassé l’école publique de leurs terres, car perçue comme un instrument de domination.

Vous analysez le mouvement oaxaqueño comme la convergence de trois luttes démocratiques. Lesquelles ?

Ce qui se construit à Oaxaca anticipe notre futur et est porteur d’énormément d’espoir. Le mouvement a réuni d’abord ceux qui souhaitent renforcer la démocratie formelle, dont les faiblesses sont bien connues à Oaxaca. Les gens sont fatigués des manipulations et des fraudes et ceux qui ont confiance dans le système électoral veulent qu’il soit propre et efficace. D’autres insistent davantage sur la démocratie participative, par le biais d’initiatives populaires, de référendums, de plébiscites, de budgets participatifs, et la possibilité de révoquer les élus. Enfin, de manière surprenante, un très grand nombre de groupements souhaitent étendre la démocratie autonome ou radicale, comprise comme l’exercice direct du pouvoir par les gens eux-mêmes. Dans l’Etat d’Oaxaca, quatre municipalités sur cinq ont leur propre forme de gouvernement, sans passer par l’intermédiaire des partis. Mais, bien que leur autonomie, leur droit de se régir eux-mêmes par us et coutumes leur a été reconnu légalement en 1995, elles continuent à être l’objet de harcèlement de la part des autorités. Les partisans de la démocratie radicale souhaitent qu’avec le temps, ces municipalités se coordonnent jusqu’à constituer une forme de gouvernement à l’échelle de l’Etat.

La tradition autochtone semble rejoindre ici l’idéal anarchiste. Qu’en pensez-vous ?

L’anarchie est associée à l’idée qu’il n’y a pas de gouvernement. Les gens d’ici veulent se gouverner eux-mêmes, avoir un gouvernement constitué d’eux-mêmes. Il y a un respect de l’autorité, à partir du moment où elle respecte le principe zapatiste d’« ordonner en obéissant ». L’APPO s’est aussi abstenue de chercher à prendre le pouvoir. Plutôt que de grimper sur les chaises vides de ceux qui ont abusé du pouvoir, les organisations sociales tentent de reconstruire la société depuis le bas et de créer un nouveau type de relations sociales. Comme disent les zapatistes : changer le monde est très difficile, si ce n’est impossible. Une attitude plus pragmatique est la construction d’un monde nouveau.

Cette construction peut-elle se faire sans violence ?

Pour Gandhi, la non violence était la plus grande vertu et la lâcheté le pire de vices. Il ajoutait que la non violence était réservée aux forts, tandis que les faibles n’avaient d’autre choix que d’utiliser la violence. Mais il est difficile d’expliquer aux jeunes de Oaxaca qu’en réalité ce sont eux les forts. Je suis étonné que l’on y soit arrivé. Très franchement, je craignais un bain de sang quand la police fédérale est entrée en ville. Nous avons fait un énorme effort pour que cela n’arrive pas. Beaucoup ont montré l’exemple en se couchant devant les blindés et, surtout, en montrant qu’ils n’avaient pas peur.


Source
Paria
   Posté le 23-11-2006 à 19:11:41   

Miguel Linares : « Nous vivons un processus d’insurrection populaire similaire à la Commune de Paris »


Interview de Miguel Linares, enseignant et membre de l’Assemblé Populaire des Peuples d’Oaxaca (APPO).

par Hernán Ouviña

Depuis cinq mois, l’Etat d’Oaxaca, au sud du Mexique, traverse une période d’intense mobilisation politique. En consonance avec d’autres luttes de différents espaces et organisations dans le reste du Mexique - comme l’Autre Campagne impulsée par l’Armée zapatistes de libération nationale (EZLN, sigles en espagnol), le Front populaire pour la défense de la terre d’Atenco, les mineurs de SICARSA et de Cananea, et même le mouvement de résistance civile contre la fraude électorale dans le District fédéral [la ville de México, ndlr] -, la Section 22 du Syndicat national des travailleurs de l’éducation (SNTE, Sindicato Nacional de Trabajadores de la Educación), qui regroupe les enseignants d’Oaxaca et sur un plan plus général l’Assemblée Populaire des Peuples d’Oaxaca (APPO) sont les protagonistes d’un processus inédit d’auto-organisation et de contrôle politique de la ville qui comprend l’occupation permanente de bâtiments publics, la construction de centaines de barricades avec des comités d’autodéfense, la prise de décisions à travers des dynamiques d’assemblées et l’autogestion de plusieurs moyens de communication « réappropriés ».

Avec une grande tradition de résistance, Oaxaca, l’insurgée, fut la terre natale de Benito Juárez et des frères libertaires Flores Magón. Bastion historique du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), c’est l’Etat qui compte la plus importante population indigène dans tout le Mexique. Sa richesse et sa beauté contrastent avec l’énorme pauvreté et la marginalité dans lesquelles sa population est plongée depuis des décennies. Ce qui suit est un dialogue avec Miguel Linares Rivera, l’un des 21 enseignants et militants de l’APPO qui (...) mènent une grève de la faim face au symbolique Hémicycle à Juárez de la ville de México.

Pourrais-tu te présenter et m’expliquer les raisons de ce campement et pour quelles raisons vous menez une grève de la faim dans le District fédéral ?

Nous sommes des grévistes de la faim de l’APPO. La raison principale de cette grève se fonde sur trois objectifs fondamentaux. Le premier est que nous demandons le départ d’Ulises Ruiz Ortiz, le gouverneur de l’Etat d’Oaxaca. Le deuxième est de diffuser et de faire connaître la situation que nous traversons aux médias nationaux et internationaux. Le troisième est l’appel à la solidarité aussi bien au Mexique que dans le reste du monde de toutes les organisations indépendantes, pour qu’on ne massacre pas notre peuple comme on est en train de le faire actuellement dans la ville d’Oaxaca.

Quand et comment le conflit dans l’Etat d’Oaxaca est-il survenu ?

Nous, les travailleurs de l’éducation, tous les ans au mois de mai, nous devons réviser le contrat collectif de travail. Cette année, nous sommes sortis pour demander au gouvernement de l’Etat une “rezonification pour vie chère” [1] de tous les membres du corps enseignant, pour qu’on nous accorde une augmentation comme aux autres travailleurs dans le reste du pays.

Quelle est la situation actuelle des enseignants à Oaxaca ?

Une minorité exerce dans les grandes villes, mais la grande majorité des enseignants se trouvent dans une situation extrêmement précaire. Beaucoup d’entre nous doivent voyager plus de 18 heures pour arriver sur leur lieu de travail ou rentrer à la maison. Parfois, la moitié du salaire est dépensée en transport, sans compter que nous avons également un loyer à payer. En plus, dans des lieux comme à la côte, parce que c’est une zone touristique, la nourriture est extrêmement chère. Malgré les bas salaires, nous devons nous acheter les fournitures et tout le matériel dont nous avons besoin. Nous payons même nos propres cours pour nous former sur le plan culturel et éducatif. L’immense majorité du corps enseignant d’Oaxaca est dans la merde.

La pratique éducative de l’Etat exprime en général un colonialisme et un mépris considérable envers la culture indigène. Comment essayez-vous de lutter contre cela ?

Il existe en tout 16 langues indigènes dans les communautés d’Oaxaca. La plupart des enseignants parlent une autre langue en plus de l’espagnol. En ce qui me concerne, je parle le zapotèque. Mais, outre quelques exceptions, nous sommes bien conscients que notre tâche ne consiste pas à coloniser les communautés ni à imposer une culture aux compañeros. Nous appelons les enfants compañeros parce que nous sentons que nous apprenons également d’eux. Lorsque nous, les enseignants, arrivons dans une communauté, nous devons respecter la langue de l’enfant. Loin de nous l’idée de vouloir imposer l’espagnol. Nous expliquons à l’enfant que s’il apprend l’espagnol, c’est pour qu’il défende sa langue. Ainsi, l’enfant le comprend : il apprend l’espagnol mais en conservant sa propre langue et sa propre culture. Nous essayons également de créer un processus démocratique à l’intérieur des classes, bien que celles-ci soient construites avec une estrade surélevée, réservée au maître d’école. Nous disons que ces structures ne devraient pas être autorisées à Oaxaca. Dans les classes, beaucoup d’entre nous construisent le collectivisme avec les enfants, qui font partie de ce même processus. À Oaxaca, les idées de Paulo Freire, très ancrées chez les enseignants, ont souvent été appliquées. Même si elles ne sont pas suffisantes, parce que sa pratique a fini par être liée en partie aux appareils institutionnels du Brésil. Nous reprenons donc son expérience, comme la cubaine, même si nous avons aussi notre propre expérience en matière d’éducation alternative à Oaxaca. Il s’agit d’un processus très long mais nous y travaillons.

Quelle réponse le gouvernement a-t-il donné aux demandes du corps enseignant ?

Face à notre proposition, nous ne trouvons pas de réponse : le gouvernement s’est replié sur lui-même et n’a même pas appelé à la négociation. Le 22 mai, nous avons décidé de commencer une grève et d’établir un campement à Oaxaca, en pensant qu’ils allaient nous donner une réponse immédiate. Néanmoins, le gouverneur Ulises Ruiz a fait la sourde oreille jusqu’au 14 juin. Ce jour-là, la réponse s’est faite entendre à quatre heures du matin : une intervention policière, avec plus de trois mille policiers nationaux et municipaux, aussi bien par voie terrestre que par hélicoptère. Ils nous ont attaqués avec tout ce que comptent les forces répressives : chiens, gaz lacrymogènes, etc.. Et même si les gens se sont repliés pour préserver leur intégrité physique (beaucoup d’entre eux sont des enseignants retraités, des enfants et des femmes enceintes), il y a eu un grand nombre de blessés. A six heures du matin, nous, les enseignants sommes revenus avec le soutien du peuple pour reprendre le Zócalo (la place centrale), en expulsant les policiers. Cela a permis aux gens de percevoir l’enseignant comme une personne courageuse. Après cela, la grande majorité des colonies et des habitants d’Oaxaca, d’abord de la capitale et après de tout l’Etat, ont commencé à nous rejoindre. C’est ainsi qu’est fondée l’APPO, où la revendication des enseignants passe au second plan, la demande centrale devenant “¡Fuera Ulises Ruiz de Oaxaca !” (“Ulises Ruiz, hors de Oaxaca !”). Le peuple a assumé tout le contrôle d’Oaxaca et a commencé à former des barricades parce qu’il y avait des « escadrons de la mort », des policiers habillés en civil observés aussi bien sur les chaînes nationales que sur des photographies, des paramilitaires qui circulaient et blessaient par balle les compañeros qui se trouvaient sur les barricades. Au cours de tout ce processus, 15 des nôtres ont perdu la vie [2] et nous venons d’apprendre à l’instant qu’un autre compañero vient de mourir dans cette incursion lancée par le gouvernement fédéral avec la Police fédérale préventive (une sorte de force policière militarisée) et les militaires dans la capitale d’Oaxaca.

Que s’est-il passé après cette première tentative de répression ?

Nous avons fait de grandes manifestations, avec même plus de 500 mille personnes dans les rues d’Oaxaca. Du jamais vu auparavant, mais, néanmoins, nous n’avons pas été écoutés par le gouvernement. Non seulement ils nous ignoraient mais toutes les nuits ils continuaient à nous réprimer. C’est pourquoi nous nous sommes dit : Il faut faire sortir ce problème d’Oaxaca. Et nous avons commencé une marche le 22 septembre vers le District fédéral. Environ 5 000 personnes d’Oaxaca, dont des enseignants et des organisations sociales, ont marché plus de 500 kilomètres. Nous sommes arrivés le 9 octobre et, une semaine après (le 16 octobre), nous avons installé ce campement de grève de la faim illimitée sur la base des points que j’ai mentionnés.

Quel type de pratiques et d’espaces communautaires sont en train de voir le jour à Oaxaca ?

Avant la répression, nous avions une radio qui s’appelait Plantón. Elle transmettait dans toutes les zones centrales de la capitale. Pendant la répression, la première chose qu’ils ont endommagée fut cette radio. Ils l’ont détruite. Mais, parallèlement, à 6h du matin, en apprenant que la communication avec le peuple via Radio Plantón avait été bloquée, les étudiants se sont emparés de Radio Universidad. Cette radio a alors commencé à devenir la voix du peuple. Mais, peu après, ils nous l’ont enlevée. Face à cela, les femmes ont réagi avec une mobilisation le 1er août, en s’emparant d’une chaîne de télévision et de radios officielles. Peu de temps s’est écoulé avant que les paramilitaires essaient de bloquer les antennes et de nous les confisquer. Ce jour-là, un autre camarade est décédé. Les gens ont riposté en s’emparant de nouvelles radios à Oaxaca. Après plusieurs négociations avec les autorités au cours de ces mois, sur les douze radios “prises”, dix ont été “libérées”, et une autre détruite. Il avons gardé Radio Ley, la seule qu’il nous restait jusqu’à ce qu’ils nous la bloquent. Voila où nous en étions lorsque Radio Universidad est revenu sur les ondes. Elle fonctionne jusqu’à maintenant. Ces mobilisations et “prises” de radios constituent une réaction spontanée de la société d’Oaxaca parce que nous en avons marre des 76 années de gouvernements du PRI. Tous ces médias ont toujours servi à “transmettre”, en insultant de manière permanente les enseignants et les pauvres, en faisant systématiquement l’éloge du gouverneur. C’est pourquoi il y a eu une réaction naturelle des gens, ce « ¡Ya basta !’ » (« Ca suffit ! ») envers tous ces médias qui rendaient Oaxaca idiot. En ce moment, ils ne fonctionnent même pas, pour éviter précisément d’être à nouveau “pris” par les habitants.

Comment les barricades sont-elles apparues et quelle est la situation là-bas ?

Au début, nous ne pensions pas qu’Oaxaca allait exploser de cette manière. Nous en avons seulement pris conscience lorsqu’ils nous ont attaqués le 14 juin. Il y a eu une réponse immédiate de la population. Les gens se sont solidarisés avec les enseignants et ont participé aux actions. Les barricades sont apparues à ce moment précis, lorsque nous avons commencé à être attaqués par des groupes paramilitaires. Des groupes d’autodéfenses ont alors commencé à être formés pour ne pas les laisser circuler librement dans Oaxaca. De petites barricades furent ainsi construites, mais elles se sont généralisées quand ces personnes attaquèrent Radio Ley et tuèrent un camarade. On a dressé dans tout Oaxaca des centaines de barricades. Même avant l’incursion de la Police fédérale préventive avec les militaires, on a réussi à installer plus de 1 600 barricades. C’est donc vraiment un processus d’insurrection populaire que nous sommes en train de vivre.

Avez-vous également occupé des bâtiments publics pendant tout ce temps de lutte ?

Bien sûr, les trois pouvoirs d’Oaxaca. Tous les bureaux publics ont été pendant plusieurs semaines entre les mains des enseignants et du peuple, et défendus avec des barricades. Face à cela, dans la Maison du Gouverneur, ce vendredi, les paramilitaires se sont acharnés lourdement contre nos frères de la côte, de la même façon qu’à Procuraduría, en cherchant à nous déloger à travers la répression et les assassinats, comme on l’a vu dans la presse.

Qui intègrent l’APPO et comment y prend-t-on les décisions ?

Au départ, l’APPO s’est créée avec 340 organisations autour d’une idée centrale qui était la chute d’Ulises Ruiz Ortiz. Par rapport à cela, on a commencé à créer des commissions internes comme celles de la presse, des barricades et de la propagande. Nous avons commencé à former tout un réseau d’organisations à Oaxaca. Toute action que nous voulions réaliser devait passer par une consultation de la base, aussi bien celle des enseignants que celle de l’APPO elle-même. C’est le mécanisme qui fonctionne, il y a tout le temps des réunions avec toutes les organisations et avec les délégués des colonies et des barricades. Les décisions et les résolutions se prennent de manière collective. Notre résistance civile et pacifique dans l’Etat d’Oaxaca est ainsi. Des assemblées populaires du peuple ont même déjà été créées dans le Guerrero, le Morelia et dans l’État de México. Même si elles sont très symboliques, elles sont des embryons qui pourraient déterminer les lignes directrices d’une organisation nationale. C’est un processus que le pays est en train de vivre parallèlement à un processus électoral où des millions de Mexicains inquiets rejètent ce nouveau président « élu » (Felipe Calderón, du Parti d’Action Nationale).

Quelle a été la réponse des partis traditionnels face à la situation d’auto-organisation de l’APPO ?

Les organisations institutionnelles, comme le sont les partis politiques à Oaxaca, ont été complètement dépassées. Tant le PRI que le PAN se sont révélés être des ennemis du peuple. Même le Parti de la Révolution Démocratique (PRD), qui se réclame du centre-gauche, a été dépassé : même si beaucoup de ses militants de base sont avec l’APPO, ses dirigeants sont restés muets et ont été obligés de reconnaître que le peuple a agi par lui-même, sans eux.

Outre la chute d’Ulises Ruiz, quelle est la proposition politique de l’APPO ?

En fait, indépendamment de ce qui s’est produit, nous avions déjà appelé à la formation du Congrès constitutif de l’APPO. Qu’est ce que cela signifie ? Eh bien, que dans les communautés, les colonies, les syndicats et tout ce qui se mobilise de manière organisée, des délégués allaient être nommés pour que ce congrès se tienne, où l’on pourrait discuter de plateformes, de principes et de formes d’organisations. La proposition était pour le 8, 9 et 10 novembre, mais, face aux derniers évenements, je crois que nous devrons le reprogrammer. Nous espérons ne pas trop devoir la repousser pour ainsi pouvoir former le nouveau pouvoir populaire à Oaxaca [Finalement, le Congrès s’est tenu du 10 au 12 novembre, ndlr].

Beaucoup de gens appellent “Commune de Oaxaca” ce processus. A quoi font-il référence ?

Je crois que c’est une allusion aux processus d’organisation interne : le fait d’avoir nos “topiles” [sorte de police communautaire, ndlr], de nous organiser en assemblées et à travers des barricades, d’affronter directement les forces policières. Cela fait référence à la question de l’auto-organisation, bien que nous ne puissions toujours pas arriver à nos fins comme dans la Commune de Paris. L’idée de “Commune” à Oaxaca renvoie plutôt aux pratiques des communautés indigènes qui maintiennent ces processus depuis de très nombreuses années. Notre processus consiste en une insurrection avec certaines tendances de pouvoir populaire ressemblants à celles de la Commune de Paris. Mais, de toute manière, il ne s’agit encore que d’un embryon sur lequel nous travaillons.

Pouvez-vous nous expliquer brièvement ce que sont les “topiles” ?

Nous empruntons ce terme aux communautés indigènes. Dans ces dernières, il n’y a pas de policiers en uniforme portant des armes à feu. L’autorité est constituée par les paysans et les indigènes eux-mêmes, ils ont un “bâton” de commandement dans la main et un “chipote” [sorte de massue, ndlr]. Sans besoin d’avoir des armes, ils sont l’autorité. Dans le cas d’une plainte de voisinage, ils parviennent à résoudre le problème. Les “topiles” exercent gratuitement la justice dans le village, sans recevoir de salaire pour cela.

De quelle manière sont-ils élus ?

En assemblées communautaires. Nous avons transposé cette expérience indigène à la capitale d’Oaxaca lorsque notre mouvement est né. Les “topiles” sont les compañeros qui se proposent volontairement ou sont élus dans leurs organisations pour jouer ce rôle sur les barricades, dans les fonctions d’autodéfense contre les policiers et les chapardeurs.

Outre cette énorme influence indigène, en quoi cette lutte à Oaxaca rejoint-elle les résistances observées dans le reste de l’Amérique ?

Bien que nous ayons subi l’influence de nos communautés indigènes, régies par les us et coutumes à travers des assemblés communautaires, notre processus de lutte n’est pas quelque chose d’isolé mais c’est tout un ensemble. Notre expérience actuelle est aussi due à ce qui s’est fait en Equateur, au Brésil et en Argentine. Nous avons suivi toutes les expériences qui ont eu lieu en Amérique Latine, mais aussi aux Etats-Unis avec nos compañeros migrants. C’est pourquoi nous espérons que la solidarité nationale et internationale avec notre lutte sera immédiate. En fait, elle existe déjà. Nous savons qu’en Espagne, en Italie, aux Etats-Unis et dans d’autres endroits, des mobilisations et des protestations ont été organisées devant des consulats et des ambassades. Nous pensons que l’avenir de l’humanité peut changer et nous pouvons le mener à bien,de l’endroit où nous nous trouvons.

Quelle est la situation actuelle à Oaxaca après la récente répression ?

Je crois que si le gouvernement est intelligent, il va replier ses forces policières. Sinon, cela finira par une bataille rangée à Oaxaca parce que nous n’allons pas rendre la ville à la Police fédérale préventive.

Pour finir, quel est votre état d’esprit ?

Nous sommes confiants sur le fait que notre mouvement doit triompher parce qu’il ne s’agit pas d’une rébellion de quelques groupes ou de quelques « radicaux » mais d’une insurrection populaire. Quiconque ne comprend pas cela, continuera à essayer de faire taire ces voix avec des baïonnettes. Qu’ils sachent qu’ils pourront les faire taire pendant un temps, mais d’autres jailliront et la bataille continuera.


NOTES:

[1] [NDLR] La « rezonificación » est une réévaluation du coût de la vie, qui impliquerait une hausse du salaire minimum des instituteurs.

[2] [NDLR] Depuis la réalisation de cet entretien, on comptabilise 22 morts et 34 disparus.



SOURCE
Paria
   Posté le 23-11-2006 à 21:04:46   

Nouveau texte de George Lapierre avec quelques éléments sur les ML -et les maoïstes-, pas vraiment positif.

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Bien le bonjour,

L’importance de la gauche traditionnelle (en France nous parlerions
d’extrême gauche), ses manœuvres et sa suffisance nous ont préoccupés.
Nous avons décidé de rendre visite à un leader zapotèque, Joel Aquino,
connu pour son autorité morale acquise par des années consacrées à
reconstruire l’autonomie des peuples indiens et à lutter avec une
obstination remarquable contre les caciques de la Sierra et le
gouvernement de l’Etat d’Oaxaca. Il habite Yalálag, un village de montagne
à environ 4 heures de route de la ville d’Oaxaca, c’est un village tout en
pente et les maisons paraissent en équilibre précaire entre les arbres sur
ce dévalement de terre. Nous rencontrons la linguiste zapotèque, Juana
Vázquez et Joel Aquino dans la maison de la culture de ce village. Cette
maison est une de leur réalisation et elle est consacrée à la langue et à
la culture zapotèque sans oublier l’élément le plus important de la
culture villageoise, la musique ; on y apprend aussi à se servir de
l’ordinateur et d’Internet.

Nous commençons par parler du syndicat des enseignants, qui a joué (et qui
joue toujours, ne serait-ce que pas son absence remarquée, qui laisse un
vide que l’Assemblée populaire a du mal à combler) un rôle important dans
le mouvement social à Oaxaca. C’est en 1980 que la section 22 a commencé à
lutter contre le "charrisme" syndical, un syndicat "charro" étant un
syndicat dont les dirigeants sont corrompus par le pouvoir, pour,
finalement, s’émanciper de la Coordination nationale des travailleurs de
l’éducation (CNTE). Les communautés ont appuyé la démocratisation de la
section 22. Les maîtres d’école qui sont allés travailler dans les
villages ont découvert le sentiment de la communalité (sentiment de faire
partie d’une collectivité régie par un ensemble de règles). Beaucoup se
sont incorporés à la vie communautaire et ont accepté des responsabilités
et des charges, et ont participé au travail collectif, le tequio.
Cependant, d’autres enseignants se sont enfermés dans une idéologie
marxiste-léniniste ou maoïste. Ils ont minimisé l’importance du monde
indigène et déprécié la conception communautaire, qui fonde et soutient la
résistance des peuples indiens. Ils ne sont pas sensibles aux problèmes
réels des communautés et à leurs demandes. Ils centrent leurs discours sur
la conscience de l’exploitation, ou de l’exploité, le prolétaire, et
restent fermés à la conscience de la réalité sociale des peuples. Ils
fonctionnent un peu à la manière des sectes, ils ignorent la réalité
culturelle et historique des gens. Ils préfèrent vivre en ville et fuir
les villages.

Dans l’assemblée des villages, la conception individualiste est absente,
il n’est pas possible d’avoir un projet de libération avec cette idée
d’individualisme, de l’intérêt privé. Dans l’Assemblée populaire, par
exemple, les discours avaient un contenu pauvre, réduit, et montraient une
absence de réflexion et d’analyse. Il faut se méfier du discours
marxiste-léniniste ou maoïste surtout quand on sait qu’il est
historiquement démontré que ceux qui ont un tel discours oublient leur
engagement avec le peuple et vont jusqu’à l’opprimer et le réprimer dès
qu’ils ont le pouvoir. Joel Aquino nous cite alors toute une série de noms
de personnes qui ont mal tournées dont Eliodoro Diaz étudiant marxiste qui
a participé au mouvement de 68 et qui a fini par travailler pour le CISEN
(Intelligence militaire), il nous parle aussi d’un ex-gouverneur,
marxiste-léniniste dans sa jeunesse, et qui a ordonné l’assassinat de 18
paysans. (Les exemples sont infinis, de là à penser que l’antagonisme
entre le parti d’Etat, ou les partis d’Etat [PRI et PRD confondus], et les
partis d’extrême gauche n’est pas si irréductible que nous pourrions le
penser, la paroi est poreuse et les uns servent parfois d’échelon à
l’ambition personnelle pour être reconnue par les autres.) La direction
provisoire de l’APPO était en grande partie entre les mains du courant
marxiste-léniniste représenté par le FPR (Front populaire révolutionnaire)
et la CODEP (Comité de défense des droits du peuple), ce qui explique la
pauvreté des moyens mis en œuvre et des discours : marches,
manifestations, prises des rues, slogans.

Les communautés doivent s’incorporer à l’APPO pour lui donner de nouvelles
perspectives comme celle du service communautaire, le système des
responsabilités, le tequio, le "mandar obedeciendo". Il doit y avoir une
coresponsabilité entre celui qui assume une charge et la communauté et
tous doivent l’aider à accomplir sa charge, l’assemblée a créé le fond
communal qui permet à celui qui a une charge de pouvoir l’accomplir. Dans
ce système on ne cherche pas le progrès individuel, personnel, sinon
accumuler des savoir-faire, des connaissances, pour le service de la
communauté ; la personne qui est désignée par l’assemblée pour accomplir
une charge (un cargo) a été reconnue pour ses qualités éthiques et
intellectuelles, elle doit aussi disposer de moyens pour se dédier pendant
un an au service du village. Finalement, tout ce système de charges est
une école de formation politique pour les gens, et toute la famille se
trouve engagée dans ce processus. Cette école commence dès l’entrée à
l’âge adulte par la charge de "topile" confiée aux jeunes gens : nettoyer
les rues, les toilettes publiques, porter les chaises, chasser les chiens
quand se tient l’assemblée, aller chercher les clés, nettoyer les cours
d’eau, ce sont les hommes à tout faire du village, dur apprentissage du
service public. La gestion d’un village selon les us et coutumes emploie
beaucoup de monde entre les différentes catégories de charges, jusqu’à une
centaine, ou plus, de personnes, c’est que toutes travaillent
gratuitement, par contre un gouvernement selon le système des partis
emploie peu de gens et ceux-ci reçoivent un salaire, c’est un tout autre
esprit, plus individualiste et souvent corrompu. Dans la Sierra Norte, il
y a douze charges, de la charge de topile à celle de "principal", les
femmes participent à l’assemblée du village (vote et voix) et peuvent être
désignée comme "autorité".

C’est cette tradition communautaire que nous pouvons déceler dans le
mouvement actuel où nous trouvons les trois points qui garantissent
l’unité d’un mouvement social : le consensus, l’aide mutuelle et le mandar
obedeciendo, nous la retrouvons surtout dans les colonies populaires
autour des barricades : préparation en commun des repas et des aliments,
tortillas, mole, tamales (pâte de maïs cuite à la vapeur dans une
enveloppe de feuilles de maïs ou de palmier, mélangée avec de la manteca,
graisse de porc, avec parfois des sucreries ou de la viande à
l’intérieur), que l’on distribue ensuite à ceux qui tiennent une barricade
ou une place publique, échange des savoir-faire et du matériel, cohetes
(fusées), cohetones (gros pétards)... L’initiative dans la région de
soutenir l’APPO est venue des familles elles-mêmes, elles sont parties de
Guelatao, elles sont passées par le monument de Benito Juarez et, de là,
elles ont rejoint le zócalo.

Aujourd’hui les peuples mixe, zapotèque et chinantèque de la montagne ont
formé un front uni à partir des communautés pour reconstruire des
alliances régionales afin de négocier sur un pied d’égalité et dans le
respect des peuples avec les institutions gouvernementales. C’est dans les
années 70, qu’a commencé ici, dans la Sierra Norte, la lutte contre les
caciques, qui, par l’intermédiaire du PRI, contrôlaient les municipalités,
nous avons dû faire front aux pistoleros et parfois nous défendre, face à
des assassins, il faut pouvoir leur répondre, mais notre lutte était
profondément pacifique, c’était celle des habitants zapotèques, mixes,
chinantèques contre les gens de pouvoir et leurs hommes de mains, leurs
sicaires. Face à notre détermination, les grands caciques de la Sierra ont
dû peu à peu céder du terrain pour finir par nous remettre le pouvoir
municipal. Aujourd’hui, la plus grande partie des communes de la montagne
sont gérés selon les us et coutumes et ont recouvré leur autonomie.

- Vous voulez procéder de la même manière avec Ulises Ruiz et ses sbires ?

- Oui.

Oaxaca, le 22 novembre 2006.

George Lapierre
Paria
   Posté le 26-11-2006 à 15:03:00   

Bien le bonjour,

Nous avions noté dans notre compte-rendu sur le Congrès que les délégués
de la Sierra Norte, conséquents avec leurs pratiques communautaires,
n’avaient pas désigné leurs représentants au Conseil de l’APPO à la fin du
Congrès, laissant ce soin à l’assemblée régionale. Cette assemblée s’est
tenue à Guelatao ce dimanche 19 novembre. San Pablo Guelatao est le
village natal de Benito Juarez. Nous pouvons visiter sa maison ou plutôt
la reconstitution de sa maison natale, modeste cahute d’adobe (brique
d’argile durcie au soleil) au sol en terre battue, qui se dresse auprès
d’un petit lac aux rives boisées et fleuries. L’endroit est agréable dans
les contreforts de la Sierra Norte dite aussi Sierra Juarez, à une heure
de route d’Oaxaca. Il fait froid ce dimanche matin dans la montagne et il
brouillasse, heureusement la tradition des Indiens veut que le village qui
reçoit offre avant toute réunion le petit déjeuner, puis ensuite le
déjeuner et parfois le souper, c’est que les gens viennent de loin,
certains sont partis à 2 heures ou 3 heures du matin, ce sont des hôtes
que l’on respecte, on prend soin d’eux, comme eux prendront soin de nous,
et cet accueil attentionné et aimable est propice au développement heureux
du débat : un petit verre de mescal pour réchauffer l’esprit, la musique
des bandas mixes et zapotèques pour réchauffer le cœur et un caldo de
pollo (bouillon de poule) pour réchauffer l’âme et nous voilà d’attaque
pour participer, comme invités, à l’assemblée régionale des peuples mixe,
zapotèque et chinantèque de la Sierra Juarez.

Les réunions sont toujours très formelles et elles se déroulent entre un
début et une fin qui sont clairement marqués par quelques phrases
conventionnelles, qui précisent l’heure d’ouverture et l’heure de la
conclusion. Toute assemblée digne de ce nom commence par un petit rituel,
c’est Juana Vázquez, la linguiste zapotèque que nous connaissons, qui est
chargée d’évoquer les esprits des ancêtres qui nous accompagneront durant
les débats et les délibérations. Participent à cette assemblée les
principales autorités (environ 150) de 42 communes indiennes de la Sierra
Norte. Elle est chargée de désigner les 24 conseillers qui la
représenteront auprès du Conseil de l’Assemblée populaire.

Avant de lancer les discussions, l’assemblée va écouter un certain nombre
d’interventions. Zenén Bravo en tant que membre du Conseil fait un bref
compte-rendu des conclusions auxquelles est parvenu le Congrès : les
méfaits de l’impérialisme qui se traduit dans la région par le Plan
Puebla-Panama, les méfaits du totalitarisme politique qui s’exprime par la
non-séparation des pouvoirs, le pouvoir exécutif commandant le législatif
et le judiciaire. Il précise ensuite que l’Assemblée populaire des peuples
d’Oaxaca est l’organe suprême des prises de décision avec un
fonctionnement démocratique communautaire : "Qu’Oaxaca arrive à avoir dans
un futur proche un pouvoir différent, non celui des seigneurs haut
justicier (señores de horca y cuchillo) qui nous gouvernent maintenant,
mais un modèle inspiré de la communauté indigène, car là se trouve
l’embryon de la vraie démocratie." Regino Adolfo, du Service du peuple
mixe, intervient ensuite pour parler des principes fondateurs de
l’Assemblée (cf. lettre 12) et pour faire le point sur le système des
représentations au sein du Conseil : faire en sorte que tous soient
représentés : les différents secteurs de la société, les colonies et les
barricades, les groupes et les associations, les communautés et les
régions, avec pas moins de 30 % de femmes. Un philosophe fait ensuite un
discours passionné au sujet de la profonde mutation sociale qui se prépare
ici, à Oaxaca, et qui voit l’émergence du principe directeur de
l’identité, de la diversité des cultures, face aux forces unificatrices de
la globalisation. Il me semble malheureusement que la montagne a accouché
d’une souris quand, en conclusion, il recommande d’établir des relations
directes avec les régions autonomes d’Europe comme la Catalogne. Il est
applaudi, mais j’ai remarqué que les Mexicains applaudissent plus le ton
énergique et passionné d’un discours que son contenu, ils applaudissent la
performance. Précisons tout de même que les applaudissements au cours d’un
débat extériorisent un consensus quant au contenu, lorsque celui-ci est
exprimé avec conviction. Une jeune femme parle ensuite avec sensibilité de
la différence de comportement entre la souris des champs et la souris des
villes. Je laisse ici, rassurez-vous, le seigneur Jean de La Fontaine.

Au cours du débat qui suit, plusieurs grands axes vont apparaître. La
revendication de l’autonomie communale et, avec elle, le rejet de tous les
partis politiques revient souvent sur le tapis. Une autorité du secteur
d’Ixtlán, je crois, se montre particulièrement ferme sur ce sujet : "Nous,
nous avons l’argent que nous envoient les gens de la commune qui ont
immigré aux Etats-Unis, et nous ne demandons plus rien à l’Etat, nous
finançons nous-mêmes nos projets." Tiens, tiens, cela fait penser aux
zapatistes et aux immigrés africains en Europe ou comment l’immigration,
quand la tradition communautaire est encore forte, permet de construire ou
de renforcer l’autonomie des villages. Ceux qui sont allés appuyer Ulises
Ruiz, au cours d’une manif organisée par ce personnage à laquelle furent
contraints de participer tous ceux qui travaillent pour le gouvernement ou
pour une municipalité contrôlée par le PRI, ont été qualifiés
d’opportunistes et de compañeros maiceados (compagnons corrompus,
manipulés) et vont être exclus des assemblées communales.

L’idée de constituer formellement une assemblée régionale des peuples de
la Sierra Norte prend corps peu à peu : "Nous devons une chose à URO
(Ulises Ruiz Ortiz), il nous a secoué la tête et il nous a réunis ; pour
la première fois, nous sommes ensemble, les quatre districts de la
Sierra." Il s’agit de reconstituer l’unité régionale à partir des
assemblées communautaires et en relation avec les associations d’immigrés
qui se trouvent aux Etats-Unis, dans la capitale de l’Etat ou du pays. Il
faut profiter de cette occasion unique, avance Joel Aquino, et si
certaines autorités municipales refusent par opportunisme de participer,
il est toujours possible de créer des associations citoyennes (comité de
parents d’élèves, association culturelle) qui pourront nommer des délégués
à cette assemblée des peuples de la Sierra Norte : "C’est une opportunité
unique que nous ne pouvons pas laisser passer parce qu’elle ne se
représentera pas avant dix ou vingt ans. C’est vrai, nous ne sommes pas
tous là, mais à mesure que nous avancerons, d’autres s’uniront à nous. Il
n’y aura pas un pauvre qui refusera de participer à la lutte des pauvres."

Précisons que la Sierra de Juarez comprend quatre districts, Ixtlán, Villa
Alta, Mixe et Choapas, qui furent historiquement terres des grands
caciques priistes. Le PRI a perdu graduellement le pouvoir dans les
communautés pour ne plus contrôler que 10 % des municipalités. Le grand
moment de cette journée fut donc la constitution formelle de l’Assemblée
des peuples mixe, zapotèque et chinantèque de la Sierra Juarez, premier
pas, mais un pas très important à mon sens, vers l’unité des peuples
indiens de l’Etat d’Oaxaca, qui comprend, je le rappelle, seize peuples
indigènes. Les délégués au Conseil seront désormais responsables devant
cette assemblée et devront défendre le droit à la libre détermination et à
l’autonomie des peuples, "avec conviction", est-il précisé.

La journée est déjà bien avancée et nous avons sauté le repas de midi, la
nuit s’est installée dans la bruine et le froid. Chaque secteur de la
montagne se réunit pour nommer ses représentants au Conseil estatal, en
tout 24 conseillers. Après le discours d’investiture, au cours duquel un
ancien rappelle le sens de leur charge, l’assemblée passe à la discussion
d’un plan d’actions. Plusieurs propositions sont retenues, dont celle
d’une déclaration publique ou Pronunciamiento, ce sera la "Déclaration de
Guelatao", lue et discutée un peu plus tard dans la soirée. Il n’y est pas
seulement question de la destitution d’Ulises Ruiz, de la condamnation des
violences et des abus de la police, du rejet des forces militaires, ou du
refus des partis politiques, la déclaration fait aussi allusion à un pacte
social et à une profonde transformation de la société à la recherche de
ses principes directeurs à travers le dialogue, la libre détermination et
l’autonomie : "Nous appelons à l’unité des autorités et des membres des
peuples zapotèque, mixe et chinantèque afin de faire triompher nos
exigences et nos aspirations à mener la vie que nous souhaitons... Pour
que cette grande assemblée des peuples zapotèque, mixe et chinantèque soit
une réalité, nous devons renforcer et étendre les attributions de nos
assemblées communautaires, municipales et régionales, pour en faire des
organes de débat et de décision… Dans l’assemblée réside notre force et
notre légitimité." (Cf. "Déclaration de Guelatao".)

Il fut aussi décidé de fermer les délégations et les diverses
administrations gouvernementales qui se trouvent dans la montagne et de
s’emparer de la radio de Guelatao, Voz de la Sierra, qui est administrée
actuellement par la Commission nationale du développement indigène (CNDI)
afin de pouvoir informer les habitants sur la lutte, ou les luttes, en
cours. Enfin, il fut décidé de participer à la grande manifestation du 25
novembre qui partira de Santa María Coyotepec, où se trouve le palais du
gouvernement, pour le zócalo, mais avec les fanfares municipales et avec
la présence des autorités avec leurs bâtons de commandement.

Avec la participation des peuples indiens de la Sierra, l’Assemblée
populaire des peuples d’Oaxaca passe dans une autre dimension du temps et
la patience, le temps indien, prend le pas sur l’urgence et l’impatience
"révolutionnaire" du monde occidental. C’est une partie d’échec où les
coups et les avancées sont mûrement réfléchis en fonction d’une stratégie
à long terme, mais où il s’agit aussi de saisir l’occasion quand celle-ci
se présente. Le 28 et le 29 novembre se tiendra dans la ville le forum des
peuples indigènes d’Oaxaca.


Oaxaca, le 24 novembre 2006.

George Lapierre
sti
   Posté le 27-11-2006 à 03:09:35   

Il nous tien informé ce George Lapierre mais alors il est relou sur les ML. La vision communautaire indigéne (petite propriété, vision clanique et territoriale, pratiques religieuses etc.) et le socialisme se sont toujours accordé difficilement et pour cause. C'est un forme de communisme primitif qui permet de lier les luttes entre elles (de la cause indigéne et celle du prolétariat) mais c'est un accord précaire comme nous le montre encore une fois les paroles de ce leader indigéne.

Merci Paria pour la mis à jour.
Paria
   Posté le 27-11-2006 à 12:15:57   

Salut à tous,

Voilà déjà un mois que je traîne mes souliers par ici, dans la poussière
des manifestations, des marches ou celle des champs de bataille.

Tout va très vite et souvent, on n’est pas vraiment maître de son temps
qui défile rapidement.

La réalité mexicaine est toujours complexe et il faut toujours un peu de
temps et de recul pour saisir ce qu’il se passe vraiment et ce qui est en
jeu.

En ce moment à Oaxaca, malgré l’apparition du froid, il y a des
manifestations quotidiennement et se maintient, malgré la pression venant
de tous côtés, la barricade de "Cinco Señores". Hier, ont réapparu en
taule et salement amochés les deux jeunes de la barricade qui avaient été
arrêtés la veille sur place. Leurs corps portent encore les marques des
tortures subies et des nombreux impacts des balles en caoutchouc. Le
gouvernement de l’Etat, avec l’aide de la police fédérale préventive et de
ses propres groupes de paramilitaires entame une véritable guerre de basse
intensité (arrestations, tortures et passage à tabac systématiques,
disparitions, fusillades... 17 morts jusqu’à présent) contre le mouvement
de l’APPO et contre ceux qui forment une partie importante et radicale du
mouvement, à savoir : les jeunes et les habitants des quartiers
populaires. Les rapports ou les dénonciations des diverses organisations
des droits de l’homme restent lettre morte. Les assassins et les hommes de
main à la solde d’Ulises Ruiz agissent en totale impunité.

Il semble que la situation sur place n’évoluera guère jusqu'à la prise de
fonction de Calderon (le futur président), le 1er décembre. La suite est à
craindre... Celui-ci a déjà prévenu qu’il ne permettra pas que l’ordre
soit troublé, qu’il appliquera toute la force de la loi et qu’il en
coûtera des vies humaines...

En attendant, une grande marche est prévu samedi prochain (demain). Hier
soir, une réunion entre colonos, barricadas et des représentants du
conseil de l’APPO avait lieu à l’université, à deux pas de la barricade
de "la Victoria" ( dernière dénomination de la Barricade de Cinco Señores
après "la Muerte"). Il s’agissait de discuter afin d’organiser la
prochaine manifestation dans de bonnes conditions... Les conseillers de
l’APPO ont fait part à la petite assemblée d’un dialogue avec les
autorités (secrétaire d’Etat, commandant de la Police fédérale
préventive...) qui eut lieu la nuit précédente. De nouveau, l’APPO, lors
de ce dialogue avec les autorités, a réitéré ses exigences : liberté pour
les prisonniers (60 ?), élimination des ordres d’appréhension (plus de
200), réapparition des disparus(une trentaine), changement des autorités
de l’Etat, que cesse le brouillage intempestif de la radio "Universidad"
et que, dans le même temps soit bloqué le signal de la radio pirate
"mapache" qui soutient grossièrement le tyran et appelle au meurtre de
certain membres de l’APPO. En fait, lors de ce dialogue avec les
autorités, il fut surtout question de la marche de samedi. Les flics de la
PFP ont proposé de se retirer du zocalo le temps d’un meeting pour le
réoccuper ensuite et que, si tout se passe bien (s’il n’y a pas
d’affrontement), ils envisageraient de se retirer définitivement. Donc, du
point de vue de certains conseillers de l’APPO, il était surtout question
d’organiser, de structurer, "¡Todo el poder al pueblo organisado!"... Tout
le monde ne voyait pas les choses ainsi, et rapidement a été exprimé le
fait qu’il n’y avait rien à attendre d’un pacte avec les flics, qu’ils
pouvaient partir avant le samedi s’ils craignaient des affrontements, et
que, s’ils quittent le zocalo, c’est surtout pour la bonnes marche des
affaires des hôteliers qui, après avoir ardemment exigé l’entrée de la
PFP, réclament maintenant qu’elle se retire du zocalo transformé en
caserne depuis le début du mois. De plus, il est certain que la police ne
se retirera pas définitivement d'Oaxaca mais se redéploiera dans les
quartiers populaires de la périphérie.

D’une manière plus générale, il y eut pas mal d’interventions : notamment
signalant que le mouvement est pacifique mais se défend et se défendra
comme il se doit... Qu’il n’y avait que deux voies, celle du dialogue ou
celle des armes, mais que le mouvement n’en possédant pas, alors
logiquement s’imposait la voie du dialogue. Il y eut la proposition de
récupérer des espaces publics, leur donner vie et alegria, des endroits
pour se rencontrer, s’écouter et faire la fête... renforcer et
reconstruire les barricades avec la même idée d’en faire des lieu de
rencontres et de convivialité... de construire, dans les quartiers,
l’autonomie... Toujours les mêmes parlaient de donner des structures aux
colonies et aux barricades, de créer et coordonner des groupes
d’autodéfense et d’inviter à une nouvelle réunion de colonos y barricadas.

Des batailles avec la PFP, je garde le souvenir du courage certain des
jeunes en première ligne, des blessés, du feu, des pierres, de la rage,
des barricades qui s’improvisent à la hâte de bric et de broc, de
l’imagination et de l’esprit d’initiative des insurgés. Je me rappelle des
gamins qui passaient dans la foule proposant des masques (certains cousus
à la main) pour se protéger du gaz que les flics lançaient, des femmes
passant avec des seaux remplis d’un mélange eau et vinaigre pour en
atténuer les effets toxiques ou chargées de grandes bouteilles de Coca
pour calmer les yeux aveuglés qui brûlent, de ces mères de famille, "amas
de casa", qui apportent chaque jour dans de hautes marmites à manger sur
les barricades. Milles souvenirs chaleureux. Et bien sûr je me souviens
très bien de l’allégresse communicative de la rue après la victoire sur
les flics ce 2 novembre à Cinco Señores.

Bon, il y a encore plein de chose a raconter... et malgré les vieilles
manières de faire de la politique d’un grand nombre des adhérents de
l’APPO, qui cherchent en premier lieu leur propre intérêt, celui de leur
parti ou de leur groupe, il y a du sang nouveau qui circule et beaucoup de
lucidité sur toutes les manœuvres et autres tentatives de manipulation qui
s’exercent et qui ne passent finalement pas. Il est certain qu’il faut
encore un peu de temps avant de savoir vraiment qui de ces deux forces
l’emportera vraiment dans l’APPO. Les communautés avec l’idée du
"commander en obéissant", de la révocation des mandats allié à l’esprit
rebelle et radical des jeunes et des colonos des quartiers populaires
contre les "degauches" qui se rêvent déjà au pouvoir... La suite des
événements nous permettra rapidement de le savoir.

Bon, nous en somme là pour le moment et c’est déjà samedi... Nous nous
préparons doucement afin de rejoindre la marche quand elle passera par
l’entrée de la ville pour rejoindre le zocalo.

J’espère que de votre côté tout va bien.
Donnez donc des nouvelles.

A bientôt.
M, le 25 novembre 2006.

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Le samedi 25 novembre, au 188e jour de conflit, la mégamarche est arrivée
dans le centre-ville après 15 kilomètres dans les pattes, elle était bien
différente des précédentes et paraissait plus grave, après avoir tenté
d’encercler le zocalo et les rues adjacentes ou s’était concentrée et
fortifiée la PFP (Programa Foxista conta la Pobreza). Il était l’heure de
se restaurer et chacun est resté ainsi pendant une paire d’heures sur sa
position dans une ambiance assez pesante... puis, malgré les appels à ne
pas céder à la provocation, à rester pacifique et organisé, sans crier
gare la bagarre a éclaté. Chacun était prêt et les masques et le vinaigre
ont commencé à circuler, les flics barricadés nous balançaient de leurs
positions des salves de grenades lacrymogènes et bien vite un brouillard
gris s’est étendu sur tout le centre. Les insurgés malgré leur nombre,
leurs équipements hétéroclites, leur détermination et leur courage, n’ont
pas pu faire reculer les flics et, après quelques heures d’affrontements
violents, les flics ont commencé à avancer en direction de Santo Domingo
où les gens se dépêchaient de se faire des munitions de pierres de toutes
tailles en démolissant le parvis de la cathédrale, dans les rues à côté,
et des terrasses des maisons les pierres volaient en direction des flics,
des jeunes derrière de grands boucliers (des portes) avançaient en ligne
au plus près du contact avec les flics afin de lancer les cocktails
Molotov et autres projectiles en étant sûrs d’atteindre leur cible. Des
barricades improvisées se construisaient précipitamment, des incendies
s’allumaient pendant que le soir tombait. A Santo Domingo, Flavio Sosa (un
"leader" de l’APPO, complètement compromis au jeu politique, celui-là même
qui en appelle au pape) exhortait les gens à cesser les combats, la
réponse de la foule a été claire : "Tire-toi, fils de pute, ou commence à
te battre !", "C’est le peuple qui commande !" Alors qu’il quittait la
place, il déclara la situation incontrôlable aux journalistes présents...

L’offensive des flics se fit encore plus brutale à l’approche de Santo
Domingo. Au poste de secours improvisé du IAGO (la bibliothèque de Toledo)
arrivaient de nombreux blessés ou intoxiqués en même temps que des gens
inquiets et désespérés de ne pas retrouver des membres de leur famille.
Nous avons dû quitter Santo Domingo devant l’hallali des chiens et trouver
refuge dans une maison à proximité. De là, nous pouvions observer la rue
et apercevoir au loin, dans la nuit, de grandes colonnes de volutes
éclairées par l’incendie des bâtiments au dessous.

Après un court répit, les flics ont repris leurs basses œuvres en ouvrant
la chasse aux attroupements épars. De là où nous étions, nous avons pu
observer d’assez près la sauvagerie sans limite de ces chiens : un jeune
au volant d’une "pipa" (un camion-citerne qui transporte de l’eau) s’est
retrouvé, à un carrefour, nez à nez avec les flics qui venaient d’une rue
perpendiculaire. Il s’est enfermé dans le camion pour ne pas se faire
défoncer la gueule, les flics ont tiré une cartouche de gaz à travers le
pare-brise du camion qui s’est arrêté et ont poursuivi leur chemin.
L’épaisse fumée sortait de tous les orifices de la cabine, les flics
étaient partout dans la rue et personne n'a pu porter secours au chauffeur
qui est resté, certainement inconscient, un bon quart d’heure dans cette
chambre à gaz. Les flics, au retour, ont mis un masque à gaz, l’un d’eux a
pris la place du chauffeur et ils sont repartis avec le camion et le jeune
toujours dedans...

A ce stade, la répression de la manifestation a fait au moins une
quarantaine de blessés, plus de cent arrestations, pour l’instant nous ne
connaissons pas le nombre exact de disparus (certainement plusieurs
dizaines) et on parle de quatre morts. Les flics ont tiré des balles en
caoutchouc et, par moment, à balles réelles. Une bonne partie de la nuit,
des convois de la PFP ont sillonné les rue de la ville à la recherche
d’irréductibles. Il y a de nombreux témoignages dans les journaux de ce
matin, sans parler des nombreuses photos qui illustrent la cruauté et la
sauvagerie répressive. De leur côté, les insurgés ont mis le feu au
tribunal supérieur de la justice, aux bureaux des jugements fédéraux, au
secrétariat du tourisme, à l’association des hôtels et motels, à l’entrée
de l´hôtel de luxe "Cuatro Caminos", une partie du théâtre Juarez a
également souffert des flammes à cause de sa proximité avec un des
bâtiments publics, sans parler des dizaines de véhicules qui illuminaient
la nuit...

Aujourd’hui, dimanche, de bonne heure, en sortant de la maison où nous
avions été hébergés pour la nuit, je suis retourné faire un petit tour du
côté de Santo Domingo, où les équipes de la municipalité s’affairaient à
effacer toutes traces des évènements qui avaient eu lieu. Il me semble, vu
les moyens déployés, que les autorités officielles ne permettront pas que
les gens réoccupent l’endroit... à voir... J’ai voulu aller jusqu'à la
grand-place du Llano, prendre quelques photos des bâtiments d’où je
voyais, la veille, les hautes colonnes de fumée montées paisiblement vers
le ciel en se rejoignant dans la nuit. Sur place, je suis tombé sur un
convoi de la PFP qui descendait la rue, j’ai traversé le parc en admirant
de loin la belle œuvre, un autre convoi montait en sens inverse... Je ne
suis pas resté, je n’ai pas fait mes photos. J’ai continué mon chemin
comme un touriste égaré en appréciant les rayons du soleil qui me
chauffaient les os.

Cet après-midi pendant que j’écrivais ce petit récit, nous entendions le
survol d’un hélicoptère sur la ville...

A bientôt.
M, le 26 novembre 2006

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Bien le bonjour,

Nous sommes le samedi matin et nous nous préparons à aller à la
manifestation, le point de départ, Santa María Coyotepec, se trouve à plus
de quinze kilomètres de la ville, cela en fait hésiter plus d’un et plus
d’une autour de moi, quinze kilomètres à pieds sous le soleil de Satan, il
y de quoi hésiter en effet. Le tyranneau a pris soin de construire le
nouveau et luxueux palais du gouvernement loin de la ville et de ses
turbulences. Avec Calderón, le futur président du Mexique, qui va prendre
possession du pouvoir à San Lázaro derrière des murailles d’acier élevées
tout autour du bâtiment législatif et dans un quartier encerclé depuis
plusieurs jours par les policiers et les militaires, ce sont les images
les plus délirantes et tordues de la science-fiction qui deviennent
réalité. La manifestation doit se terminer par un encerclement effectif
des forces d’occupation qui se trouvent sur le zócalo pendant 48 heures.

Nous sommes allés voir les jeunes qui tiennent la barricade de Cinco
Señores. El Cholo et el Conejo, ainsi qu’un troisième barricadier, ont été
faits prisonniers par un commando de la police ministérielle soutenue par
la police fédérale préventive, ils ont été salement tabassés et torturés
avant de se trouver derrière les barreaux sous des inculpations
grotesques, comme tentative d’homicide, mais qui peuvent leur coûter cher.
Les gens de la barricade avaient retiré, sous la pression semble-il du
Conseil, certains véhicules pour "libérer le passage", ils ont libéré le
passage au commando, finalement. Cela sent la provocation à plein nez.
Deux réunions ont eu lieu avec les colonies pour parler de la
manifestation et de l’idée de l’encerclement des forces militaires.
L’intervention de celle qui est la porte-parole au sein du Conseil de la
barricade Los Cinco Señores a été très intéressante : "Il faut être clair
sur les buts, chacun, que ce soit l’Etat ou l’APPO, fait valoir sa
scénographie, la mise en spectacle de la confrontation, par exemple, ou du
dialogue, par contre, l’intention reste confuse et floue, on ne poursuit
pas un objectif précis et immédiat ou, du moins, explicite, on se contente
d’une mise en scène."

Notre première inquiétude au sujet de l’isolement de la barricade Cinco
Señores s’est dissipée au vu de ces réunions, les gens venus des
barricades comme Brenamiel, Calicanto, et des colonies se sont reconnus
sur des points de vue très proches. Les "dirigeants", du moins ceux qui
aimeraient bien être reconnus comme dirigeants, craignent la réaction des
quartiers et des barricades, c’est un monde qu’ils ne peuvent contrôler.
Dialogue de sourd ? Quoi qu’il en soit, il y a là comme un hiatus qui
affaiblit le mouvement. Les habitants des quartiers par exemple ne veulent
pas entendre parler de dialogue ou de négociation avec le gouvernement
central ni avec les commandants de la Police fédérale préventive. Ils
veulent chasser les flics du Zócalo, or l’APPO a perdu une bonne
opportunité de le faire, le 2 novembre, quand les porcs ont dû battre en
retraite après la bataille de l’université. Ce souhait est-il réalisable
ou non ? S’il est réalisable, donnons-nous les moyens de le réaliser, s’il
ne l’est pas à quoi rime la manifestation et cette idée d’encerclement ?
Deux réunions ont été nécessaires pour ne pas répondre à cette question.

Je reprends cette chronique ce dimanche matin avec des sentiments mêlés et
contradictoires dus au relâchement après les moments intenses de cette
nuit insurrectionnelle. Tôt ce matin, des équipes de balayeurs tentaient
d’effacer toute trace de l’émeute de la veille, des peintres recouvraient
avec de la peinture blanche les slogans, des camions-bennes enlevaient les
restes des barricades, en vain. Comment gommer les six immeubles, dont le
Tribunal supérieur de justice, La Chambre des hôtels et motels, le
ministère des Relations extérieures, qui ont été incendiés ? Des flics en
civil rôdent, mêlés aux bourgeois, dans les rues autour du Zócalo et des
patrouilles composées de quatre à cinq camionnettes remplies jusqu’à la
gueule de flics en tenue anti-émeute tournent les unes derrière les autres
dans les rues adjacentes. Beaucoup de gens ont été appréhendés, on parle
d’une centaine de disparus, d’autres ont pu trouver refuge, ce fut notre
cas, dans des maisons amies. Ce ne fut pas une émeute, ce fut le premier
pas d’une insurrection. A la jubilation de voir dans la nuit Oaxaca en
flammes se mêle le goût amer des massacres et assassinats perpétrés par
les forces de l’ordre.

Nous avons rejoint la marche à mi-parcours, beaucoup de monde mais moins
de monde que lors de la grande marche du dimanche 5 novembre, moins de
slogans, absence des peuples indiens de la Sierra, qui devaient venir, des
participants plus tendus, aussi. La rumeur avait couru qu’il allait y
avoir des affrontements, que des francs-tireurs embusqués tireraient sur
la foule, ou que des commandos de paramilitaires interviendraient, c’est
Ulises Ruiz qui était à l’origine de ces rumeurs en laissant entendre
qu’il ne contrôlait pas la situation (comme s’il l’avait contrôlée un
jour !), cela signifiait en fait qu’il laissait carte blanche à ses
tueurs. La marche sous le soleil de midi s’est déroulée sans incidents. A
3 heures et demie, nous étions au centre-ville et les gens ont envahi les
rues qui mènent au Zócalo, foule bigarrée, assez silencieuse, fatiguée
aussi par cette longue marche. Temps d’orage, mais nous ne savions pas si
l’orage allait éclaté ou non. Une longue file s’est formée où l’on
distribuait de la nourriture, riz et haricots noirs, et puis rien,
quelques groupes descendaient bien les rues pour aller défier la Police
fédérale préventive, mais sans trop de conviction, celle-ci était bien
protégée derrière des murailles d’acier, le Zócalo était devenu une place
forte, à mon sens, imprenable.

Et puis comme un premier éclair, des gamins qui descendent la rue en
courant avec un cadi rempli de caillasses, des femmes sur le parvis de
l’église les encouragent à grands cris tout en leur demandant de ne pas
céder à la provocation. Des pierres partent dans tous les sens, des fusées
zigzaguent et éclatent, les cloches de l’église se mettent à sonner le
tocsin, on arrache des palissades pour former des barricades, on monte sur
la terrasse du bâtiment en construction, des brigades de secours se
forment avec coca, eau et vinaigre, des masques de tampax imbibés de
vinaigre sont proposés aux combattants, les rues se remplissent de
tonnerre et de fumée, l’orage. Il est 4 h 30 de l’après-midi, l’offensive,
on se jette à corps perdu contre la place forte en espérant la faire
fléchir. Le parvis de Santo Domingo est devenu une carrière à fabriquer du
caillou, tous s’activent.

La horde sauvage, la horde de la dignité, face à l’armée de l’ordre,
retranchée, bien protégée et supérieurement armée, la place ne cède pas,
un espoir, pourtant, dans une rue parallèle, les forces armées, moins bien
protégées auraient montré des signes de faiblesse, nous nous y lançons,
défiant les grenades de gaz, nous avons des bus à notre disposition, nous
en manœuvrons un et nous avançons derrière ce tank improvisé, en vain, les
grenades pleuvent de tous les côtés le bus devient alors une barricade
derrière laquelle seuls ceux qui ont des masques à gaz peuvent encore
résister. Mais l’idée était bonne et nous la renouvelons de l’autre côté,
pour le même résultat. C’est alors que se déclanche la contre-attaque,
elle nous a surpris et malgré une résistance acharnée, nous nous rendons
vite compte que nos positions sont indéfendables : nous nous replions en
vitesse vers la place de Santo Domingo sous une grêle de grenades
lacrymogènes.

Un court moment de répit, on repart à l’assaut et puis tout se passe très
vite après quatre heures de combat, c’est le soir maintenant. Une des
filles est intoxiquée par les gaz, tout le centre-ville est devenu
irrespirable, nous la conduisons à un poste de secours improvisé dans la
bibliothèque publique du peintre Toledo, nous la laissons à l’intérieur et
nous nous replions vers les rues perpendiculaires, des bataillons de choc
de la police fédérale avancent derrière leurs tanks, nous avons juste le
temps de passer. Nous allons faire un tour du côté des associations des
droits humains pour rendre compte de la situation, mais surtout pour
respirer.

Nous y restons peu de temps, il faut récupérer la copine, un repli des
forces de police nous permet de revenir vers Santo Domingo, la copine
n’est plus dans le poste de secours, nous la retrouverons plus tard chez
des amis, saine et sauve. Les commandos de la police fédérale entrent à
nouveau en action derrière leurs tanks, ils cherchent à prendre en
tenaille les irréductibles qui se sont regroupés un peu plus bas, nous
marchons vite, une porte amie s’ouvre, à quelques secondes près nous
étions pris et matraqués. Impuissants nous assistons à une scène terrible,
le croisement est noir de flics, les irréductibles ont pu s’échapper mais
l’un d’eux est resté prisonnier du camion qu’il conduisait, je pense qu’il
avait déjà été atteint et blessé, à la merci de la meute, qui balance des
grenades lacrymogènes dans la cabine... (C’était le vrai conducteur du
camion, je viens d’apprendre qu’il a réussi à s’échapper au dernier
moment, bien que blessé, avec l’aide des jeunes par quel miracle ? Les
chiens ont rempli de gaz une cabine vide. Ouf !)

La ville brûle, tout autour rôdent les camions de la PFP à la recherche
des derniers mohicans, beaucoup vont pouvoir se cacher dans des maisons
hospitalières, rôdent aussi les tueurs à gage d’Ulises Ruiz, nous
entendons des coups de feu, la radio signale qu’ils auraient tiré du côté
de la barricade Cinco Señores et qu’il y aurait des morts. Un commando
vêtu de noir, armé jusqu’aux dents, se trouvent dans les jardins de
l’hôpital. Sept personnes en civil, armées de révolvers, sont entrées dans
les urgences et ont menacés les personnes présentes. Le bilan est
tragique, on parle de quatre morts, le nombre de blessés est incalculable,
149 détenus et 41 disparus. Ulises Ruiz et l’Etat fédéral entendent
profiter de la situation pour perquisitionner les habitations, arrêter les
leaders de l’APPO, et occuper militairement tout le centre touristique et
pas seulement le Zócalo ; leurs prochains objectifs seront la cité
universitaire et la barricade de Cinco Señores ; ils n’arrêteront pas le
mouvement, qui, selon mon sentiment, va se reconstituer rapidement, c’est
un simple coup de vent d’un mouvement insurrectionnel venu des profondeurs
de l’Etat d’Oaxaca. Les communautés indiennes de la Sierra Norte n’y ont
pas participé, ils se doutaient bien de ce qui allait se passer, ils ne
voulaient pas affaiblir leur force dans une escarmouche.


Oaxaca, le 26 novembre 2006.

George Lapierre

Message édité le 27-11-2006 à 12:17:25 par Paria
Paria
   Posté le 28-11-2006 à 15:21:21   

Nouvelles du jour (28 novembre 2006)

5 :12 l'Université d'Oaxaca Continue de transmettre des nouvelles par radio Universidad

Cette nuit d'enormes patrouilles de la PFP ont engendrées la crainte que la station serait attaquée dans la nuit a n'importe quel moment

Les interférences à la radio sont très fortes mais elle transmet toujours dans la ville d'Oaxaca, et sur internet par une centaine de miroirs dans le monde

00 :47 les Policiers locaux ( ou des Pfp en civils ) ont été vus sur la place Santa Lucía del Camino, mondialement connue désormais par ses tueurs paramilitaires a la solde du Pri qui y traînent jour et nuit

00 :48 l'Université d'Oaxaca vis peut être sa nuit la nuit la plus critique depuis le commencement du mouvement social oaxaqueño et la Lutte Populaire des Peuples(Villages) d'Oaxaca la menaces d'une attaque de la radio est toujours imminente

00 :33 aujourd'hui les companeros-as on fait un compte des cartouches tirées par les forces fédérales ( Pfp ), trouvéés après le massacre du 25 novembre : des cartouches de carabines 223, d'un pistolet automatique 45, d'automatique 38, d'un pistolet 9 millimètres. Certains de ces projectiles ont étés tirés dans les salles de la faculté de médecine.

00 :25 La PFP a été aux environs de la cité universitaires ils montent a ses abords

00 :19 encore une fois on informe la radio que la police fédérale préventive assiège de nouveau l'université d'Oaxaca, en ce moment elle se redéploie à la hauteur de soriana non loin de l'université

http://vientos.info/cml/
Paria
   Posté le 28-11-2006 à 15:30:29   

Chronique du Mexique en luttes, 27 novembre 2006


Nouvelle agression policière à Oaxaca

Samedi dernier, 25 novembre, les adhérents et sympathisants de l’APPO
effectuaient une nouvelle marche de protestation pour exiger le changement
politique dans l’Etat d’Oaxaca ; à l’arrivée de la marche au centre-ville,
ils ont encerclé le zocalo occupé depuis le 2 novembre par la Police
fédérale préventive (PFP). Vers 16 ou 17 heures (selon les sources), on ne
sait qui exactement a lancé la première pierre, mais en tout cas la
provocation a immédiatement mis le feu aux poudres, et des affrontements
de plusieurs heures ont opposé les résistants, armés de pierres et de
portes, en guise de boucliers, aux policiers qui les attaquaient à coups
de gaz lacrimogènes, de balles en caoutchouc et, pour certains, d’armes à
feu. Devant la violence des attaques, les membres de l’APPO ont dû quitter
toutes leurs positions, y compris leur campement principal du couvent de
Santo Domingo, et se réfugier dans des maisons amies, jusqu’où les
policiers les ont pourchassés pendant toute la nuit. Plusieurs sources
affirment que des policiers en civil ont attaqué la station d’autobus avec
des armes à feu. De leur côté, les résistants ont incendié le Tribunal
supérieur de justice, le ministère des Relations extérieures, le ministère
du Tourisme et l’Association mexicaine des hôels et motels d’Oaxaca ; le
théâtre Juarez a également été endommagé. L’APPO a cependant déclaré par
l’un de ses porte-parole que ces destructions n’avaient pas été planifiées
et a répété qu’elle se voulait un mouvement pacifique. Elle a aussi
déclaré que dès ce lundi elle reprendrait possession de son campement à
Santo Domingo.

De l’intérieur de l’APPO, certains témoignages confirment un manque
d’unité sur la question des buts et des moyens, entre, d’un côté, les
habitants des quartiers et les jeunes défenseurs des barricades, qui
veulent principalement chasser la PFP par tous les moyens, et les membres
plus "politiques" qui veulent privilégier la négociation du retrait.

Le soir même, le gouverneur Ulises Ruiz déclarait à tous les médias que la
situation était redevenue normale à Oaxaca, que les affrontements avaient
été minimes et n’étaient dus qu’à quelques agitateurs qui ne
représentaient qu’une petite minorité des habitants. Le dimanche, tandis
que les véhicules anti-émeutes quadrillaient sans cesse les rues, les
camions municipaux se dépêchaient de déblayer les gravats et de repeindre
les façades pour accréditer la thèse du retour à la normale. Le nombre de
blessés et d’arrestations dément cependant de lui-même la thèse de
l’escarmouche : de l’aveu même du Parquet général de justice, 149
personnes ont été mises à la disposition de la justice ; quant aux
blessés, leur nombre précis n’est pas fixé, mais selon les sources il
varie entre 150 et 200 ; il semble certain aussi que trois personnes ont
été tuées. Les films et les photos attestent également de l’extrême
violence et de l’ampleur des combats.

Impunité par soumission du pouvoir judiciaire à l’exécutif

Pendant ce temps, le même Parquet général refuse de révéler le résultat de
l’enquête sur le meurtre du journaliste états-unien Bradley Will, tué le
28 octobre dans la première attaque des barricades par des paramilitaires.
En revanche, on atteint maintenant des centaines d’inculpations et
d’ordres d’arrestation contre des militants de l’APPO.

La même complaisance du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l’exécutif a lieu
autour des tortionnaires d’Atenco : il existe une institution nationale
particulière pour les délits "liés aux actes de violence contre la
femme" ; or, cette institution n’a toujours pas été saisie du cas des
seize femmes qui ont déposé plainte pour avoir été violées par les
policiers après leur capture les 3 et 4 mai dernier lors des affrontements
de San Salvador Atenco. Les associations locales et nationale des droits
humains multiplient les dénonciations et les appels ; elles ont obtenu que
le Comité pour l’élimination des discriminations contre les femmes de
l’ONU demande à l’Etat mexicain de vérifier et de punir les coupables de
ces viols. Sans le moindre résultat jusqu’à présent. De même, le Comité
contre la torture, dépendant des Nations unies, a pressé le Mexique
d’effectuer une enquête rapide et impartiale sur les événements d’Atenco,
les féminicides de Ciudad Juarez et les plaintes récentes pour tortures et
violences à Oaxaca ; le Comité a donné un an au gouvernement pour fournir
une information sur la réalisation de ses recommandations.

Réactions à Mexico et craintes pour l’avenir

Les membres et sympathisants de l’APPO dans la capitale fédérale ont
bloqué un axe central pendant une heure, ainsi que les postes de péage de
deux autoroutes menant à la capitale, en guise de protestation contre la
violence policière de ce samedi. Dans une conférence de presse, ils ont
exposé leur crainte que la répression ne fasse que commencer, du fait que,
selon une rumeur, l’armée serait prête à intervenir à son tour à Oaxaca,
et en raison des déclarations du futur président, Felipe Calderon, qui a
déjà promis d’utiliser la manière forte dans ce conflit. Une marche a
également eu lieu vers le zocalo de Mexico, au terme de laquelle, devant
le Palais national, 28 volontaires se sont ouvert les veines en criant :
"Si ce que veut le gouvernement c’est du sang, voici le sang du peuple du
Mexique." Cependant, malgré la difficulté du combat et l’intensité de la
répression, une chose est sûre : le processus entamé est irréversible,
partout surgissent des associations indigènes de plus en plus nombreuses,
de plus en plus déterminées à poursuivre une lutte à long terme pour le
respect de leurs droits et de leur autonomie.

Appel à des réactions internationales

L’APPO et diverses organisations qui en sont membres demandent aux Nations
unies et aux autres organisations internationales de se prononcer sur ces
délits ; ils demandent une intervention de la Croix-Rouge internationale
pour assister les nombreux blessés. Un appel est fait également aux
associations de droits humains et aux associations sociales au niveau
national comme international pour organiser des actions de protestation
devant les institutions et ambassades et envoyer des messages aux
autorités politiques pour qu’elles fassent cesser le massacre à Oaxaca.
Voici les adresses de celles-ci :

Gouverneur de l’Etat d’Oaxaca (Ulises Ruiz Ortiz) : gobernador@oaxaca.gob.mx
Ministre de l’Intérieur de l’Etat d’Oaxaca (Jorge Franco Vargas) : Tel.
(951) 5153175, 5157490
sriagral@oaxaca.gob.mx
sriagral2@oaxaca.gob.mx

President de la République (Vicente Fox Quesada) :
email: vicente.fox.quesada@presidencia.gob.mx
radio@presidencia.gob.mx
webadmon@op.presidencia.gob.mx
Telefonos (55) 50911100 y (55)151794

Ministre de l’Intérieur de la République (Carlos Abascal Carranza) :
Telefono (00 52) 5 55 546
Email segob@rtn.net.mx

Procureur général de la République (Cabeza de Vaca) :
Telefono (00 53) 4 60 904
Email: ofproc@pgr.gob.mx


Annick Stevens,
à partir de "La Jornada", des communiqués de l’APPO et du Conseil indigène
populaire d'Oaxaca - Ricardo Flores Magon (CIPO-RFM).
Paria
   Posté le 01-12-2006 à 16:57:00   

"Plus aucune arme pour le Mexique"


(Titre original de l'article : "No más armas a México" )

Marco Appel – revue "Proceso", 16 novembre 2006.

BRUXELLES. Depuis que le président Vicente Fox a décidé d’employer la
force dans l’Oaxaca et devant les nombreuses dénonciations d’exactions
commises par les forces de police dans ce conflit comme dans d’autres, au
sein de l’Union européenne (UE) les déclarations ne succèdent, qui exigent
un plus grand contrôle des exportations d’armes vers le Mexique
représentant des sommes millionnaires.

Ainsi Hélène Flautre, présidente de l’influente sous-commission des droits
de l’Homme au Parlement européen, signale : "Les pays de l’UE doivent
veiller à ne pas vendre au Mexique des armes qui pourraient ensuite servir
à la police pour torturer ou attaquer les citoyens de ce pays."

Pour cette eurodéputée française, "étant donnée la situation qui règne au
Mexique, ce pays ne devrait pas pouvoir acheter certaines armes
européennes si ces gouvernements [de l’UE] appliquaient correctement notre
code de conduite".

Le 8, mercredi dernier, les partis Verts et Izquierda Unida représentés au
Parlement européen ont proposé une "résolution urgente" concernant le
conflit de l’Oaxaca et la vente d’armes au Mexique. Les parlementaires du
Parti populaire espagnol et du Parti socialiste européen ont opposé leur
veto et empêché que cette question soit inscrite à l’ordre du jour de la
session plénière de la semaine dernière.

Néanmoins, lors de la prochaine réunion de la sous-commission des droits
de l’Homme, le lundi 20 novembre, les Verts formuleront à l’UE, entre
autres demandes, une motion visant à "interdire strictement toute vente
d’armes au Mexique, afin d’éviter qu’elles ne soient employées contre la
population civile dans un conflit interne", selon le document original en
possession de Proceso, auquel seront tenues légalement de répondre les
plus hautes autorités diplomatiques à Bruxelles.

Nicolas Kerlereux, porte-parole du conseil des ministres de l’Union
européenne, a déclaré à Proceso que "toute révision du commerce des armes
avec le Mexique est sujette à caution d’un des gouvernements du bloc
[européen]".

Contre la répression

Le code de conduite en matière d’exportations d’armement signé en 1998 par
les gouvernements de l’UE comporte huit "critères". Le deuxième de ces
critères interdit d’émettre des licences d’exportation à un pays "s’il
existe un risque évident que le matériel en question peut être utilisé
pour exercer une répression interne", pour employer "la torture et autres
mauvais traitements ou châtiments dégradants, inhumains ou cruels, des
exécutions sommaires ou arbitraires, des disparitions, des arrestations
arbitraires et toutes autres violations majeures des droits humains".

Le troisième critère n’autorise pas non plus les exportations de matériel
militaire à des nations connaissant "des tensions politiques ou des
conflits armés".

Des organismes tels qu’Amnesty International (AI) ou Oxfam soutiennent que
ces critères sont appliqués en ce qui concerne le Mexique. Dès le mois de
juin dernier, un rapport émis par ces organismes dénonçait le "transfert
irresponsable" d’armes européennes vers des pays tels que le Mexique, "où
de graves violations des droits humains sont commises".

Au cours des dernières années, AI a dénombré des abus commis par les
forces mexicaines de sécurité : en 2004, à Guadalajara, lors du sommet
UE-Amérique latine ; en mai dernier, à San Salvador Atenco, et le 14 juin
dernier, à Oaxaca, lors de la première tentative de déloger les
manifestants.

Du mois d’août au 27 octobre dernier, cet organisme a émis plusieurs
communiqués dans lesquels elle accuse la PFP, la Police fédérale
préventive, d’avoir employé "une force excessive et disproportionnée
contre les manifestants de l’État d’Oaxaca" et d’avoir commis des délits
tels qu’assassinats, tortures et mauvais traitements.

Pourtant, dans la période qui va du mois de janvier 2001 à décembre 2005,
l’Union européenne a vendu au gouvernement de Vicente Fox plus de 243,5
millions d’euros d’armement varié, situant le Mexique au rang de ses
principaux clients d’Amérique latine.

Selon les rapports annuels du conseil des ministres de l’Union européenne
en cette matière, dans la même période, 14 des 25 pays membres ont fourni
du matériel de guerre au Mexique : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique,
l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Italie, la Lituanie, les
Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, le Royaume-Uni et la Suède.

Nicolas Kerlereux, que nous citions auparavant, a confirmé à notre
correspondant que la destination finale de ces exportations recouvre
l’ensemble des forces de police mexicaines.

À elle seule, la France s’est adjugé 38 % de la facture totale. En effet,
jusqu’au mois de décembre dernier, ce pays avait vendu au gouvernement
mexicain des armes pour un montant de 93 millions d’euros, en grande
partie du matériel électronique à usage militaire, des avions de combat et
différents types de balles.

Le rapport le plus récent émanant du conseil des ministres de l’Union
européenne, publié le 12 septembre, révèle que la vente d’armes est un
commerce si lucratif pour les fabricants français sous le mandat de Fox
que, l’an dernier, la vente d’armes au Mexique représentait 68 % des
ventes totales de l’UE Qui plus est, en 2005, le gouvernement de Vicente
Fox a quasiment multiplié par trois, par rapport à 2004, l’achat d’armes à
la France, qui est passé de 12 à 34 millions d’euros.

Le conseil des ministres ne dispose pas d’informations précises en ce qui
concerne les pays à qui le gouvernement mexicain a acheté des armes lors
de la première année du mandat de Vicente Fox, au cours de laquelle les
commandes passées à l’UE ont atteint 26 millions d’euros.

Par contre, il est en mesure de préciser que sur les 56 millions d’euros
que représentaient les armes devant être livrées que l’Union européenne a
exporté au Mexique, 48 millions d’euros (85 %) venaient de France.

Enquête

Depuis 2003, l’Union européenne fait le détail des caractéristiques de
l’armement exporté par les pays membres et les regroupe en 22 catégories.

La catégorie qui suppose le plus de risques est celle des fusils,
pistolets, revolvers et pistolets-mitrailleurs de calibre inférieur à
20 mm, ainsi que les armes automatiques ou semi-automatiques d’un calibre
inférieur ou égal à de 12 mm.

Au cours des trois dernières années, le Mexique a acheté des armes de
cette catégorie pour un montant de 7,47 millions d’euros – dont la moitié
en 2005 –, qui lui ont été fournies par l’Allemagne, par l’Autriche et par
la République tchèque, et en moins grande quantité par l’Espagne.

Une sérieuse remise en cause des garanties offertes par le Mexique eut
lieu, en février 2000, quand ce pays voulut acheter 500
pistolets-mitrailleurs P-90 à la Belgique. La transaction commerciale
avait été autorisée, mais le 2 mai suivant le gouvernement belge l’a
bloquée de manière unilatérale, le Parlement local ayant exprimée la
crainte de voir des armes si sophistiquée – capables de traverser 50
gilets pare-balles à une distance de 100 m – tomber dans les mains de
membres de cartels de la drogue et de bandes de malfaiteurs organisés.

Dirk Van Der Maelen, chef de file des députés socialistes belges, rappelle
lors d’une interview accordée à Proceso, que plusieurs parlementaires
s’étaient rendu compte que si ce marché avait été conclu, la Belgique
violerait la loi nationale en matière d’armement et le code de bonnes
pratiques de l’Union européenne.

Au beau milieu de la crise politique provoquée par cette affaire, les
autorités bruxelloises concédèrent au gouvernement mexicain deux mois pour
démontrer que les pistolets-mitrailleurs serviraient exclusivement à ses
forces de police et à l’armée fédérale. Trois semaines plus tard, le
Mexique annulait sa commande sans autre forme de procès !

Rupert Knox, expert d’Amnesty International pour le Mexique, admet que les
autorités de ce pays sont en droit de maintenir l’ordre et la
tranquillité, mais signale cependant que "l’Union européenne doit réviser
toute exportation [d’armes] si celle-ci est impliquée dans le viol des
droits humains, si on a identifié le corps de police ou de l’armée à qui
l’armement est destiné et si on dispose de documents avérés".

Le 30 octobre dernier, la section londonienne d’Amnesty International
demanda qu’une enquête indépendante soit ouverte sur la mort de deux
manifestants lors de l’intervention de la police, la veille, à Oaxaca,
ainsi que sur l’assassinat du journaliste américain William Bradley Roland
survenue le 27 octobre dans cette même ville, dans le but de "déterminer
la responsabilité des autorités locales et fédérales dans l’incitation ou
dans la tolérance de la violence et du viol des droits humains".

Hélène Roux, militante de la Commission civile internationale
d’observation des droits humains au Mexique, une organisation dont le
siège se trouve à Barcelone, confiait à notre correspondant : "L’Union
européenne conserve des programmes de coopération avec la police
mexicaine. Dans le cadre de cette coopération, plusieurs pays de l’UE, et
en particulier la France, financent un programme spécifique avec la PFP.
Il est plus que temps que l’UE soupèse avec quelle sorte de corps de
police elle coopère et quelle sortes de progrès concrets elle apporte à
l’amélioration des droits humains."

Enfonçant le clou, elle poursuivait : "Dans la mesure où ces accords de
coopération sont liés à la vente d’armement, nous ne voyons pas en quoi
cette sorte de commerce et de fourniture d’armes plus sophistiquées
pourrait contribuer à une amélioration des méthodes employées par la
police mexicaine."

Traduit par Angel Caido.

Message édité le 01-12-2006 à 16:57:46 par Paria
Paria
   Posté le 01-12-2006 à 16:58:58   

Chronique du Mexique en luttes, 30 novembre 2006


Repli de l’APPO et menaces sur les prisonniers

En raison des nombreuses arrestations des derniers jours, la barricade du
carrefour Cinco Señores, dernière barricade d’Oaxaca, qui défendait
notamment l’accés à l’université, est restée sans défenseurs durant la
nuit du 28 au 29, de sorte qu’à 4 heures du matin des bulldozers sont
arrivés, accompagnés d’une centaine de nettoyeurs et défendus par une
vingtaine de camionnettes de policiers fortement armés ; ils ont
complètement démembré la barricade et dégagé les dernières routes coupées,
annihilant ainsi une occupation qui durait depuis six mois. Dans
l’après-midi du 29, comme un groupe important de policiers se massait
devant la porte de Radio Universidad, les membres de l’APPO qui émettaient
encore ont préféré remettre la radio entre les mains de l’Universtité
plutôt que de laisser la police s’en emparer par la force. La PFP occupe
désormais toute la ville. Toutes les maisons sont systématiquement
fouillées à la recherche d’activistes. La criminalisation du mouvement
entre dans sa phase judiciaire avec des centaines d’inculpations pour
délits de droit commun tels que : dégradations, vols, destructions de
bâtiments publics, etc.

Parmi les prisonniers de ces derniers jours, 141 ont été transférés par
hélicoptères vers la prison d'El Rincon, dans l’Etat du Nayarit. Toute
communication est impossible avec eux, y compris pour leurs familles. Les
associations pour la défense des droits humains sont arrêtées par un
barrage sur la route menant à la prison et ne reçoivent pas l’autorisation
d’aller voir les prisonniers. Elles craignent des tortures et ont déjà
reçu des témoignages de coups et menaces. Ce déplacement vers le Nayarit a
donné lieu à des déclarations hallucinantes. Des représentants de tous les
secteurs privés locaux ont manifesté contre la présence des prisonniers
oaxaquéniens, et le président du Conseil des entreprises a déploré que
celle-ci "générera des protestations sociales, de gens qui viendront
d’autres Etats du pays pour demander leur libération, et cela nuira aux
activités productives de l’Etat". Ce n’est pas tout : le gouverneur de
l’Etat a téléphoné au prochain ministre de l’Intérieur fédéral pour se
plaindre qu’on lui ait envoyé ces "inculpés" sans lui demander son avis,
et a qualifié ce transfert d’"insensé" parce que "quand on combat un
cancer, on doit l’encapsuler et non le disperser à travers tout le pays".
Ces réactions illustrent la polarisation qui est en train de se creuser
dans tout le pays entre les sympathisants des mouvements sociaux et les
partisans de l’ordre économico-politique actuel.

Détermination pour le futur

Un Forum des peuples indigènes a eu lieu à Oaxaca dans des locaux de
l’église de la Vierge des Pauvres, qui a abouti à une déclaration répétant
les exigences de démission du gouverneur, de retrait de la PFP, de
présentation des disparus en vie, de libération des prisonniers, d’arrêt
des violences policières, et dénonçant la terreur exercée par l’occupation
policière de la ville et la criminalisation de la protestation sociale en
guise de moyen pour désarticuler l’APPO. Selon un porte-parole, le nouveau
gouvernement serait déjà impliqué dans la répression actuelle, et la
nomination comme ministre de l’Intérieur de Francisco Ramirez Acuna, connu
pour privilégier la manière forte, ne présage rien de bon pour l’avenir.
De même, les membres de l’APPO réunis dans la capitale fédérale ont
annoncé que cette répression était un échantillon de ce que le
gouvernement de Felipe Calderon prévoyait de réaliser à l’échelle
nationale.

Cependant, les organisations présentes au forum invitent tous les
résistants à éviter de tomber dans les provocations et la violence et à
continuer à lutter de manière créative contre la misère et pour un
changement politique en profondeur. L’Eglise locale, jusque dans sa plus
haute hiérarchie, a pris résolument le parti des pauvres en appelant les
autorités fédérales et locales "à être sensibles aux justes réclamations
du peuple, à gouverner avec honnêteté et transparence, à ne pas abuser du
pouvoir pour réprimer, à ne pas manipuler ni profiter de l’ignorance et de
la pauvreté de la population". Elle a ajouté que, pour éviter de nouvelles
violences, il était urgent d’introduire des réformes dans tous les
secteurs : légales, économiques, politiques, scolaires, électorales et
sociales.

Le site de l’APPO continue à appeler à la lutte, affichant en première
page "LOS FASCISTAS NO PASARAN" (traduction superflue ! consulter
http://www.asambleapopulardeoaxaca.com). Le site comme les interviews de
résistants indiquent que la stratégie du pouvoir consistant à arrêter les
"leaders" est vaine face à un mouvement où la base agit horizontalement :
des milliers de personnes en résistance ne s’arrêteront pas faute de
"dirigeants". La force de l’APPO est dans le nombre et l’égale valeur de
tous ses membres, dans la détermination de ceux qui savent que la lutte
sera longue et difficile mais qu’ils n’accepteront plus jamais la vie
indigne qu’on leur a fait subir jusqu’ici.

Du côté des réactions internationales, l’hebdomaire mexicain "Proceso"
rapporte les chiffres exorbitants des exportations d’armes de l’Union
européenne vers le Mexique durant la présidence de Vicente Fox, et révèle
que les groupes parlementaires européens Verts et Izquierda Unida ont
demandé une interdiction de ces exportations en raison des violations des
droits de l’homme et des menaces que les armes soient utilisées contre des
civils dans des conflits internes – ce sont là deux raisons suffisantes,
d’après la législation européenne, pour refuser toute livraison d’armes à
un pays (il est intéressant de noter que la Belgique a récemment refusé un
contrat au Mexique pour ces raisons, ce qui est loin d’être le cas de tous
les pays européens).

Pour ceux qui se demandent comment aider les prisonniers de l’APPO, on
voit qu’une pression peut être exercée de l’extérieur, soit par
l’intermédiaire de certains parlementaires, soit par l’intermédiaire des
organisations internationales de défense des droits humains, ou encore en
invitant la presse à parler de ce débat au Parlement européen et à dire la
vérité sur la situation mexicaine.

Les "soirées pyjama" des députés

Pendant ce temps, tout le Mexique se gausse des députés du PAN et du PRD
qui, hier, se sont disputé la tribune du Parlement, afin de l’occuper
jusqu’à ce vendredi 1er décembre où elle doit être le lieu de la passation
de pouvoir au nouveau président. Le quotidien "La Jornada" affiche en
première page le titre "‘Piyamada’ à la plus haute tribune de la nation",
faisant allusion aux fêtes durant lesquelles les enfants restent dormir
chez leurs copains. Des photos montrent en effet des députés se passant
des oreillers et d’autres allongés sur des matelats, après les photos qui
les montraient se poussant et se frappant pour se maintenir sur l’estrade.
Avec le commentaire : "Le Congrès s’est changé en le ‘reality show’ le
plus réussi. Depuis que la réalité imite la télévision, la politique a
gagné une audience inespérée." Mais, au-delà du cocasse et du ridicule, la
tension est réelle entre ceux qui veulent à tout prix empêcher
l’investiture du président et ceux qui prétendent simplement appliquer la
Constitution.

Annick Stevens, à partir de "La Jornada", de "Proceso" et du site de l’APPO.

Message édité le 01-12-2006 à 16:59:38 par Paria
Vassine
   Posté le 01-12-2006 à 17:27:44   

Merci pour toutes ces informations Paria!
Paria
   Posté le 03-12-2006 à 20:46:39   

Bien le bonjour,

Oaxaca est une ville occupée par la soldatesque, vous n’ignorez pas ce que
cela signifie : perquisitions sur délation, la radio "papita" ou "mapache"
ou citoyenne ou encore radio de la haine, la seule désormais qui occupe
les ondes comme les forces armées occupent la ville, demande à la
population de dénoncer son voisin, et appelle à mettre le feu aux maisons
qui hébergeraient des membres connus de l’APPO ; arrestations arbitraires,
seule la jeunesse dorée peut se déplacer sans crainte, les jeunes des
quartiers populaires, doivent prendre mille précautions pour aller d’un
point à l’autre de la ville, mieux vaut ne pas être indiens ou pauvres ;
des maîtres et maîtresses d’école sont détenues avec la plus grande
brutalité devant leurs élèves (je viens d’apprendre que la PFP a pénétré
dans une école en lançant des grenades de gaz, ils étaient à la recherche
d’un instit), sans qu’il y ait de réactions de la part du syndicat
enseignant, du moins jusqu’à présent (une manière pour la direction de se
débarrasser de ses opposants ?) ; déportation des prisonniers et
prisonnières, à qui est refusé tout droit de visite (de la famille, des
avocats ou des droits de l’homme), dans des prisons de haute et moyenne
sécurité du Nord sous le prétexte d’une extrême dangerosité (en quoi une
jeune institutrice indienne enseignant dans un village de la montagne
peut-elle être d’une extrême dangerosité ? Elle n’est pas la seule, elles
sont huit dans son cas avec des familles entières, père, mère et enfants…
la dangerosité d’être indiens ?) ; rondes continuelles dans toute la ville
de camionnettes pleines de gardes mobiles (la police fédérale préventive
ou PFP) fortement armés, suivies ou devancées par les pick-up des
paramilitaires (police de l’Etat en civil, certains ont grossièrement
dessiné sur leur tee-shirt une croix gammée) ; tabassage systématique,
torture, violence sexuelle et, sans doute, assassinats (avec l’ordre de
ramasser les corps de façon à ne pas laisser de preuves) ; la loi et
l’ordre sont de retour dans notre bonne ville d’Oaxaca. Le petit tyran
tente de s’imposer par la terreur, il est le seul à avoir peur, les gens
ne sont pas terrorisés, inutile de chercher un affrontement si inégal, on
prend des précautions pour ne pas être arrêté, on se planque et on attend
que passe l’ouragan.

Cette débauche de violence a été orchestrée et planifiée de longue date
dans les sphères du pouvoir. C’est le moment où toute la presse et les
médias portent leur attention sur les clowns de la chambre des députés,
qui se battent pour occuper la tribune, où Felipe Calderón, dit Fécal,
doit faire son discours d’investiture comme président illégitime de la
République. La manifestation du 25 novembre fut une aubaine : on provoque
les jeunes les plus déterminés en arrêtant, tabassant et torturant trois
des leurs ; des terrasses proches du Zócalo, on leur balance des pierres
et cela suffit pour réveiller une colère retenue et légitime et déclancher
une confrontation à laquelle adhèrent non seulement les jeunes mais
l’ensemble des participants à cette manifestation. La bataille a été
intense et a duré plus de quatre heures, ce n’est que sous une pluie de
grenades lacrymogènes que des commandos de la PFP ont pu avancer derrière
leurs tanks et prendre en tenaille les combattants, tabasser et arrêter
ceux qui leur tombaient sous la main, se retirer pour répéter ainsi
l’opération plusieurs fois jusqu’à être maîtres du champ de bataille, en
l’occurrence de la place Santo Domingo. Pendant ce temps, la police de
l’Etat en civil (les paramilitaires), à laquelle s’étaient joints des
membres du PRI, occupait les jardins publics, les hôpitaux, la faculté de
médecine (beaucoup d’étudiants en médecine avaient formé des groupes de
secouristes durant les affrontements), la gare d’autobus, le fortin, où
pouvaient se réfugier les blessés et les fugitifs ; ils étaient armés et
ont fait feu plusieurs fois, ils ont fait le sale boulot en collaboration
avec les gardes mobiles qui patrouillaient tout autour du centre.
L’objectif de l’Etat est clair : arrêter le plus de monde possible, porter
un coup fatal à l’Assemblée, châtier la population rebelle et la tenir
sous la menace du fouet et de la geôle. Pendant que j’écris ces lignes me
parviennent les mauvaises nouvelles des arrestations, des disparitions, ou
la bonne nouvelle de ceux qui ont pu quitter la ville sans dommages, nous
nous appelons les uns les autres pour nous tenir au courant en espérant
que l’ami que l’on appelle va répondre ou que nous ne serons pas les
prochaines victimes. Entre soulagement et tristesse passent les heures.

L’Assemblée des peuples depuis la tenue de son Congrès, malgré ses
failles, a désormais des assises solides dans la société. Il ne s’agit pas
pour elle de prendre le palais du gouvernement mais de se construire et de
se développer comme un nouveau mode d’organisation sociale. Plus de 300
participants au forum des peuples indigènes d’Oaxaca ont bravé Ulises
Ruiz, ses sbires et l’odeur pestilentielle, qui règne sur la ville depuis
son retour, afin de se réunir, en présence des conseillers de l’APPO
recherchés par la police, pour deux journées de réflexion et de débats. Le
28 et 29 novembre. Dans ces moments de persécution, de tragédies et de
souffrances, dans ces heures cruciales de la lutte des peuples, cette
rencontre prenait tout son sens, celui d’une résistance invincible puisant
sa détermination non plus dans le passé mais dans le futur : "Nous, les
Indiens, avançons lentement parce que nous allons loin." Ces quelques mots
dits par une autorité municipale lors de la cérémonie d’ouverture
résumaient tout l’esprit du mouvement social apparu il y a peu au grand
jour à Oaxaca et connu sous le nom de la Commune libre d’Oaxaca. Cette
réunion fut un défi au déchaînement de la barbarie, au vent mauvais qui
souffle sur la ville, à la guerre menée contre l’humanité. Elle marque une
nouvelle étape de l’Assemblée : la participation des communautés
indigènes, avec leurs valeurs propres, leur expérience, à la construction
d’un monde nouveau. Cette participation des communautés en donnant à
l’Assemblée son assise concrète, pratique (une organisation sociale où
l’assemblée joue un rôle central), lui donne du coup son orientation
fondamentale : étendre, élargir et renforcer, son champ d’action à toute
la société mexicaine. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, les
obstacles à cette émancipation, à cette reconquête de soi, sont nombreux
et ils ne sont pas seulement extérieurs à l’APPO, partis politiques,
syndicats, organisations civiles viennent en quelque sorte s’intercaler
entre la source et son devenir. Ces éléments jouent un rôle important par
leur capacité d’organisation et de convocation, leur aptitude et leur
disposition à mobiliser la population des quartiers ou des villages. Ils
devront pourtant s’effacer peu à peu devant l’initiative des assemblées de
base, s’ouvrir à ces initiatives, en auront-ils la disposition ? Jusqu’à
présent, ils ont comblé un vide, mais en même temps qu’ils le comblent ne
le créent-ils pas ?

Les autorités municipales, les organisations communautaires et régionales
des peuples zapotèque, mixtèque, chinantèque, chatinos, mazatèque, mixe,
ikoot, cuicatèque, chontal, zoque, triqui, amuzgo, chochotelque et tacuate
ont participé à ce forum. Nous nous sommes partagés autour de quatre
tables de réflexion : la libre détermination et l’autonomie ; la terre, le
territoire et les ressources ; l’éducation et la communication indigène
interculturelle ; la violation des droits humains. Les communautés
indiennes connaissent et vivent des agressions continuelles qui s’exercent
en général sous le couvert des lois libérales : partis politiques au nom
de la démocratie, sectes religieuses au nom de la tolérance, qui tentent
d’intervenir dans la vie sociale du village et qui sèment le trouble, la
division et le rejet. Depuis la modification de l’article 27 de la
Constitution, qui protégeait un tant soi peu les terres ejidales et
communales, tout le territoire, tout l’espace de la communauté, est devenu
l’objet des convoitises privées : forêts, eau, biodiversité, centres
cérémoniels et toute la richesse du sous-sol. Les fonctionnaires forcent
la main aux habitants par des menaces et par des promesses pour qu’ils
acceptent la parcellisation et la privatisation des terres et plus
généralement de l’ensemble des biens communaux. Une fois la privatisation
des terres acquise arrivent dans le village des banques de prêts qui
proposent de l’argent sur la terre, que le paysan, appauvri par la
concurrence des produits nord-américains, devra hypothéquer. Vieux et
antique procédé mis en œuvre et soutenu, cette fois-ci, par toutes les
forces de l’Etat. C’est une guerre pour s’emparer de l’espace, expulser
les paysans de leurs terres, 3 millions d’immigrés pour le seul Etat
d’Oaxaca, expulser les habitants des villes des rues et des espaces
publics, c’est ce qui se passe aussi en France où les jeunes et,
évidemment les adultes, sont expulsés de leurs rues et même de leurs
entrées d’immeuble, pour réserver tout l’espace au commerce et au profit
que les grands marchands en tirent.

"Ce profond et complexe conflit, douloureux comme un accouchement, a
permis l’expression pleine et authentique des peuples d’Oaxaca. Il a
laissé voir que, dans l’Etat d’Oaxaca, désormais les lois en vigueur, les
institutions et les pratiques autoritaires du régime politique ne
correspondent pas aux exigences et aux aspirations de la société. En ce
sens, Oaxaca a changé et ne peut revenir à la situation antérieure. Nous
aussi, les peuples indigènes d’Oaxaca, devons l’entendre de cette
manière : ce mouvement nous a changés et nous ne pouvons revenir à notre
situation antérieure... Nous voulons faire savoir à la société et au
gouvernement d’Oaxaca, du Mexique et du monde que l’énorme abus de la
force publique mis en pratique ces derniers jours ne nous intimide pas ni
ne nous paralyse, comme nous l’avons montré avec la réalisation de ce
forum… Nous sommes sous un état d’exception non déclaré donc illégal. Le
fait nous préoccupe et nous amène à agir avec une extrême prudence. Mais
cela ne nous arrête pas. Notre chemin est tracé et nous allons le suivre à
notre manière avec nos temps et nos rythmes. Ce chemin comprend la
transformation de toutes les normes et institutions qui, actuellement,
régissent notre cohabitation. Nous n’allons pas le faire seuls. Mais nous
ne serons plus jamais exclus de la conception et de la mise en œuvre de
ces normes et institutions.

Jamais plus un Mexique sans nous.

Pour le respect de la libre détermination et la reconstitution des peuples
indigènes."

Oaxaca, le 1er décembre 2006.

George Lapierre
Paria
   Posté le 03-12-2006 à 20:47:18   

Salut à tous d'Oaxaca.

Au 733e jour d’impunité d’URO et de sa clique d’assassins, nous vivons à
Oaxaca un véritable état d’exception, les garanties individuelles
n’existent plus. Les convois de la PFP tournent en tous sens à travers la
ville, et le centre est occupé par les flics, qui ont installé un
campement au parque du Llano. L’APPO a abandonné, pour l’instant, l’idée
de se réinstaller à Santo Domingo et de manifester lundi dernier, de
crainte de la répression. Depuis samedi, il y a eu plus de 300 détenus (35
femmes officiellement recensées, des mineurs...), tous se sont fait
copieusement tabasser, la majorité d’entre eux ont été sauvagement
torturés. Les familles et les avocats des détenus n’ont toujours pas accès
aux prisonniers qui ont commencé à être, dès le lundi, transférés vers des
prisons de haute sécurité du nord du Mexique (Etats du Nayarit,
Tamaulipas, Jalisco...), les autorités en charge de la répression, arguant
du fait de la dangerosité des prisonniers, les éloignent et espèrent ainsi
cacher les preuves de tortures et empêcher toute protestation devant les
centres de détention. Jusqu’à présent ils ont été 141 à être déportés,
dont 35 femmes et 8 instituteurs du CMPIO (Coalition de "maestros" et
promoteurs indigènes d'Oaxaca).

Certains détenus ont été relâchés et ont pu raconter comment ils ont été
ramassés dans la rue alors qu’íls rentraient chez eux, simplement du fait
d'être jeunes ou en petits groupes, ils ont témoigné de comment ils se
sont fait sévèrement cogner et menacer par les flics. Nous ne comptons
plus les témoignages de ce genre…

Samedi, lors de la manifestation, les 3 500 flics de la PFP ont
pourchassé les manifestants jusqu’en dehors du centre-ville, où
attendaient des groupes de "sicarios" (des hommes de main, des tueurs à la
solde d’Ulises) et de policiers en civil qui ont continué la sale besogne
toute la nuit en tirant sur les attroupements à multiples reprises. Les
mêmes scènes se sont reproduites aux abords de l’université que certains
manifestants cherchaient à rejoindre pour se regrouper. Des témoins ont vu
les corps être emportés...

Le gouvernement ne reconnaît aucune victime, mais il est certain qu’il y a
eu des tués, étant donné la violence de la répression, et l’on dénombre
une dizaine de blessés par armes à feu parmi les 120 recensés... De plus,
dans la nuit du samedi, les assassins ont semé la panique à l’hôpital,
parmi les familles venues aux nouvelles, en tirant des coups de feu, puis,
entre les infirmières et les médecins médusés, ils ont parcouru sans dire
un mot les coursives de l’hôpital à la recherche de quelqu’un, qu’ils
n’ont visiblement pas trouvé, et sont repartis bredouilles continuer leurs
saloperies ailleurs.

Depuis la répression de la marche de samedi dernier, nous subissons
l’arbitraire et la brutalité de l’Etat : perquisition de domiciles et
arrestations indiscriminées sans ordres judiciaires. Tout autour de la
ville, il y a des barrages où l’on fouille les véhicules, où l’on retient,
en toute illégalité, les gens qui paraissent suspects. Les femmes qui sont
obligées de s’aventurer dans le centre-ville subissent les sarcasmes et
les obscénités des forces d’occupation. Quotidiennement, des flics en
civil et des groupes de sicarios enlèvent en pleine rue, arme au poing,
des personnes impliqués dans le mouvement de l’APPO.

Chaque jour, le nombre de détenus et de disparus augmente (plus de 300
détenus, il y en a eu jusqu’à 520, et plus de 100 disparus). Il semble
bien que le gouvernement se soit offert une semaine d’impunité pour faire
le ménage dans la ville et en finir une fois pour toute avec le mouvement
de l’APPO avant la prise de fonction de Calderon. En début de semaine,
l’APPO a eu un contact avec le secrétariat du gouvernement pour exiger le
droit de manifester pacifiquement. La réponse a été très claire : l’unique
ordre que possède la police est l’agression directe contre le mouvement et
il ne sera pas permis de manifestation même si celle-ci est on ne peut
plus pacifique... De son côté, la radio "mapache", aux ordres de Ruiz,
continue ses appels au lynchage, en donnant les noms et les adresses de
certains adhérents de l’APPO, et appelle de la même manière à la délation
de ses voisins s’ils sont supposés être sympathisants du mouvement. Ainsi,
les bureaux de la Nouvelle Gauche d'Oaxaca, le parti créé par Flavio Sosa,
ont été incendiés après avoir été fouillés. L'animatrice de Radio
Universidad, la doctora Bertha, ainsi que sa famille, le troubadour Andrés
Contreras, et d'autres plus anonymes ont été directement menacés. Le
centre de secours improvisé de "7 Principes" et l’automobile du pasteur
qui a en charge le temple ont été mitraillés dimanche dernier (il y a eu
d’autres fusillades tout au long de la semaine). Des étudiants en médecine
ont été enlevés en début de semaine, les ravisseurs n’ont pas hésité à
tirer sur la facade de l’université de médecine pour faire fuir les
étudiants qui accouraient pour tenter de délivrer un des leurs. Jeudi
matin à l’aube, la PFP est intervenue pour retirer la barricade de Cinco
Señores, la seule qui restait, et dégager la rue qui mène à Radio
Universidad (qui est brouillée depuis le 2 novembre). De peur d’être
arrêté par les flics, tabassé et détenu, personne n’est venu pour défendre
les lieux, et devant le petit nombre de personnes qui étaient présentes
pour protèger la radio (une quinzaine), les responsables ont préféré la
remettre au recteur de l’université, plutôt qu’aux flics ou au "porros".
Depuis maintenant trois jours, la PFP, en coordination avec des policiers
de l’Etat vêtus en civil, pénètre dans les écoles et détient des profs qui
ont participé au mouvement. A Ocotlàn, la police est intervenue dans une
école primaire en se servant de gaz lacrymogène et, semant la panique et
la terreur parmi les élèves et le personnel d’éducation, ils ont enlevé
quatre instituteurs et le directeur de l’école. Les mêmes faits se sont
reproduits dans d’autres municipalités, à Xoxocotlàn, à Esquipulas, à San
Javier, à Etla, à Miahuatlàn, à Huatla de Jimenez, à San Antonio Castillo
Velasco et à Santa Cruz Amilpas. A Santa Cruz Amilpas, les familles se
sont opposées au rapt des professeurs qui ont réussi à s’enfuir. Malgré la
tiédeur et le manque de réaction de la Section 22, de nombreuses écoles
ont voté une nouvelle grève de 48 heures pour protester contre le manque
de sécurité.

De fait, nous vivons ici un véritable état de siège où les droits les plus
élémentaires sont niés. Cela rappelle les épisodes les plus noirs de la
"guerra sucia" (la guerre sale que le gouvernement mexicain a menée dans
les années 1970 contre les mouvements sociaux).

L’impunité la plus totale règne. Hier, les responsables de la mort du
journaliste d’Indymedia Bradley Will (assassiné le 27 octobre à Santa
Lucia) - le régisseur de la sécurité publique de Santa Lucia del Camino,
Abel Zarate, et le sous-officier de la police municipale Orlando Manuel
Aguilar Coello - ont été remis en liberté pour une faute de procédure…

Bon, voila où nous en sommes aujourd’hui, le 1er décembre, à Oaxaca.

Les autorités recherchent toujours une centaine d’étrangers, pour
l’instant ils ont réussi à en choper cinq (deux Françaises, un Espagnol,
un Argentin et un Cubain), qui seront expulsés du pays d’ici peu s’ils ne
sont pas accusés de charges plus importantes.

L’APPO a convoqué à une méga-marche aujourd’hui pour exiger le retrait de
la PFP de la ville, la libération des prisonniers, et que cesse la
répression du mouvement. Il n’est pas sûr qu’il y ait beaucoup de
manifestants, non pas à cause d’une quelconque démobilisation du peuple
d'Oaxaca, sinon pour la crainte justifiée des exactions policières...

A l’instar de Raoul Vaneigem et de son appel "Que vive Oaxaca !", que vous
avez reçu il y a peu, je vous invite à vous manifester, de la manière qui
vous conviendra le mieux, en faveur de la Commune libre d'Oaxaca et contre
la répression, l’impunité, l’arbitraire et les brutalités policières qui
s’exercent contre le mouvement populaire et indigène de l’APPO.
Si la commune d'Oaxaca est réprimée de telle manière qu’elle ne se relève
pas, nous perdons tous...

A bientôt.

M, Oaxaca, le vendredi 1er décembre 2006.
Paria
   Posté le 03-12-2006 à 20:50:13   

ENTRÉE EN FONCTIONS DU PRÉSIDENT "ÉLU" FELIPE CALDERON :
LES MANIPULATIONS DE LA TÉLÉVISION OFFICIELLE


Ce vendredi 1er décembre était attendu avec beaucoup d'inquiétude par la
société mexicaine, inquiétude des partisans du PAN qui craignaient que les
opposants parviennent à empêcher la cérémonie d'investiture du nouveau
président, inquiétude des partisans du PRD qui craignaient qu'elle ait
bien lieu, inquiétude des observateurs qui craignaient une nouvelle
flambée de violences. En effet, la société mexicaine est polarisée entre
les milieux aisés et conservateurs qui soutiennent Felipe Calderon (du
Parti d'action nationale) et les milieux populaires qui soutiennent le
candidat évincé par fraude électorale, Andrés Manuel Lopez Obrador (du
Parti de la révolution démocratique).

A 9 h 40 précises, ce matin, toutes les chaînes de télévision du pays ont
dû suspendre leurs émissions et diffuser exclusivement les images et
commentaires de la télévision nationale officielle - entendez "la voix de
son maître". Durant vingt minutes, les téléspectateurs ont eu droit aux
dissimulations les plus grossières, et aussi les plus absurdes, étant donné
que les autres versions pouvaient être vues et entendues avant et après la
version officielle.

Avant le début de la cérémonie, en effet, Televisa, l'une des deux
principales chaînes privées, montrait la Chambre des députés, où allait
avoir lieu la prestation de serment du nouveau président, en véritable
branle-bas de combat. La tribune complètement remplie de députés, moitié
du PAN, moitié du PRD, les cris opposés des deux côtés, les coups de
sifflet de protestation du PRD, les nombreux agents de sécurité habillés
en civil mais reconnaissables à leur cravate rouge, enfin quelques
escarmouches dans le tumulte, de députés en venant aux mains mais retenus
par leurs confrères. Un seul accès à la salle est contrôlé par les
Panistes, tous les autres sont occupés par les opposants.

Quand la télévision officielle confisque l'antenne, elle montre d'abord
les images de Felipe Calderon sortant de chez lui avec sa famille, puis le
convoi qui le mène vers le Palais législatif de San Lazaro (siège du
Parlement). Quelques minutes après, sans qu'on ait pu voir comment il
accédait à la salle, on le voit debout, à côté du président sortant,
Vicente Fox, devant une petite chaire amovible qui sera retirée
immédiatement après sa très brève prestation de serment. En une minute, il
a fini de prononcer les phrases prévues par la Constitution et revêtu la
bannière aux couleurs nationales ; en trois minutes, il est sorti de la
salle et tout est terminé. Commentaire du journaliste : l'assemblée était
très tranquille (et la caméra filme... les hommes en cravate rouge !), les
députés acclament le président (et la caméra filme exclusivement le côté
du PAN), toute la salle entame l'hymne national (on entend toujours les
sifflets furieux du PRD, mais, sans commentaire à leur propos, on pourrait
croire qu'il s'agit de sifflets d'allégresse) ; tout s'est passé sans
aucune tension et dans le calme.

A 10 heures, les programmes indépendants reprennent, et la version est
tout autre : durant les trois minutes de présence de Calderon, tandis que
les députés du PAN, tous massés autour de lui sur la tribune, criaient
"Mexico !" et "Calderon !", les députés de l'opposition, retirés sur leurs
fauteuils dans la salle, criaient "espurio !" ("usurpateur !" )
et "fuera !" ("dehors !" ). Après la prestation, les premiers criaient
"si se pudo !" ("on a pu le faire !" ) et les autres "va caer !" ("il va
tomber !" ). Tranquille et unanime, n'est-ce pas ? Merci la voix
officielle !

Autre anomalie dissimulée : normalement, le président prononce devant la
même Assemblée son premier discours à la nation ; aujourd'hui, il est
immédiatement parti le prononcer ailleurs, à l'Auditorio national, où
s'étaient réunis exclusivement des militants du PAN et des amis et invités
personnels de Calderon - et c'est ce public qu'on appelle "la société
civile mexicaine". Les routes autour de l'Auditorio, qui se situe près du
musée d'anthropologie, au bord du parc de Chapultepec, étaient
complètement bloquées par des barrières et gardées, selon la journaliste,
par une vingtaine d'unités armées empêchant toute pénétration. La presse
devait rester dans le hall d'entrée de l'Auditorio et ne pouvait accéder à
la salle principale.

On annonce que les partisans du PRD entament une manifestation depuis le
zocalo vers l'Auditorio, puis plus rien. A suivre.

Annick Stevens, à partir de Televisa Mexico

Message édité le 03-12-2006 à 20:51:37 par Paria
Paria
   Posté le 06-12-2006 à 18:46:03   

Bien le bonjour,

Je vous traduis un extrait d’un texte de Lázaro Santiago paru dans
Noticias du samedi 2 décembre sous le titre "Oaxaca : Otra ciudad y los
perros" (Oaxaca, une autre ville et les chiens).

"Quelques amis, dont je tairai le nom pour leur sécurité, m’ont raconté
que, peu après 21 h 30, quand les combats frontaux entre la PFP et l’APPO
étaient terminés et que commençait une sanglante chasse aux sorcières, ils
(mes amis) ont pris un taxi pour San Felipe del Agua, au nord de la ville.
Ils ont vu en passant près de la Fontaine des sept régions, symbole de
l’unité de l’Etat, des camionnettes blanches stationnées et des policiers
– ministériels ? – vêtus de noir et qui tiraient sans se cacher en
direction de la faculté de médecine de l’UABJO (Université autonome Benito
Juarez d'Oaxaca) avec des armes de gros calibre, les fameux cuernos de
chivo (cornes de bélier). Ce qu’on appelle des rafales de plomb. A ces
sommets, ceux de l’APPO n’avaient plus de pierres et de billes pour se
défendre. Je n’avais jamais entendu tant de coups de feu, dit un de mes
amis. Un autre affirme qu’il a clairement vu (dans le taxi, il se trouvait
côté fenêtre) comment un jeune – sûrement un brigadier de l’APPO – qui
courait vers l’avenue qui monte à San Felipe del Agua a été abattu par les
tirs des tueurs vêtus de noir. Y avait-il plus de témoins ? Une autre
personne, qui regardait depuis une autre position, nous dit que la police
de l’Etat d’Oaxaca, ou police ministérielle, a massacré trois personnes à
cette heure-là autour de la faculté de médecine. Il fait ses comptes : il
y a eu plus de 100 coups de feu en deux minutes. Les rebelles étaient
acculés, sans armes. Les sbires ont tiré comme des gringos fous dans un
film sur le Vietnam. Le narrateur ajoute : nous avons vu depuis l’hôpital
civil qu’ils ont enlevé les corps et les ont emportés. Un peu plus loin, à
la hauteur du Café Caféïna, mes amis ont vu avec surprise environ 40
camionnettes de la PFP et "civiles" arrêtées, avec des éléments fortement
armés dans chacune d’elles. Ils ne se rendaient pas compte, ceux de la
pééfépé, qu’il y avait des tueurs à gage en train d’abattre des brigadiers
de l’APPO, tout près ? Ou étaient-ils en train de couvrir les tueurs ?
Pour les sicaires d’Ulises Ruiz, il y a toujours de la tolérance.

"Au retour, une amie les a reconduits dans une camionnette aux verres
teintés. Il y avait une intense activité des patrouilles de la PFP dans
toute la zone. En tournant sur la rue qui vient du parc Colosio, ils ont
vu apparaître une caravane de camions de la PFP avec un autobus blanc sans
fenêtre à l’arrière. Transportait-il des troupes, des prisonniers ou des
corps criblés de balles ? Il portait sur la partie arrière un écriteau
avec ce mot : Précaution. Par inconscience ou sagesse, l’amie qui tenait
le volant s’est collée avec sa camionnette à la caravane et ils ont pu
passer ainsi les barrages, le premier, à l’église de San Felipe. Au second
barrage, à la hauteur du Ranch San Felipe, ils ont eu la chair de poule :
les corps de trois hommes gisaient, immobiles, l’un sur le dos, avec une
veste jaune dans une flaque de sang, sur la route ; les deux autres, sur
le ventre, un mètre plus loin, sur le trottoir – comme si on les avait
plombés ici même. Autour, un groupe de sicaires en civil prenait la pose
du chasseur devant son trophée, pareil aux troupes qui, en Irak, se
prenaient en photos face à leurs victimes. Qui étaient-ils ? Les avait-on
frappés jusqu’à l’évanouissement ? Les avait-on fusillés ? Ou les avait-on
convaincus de prendre cette position grotesque de poupées de chiffon
pendant que nous passions, ensuite ils se seraient levés comme si de rien
n’était et seraient retournés chez eux ?

"La caravane de la PFP a poursuivi son chemin, elle ne pouvait pas
s’arrêter à ces détails, sa mission était de capturer les criminels de
l’APPO. Qui étaient ceux qui furent criblés de balles devant la faculté de
médecine de l’UABJO ? Et les personnes qui, jetées sur le pavé,
glorifiaient leurs bourreaux ? Etaient-elles encore en vie ?
Nécessitaient-elles un médecin ? Où les a-t-on emmenées ? Combien de
morts ? Combien de jeunes, de maîtres d’école, de pères de famille,
d’habitants, les paramilitaires et leur parrain de la PFP ont-ils
séquestrés, arrêtés et assassinés, la nuit du 25 novembre et les jours
suivants ? Combien sont-ils en train de torturer en ce moment ?
Saurons-nous un jour leur nom ?"


Les habitants d’Oaxaca qui participaient à la manifestation du 25 novembre
pouvaient s’attendre, et ils s’attendaient, à une confrontation avec les
forces fédérales qui occupaient leur place publique, ils ne s’attendaient
pas à être jetés en pleine guerre sociale. Ils pouvaient penser qu’il y
aurait des blessés, des arrestations, il ne leur est pas venu à l’esprit
que les paramilitaires à la solde du gouvernement, appuyés par la police
fédérale, les attendaient au coin du bois pour les massacrer. Ils
n’envisageaient pas qu’ils pouvaient tomber dans un piège, un piège bien
préparé et, pour ainsi dire, public, l’opération "Hierro" (fer), qui leur
était tendu de longue date. Ils adhéraient alors au grand mensonge de nos
sociétés, celui de la paix sociale et du droit, le droit contribuant à
garantir la paix sociale. Ils sont tombés de haut. Ils pensaient qu’un
mouvement social fort et pacifique pouvait transformer par le dialogue la
société et modifier en profondeur les règles d’une cohabitation difficile
sans se douter que l’Etat n’avait pas la moindre intention de jouer le
jeu. Ils ne pouvaient prévoir que, si l’Etat appelait à la négociation,
c’était pour mieux les tromper et qu’ils restaient, pour lui, "l’ennemi à
abattre". Quand l’Etat parle de paix, il prépare la guerre. Nous devrions
le savoir, les exemples ne manquent pas. L’Assemblée populaire des peuples
d’Oaxaca continue d’exister, elle se fera moins visible aux yeux du
pouvoir et de ses sbires, elle sait désormais que la transformation de la
société ne se fera pas par le dialogue avec l’Etat ni par une
confrontation armée (elle le savait déjà), mais plus pratiquement, et
d’une façon bien plus pragmatique et prosaïque, par la transformation de
la société par elle-même, à travers son propre mouvement "assembléiste",
le construisant, l’inventant à partir de ce qui existe déjà : les
assemblées de villages, de quartiers ou de colonies.

L’Etat de son côté fait et veut la guerre, il préfère la guerre civile à
l’émancipation de la société, il fera en sorte de conduire ce mouvement de
libération, qui se dessine dans tout le Mexique indien, à la confrontation
armée. Sa prochaine cible sera le mouvement zapatiste et plus précisément
l’Armée zapatiste de libération nationale.

Les analystes cherchent dans le passé des références historiques pour
expliquer la situation que vit aujourd’hui le Mexique. Carlos Beas
intitule un article, Adiós, don Porfirio Fox, faisant ainsi allusion á la
dictature de Porfirio Díaz, qui va conduire à la révolution zapatiste de
1910 ; Gustavo Esteva fait appel à Venustiano Carranza et à sa déclaration
du 24 septembre 1913, "Sache le peuple du Mexique que, terminée la lutte
armée, commencera, formidable et majestueuse, la lutte sociale, la lutte
des classes." Le prêtre Ramualdo Mayrén, connu comme le Padre Ubi, fait
référence au Guatemala d’Efraín Ríos Montt : "La situation d’Oaxaca est
semblable à celle qu’a connue le Guatemala d’Efraín Ríos, qui a conclu un
accord secret avec les protestants pour poursuivre et attaquer l’Eglise
catholique engagée avec le peuple pour la défense des droits des pauvres."
Il n’a pas tout à fait tort, quand on sait que les sectes évangéliques
sont les têtes de pont de l’Amérique du Nord et de la CIA dans les pays
d’Amérique du Sud et qu’elles ont soutenu la guerre d’Efraín Ríos Montt
contre la population indienne et pauvre du Guatemala, qu’Ulises Ruiz a
l’appui des sectes évangélistes et que la radio "papita" ou "mapache", qui
sème la haine et dont une des cibles est l’Eglise des pauvres, a sans
doute trouvé refuge dans un temple protestant.

Carlos Fazio, dans un article paru dans "La Jornada" du 4 décembre sous le
titre ¿ Hacia un estado de excepción ? (Vers un Etat d’exception ?) voit
dans la crise qui secoue le Mexique "un processus larvé conduisant au
fascisme" : "Si rien ne le freine maintenant, sa conséquence logique peut
être la consolidation d’un Etat terroriste. Il convient de prendre en
compte que le terrorisme d’Etat est quelque chose de plus que
l’implantation violente d’un régime dictatorial : c’est une politique
soigneusement planifiée et exécutée qui répond à un projet de domination
d’une classe sociale tendant à configurer un nouveau modèle d’Etat qui
agit publiquement et en même temps clandestinement à travers ses
structures institutionnelles. Jalisco en 2004, avec Francisco Ramírez
Acuña, et les Etats de Mexico et d’Oaxaca avec, respectivement, Enrique
Peña Nieto et Ulises Ruiz à leur tête, sont les uns et les autres comme
des essais en laboratoire pour l’imposition d’un nouveau modèle de
domination au niveau national [...] Face à l’incapacité des vieilles
formes de domination pour défendre l’ordre capitaliste et contrecarrer la
contestation sociale grandissante, la classe au pouvoir impose à l’Etat et
à ses appareils coercitifs une double manière d’agir : une, publique et
soumise aux lois, l’autre, clandestine appliquant une "terreur bénigne" en
marge de toute égalité formelle."

Ces références historiques aident à cerner la complexité de la situation
qui prévaut au Mexique. Elles ne sont peut-être pas suffisantes, il y a un
aspect nouveau que nous devrons tenter de préciser. Le Mexique se trouve
sur un des fronts d’une guerre sociale qui n’est plus limitée aux
frontières nationales, si jamais elle l’a été un jour, elle ne l’était
déjà plus en 1910 ou en 1936. Le front du Mexique met à nu les mécanismes
et la logique de cette guerre : un monde totalitaire qui se nourrit et se
renforce de la décomposition de la vie sociale. Toute éthique,
c’est-à-dire toute forme de vie en société construite (à travers des
relations de réciprocité), ne se présente pas seulement comme un obstacle
au devenir totalitaire du monde, le devenir totalitaire du monde
s’alimente de la décomposition qu’il engendre, cette décomposition est le
terreau, ou plutôt le fumier, sur lequel il croît et se renforce. Felipe
Calderón et sa clique, cette oligarchie qui se maintient au pouvoir, ne
sont qu’une figure de ce pouvoir totalitaire et ils sont soutenus par
toutes les forces capitalistes. Tout ce qui conduit à la désagrégation
sociale est pur bénéfice pour eux et c’est ce bénéfice qu’ils engrangent
dans leur coffre-fort de "petits hommes d’Etat". La guerre civile les
arrange et consolide leur pouvoir, la guerre civile divise, détruit et
dévaste la société. C’est là qu’ils nous conduisent. Une vie sociale qui
se construit, ou se reconstruit, ici on parle de la construction éthique
des peuples, est la seule voie qui nous reste pour nous libérer de la
servitude.

Oaxaca, le 5 décembre 2006.
George
Paria
   Posté le 06-12-2006 à 18:49:06   

Paroles du délégué Zéro de la Commission Sexta de l’EZLN

Le 2 décembre 2006.

COPAI-Mexique.

I. L’Autre Campagne dans le nord du Mexique : décliner Oaxaca en haut et
en bas


Arrestations illégales de centaines de femmes et d’hommes, des dizaines de
disparus, la torture, les fouilles, les coups. Femmes et hommes jeunes,
indigènes, enfants, anciennes et anciens. Bref, le peuple de l’Oaxaca d’en
bas. En haut, la police fédérale préventive, les paramilitaires d’Ulises
Ruiz, les grands médias, la classe politique.

Se taire devant tout cela, ce serait décliner l’Oaxaca dans les termes
d’en haut et, d’en haut, faire joyeusement les comptes... et des comptes
idiots.

Là-haut, en effet, on se précipite pour déclarer que tout est rentré dans
l’ordre et que le "conflit" est sous contrôle parce que les "meneurs" ont
été appréhendés, comme si ce mouvement avait des "dirigeants" qui
pouvaient être achetés ou emprisonnés ou tués. On nous dit qu’il faut
porter nos regards ailleurs. Autrement dit, avoir les yeux fixés sur ce
qui se passe en haut, sur les singeries du pouvoir politique, sur ses
simulacres, sur sa prétention à nous faire croire qu’il commande et
ordonne alors que le véritable pouvoir fixe l’ordre du jour de ses moyens
de communication, de ses commentateurs, de ses locuteurs, de ses artistes,
de ses intellectuels, de ses chefs de la police, de ses chefs de l’armée
et de ses paramilitaires.

Décliner Oaxaca en bas, c’est dire compañera et compañero, c’est
accueillir ceux que l’on persécute, c’est mobiliser nos forces pour que
l’on présente les disparus et obtenir la libération des prisonniers et des
prisonnières, c’est informer, c’est appeler à la solidarité internationale
et au soutien du monde entier, c’est ne pas se taire, c’est dire la
souffrance de ce Sud et préciser qu’elle s’étend dans tout le Mexique et
au-delà des ses frontières des quatre côtés, comme si c’était en bas que
l’on nomme, que l’on dit, que l’on écoute et que l’on vit ces souffrances.

Oaxaca se répand en douleur, mais aussi en lutte. Des morceaux de ce
peuple se distribuent tel un puzzle sur l’ensemble du territoire national
et au-delà de limites géographiques plus ridicules que jamais, en tout cas
au Nord.

Pendant les deux mois que nous avons mis à parcourir le Nord mexicain,
l’Oaxaca surgissait à tout bout de champ. Il s’habillait de douleur et de
rage. Et il nous parlait et nous regardait.

Et l’Autre Campagne écoutait et écoute et elle tend les bras comme les ont
tendus en solidarité avec l’Oaxaca les extrémités zapatistes qui
paralysèrent en deux occasions les routes du Chiapas et celles des Autres
dans le moindre recoin du Mexique d’en bas. Et comme l’ont fait toutes les
autres et tous les autres dans le monde entier. Comme ils tendent les bras
maintenant, comme ils continueront de le faire même si personne ne tient
les comptes, si ce n’est le miroir fragmenté que nous sommes, nous qui ne
sommes personne.

Devant Oaxaca, pour Oaxaca et par Oaxaca, nous disons :

COMMUNIQUÉ DU COMITÉ CLANDESTIN RÉVOLUTIONNAIRE INDIGÈNE-COMMANDEMENT
GÉNÉRAL DE L’ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE.
MEXIQUE.

Le 2 décembre 2006.

Au peuple mexicain,
Aux peuples du monde,

Frères et Sœurs,

L’attaque dont a été victime notre peuple frère de l’Oaxaca ne peut être
ignorée par quiconque se bat pour la liberté, la justice et la démocratie
dans le moindre recoin du globe.

C’est pourquoi l’EZLN appelle toutes les personnes honnêtes du Mexique et
du monde entier à manifester dès maintenant leur solidarité et leur
soutien avec le peuple de l’Oaxaca, et à exiger :

Que l’on présente vivants les disparus ; la libération des personnes
emprisonnées ; la destitution d’Ulises Ruiz et le départ des forces
fédérales de l’Oaxaca, et que les coupables des tortures, des viols et des
meurtres soient châtiés. En somme, rien moins que la liberté, la
démocratie et la justice pour le peuple d’Oaxaca.

Nous appelons les participants à cette campagne internationale à dire, de
toutes les manières et dans tous les endroits possibles, ce qui s’est
passé et continue de se passer dans l’Oaxaca, chacun à sa façon, en son
temps et là où il se trouve.

Nous appelons à culminer ces actions par une mobilisation mondiale pour
l’Oaxaca le 22 décembre 2006.

Le peuple de l’Oaxaca n’est pas seul. Il faut le dire et le démontrer. Le
lui démontrer et le démontrer à tout le monde.

Démocratie ! Liberté ! Justice !

Sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, décembre 2006.

II. 45.000 kilomètres en (Autre) campagne

La première étape de l’Autre Campagne a fait parcourir à la Commission
Sexta de l’EZLN près de 45.000 kilomètres (47.890, selon quelqu’un qui a
fait le compte) en long et en large du territoire de ce que nous pouvons
désormais nommer, en connaissance de cause, d’effet, et de but, l’Autre
Mexique, celui d’en bas.

Ce que nous avons vu et écouté n’a pas fait que démonter cette fiction de
31 États plus un district fédéral – étant donné que nous avons rencontré
des compañeras et des compañeros d’au moins 35 entités : les 32 de la
géographie instaurée d’en haut, plus la région de la Lagune, la Huasteca
et cette chose qui prend forme et identité propre au nord du Rio Bravo.

Non, ce qui meut l’Autre Campagne est si grand qu’il ne tient pas à
l’intérieur des frontières. Au nord du Rio Bravo, il y a aussi un Mexique.

"Nous ne perdrons jamais. Nous sommes là. Nous serons toujours là", dit
une petite fille chicano qui sait de quoi elle parle.

Nous avons écouté et nous avons vu de nombreux Mexiques, de couleurs et de
langues distinctes, et qui empruntent des chemins différents. Avec eux,
nous avons pu nous rendre compte qu’ils sont tous un quand ils déclinent
la douleur et font agir la rébellion.

À pied, à moto, à cheval, à bicyclette, en voiture, en train et en bateau,
nous avons parcouru 45.000 kilomètres au cours d’une campagne très autre,
et, pour employer les termes d’une femme indigène raramuri de la Sierra
Tarahumara, "nous avons vu la maladie et là, nous avons trouvé le remède".

La douleur y a brillé de ses propres feux et l’arbre de la résistance a
commencé à scintiller, qui plonge loin ses racines depuis des siècles.

Nous ne pouvons pas continuer à résister tout seuls, chacun de son côté.
Nous devons nous unir, pour nous et pour tous.

En peu de mots, le Mexique ne vivra que si vit le Mexique d’en bas.

Et le Mexique d’en bas ne pourra vivre qu’avec la libération des
prisonniers et des prisonnières d’Atenco, avec la libération des tous les
prisonniers et de toutes les prisonnières politiques de ce pays, avec la
présentation des disparu(e)s vivants et avec l’annulation de tous les
mandats d’arrêt lancés contre les opposants de la lutte sociale.

III. Ni bleu ni jaune, l’Autre Nord existe aussi

Les quatre roues motrices du capitalisme – pillage, mépris, exploitation
et répression – unissent en bas ce qu’en haut on s’efforce de diviser à
coup de sondages et de désirs bleus et jaunes.

L’Autre Campagne a retrouvé notre pays, elle a découvert que le Nord est
aussi le Mexique.

En voici quelques échantillons :

Il existe là-haut une ligne qui unit Teacapan et Dautilo, au Sinaloa, à
Isla Mujeres, au Quintana Roo et à Puerto Progreso, au Yucatán ; et qui
unit Joaquín Amaro et San Isidro, au Chiapas, à Matamoros, au Tamaulipas,
et à El Mayor, en Baja California.

Dans ces huit coins du Mexique d’en bas, des familles de pêcheurs sont
persécutées à cause de leur travail. C’est comme ça que l’on criminalise
le travail, avec l’alibi de la protection de l’environnement.

La politique des gouvernements néolibéraux en matière d’environnement à
tous les niveaux (fédéral, de l’État ou municipal) consiste à détruire la
nature… ou à l’arracher à ses gardiens légitimes pour la livrer à la
voracité des grands trusts industriels.

D’autre part, dans les États du Sonora, de Zacatecas et de San Luis
Potosí, respectivement gouvernés par le PRI, par le PRD et par le PAN, on
peut constater de ses propres yeux ce que signifie "conserver les
variables économiques".

Dans ces trois États, on assiste à la destruction de la campagne mexicaine
et à l’exode des populations dû à l’expulsion de millions de Mexicains
vers les Etats-Unis. Tout cela s’accompagne de la réhabilitation des
anciennes haciendas du régime de Porfirio et de leur recrudescence avec
l’afflux de migrants indigènes des États du sud et du sud-est du Mexique.

Au Mexique, la "modernité", c’est le retour à l’époque de Porfirio.

IV. En haut, après le XXe vient... le XIXe siècle

La machine à faire des marchandises se cache dans la cause et non dans
l’effet. C’est derrière le marché et derrière le salaire que se cache le
noyau dur du système : la propriété privée des moyens de production et
d’échange.

Ce sont les banques, les industries et le commerce, tous étrangers, qui
forment les nouvelles nations qui participent à cette reconquête du
Mexique. De même, leurs armées de conquête et d’occupation sont formées de
députés du parlement national, de sénateurs, de maires, de députés du
parlement local, de gouverneurs, de présidents de la République et de
ministres.

Voilà l’histoire actuelle qui unit le Mexique du Nord, du Centre et du
Sud. Nous voilà revenus à l’époque de la fin du XIXe et du début du XXe
siècle.

Spoliation des terres. Destruction de la culture et de l’histoire.
Destruction de la nature. Destruction de la communauté humaine.
Destruction de la culture de l’organisation. Violence et discrimination de
genre contre les femmes, au sein des familles, dans la sphère sociale,
culturelle et institutionnelle. Mépris des personnes âgées, des
ancien(ne)s. Marchandisation de l’enfance. Criminalisation de la jeunesse.
Privatisation de l’enseignement préparatoire et supérieur. Démantèlement
du système éducatif primaire et secondaire. Démantèlement de la sécurité
sociale. Destruction et recomposition des conditions de travail pour
revenir à l’époque de Porfirio Díaz. Marginalisation de la vente ambulante
et asphyxie du petit et du moyen commerce, au profit du grand capital
commercial étranger. Mépris et répression à l’encontre de la différence
d’option sexuelle, même au sein de la gauche. Autisme pervers des grands
moyens de communication.

"La faim te met à genoux, mais la dignité indigène te met debout", nous
disait une femme indigène chef des Kumiai.

Au Mexique, on travaille pour ne pas mourir et on se tue au travail.

V. Nous sommes ce que nous sommes

Le plus gros de l’Autre Campagne est formé d’indigènes, de jeunes et de
femmes. Tous et toutes des travailleurs et des travailleuses de la
campagne et de la ville.

Dans le Nord mexicain, on retrouve Oaxaca auprès des Triqui, des Mixtèques
et des Zapotèques, mais aussi chez les Kumiai, les Kiliwa, les Kukapa, les
Tohono O’odham, les Comca’ac ou Seri, les Pima, les Yaqui, les Mayo
Yoreme, les Raramuri, les Caxacan, les Cora, les Wixaritari, les Kikapu,
les Maskovo, les Teenek, les Pam, les Nahua, les Chichimèques, les
Tepehuan et les Guarijio.

Chez les peuples, tribus et nations indigènes du Nord, il est plus
fréquent et naturel qu’ailleurs que les femmes soient chef, autorité ou
dirigeante.

"Nous voulons continuer à être ce que nous sommes", nous disait une
indigène raramuri. Ce qu’aurait pu tout aussi bien dire un jeune homme,
une jeune femme, une femme.

"Que la voix fasse son chemin, pour donner des forces à ce monde", dit
cette femme, cette jeune indigène du nord du Mexique.

VI En bas, un cœur surgit

La lutte anticapitaliste n’est pas apparue avec de la Sixième Déclaration
et de l’Autre Campagne. Elle a emprunté et emprunte encore de nombreux
chemins différents au sein d’organisations politiques, sociales et non
gouvernementales, au sein de peuples indiens, de collectifs, de groupes,
de familles et d’individus.

La Sexta et La Otra ont été un catalyseur, un appel à nous rencontrer, à
nous connaître, à nous respecter, à nous unir.

On y est arrivé.

Maintenant, il s’agit que tous, toutes, nous répondions en tant que cette
Autre Campagne que nous sommes et que nous disions où nous en sommes,
comment nous voyons le Mexique et le monde, ce que nous voulons faire et
comment nous voulons le faire.

C’est pour cela que nous appelons à une consultation interne du 4 au 10
décembre 2006.

L’Autre Campagne n’est pas une lutte de plus en bas, c’est celle de tout
un chacun, mais en tissant d’autres liens, ceux de la solidarité et du
soutien, ceux d’une même douleur et d’une identique rébellion, ceux du
respect, ceux de des différences qui sont reconnues et se reconnaissent.

L’Autre Mexique commence en bas et ne s’achèvera pas avant qu’on ne le
refasse entièrement, parce qu’il faut encore ce qu’il faut.

L’Autre Campagne se mue en un Autre Front contre l’en haut et ses miroirs
déformants. Nous n’allons ni converger ni nous unir, le différend étant
irréconciliable. Ceux qui s’opposent d’en haut ne veulent pas changer ce
pays, ils veulent arriver au pouvoir. Ceux qui comme nous s’opposent à
Calderón d’en bas sont contre tout ce qui, là-haut, feint des idées et
pratique le mépris de toute sorte.

L’officiel sera vaincu, de même que le "légitime" ou que tout autre nom
que prendra celui qui s’imagine que tout continuera comme avant et
déclarera d’en haut pour ou contre l’en bas pour continuer à administrer
le même cauchemar.

Ce pays est truffé de recoins, d’angles. C’est de là, et non des palais,
des sièges de gouvernement et des bunkers de la classe politique, que
naîtra, grandira et existera une autre alternative.

L’ensemble de ce pays vit dans une prison, mais il y a des prisons qui
sont plus vraies que d’autres. C’est pourquoi la lutte pour que soient
présentés vivants les disparus, celle pour la libération des prisonniers
et des prisonnières d’Atenco, et maintenant pour ceux et celles d’Oaxaca,
doivent s’inscrire dans une campagne nationale.

De pair avec cette campagne, d’autres mouvements nationaux peuvent se
dresser contre les tarifs des compagnies d’électricité, pour la défense et
la protection de l’environnement, pour la promotion de la vente ambulante
et du petit commerce ou le boycott au grand commerce.

En tant que zapatistes, nous attirons l’attention sur la contribution
qu’apportent les luttes anticapitalistes de groupes et collectifs
anarchistes et libertaires, par leur caractère autogestionnaire.

Au Chihuahua, on nous a parlé des tlatoleros, des messagers indigènes qui
parcouraient les villages pour inciter à la rébellion contre le
vice-royaume. D’une manière ou d’une autre, nous avons été et nous serons
ces messagers.

Tandis que ceux qui ont le regard fixé sur en haut retournent à leur
quotidien et au sujet à la mode, l’Autre Campagne se regarde, se définit,
se prépare.

En haut, ils parlent déjà de 2012 et s’interrogent. En bas, l’Autre
Campagne continuera de demander qui et quoi au sein de son Programme
national de lutte, puis comment et quand. Ce jour-là le calendrier d’en
haut sera brisé et en suivra un autre, celui d’en bas et à gauche.

L’heure est venue. Nous serons ce que nous sommes, mais autres et meilleurs.

Il est temps de se réveiller.

Sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, décembre 2006.

P.-S. : Dans la pièce aveugle de l’Ombre, seule la pendule permet de
distinguer le jour de la nuit. C’est toujours le petit matin, ici. L’Ombre
se prépare à retrouver les ombres dont elle est née et qui l’alimentent.
Elle fait le compte et les comptes. Elle se redresse à nouveau sur son
siège, le cœur brisé et plein de cicatrices et tout rapiécé. Elle lève des
ancres, hisse des voiles. Elle porte un autre pays accroché aux pieds,
collé à la peau, à ses oreilles et dans son regard. Elle possède une rage
et une douleur qui ne tiennent dans aucun des mots d’aucune langue. Dans
les montagnes du Sud-Est mexicain, dans ce cœur collectif brun qui
commande, elle attend une réponse qu’elle connaît depuis des siècles : il
faut que l’aube se lève, comme elle a pour coutume de le faire, avec
douleur et rage. Ombre sait ce que lui dira la montagne brune qui est son
guide. Donnant du baume à la douleur et de l’espoir à la rage, elle lui
dira, en langue ancestrale : "Ne t’inquiète pas, n’aie pas trop de peine,
que le cœur de notre patrie ne soit pas triste car il faut encore ce qu’il
faut."


--
Traduit par Angel Caido.
Diffusé par le Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte
(CSPCL, Paris) - 33, rue des Vignoles - 75020 Paris - France
réunion (ouverte) le mercredi à partir de 20 h 30
http://cspcl.ouvaton.org
cspcl@altern.org
Paria
   Posté le 06-12-2006 à 18:52:03   

PEUPLE D'OAXACA !
PEUPLE DU MEXIQUE !
PEUPLES DU MONDE !


D’un lieu quelconque de l'État d'Oaxaca, le Conseil d'État de l'Assemblée
populaire des peuples de l'Oaxaca

DÉCLARE :

PREMIÈREMENT : L'APPO continue plus que jamais de vivre dans le cœur des
travailleurs, des indigènes, des paysans, des femmes au foyer, des
étudiants, des jeunes, des enfants, de tous les exploités et les opprimés
de l’Oaxaca et du Mexique. La Terreur que l’État a déchaînée dans toute sa
violence contre le peuple de l’Oaxaca et certains membres de la communauté
internationale, du 25 novembre dernier jusqu’à ce jour, n’a en rien entamé
notre volonté d’être des femmes et des hommes libres.

Elle n’a pas non plus réussi à nous détourner de notre combat, nous
continuons à penser que notre lutte doit être politique, pacifique et
massive, en dépit des 17 personnes assassinées, les dizaines de disparus
et les centaines de prisonniers politiques par laquelle s’est soldée notre
lutte à ce jour, chose que nous qualifions de Crime contre l’humanité.

DEUXIÈMEMENT : L'APPO continue d’agir en permanence, bien que nous ne
participions pas visiblement aux piquets ou que nous ne nous fassions pas
entendre vingt-quatre heures sur vingt-quatre à la radio. Nous sommes
toujours vivants et nous communiquons à travers l’esprit indomptable qui
constitue l’héritage des peuples exploités, nous luttons et continuerons
de lutter de toutes nos forces jusqu’à obtenir la chute du tyran et de sa
dictature, la dictature du capital.

Une nouvelle étape de la lutte commence, que nous appellerons désormais
"Étape pour la paix dans la justice, la démocratie et la liberté et sans
Ulises Ruiz Ortiz" et qui constitue une nouvelle manière de poursuivre la
lutte que l’APPO apprend à construire patiemment, avec persévérance et
sagesse.

C’est ainsi que nous l’ont enseigné les peuples originels dont nous sommes
issus, rassemblés les 28 et 29 novembre au sein du Forum des peuples
indigènes de l’Oaxaca, où ils nous ont dit que "le chemin à faire doit
être parcouru lentement" : c’est ce que nous faisons maintenant, sans
perdre de vue l’objectif commun qui est la transformation profonde des
conditions de vie, de travail, d’études et de survie de nos peuples. C’est
cette voie qu’a voulu barrer Ulises Ruiz, marionnette fidèle des riches et
des narcotrafiquants qu’il défend et représente. Quant à nous, en tant que
représentants d’un peuple qui a choisi d’emprunter le chemin de son
émancipation, nous allons le balayer de cette voie qui est la nôtre.

TROISIÈMEMENT : Le Conseil d'État de l'APPO appelle le peuple de l’Oaxaca
à organiser et à réaliser dès aujourd’hui et jusqu’au 10 décembre des
mobilisations et des actions de protestation pour diffuser cette "Étape
pour la paix dans la justice, la démocratie et la liberté et sans Ulises
Ruiz Ortiz", pour la libération des prisonniers politiques, pour la
présentation en vie des disparus, pour le retrait de tous les mandats
d’arrestation, pour que cessent les arrestations arbitraires et les
violations de domicile, pour le départ immédiat de la PFP et pour ce qui
nous a tous unis, à savoir : pour le départ de l’assassin Ulises Ruiz
Ortiz de l'Oaxaca. Nous appelons à réaliser ces actions et à diffuser nos
exigences dans l’ensemble de l’Oaxaca, à travers nos Assemblées populaires
régionales, municipales et sectorielles.

Jusqu’au 10 décembre, parce qu’à cette date nous sommes tous appelés à une
macro-concentration au pied du monument à Juárez situé au Crucero de
Viguera, dans la ville d’Oaxaca, à 10 heures, afin d’exprimer notre
opposition et notre condamnation de la politique du bâton et du fusil à
laquelle veut nous résigner cette camarilla d’assassins et de voleurs qui
se fait appeler gouvernement dans l’Oaxaca.

FRATERNELLEMENT,

"TOUT LE POUVOIR AU PEUPLE !"

CONSEIL D'ÉTAT DE L'APPO
Le 2 décembre 2006.


--
Traduit par Angel Caido.
Diffusé par le Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte
(CSPCL, Paris) - 33, rue des Vignoles - 75020 Paris - France
réunion (ouverte) le mercredi à partir de 20 h 30
http://cspcl.ouvaton.org
cspcl@altern.org
liste d'information :[url] http://listes.samizdat.net/sympa/info/cspcl_l[/url]

Message édité le 06-12-2006 à 18:52:39 par Paria
Paria
   Posté le 06-12-2006 à 18:54:28   

Sinon pour info le dernier Manière de voir est consacré l'Amérique latine : http://www.monde-diplomatique.fr/mav/90/
Paria
   Posté le 07-12-2006 à 18:17:59   

À la société civile mexicaine,
À la société civile internationale,
Au gouvernement mexicain,
Aux médias,
À l'Assemblée populaire des peuples d'Oaxaca (APPO),

En février 1998, devant le massacre perpétré trois mois plus tôt à Acteal
(au Chiapas, Mexique) contre les indigènes rebelles du Chiapas, la société
civile internationale s'est mobilisée pour exprimer son indignation et
tenter de trouver une issue pacifique au conflit en cours.

Plus de 500 personnes et membres d'organisations des cinq continents ont
approuvé la création d'une Commission civile internationale d'observation
pour les droits humains (CCIODH), qui se rendit au Chiapas début 1998.

En novembre 1999, une deuxième commission renouvelait sa mission
d'observateur afin d'évaluer la situation du moment et de la comparer avec
les observations et les recommandations de la précédente.

En février 2002, après la victoire électorale de Vicente Fox et la
formation du nouveau gouvernement, une troisième visite de la CCIODH avait
lieu, dans le but d'examiner les possibilités de parvenir à une résolution
juste du conflit. En 2001, cette possibilité s'est vue frustrée par
l'approbation par le Congrès [mexicain] de la loi indigène (concernant les
droits et la culture des peuples indigènes), cette réforme
constitutionnelle allant à l'encontre des Accords de San Andrés (février
1996), comme le dénonçaient l'EZLN (Armée zapatiste de libération
nationale), le Congrès national indigène (CNI) et une grande partie de la
société civile mexicaine et internationale.

Une quatrième visite de la CCIODH eut lieu en mai et juin 2006, suite aux
événements survenus à San Salvador Atenco et à Texcoco (État de Mexico),
les 3 et 4 mai, l'intervention des forces de l'ordre mobilisant plus de
2.000 policiers s'y étant soldée par deux morts, plusieurs blessés graves,
près de 300 arrestations et l'expulsion de cinq ressortissants étrangers.
Cela donna lieu à la dénonciation de graves atteintes aux droits
fondamentaux des personnes, notamment les abus sexuels, les viols, les
mauvais traitements, l'humiliation et les tortures.

Ces quatre commissions ont eu comme résultat l'élaboration d'autant de
rapports contondants qui ont été remis à tous les interlocuteurs de cette
Commission au Mexique, à toutes les organisations et à toutes les personnes
qui avaient soutenu une telle initiative et aux institutions
internationales (Parlement européen, parlements de divers pays, Parlement
d'Amérique centrale, Haut-Commissariat pour les droits humains de l'ONU,
etc.).

En mai dernier, dans l'État d'Oaxaca, les enseignants ont entamé une lutte
pour l'amélioration de leurs conditions salariales. Suite à la répression
déclenchée par le gouvernement de l'Oaxaca le 14 juin, le mouvement,
jusque-là limité à des revendications corporatives, s'est étendu à d'autres
secteurs pour déboucher sur un vaste mouvement populaire, qui exige depuis
plus de six mois la destitution du gouverneur de l'Oaxaca, Ulises Ruíz
Ortiz (appartenant au PRI).

Au cours des derniers mois, le conflit s'est durci, jusqu'à l'intervention
récente de la police nationale mexicaine, qui a violemment délogé les
piquets et les campements de l'APPO (l'Assemblée populaire des peuples de
l'Oaxaca). Depuis le début du conflit, au moins 17 personnes ont été
assassinées, des centaines de manifestants ont été arrêtés, et on déplore
des dizaines de disparus. Des organisations de défense des droits humains
ont d'ores et déjà enregistré les plaintes pour tortures, mauvais
traitements et menaces dont ont été victimes les personnes appréhendées,
ainsi que les persécutions et les abus commis par les corps de police et
des groupes paramilitaires. Au niveau international, la préoccupation
causée par ces graves événements a suscité une forte mobilisation et le
souci de relayer la dénonciation de ces abus avec un soin particulier,
afin de trouver à ce conflit une issue qui passe par le dialogue.

En vertu de tout ce qui précède, nous demandons à la société civile
mexicaine ainsi qu'au gouvernement fédéral et au gouvernement de l'État
d'Oaxaca, aux organisations et aux ONG victimes de cette situation de nous
accorder la même confiance que celle qu'ils ont déposée en nous au cours
des quatre séjours précédents. Nous leur demandons de bien vouloir nous
recevoir, de nous fournir leurs témoignages et de nous permettre
d'effectuer notre mission en toute liberté et responsabilité.

Nous sollicitons également toutes les organisations qui nous ont déjà
soutenus par le passé, pour qu'elles renouvellent leur soutien pour que
nous puissions observer, engager une réflexion et évaluer les conséquences
que peut avoir le conflit sur la situation en matière de droits humains.

Au vu de quoi, les personnes soussignées déclarent soutenir cet appel qui
sera rendu public par voie de presse et remis au gouvernement mexicain, aux
instances internationales et à la société civile concernées.

Un premier groupe de membres de la CCIODH se rendra au Mexique à partir du
16 décembre 2006 pour y préparer et y organiser la visite qui se poursuivra
par l'arrivée d'un second groupe chargé de réaliser, entre le 7 et le 20
janvier 2007, les entretiens avec les différents acteurs du conflit. Après
quoi, un rapport sera élaboré et remis aux différentes instances,
institutions et organisations, selon le même procédé que lors de nos
précédentes visites.

Le 7 décembre 2006.

Commission civile internationale d'observation pour les droits humains
(CCIODH)

courriel : cciodh@pangea.org

site Internet : http://cciodh.pangea.org/
Jameul
   Posté le 08-12-2006 à 19:52:01   

merci encore Paria pour toutes ses infos
Paria
   Posté le 08-12-2006 à 19:58:36   

Pas de problème, c'est normal.
Paria
   Posté le 10-12-2006 à 14:43:28   

Salut à toutes et tous,

Je vous avais laissés vendredi 1er décembre alors que se déroulait la
marche et je vous confiais mes doutes au sujet de la mobilisation. Ce
jour-là, malgré la présence évidente de flics en civil dans la
manifestation et des patrouilles de la PFP à proximité, cinq mille
personnes sont descendues dans la rue, défiant la peur et le gouvernement
pour réclamer la libération des détenus, la fin de la répression et
l’éviction du satrape Ulises Ruiz. Depuis et jusqu’à aujourd’hui, la
situation n’a pas vraiment changé ici par rapport à celle que je vous
décrivais.

Même si la PFP a libéré le Zocalo, sa présence dans le centre-ville est
pesante et inquiétante et elle occupe toujours le Llano et le "parque",
mal nommé pour la circonstance, de l’Amour. Les patrouilles circulent dans
toute la ville, dans les quartiers périphériques et dans les municipalités
qui sont considérées dangereuses aux yeux de l’autorité. Les arrestations
de sympathisants au mouvement se poursuivent jours après jours. Beaucoup
d’entre eux se sont planqués et certains sont entrés en clandestinité.
Radio "Mapache", qui fait signer des pétitions pour demander sa
légalisation, continue d’émettre des appels au lynchage et à la délation.
Dans ce climat tendu de persécution et de répression, samedi dernier des
inconnus ont mis le feu au palais municipal de Miahuatlan qui était aux
mains de sympathisants de l’APPO (ceux-ci l’avaient déserté quelques jours
avant devant l’arrivée de la PFP et des polices locales).

Des profs du secteur d’Ocotlan ont décidé de suspendre les cours dans 200
écoles de différents niveaux pour protester contre le harcèlement de la
PFP et des corporations policières de l’Etat. Devant les menaces des
paramilitaires et des groupes de sicaires payés par le PRI pour enlever et
remettre aux autorités les profs impliqués dans le mouvement et pour
demander la libération de cinq des leurs détenus à Nayarit, 4 500 maîtres
d’école de la région des Cañadas n’ont toujours pas repris les cours.
Lundi à Zaachila, des profs ont été détenus. Après l’incursion violente
des flics à l’école primaire de San Isidro Zautla, dans la commune de
Soledad Etla, des maîtres d’école ont été appréhendés. A Oaxaca, là
encore, trois profs de la région de la Mazateca ont été capturés… Le
leader de la section 22 du Syndicat national des travailleurs de
l’éducation, Enrique Rueda Pacheco, qui vit planqué de crainte d’être
détenu à son tour, ne reconnaît pas la répression et le harcèlement que
subissent les profs, et disqualifie la grève que mènent les maîtres de la
région de Valles Centrales. Ce qui permet au directeur général de
l’Institut de l’Etat de l’éducation publique d'Oaxaca, Abel Trejo
Gonzalez, d’affirmer qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura pas de persécution
ni d’arrestation arbitraire ni non plus de chasse aux sorcières…

Des membres du centre de droits humains Yax’kin ont été suivis dans leurs
déplacements par des flics en civil circulant dans des véhicules sans
plaque d’immatriculation, ils ont été encerclés et pris en photos par les
flics alors qu’ils sortaient de leur hôtel.

La Commission diocésaine de justice et paix et le Centre des droits
humains Bartholomé Carrasco Briceño ont dénoncé le harcèlement et les
menaces répétées dont sont victimes le mandataire de l’archevêché,
Romualdo Wilfrido Mayrén Pelàez, et le curé de l’église de Siete
Principes, Carlos Franco Lopez, pour leur soutien humanitaire aux blessés
des manifestations précédentes.

Les familles des détenus se sont organisées en comité et ont manifesté
dimanche dernier dans le centre-ville d'Oaxaca pour exiger la libération
des prisonniers et le retrait de la PFP d'Oaxaca, puis, certaines d’entre
elles se sont déplacées jusqu’à Nayarit, où elles ont renforcé un
"planton" (occupation permanente d’un espace public) devant le palais du
gouverneur de l’Etat. Les autorités pénitentiaires en charge de
l’établissement de moyenne sécurité de Nayarit refusent toujours aux
familles et aux avocats d’avoir accès aux détenus pour éviter le scandale
sur les méthodes qu’utilise l’Etat pour en finir avec les luttes sociales.
Peu à peu nous parviennent des témoignages et nous savons que les détenus
ont été cruellement torturés plusieurs d’entre eux ont eu les doigts
brisés sous l’effet du supplice, d’autres encore ont subi des violence
sexuelles ou ont été menacés d’être tués, de disparaître sans laisser de
traces…

Une fois de plus, en totale violation des traités internationaux qu’a
signés le Mexique, les autorités pénitentiaires de Nayarit refusent
l’attention médicale aux détenus blessés (certains sont dans un état grave
et ont besoin d’attention médicale). Parmi les 141 détenus qui ont été
déportés jusqu'à Nayarit se trouvent 3 mineurs qui ont été déclarés
formellement prisonniers et incarcérés en ce lieu en absolue infraction
avec les lois qui les protègent, de même que les 34 femmes détenues dans
cette taule qui est un établissement exclusivement masculin. En clair, les
autorités se contrefoutent des lois et des règlements qu’elles ont
elles-mêmes conçus. Les trois juges du Centre fédéral de réadaptation
social de Nayarit ont fixé des cautions jusqu'à 4 millions de pesos pour
la libération des prisonniers qui ont été accusés, sans investigation
sérieuse sur leur culpabilité, de sédition, d’association de malfaiteurs,
incendie, etc., des charges qui peuvent entraîner jusqu’à vingt ans de
condamnation...*

La persécution la plus brutale, la torture, la fabrication de délits,
l’emprisonnement, les disparitions, les meurtres comme réponses aux
expressions de mécontentement, l’impunité et la protection aux répresseurs
et aux assassins.

Si on te frappe tend l’autre joue... En début de semaine, à l’initiative
de l’artiste bien connu Francisco Toledo, des écrivains, des
intellectuels, des journalistes, des défenseurs des droits humains, des
avocats et des représentants de l’Eglise catholique ont créé le Comité de
libération 25 Novembre, qui se propose d’aider à la libération des
prisonniers qui n’auraient pas commis d’acte de vandalisme, et qui
n’auraient pas agressé les forces de l’ordre...

Lundi soir, à Mexico, quelques heures après que l’APPO eut annoncé que se
tiendrait le lendemain le premier contact avec le gouvernement de Calderon
par l’intermédiaire du tout nouveau secrétariat du gouvernement**, quatre
conseillers de l’APPO ont été appréhendés en sortant d’une réunion (Flavio
Sosa, son frère Horacio, Ignacio Gracia Maldonado et Marcelino Coache
Verano, porte-parole de l’APPO et secrétaire général du syndicat
indépendant du conseil municipal d'Oaxaca). Flavio Sosa, que les médias
persistent à présenter comme le "dirigeant" ou le "leader" de l’APPO, a
déclaré faire parti du PRD (quelques jours auparavant, on pouvait lire,
dans une interview qu’il avait donnée, qu’il regrettait d’avoir
démissionné de ce parti pour soutenir Fox durant la campagne
présidentielle de 2000). Le message que fait passer le gouvernement avec
l’arrestation des quatre conseillers de l’APPO qui étaient venus pour
négocier est qu’il se sent suffisamment fort et qu’il réglera les
problèmes sociaux et les protestations populaires en les criminalisant, en
les réprimant, et en persécutant tous ceux qui n’adhéreront pas aux
projets néolibéraux du pouvoir.

Le leitmotiv du gouvernement et de ses amphitryons résonne comme une
menace : "Rien ni personne au-dessus des lois" (sauf pour eux-mêmes, leurs
complices et leurs chiens de garde, bien entendu).

Oaxaca est un laboratoire d’expérimentation répressive dont les résultats
pourront être étendus au reste du pays si besoin est.

Bon, et bien voila... je suis bien conscient que je vous ai dressé un bien
sombre et déprimant tableau de la situation. Mais il est bien certain que
les gens ici ne se sont pas soumis à l’ordre fascistoïde qui s’est imposé
impitoyablement ; de plus, les problèmes de fond, sociaux et politiques,
ne sont pas résolus et les revendications demeurent.

Dimanche prochain (le 10) une énième mégamarche est prévue pour exiger la
destitution du despote, la libération des prisonniers, la réapparition des
disparus, l’annulation des ordres d’appréhension et le retrait de la PFP
de Oaxaca. On y attend plusieurs centaines de milliers de personnes.

ATENCO, OAXACA,
NOUS TOUTES, NOUS TOUS !

A bientôt
M, Oaxaca, vendredi 8 décembre 2006


* Aux dernières nouvelles : les autorités pénitentiaires de Nayarit
obligent les familles à signer un document dans lequel elles
s’engageraient à retourner à Oaxaca après avoir visité leurs proches
détenus (138 à ce jour).

** Le nouveau titulaire du poste est l’ancien gouverneur de Jalisco
Francisco Ramirez Acuña, qui s’était fait remarquer durant le troisième
sommet des chefs d’Etat et de gouvernement d’Amérique latine, Caraïbes et
Union européenne, à Guadalajara en mai 2004, pour son zèle à réprimer les
altermondialistes qui protestaient (détentions arbitraires, tortures,
jugements injustes... certains sont encore en taule plus de deux ans
après...).
Paria
   Posté le 13-12-2006 à 11:42:27   

Bien le bonjour,

Aujourd’hui, dimanche 10 novembre, nous nous préparons pour la
manifestation qui doit partir de la statue de Benito Juarez, à l’entrée de
la ville. Je n’irai pas, je me suis trop fait remarquer ces derniers
temps, certes, je ne risque pas mes doigts dans l’affaire, les doigts
tordus et cassés, les violences à caractère sexuel exercées sur les femmes
et les hommes ont été des formes de torture couramment pratiquées ces
derniers temps sur les prisonnières et prisonniers de l’APPO pour leur
faire avouer des actes, comme les incendies d’immeubles, commis par ces
mêmes tortionnaires... non, je risque seulement de regagner un peu trop
vite à mon goût la trop douce et tranquille Europe. Cette différence de
traitement, qui me serait en quelque sorte réservée, m’isole un peu de mes
amis ; dans la confrontation, dans la bagarre, les risques sont partagés,
mais c’est après que les frontières s’élèvent pour nous séparer. Le
totalitarisme nous touche tous et nous plie sous son joug, nous nous
sentons solidaires des luttes pour la reconquête de notre dignité ; une
des principales fonctions de ces figures de l’Etat totalitaire que sont
les Etats nationaux est bien d’isoler et de contenir dans les limites des
frontières nationales l’insurrection des peuples.

Les filles et M. se préparent pour se rendre à cette marche, c’est la
grande rigolade dans ces dernières minutes consacrées aux essais de
déguisements afin d’échapper à l’œil inquisitorial des caméras, certains
accoutrements sont particulièrement réussis et nous nous esclaffons de bon
cœur. Ce sera l’occasion de retrouver les amis, de renouer avec tous ceux
qui ont échappé au piège mortel tendu par le gouvernement, d’armer à
nouveau les solidarités nationales et internationales autour de la Commune
d’Oaxaca.

Retour de manif : du monde, manifestation imposante mais tout de même
moins importante que celle du 25 novembre, plutôt des gens de la ville,
los valientes, les Indiens, ne sont pas descendus en nombre de la
montagne, mais les Zapotèques, les Triquis, les Mazatèques, les Mixes, les
Chinantèques, les Mixtèques étaient bien présents, les personnes
"activement recherchées" ne sont pas venues, les jeunes libertaires
particulièrement persécutés ne s’y sont pas risqués, quelques "chavos",
cependant, faisaient discrètement des bombages sur les murs, mais rien à
voir avec les autres manifs ; les familles des prisonniers ouvraient la
marche, on remarquait surtout la présence des leaders du PRD et du Frente
Amplio Progresista, ce sont eux qui vont se montrer les plus éloquents
lors du meeting de clôture qui s’est tenu sur la place de la danza avec le
discours de la pasionaria et "sénatrice" Rosario Ibarra de Piedra, qui
nous assurait du soutien de Lopez Obrador, le président qui s’est
autoproclamé Président légitime du Mexique. Une marche bien trop sage face
à l’ampleur de la persécution, une façon de dire "nous sommes toujours
là", rien de plus, l’éloquence n’était pas de mise, elle a été laissée aux
politiques. Les filles ont pu rencontrer quelques amis, qui tiennent le
coup malgré l’énorme pression qu’ils subissent. Les habitants des
quartiers et des colonies ne cachent pas leur inquiétude, c’est que la
gente du PRI a désormais tout le loisir d’organiser la chasse à l’homme,
silencieuse, furtive, un coup de feu dans la nuit, une voiture qui démarre
sur les chapeaux de roue…

L’une des nôtres a ensuite assisté avec les maîtres indigènes à une
réunion au sujet des prisonniers et prisonnières du Cefereso (Centre
fédéral de réadaptation social) el Rincón de Nayarit. Celle qui parlait a
pu s’entretenir avec 17 des 34 femmes et quelques hommes. Ces femmes ont
été frappées au moment de leur détention puis quand elles ont été emmenées
dans les prisons d’Oaxaca et au cours de leur transfert en hélicoptère à
Nayarit, elles avaient les yeux bandés et ont été menacées d’être violées
et jetées dans le vide. Ce ne fut que le mercredi 28, trois jours après
leur détention, qu’elles ont su qu’elles se trouvaient à Nayarit, elles
n’avaient aucune idée où elles étaient après ce rapt de la part des
autorités. Elles sont deux par cellule (les hommes sont trois par box et
seront observés toute la journée pendant plus d’un mois avant que l’on
décide de leur sort en fonction de leur personnalité) et n’ont pas la
possibilité de communiquer avec les autres détenues. Les hommes furent
aussi torturés et se trouvent dans une autre section de la prison. On sait
maintenant que bien des prisonniers et prisonnières appartiennent à la
même famille, il y a ici l’épouse, la sœur, la fille ou la cousine, mais
ils n’ont aucune possibilité de communiquer entre eux. Ils sont considérés
comme des prisonniers de "alta peligrosidad" (de haute dangerosité) et la
prison d’El Rincón est, dit-on, parmi les plus dures du Mexique. Les
prisonniers se déplacent à l’intérieur de la prison, menottés, la tête
baissée, les yeux rivés au sol, ils ne peuvent se parler, même dans leur
box. Les femmes comme les hommes ont eu les cheveux coupés, petite
humiliation ajoutée à toutes les autres, il faut dire que cette prison est
une prison d’hommes et que les femmes ne devraient pas s’y trouver. Les
visites sont strictes, nous entrons dans un univers kafkaïen, ce ne fut
que le 3 décembre que les parents purent voir leurs proches, à condition,
évidemment, d’avoir fourni tous les papiers exigés. Pourtant trois hommes
jeunes ont été libérés très rapidement, sans autre forme de procès, les
incendiaires d’Ulises Ruiz pris malencontreusement dans les filets ?

Quand les autorités ont décidé de transférer les prisonniers à Nayarit,
elles ont parfaitement mesuré les impacts sociaux que cela allait avoir.
Les gens pour se trouver près des leurs et les accompagner durant leur
détention vont abandonner leur travail, immigrer dans le Nord, tenter d’y
survivre. Pour leur premier voyage certains se sont endettés, d’autres ont
été aidés par leurs voisins, qui se sont cotisés pour payer le billet de
car ; il y a des époux, des épouses, des mères, prêts à tout quitter pour
se rapprocher des êtres qui leur sont chers. Les autorités avaient très
bien évalué les conséquences sociales de cette déportation, le déchirement
qu’elle signifiait pour de nombreuses familles. Dans leur acharnement à
dévaster la vie des gens, elles ont oublié, ces autorités, une
répercussion possible de leur mesure infâme : alors qu’elles prétendaient
désarticuler la mobilisation, elles sont en train de l’étendre dans tout
le pays. Le gouverneur de Nayarit commence à faire la gueule, c’est que
les familles manifestent dans la ville et expliquent aux gens leur
situation. Cette décision de transfert est parfaitement arbitraire comme
vous pouvez vous en douter, mais Ulises Ruiz, le petit roi soleil
d’Oaxaca, a du monde derrière lui via les sectes évangélistes et la CIA,
toute la puissante Amérique du Nord ; soutenu par la clique de Bush, il
reste le satrape des lieux.

Tout ce qu’a tenté l’Etat a eu jusqu’à présent un effet de retour, quand
il a cherché à réprimer la grève des instits le 14 juin, est apparue
l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca ; quand il a essayé d’intimider
la population avec les escadrons de la mort, sont apparues les barricades.
Il arrête les "dirigeants" les plus en vue comme Flavio Sosa et c’est la
base la plus déterminée ou la plus radicale qui se construit et se
renforce dans une semi-clandestinité. Les partisans de Lopez Obrador, le
PRD et toute la gauche molle tentent de récupérer le mouvement social,
certains conseillers qui font partie de la direction collective de l’APPO,
maintenant hors contrôle de l’Assemblée, font et disent n’importe quoi, il
s’agit de sauter sur l’occasion, le dragon est blessé, sinon à l’agonie,
pensent-ils, ils ne voient pas dans leur empressement à vendre la peau du
dragon que le dragon est ailleurs, qu’il a mué et qu’il leur a laissé une
enveloppe vide. Serait-il devenu zapatiste ?

Dans ma dernière lettre, je vous avais rapporté la réflexion de Carlos
Fazio selon laquelle la classe au pouvoir impose à l’Etat une double
manière d’agir : une, publique et soumise aux lois, l’autre, clandestine
appliquant une "terreur bénigne" en marge de toute égalité formelle. Nous
devons pousser un peu plus loin le raisonnement. Nous avons pu nous rendre
compte au cours de tous ces événements que l’Etat organisait une véritable
mise en scène du conflit ; face à un mouvement social qui avait des
revendications précises à faire valoir, l’Etat a répondu par une mise en
spectacle d’un affrontement tragique, mise en spectacle qui avait
évidemment des conséquences terribles pour les gens (nous en sommes sans
doute à plus de vingt morts, tous du côté de l’APPO). L’Etat traduisait un
mouvement social complexe en scènes de violence, en images chocs. Le
message est clair : tout mouvement social engendre la terreur, et il
s’adresse à la partie molle et soumise, à la partie décomposée de la
société. L’Etat joue sur deux tableaux à la fois : d’un côté, il est celui
qui organise le spectacle de la violence et à cette fin il doit, d’une
façon plus ou moins clandestine, user de moyens terroristes ; de l’autre,
il se présente comme celui qui met fin à la violence par l’exercice d’une
terreur légitime. La terreur de l’Etat est présentée comme légitime parce
qu’elle met fin à une violence sociale, dont l’Etat avait au préalable
organisé la représentation. Où est le droit ? Il n’y a pas de droit dans
cette affaire ou seulement comme justification du terrorisme d’Etat par la
mise en scène d’une paix sociale rompue par les insurgés.

Nous devons reconnaître que l’Etat Janus a joué sa partition avec un
certain brio : la tâche d’organiser le spectacle de la violence par des
moyens terroristes est revenue à Ulises Ruiz et à ses hommes de main, en
l’occurrence la police de l’Etat d’Oaxaca, ou police ministérielle,
habillée en civil (le vêtement civil représentant le côté clandestin de la
police, l’uniforme son côté public), ce sont eux qui ont constitué les
escadrons de la mort, qui ont assassiné en toute impunité et mis le feu à
certains bâtiments publics ou autres au cours de l’opération du 25
novembre dite "opération Hierro" ; la tâche de mettre un terme à la
violence en faisant usage d’une terreur légitime, après la mise en scène
du dialogue et du droit, revenait au ministre de l’Intérieur du
gouvernement fédéral, avec l’aide de la Police fédérale préventive, en
uniforme cette fois-ci. L’Etat Janus, emporté par son élan et la facilité
avec laquelle il a pu mettre en place sa stratégie, nous a offert un
dernier spectacle avec une mise en scène grandiose, celui du glaive de la
justice impartiale à l’œuvre : à quatre heure dans l’après-midi, sous
l’œil des caméras de la télévision convoquée pour la circonstance, la
Police fédérale préventive sur son quarante et un, aidée par l’armée
(voyez du peu !) a fait une descente dans l’antre des paramilitaires (de
la police ministérielle) ; à cette heure-là, il n’y a plus personne, elle
a pu tout de même mettre la main sur quatre pelés, qu’elle s’est empressée
de libérer deux jours plus tard quand les caméras n’étaient plus là ; la
perquisition, nous dit-on, a duré deux heures, elle a passé au crible les
voitures volées, dont se servent les paramilitaires pour leur opérations
meurtrières, et elle a emporté les quelques armes qu’elle a trouvées sur
place pour les analyser. L’Etat metteur en scène a peut-être été un peu
trop loin cette fois-ci ; en tout cas, à Oaxaca, tout le monde en rit
encore.

Oaxaca, le 11 décembre 2006.

George
Paria
   Posté le 15-12-2006 à 23:56:59   

DÉCLARATION DE DÉCEMBRE DE L’ASSEMBLÉE POPULAIRE DES PEUPLES DE L’OAXACA

AUX PEUPLES D’OAXACA, AUX PEUPLES DU MEXIQUE, AUX PEUPLES DU MONDE,

Aujourd’hui, après plus de deux cents jours, cela fait plus de six mois
que le peuple d’Oaxaca lutte en permanence dans la rue, essuyant le feu
ennemi des assassins et des voleurs menés par URO*, d’un côté, et par le
Yunque et Fox-Fécal**, de l’autre. Leur Sainte Alliance s’est abattue de
toutes ses forces sur le peuple de l’Oaxaca. Les six mois écoulés ont été
très durs pour notre peuple, qui l’a payé de son sang : il y a des
dizaines de personnes disparues, des centaines de prisonniers politiques
et des centaines, si ce n’est des milliers, de personnes mutilées et
blessées ; et ce sont d’innombrables familles, les plus pauvres, les plus
marginalisées et les plus vulnérables, qui font les frais de cette grande
lutte. Cette courte période a suffi à condamner toute une histoire de
lutte des peuples de l’Oaxaca, du Mexique et du monde.

Après les défaites que nous avons fait subir à URO, à sa police, à ses
escadrons de la mort, à ses "porros" (groupes de provocateurs d’extrême
droite) et à ses policiers, et par la suite à la PFP, notamment lors des
affrontements sur le pont Valerio Trujano et à l’Institut de technologie,
le 20 octobre, et pendant la bataille de la Toussaint, aux abords de la
cité universitaire, le 2 novembre, l’État n’a cessé de chercher à frapper
notre mouvement, à l’anéantir. Mais l’ampleur de la solidarité au Mexique
et sur le plan international a momentanément permis d’empêcher que
l’Assemblée populaire des peuples de l’Oaxaca (APPO) et que le peuple de
l’Oaxaca ne soient victimes d’une agression à plus grande échelle.
Cependant, à la mi-novembre, après l’écran de fumée qui a été levé autour
de la mort du journaliste Will Bradley Rolland, l’État a déclenché une
répression d’une violence et d’une intensité jamais vues auparavant dans
l’Oaxaca, montrant de quoi il était capable le 20 novembre, et plus encore
le 25 novembre dernier.

La bataille du 25 novembre fut empreinte de douleur pour notre peuple car
même si l’arrivée de la PFP à Oaxaca s’était immédiatement accompagnée
d’arrestations, d’incarcérations, de tortures et de disparitions, tous nos
compañeros se voyant agressés, ce jour-là on a pu voir dans toute son
horreur le plan du gouvernement pour écraser l’ensemble de notre
mouvement. Après nous avoir poursuivis toute la nuit et avoir assassiné
plusieurs de nos compañeros, sans que nous ayons retrouvé leurs cadavres à
ce jour, les forces gouvernementales ont emprisonné des centaines de nos
compañeros. Et le 26 novembre, le jour s’est levé sur une ville
entièrement occupée par l’armée vêtue de gris, par les porros, par les
tueurs à gages et par tous les policiers au service d’Ulises Ruiz Ortiz.
Un véritable état d’exception, le moindre quartier et la moindre rue étant
surveillés par nos bourreaux, et depuis, les habitants des quartiers
pauvres, les femmes au foyer en général et les travailleurs de notre ville
n’ont pas pu circuler librement dans les rues d’Oaxaca, sous peine d’être
arrêtés et poursuivis pour avoir commis le seul délit dont tous les
habitants de l’Oaxaca se sont rendus coupables : LA LUTTE POUR UN OAXACA
LIBRE, DIGNE ET DÉMOCRATIQUE.

L’état d’exception instauré dans l’Oaxaca est l’un des plus féroces que
l’humanité ait jamais connus. Non seulement nous sommes surveillés et
persécutés par les agents en tenue, mais nous devons aussi affronter les
paramilitaires, les "porros", les tueurs et les membres du PRI de nos
différents quartiers, cités et communautés. Mais rien de tout cela ne
parviendra à faire plier l’indomptable volonté de l’héroïque peuple
d’Oaxaca.

AUX FAMILLES DE NOS COMPAÑEROS EMPRISONNÉS OU DISPARUS,

Frères et sœurs, le sang de nos compañeros Andrés Santiago Cruz, Pedro
Martínez Martínez, Octavio Martínez Martínez, Marcos García Tapia, José
Jiménez Colmenares, Lorenzo Sampablo Salazar, Arcadio Fabián Hernández
Santiago, des professeurs Pánfilo Hernández Vázquez et Emilio Alonso
Fabián, et bien d’autres dont nous n’avons pas de nouvelles, a été versé,
ils ont donné leur vie et ont baigné de leur sang cette terre qu’il nous
incombe à tous de transformer en une terre juste, à l’image de celle dont
ils ont tous rêvé, libérée de la pauvreté, de la marginalisation,
affranchie du joug de l’oppression et de l’exploitation.

Vous tous qui ignorez encore tout comme nous le destin de vos parents, de
ceux que nous avons déclarés disparus politiques, sachez que c’est Ulises
Ruiz et son gang de malfaiteurs qui est responsable de la disparition de
nos compañeros. L’État tout entier est responsable de ce qui a pu leur
arriver, c’est pourquoi notre lutte ne peut s’achever, les coupables de
ces disparitions doivent être châtiés et tous les disparus doivent être
présentés vivants.

Nous savons que dans des centaines de foyers dans l’Oaxaca, on ressent
indignation, tristesse et honte, parce que plusieurs centaines de nos
frères, de nos mères, de nos pères et de nos enfants ont été jetés en
prison. Parce que beaucoup d’entre eux ont été sauvagement torturés. Parce
qu’on les a emportés dans des terres lointaines comme au Nayarit, à
Matamoros, au Tamaulipas ou dans l’État de Mexico, et qu’on les a traités
comme les bandits les plus dangereux. Nous, nous savons qu’il n’en est
rien et qu’en tout cas, ceux qui devraient garnir les prisons, ce sont
ceux qui voudraient aujourd’hui nous gouverner, eux qui ont violé toutes
les libertés individuelles garanties par la Constitution, tous les droits
élémentaires dont jouit tout être humain, et qui ont accaparé toutes les
ressources économiques, naturelles et culturelles du peuple. Ulises Ruiz
Ortiz et son gang, les patrons qui le soutiennent, le Yunque et le
gouvernement fédéral, ils ont tous commis DES CRIMES DE LÈSE-HUMANITÉ.
C’est eux qui devraient remplir les geôles. Nos compañeros doivent
recouvrer la liberté et tant que nous n’obtiendrons pas leur libération,
leurs familles et le peuple de l’Oaxaca, ensemble, doivent continuer le
combat.

AUX MEMBRES DE L’ASSEMBLÉE POPULAIRE DES PEUPLES DE L'OAXACA ET AU PEUPLE
DE L’OAXACA,

Dès le 20 juin dernier, entamant la construction de ce grand instrument de
lutte et d’insurrection, en vue de l’instauration du pouvoir populaire
dans ce petit morceau de notre patrie, nous nous sommes engagés à mener la
lutte jusqu’au bout, ce que nous avons ratifié lors du grand congrès
constitutif de notre Assemblée, qui s’est tenu les 10, 11, 12, 13 et 14
novembre 2006, et plus encore pendant toute cette période si brève où nous
avons tous pu voir grandir de manière extraordinaire nos forces. Nous
avons étendu nos tentacules dans plusieurs endroits au Mexique et dans le
monde, répandant aux quatre vents la nouvelle que la lutte que mène ce
peuple qui est le nôtre ne se fait pas seulement pour obtenir la chute
d’un tyran, mais que nous sommes convaincus que là où roulera la tête
d’Ulises Ruiz Ortiz et là où tombera son cadavre, il nous appartient de
construire cette nouvelle société que nous voulons, sans exploités ni
opprimés, et que pour y parvenir, il faut une profonde transformation de
l’économie, des institutions politiques de notre État et de nouvelles
lois. Bref, nous avons besoin d’une nouvelle assemblée constituante qui
dicte une nouvelle Constitution, pour pouvoir construire un État d’Oaxaca
véritablement libre et souverain.

PEUPLE DE L’OAXACA, le tyran n’a pas encore été renversé et nous sommes
encore très loin d’avoir pu construire un État d’Oaxaca véritablement
libre et souverain, mais que rien ni personne ne fasse plier notre
volonté, rien ni personne ne va nous enlever le droit légitime de choisir
notre propre destin. De grandes tâches nous attendent, nous devons
continuer à consolider l’APPO en tant que seule organisation qui puisse
nous aider à réaliser les aspirations les plus pures et les plus justes
des oaxaquiens. Consolider l’APPO dans chaque quartier, chaque cité et
chaque communauté continue d’être une des tâches les plus importantes pour
atteindre ce but. Renforcer l’APPO signifie qu’il nous faut améliorer
notre organisation à tous les niveaux, prendre soin et protéger les
meilleurs cadres que nous ait donnés l’Oaxaca. Ils se comptent par
milliers aujourd’hui et ils ont démontré une authentique capacité et
détermination. Assurer leur sécurité à tous, c’est garantir la poursuite
de notre lutte. À l’heure où le fascisme veut s’imposer coûte que coûte
sur nos terres, une totale unité est plus que jamais nécessaire au sein de
l’APPO. Nous devons resserrer les rangs face à l’État qui cherche à nous
diviser pour nous frapper plus fort, chose qu’il faut empêcher à tout
prix. Nous devons au contraire mobiliser toutes nos forces contre les
bourreaux de notre peuple, luttons contre eux sans trêve, faisons de
l’APPO un seul homme pour la rendre plus forte, ce n’est qu’ainsi que nous
parviendrons jusqu’au bout.

AUX PEUPLES DU MEXIQUE ET DU MONDE,

Dans le monde entier, les capitalistes assistent à la décomposition de
leur système, car chaque jour la crise du capital est plus aiguë et pour
survivre, ils en sont réduits à déclencher des guerres de pillage, comme
ils l’ont fait en Irak, en Afghanistan, en Palestine et au Liban. Une fois
encore, les grands empires veulent une nouvelle répartition du monde.
L’impérialisme, en tant que système qui a servi à l’enrichissement d’un
petit nombre de maîtres de l’argent et du pouvoir et à sucer le sang et la
sueur de millions de pauvres dans le monde entier, s’épuise. Au Mexique
aussi, dans le cadre de cette crise généralisée, ceux qui pensaient
pouvoir régner longtemps encore en maîtres absolus sur notre pays voient
aujourd’hui fondre entre leurs mains toute l’histoire du capital au
Mexique, ses institutions, ses lois, le contrôle désormais impossible
qu’il exerce sur la vie économique, sociale et culturelle, et ils font
tout ce qu’ils peuvent pour se maintenir au pouvoir, violant partout les
lois de la Constitution, employant sans retenue toute la force de leur
armée et de leur police pour résoudre les problèmes politiques et sociaux,
jetant en prison tous les opposants, violant les droits humains les plus
élémentaires. À peine parvenu au pouvoir, Felipe Calderón a montré les
crocs avec lesquels il pense gouverner le pays, à la manière de l’extrême
droite la plus réactionnaire, comme le Yunque, au lieu de chercher à
résoudre véritablement la misère, la famine et la marginalisation dont
souffrent des millions de Mexicains. Mais non, la première chose qu’il a
faite, c’est de réduire les dépenses des services de santé et d’éducation
et toutes les autres dépenses sociales, pour augmenter la solde des
militaires.

PEUPLE DU MEXIQUE, devant une telle situation, si le système impérialiste
cesse de fonctionner pour les puissants de ce pays, cela signifie que le
moment est venu pour les millions de travailleurs de la campagne et de la
ville de construire le Mexique d’en bas. Pour y parvenir, nous devons
joindre tous nos efforts d’unité et de lutte en un FRONT UNIQUE contre le
capitalisme et l’extrême droite, remplacer les anciennes lois par de
nouvelles lois véritablement au service du peuple mexicain. C’est pourquoi
la création d’une NOUVELLE ASSEMBLÉE CONSTITUANTE en vue d’élaborer une
NOUVELLE CONSTITUTION est une des tâches les plus urgentes pour l’ensemble
des Mexicains. Le peuple de l’Oaxaca et l’Assemblée populaire des peuples
de l'Oaxaca vous appellent donc très humblement et fraternellement à
avancer tous ensemble sur cette voie. Le moment décisif approche, les
heures, les jours décisifs. C’est notre tour, c’est au tour de tous les
travailleurs des campagnes et des villes. CONSTRUISONS DES ASSEMBLÉES
POPULAIRES DANS CHACUN DES ÉTATS DE LA RÉPUBLIQUE, CONSTRUISONS
L’ASSEMBLÉE NATIONALE DES PEUPLES DU MEXIQUE.

PEUPLES DU MONDE, nous voulons que vous sachiez aussi que la lutte que
nous menons dans ce petit morceau de notre planète qui s’appelle Oaxaca
est votre lutte aussi, comme le sont celles de nombreux autres peuples au
Moyen-Orient, en Europe, en Amérique latine, comme le sont celles des
émigrants aux USA et de bien d’autres encore. C’est pourquoi, aujourd’hui
plus que jamais, il est nécessaire de resserrer les liens d’unité et de
solidarité entre nos luttes. Avec votre aide à tous, nous allons stopper
la répression et le fascisme que l’on veut imposer à Oaxaca et au Mexique.
Nous vous demandons de continuer les mobilisations de solidarité avec les
peuples de l’Oaxaca dans le monde entier, il n’y a que de cette manière
que l’on réussira à briser le siège de l’extrême droite et du fascisme.

À TOUS LES INTELLECTUELS, TOUS LES ARTISTES, TOUS LES MEMBRES ÉMINENTS DE
LA COMMUNAUTÉ SCIENTIFIQUE ET AUTRES, TOUTES LES ONG,

Nous vous appelons à poursuivre et à multiplier vos actions pour divulguer
les graves violations des droits élémentaires des personnes dont est
victime notre peuple et en particulier la situation de nos prisonniers et
de nos disparus. Pour le peuple de l’Oaxaca, vous avez joué un rôle
crucial pour briser le blocus de l’information avec lequel l’État voudrait
occulter la situation dans l’Oaxaca. Nous vous demandons d’aller voir nos
prisonniers et de dénoncer la disparition de beaucoup de nos frères
oaxaquiens.

Nous lançons un salut combatif aux actions qui ont été appelées pour le 22
décembre prochain par l’Armée zapatiste de libération nationale dans le
cadre de l’anniversaire du massacre perpétré contre nos frères à Actéal,
au Chiapas, et nous appelons à multiplier ces actions de solidarité avec
les peuples de l’Oaxaca.

POUR UN ÉTAT D’OAXACA VÉRITABLEMENT LIBRE ET SOUVERAIN ! LE FASCISME NE
PASSERA PAS DANS L’OAXACA ! VIVE LE PEUPLE DE L’OAXACA !

TOUT LE POUVOIR AU PEUPLE !

ASSEMBLÉE POPULAIRE DES PEUPLES DE L’OAXACA.
Décembre 2006, ville de la Résistance Oaxaca de Juárez Oaxaca.

Traduit par Angel Caido.

http://www.asambleapopulardeoaxaca.com/boletines/
Paria
   Posté le 18-12-2006 à 21:22:17   

Salutation à vous toutes et à vous tous,

Tout d’abord, un petit mot rapide pour apporter une correction importante
à mon courrier précédent : le Comité du 25 de Noviembre ne fait pas de
distinction entre les prisonniers qui auraient ou non commis des actes de
vandalisme ou auraient ou non agressé les flics de la PFP, comme je
l’affirmais. A ma décharge, je dois dire que je n’ai fait que rapporter
les propos inconsidérés d’un des membres du Comité qui l'assurait à "La
Jornada". Après vérification auprès des intéressés, il est important et
urgent d’apporter cette rectification.

Hier (lundi), nous sommes allés rendre visite aux instituteurs du CMPIO
qui ont neuf des leurs enfermés à Nayarit. Il y avait là présentes
quelques familles des détenus qui revenaient justement de Nayarit après
avoir pu enfin visiter les membres de leurs parentés embastillés. Elles
nous ont relaté comment elles ont décidé de faire ce voyage de dix-huit
heures qui leur a coûté 800 pesos dès qu’elles ont appris que leurs
proches avaient été transférés, elles nous ont raconté les jours
d’attente, l’angoisse, la difficulté d’obtenir ce droit de visite*, la
nécessité de frais supplémentaires (puisque les autorités pénitentiaires
exigent que les visiteurs soient habillés de vêtements de couleurs
spécifiques qui ne se confondent pas avec les uniformes des prisonniers),
l’humiliation des fouilles (neuf au total) tout au long du processus pour
s’approcher du parloir, les photos de face, de profil et de dos, les
machines où l’on présente ses mains qui sont censées détecter des traces
de drogue (l’épouse d’un des détenus s’est fait recaler à ce stade, la
machine ayant décelée des traces d’héroïne et de cocaïne). Finalement,
après avoir poireauter trois heures à l’entrée du centre pénitentiaire
puis encore trois autres heures à se prêter aux singeries et aux vexations
de l’administration, en fin de journée, certaines d’entre elles ont pu
avoir ce premier contact tant attendu (depuis leur arrestation le 25
novembre) avec leur parent. A travers une vitre, avec un maton derrière le
visiteur et un autre derrière le prisonnier ils ont pu ainsi discuter une
demi-heure et pas une minute de plus. Les cheveux ras (hommes comme
femmes) et leurs corps portant encore les stigmates des coups reçus, ils
ont raconté les conditions dans lesquelles ils ont été appréhendés, leur
transfert jusqu'à Nayarit et les conditions de détention dans ce centre de
moyenne sécurité.

Les prisonniers, depuis leur arrivée, sont sous surveillance vingt-quatre
heures sur vingt-quatre afin de déterminer leur degré de dangerosité (ce
qui durera au moins un mois et demi). A trois par cellule pour les hommes,
à deux ou seule pour les femmes, il leur est interdit de converser entre
eux (la nuit, quand la surveillance se relâche quelque peu, ils murmurent
pour communiquer), ils n’ont pas le droit d’avoir d’objets personnels, ni
livre, ni revue, ni papier, ni crayon...

Le père de Yenny Aracely Sanchez (dix-neuf ans, promotrice d’éducation
indigène) nous a rapporté que sa fille a été serrée ainsi que quatre de
ses compagnons le 25 novembre vers 20 heures par des éléments de la PFP
alors qu’ils étaient en train d’attendre un de leurs amis à une station de
bus en dehors du centre-ville. Tabassée et menacée d’être violée, elle a
été conduite à la prison de Mihuatlan, de là, le lendemain, elle a pu
prévenir sa famille de sa détention avant d’être transférée le lundi à
Nayarit. Durant le transfert en hélicoptère, les détenus ont été menacés
d’être balancés dans le vide. Elle porte encore les marques des coups de
matraque sur les bras et sur les jambes.

L’épouse de Joel Zaraga Carrera (trente-deux ans, père de cinq enfants,
instituteur du CMPIO) nous a raconté que son mari a été arrêté dans le
centre-ville le 25 novembre. Il a été sauvagement matraqué et tabassé bien
plus que d’autres, car il s’est montré "bravo" (vaillant) face aux cognes,
insulté et menacé. Il a révélé que c’est le pire de ce qu’íl a vécu
jusqu'à présent. Détenu à Tlacolula avant d’être transféré le lundi avec
les autres à Nayarit. Il est resté sans soin et exhibe sur tout le corps
les traces des coups reçus. Sa femme est inquiète car il est déprimé et
désespéré.

La compagne de Fortunato Morales (trente-trois ans, père de famille,
instituteur du CMPIO) nous a exposé que son mari a été appréhendé le 25
novembre dans le centre-ville alors qu’il portait secours à son frère.
Aveuglé par le gaz lacrymogène, il s’est fait tabasser tandis qu’il
cherchait à se protéger des brutalités policières. Il présente des marques
de coups sur toutes les parties du corps et une profonde plaie sur le côté
droit du crâne. Détenu à Tlacolula dans un premier temps, il a été
transféré le lundi, les yeux bandés, jusqu’à Nayarit.

La conjointe d'Eloy Morales Pastelia (vingt-sept ans, instituteur du CMPIO
et frère de Fortunato) nous a narré l’arrestation de son époux le 25
novembre alors que celui-ci était à terre, atteint par une grenade
lacrymogène. Brutalement frappé et matraqué par la PFP, il a été conduit à
Tlacolula puis à Nayarit le lundi. Comme les autres, il montre des
ecchymoses sur tout le corps. Blessé à l’œil et au genou, il est resté
sans soin durant tout ce temps. En prison, les deux frères n’ont pas de
contact entre eux.

Le père de Rosalba Aguilar Sanchez (vingt ans, institutrice du CMPIO) nous
a affirmé que sa fille a été appréhendée vers 20 heures en dehors du
centre-ville le 25 novembre, puis transférée à Nayarit. Elle dévoile des
contusions et une blessure à la tête.

Il faut savoir que, parmi les familles qui ont fait le déplacement à
Nayarit, toutes n’ont pas pu visiter leur parent. Les plus atteints
physiquement par la répression restent au secret. A Nayarit, le "planton"
de protestation composé des familles des détenus devient de plus en plus
important et compte maintenant une centaine de personnes.

En compagnie des familles, nous sommes allés rencontrer l’avocat qui
s’occupe de la défense des maîtres indigènes détenus. Celui-ci a fait le
voyage jusqu'à Nayarit pour rencontrer ses clients, mais les autorités
pénitentiaires lui ont refusé l’accès. Il nous a exposé ses deux
stratégies d’actions pour obtenir la libération des prisonniers, la
juridiction de droit commun ou la juridiction de droit fédéral. Dans le
premier cas, le "fuero comùn", il mettrait en évidence l’absence de preuve
et de témoin pour parvenir à l’appellation et ainsi obtenir la libération
des détenus. Dans le second cas, le "fuero federal", il mettrait en
évidence la violation des droits humains pour obtenir la libération. Le
premier cas présente l’avantage d’être la voie la plus rapide pour obtenir
la libération mais un gros désavantage puisqu’il impliquerait une
négociation avec le gouvernement d’Ulises Ruiz, donc une reconnaissance de
l’autorité du tyran. Le second cas, la voie la plus longue (plus ou moins
un mois et demi), présenterait l’avantage de mettre en évidence les
irrégularités du processus juridique et en même temps d’apporter la preuve
et de dénoncer les violations des garanties individuelles et des droits
humains.

Dans le post-scriptum, je vous transmets deux numéros de compte.
A bientôt,

M., Oaxaca, le 12 décembre 2006.

PS : Si vous voulez soutenir en contribuant financièrement les familles
des détenus, je communique deux numéros de compte :

Pour le CMPIO : au nom de Maximo Morales Gonzàlez ou Beatriz Gutiérrez
Luis
Calle Paraiso #723 Colonia del Bosque, Santa Lucia del Camino
CP 68000 Oaxaca
numéro de compte : 60-52322008-3
numéro de SWIFT : ?
Banque : Santander Serfin 5358 Sucursal Abastos Oaxaca
Calzada Fco. I. Madero # 539 colonia Centro Oaxaca CP: 68000
(il manque le numéro de SWIFT qui vous sera prochainement communiqué)

Pour le Comité de familles de détenus et de disparus d'Oaxaca (COFADAPPO) :
au nom de Deysi Santiago Hernàndez, numéro de compte : 120-7895381,
numéro de SWIF : BNMXMXMM
Banque : Sucursal 120 de Banamex
Calle Hidalgo # 821 Colonia Centro CP 68000 Oaxaca

* Pour obtenir le droit de visite, les familles doivent fournir : l’acte
de naissance original du détenu et deux copies simples ; l’acte de
naissance original du visiteur et deux copies certifiées auprès d’un
notaire ; l’acte de mariage original et deux copie certifiées devant
notaire ; en cas de concubinage, il est nécessaire de présenter la preuve
de concubinage d’un juge de famille ; une preuve de domiciliation (une
facture récente) qui coïncide avec le domicile de la carte d’électeur et
qu’elle soit au nom de la personne qui fait la demande du droit de visite.
Dans le cas contraire, il faut annexer la preuve de l’identité du
titulaire, ou la preuve de résidence original et deux copies simples ; une
pièce d’identité avec photo en cours de validité et deux copies simples ;
trois lettres de références personnelles qui ne soient pas de la même
famille ni de ses chefs de travail, qui signalent le nom de la personne,
son domicile, son téléphone, son travail, et depuis combien de temps ils
se connaissent, originales avec ses deux copies ; et trois photo
d’identité de taille infantile en couleur et sur fond blanc... Voila c’est
tout, c’est pas simple mais c’est original...
Paria
   Posté le 20-12-2006 à 14:34:37   

LA BATAILLE D'OAXACA

Suspense à la chambre des députés ce 1er décembre. Dans l'imposant
hémicycle du Parlement règne un tohu-bohu incontrôlable. Sous les deux
drapeaux géants vert-blanc-rouge qui servent de toile de fond, au milieu
des braillements, des slogans rageurs ou patriotiques, les députés du PRD,
la gauche, et du PAN, la droite au pouvoir, sont agrippés à la tribune,
qui a servi de ring, de dortoir et de cantine depuis trois jours. Ils ont
mangé sur place, dormi sur les velours et les boiseries et, à plusieurs
reprises, fait le coup de poing, ni les uns ni les autres ne voulant
abandonner leurs positions stratégiques dans le grand salon des séances
plénières. A 8 heures du matin, le pugilat reprend. Ceux de la gauche
tentent de bloquer toutes les portes avec leurs chaises curules pour
empêcher d'entrer Felipe Calderón, le nouveau président, et Vicente Fox,
le président sortant, qui doit lui transmettre aujourd'hui les insignes du
pouvoir. Jamais Calderón ne prêtera serment, le PRD l'a juré, jamais il ne
sera intronisé devant le Congrès à la date solennelle fixée par le
calendrier institutionnel.

Début juillet, lorsque Felipe Calderón a été déclaré vainqueur des
élections avec un avantage de 1,4 %, plus d'un million de partisans
d’Andrés Manuel López Obrador, le candidat du PRD, sont descendus dans la
rue pour protester contre un résultat qu'ils estiment frauduleux. Tout
l'été, ils ont multiplié les manifestations, exigeant, en vain, le
recompte des voix. Pendant un mois et demi, ils ont occupé l'avenue
Reforma, la principale artère de la capitale, qu'ils ont transformée en un
immense campement. Le 1er septembre, ils ont empêché le président Fox
de faire son rapport d'activité devant le Congrès. Comblant chaque fois le
Zocalo, la grand-place de Mexico, ils l'ont éclipsé de deux fêtes
nationales : celle de l'Indépendance, le 16 septembre, où il a dû se
contenter d'une maigre célébration en province, et celle de la Révolution,
le 20 novembre, où ils ont proclamé López Obrador "président légitime".
Ce 1er décembre, López Obrador harangue la foule qui remplit le Zocalo,
une nouvelle fois. Et une nouvelle fois, pas une image de cette
mobilisation à la télévision. Aucune chaîne ne remarque ces cent mille
manifestants qui remontent maintenant l'avenue Reforma.

Pour plus de sûreté, les autorités ont interdit aux hélicoptères des
médias de décoller, prohibant ainsi toute vision d'ensemble. En prévision
des troubles, l'état-major présidentiel a bloqué les grands axes où
doivent se déplacer les convois, encerclé les points névralgiques de
l'opération transition et restreint l'accès à plusieurs zones de la
capitale.

Tout autour de l'immense palais du Congrès et du quartier avoisinant ont
été fixés au sol des kilomètres de rambarde d'acier de trois mètres de
haut, gardées par des cordons de forces de l'ordre de toutes les
corporations.

Autre périmètre interdit, une triple barrière policière entrave l'avenue
Reforma et une garnison fait la haie autour du parc du parc de
Chapultepec, où doit se dérouler une partie des célébrations. Des postes
de contrôle assurent la stricte étanchéité du dispositif. Le déploiement
logistique traverse toute la géographie urbaine. Coupée en deux moitiés
protégées l'une de l'autre, la ville schizophrène doute de qui croire : la
douce musique de la télé ou la rumeur amère de la rue. Le Parlement est
juste sur la frontière, unique point de contact de deux univers
imperméables, étape obligatoire de la passation du pouvoir, dixit la
Constitution, où le rite doit s'accomplir ponctuellement.

9 h 30, toutes les télés s'arrêtent, toutes les radios se taisent pour
faire place à la parole unique : le Centre de production des programmes
spéciaux de la Présidence prend le relais et monopolise la transmission,
ne
laissant filtrer aucune autre image.

Un couple de présentateurs bien peignés se félicitent du calme régnant et
du bon fonctionnement de la démocratie. Pendant ce temps, le prochain chef
de l’État, un petit chauve à lunettes, s’est glissé par la porte de
derrière les drapeaux jusqu'à la tribune bondée. Au moment exact, il
apparaît sur les écrans, en plan serré, toute turbulence hors cadre. Il
dit ses trois phrases dans le micro sacré, jure de respecter et faire
appliquer la Constitution dans un presque silence où les huées et
sifflets, baissés au mixage, se sont amenuisés jusqu'à n'être plus qu'un
murmure qu'on pourrait croire d'approbation. Fox, apparu entre deux
épaules, lui remet plus ou moins solennellement l'insigne de sa fonction,
et Calderón enfile l'écharpe tricolore encore chaude de son prédécesseur.
Le président de séance envoie l'hymne en vitesse, et tous deux
disparaissent par où ils sont apparus un instant plus tôt, fin de
transmission. Cérémonie express, la passation est expédiée en 3 minutes 45
secondes. Big Brother rend l'antenne. Son forfait commis, la caméra
s'enfuit de ce grand salon qui sent la sueur et les cris vers les beaux
quartiers pour la suite du programme : close-up au téléobjectif de gens
frais rasés entre visages nets de gardes empanachés. Loin du centre
houleux, sous les frondaisons du parc de Chapultepec, on a commencé à
filtrer les entrées à l'Auditorium national, la moderne salle de spectacle
que le nouvel intronisé a réservée pour adresser son message à la nation.


Très loin de là, à Oaxaca, les brigades d'intervention spéciale
patrouillent dans les rues, ratissent les quartiers rebelles, s'emparent
des passants suspects, effectuent des arrestations en sourdine, sans
mandat, rompant les portes et les meubles des domiciles des "agitateurs",
torturent les détenus et les font monter dans des hélicoptères d'où ils
menacent de les jeter en plein vol, tandis que les bataillons de gendarmes
qui occupent le centre-ville tentent d'effacer toute trace de six mois de
lutte.

Le 22 mai dernier, dans cet État gouverné le Parti révolutionnaire
institutionnel depuis 1929, les 70 000 maîtres d’école se mettent en grève
pour exiger un réajustement de leurs salaires. Venus des banlieues et des
villages, de la sierra et de la côte pacifique, vingt mille instituteurs
et institutrices, nombre d'entre elles avec des enfants en bas âge,
portant leurs couvertures, marmites et braseros, campent autour du palais
du gouvernement et de la cathédrale et organisent ce qu'on appelle au
Mexique un planton, c'est-à-dire un forum permanent de pression,
d'exposition de leurs revendications.

Le 14 juin à l'aube, le gouverneur du PRI, Ulises Ruiz, envoie 2 000
policiers évacuer le campement manu militari. Réveillés en sursaut à coups
de matraque, les instits et leurs familles se réfugient dans les
établissements scolaires. Les hélicoptères entrent en action et les
bombardent de grenades lacrymogènes. Dans les cours d'école, la situation
devient insoutenable. On dénombre une soixantaine de blessés. Pourtant,
les grévistes se regroupent et à 10 heures du matin, forts de leur nombre
et de l'appui des habitants, réoccupent le centre-ville.

L'action du gouverneur Ruiz a déclenché contre lui beaucoup plus de forces
que celles qu'il comptait réprimer. En plus du planton, de ces profs en
grève qui jour et nuit font de l'agitation autour de leur cause, il a sur
les bras, à partir de ce 14 juin, un soulèvement social, pacifique mais
virulent, qui exige sa démission et dénonce une multitude d'abus des
autorités. Ce qui était une grève corporatiste soutenue par la population
est devenu une contestation généralisée.

Trois jours après se cristallise l'Assemblée populaire des peuples
d'Oaxaca. "Des peuples", au pluriel. Il ne s'agit pas du peuple, la
référence fondatrice des idéologies socialistes européennes, mais des
peuples, de toutes sortes de peuples différents. L'APPO agglutine des
syndicats professionnels, organisations autonomes, associations
culturelles, groupements paysans, coopératives, communautés de villages,
porte-parole des seize peuples indiens qui habitent l'État d'Oaxaca.
Dans un même forum se retrouvent les formations qui représentent ces
diverses cultures, ces diverses appartenances qu'on appelle des
"minorités", des groupes politiques nés de luttes antérieures, héritiers
de décennies de combats et de répression, mais aussi une masse
d'inorganisés sans emploi, marginaux, habitants de hameaux isolés,
prostituées, artistes contestataires, mères de famille, punks,
instituteurs, travailleurs migrants, étudiants et autres tribus, le réseau
dense des micro-sociétés qui couvre l'espace rural et urbain.
Pendant cinq mois, elle tient la ville d'Oaxaca, et son action s'étend
aussi à beaucoup de bourgs et de campagnes. Les écoles sont fermées, les
instances de l'État sont paralysées ; elle occupe les institutions, le
siège des pouvoirs et des administrations, envahit des mairies. Le 17
juillet, elle bloque les hôtels et empêche la réalisation de la
Guelaguetza, l'ancienne fête indienne de la prodigalité et des récoltes,
que les autorités ont converti en festival touristique payant, et qu'elle
célèbre à la manière traditionnelle sur les places publiques.
Le gouverneur ne laisse pas aux rebelles de l'APPO le temps de pousser
plus avant cette expérience de la liberté, de conquête d'espaces nouveaux.
Très vite il les harcèle ; par les attaques des médias à ses ordres, par
les exactions de ses hommes de main, il les pousse à la guerre, à
l'activité obsédante de la résistance.

Le 1er août, plusieurs milliers de femmes envahissent les studios pour
faire taire la station Radio La Ley (la loi) et la chaîne 9, la télévision
locale où les actualités sont jour après jour un long reportage sur les
réalisations du gouverneur Ulises Ruiz et un constant dénigrement de leur
cause. Tapant sur des casseroles, elles obstruent la transmission puis se
mettent à donner les nouvelles au micro, à présenter leurs luttes, à
dénoncer les injustices, à convoquer des mobilisations, à passer des
vidéos sur d'autres mouvements.

Deux jours plus tard apparaissent des commandos en 4×4 noirs sans plaque
qu'on appellera les "convois de la mort" ; la nuit, ils mitraillent à la
kalachnikov les locaux de télé occupés. Dans les jours qui suivent, trois
membres d'organisations indiennes sont exécutés. Puis trois instituteurs
sont enlevés par la police et torturés. Le lendemain, au milieu d'une
marche pacifique pour leur libération, un manifestant est tué par des
agents en civil embusqués.

Le 20 août, un contingent armé tente de récupérer radio La Ley et tue un
des occupants. Le 21 août, un groupe paramilitaire expulse les femmes de
la télévision ; l'APPO s'empare de douze stations de radios. Pour bloquer
les convois de la mort, le mouvement décide de construire des obstacles, de
dresser des barricades. Mais les agressions et les raids se multiplient.
Les gens qui veillent sur les barricades sont à leur tour la cible des
assassins. Le 27 octobre, quatre personnes sont tuées par balles dont un
journaliste américain, Bradley Will, qui travaillait pour le réseau
d'information par Internet Indymedia.

Les morts sont dans le camp du mouvement et les tueurs dans celui du
gouverneur. Pourtant, ces meurtres, la télé les appelle des
"affrontements" et les speakers appellent à rétablir l'ordre, à "mettre
fin à la violence, de quelque bord qu'elle soit".

Le 30 octobre, le gouvernement de Fox envoie de Mexico les forces
fédérales. Les pistoleros insaisissables sont remplacés par les bataillons
casqués. Douze "tankettes", comme les dénomment les journaux, sinistres
blindés anti-émeutes bardés d'un chasse-neige à manifestants, hérissés de
caméras et de canons à eau qui crachent un liquide corrosif, ouvrent la
voie aux 6 500 gendarmes qui marchent sur la ville ; les hélicoptères
survolent leur progression.

La bataille d'Oaxaca, comme titre les journaux, dure toute la journée.
La population oppose une résistance opiniâtre. Un peu avant 3 heures,
encerclés par une foule qui agite des affiches manuscrites et les
invective, un premier contingent de 300 policiers doit se retirer du
zocalo. Le gros des troupes avance pourtant. Au soir, une manif de 15 000
personnes se rassemble dans le nord et progresse vers le centre, mais
évite l'affrontement.

La police finit par conquérir la place centrale. Parallèlement, elle
perquisitionne les maisons des militants de l'APPO. Les blessés et
disparus se chiffrent par dizaines. Un jeune infirmier est tué par
l'impact d'une grenade lacrymogène.

Le 2 novembre, le jour des morts au Mexique, les habitants des quartiers
ont transformé les barricades en autels dédiés aux victimes de la
répression et décoré le campement de l'APPO d'offrandes traditionnelles.
Ils disposent devant leurs portes des bassines d'eau vinaigrée, des
caisses de bouteilles de soda, des chiffons, des draps qu'ils déchirent,
des paquets de serviettes menstruelles humidifiées que les manifestants
utilisent en guise de masque à gaz. Certains, sur leurs terrasses,
éblouissent avec les miroirs les pilotes des hélicoptères qui effectuent
des vols rasants et tirent des grenades de gaz lacrymogène.

Une partie du mouvement s'est repliée à l'université pour protéger Radio
Universidad, la dernière radio de l'APPO. Les policiers ont pris la
barricade qui en défendait l'accès, sur le rond-point de Cinco Señores.
Ils ont bloqué toutes les rues qui y mènent et marchent sur les bâtiments
des facultés.

Face à eux, les étudiants, résolus, contre-attaquent à coups de pierres, de
cocktails Molotov, de pétards qu'ils lancent à l'aide de sarbacanes, des
tuyaux en PVC que la télé appelle des bazookas. Les plus aventureux
renvoient les grenades lacrymogènes avec un gant ou un chiffon pour ne pas
se brûler. D'autres ont trouvé un truc, les arroser de Coca-Cola dès
qu'elles sont à terre : le liquide caramélise, les étouffe et les scelle
complètement. Les manifestants réussissent à immobiliser une "tankette" et
même à en prendre une autre, du moins à déloger ses occupants : bravant la
bête, un guerrier masqué grimpe sur la carlingue et bombe à la peinture la
meurtrière du pare-brise et l'œil de la caméra, aveuglant le monstre ;
d'autres l'aspergent d'essence et y mettent le feu. Les occupants
s'enfuient, abandonnent leur engin réduit à l’impuissance.

A ce moment, au milieu de la journée, de tous côtés, derrière les rangs de
la police, des manifestations descendent des hauteurs de la ville par les
rues qu'ils ont barrées. Prises à rebours, les forces de l'ordre, à court
de liquide pour leurs canons et de cartouches de gaz pour leur
lance-grenades, se retrouvent encerclées et doivent se replier au pas de
course. Professeurs de fac, ouvriers, vendeuses du marché, combattants aux
boucliers de bois peints aux couleurs de l'APPO et paysans maniant la
fronde, exultent : "Victoria !"

Le 20 novembre, les zapatistes bloquent les routes du Chiapas en
solidarité avec Oaxaca. Cette nuit-là, la police brûle le dernier
campement de l'APPO. L'ultime radio tenue par les rebelles est baillonnée.
Le 25 novembre, l'APPO décide d'encercler la police. Celle-ci attaque les
cortèges qui l'entourent. Postés sur les toits, les sbires du gouverneur
tirent sur les manifestants. Des cocktails Molotov sont lancés contre le
tribunal, le théâtre et un hôtel. Exactement ce qu'il fallait à la
télévision : Oaxaca en flammes !

A la nuit, la rafle commence, une vague de détentions visant à exécuter
les quelque 600 mandats d'arrêts lancés par la justice. Plus de deux cents
personnes sont détenues. Ceux qui échappent se cachent. Tandis que la
chasse continue, 141 prisonniers dont 3 mineurs et 36 femmes sont
transférés en hélicoptère au pénitencier de haute sécurité de l'État de
Nayarit, à 1 200 kilomètres de là, et soumis au régime réservé aux
délinquants très dangereux : sans contact avec leur famille, interdits de
visite des avocats, médecins, observateurs des droits de l'homme.

Ce 1er décembre, le journal annonce que les deux fonctionnaires municipaux
identifiés comme les meurtriers du journaliste Bradley Will ont été
libérés. La presse publie la photo du gouverneur Ulises Ruiz, parcourant
triomphalement les rues de sa capitale pour la première fois depuis six
mois, malgré les 17 morts qu'on lui impute.

A midi, alors que sur l'avenue Reforma les partisans de López Obrador se
dispersent dans l'amertume d'une vaine mobilisation, télé-présidence
reprend possession des ondes, interrompant le cours des émissions.
Le couple de présentateurs bien coiffés soulignent les ovations et
slogans : "La satisfaction est générale, le pays a su mener d'une façon
incontestable l'étape de la transmission des pouvoirs, moment historique
qui inaugure une nouvelle ère..."

"Sí se pudó!" (on a pu le faire !) scande une foule sage et réjouie, un
public choisi, nanti de 8 000 cartons d'invitation, que balayent les
caméras téléguidées suspendues au plafond du bâtiment comme dans les
matches de foot. A l'Auditorium national, le vrai show de la journée
commence. Monsieur Slim, le propriétaire de la compagnie de téléphone,
messieurs Salinas Pliego et Azcarraga, les patrons des deux télés
commerciales, sont là, parmi les grands hommes du business et de la
politique. Les seuls visages sombres sont les gardes du corps indiens aux
tempes rasées en complets cintrés répartis dans les travées, et une petite
délégation de représentants indigènes. Leurs chemises brodées et
sombreros, qui détonnent parmi les cravates et les étoles, accrochent un
instant le regard des caméras qui s'éloignent aussitôt car ils ne chantent
pas l'hymne assez visiblement.

Devant ce parterre trié sur le volet, ce Mexique sur mesure, opulent et
satisfait, Calderón, sur le podium tapissé de blanc étincelant, a
l'occasion de se montrer un vrai leader et lance des phrases comme : "Tous
les enfants qui naîtront à partir de ce 1er décembre 2006 auront la
sécurité sociale" ou "Je vais dès à présent baisser les salaires des hauts
fonctionnaires d'État et du président". Il ne dit pas de combien
(finalement ce sera de 10 %).

Sous le charme de l'orateur, le peuple des millionnaires, les militants du
capitalisme scandent, paraphrasant un slogan populaire (ça se voit, ça se
sent, le peuple est présent) :

"Ça se voit, ça se sent
Felipe président !"

De part et d'autre de son pupitre, les ministres qu'il vient de nommer
font étal de leurs mérites. Celui de la Santé a mené victorieusement la
croisade contre la légalisation de la pilule du jour d'après. Celui de
l'Intérieur, ex-gouverneur de Jalisco, s'est chargé de la violente
répression des manifs contre le sommet de Guadalajara en 2004. Celui de la
Justice, ancien chef des services secrets, s'est chargé personnellement de
coordonner et mener à bien la répression à Atenco et à Oaxaca.

L'armée défile ensuite devant le chef de l'État, son nouveau commandant en
chef, l'occasion du déploiement d'un drapeau sur un mât de 100 mètres de
haut, de 21 coups de canon, et de la promesse de Calderón que son plan
d'austérité n'affectera aucunement l'augmentation générale de salaire
qu'il prévoit d'octroyer aux forces armées (ce sera de 20 %).

"Le Mexique a un nouveau président ; beaucoup de choses vont se produire
pour que tu vives mieux", enchaîne un message exalté des services de
communication officiels sur des images d'un nouveau-né poussant son
premier cri, d'un paysan accueillant la pluie avec ferveur, de jeunes se
donnant l'accolade sur le chemin de l'école, de travailleurs à la tâche
enthousiastes.

A Oaxaca, ce 1er décembre aussi, malgré l'occupation policière et les
mandats d'arrêt, une manifestation vainc la peur et défile dans les rues
de la ville. Le mouvement continue, se réorganise dans les montagnes,
tisse des contacts avec d'autres États où des luttes semblables tentent de
se rejoindre.

Pendant six mois, ses participants ont résisté, confrontés à des appareils
répressifs de plus en plus puissants. Loin de l'idée de révolution
léniniste, ils refusent le choix guérilla ou soumission, affirment et
revendiquent leur différence avec les révoltes passées, cherchent leur
chemin, une autre voie, une autre inspiration nourrie des expériences des
villages et des cultures indiennes, de leur forme de démocratie, de leurs
assemblées, de l'influence du précédent zapatiste.

Au Chiapas, l'EZLN s'apprête à fêter le treizième anniversaire de son
irruption à la surface du monde et se prépare à tenir tête à un nouveau
président, le quatrième depuis son apparition publique. Les zapatistes
convoquent une troisième rencontre internationale pour cet hiver et
Marcos, au terme de sa tournée à travers tout le pays, lance le 2
décembre, au lendemain de la prise du pouvoir de Calderón, une nouvelle
campagne pour la libération des prisonniers d'Atenco et d'Oaxaca.

Joani Hocquenghem

Texte à paraître dans le prochain numéro de la revue "Chimères".
http://www.revue-chimeres.org/
Paria
   Posté le 20-12-2006 à 18:59:31   

Un texte du PCMLM sut le "commune" d'Oaxaca :


Au sujet de la « commune » d'Oaxaca


Jusqu'à présent il n'était pas souhaitable de critiquer le mouvement s'étant développé à Oaxaca, car la solidarité primait sur la répression.

Mais désormais rien ne doit empêcher la critique non seulement de la nature de ce mouvement, de son développement, de son effondrement totalement prévisible.

S'imaginer que dans un pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, on puisse avoir une contestation faisant reculer le fascisme, est une illusion criminelle.

C'est pourtant cette illusion qui a été propagé par le courant anarchiste, en France comme dans d'autres pays.

Ainsi, il a été considéré comme « scandaleux » que les médias ne parlent pas de la situation à Oaxaca, alors que ces mêmes anarchistes n'ont jamais parlé ne serait-ce qu'une seule fois de la grève de plusieurs milliers d'usines au Bangladesh en mai-juin 2006 ou des affrontements armés qui ont lieu quotidiennement en Inde.

Et dire cela ce n'est pas opposer un mouvement à un autre, mais simplement constater que les ouvriers et les paysans n'intéressent pas les anarchistes, pas plus que la révolution agraire ou le fait de chasser les monopoles US ou européens. Les anarchistes préfèrent qualifier d'exemplaire une lutte des... instituteurs protestant contre le caractère non démocratique des élections du gouverneur.





Cette protestation a consisté en l'occupation de la place principale de la ville, d'une ville de 300.000 habitants dans un pays de 100 millions de personnes - c'est dire si l'action est à la fois réformiste et d'une proportion infime dans l'histoire du Mexique.

Même la répression contre le mouvement le 14 juin 2006, qui a fait 8 morts, 15 disparus, n'est malheureusement rien dans l'histoire révolutionnaire du Mexique, un pays fasciste où les opposants sont exterminés - mais cela les anarchistes ne veulent pas le voir.

Ils préfèrent fantasmer sur l'Assemblée populaire des peuples de Oaxaca (APPO), qui serait une « Commune de Paris » moderne alors qu'en fait il s'agit d'un rassemblement de 350 différentes organisations (associatives, syndicales, politiques, indigènes mais également des syndicats de professions libérales) ayant géré la misère sociale pendant plusieurs mois, sans jamais socialiser la production et la consommation.

Certaines associations ou personnes participaient beaucoup à l'APPO, d'autres très peu, d'autres parfois, etc.; il n'y a pas eu de révolution au Mexique et l'APPO n'était pas le pouvoir des conseils populaires, voilà la vérité!

L'APPO était une coordination visant, sur la base du pacifisme, aux négociations avec l'Etat fasciste mexicain - à qui était attribué la légitimité (par opposition au pouvoir régional du gouverneur).





Ainsi, si l'APPO faisait appliquer aux « délinquants » des travaux d'intérêt général, dans le cas d'un assassin, d'un paramilitaire ou d'un franc-tireur, l'APPO remettait celui-ci à la justice fédérale, la PGR (Procuraduría General de la República) par l'intermédiaire du syndicat des enseignants!

Et l'on veut faire passer cette pratique pour la Commune de Paris? Alors dans ce cas la Commune de Paris vit dans chaque canton de la Confédération Suisse!

L'un des principaux dirigeants de l'APPO explique lui-même les misérables objectifs du mouvement : « Dans un premier temps, l'APPO était une réponse populaire face à l'agression contre les enseignants et cherchait à atteindre un objectif commun : la démission de Ulises Ruiz Ortiz [le gouverneur de l'Etat d'Oaxaca, ndlr].

Par la suite, l'idée s'est développée qu'il ne s'agissait pas seulement de rechercher la chute d'Ulises mais aussi de commencer à transformer nos conditions de vie et d'établir les fondements d'une nouvelle relation société-gouvernement. Dans cette perspective, on a réalisé plusieurs débats très intéressants, avec notamment la participation d'universitaires, d'intellectuels, de religieux et de membres d'autres organisations. » (Interview de Flavio Sosa, 6 décembre 2006, RISAL).





Oui, la résistance populaire aux escadrons de la mort, les affrontements et les barricades, ont été une bonne chose - mais tout cela dépasse le cadre étroit et réformiste « dur » de l'APPO, tout cela a voir avec la lutte de classes et non pas le culte d'un gloubi-boulga rassemblant différentes couches sociales, sans aucune préoccupation de la paysannerie et sans direction de la classe ouvrière.

Ce n'est pas pour rien que l'APPO s'est clairement désolidarisé des actions unifiées de 5 guérillas (le Mouvement révolutionnaire Lucio Cabanas Barrientos, la Tendance démocratique révolutionnaire - Armée du peuple, l'Organisation Insurgée 1er Mai, la Brigade de justice 2 décembre et les Brigades populaires de libération).

Comme l'a constaté Miguel Linares, enseignant et membre de l'APPO : « Au début, nous ne pensions pas qu'Oaxaca allait exploser de cette manière.

Nous en avons seulement pris conscience lorsqu'ils nous ont attaqués le 14 juin. Il y a eu une réponse immédiate de la population. Les gens se sont solidarisés avec les enseignants et ont participé aux actions. Les barricades sont apparues à ce moment précis, lorsque nous avons commencé à être attaqués par des groupes paramilitaires.

Des groupes d'autodéfenses ont alors commencé à être formés pour ne pas les laisser circuler librement dans Oaxaca. » (Interview, 23 novembre 2006, RISAL).

Ainsi en octobre l'Etat mexicain n'a pas eu de mal à reprendre la ville et écraser la centaine de barricades; après avoir toléré les protestations, il n'a pas eu de mal fin novembre à écraser l'APPO.

Les anarchistes de la CNT-AIT de Toulouse disaient : « Il y a une différence de taille entre la commune de Paris et celle de Oaxaca, c'est que cette dernière n'est pas isolée. » (Le peuple mexicain est prêt pour le communisme, 9 novembre 2006).

Ils leur auraient suffits de lire « L'Etat et la révolution » de Lénine pour comprendre l'erreur tragique de l'APPO, ils n'auraient alors pas fantasmé sur le communisme au Mexique alors que le massacre par des gens armés de gens désarmés.

De la même manière, l'appel de l'EZLN du « sous-commandant » Marcos est pathétique car répétant depuis une dizaine d'années la même rhétorique chrétienne : « Nous appelons à culminer ces actions par une mobilisation mondiale pour l'Oaxaca le 22 décembre 2006.

Le peuple de l'Oaxaca n'est pas seul. Il faut le dire et le démontrer. Le lui démontrer et le démontrer à tout le monde. Démocratie ! Liberté ! Justice ! » (communiqué de décembre 2006 sur Oaxaca).

Ce sont encore les masses, qui ne peuvent pas comme les « leaders » petits-bourgeois « se mettre au vert » dans les montagnes ou les régions reculées, qui sont les victimes de la politique petite-bourgeoise.





Les guerres populaires qui se développent - en Inde, au Pérou, au Bangladesh, au Philippines, en Turquie, au Bhoutan - montrent le caractère ridicule de ce réformisme béat qui se croit « démocrate » parce qu'il donne la parole - et la direction politique - à la petite-bourgeoisie.

Elles montrent qu'il ne faut pas « manifester quotidiennement » pour protester mais au contraire prendre le pouvoir, tout le pouvoir !

Et ceux et celles ne mettant pas la question du pouvoir au centre ne son t pas des communistes authentiques, comme par exemple la plus grande organisation marxiste-léniniste existante, le MLKP (PC Marxiste-Léniniste de Turquie et du Kurdistan du Nord) qui affirme : « Notre Parti le MLKP appelle toutes les forces progressistes, révolutionnaires et communistes, la classe ouvrière et les peuples opprimés, à se solidariser de la commune d'Oaxaca. » (MLKP, 27 octobre 2006).

C'était à la « commune » d'Oaxaca de se solidariser avec les ouvriers et les paysans du Mexique, de s'emparer de l'idéal communiste, de comprendre la nécessité de détruire l'Etat - une tâche impossible vu les fondements de classe de l'APPO.

En ce sens, l'avenir appartient au Communistes (marxistes-léninistes-maoïstes) du Mexique, à la Guerre populaire !

Pour le PCMLM, décembre 2006.

>Source<
Paria
   Posté le 23-01-2007 à 21:10:21   

Désolé pour la mise à jour... tardive.

Bien le bonjour,

Le Conseil "estatal" de l’Assemblée des peuples d’Oaxaca continue son
chemin, les commissions arrivent à se réunir en prenant quelques
précautions élémentaires. Comme vous avez dû le savoir, le Conseil pour la
Vallée centrale s’est réuni dans la nuit du 12 décembre en session
plénière ; au cours de cette réunion, de nouvelles actions de protestation
ont été décidées en vue de la destitution du gouverneur honni, le départ
de la Police fédérale préventive et la libération "des prisonniers
politiques et de conscience". Faisant preuve d’une grande imagination, le
Conseil a décidé une nouvelle manifestation pour dimanche prochain à
laquelle participera la COMO (Coordinadora de Mujeres Oaxaqueñas Primero
de Agosto). Cette manifestation partira de la fontaine des Sept-Régions
pour se rendre à la place de la Danza. En général, les femmes d’Oaxaca,
"las cacerolas" qui ont pris le siège de la radiotélévision locale Canal 9
le 1er août, ont des idées, je me souviens que, lors d’une manifestation
de rejet de la police fédérale accusée de violence sexuelle, elles avaient
levé des miroirs face à la rangée de flics afin qu’ils puissent se voir,
et lire, écrit sur les miroirs : "violadores". Cette fois, elles parlent
de s’enchaîner et de se bâillonner. Cela dit, cette succession de
manifestations est importante, c’est une façon de maintenir en ces moments
difficiles l’unité du mouvement et la mobilisation des esprits en vue des
échéances à atteindre. Hier, vendredi 15, ce sont les étudiants qui ont
manifesté avec les familles des disparus et des prisonniers, ils ont
surpris la PFP, qui dut prendre des mesures de protection dans la
précipitation quand ils sont passés à proximité du zócalo.

Durant cette session, les conseillers ont aussi résolu de se joindre à la
grande mobilisation convoquée par les zapatistes le 22 décembre prochain
pour le neuvième anniversaire du massacre d’Acteal, avec des
manifestations dans les principales villes de l’Etat et dans la capitale.
"Il y a toujours un état d’exception de fait afin d’intimider le peuple et
qu’il s’écarte du mouvement", précise le porte-parole de l’APPO et il
souligne que "la lutte du peuple" va bien au-delà des objectifs immédiats
mis en avant au cours des manifestations publiques et qu’elle poursuit une
profonde transformation de la vie sociale et politique de l’Etat à travers
une nouvelle constitution. 150 membres sur plus de 200 ont participé à ce
Conseil "estatal" de l’APPO. J’ajouterai à ce court exposé sur l’activité
du Conseil que la plupart de nos amis de la Coalition des maîtres d’école
indigène, de l’Autre Campagne et des barricades sont surtout occupés à
défendre les prisonniers, à soutenir les familles et à échapper aux flics.
La réponse à la répression n’est pas un retour au "chacun pour soi" comme
l’espérait l’Etat, mais une réponse collective. Pendant un moment, nous
avons pu croire que certaines familles, d’obédience priiste par exemple,
allaient faire bande à part et chercher à négocier la liberté de leurs
prisonniers avec le gouvernement en se dédouanant sur le dos des autres.
Ce ne fut pas le cas, la défense reste collective et l’expression de la
solidarité de tous.

Je viens d’apprendre que 43 prisonniers de Nayarit viennent d’être libérés
sous caution, de manière tout aussi arbitraire que celle qui avait présidé
à leur enfermement ; personne ne sait ici qui a bien pu payer la caution.
Le syndicat de l’éducation nationale ? Le fait du prince ? Et les autres ?
Mesure d’apaisement ou de division ? Je pencherai pour la seconde
hypothèse : quand les familles ont appris la nouvelle cet après-midi,
certaines ont crié leur joie, d’autres leur désespoir, toujours le fait du
prince. Les gens sont arrêtés sur décisions supérieures, les accusations
ayant été préfabriquées de longue date, ils plongent alors dans les
méandres kafkaïens d’une justice aux ordres et les procès vont pendant des
années s’enliser, s’engloutir dans les sables mouvants de l’impuissance
jusqu’au moment où l’Etat, lassé par le bruit, décidera de leur sort.
C’est ce qui s’est passé pour les torturés de Loxicha, ce qui se passe
pour les suppliciés d’Atenco et maintenant pour ceux d’Oaxaca. La passion,
la frénésie avec laquelle les Mexicains se lancent tête baissée dans le
juridique tout en sachant au fond d’eux-mêmes toute la vanité de leurs
efforts insensés me surprendra toujours. C’est la passion pour le juste,
une soif de justice qui est d’autant plus forte qu’elle n’est jamais
étanchée. Aux dernières nouvelles, Ulises Ruiz aurait négocié avec Rueda
Pacheco, du comité "estatal" de la section 22 du syndicat enseignant, la
libération des maîtres d’école ; en effet, pratiquement tous les instits
vont retrouver la liberté, 17 sur 22, il manque à l’appel tout de même un
maître d’école et trois éducatrices indiennes. Le comité directeur du
syndicat cherche à apaiser sa base, qui est particulièrement remontée
contre lui, et le gouverneur ne veut pas se retrouver avec une nouvelle
grève du corps enseignant sur les bras au moment où la police fédérale se
retire du centre-ville pour laisser la place aux touristes, Oaxaca est
très prisée, l’hiver, par les touristes nord-américains.

Je reviens de la manif des femmes. Le lieu de rendez-vous était bourré de
flics. On nous a fait remarqué que c’étaient des flics ministériels
déguisés en policiers fédéraux : "Regarde, certains ont des moustaches,
d’autres une panse qui déborde du ceinturon, ce n’est pas le corps
d’élite, bien entraîné de la PFP !" Je crois bien qu’ils ont raison. Pour
les premières au rendez-vous, ce déploiement de force est impressionnant
et il faut un certain courage pour rester à l’ombre et attendre l’arrivée
des autres afin que le nombre fasse une masse plus compacte à opposer à
cette présence dissuasive. Ils sont venus pour protéger, je pense, la
fontaine des Sept-Régions restaurée et enlaidie par le gouverneur.
Finalement, nous marchons jusqu’au parc Madero à la sortie de la ville en
direction de Mexico. Là, nous attendons l’arrivée des 43 prisonniers
récemment libérés. L’attente est longue sous le soleil de midi, mais, ici,
les gens ont la patience du Grand Sud. Ils ont fait venir une troupe de
musiciens pour accueillir les ex-détenus. La "banda" joue par
intermittence et sans grande conviction, les heures passent et rien à
l’horizon, les musiciens, qui ont rempli leur contrat et ont d’autres
échéances, partent, on tente de les retenir, de les convaincre de rester,
en vain, ils se sauvent, il ne reste que le trombone, son instrument est
trop lourd pour qu’il puisse prendre la fuite, les autres sont déjà loin,
il n’y a rien à faire… et c’est à ce moment qu’arrivent les cars tant
attendus. Il n’y a pas de musique, qu’importe, nous allons chanter et
c’est en chantant en chœur ("Vence-re-mos! Vence-re-mos, al Estado
sabremos vencer, vence-re-mos, vence-re-mos... a luchar, a luchar... el
campesinos, maestros, obreros, la mujer de la casa también todos juntos a
luchar, a luchar!"), et sous les applaudissements, que la foule accueille
les déportés. C’est un moment de grande émotion, cette effusion collective
à cœur et bras ouverts.

La prochaine échéance importante à mon sens sera la convocation de
l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca. Elle ne se fera pas dans
l’immédiat, je pense ; d’une part, à la suite de la bataille du 25, une
reconstitution silencieuse des forces est nécessaire ; d’autre part, cette
assemblée plénière des peuples devrait être l’aboutissement des assemblées
communales et régionales, qui devraient se tenir successivement dans tout
l’Etat d’Oaxaca.

C’est le moment de reprendre notre souffle et d’analyser entre mythe et
réalité les lignes de force de cette "Commune d’Oaxaca". Tenter de donner
une signification à un ensemble d’événements, c’est déjà interpréter la
réalité. La différence entre le travail d’un historien et le mythe tient à
peu de chose. Le mythe comme le travail de l’historien est "un discours
qui révèle le réel", pour reprendre une définition de Hegel sur le mythe.
Seulement alors que le travail de l’historien reste l’expression d’une
pensée individuelle, ce qu’on appelle une thèse, le mythe est l’expression
d’une pensée collective, c’est le sens attribué collectivement, après
coup, à un événement historique, qui apparaît alors comme un événement
civilisateur, marquant un point de départ. Le mythe est la "vérité" de
l’histoire, du moins la vérité qu’en tire un groupe social, une communauté
de pensée. Quand, le 2 novembre, la locutrice de la radio universitaire,
la docteur Bertha dite Escopeta, nous appelait à venir défendre la radio,
elle nous engageait clairement à entrer dans l’histoire, autant dire dans
le mythe : "C’est une journée historique, ne restez pas chez vous, venez
défendre votre radio, entrez dans l’histoire, c’est un moment historique
que nous vivons, ne restez pas à la maison..." Et, dans un certain sens,
elle avait raison, la victoire du 2 novembre des habitants d’Oaxaca sur
les forces fédérales va marquer les esprits et son souvenir alimenter la
légende de la "Commune d’Oaxaca".

"C’était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était
ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d’initiative
sociale, même pour la grande masse de la classe moyenne de Paris,
boutiquiers, commerçants, négociants – les riches capitalistes étaient les
seuls exceptés [...] La grande mesure sociale de la Commune, ce furent sa
propre existence et son action. Ses mesures particulières ne pouvaient
qu’indiquer la tendance d’un gouvernement du peuple par le peuple." Cette
réflexion de Marx au sujet de la Commune de Paris (cf. "La Guerre civile
en France" ) peut nous aider à mieux cerner les caractères de la Commune
d’Oaxaca. Disons tout de suite que la mesure sociale de la Commune
d’Oaxaca, comme pour celle de Paris, est sa propre existence. C’est par
son propre développement, en imposant son propre style de relations, sa
cosmovision, par le rôle majeur et déterminant que tient l’assemblée, que
la Commune parvient ou peut parvenir à transformer en profondeur toute la
vie politique et sociale : "Nous avons la mission d’accomplir la
révolution moderne la plus large et la plus féconde de toutes celles qui
ont illuminé l’histoire", disaient déjà les partisans de la Commune de
Paris. Toutes les deux sont ennemies de la guerre civile et cherchent à
l’éviter. Dans les deux cas, les femmes ne sont pas exclues et participent
à égalité avec la gente masculine à la construction d’une nouvelle
organisation sociale, tout en ayant leur propre association : l’Union des
femmes pour la défense de Paris et le secours aux blessés, d’un côté ; la
Coordinadora de Mujeres Oaxaqueñas Primero de Agosto, de l’autre.

Deux différences importantes. Première différence : la Commune de Paris a
réellement gouverné la capitale et c’est en tant que gouvernement légitime
issu du peuple de Paris, des comités de quartiers et d’arrondissements,
qu’elle s’est opposée au gouvernement versaillais, rien de tel ici, à
Oaxaca, où elle est restée un mouvement d’opposition exigeant la
destitution du gouverneur, ce qui supposait de nouvelles élections, sans
chercher à se substituer à lui en tant que nouveau gouvernement de l’Etat
d’Oaxaca. En empêchant Ulises Ruiz de gouverner, elle a créé un vide, elle
a organisé une vacance du pouvoir, ce qu’on a appelé la disparition des
pouvoirs. C’est cette disparition qu’elle cherchait à faire reconnaître
par l’Etat central, sans y réussir. Elle n’a pas cherché à remplir ce
vide. Cependant, elle n’allait pas en rester là et elle n’en reste pas là.
Du fait de son mode d’organisation, la Commune d’Oaxaca est porteuse d’un
projet politique et social, elle appelle à une Constituante pour
l’élaboration d’un nouveau contrat social. En fin de compte, elle se
présente aux yeux de la société comme un commencement, comme le point de
départ d’un dialogue entre les différents secteurs pour une nouvelle
constitution, qui reconnaîtrait, par exemple, l’assemblée communautaire
comme l’élément fondateur de la vie politique.

Deuxième différence : le monde ouvrier, bien présent à travers les
sections de l’Internationale, les chambres syndicales et les coopératives
dans la Commune de Paris, brille par son absence dans la Commune d’Oaxaca.
Les catégories sociales dont parle Karl Marx sont présentes, boutiquiers,
petits commerçants, artisans, maçons, menuisiers, mécaniciens, manœuvres,
journaliers, portefaix, musiciens, serruriers, tout le monde des petits
métiers, qui constitue la population des colonies et des quartiers
pauvres, participent ou ont participé à divers degrés à ce mouvement
social, mais pas les ouvriers conscients d’appartenir à une classe
particulière, disons le prolétariat, travaillant dans les mines,
l’industrie et les manufactures. Il y a bien hors de la ville ce que le
gouvernement nomme pompeusement une zone industrielle où se trouvent
quelques maquiladoras, les syndicats y sont bannis et, à ma connaissance,
les gens qui y travaillent ne se sont jamais manifestés à l’assemblée
comme travailleurs ou travailleuses organisés, s’ils ont pu un jour faire
partie de l’APPO. Il y a bien, comme dans la France du XIXe siècle un
exode important des campagnes, mais c’est pour aller travailler dans le
pays voisin ou dans les plantations de tomates de Sonora, ou pour venir
dans la ville exercer les petits métiers cités plus haut. En aucun cas,
nous pouvons dire au sujet d’Oaxaca ce qu’écrit Marx au sujet de Paris,
que "c’était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était
ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d’initiative
sociale". Si les habitants des colonies ont pu jouer un rôle important,
c’est surtout comme communauté de voisinage, et non en tant qu’ouvriers
organisés.

Deux groupes sociaux jouent (ont joué et vont jouer) un rôle déterminant
dans l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca : le corps enseignant et
le monde indigène. Comme vous avez pu vous en rendre compte, le courant
passe difficilement entre les deux, en général les communautés
villageoises reprochent aux maîtres d’école le fait de participer très peu
à la vie sociale du village. Souvent, il y a eu, au cours du mouvement,
mésentente entre la population et les enseignants, et la raison en est
très simple : les maîtres d’école ont dédaigné aviser de leur lutte les
habitants du village. "A travers la rumeur, nous avons eu connaissance des
problèmes avec le gouvernement, mais les éducateurs n’ont pas eu la
courtoisie de nous dire en assemblée comment se présentait l’affaire", dit
un habitant de la région mixtèque. Cet hiatus, nous l’avons ressenti aussi
dans la ville même, où la communication passait mal non seulement entre
les enseignants et une partie de l’assemblée mais aussi entre l’APPO,
dominée par le corps enseignant, et les colonies, les quartiers et les
barricades, au point d’ailleurs où certains jeunes des barricades ont
failli rompre avec l’assemblée. Pas toujours, il faut aussi signaler que
dans certaines municipalités ou colonies le lien était étroit et très fort
entre les maîtres d’école, les parents d’élèves et la municipalité, ce
sont dans ces communes ou dans ces quartiers que le mouvement populaire
était, et reste, le plus puissant. Revenons à ces deux pôles de
l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca et commençons par le corps
enseignant, qui a fourni ce que j’appellerai les cadres politiques de
l’APPO.

Le Syndicat national des travailleurs de l’éducation (SNTE) a été fondé en
1943 et il est divisé en 58 sections (il y a des Etats qui ont deux
sections comme l’Etat du Chiapas, la section 7 et la section 40). La
section 22 correspond à l’Etat d’Oaxaca. Le syndicat, comme tous les
syndicats mexicains, est contrôlé au niveau national par le Parti
révolutionnaire institutionnel qui était, il y a peu le parti d’Etat, ou
parti unique. Par exemple, Esther Gordillo, l’actuelle secrétaire
nationale, a été placée à la tête du SNTE par le président de la
République, Salinas de Gortari en 1989, elle y est encore. En 1979 est
apparu au sein du SNTE un courant démocratique critique de la bureaucratie
syndicale restée entièrement sous la coupe du parti d’Etat. Ce courant est
apparu pour la première fois au Chiapas en décembre 1979 où il est resté
minoritaire, il a un nom, c’est la Coordination nationale des travailleurs
de l’éducation – Coordinadora Nacional de los Trabajadores de la Educación
– ou CNTE. Elle est minoritaire au Guerrero, Michoacán, District fédéral,
pratiquement inexistante ailleurs. Elle est majoritaire dans un seul Etat,
celui d’Oaxaca. Cette tendance, après une lutte féroce contre la
bureaucratie avec son cortège d’assassinats, de grèves et de répressions
sanglantes, a pris le contrôle de la section 22 en 1982. Elle a glissé sa
propre organisation à l’intérieur du SNTE et elle a en quelque sorte
inversé le sens des prises de décision. A la base se trouvent les
délégations (plus de 40 personnes) et les centres de travail (moins de 40
personnes) en fonction de la concentration des écoles ; il y a 570
délégations et plus de 200 centres de travail. Les délégations et les
centres de travail désignent leurs délégués, deux par délégation et un par
centre de travail, qui formeront les comités ou coordinadoras de secteur
(37) et de régions (7), ils sont désignés pour deux ans et continuent à
travailler. L’assemblée générale des travailleurs de l’éducation a lieu
chaque mois, c’est l’organe suprême, c’est elle qui désigne les membres de
la direction collective ou comité "estatal" chargés de l’application des
décisions prises en assemblée et de coordonner à travers les comités de
région et de secteur les plans d’action. Les membres du comité au niveau
de l’Etat sont des permanents nommés pour trois ans. C’est à ce niveau que
le bât blesse actuellement, puisque les permanents comme Rueda Pacheco
semblent agir à leur guise, pour un intérêt étranger à la volonté de
l’ensemble, ils ont réussi à falsifier les votes et à manipuler les gens,
provoquant une colère qui n’attend que la prochaine assemblée pour
s’exprimer. Ce n’est pas nouveau, depuis quelques années déjà s’était peu
à peu reconstituée une bureaucratie syndicale qui, avec l’aide des partis
politiques, cherchait à prendre le contrôle de la section 22. C’est le
comité "estatal" qui doit convoquer tous les mois l’assemblée et pour
l’instant, sachant ce qui l’attend, il en repousse indéfiniment
l’échéance.

L’APPO est calquée en grande partie sur l’organisation de la section 22,
elle a eu la sagesse de former un conseil, el Consejo estatal, comme
direction collective (plutôt qu’un comité directeur) dont les membres sont
bénévoles et nommés pour deux ans (plutôt que salariés et nommés pour
trois ans), ajoutons que les conseillers sont révocables à tout instant
par l’assemblée s’ils accomplissent de travers la mission qui leur a été
confiée. Cela dit, le problème qui est apparu au sein du syndicat
enseignant ne disparaîtra pas pour autant au sein de l’APPO, c’est à
l’assemblée à se montrer vigilante quant au choix de ses délégués. Pour
l’instant, la grande partie des conseillers, sous diverses casquettes,
délégués de quartiers, de groupes politiques et d'associations civiles, de
municipalités, en plus des quarante sièges qui ont été réservés à la
section syndicale, sont membres du corps enseignant, ce sont eux, avec les
militants des différentes organisations politiques et civiles (le PRD et
Flavio Sosa, par exemple), qui leur sont assez proches en pensée, qui
forment le corps politique de l’APPO. La plupart sont issus de la gauche
traditionnelle marxiste-léniniste avec une grande expérience de la lutte
syndicale et fort jaloux de la démocratie assembléiste à laquelle ils
étaient parvenus. Pourtant, leur formation intellectuelle et politique,
l’idéologie qui les anime, les a parfois éloignés de la vie sociale
proprement dite des quartiers, des colonies et des communautés. Ils
luttent pour ce qu’ils appellent d’un terme générique "le peuple", pour
"un gouvernement du peuple par le peuple", disent-ils, tout en éprouvant
quelques difficultés de communication avec ce fameux peuple, dont ils se
sont trouvés, par la force des circonstances et de l’idéologie, séparés.
Pour l’Etat, ils représentent la partie visible et la mieux connue de
l’APPO ; fils rebelles et prodigues de l’Etat, ils sont en première ligne
et forment les cibles privilégiées de la répression et du châtiment.

Pour Ulises Ruiz et ses comparses de l’Etat fédéral, dont Esther Gordillo,
la section 22 du syndicat des enseignants reste l’ennemi à abattre,
l’ennemi déclaré, l’ennemi numéro 1, et ils cherchent par tous les moyens
à la défaire, à rompre l’unité qui faisait sa force, à y apporter la
division. Rappelons pour mémoire que la section Oaxaca compte 70 000
adhérents et que l’assemblée a un pouvoir de convocation et de
mobilisation exceptionnel. Le jeu ambigu des dirigeants aide le
gouvernement d’Ulises Ruiz dans sa tâche de démolition. Un coup de force,
en quelque sorte un coup d’Etat, se prépare au sein de la section 22 ; il
est désormais urgent pour le pouvoir de reprendre le contrôle de cette
section syndicale avec l’appui des permanents du comité directeur :
"Ont-ils été menacés ? Ont-ils été achetés ? Ou les deux à la fois ?"
s’interrogeait dernièrement un syndicaliste de base. C’est dans cette
perspective d’un coup de force du pouvoir qu’il faut comprendre la
non-convocation de l’assemblée des syndiqués et la libération récente de
17 instits négociée avec Ulises Ruiz. Défaire le syndicat, c’est aussi
rompre l’unité, à l’intérieur de l’APPO, entre les maîtres d’école et le
reste de la population. Une première tentative de division avait eu lieu,
on s’en souvient, avec la reprise des classes votée d’une façon suspecte
fin octobre. Cette première division avait été surmontée grâce à la
population et à l’attitude de certaines délégations qui, contre l’avis du
comité central, avaient poursuivi la grève et l’occupation de Santo
Domingo. Nous sommes face à une deuxième tentative de trahison. Affaire à
suivre, donc.

Pourtant, ce puissant mouvement social, parti d’un soutien apporté par la
population à la lutte des maîtres d’école, bouleverse bien des données ;
dans le feu du débat et de la critique effective d’un monde, des
positions, que l’on croyait immuables, sont en train de changer. Dans le
cours de ce mouvement est apparu un acteur omniprésent et pourtant
difficilement saisissable dans les termes convenus et rigides de
l’idéologie, la population pauvre de la ville et de l’ensemble de la
région. C’est elle qui a résisté à l’avancée des troupes fédérales, qui a
protégé la radio universitaire avec un courage et une détermination
admirable, c’est elle qui est descendue dans les rues pour manifester dans
les moments difficiles son rejet d’un état d’exception et son soutien aux
maîtres d’école puis à l’APPO, c’est elle enfin qui s’est organisée autour
des barricades, établissant des tours de garde, faisant la cuisine,
apportant le café dans les heures froides de la nuit ; les "chavos bandas"
y côtoyaient l’étudiant ; l’institutrice, le maçon ou le charpentier ; les
mères de famille, le casseur. Cette population pouvait paraître
hétéroclite, elle ne l’est pas, un dénominateur commun unissait tous ces
gens, l’attachement à un savoir-vivre. C’était sans doute la même
population qui se trouvait sur les barricades de la Commune de Paris,
attachée, elle aussi, à un savoir-vivre, qui avait ses racines dans les
traditions ancestrales des peuples originaires. Les colonies qui ont
soutenu le plus fort des combats furent celles où la proportion des
immigrés indigènes, Zapotèques, Mixtèques, Mixes, Triquis, était la plus
forte.

Au début, cette population n’était pas présente ni représentée, dans
l’APPO. Quand l’Assemblée du peuple d’Oaxaca fut créée, le 20 juin, elle
n’avait d’autre fonction que celle d’appuyer la lutte des enseignants.
Elle était surtout composée des formations politiques issues d’un même
courant de pensée (marxiste-léniniste) auxquelles se sont incorporés par
la suite des dirigeants de diverses organisations. L’APPO se présentait
alors comme une coalition de dirigeants sociaux et politiques articulée
par un comité provisoire de 30 personnes. Peu à peu, au cours des mois qui
suivirent, sous la poussée de cette base sociale, cette partie immergée de
l’iceberg, une mutation a commencé à se produire. Après avoir hésité, les
peuples indiens de la Sierra Norte ont décidé de participer à l’assemblée
au cours du congrès constituant des 10, 11, 12 et 13 novembre.
Actuellement, les conseillers continuent à se rencontrer et à se réunir au
niveau local et régional. Dans la région de Villa Alta, par exemple, au
cœur de la montagne Juarez, les habitants ont décidé de fermer la
délégation gouvernementale de la commune de Lachirioag, ils ont poursuivi
et chassé le fonctionnaire du gouvernement. Un ami, qui a dû se réfugier
quelque temps dans les cañadas, m’a rapporté que la résistance restait
très forte dans bien des villages. C’est un travail de l’ombre, qui
inquiète le gouvernement, il a bien l’intuition que tout un pan du
mouvement échappe à sa vigilance, il a dû tout dernièrement arrêter trois
membres de l’APPO, leur poser des questions sous la torture pour tenter de
savoir ce qui se passe, pour ensuite les relâcher. Ce travail de l’ombre
échappe aussi en partie aux militants d’extrême gauche qui, de leur côté,
sont amenés à prendre des initiatives au nom de l’APPO sans toujours
rendre des comptes. Le 27 décembre aura lieu une assemblée plénière à
l’échelle de l’Etat d’Oaxaca du Conseil, nous n’y verrons sans doute pas
plus clair. Je pense que l’Assemblée populaire des peuples comme le
Conseil sont des instruments d’unification des luttes sociales, cette
unification ne va pas se faire du jour au lendemain, mais l’outil est là
ainsi que la volonté de s’en servir. La société est bien consciente de la
faillite d’un système, elle se rend compte de la dégradation de ses
conditions de vie, de l’épuisement des formes traditionnelles de
résistance et de la nécessité où elle se trouve d’inventer d’autres voies
de survie.

Oaxaca, le 19 décembre 2006.

George Lapierre

Message édité le 23-01-2007 à 21:45:34 par Paria
Paria
   Posté le 23-01-2007 à 21:46:55   

Bien le bonjour,

"Oaxaca se distingue por la diversidad, tanto natural como cultural. Desde
hace tiempo se reconoce en el mundo la riqueza de nuestras culturas
indígenas. En el curso de nuestro movimiento nos dio gusto sentir y ver la
riqueza de nuestras culturas urbanas. Muestran la misma diversidad de las
indígenas, y en ellas aparece claramente el sello de la comunalidad, el
tejido social que nos permite, en cada grupo, construir un NOSOTROS fuerte
y claro."

(Oaxaca se distingue par la diversité, tant naturelle que culturelle.
Depuis quelque temps, on reconnaît de par le monde la richesse de nos
cultures indigènes. Dans le cours de notre mouvement, nous avons eu le
plaisir d’apprécier et de voir la richesse de nos cultures urbaines. Elles
offrent la même diversité que les cultures indigènes, et en elles apparaît
clairement le sceau de la "communalité", le tissu social qui nous permet,
dans chaque groupe, de construire un NOUS fort et clair.)

C’est le premier paragraphe du "Manifeste pour la défense et la
renaissance de notre culture" ("Manifiesto por la defensa y regeneración
de nuestra cultura" ) écrit par nos amis de la commission chargée de la
culture au sein du Conseil. Je ne résiste pas au plaisir de vous traduire
les derniers paragraphes :

"La culture ne s’exprime pas seulement à travers l’art, dans la peinture,
la musique, la sculpture, la littérature ou le cinéma, mais aussi dans la
quotidienneté de la vie collective, la langue est un clair témoignage de
la puissance du collectif, la culture de la fête chez nos peuples et
quartiers, la "gozona", le "tequio" et les offrandes à la Terre mère comme
expression de la pensée de nos peuples indiens, et tout ce qui nous
nourrit dans la communauté ou dans la ville et nous fait être partie de
quelque chose, de cette APPO que nous sommes tous et toutes [...].
Dans les diverses réflexions et propositions pour le renforcement de nos
cultures on peut compter avec la présence de l’APPO des barricades, des
"colonies", l’APPO des communautés, des quartiers et des peuples, cette
Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca, qui est, en elle-même, une
culture."

Ce manifeste a été distribué au cours de la "Noche de rábanos" (la Nuit
des radis) le 23 décembre, la vraie, celle organisée par l’APPO, non
l’officielle qui se tenait, elle, sur le zócalo. Cette Nuit des radis est
une tradition qui remonte loin, peu après la conquête espagnole. Des
jardins potagers furent créés sur les terres proches des haciendas de la
Noria et des Cinco Señores. Avant Noël et jusqu’au 23 décembre, les
maraîchers exposaient leurs légumes, dont les fameux radis, sur la place
d’Armes d’Antequera. Les jardiniers ont commencé à sculpter les radis pour
décorer leurs étals. Le premier concours a eu lieu en 1897. La tradition
s’est perpétuée jusqu’à nos jours : saynètes de mœurs où la créativité et
l’imagination se donnaient libre cours, comme nous pouvons le supposer
quand nous avons un radis de la dimension d’une betterave entre les mains.
Hélas, la truculence ou le badinage érotique ont cédé la place à la Sainte
Famille quand l’Etat a fait de cette tradition populaire une attraction
touristique. Comme pour la Guelaguetza, l’APPO a voulu redonner sa
dimension populaire à cette Nuit des radis. Pari réussi, comme pour les
enfants, ce sont surtout les scènes de la violence, hélicoptères, tanks,
robocops et matraques et jusqu’au portrait d’Ulises Ruiz en radis, qui ont
frappé les imaginations, mais il y avait aussi quelques bons petits
diables. Beaucoup de monde, de la musique, de la danse, des chants, de
l’enthousiasme, les habitants des quartiers étaient descendus et les
quelques rares touristes, perdus dans la foule, sont restés éberlués
devant tant de force, de détermination et de passion. Au "son de la
barricada", l’assemblée présente retrouvait sa joie de vivre, son
allégresse ; après les jours sombres et terribles de la répression, elle
exultait enfin. Pourtant, cette fête avait été longtemps compromise.

Bien avant la manifestation du 22 décembre, le bouche à oreille, au sujet
de cette "Noche de rábanos", courait entre les sympathisants de l’APPO,
les radis étaient déjà entreposés dans un lieu humide et les sculpteurs
préparaient leurs couteaux. Cette fameuse nuit devait avoir lieu sur la
place Santo Domingo, nous devions nous retrouver sur cette place dès 10
heures du matin afin de l’occuper ; las, au matin du 23 nous apprenons que
les flics nous avaient devancés. Je m’y rends tout de même en ma qualité
de touriste, les flics bloquent toutes les entrées, ils ne laissent passer
que ceux qui ont une bonne conscience, je m’arme donc d’une bonne
conscience pour me glisser entre les rangs de ces tristes (anges) gardiens
; notre espion, vieux et impénitent lutteur social, dont la femme et la
fille se sont retrouvées derrière les barreaux, vend des bonbons et des
cigarettes sur la place ; comme dans les films (je suppose que vous
imaginez parfaitement cette scène que je me rejoue cent fois), il
m’informe, alors que je lui achète quelques bonbons, que les flics sont là
depuis l’aube et que leur présence a été dissuasive, ce n’est que depuis
peu qu’ils laissent passer les touristes. La commission de l’APPO chargée
des négociations avec le gouvernement fédéral (elle n’a aucun contact avec
le gouvernement d’Ulises Ruiz) insiste pour que le ministère intervienne
auprès d’URO afin qu’il retire ses troupes, en vain. Le gouvernement
promet d’intervenir, mais rien ne se passe. Finalement en fin
d’après-midi, l’APPO arrive à occuper la petite place de Carmen Alto, qui
ne se trouve pas très loin de Santo Domingo, elle devrait d’ailleurs
s’appeler la place Ricardo Flores Magón, mais passons. Les gens arrivent
peu à peu et cette place, tout en longueur, paraît bien étroite quand la
nuit tombe ; c’est la fête, la fanfare de Calicanto, où se trouvaient les
fameuses barricades tout le long du "ferrocarril", ouvre la danse.

La manifestation du 22, convoquée par les zapatistes et l’Autre Campagne,
avait déjà été un succès, chaque fois il y a un peu plus de monde dans les
manifs, même si les gens préfèrent quitter la manifestation avant
l’arrivée au centre-ville, ils se sentent plus chez eux dans les quartiers
périphériques ; de toute façon, ils ne s’attardent pas et se dispersent
assez rapidement, prudence, prudence, mais ils relèvent la tête, les
habitants d’Oaxaca n’ont pas été défaits malgré les mesures extrêmes
prises par l’Etat. Le gouverneur joue la carte de la division, la
libération de 81 prisonniers va dans ce sens et la situation des familles
de ceux qui restent embastillés est difficile, le comité qui s’occupent de
la défense des prisonniers est mis sur la sellette : "Pourquoi eux et
pourquoi pas les nôtres ?" Et tous sortent des réunions bien éprouvés ;
pourtant, jusqu’à présent, ils tiennent le coup et restent solidaires, ils
ne vont rien quémander à Ulises Ruiz (c’est ce qu’attend le tyran) et ils
vont occuper les alentours des prisons de Miahuatlán et de Tlacolula. Ces
mesures sont si arbitraires qu’on en arrive à des situations surréalistes
: Qui a payé les 150 millions de caution des 81 détenus libérés ?

Le secrétaire général du gouvernement d’Oaxaca (ce qui correspondrait au
ministre de l’intérieur du gouvernement d’Oaxaca), García Corpus, ne sait
pas exactement qui est intervenu ni d’où vient la finca (la propriété) qui
a été hypothéquée pour payer l’énorme caution : "No podría afirmar primero
yo desconozco a ese abogado, no sé si sea de la APPO o no. Yo no niego,
porque no sé quién es ese señor." ("Je ne peux rien affirmer, premièrement
je ne connais pas cet avocat, je ne sais pas s’il est de l’APPO ou non. Je
ne refuse pas de parler, parce que je ne sais pas qui est ce monsieur".)
Pour un ministre de l’intérieur, il ne sait pas grand-chose : un avocat
fantôme et une propriété tout aussi spectrale, plus un juge des libertés
illusionniste sans doute. Nous ne sommes pas dupes, évidemment, derrière
ces fantômes se cache la main d’Ulises Ruiz, qui est arrivé à cette
situation absurde de devoir payer la caution de gens qu’il a accusés de
tous les crimes, au point de les envoyer dans une prison de haute
sécurité, afin qu’ils puissent sortir : ou ces gens sont coupables de tous
les forfaits dont ils sont accusés et l’Etat n’avait pas à payer la
caution, ou ils n’ont pas commis ces crimes et alors ils n’avaient pas à
être détenus, sans parler des conditions de leur arrestation. Pendant ce
temps, c’est un législateur du PAN qui exige des autorités de l’Etat
qu’elles mènent une enquête au sujet de la participation (supposée ?) des
groupes de "porros" et des policiers en civil à l’incendie des édifices
durant la nuit tragique, entre eux, Teodardo Martínez Canseco,
coordinateur des unités mobiles de développement de l’Etat dans la
microrégion mixe, en relation avec le député local du PRI, qui fut arrêté
par la PFP le 25 novembre et envoyé au pénitencier de moyenne sécurité de
San José del Rincón, Nayarit, sans que l’on sache jusqu’à présent s’il a
été libéré ou s’il est encore prisonnier.

Aux dernières nouvelles, deux membres de l’APPO ont été blessés au cours
d’une embuscade dans la région mixtèque alors qu’ils retournaient dans
leur communauté après avoir participé avec les militants du FPR et du
MULTI (Mouvement unificateur de la lutte triqui indépendant) à une
manifestation dans la municipalité de Santiago Juxtlahuaca. Le 27,
c'est-à-dire hier, le Conseil "estatal" de l’APPO s’est réuni, environ 160
personnes, il y fut décidé diverses manifestations pour janvier : le 6,
manifestation des enfants avec, à leur tête les enfants des détenus ; le
7, réinstallation du Conseil ; le 27, assemblées régionales, municipales
et communales, et des colonies, avec comme objectif, celui de renforcer
l’assemblée plénière au niveau de l’Etat d’Oaxaca. Je ferai les quelques
remarques personnelles suivantes, qu’il ne faut absolument pas prendre
pour argent comptant : l’embrouille actuelle au niveau de la section 22 du
syndicat des enseignants risque bien de déteindre sur l’APPO ; le fossé
entre les militants d’extrême gauche du Front populaire révolutionnaire
(FPR) et les délégués des quartiers et des "colonies" ainsi que les
militants d’autres obédiences semble se faire plus visible.

Bonnes fêtes !

Oaxaca, le 28 décembre 2006.
George Lapierre

Message édité le 23-01-2007 à 22:16:04 par Paria
sti
   Posté le 23-01-2007 à 21:52:56   

Les infos sont essentielles à nous qui sommes loin mais encore une fois, l'anti-communisme du commentateur est gonflant ... De plus c'est un ignard en matière d'idéologie qui intellectualise à travers ...
Paria
   Posté le 23-01-2007 à 22:16:36   

ASSEMBLÉE POPULAIRE DES PEUPLES DE L’OAXACA
Bulletin de presse, le 9 janvier 2007.

AUX MOYENS DE COMMUNICATION,
AU PEUPLE DE L’OAXACA,

Suite à la session ordinaire du Conseil populaire des peuples de l’Oaxaca
qui s’est tenue le 7 janvier, au cours de laquelle il a été procédé à
l’analyse de la situation actuelle de notre lutte dans cet État et des
conditions dans lesquelles l’APPO effectue sa réorganisation, ainsi que du
plan d’action prévu pour les jours prochains, nous sommes convenus
d’informer l’opinion publique des faits suivants :

1. La réorganisation actuelle de l’APPO en est bonne voie, preuve en est
que le conseil a été informé que dans toutes les régions, dans les
centaines de communautés, dans les colonies et divers quartiers,
organisations et syndicats, des réunions ont eu lieu ou sont prévues pour
les prochains jours au cours desquelles un consensus a été atteint sur la
nécessité de poursuivre notre lutte jusqu’à ce que nos revendications
principales aboutissent. À savoir : le départ d’Ulises Ruiz Ortiz, la
libération de nos prisonniers politiques, la présentation vivants des
disparus, l’arrêt de toute répression, le départ de la PFP, la
démilitarisation de l’Oaxaca et une profonde transformation de cet État ;

2. Nous maintenons fermement notre position qui est de faire aboutir nos
revendications par la voie du dialogue, mais aussi en mobilisant de façon
pacifique notre peuple, en usant de notre droit constitutionnel de
manifestation et de libre circulation, droits qui ne sont en aucune façon
astreints à négociation avec le gouvernement fédéral, et moins encore avec
Ulises Ruiz Ortiz. L’annulation de facto des garanties des personnes dans
l’Oaxaca jette une ombre d’incertitude sur notre pays, à quoi s’ajoute le
fait d’avoir un président partisan du Yunque ;

3. Nous sommes convenus d’une série d’activités pour les jours prochains.
Le 10 janvier, des mobilisations régionales dans les vallées du centre de
l’État, avec une marche à Oaxaca (départ de la fontaine des 7 Régions
jusqu’à la place de la Danza, à partir de 16 heures) ; les 11 et 12,
poursuite de la session du Conseil populaire des peuples de l’Oaxaca ; le
20, participation à la manifestation politico-culturelle dans la commune
autonome de San Juan Copola ; les 27 et 28, session de l’Assemblée
populaire des peuples du Mexique, et assemblée régionale de l’APPO dans
l’Isthme ; le 28, un festival culturel sera organisé à Mexico, et les 3, 4
et 5 février suivants, nous participerons au IVe Dialogue national à
Mexico ;

4. Le 3 février et le 8 mars, on appelle à des MÉGAMARCHES dans la ville
d’Oaxaca. Nous exigeons que la sécurité et la libre circulation des
manifestants soient garanties afin de pouvoir effectuer ces manifestations
;

6. Les 11 et 12 février, nous appelons à la PREMIÈRE ASSEMBLÉE DE L’APPO
DE L’ÉTAT D’OAXACA à laquelle devraient participer les délégués des
communautés, communes, colonies, quartiers, organisations et syndicats, et
où nous ferons le bilan de la situation actuelle et du développement de
l’APPO. Nous appelons également les diverses organisations et divers
fronts, syndicats et ONG ainsi que les artistes, les intellectuels du
Mexique et du monde à participer ou à envoyer leur salut à cette Première
Assemblée de l’Oaxaca de l’APPO ;

7. En ce qui concerne les agressions dont continue à être la cible le
Mouvement démocratique des travailleurs de l’éducation de l’Oaxaca
rassemblés dans la Section 22, et notamment l’agression qui s’est produite
aujourd’hui même, NOUS PROTESTONS SOLENNELLEMENT CONTRE CETTE AGRESSION
qui s’inscrit dans une stratégie de l’État et d’Ulises Ruiz Ortiz pour
affaiblir l’APPO et ses secteurs les plus combatifs, tels les enseignants,
mais qui est également liée à la toute récente création d’un nouveau
syndicat de travailleurs de l’éducation nationale, la SECTION 59 DU SNTE,
directement patronné par Elba Esther Gordillo Morales, responsable de
l’assassinat d’un grand nombre d’enseignants démocratiques mexicains.

L’APPO RECONNAÎT COMME SEULE ORGANISATION DES TRAVAILLEURS DE L’ÉDUCATION
LA SECTION 22, véritable instrument de lutte voué à la défense des
travailleurs de l’éducation nationale, et se déclare ouvertement en faveur
de sa défense ; la section 59 est un instrument de l’État mexicain qui a
pour but de diviser les travailleurs de l’éducation et d’empêcher le plein
exercice de leurs droits, mais surtout de frapper l’un des secteurs les
plus importants de l’APPO dans le cadre de la lutte du peuple de l’Oaxaca.

FRATERNELLEMENT.
TOUT LE POUVOIR AU PEUPLE !

ASSEMBLÉE POPULAIRE DES PEUPLES DE L'OAXACA.


ACTIVITÉS PRÉVUES DE L’APPO :

Construisons tous ensemble la démocratie !
8 janvier : Réunion avec des intellectuels et des personnalités pour
consolider la solidarité et le soutien mutuel
9 janvier : Forum des droits de l’homme à la chambre des députés du
Congrès de l’Union mexicaine
10 janvier : Mobilisations régionales
11 et 12 janvier : Réunion du conseil de l’APPO
12 janvier : Assemblée régionale des vallées centrales de la Section 22 du
SNTE
20 janvier : Participation à la manifestation politico-culturelle en
soutien à la création de la commune autonome de San Juan Copola
27 et 28 janvier : Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca
27 et 28 janvier : Assemblée populaire des peuples de l’Isthme
28 janvier : Festival culturel à Mexico
28 janvier : Assemblée populaire des peuples de la Côte

3 février : Mégamarche
3, 4 et 5 février : Participation au IVe Dialogue national
11 et 12 février : Assemblée de l'Oaxaca de l’APPO

8 mars : Mobilisation de la Journée internationale de la femme prolétaire


Traduit par Angel Caido.
Paria
   Posté le 23-01-2007 à 22:19:08   

La commune autonome de San Juan Copala

Le 1er janvier de cette année, l’Oaxaca s’est réveillé avec une commune de
plus, celle de San Juan Copala fondée par plusieurs communautés du peuple
Triqui appartenant officiellement aux communes mixtèques de Juxtlahuaca,
Putla et Constancia del Rosario, à l’ouest de cet État du Mexique, dont
les chefs-lieux sont contrôlés par des métis. Cependant, il ne s’agit pas
simplement d’une commune supplémentaire venant s’ajouter aux 570 autres du
découpage administratif de l’Oaxaca, mais d’une nouvelle commune autonome
comme celles que les indigènes érigent dans différents endroits dans ce
pays pour défendre leurs droits et construire leur propre avenir.

La réponse du gouvernement de l’Oaxaca - un gouvernement dont l’Assemblée
populaire des peuples de l’Oaxaca (APPO) ainsi qu’une grande partie des
habitants de cet État exigent la dissolution - ne s’est pas fait attendre.
Selon lui, la création de cette commune ne repose sur aucune base légale
et n’est pas viable car elle manque des ressources économiques permettant
son bon fonctionnement, tandis que le secrétaire général du Parti
révolutionnaire institutionnel, de son côté, affirme que c’est une farce
qui ne contribue en rien au renforcement des institutions de l’État de
l’Oaxaca. Les choses ne s’arrêtent pourtant pas à la vision étroite de
l’administration, la situation étant plus complexe. Entrent en jeu
l’érosion des institutions locales, incapables en effet de répondre aux
exigences d’une grande partie de la société, les conditions dans
lesquelles vivent les Triqui de San Juan Copala, le procès historique et
politique et les événements récemment survenus dans cette région, sans
compter les politiques antidémocratiques et corrompues de ségrégation et
d’exclusion du gouvernement local.

Comme en d’autres endroits de la République mexicaine, la fondation de la
commune autonome de San Juan Copala constitue une réponse pacifique des
peuples indigènes qui cherchent à créer leurs propres espaces de
participation et de représentation politique en assumant eux-mêmes ses
nécessités économiques, politiques et culturelles. Pour y parvenir,
ceux-ci créent leurs institutions ou renouent avec d’anciennes en les
adaptant à leurs besoins. C’est ce qui explique que les communautés qui
prennent cette décision en appellent à leur droit à la libre détermination
selon leur conception de l’autonomie, qui s’incarne ainsi dans la commune,
fondement de l’organisation politique de ce pays, sans se rebeller et
prendre les armes pour détruire l’État, à la différence de ce qui se
pratique dans certains pays européens.

Personne parmi ceux qui connaissent cette région ne sera étonné
d’apprendre que San Juan Copala et les communautés qu’elle regroupe sont
restées isolées pendant des siècles, abandonnées à leur sort par les
communes auxquelles elles ont été formellement rattachées en 1948, quand
la 60e législature de l’Oaxaca leur ôta le statut de communes libres
qu’elles possédaient depuis 1826. La même période s’est caractérisée par
la poursuite d’une brutale exploitation de la main-d’œuvre triqui et d’un
pillage irraisonné de leurs ressources naturelles. L’exercice de son droit
à l’autonomie représente donc pour ce peuple la possibilité de
s’affranchir du joug politique et économique auquel il a été soumis, afin
de participer réellement à la vie politique, économique et sociale de cet
État et de ce pays, à égalité de condition avec d’autres communes et sans
rien perdre de leurs particularités culturelles.

D’autre part, la création de cette commune autonomie constitue un progrès
substantiel dans la lutte historique des Triqui pour faire reconnaître
leurs droits. On l’ignore souvent, mais les Triqui de Copala sont parmi
les premiers peuples indigènes à s’être rebellés contre le gouvernement
mexicain quand le Mexique conquit son indépendance, car les métis que les
mêmes Triqui avaient aidé à conquérir le pouvoir les ont privés de leurs
territoires et de leurs structures de gouvernement. Leur première
rébellion, en 1832, ne dura pas, leurs dirigeants ayant été emprisonnés et
exécutés. Onze ans plus tard, ils se soulevèrent à nouveau, avec plus de
succès que la fois précédente, leur rébellion s’étendant à d’autres
peuples d’Oaxaca et du Guerrero, jusqu’à ce qu’ils soient matés par
l’armée.

Plus près de nous, dans les années 70, leur lutte repris de plus belle,
les communautés se donnant une organisation sobrement nommée Le Club qui
allait déboucher sur le Mouvement d’unification et de lutte Triqui, qui
s’est battu pour démocratiser l’exercice du pouvoir dans la région, pour
conquérir des libertés politiques, pour défendre la terre et les
ressources naturelles. Avec le temps, l’organisation a poursuivi d’autres
objectifs et s’est concentrée sur des projets de production, ce qui la
rapprocha des institutions et des politiques du gouvernement local,
jusqu’en 2003, date à laquelle elle s’est transformée en un parti
politique.

Bon nombre de ses membres n’étant pas d’accord avec le nouveau cap pris
par cette organisation, il s’en séparèrent et fondèrent alors le Mouvement
d’unification et de lutte Triqui indépendant, qui participe de façon
importante à l’APPO. C’est, semble-t-il, dans ce contexte qu’a surgi
l’idée de fonder la commune autonome de San Juan Copala.

Il est important de bien saisir l’ensemble de ce processus, pour ne pas
tomber dans des interprétations simplificatrices qui empêchent de
comprendre la situation actuelle et compromettent les véritables solutions
politiques qui pourraient y être apportées. Le gouvernement d’Oaxaca a
ainsi l’occasion de mesurer l’ampleur de la réforme dont cet État a
besoin. De leur côté, les Triqui sont placés devant la possibilité et face
au défi de trouver le meilleur chemin pour poursuivre leur mouvement, en
corrigeant les erreurs du passé et en démontrant la capacité politique
permettant de construire un nouveau type de relation entre leur peuple et
les autres.

Francisco López Bárcenas.

http://www.jornada.unam.mx/2007/01/10/index.php?section=opinion&article=019a1pol

L’APPO fonde une commune autonome en région triqui
Vingt communautés rejoignent l’assemblée populaire régionale

Copala, Oaxaca.

L’Assemblée populaire des peuples de l’Oaxaca (APPO) entame 2007 par la
création de la « Commune libre et autonome de San Juan Copala » dans
l’ouest de l’État, où vit le peuple Triqui.

Peu après minuit, hier, 1er janvier, au cours d’une cérémonie indigène, un
conseil des anciens a remis au nom de 20 communautés de cette zone le
bâton de commandement à José Ramírez Flores, président de l’assemblée
populaire, un paysan de 23 ans qui n’a pas achevé l’école primaire.

« Vous devrez gouverner selon les principes triquis et écouter le peuple
pour conserver la charge qui vous a été donnée. Vous ne devrez pas tomber
dans la corruption et rechercher la paix pour l’ensemble de la nation
Triqui », ordonna dans sa langue l’un des anciens aux membres du nouveau
gouvernement.

Les ethnies triquis qui ont décidé de déclarer leur autonomie font partie
des trois communes officielles mexicaines de Juxtlahuaca, Putla de
Guerrero et Tlaxiaco. « Nous savons que le gouvernement ne l’acceptera
pas, mais nous, nous le reconnaîtrons comme notre propre gouvernement et
nous allons le faire vivre. Maintenant, nous allons nous gouverner
nous-mêmes parce qu’eux (les municipalités officielles) ne sont pas
indigènes, ne sont pas des Triqui et ne savent pas gouverner », affirme
Jorge Albino Ortiz, conseiller de l’APPO appartenant au Mouvement
d’unification et de lutte Triqui indépendant (le MULTI).

« Nous avons fait plusieurs assemblées entre nous et nous avons décidé
qu’il n’y aurait plus d’organisations afin de renouer avec nos traditions
pour construire un gouvernement triqui, avec un président triqui, et
d’avoir une commune libre, autonome et indigène. De la sorte, nous pensons
que la violence cessera. C’est une des choses que nous avons apprises de
l’APPO, prendre des décisions par nous-mêmes sur ce qui nous concerne,
a-t-il ajouté. »

D’après les membres du nouveau gouvernement de Copala, depuis l’arrivée de
l’administration du gouverneur Ulises Ruiz Ortiz, en décembre 2004, il y a
eu 70 meurtres politiques dans cette région, les autorités en question
n’en reconnaissant que 48.

« Nous ne voulons plus d’organisations, parce qu’avec elles c’est la
division qui s’installe, comme quand il y avait le MULTI, l’UBISORT et le
MULT, et ce que nous voulons c’est travailler à la paix », explique
Albino, qui ajoute, en parlant des partis politiques : « Il y a le parti
de l’unité populaire, le PRI, le PRD et aucun ne veut admettre les
véritables causes de la situation dans cette région. Ils ne voient pas des
indigènes, ils ne voient pas des Triqui, ils utilisent les Triqui pour
leurs campagnes électorales et autres mais ils refusent de voir le
problème de fond, comment il est vécu et s’il est vraiment vécu. »

La création de la nouvelle commune a été célébrée dans les locaux de
l’agence municipale de San Juan Copala, qui est désormais depuis hier le
siège officiel du gouvernement populaire autonome. Vers 21 heures, les
représentants d’une vingtaine de communautés voisines (où l’on estime que
vivent 20 000 personnes) commençaient à arriver, pour entamer l’année
nouvelle par un bal.

Suites aux embuscades qui ont eu lieu au cours des dernières semaines, des
indigènes armés appartenant à la police communautaire de la nouvelle
commune gardaient les entrées de Copala, afin d’éviter, selon leur propre
dire, la présence des « paramilitaires » qui opèrent dans cette zone.

DIEGO ENRIQUE OSORNO
Pour The Narco News Bulletin

http://www.narconews.com/Issue44/articulo2478.html

Vacances de fin d’année en terres insoumises.
« Milenio », Mexico, le 11 janvier 2007.

Copala, Oaxaca.

Dans le cœur des Triqui, rebelles de tout temps, les instances officielles
n’existent pas. « L’année 2006 nous a appris que nous ne devons pas nous
soumettre, disent-ils. » La création de leur commune autonome semble en
être la preuve.

« Hé, moi, à votre place, je ne resterais pas ici, parce que toutes les
après-midi on se prend des coups de feu dans le coin. Moi, je suis juste
venu livrer les pétards et je me tire », nous lâche à toute vitesse de sa
camionnette un homme qui va d’emprunter la piste de terrassement pleine
d’ornières qui unit San Juan Copala, le cœur de la culture triqui, et les
routes asphaltées de la sierra mixtèque.

« Ils sont comme ça les Triqui, ils aiment se massacrer entre eux »,
concluent avec un brin de racisme aussi bien des fonctionnaires du
gouvernement local que des activistes de l’APPO. D’autres rendent
coupables les organisations sociales présentes dans cette zone de semer la
terreur et le découragement, en particulier le Mouvement d’unification et
de lutte Triqui que dirige de sa chaise roulante Heriberto Pazos Ortiz, un
vieux dirigeant triqui qui s’est acoquiné avec le gouverneur Ulises Ruiz
Ortiz, ce qui lui a valu la rébellion des membres de cette organisation.

Dans le passé, son organisation disputait à l’« Unité du bien-être social
de la région triqui » le contrôle de cette zone pauvre qui recouvre 13 000
hectares.

Passant outre les conseils du vendeur de pétards, nous poursuivons notre
voyage vers Copala sur la piste accidentée où se sont produites au moins
cinq embuscades de gens armés de fort calibre dans les dernières années.
En chemin, d’énormes blocs de pierre barrant le milieu de la piste
témoignent des barricades que les habitants ont élevées pour empêcher de
passer un convoi de la police d’intervention préventive. Plus loin, deux
véhicules Tsuru de couleur blanche comme ceux qu’utilise la police
nationale gisent renversés sur la berge de la rivière.

Peu après nous entrons à Copala, la commune autonome des Triqui en
rébellion, où toutes les dépendances de l’administration officielle ont
été fermées et les fonctionnaires expulsés, où l’on n’aperçoit nulle part
l’écriteau classique lançant « Bienvenue au village Untel » ou « Vous êtes
à Machin, soyez les bienvenus »... Rien de tout cela ici.

Les pins majestueux si caractéristiques de la région triqui ont peu à peu
disparu, on n’en voit plus non plus sur les bords des chemins et aux
portes des villages de ce secteur. Je m’en étonne auprès d’un des
dirigeants de la communauté, qui me confie à voix basse que c’est « à
cause des embuscades ». Il ajoute que les pins rendaient plus facile à des
hommes armés de se cacher et de tendre une embuscade quand on passe en
voiture ou quand on est chez soi.

Bien sûr, je suis bête de ne pas y avoir pensé. Aussi les habitants
préfèrent-ils les tailler, pour ne pas boucher la vue. C’est l’aspect que
donne aujourd’hui Copala, où il ne reste plus que quelques grands arbres
dans deux des angles du village.

« Et ceux-là, pourquoi ne pas les avoir coupés ? », lui dis-je.
- « Ah ! C’est que ceux-là, la police municipale s’en sert. », me
répond-t-il.

Je commence à saisir que le village a des hommes armés qui surveillent à
leur tour l’éventuelle incursion de ce « groupe paramilitaire » qui opère
dans la zone.

« Nous savons qu’il va y avoir une répression et que des paramilitaires
vont venir, tôt ou tard. Nous nous y attendons, pas moyen d’y échapper,
mais nous savons que nous n’agissons pas mal, que ce que nous faisons
garantit la paix pour les Triqui », nous raconte Jorge Albino Ortiz, jeune
indigène de 23 ans qui participe à l’APPO en tant que conseiller.

« L’heure est arrivée pour les communautés de l’Oaxaca, pour les peuples
indiens, de manifester leur désaccord. Voilà ce que nous avons retenu de
2006, qu’il ne faut plus rester soumis, ajoute-t-il. » Et la cérémonie
d’instauration du gouvernement populaire commence, au cas où l’on aurait
cru qu’il ne s’agissait que de paroles en l’air.

DIEGO ENRIQUE OSORNO

http://www.milenio.com/mexico/milenio/nota.asp ?id=468725&sec=19

Traduit par Ángel Caído.

Message édité le 23-01-2007 à 22:20:10 par Paria
Paria
   Posté le 23-01-2007 à 22:20:59   

Et, cependant, cela bouge

Le gouvernement fédéral persiste à traiter comme une organisation
l'Assemblée populaire des peuples d'Oaxaca (APPO). Il semble croire
qu'elle est formée de masses dociles conduites par un petit groupe de
dirigeants. Avec ceux-ci, il veut se concerter ou imposer des accords. Il
semble aussi supposer qu'emprisonner certains d'entre eux et poursuivre
les autres suffira à la liquider : le chien mort, la rage disparaîtrait.

Dans une organisation, un syndicat ou un parti, les dirigeants conduisent
ou contrôlent leurs membres et ils les mobilisent ou les contiennent. Ce
sont des fonctions qui leur correspondent. Comme ils ont la faculté de
représenter l'ensemble et négocier en leur nom, ils peuvent aussi les
trahir ou s'écarter de leur volonté.

Dans des mouvements sociaux comme l'APPO apparaissent parfois des chefs
charismatiques ou symboliques qui accomplissent d'importantes fonctions,
mais ce ne sont pas des dirigeants. Certains, comme Martin Luther King ou
Che Guevara, gagnent des batailles après leur mort, à la manière du Cid.
Mais ils ne sont jamais des représentants. Ils ne peuvent pas négocier au
nom du mouvement ou remplacer sa volonté.

L'APPO n'a jamais eu de dirigeants ou de chefs. N'étaient pas chefs les
membres de la coordination provisoire. Non plus les membres du Conseil,
lequel ne s'est jamais réuni ­si ce n'est le jour de sa constitution. Ni
ensemble ni séparés, ils ne représentent l'APPO. Les fonctions
d'orientation et de coordination qu'ils peuvent accomplir dans certaines
circonstances n'équivalent pas à direction ou conduite. Ils ne sont pas
non plus responsables de la somme de ce que font tous ceux qui agissent en
son sein. Un jugement juste trouvera impossible d'attribuer aux
"dirigeants" emprisonnés les délits qu'on attribue à l'APPO. C'est
pourquoi ils sont des prisonniers politiques.

Les mouvements sociaux et politiques ne sont pas maniables ou
contrôlables. Les autorités, les événements ou certains "chefs" (s'ils
existent) peuvent les influencer, mais ils ne peuvent pas les manipuler.
Et ils s'éteignent seulement quand on a modifié les conditions qui leur
ont donné naissance. (Les écraser, c'est comme les élaguer. Certains
mouvements, comme celui de 68, gagnent des batailles après avoir été
détruits.)

Les mouvements n'ont guère de propositions, d'objectifs ou de modèles ;
ils ont des motifs ou des raisons, des forces qui les propulsent dans une
certaine direction ; ils sont définis par des convergences critiques de
l'état des choses depuis une grande hétérogénéité ; ils évitent
l'uniformité et les formes de type parti, pour prendre la forme d'un NON,
avec beaucoup de OUI : un rejet commun et une variété d'affirmations, de
projets, d'idéaux.

Des mouvements très connus, comme l'environnementalisme ou le féminisme,
illustrent bien ces caractéristiques. Ils maintiennent leur vitalité et
augmentent leur force, parce que, malgré leurs réalisations, persistent
les motifs : la destruction environnementale ou l'oppression et la
discrimination de la femme. Ils se montrent parfois dans des explosions
ponctuelles : contre des dommages environnementaux spécifiques, contre des
actes féminicides concrets ; mais agissent de manière continue, de mille
manières différentes, sans dirigeant, structures formelles ou définitions
uniques.

L'APPO est un mouvement social et politique d'une grande profondeur
sociale et d'une énorme portée historique. Y prennent part des personnes
très diverses, des groupes et des organisations. Parmi celles-ci, il y en
a d'engagement partisan, appartenant à des organisations nationales, ils
essayent d'apporter à l'APPO, au moulin de sa cause ou de son idéologie et
ont eu, dans les mécanismes de coordination de l'APPO, un poids plus grand
que leur importance réelle. Mais personne n'est à charge. Personne ne
représente l'APPO. Personne ne dirige ou règle les initiatives de ceux et
celles qui font partie d'elle.

Ulises Ruiz est une expression maladive et exacerbée du régime corrompu et
autoritaire que les Oaxaquéniens ne sont pas disposés à tolérer plus
longtemps. Le rejet de sa présence, qui a déclenché le mouvement et qui
continue à le rassembler, n'est ni son moteur ni son destin. L'APPO
continuera à combattre pour se défaire de lui parce qu'il est un obstacle
insupportable sur son chemin. Mais elle avance déjà sur son cadavre
politique pour réaliser les transformations qui sont sa véritable raison
d'être.

L'APPO s'occupe de la réforme de l'État, si, comme telle, on comprend :
une transformation complète des lois, institutions et comportements
sociaux, afin établir un régime adéquat aux réalités d'Oaxaca après s'être
délivré de la structure "caciquiste" et mafieuse qui a prévalu
jusqu'aujourd'hui. Elle promeut ces modifications de manière pacifique et
démocratique, et face à la société, non dans les coulisses du pouvoir.
Elle ne les négocie pas dans un bureau du gouvernement, ni ne les traite
avec les sbires d'Ulises, dans ses
bureaux ou dans l'actuel Congrès local, ce qui, au lieu de changements,
produirait une métamorphose grotesque.

Le mouvement continue. La répression brutale a inhibé certaines de ses
manifestations, quand il cherchait sa voie naturelle, mais ne l'a pas
arrêté. La rivière descend, continue à accumuler des forces irrépressibles
qui cherchent à nouveau leur voie. Le défi est qu'ils la trouvent à temps
et qu'on évite ainsi un débordement ravageur qui pourrait être très
destructif.

Gustavo Esteva

"La Jornada", Mexico, 15 janvier 2007.

http://www.jornada.unam.mx/2007/01/15/index.php?section=opinion&article=027a2pol

Traduit par Denis.
Paria
   Posté le 25-01-2007 à 19:02:51   

Rencontre entre la CCIODH et le docteur Berta Elena Muñoz

La CCIODH (Commission civile internationale d’observation des droits
humains) a recueilli des dizaines de témoignages de personnes et
d’organisations. Hier, la CCIODH a rencontré le docteur Berta Elena Muñoz,
qui a participé aux postes de secours et a été coordinatrice de Radio
Universidad (de l’Université autonome Benito Juárez d’Oaxaca). Le docteur
Muñoz se cache actuellement parce qu’elle et ses enfants ont reçu des
menaces de mort par téléphone par une station de radio. Elle raconte ce
qu’elle a vécu entre mai et novembre. Elle raconte les actes commis par
des "escadrons de la mort formés par des policiers fédéraux et
municipaux". Elle affirme que la révolte d’Oaxaca a eu un caractère
pacifique pendant ces sept mois et dénonce le fait que n’importe quel
passant pouvait être suspect, ou que quiconque ayant une tête d’étudiant,
pouvait être empoigné, embarqué dans une camionnette, frappé et emmené.
Les policiers entraient dans les maisons... "Et j’ai su, à ce moment-là,
ce qu’est le terrorisme d’État". Elle met l’accent sur l’état précaire des
droits élémentaires de la population et souligne l’implication et la
responsabilité du gouvernement fédéral nécessaires à la résolution du
conflit. Elle exige également de ce même gouvernement fédéral des
garanties pour sa propre sécurité.

Madame Berta Elena Muñoz a émis le souhait que ce témoignage soit rendu
public. Dès notre arrivée, nous avions annoncé que nous l’accepterions
lorsque le cas se produirait.

Ville de Mexico, 7 janvier 2007.

BM : Je suis le docteur Berta Elena Munoz. Entre autres, coordinatrice de
Radio Universidad, de l’Université autonome Benito Juarez d’Oaxaca.

CCIODH : Nous aimerions vous demander quelle est votre situation
personnelle en ce moment.

BM : Eh bien, je me cache pratiquement depuis le jour où on a rendu Radio
Universidad au recteur de l’université d’Oaxaca (UABJO), vu que les
rumeurs et les menaces - et depuis quelques jours, plus encore, les
menaces dirigées à mon encontre, que les rumeurs - étaient de plus en plus
nombreuses et persistantes, disant que moi, on ne me mettrait pas en
prison, mais qu’on me ferait disparaître. Ce jour-là, devant le conseil de
l’APPO, j’ai proposé de me livrer publiquement en présence des médias,
oui, des journalistes, pour qu’on ne me fasse pas disparaître, parce que
personne d’après moi, n’a envie de "disparaître". On m’a alors fait
remarquer qu’au point où on en était et au vu de ce qui s’était passé
jusque-là, personne ne pouvait garantir - même si je me livrais
publiquement - qu’on ne me ferait pas disparaître. Nous nous sommes donc
mis d’accord sur ce que nous allions faire, non seulement moi mais
quelques autres personnes, celles qui d’une manière ou d’une autre
s’étaient faites le plus remarquer pour une raison ou pour une autre, sur
le fait que nous devions nous cacher pour voir venir les choses. Je me
donc suis cachée depuis le 28 novembre et vis ainsi depuis le 28, 29
novembre.

CCIODH : Est-ce qu’à un moment quelconque on vous a signifié un mandat
d’arrêt ou une inculpation spécifique pour un délit quel qu’il soit ?

BM : Il est évident que le gouvernement, l’État, ne rendent pas publiques
les listes de ceux qu’ils veulent arrêter. Je ne sais pas de façon
certaine s’il y a un mandat d’arrêt me concernant. Bien sûr, quand on voit
les délits dont sont accusés les camarades détenus, y compris des gens qui
n’appartiennent pas à l’APPO, des gens qui n’ont participé à rien, et
quand on voit qu’ils leur collent des délits tels que "sédition", etc., eh
bien, on se dit, ma foi, qui sait ? moi, ils vont m’accuser d’avoir brûlé
les pieds de Cuauhtémoc. De Cuauhtémoc le roi aztèque, pas l’autre
Cuauhtémoc.

CCIODH : Votre situation a-t-elle affecté votre famille ?

BM : Bien sûr, parce que mes enfants ont été menacés. Et cela, ils l’ont
fait par l’intermédiaire de la fameuse "Radio Citoyenne" par laquelle ils
m’ont menacée ainsi que mes enfants, lesquels sont bien évidemment
également cachés. Cela fait plus d’un mois que je les ne vois pas. Ils ne
se voient non plus l’un l’autre, parce que chacun est caché dans un lieu
différent. Je n’ai pas vu le reste de la famille non plus.

CCIODH : En quoi avez-vous participé au mouvement, au déroulement des
événements à Oaxaca ?

BM : Au début, j’étais responsable d’un poste de secours, le premier poste
de secours qui ait existé dans le mouvement. Pour les besoins mêmes du
mouvement, il a fallu organiser un service médical pour faire face aux
urgences, soigner les blessés, ceux qui avaient des fractures, des
lésions... Plus tard, par un hasard du destin, je suis devenue
coordinatrice de Radio Universidad et je crois que ça a été ce dernier
rôle qui a le plus attiré l’attention, aussi bien de l’État que des gens
qui y ont participé.

CCIODH : Est-ce que vous avez assumé une quelconque responsabilité
organisationnelle après le rôle fondamental que vous avez joué en tant
qu’animatrice de la radio ?

BM : Non, mon principal rôle a été organisationnel, c’est-à-dire que je me
suis occupée des postes de secours, en tant que médecin, car je suis
médecin. Pour les postes de secours créés par la suite, nous avons essayé
de tous les coordonner. Personne ne commandait, mais il y avait une
coordination. En ce sens, l’organisation du poste de secours a été ma
seule responsabilité organisationnelle. Mon autre rôle a consisté à parler
à la radio, pendant l’étape la plus difficile du mouvement.

CCIODH : Dans notre travail, dans les textes et les documents qui sont
portés à notre connaissance, sont dénoncées des violations des droits
humains. En votre qualité de médecin, et avec la responsabilité qui a été
la vôtre, avez-vous des éléments qui nous aideraient à définir et à rendre
concrètes ces violations ?

BM : Bien sûr, nous avons transporté des blessés vers différents hôpitaux.
Des gens blessés par balles par les escadrons de la mort ou par des tueurs
à gages et cela tant le 2 novembre, au cours duquel nous avons eu un grand
nombre de blessés, que les jours suivants. Bien évidemment, le fait qu’on
nous tire dessus dans une manifestation pacifique, comme cela s’est passé,
est selon moi une violation des droits humains. Que l’on vienne tirer sur
les gens qui participaient pacifiquement à un piquet, est également, je
crois, une violation des droits humains.
Que ce soit dans les piquets, les manifestations, ou même en marchant dans
la rue, les camarades ont été attaqués. Ils l’ont été par des tueurs du
gouvernement de l’État et bien sûr, plus tard, par la Police fédérale
préventive et par ceux de l’AFI. Je crois que ça, c’est une violation des
droits humains, d’après ce que je comprends par "droits humains".

CCIODH : Tout au long du conflit, les violations les plus graves sont
celles qui ont porté atteinte au droit à la vie. On a documenté au moins
17 cas de morts par balles, à cause de la violence politique. Pas en un
seul jour, pas seulement pendant les minutes les plus dures, mais...

BM : ... pendant les sept mois qu’a duré le mouvement.

CCIODH : Vous avez peut-être connu ces cas. Comment définiriez-vous et
quelle est votre impression de la façon dont se sont déroulés ces
événements?

BM : En vérité, je vais être franche, je pense que nous ne nous attendions
pas à cette réponse aussi violente de la part de l’État, étant donné que
notre mouvement est pacifique. Jamais, à aucun moment, nous n’avons fait
appel à la violence. Il est vrai qu’il y avait les manifestations, les
piquets, les blocages de routes et bien entendu que tout cela dérange,
mais cela nous dérangeait aussi, parce que, nous non plus, nous ne
pouvions pas passer. Mais cela s’est fait parce qu’ils ne nous ont pas
laissé d’autre choix. Nous en arrivons alors au premier cas : lors d’une
manifestation qui se dirigeait vers Canal 9, la radio et TV d’Oaxaca prise
depuis peu, ça a été une chose très étrange, cette fusillade à l’extérieur
de l’hôpital en particulier, où est mort le premier camarade, le
mécanicien. C’est moi qui ai dû aller voir le cadavre, et les gens me
disaient : "C’était une fusillade, docteur, il y a eu plusieurs coups de
feu." C’étaient des gens qui étaient allés à la manifestation par
solidarité, des gens qui n’appartenaient à aucune organisation, à aucun
syndicat. D’ailleurs, quand on m’a appelée pour m’avertir, j’entendais
encore des coups de feu au téléphone, c’était une fusillade, ce n’était
pas un coup de feu. Et quand est survenue la seconde mort à radio La Ley,
cette fois, c’étaient les escadrons de la mort. Et c’est vrai que voyant
ces choses, je ne me les expliquais pas, je ne pouvais pas y croire, parce
que... c’était comme si nous étions au Chili de Pinochet ou l’Argentine de
Videla ou, pardonnez-moi, dans l’Espagne de Franco. Il y avait plus de
vingt camionnettes remplies de policiers armés jusqu’aux dents, qui
tiraient. Et alors on se dit "pour l’amour de Dieu, et nous qui n’avons
pas d’armes...". C’est à cause de ça, de cet escadron de la mort à ce
moment-là, que les barricades se sont étendues pour éviter qu‘ils accèdent
aux stations de radio et aux antennes des stations de radio.
Bien sûr, vous pouvez dire "pourquoi ont-ils pris les stations de radio ?"
Eh bien, il y avait une station de radio quand le mouvement était
simplement la Section 22, un mouvement des enseignants, parce que la
Section 22 avait sa radio, Radio Planton. Et au moment de l’évacuation, le
14 juin, ils ont détruit cette station de radio. Un groupe d’étudiants a
alors pris Radio Universidad pour diffuser l’information, parce que
l’information que donnaient les médias était tendancieuse, fausse. Et il
était primordial que les gens soient mis au courant de ce qui se passait
réellement.
Alors, on a pris Radio Universidad. Leur première tentative de détruire la
radio a échoué. A la deuxième tentative, oui, ils ont fait sauter la
radio, mais un groupe de camarades, des femmes, avait déjà décidé de
prendre la radio et télévision d’Oaxaca. Le 1er août, elles l’ont prise et
se sont mises à diffuser l’information. Ils ont alors détruit les antennes
de Canal 9, et là-bas il y a eu des blessés, parce que ces tueurs sont
arrivés de nuit, tôt le matin, pour tirer sur les gens. Moi, j’ai dû
emmener un blessé, je m’occupais de l’ambulance, du poste de secours, de
sorte que nous avons réussi à évacuer les blessés, c’est comme cela que
j’ai été témoin. Là-bas, les gens ont décidé de prendre les stations de
radio, c’était une nécessité, parce que l’information qu’elles diffusaient
était une information fausse, tendancieuse. Et il y avait cette nécessité
d’informer les gens de ce qui se passait réellement. Quand on a pris les
stations de radio, c’est là que sont apparus les escadrons de la mort
composés de policiers fédéraux et municipaux, armés jusqu’aux dents, et il
n’y avait pas deux, trois, ou quatre camionnettes, c’étaient des convois
entiers. Si cela n’est pas une violation des droits humains, eh bien je ne
sais pas ce que c’est.

CCIODH : Vous avez été capable de déterminer que c’étaient des policiers
fédéraux à cause des uniformes ou de quelque autre élément...

BM : Il y a même un film, de ce jour où ils ont tué le compagnon
architecte, c’est filmé, ils l’ont montré à la télévision parce qu’ils ont
aussi attaqué un reporter de TV Azteca, ils lui ont arraché sa caméra.
C’est documenté, je ne comprends pas que quelqu’un, ayant vu cela à la TV
mexicaine, puisse nous reprocher à nous des choses, alors que nous...
nous, nous n’avons jamais appelé à la violence.

CCIODH : Y a-t-il eu une enquête préalable ou une inculpation de certaines
de ces personnes, dont vous ayez eu connaissance ?

BM : Non, aucune. Ils ont essayé de faire un simulacre d’enquête… Dans le
cas du premier compagnon qu’ils ont tué, la procureure de l’État a dit que
ça avait été une rixe et qu’on lui avait tiré dessus. Plus tard,
l’autopsie a montré qu’il n’avait pas reçu une balle, mais plusieurs
balles. Dans le cas du second compagnon, rien n’a été fait non plus. Je
crois que ça a été pour le troisième ou le quatrième, je ne me rappelle
pas bien, qu’ils ont arrêté un soldat. Ils ont vaguement dit qu’ils
allaient enquêter sur la mort du Nord-Américain, le reporter Brad, parce
que là, les médias internationaux ont bondi. Et là ils ont essayé, malgré
le fait qu’on voit dans le film ceux qui étaient armés et ceux qui ont
tiré, la procureure de Justice, ou plutôt d’Injustice, de l’État,
elle-même, a dit que c’était nous qui l’avions tué. Mais vous savez déjà
tout cela, toutes ces choses absurdes. Même le compagnon médecin qui a
aidé quand ils l’ont transporté alors qu’il était déjà mort est menacé,
parce qu’il a déclaré que ce n’était pas vrai qu’il n’avait reçu qu’une
balle. Toutes ces morts dans nos rangs n’ont jamais fait l’objet
d’enquêtes, et il n’y en aura pas. J’en suis on ne peut plus sûre.
Pourquoi ? Parce que le responsable direct est le gouverneur de l’État.
C’est lui qui a donné l’ordre et ce sont ces tueurs à gages qui les ont
assassinés. Ils ont été assassinés de façon vile, avec préméditation,
traîtrise et par appât du gain.

CCIODH : Y a-t-il eu une quelconque réponse violente de l’APPO, ou une
réaction à tous ces faits ?

BM : Curieusement, et j’en ai même pris ombrage, lorsqu’ils ont tué le
compagnon là-bas à radio La Ley, les gens étaient calmes, on disait
toujours : c’est un mouvement de résistance pacifique. Et les gens étaient
calmes. Il y avait des moments de rage, parce que, évidemment, si vous
voyez qu’on vous tire dessus et que vous n’avez pas de quoi vous défendre,
il vous vient un sentiment d’impuissance qui inévitablement se transforme
en rage. Cependant, les gens étaient parfaitement conscients du caractère
pacifique de notre mouvement et oui, ils retenaient leur colère, parce que
rien ne justifiait ces morts, rien, il n’y avait pas la moindre raison
pour qu’on leur tire dessus. Ces fusillades se sont produites à Calicanto,
là où est mort le compagnon Brad, mais il y a eu également pas mal de
blessés. Il a fallu en amener certains à un hôpital, d’autres ont été
soignés sur place. Mais ce qui s’est passé à San Antonio de la Cal, à
l’Experimental, devant la Casa de Gobiernos, cette rage, cette colère,
cette haine avec lesquelles nous avons été attaqués, ne se justifient pas.
Nous, nous n’agissons jamais à ce niveau-là, parce que pour nous il ne
s’agit pas de haine, ce n’est pas la haine qui nous fait agir.
Ce qui nous fait agir est simplement un désir de justice. Parce que nous
ne pouvons pas continuer à vivre, en plein XXIe siècle, comme si nous
étions à l’époque de Porfirio. Une époque où n’importe quel cacique de
village, si quelqu’un n’était pas avec lui ou était contre lui, le faisait
tuer et sans qu’il y ait eu la moindre vague. Telle est la situation à
Oaxaca, et c’est ainsi que ce monsieur le gouverneur, ou "dégouverneur",
parce qu’il est plutôt "dégouverneur", en est arrivé à se comporter à
Oaxaca : en s’imposant par la force. Absolument sans aucun sens du devoir
politique, parce que ce monsieur n’est pas un politique et tous ceux qui
étaient avec lui, qui sont avec lui, eh bien ils sont du même acabit : des
gens pour qui la vie humaine n’a absolument aucune valeur. Vous devriez
interroger les gens, ceux qui ont été témoins de la manière dont se sont
déroulées ces agressions que l’on ne s’explique pas... Eh bien oui,
évidemment, il y a eu des moments de colère, et plus que de colère,
d’impuissance, parce que nous n’arrivions pas à comprendre le pourquoi
d’une réponse aussi démesurée à un mouvement pacifique.

CCIODH : Il est de notoriété publique que, en particulier en ce qui
concerne la manifestation du 25, les instances institutionnelles accusent
les manifestants d’avoir incendié des édifices publics et que, pour cette
raison, la manière d’agir et les détentions trouvent une certaine
justification. Considérez-vous que leur version des faits est exacte ?

BM : Ecoutez, si l’on situe le lieu où se trouvaient les "pefepos",
c’est-à-dire la Police fédérale préventive, et où nous, nous nous
trouvions, la Banamex n’était pas là où nous étions, mais là où étaient
les "pefepos". Le seul édifice qui était dans la zone où nous étions est
l’hôtel Camino Real. De plus, il a reçu un cocktail Molotov, eh bien, ça a
été accidentel pendant l’attaque ou la défense, car, plutôt qu’attaquer,
nous nous défendions. Parce que, moi, ce que j’ai réussi à voir, là-bas
dans le corridor touristique, ça a été les "pefepos" en haut sur des
terrasses en dehors de leur zone, qui nous attaquaient, nous. En nous
lançant des billes et en nous faisant des gestes. Il y avait aussi une
quantité énorme de provocateurs, de gens infiltrés de chez eux. Mais oui,
moi je l’ai vu, et j’ai vu depuis l’église Sangre de Cristo que les gens
de la Police fédérale préventive étaient sur d’autres terrasses, hors de
leur zone. Et la zone de Banamex et certains de ces lieux n’étaient pas
dans la zone où nous nous trouvions nous. Et comment aurions-nous pu
arriver jusque-là puisqu’ils nous repoussaient ? Donc, ils peuvent tout
aussi bien dire la messe. Maintenant, en ce qui concerne le tribunal dans
lequel il y avait, pour sûr, des preuves contre les gouvernements
antérieurs, sur des histoires d’argent, dont personne ne sait où il est
passé... eh bien, c’est bizarre qu’il ait brûlé précisément de la manière
dont il a brûlé. Donc, c’est très étrange. Voyons, quel intérêt
avions-nous, nous, à brûler à ce moment-là cette Bancomer ou la Banamex ou
quoi que ce soit. C’est-à-dire, si en sept mois de lutte, nous n’avons
pillé aucun commerce, ni rien incendié, ni rien, croyez-vous qu’à ce
moment-là nous allions le faire ?
Nous ne sommes pas idiots. De plus, il n’y avait aucune raison de le
faire. Tout ça a été quelque chose de préparé pour pouvoir justifier toute
la répression qui a suivi, qui a été une répression sans discrimination,
par laquelle ils ont fait prisonniers des gens qui n’avaient rien à voir
avec tout ça, qui n’étaient même pas dans le mouvement, une répression qui
a été du terrorisme d’État. Parce que, à partir de ce moment, le climat de
terreur à Oaxaca a été épouvantable. Parce que, si quelqu’un passait dans
la rue et qu’il leur paraissait suspect, ou avait une tête d’étudiant, ils
l’attrapaient, le faisaient monter dans une camionnette, le frappaient et
l’enlevaient. Ils entraient dans les maisons pour les fouiller,
patrouillaient, mais d’une manière que je n’avais jamais vue, pas même en
68. Et j’ai su alors, pendant ces jours-là, ce qu’est le terrorisme
d’État, celui qu’avaient dû vivre les compagnons chiliens, les compagnons
argentins, à l’époque de la dictature. En vérité, ça a été une expérience
terrifiante. Mais ils devaient justifier d’une manière ou d’une autre
cette répression sauvage. Et, ma foi, nous ne pouvons pas dire "ça a été
la faute de Fox", parce que Fox n’était déjà plus en fonctions, en
pratique il avait déjà dit qu’il n’y était plus. Est-ce que ça a été
Calderon, est-ce que ça a été le nouveau ministre de l’Intérieur agissant
par anticipation ? Nous ne savons pas, mais cette répression n’a eu aucune
justification. Le mouvement d’Oaxaca est un mouvement pacifique. Et vous
l’avez vu. Malgré tout ce qui s’est passé, le mouvement continue à Oaxaca
et continue à être pacifique.

CCIODH : Depuis tous ces événements, la version officielle consiste à dire
que l’ordre est revenu et que le conflit est résolu. Que pensez-vous de
ces déclarations ?

BM : Eh bien, je ne sais pas. C’est évidemment ce que dit le
"dégouverneur" Ulises Ruiz, je crois que c’est ce que dit le ministre de
l’Intérieur actuel. Mais, pour lui de deux choses l’une : soit il n’est
pas au courant de ce qui se passe, soit il ne veut pas voir les choses en
face. De la part d’Ulises, cela ne nous étonne pas. Mais le mouvement
continue. Parce que c’est un mouvement qui a surgi spontanément. Voilà
soixante-dix ans que nous supportons ce "dégouvernement", et surtout les
trois derniers mandats de six ans qui ont été terrifiants. Les gens n’en
pouvaient plus des vols, des tromperies et de la répression et ils se sont
soulevés de leur propre chef. Malgré la répression, les gens étaient
présents. Et on l’a vu aujourd’hui, avec l’épisode de la distribution des
jouets, et hier avec "l’APPO joueur", qu’ils ont bien peur. C’est même la
panique ! On organise un événement pour distribuer... des jouets ! et on
leur envoie la police et on encercle les camarades, qui de plus sont
toutes des femmes. De quoi ont-ils peur ? Bon, on dit par ici : "Parfois,
les regards tuent."
Mais bon, jusqu’à présent, nous, autant que nous sachions, nous n’avons
tué personne, ni avec des regards ni avec rien. De quoi ont-ils peur ? Si
les choses étaient réellement résolues, ils n’auraient pas besoin de ça.
Maintenant, Oaxaca s’est soulevée, le peuple s’est mis en route. Et il
marche. En quête d’un rêve. Parce que c’est un rêve que nous avons. Le
rêve d’avoir un gouvernement juste, qui ne soit pas répressif, pas
corrompu qui investisse le budget dans les priorités, et pas dans... bon,
je vais parler comme je ne pouvais même pas parler à la radio, mais... pas
de conneries. A Oaxaca, il manque des écoles, il manque de l’eau, des rues
goudronnées, de l’électricité, les choses les plus élémentaires. Et je ne
parle pas de là-bas, des coins reculés de la montagne, non, mais des
colonies périphériques. Et ce monsieur dépense, selon lui, 800 millions de
pesos pour restaurer le zocalo. Si vous allez voir le zocalo d’Oaxaca,
essayez de voir comment se justifient les 800 millions de pesos. Essayez
de voir si ça a coûté 800 millions de pesos. Les gens ne sont pas bêtes.
Ils savent que cet argent, ils se le sont mis dans les poches. Parce que
ce n’était pas une tâche prioritaire, tout ce dont avait besoin le zocalo
était un nettoyage de la place, alors qu’il n’y a pas d’écoles. Quand une
bonne partie des écoles dans les colonies périphériques sont des cabanes :
un sol en terre, pas de chaises, rien. Pas de médicaments dans les unités
de santé. S’il vous plaît! Et ça c’était une priorité. Donc ce que nous
voulons, c’est que le peu d’argent qu’il y a soit dépensé pour les
priorités. Mais que de plus, s’il faut faire des travaux, que cela soit
fait comme il se doit : avec un appel d’offres, non parce qu’un tel est
mon frère, mon beau-frère "allez, on y va!" et ils empochent la moitié du
fric. Oaxaca est un État pauvre, c’est pourquoi ce n’est pas juste. Où les
fonctionnaires sont les copains d’untel et sont des gens qui ne
connaissent rien à leur domaine, rien. Et cela, nous pouvons le dire de la
santé, de l’éducation, nous pouvons le dire de tous les autres domaines.
On dit qu’Oaxaca est l’État où l’éducation est la pire et on rejette la
faute sur les maîtres. Je ne sais pas si vous, pour votre travail, avez dû
arriver sans avoir rien mangé toute la journée en étant obligés de vous
concentrer pour pouvoir capter quelque chose. Si nos enfants sont mal
nourris, quel niveau vont-ils avoir, quel niveau ? Eh bien, nul. Bien sûr,
quelques maîtres sont partiellement responsables, parce qu’il y a partout
des brebis galeuses. Mais, quand on sort, quand on voit les communautés,
quand on voit leur situation, on se dit : "Non, comment diable veulent-ils
que nous ayons un bon niveau d’éducation ?" Quand tout simplement
l’université pendant je ne sais combien d’années a été dans les mains du
"porrisme". Quand les "porros"** sont nommés maîtres à temps plein. Quand
une rectrice est la pire d’entre eux. Quel niveau veulent-ils que nous
ayons ? Et tout ça sous la protection du gouvernement. Quel niveau
d’éducation, par exemple, peut dispenser CENABUABJO quand cette université
consacre une moyenne de 14 000 pesos*** par élève alors que la moyenne
nationale est de 30 000 ? Quel niveau. Et on gaspille l’argent en bêtises
comme celles-là. Et la fontaine des Sept-Régions, je ne sais pas si vous
l’avez connue, c’était une fontaine splendide, une fontaine authentique
qui mettait en valeur le frontispice de la faculté de médecine qui lui
servait de décor. Voyez ce qu’ils lui ont fait, qui ne se justifiait en
rien parce que ce n’était pas nécessaire. Tout cela fâchait déjà les gens,
en fait ils étaient déjà fâchés avant à cause de toutes ces bêtises. Quand
l’évacuation des maîtres s’est produite, personne n’est venu les chercher
chez eux : "Ecoutez, venez nous défendre", ce n’est pas vrai. Nous y
sommes allés tout seuls. J’y suis allée toute seule. Bien sûr, les maîtres
sont venus à la faculté de médecine, j’étais en train d’enseigner. Une
prof est arrivée à 7 heures du matin : "Ils nous font ceci et cela."
Étonnement. J’ai dit eh bien, j’y vais, je vais au zocalo voir ce qu’on
peut faire. Tout comme j’y suis arrivée seule, les gens sont arrivés. Et
c’est ainsi, ils ont continué à arriver par eux-mêmes. Pourquoi : parce
que les gens ont ce besoin de changement. Parce que ça suffit qu’Oaxaca
soit comme il est, que tout le monde vole de l’argent, et qu’on nous rende
coupables, nous les travailleurs, de ce qui se passe. Et alors les gens se
sont révoltés, se sont organisés par eux-mêmes. Oui, bien sûr, il y a eu à
ce moment-là des groupes organisés, des militants de certains courants
politiques, mais, la majorité des gens, nous n’appartenons à rien.
Simplement, nous en avions assez. Une chose très intéressante dans ce
mouvement, c’est qu’il y avait beaucoup de gens âgés. Des gens de plus de
soixante-dix ans, alors que normalement, les gens âgés sont de ceux qui
disent : "Non, ils vont finir par se rendre, j’ai déjà vu ça parce que ça,
je l’ai déjà vu plusieurs fois." Mais ce mouvement est différent. Vous
l’avez vu si vous avez vu les vidéos : les petites vieilles qui portaient
des pierres, les petits vieux. Des gens qui peuvent dire "maintenant, je
suis plus de l’autre côté que de celui-ci" qui peuvent dire "puisque je
suis bientôt en bout de course, pourquoi m’en mêlerais-je ?" Non, eux
aussi ressentent ce besoin de changement. Alors, Non, ce mouvement n’est
pas terminé et il n’est pas près de se terminer. Et ils peuvent bien
continuer à nous réprimer et peut-être que dans une semaine, au lieu
d’être dix à nous cacher, peut-être serons-nous cinquante ; et peut-être
qu’ils vont de nouveau remplir les prisons ; et peut-être qu’ils vont de
nouveau nous tirer dessus.
Mais je le répète encore une fois : les gens ont décidé de se mettre en
route et ils ne vont pas les arrêter. Ils ne vont pas les arrêter et en
voici la preuve : cela continue, le mouvement continue et il va continuer.
Et il ne s’agit pas de leaders, il ne s’agit pas de dire "aïe, ils ont mis
Flavio Sosa en taule !". Parce que, tout d’abord, dans ce mouvement il n’y
a pas de chefs et ça, il faut laisser tomber : il n’y a pas de dirigeants,
il n’y a pas de chefs. Ça a été mon tour à un moment donné de parler à la
radio, mais tout comme avant moi l’avait fait la camarade Carmen. Je n’y
suis plus maintenant, et bon, si se présente à nouveau la possibilité
d’avoir une radio, eh bien c’est une autre personne qui le fera si moi je
ne peux pas le faire. Et d’autres comme moi, sans la moindre expérience de
la radio ou de la télévision. Parce que c’est un mouvement populaire, il
n’y a pas de chefs, pas de dirigeants, rien de tout ça. C’est quelque
chose d’un peu difficile à comprendre, moi-même parfois, je ne parviens
pas à comprendre très bien ce qui s’est passé, comment s’est arrivé. Mais
c’est la réalité, ce sont les faits. Et la répression, eh bien,
évidemment, elle continue d’être à l’ordre du jour.

CCIODH : Après les événements qui se sont déroulés, la possibilité de
rechercher une solution pacifique au conflit, par le dialogue, est-elle
concevable ? Nous croyons comprendre que c’est ce que souhaitent beaucoup
de gens.

BM : La condition sine qua non est le départ d’Ulises, et ça ils ne le
comprennent pas. Rien ne pourra être résolu tant qu’il sera gouverneur.
Lorsqu’il aurait pu négocier, il ne l’a pas fait et a employé la
répression. Et il continue de réprimer et il ne fait que réprimer. Hier
aussi, c’était de la répression. Il ne peut plus y avoir de dialogue avec
des gens qui ne sont plus reconnus par le peuple, parce que Ulises n’est
plus reconnu depuis le 14 juin. Personne ne voudra dialoguer avec lui. Bon
les traîtres et les vendus oui, mais ça c’est normal, mais ceux qui
appartiennent au mouvement ne peuvent accepter et tant qu’Ulises ne
partira pas... Il y a bien un dialogue avec le ministère de l’Intérieur,
mais ils doivent comprendre eux aussi que notre mouvement est pacifique et
qu’ils ne doivent pas nous réprimer non plus. Mais de quel État de droit
parlons nous ? ce qu’ils ont fait eux, c’est appeler la Police fédérale
préventive et l’AFI pour soutenir Ulises. "Nous venons défendre l’État de
droit." Quel État de droit alors que, à peine arrivés, ils ont commencé à
violer les droits humains.
Nous ne sommes plus en 1910, en 1908, en 1920 ou en 1930 où c’étaient
encore l’époque des caciques. C’est une autre époque et il n’est pas
possible d’apporter son appui à un gouvernement assassin, répresseur et
voleur comme c’est le cas aujourd’hui. Le peuple d’Oaxaca ne va plus se
laisser berner. Il se peut que la répression recommence. La peur, la
terreur peuvent revenir il nous faudra battre en retraite mais où cela
nous mènera-t-il ? Je n’en sais rien.
Le mouvement est pacifique mais il nous ferment toutes les solutions
pacifiques et cela engendre un sentiment d’impuissance énorme. Vraiment,
je ne comprends pas ce gouvernement fédéral. On suppose a priori qu’ils
sont intelligents, qu’ils raisonnent, qu’ils réfléchissent et ils
devraient donc voir les conséquences de cette répression. Nous ne sommes
plus dans les années cinquante pendant lesquelles on pouvait exterminer
tout un peuple sans que personne ne le sache. Ce qui se passe aujourd’hui
à Oaxaca, tout le monde est au courant. Comment, et avec quel culot, le
président du Mexique peut-il parler de démocratie alors qu’il agit de la
sorte ? Il y a peut-être une solution, mais tout dépend de l’attitude du
gouvernement fédéral.

CCIODH : Est-ce que vous espérez, après tous ces événements, une solution
qui améliorerait les conditions de vie des gens d’Oaxaca et le respect des
droits humains ?

BM : De la part d’Ulises Ruiz, c’est clair qu’il ne va pas y avoir de
changements et nous en sommes conscients. Sachant que vous étiez à Oaxaca,
qu’il y a ici des commissions internationales des droits humains, hier il
a envoyé sa police, dans le cadre d’une mission pacifique et de
bienfaisance, distribuer des jouets à l’occasion de la fête des Rois
mages.
De sa part et de la part de ses partisans, comme Lino Celaya et tous
ceux-là, non. Il n’y aura pas une amélioration à Oaxaca en ce qui concerne
les droits humains. Ce monsieur garde ses atouts et ses avantages. Ici,
cela dépendra beaucoup du gouvernement fédéral . Que peut-on espérer -
puisqu’on dit que l’espoir est ce qui meurt en dernier ? Eh bien, en effet
que ces gens mettent les cartes sur la table. Et, de plus, le Mexique
s’est engagé au niveau international, rien que sur ce point. Ils ont une
responsabilité face au monde : ils sont là-bas à la commission - ou comité
- des droits humains de l’ONU, le Mexique en fait partie. Et vous avez vu,
ce n’est pas qu’à Oaxaca : il y a Atenco, et ce qui s’est passé à
Guadalajara quand les antiglobalisation, je ne sais pas si vous êtes venus
enquêter à cette occasion, mais ça a été également terrifiant. Donc, je ne
sais pas... je pense que le gouvernement fédéral doit capituler. C’est ce
que nous espérons et, de plus, c’est ce que nous souhaitons.
Mais, quoi qu’il arrive, les citoyens et citoyennes d’Oaxaca, je le répète
encore une fois, non seulement les citoyens et citoyennes, mais encore
ceux qui n’ont pas encore l’âge de l’être, ont décidé de se mettre en
route. Et on ne va pas les arrêter. Le prix à payer serait très cher, d’où
que l’on considère la question, pour noyer ce mouvement. Ce n’est pas la
révolution, non. Il s’agit simplement de respecter les lois qui existent
déjà, de respecter la Constitution. C’est-à-dire, il ne s’agit pas de
"nous allons changer le monde", non. Simplement : c’est comme cela ?
respectez-le. Est-ce si difficile ? Mais il semble qu’ils ne l’ont pas
compris. Mais l’espoir, c’est de faire avancer cette compréhension. Moi,
j’espère pouvoir retourner à Oaxaca pour retrouver mon travail, voir ma
famille, être dans ma maison, bien qu’elle soit minuscule, mais c’est ma
maison. Pouvoir marcher dans les rues d’Oaxaca, boire mon petit café au
zocalo comme j’en ai l’habitude. Mais en ce moment, je ne peux pas aller à
Oaxaca.
Pourquoi ? Parce qu’on m’a menacée de me tirer une balle. Et mes enfants
de même. Et donc, c’est ça, un "État de droit" ? Peut-être n’y a-t-il pas
de mandat d’arrêt à mon encontre, ça je ne sais pas, mais je sais que ma
vie est en danger, ma vie est en danger.
Ils me l’ont fait savoir une quantité de fois dans mon téléphone portable,
ils l’ont dit une quantité de fois à Radio Alcantarilla. Et, que je sache,
il n’y a pas de mandats d’arrêt pour ceux qui poussaient à la violence
bien plus que ne le faisait Radio Universidad.
Parce que, à Radio Universidad, tout ce que nous avons fait a été
d’appeler à la défense, jamais à l’attaque. Nous n’avons jamais dit :
"Allez brûler leur maison." Jamais. Et heureusement, car on a pu entendre
Radio Universidad dans bien des parties du monde via Internet, et grâce à
ça on peut vérifier tranquillement que nous n’avons jamais appelé à la
violence. Nous avons appelé à se défendre dans les occasions où il était
nécessaire de défendre quelque chose. Mais bien sûr que je veux retourner
à Oaxaca. Je veux et j’exige des garanties du gouvernement fédéral et du
gouvernement de l’État parce que je n’ai commis aucun délit : je n’ai
assassiné personne, je n’ai pas volé, je n’ai pas séquestré. Et comment
est-ce possible que, simplement parce que j’ai exprimé mes opinions, il
plane sur ma tête une menace de mort, et sur celle de mes enfants ? Et je
ne suis pas la seule, c’est le cas aussi de l’enseignante Carmen, qui a
aussi été coordinatrice de Radio Universidad, à Canal 9 et à radio La Ley.
Ont-ils si peur des mots ? Pourquoi tout ce déploiement de forces... bon,
il ont déjà recommencé au Michoacan, je crois que ça ne leur a pas réussi.
Mais pourquoi n’ont-ils pas envoyé tous ces effectifs de Police fédérale
préventive là où il y a l’énorme problème du narcotrafic ? Non, ils les
envoient contre un peuple sans défense, un peuple pacifique qui ne fait
que demander justice.

CCIODH : Désirez-vous ajouter quelque chose ?

BM : Eh bien, je crois qu’il est très important d’être bien conscient du
fait que ce mouvement n’est pas un mouvement d’organisations ou de partis
politiques. Il a surgi spontanément. Bien sûr, initialement, il a eu pour
centre le mouvement des enseignants. Mais en fait, comme les maîtres se
mettent en grève chaque année depuis vingt-six ans, on n’en fait plus cas.
En général, notre seule réaction, c’est de dire : "Ils vont encore faire
une manif..., ils vont bloquer telle rue, à quelle heure vais-je pouvoir
rentrer à la maison." Mais, le jour de l’évacuation, le mécontentement des
gens était tel, que nous y sommes allés. Et nous y sommes allés de notre
propre initiative. Et peu à peu, évidemment, les gens se sont organisés
dans leurs colonies, leurs quartiers, leurs villages. Mais ce mouvement
n’est pas un mouvement de partis et d’organisations politiques, c’est un
mouvement du peuple pour le peuple. Et c’est un mouvement dans lequel vous
pouvez rencontrer des gens de tous les âges, de professions différentes,
de classes sociales différentes, des Indiens, des paysans, des ouvriers -
peu d’ouvriers, parce qu’il y a peu d’usines à Oaxaca, il n’y a pas
d’industries - des travailleurs, des bureaucrates, des employés, des
commerçants. C’est un mouvement du peuple. Et si ça n’avait pas été un
mouvement du peuple, je ne sais pas comment on aurait pu tenir sept mois,
je ne sais pas comment on aurait pu garder les barricades pendant tant de
mois. Deux mille barricades dans la ville d’Oaxaca, avec quels gens. Oui,
c’est bien un mouvement du peuple, ce n’est pas autre chose.

Notes
* UABJO : Université d’Oaxaca
** Porrisme, porros : on peut traduire porros par « hommes de main
infiltrés », milices spécialisées dans les coups de main à l’intérieur de
l’université.
*** 1 dollar : un peu moins de 11 pesos. 1 euro : 14 pesos environ.

Traduction trouvée sur a-infos


http://www.ainfos.ca/fr/ainfos06426.html

http://cciodh.pangea.org/quinta/entrev_070106_b_e_munoz_cas.shtml

Paria
   Posté le 27-01-2007 à 12:31:55   

COMMISSION CIVILE INTERNATIONALE D'OBSERVATION SUR LES DROITS HUMAINS

Ve VISITE SUR LES ÉVÉNEMENTS D'OAXACA

CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS PRÉLIMINAIRES PRÉSENTÉES LE 20 JANVIER 2007
DANS LA VILLE DE MEXICO

CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS PRÉLIMINAIRES DE LA CCIODH SUR LE CONFLIT
SOCIAL D'OAXACA

I- CONCLUSIONS

La Commission Civile Internationale sur les Droits Humains, s'appuyant sur
ses investigations, estime avérés les points ci-après

SUR LES MORTS ET LES DISPARITIONS

1.- La commission considère que les faits qui se sont déroulés à Oaxaca
constituent un maillon d'une stratégie juridique, policière et militaire,
avec des dimensions psychosociales et une politique communautaire dont
l'objectif ultime est d'instaurer le contrôle et l'intimidation de la
population civile, dans des zones où se développent des processus
d'organisation des citoyens ou des mouvements à caractère social non
dirigés par les partis.

2.- Le bilan des morts recensées par la CCIODH atteint provisoirement un
total de 23 personnes identifiées.

La Direction Générale de Justice de l'Etat reconnaît 11 cas et la
Commission Nationale des Droits Humains avance le chiffre de 20 dans son
rapport préliminaire. En outre, la CCIODH a recueilli des informations sur
la mort d'autres personnes non identifiées.

3.- Il existe des présomptions sérieuses de disparition de personnes. L'un
des obstacles majeurs aux investigations et à l'éclaircissement de ces
disparitions est l'absence de dépôt de plaintes.

4.- Les morts et disparitions se sont produites à des moments où l'on a pu
détecter un accroissement du niveau des violences et des affrontements,
qui correspond à la mise en marche d'opérations conçues à de telles fins.
Au cours de ces opérations, on constate la participation et la
coordination de différents auteurs matériels et intellectuels. On peut
citer l'exemple du 27 octobre 2006, où de nombreux témoignages permettent
d'établir l'existence d'une opération combinée qui a produit des effets
graves dans le "municipe" de Santa María Coyotepec et à d'autres endroits,
de façon simultanée.

5.- Les homicides ont été perpétrés dans la ville d’Oaxaca et dans les
communautés où l'on constate une augmentation significative et
concomitante de la violence et de la présence militaire, ainsi que des
agressions contre des civils appartenant dans la majorité des cas à
différents groupes indigènes.

SUR LES ATTEINTES À LA LÉGALITÉ

6.- Les pouvoirs publics n'ont pas garanti le plein exercice de la liberté
d'expression, de pensée, d'association, de réunion, de participation
politique, de libre circulation et de manifestation. L'exercice de ces
droits fondamentaux a été empêché par l'usage de la force physique et de
la coercition. Des rassemblements et des marches pacifiques ont été
violemment dispersés, et on a interdit le plein exercice des fonctions de
représentants communaux légalement élus. Des journalistes ont été
agressés, et des médias présents harcelés.

7.- Le droit à l'éducation a été et continue d'être bafoué pour diverses
raisons : le manque de moyens matériels et humains, particulièrement dans
les zones rurales, ainsi que la prolongation du conflit, due à l'absence
de dialogue en vue de le résoudre. Aucune des parties en conflit n'a
établi de mesures alternatives pendant la grève des enseignants, afin
d'assurer le droit à l'éducation des garçons et filles des écoles. De
nombreuses situations irrégulières sont encore recensées à propos des
inscriptions, des affectations de postes, des occupations d'école et de
reprise des classes.

8.- Les droits de grève et la liberté d'expression syndicale des
enseignants, ainsi que leur liberté d'expression dans l'exercice de
l'enseignement ont été violés. La Section 22 du SNTE, représentée au sein
de l' Assemblée Populaire des Peuples d’Oaxaca, a été l'organisation
sociale la plus fortement et cruellement affectée par le conflit. Elle a
été la cible de destructions matérielles, de harcèlements, de menaces,
d'agressions, d'assassinats et de disparitions, dans un nombre
significatif de cas.

9.- Les actions répressives ont été menées sans discrimination contre la
population civile : hommes, femmes, enfants et personnes âgées ont été
l'objet de jets de gaz lacrymogène et de gaz poivre, d'eau additionnée de
produits chimiques ainsi que de tirs provenant d'armes de moyens et gros
calibre, effectués depuis des véhicules et des hélicoptères militaires.
Ont participé à ces opérations des corps de polices fédérales, de l'Etat
d’Oaxaca, municipales, et des groupes d'élite, soutenus y compris par
l'intervention d'effectifs militaires pour des tâches de logistique et de
coordination. Des groupes de personnes en civil, portant des armes de gros
calibre, ont effectué des enlèvements, des arrestations illégales, des
perquisitions et des tirs, agissant dans certains cas à partir de
véhicules de la police et bénéficiant de l'appui de fonctionnaires
publics.

10.- Les forces de police de l'Etat et fédérales ont procédé à des
arrestations arbitraires et illégales, de façon répétée et parfois à une
grande échelle, contre la population civile. Certaines des arrestations
ont été menées par des civils qui ont employé la force pour livrer les
personnes détenues aux forces de police, avec l'entier consentement de ces
dernières. Les arrestations ont été menées avec une violence physique et
psychologique totalement disproportionnée, prenant parfois la forme de
véritables enlèvements. Des agressions sexuelles ont été perpétrées à
l'encontre des détenus, qu'il s'agisse de femmes ou d'hommes.

11.- Les droits des personnes arrêtées n'ont pas été respectés : on ne
leur a pas notifié les délits qui leur étaient imputés, ni leurs droits.
Elles ont été mises au secret et leur détention n'a pas été communiquée à
des personnes de confiance ou à des membres de leur famille. Enfin, les
délais légaux de présentation devant la juridiction compétente n'ont pas
été respectés.

12- Des endroits illégaux ont été utilisés comme lieux de détention et
dans de nombreux cas ils ne présentaient pas les garanties minimales de
sécurité et de salubrité : il s'est agi de bases militaires, d'édifices
gouvernementaux ou de "maisons de sécurité".

13.- Au cours des transferts en prison les droits humains ont été violés
de façon particulièrement grave. Des tortures physiques (chocs
électriques, coups, blessures diverses, brûlures, etc.) et psychiques ont
été pratiquées. La CCIODH a recueilli des indices évidents de viols sur
des hommes et des femmes, confirmés par des témoignages et des
observations cliniques. Ont participé à ces transferts des membres des
corps de police, ainsi que, dans certains cas, des effectifs de l'armée et
des groupes de personnes en civil et armées qui gardaient les détenus
jusqu'aux prisons.

14.- Dans le cadre des arrestations et des transferts en prison, un
"bureau du procureur" mobile est intervenu ainsi qu'il apparaît dans les
documents judiciaires. Un tel organisme est dénué de toute existence
légale, et son action, dépourvue de transparence, n'est sujette à aucun
contrôle.

15.- Les droits de la défense des personnes détenues et jugées n'ont pas
été garantis. Elles n'ont pu disposer de l'assistance d'un avocat de
confiance, communiquer avec leur défenseur, bénéficier de conditions de
confidentialité lors des entrevues, ou encore recevoir l'assistance d'un
interprète dans les démarches concernant des personnes indigènes.

16.- Les avocats ont rencontré de multiples obstacles pour accéder aux
dossiers judiciaires de leurs clients, pour la présentation des preuves à
décharge, pour l'accès aux auditions publiques, et en général dans
l'exercice de leurs fonctions. Dans certains cas, ils ont fait l'objet de
menaces et de vexations de la part des fonctionnaires publics.

17.- Une grande partie des détenus ont été assistés par des avocats commis
d'office dépendant administrativement du pouvoir exécutif, qui ont suivi
des consignes et de ce fait avalisé toutes les illégalités des procédures.

18.- Le droit à un procès équitable et le principe de la protection
juridique à tous les détenus a été violé : les irrégularités concernent
les organismes compétents sur le déroulement du procès, le respect des
délais et des formalités des notifications contenus dans la législation en
vigueur ainsi que l'établissement des cautions. Les certificats médicaux
n'ont pas reflété la gravité réelle des lésions, ni leur cause. On a
observé un manque d'information au sujet des moyens de contestation des
décisions. Tous ces éléments provoquent des situations de privation
illégale de liberté, de mise au secret et d'impossibilité d'assurer la
défense des personnes concernées.

19.- Les incarcérations dans des prisons d’états ou fédérales ont été
effectuées sans respecter la procédure légale : notification et ordonnance
de mise en détention. Les détenus n'ont pas été informés de la possibilité
d'obtenir une mise en liberté sous caution dans certains cas, tandis que
dans d'autres on constate un montant des cautions manifestement
disproportionné par rapport aux faits imputés. Les conditions de vie,
d'hygiène, de salubrité et d'alimentation constatées lors des visites dans
certaines des prisons enfreignent les normes minimales de la législation
du pays ainsi que celles contenues dans les traités internationaux
ratifiés par le Mexique.

20.- On a constaté le cas de personnes détenues dans des prisons fédérales
qui ont subi des traitements vexatoires et dégradants. Elles ont fait
l'objet de menaces et d'exactions, sur le plan physique et psychologique,
de la part des gardiens.

21.- Certaines personnes ont été recluses dans des prisons de moyenne ou
de haute sécurité, malgré leur situation en détention provisoire, et sans
que soit fourni un quelconque écrit ou document justifiant la dangerosité
des prisonniers ni la nécessité d'adopter une telle mesure.

22.- Des mineur ont été arrêtés avec un usage injustifié de la force, et
ont été transférés, dans quatre cas , dans des prisons pour adultes. Trois
d'entre eux à la prison de moyenne sécurité de Nayarit - où l'âge pénal
est de 18 ans -, en violation des conventions, traités et accords
internationaux sur la protection des droits humains de l'enfance. Une
situation d'insécurité juridique par rapport aux droits des mineurs a été
créée à partir de l'entrée en vigueur au 1er janvier 2007 de la Loi sur la
Justice pour les Adolescents.

23.- Les représentants du Ministère Public n'ont engagé aucune procédure
contre des représentants d'institutions publiques malgré l'évidence de
faits constitutifs de délits que cet organisme a pour rôle de poursuivre.

24.- Certaines procédures entamées à la demande des personnes affectées se
trouvent paralysées malgré la présentation de preuves. Selon des
témoignages dignes de foi, l'arrêt de ces procédures obéit à des ordres
directs en provenance de l'Exécutif de l'Etat d’Oaxaca.

25.- La Commission Nationale des Droits Humains et la Commission de l'Etat
des Droits Humains, qui ont capacité à intervenir sur demande d'une
partie, ou d'office, l'ont fait de façon tiède et insuffisante. Elles ont
pourtant constaté les violations antérieurement énumérées, soit par une
observation directe (lors de leurs visites dans les prisons), soit
indirectement (par les plaintes et les demandes présentées par des
particuliers ou des organisations civiles). En ce qui concerne en
particulier la Commission d'Etat des Droits Humains, nous avons recueilli
un certain nombre de témoignages rapportant qu'au moment des arrestations,
alors qu'étaient infligées des tortures graves, celle-ci n'est pas
intervenue malgré les requêtes qui lui étaient adressées.

SUR LES ATTEINTES PSYCHOSOCIALES ET SANITAIRES

26.- Les violations des droits humains ont eu d'importantes conséquences
physiques, émotionnelles et psychologiques, affectant sévèrement les
personnes, les familles et la communauté. Les séquelles psychosociales
dérivées du conflit n'ont pas disparu totalement, mais se reflètent au
contraire dans la vie quotidienne des personnes, des familles et des
populations.

27.- On a relevé des effets et des symptômes caractéristiques de troubles
de stress post-traumatique et de trauma social. Les plus fréquents sont
les suivants : événements traumatisants revécus de façon permanente,
réveil brutal au cours de la nuit, terreur nocturne, frayeur devant
certains bruits et sons, peur de la solitude, réactivité psychologique à
des stimulations internes et/ou externes, hyper-vigilance et syndrome de
persécution. Il se développe un sentiment d’aléa et une sensation
d'injustice, de manque de défense, de perte de contrôle de la situation et
sur sa propre vie. Nous avons constaté une difficulté à verbaliser ce qui
leur est arrivé.

28.- L'assistance médicale a été apportée de façon tardive et
insuffisante. Des éléments plus que concordants permettent d'affirmer que
des membres des forces de police ont pénétré dans les hôpitaux pour
procéder à l'arrestation de personnes blessées. L'action de la Croix-Rouge
d’Oaxaca a été mise en cause, précisément pour ces raisons.

29.- On constate l'absence d'aide et un manque de suivi psychologique pour
les victimes et leurs proches. Il convient de souligner tout
particulièrement le choc psychologique subi par les personnes qui ont été
ou demeurent en situation d'incarcération, étant données les conditions de
celle-ci, ajoutées à l'absence de soins médicaux et de respect des
garanties élémentaires. La situation des mineurs arrêtés et détenus dans
des prisons pour adultes s’avère être particulièrement préoccupante.

30.- Nous observons l'importance de l'impact et des conséquences de la
stratégie psychosociale visant à inspirer la peur : le fait que l'on ne
porte pas plainte et l'accroissement de la défiance, à l'égard des
personnes et des institutions, sont confortés par la diffusion de
dénonciations et de calomnies, par des campagnes haineuses, par une
incitation à la violence, ainsi que par la mise en place d'obstacles
juridiques de toutes sortes.

31.- L'unité et la vie familiale ont été affectées par les circonstances
nouvelles : division au sein des familles (à cause de différends
idéologiques et politiques, des changements de domicile ou de lieu de
travail, des séparations forcées), harcèlements et menaces, obligation de
modifier ses apparences, réorganisation familiale. On constate un impact
économique chez les personnes affectées par le conflit et dans leurs
familles : perte d'emploi, stigmatisation sociale ou dans le milieu
professionnel, nécessité de déplacements pour les visites dans les prisons
et les convocations judiciaires. Il faut ajouter à cela le coût des
dommages matériels subis.

32.- La société a atteint un degré important de polarisation qui détériore
et rompt le tissu social.

33.- Par ailleurs, nous avons pu constater que malgré la stratégie
développée, il existe, au niveau collectif et individuel, un niveau élevé
de solidarité qui apporte une forte capacité de récupération et de
consolidation. Nous avons observé une certaine dignité dans des situations
pouvant être considérées comme extrêmement graves et violentes. Ceci
concerne aussi bien les personnes socialement engagées que l'ensemble de
la population.

34.- Au niveau social, nous constatons la grave détérioration et la
défiance ressentie par les personnes à l'égard des institutions, ce qui
met sérieusement en péril les voies de participation démocratique. Etant
donné le haut degré de violence sociale existant, il est possible que la
stratégie de contrôle social mise en place finisse par générer des
réactions d'une plus forte intensité et plus violentes. Cette perte de
confiance dans les institutions et l'impunité dont elles ont bénéficié à
propos des faits décrits dans ce rapport rendent difficile le dialogue
entre les parties en conflit.

SUR LES MÉDIAS

35.- Au cours du conflit, un élément significatif a été l’appropriation
de plusieurs médias comme réponse à la désinformation et comme expression
du mécontentement de la population. Les médias indépendants ont gagné une
audience nouvelle et quelques médias communautaires ont acquis leur
indépendance. Pour toutes ces raisons ils ont été et demeurent la cible
d'attaques et d'une répression sélective.

36.- Les journalistes et les travailleurs des médias ont été victimes
d'attaques indiscriminées. A partir de la mort de Bradley Will, nombre
d'entre eux ont décrit des conditions de travail similaires à des
situations de guerre.

37.- Peu de plaintes ont été déposées auprès des autorités. La CCIODH
possède des indices montrant que certaines directions ont incité leurs
reporters à taire aussi bien les outrages qu'ils ont subis que des
situations dont ils ont été les témoins.

38.- Les investigations autour des homicides du journaliste nord-américain
Bradley Will et du journaliste d’Oaxaca Raúl Marcial Pérez, n'ont pas
progressé. Les circonstances de ces homicides n'ont pas été clarifiées et
sont entachées en matière d'expertise et de procédure de toutes les
irrégularités qui ont été décrites antérieurement, dans la partie
concernant les dénis de justice

HARCÈLEMENT ET MENACES À L'ENCONTRE DE DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS

39.- Les organisations des Droits Humains non gouvernementales et leurs
membres ont été victimes d'attaques ciblées, de harcèlement, de menaces,
d'agressions, de campagnes diffamatoires, de mépris et d'accusations qui
ont entraîné une criminalisation de leurs actions. Nombre d'entre eux ont
été obligés de prendre des mesures pour sauvegarder leur intégrité
physique et leurs moyens de travail, ce qui a affecté le bon déroulement
de celui-ci.

SUR LES FEMMES

40.- La commission a enregistré des agressions verbales, physiques et
sexuelles (viols, rasage des cheveux, coups, obligation de se dénuder, de
s’accroupir etc.) nombreuses et variées à l’encontre des femmes,
précisément en raison de leur qualité de femmes. Les conséquences ont été
particulièrement graves car elles ont entraîné, dans des cas recensés, des
dommages physiques, psychologiques et sociaux tels que des avortements
traumatiques.

SUR LES PERSONNES ET LES PEUPLES INDIGÈNES

41.- L'assistance d'interprètes au cours des enquêtes policières et
judiciaires n'a pas été garantie, et la Loi sur la Défense des Peuples et
Communautés Indigènes n'a pas été appliquée. La CCIODH constate que de
nombreuses personnes indigènes arrêtées et détenues ainsi que les membres
de leurs familles, ont témoigné avoir fait l'objet de discrimination
ethnique de la part de fonctionnaires publics : interdiction de
communiquer dans la prison de Nayarit, due à la méconnaissance de leur
langue, insultes et traitements vexatoires en rapport à la non-maîtrise de
l'espagnol.

42.- Dans les régions des Vallées Centrales, de la Mixtèque, de l'Isthme,
de la Sierra du Sud et de la Côte, ainsi que dans la zone Triqui, on a
constaté une augmentation de la présence des corps militaires, de groupes
de civils armés et de pistoleros, commandés dans certains cas par des
caciques et des présidents municipaux, qui agressent, assassinent,
séquestrent, harcèlent et menacent de mort la population (y compris les
enfants et les femmes), provoquant des déplacements dans certaines
communautés, avec la fracture sociale et la dislocation familiale
correspondante.

II – RECOMMANDATIONS

S’appuyant sur les conclusions ci-dessus, la CCIODH fait les propositions
suivantes :

1. S’attaquer aux causes premières de ce conflit dont il faut chercher les
racines dans des problèmes structuraux de la pauvreté, caciquisme,
inégalité d’accès aux ressources du manque de moyens pour l’éducation et
la santé, non-respect de la mémoire historique et de l’identité indigène,
atteinte aux procédures démocratiques et non respect de l’accès à une
réelle participation, en créant les conditions rendant possibles la
réparation des violations des Droits Humains et la restauration de la
cohabitation au sein de cette société aussi polarisée.

2. Afin de garantir la séparation des pouvoirs, la transparence au niveau
de l’action des fonctionnaires et le plein respect des Droits Humains à
Oaxaca, il convient d’élaborer et de mettre en place une réforme en
profondeur des institutions de l’Etat. S’agissant d’une réforme que toutes
les parties sans exception jugent nécessaire, il conviendrait de lancer
rapidement le processus, dans le respect des principes démocratiques de
dialogue et de participation, afin d’éviter un nouveau déchaînement de la
violence latente et les manifestations des revendications sociales sous
forme conflictuelle.

3. Afin de rétablir l’état de droit, il faut garantir sans délai
l’ouverture d’une enquête sur les délits commis, spécialement dans les cas
les plus sérieux (morts, disparitions, tortures et agressions sexuelles) ;
la révision de la situation juridique des personnes libérées sous caution
; l'abandon des poursuites en cours, et notamment celles pour lesquelles
il n’y a pas de preuves ; ainsi qu’une réparation financière, morale et
sociale aux victimes.

4. Reconsidérer la situation juridique de toutes les personnes
emprisonnées et faire procéder à la libération immédiate, aussi bien des
personnes emprisonnées pour des motifs strictement politiques que de
celles qui le sont sans preuve et/ou pour lesquelles la gravité des faits
incriminés ne justifie pas la privation de liberté.

5. Afin de rétablir la confiance de la société civile dans les
institutions publiques, et pour empêcher l’impunité, ses représentants
doivent : reconnaître publiquement les violences commises, pointer les
responsabilités sans que les uns et les autres se retranchent derrière les
attributions de compétences et désormais honorer stricto sensu les
Conventions Internationales ratifiées par Mexico.

6. Procéder au désarmement, contrôler la possession et l’utilisation
illégale d’armes, empêcher les agissements de milices civiles armées et
leur coordination avec les Corps et les Forces de Sécurité.

7.- Impulser les mécanismes nécessaires à la reconstruction de l’équilibre
social par des mesures de réparation des préjudices individuels et
collectifs.

Ces mesures doivent être prises en accord avec les victimes et inclure la
réparation morale, émotionnelle du préjudice communautaire, économique,
juridique, social et historique.

8. Rétablir l’ordre par la voie du dialogue et non par l’usage de la force
publique.

9. Appliquer des programmes d’accompagnement thérapeutique spécialisé en
faveur des victimes d’agressions et de tortures de tout ordre, tant
physiques que psychologiques, avec une attention toute particulière à
l’égard des hommes et des femmes victimes d’agressions sexuelles et de
violences.

10. Apporter une attention particulière à tous les mineurs ayant eu à
souffrir d’agressions, d’arrestations, de tortures, de déplacements et
d’internements.

11. Nous lançons un appel aux organisations locales, nationales et
internationales pour qu’elles coopèrent, de concert avec les organisations
locales, au suivi psychologique et à la prise en charge médicale et
professionnelle des victimes.

12. Prendre les mesures nécessaires, effectives et adéquates pour garantir
l'indépendance de tous les médias et équilibrer l'accès et la diffusion de
l'information entre les médias commerciaux, indépendants et
communautaires.

13. Garantir l'intégrité physique et psychologique des professionnels des
médias dans l'exercice de leur profession sur le terrain.

14. Prendre les mesures nécessaires, effectives et adéquates, pour
garantir que les défenseurs des Droits Humains puissent réaliser leurs
activités librement, tout en privilégiant leur protection et le respect de
leurs libertés fondamentales, en garantissant leur sécurité et leur
intégrité physique et psychologique dans l'exercice de leur tâche.

15. Prendre en considération les demandes des peuples indigènes en évitant
toute discrimination et en respectant leurs droits politiques,
économiques, sociaux et culturels. Garantir le respect et l'application
des lois relatives aux communautés indigènes et favoriser le développement
de politiques d’intégration de ces communautés par des mécanismes de
participation et de défense appropriés à leurs formes d'organisation, de
gouvernement et à leurs us et coutumes.

16. Inciter les Ministères Publics Spéciaux (créés pour la protection
effective des droits des groupes les plus vulnérables tels que les
journalistes, les communautés indigènes, les femmes et les mineurs), à
œuvrer de façon ferme et concrète.

17. Déterminer toutes les responsabilités politiques ainsi que les
personnes impliquées dans les faits rapportés dans ces conclusions et
recommandations. Au niveau de l’état, nous précisons la nécessité
d’enquêter sur les agissements des services du Ministère de la Justice, du
Secrétariat de Protection Des Citoyens ainsi que du Ministère de
l’Intérieur, ce qui implique d’enquêter sur le mode opératoire du
gouvernement de l’état dans son ensemble. Au niveau fédéral, il est
nécessaire d’enquêter sur les actions de la Police Fédérale Préventive, du
Ministère de la Sécurité Publique et du Ministère de la Justice

18. Donner suite maintenant au travail d'observation internationale du
respect des Droits Humains à Oaxaca, tâche à laquelle devront se consacrer
des institutions et des organismes indépendants et impartiaux qui peuvent
garantir la liberté de mouvement, la protection en cas de dénonciation de
violences, l'assistance due aux personnes concernées et aux victimes et la
juste réparation pour toutes les violences décrites. En ce sens, nous
recommandons au gouvernement mexicain de demander instamment la présence à
Oaxaca de représentants du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les
Droits Humains.

Données quantitatives concernant la Ve visite de la CCIODH

Au 20 janvier 2007, la CCIODH a effectué un total de 420 entrevues sur le
conflit social d’Oaxaca, aussi bien dans la ville que dans les différentes
régions de l’État. Certaines entrevues sont encore en cours de synthèse et
de traitement des informations. Pour ces raisons, les éléments que nous
présentons ici ont un caractère provisoire.

La Commission a visité 50 personnes détenues dont certaines ont été
postérieurement mises en liberté. Parmi les personnes rencontrées figure
M. Erick Sosa Villaviencio interné à la prison de haute sécurité de
Matamoros. De plus, nous avons également visité 7 autres établissements de
haute, moyenne ou basse sécurité à savoir : Miahuatlán, Tlacolula,
Cuicatlán, Cosolapa, Ixcotel, Zaachila y Etla, soit donc un total de 8
prisons visitées. Nous avons parcouru 9 régions de l’État d’Oaxaca : San
Blas Atempa, Putla, Candelaria, Tlaxiaco, San Juan Copala, Huajuapan, San
Francico Caxonos, Guelatao y Zaachila.

Indépendamment des personnes qui ont apporté leur témoignage individuel,
nous avons réalisé des entrevues avec différents acteurs que nous
indiquons schématiquement ci-dessous.

Institutions (14)

Vice-Ministre de l’Intérieur, M. Abraham Gonzalez
Ministre de la Sécurité Publique
Commission Nationale des Droits Humains Mission d’Observation à Oaxaca
Délégation de l’Union Européenne : Arturo Gutiérrez
Haut Représentant de l’ONU : Amérigo Incalcaterra et Ana Gallart
ICOMOS, Patrimoine Culturel de l’UNESCO: Javier Villalobos
Sous Secrétariat des Droits Humains d’Oaxaca : Rosario Villalobos Rueda
Secrétariat de la Protection Citoyenne : Lino Celaya
Commission d’État des Droits Humains : Jaime Mario Pérez Jiménez
Radio et Télévision d’Oaxaca : Mercedes Rojas
Recteur de l’Université Autonome Benito Juárez d’Oaxaca : Fco. Martínez Neri
Consul de France en Mexico: Didier Goujaud
Consul Honoraire de France à Oaxaca: Sergio A. Hernández Salcedo
Ambassade des Etats-Unis d’Amérique

Education (5)

Procureur Spécial pour les Affaires de l’Enseignement : Mayolo Coronel
Institut de l’État de l’Éducation Publique d’Oaxaca : Samael Hernández
Commission Juridique de la Section 22
Secrétariat Général de la Section XXII : Enrique Rueda
Commission des Droits Humains de l’Education (Comadh)
Témoignages d’enseignants : plus de 60 personnes de différentes régions

JUSTICE (11)

Procureur Spécial pour les Délits contre Journalistes
Procureur Spécial pour les Délits contre les femmes
Ministère de la Justice, Département pour la promotion et la défense des
droits humains
Ministère de la Justice de l’État d’Oaxaca : Rosa Lizbeth Caña Cadeza
Bureau de la Défense des Indigènes : Jacobo López Sánchez
Délégation du Ministère de la Justice à Oaxaca : Javier Davalo Molina
Barreau Mexicain : Collège des Avocats d’Oaxaca : Lic. Edna Franco
Cabinet Juridique populaire : Israel Ochoa
Equipe Juridique de APPO
Union des Juristes du Mexique
Collectif Autonome des Défenseurs Sociaux

Cadre de Santé (5)

Hôpital Civil : Dr. Felipe Gama
Hôpital des Spécialités : Dr. Rafael Aragón
Croix Rouge, délégation d’Oaxaca : Beatriz Quintanar
Médecin de Tlacolula : Dr. Aidé Osorio García
Brigades Médicales de APPO
Personnel Médical venu apporter leur témoignage

RELIGION : (3)

Confrérie des Pasteurs Evangéliques d’Oaxaca (COPAEO)
Archidiocèse d’Oaxaca et Antequera
Commission de Justice et Paix, archidiocèse d’Oaxaca et Antequera

Organisations de Droits Humains (9)

Amnesty International
Réseau d’Oaxaca des Droits Humains
Limeddh
Comité Cerezo
PRODH
Serapaz
Comité de Libération 25 Novembre
Transcend
Serapaz
Yaskin

Organisations sociales

APPO
Collectif Diversité Sexuelle
Front des Organisations pour la Sauvegarde d’Oaxaca
FPR
Institut Nature et Société
Société Civile des artistes, intellectuels et écologistes
Réseau d’Organisations Civiles
Conseil Citoyen d’Oaxaca pour le Progrès, AC
Educa
Association Civile Binigulazaa
Groupe Solidaire : La Venta
CODEP
Parti Communiste
Association des Pères et Mères de Famille d’Oaxaca
Commerçants du Centre Historique
Syndicat des Travailleurs de l’Université Benito Juárez d’Oaxaca
UJRM

Collectivité Indigène (6)

Réhabilitation et Défense de la langue zapotèque
Front Unique de Défense Indigène
CIPO
CEDHAPI: Centre de Droits Humains et de Conseil aux Peuples Indigènes
MULTI (Région Triqui)

Médias (9)

Journal Noticias
Journal El Imparcial
Journal El Universal
Journal Excélsior
Radio Calenda
Radio Universidad
Radio Plantón
Proceso
+ Journalistes Indépendants (4)

http://cciodh.pangea.org
Paria
   Posté le 27-01-2007 à 19:10:38   

Bien le bonjour,

Tu vas à Copala ? Tu te rends à l’invitation des Triquis ? Depuis quelques
jours, je fais le tour des amis et des connaissances en leur posant ces
questions : réponses négatives. La région a mauvaise réputation, depuis
mars 2006 dix personnes ont trouvé la mort, soixante-dix depuis 2004, avec
l’arrivée au pouvoir d’Ulises Ruiz. Des groupes de tueurs rôdent cherchant
à empêcher, par l’assassinat, la reconstitution de l’unité du peuple
triqui. Vingt communautés sur trente-six ont réussi à s’entendre après
trois mois de palabres pour former la commune autonome indigène de San
Juan Copala et s’émanciper ainsi de la tutelle des trois communes métisses
dont elles dépendaient. Le pouvoir n’a pas l’intention d’accepter la
constitution d’une commune autonome, c’est la guerre. La Mort se vêt de la
longue tunique rouge des femmes triquis, où flottent avec élégance de
longs rubans de satin aux couleurs vives. Il faut aussi ajouter que cette
région est difficile d’accès, il y a bien des transports en commun mais
avec des changements, le plus facile serait encore la voiture particulière
ou de location. Je finis par avoir un numéro de téléphone : "Oui, je fais
partie d’une commission du Conseil de l’APPO et j’organise un voyage à
Copala." Un rendez-vous est fixé pour vendredi matin, il est tout indiqué
d’arriver le jour à San Juan Copala. Nous ne sommes que deux à partir, lui
et moi. D’autres du Conseil arriveront samedi matin en voiture
particulière, la communication ne passe pas très bien entre conseillers.

Le voyage est rapide jusqu’à Tlaxiaco, capitale de la région mixtèque. A
Tlaxiaco, nous devons changer de voiture et mon compagnon de route se
retrouve avec un autre sac de voyage, semblable au sien, mais de couleur
bleue et contenant des vêtements de bébé. Cet impromptu nous retarde, la
camionnette part sans nous, qui espérons le retour du sac, en vain. Une
heure et demie plus tard, nous montons dans une voiture qui nous déposera
au croisement du Carrizal, croisement important sur la route de Tlaxiaco
des chemins qui mènent, d’un côté, à Putla de Guerrero, de l’autre, à
Juxtlahuaca. C’est la montagne mixtèque aux sommets verdoyants et aux
vallées arides qui fait frontière entre l’État d’Oaxaca et celui du
Guerrero. En arrivant au Carrizal, la vue, soudain, s’échappe à l’infini
sur les massifs bleutés, qui descendent dans la lumière du crépuscule vers
le Pacifique. Il s’agit maintenant de trouver un taxi collectif qui voudra
bien nous conduire à Copala. En compagnie d’une femme et de sa fille qui,
elles, se rendent à La Sabana, nous commencions à trouver le temps long
quand arrive un taxi qui veut bien nous prendre à condition que nous y
mettions le prix : 30 pesos pour Copala, 20 pour La Sabana. Nous ne
marchandons pas, la nuit arrive rapidement sous les tropiques.

Sur la route, le chauffeur cherche bien à savoir qui nous sommes et mon
collègue lui raconte une vague histoire au sujet de l’organisation des
dispensaires dans les villages indiens, le temps passe. A La Sabana, tout
change, les deux femmes descendent et nous sommes bientôt entourés par un
groupe de jeunes gens bien trop curieux à mon goût. Finalement l’un d’eux,
qui fait un peu chef de bande, monte à côté du chauffeur, il nous serre la
main, une personne plus âgée, dit le professeur, se tasse à nos côtés en
silence, et nous partons. Pendant tout le trajet, le jeune va s’en prendre
au chauffeur, qui n’en mène pas large : "D’où tu viens ? Tu n’es pas
encore triqui ? Tu es toujours à moitié chilango ? Quand vas-tu être
entièrement triqui ? Tu n’as pas la frousse de venir par ici ? Tu ne sais
pas qu’il y a des embuscades ? Aujourd’hui même, il y a eu une
embuscade..." Derrière, c’est le silence. La nuit tombe quand nous
arrivons à Copala. Le taxi nous laisse à l’entrée, dans la rue qui descend
en pente raide vers le marché, au niveau de la mairie. Le prof a disparu,
le jeune aussi, mais pour rejoindre le taxi lorsque celui-ci, après avoir
fait demi-tour, se prépare à partir. J’ai une pensée émue pour le
chauffeur. Au fronton de la mairie est écrit en gros caractères "Commune
autonome de San Juan Copala".

Sur la petite esplanade couverte devant le palais municipal, des femmes
pleurent un mort étendu sous un linceul à même le sol, il est entouré de
petites bougies dont la flamme semble revivre brusquement avec la nuit.
Nous nous présentons au président municipal et à ses adjoints, qui
devisent entre eux assis dans un coin de la salle principale. Le président
est jeune, une trentaine d’années, solide et silencieux à la manière des
paysans de la montagne ; il laisse volontiers parler les autres, dont un
premier adjoint très jeune, doux et souriant, à qui semble être dévolu le
rôle de maître des cérémonies. Les autorités nous apprennent que le matin,
alors que les femmes nettoyaient les rues avec les enfants en vue de
recevoir les hôtes, le village avait été pris sous le feu nourri de
commandos cachés sur les collines qui l’entourent. Il est possible de voir
les traces de balles sur les murs du marché couvert, de l’église, de
l’école secondaire et de quelques maisons particulières. Plus de peur que
de mal, il n’y a pas eu de blessés ni de morts. Ce n’est pas tout,
l’après-midi, une voiture qui se rendait à Copala en vue de prendre part à
l’événement du samedi est tombée dans une embuscade. Ils venaient d’Unión
de los Angeles, huit personnes, avec les enfants, dans une voiture de
tourisme blanche, le mort, Roberto García Flores, se trouvait du mauvais
côté, il a pris une balle qui a traversé la porte et son corps de bas en
haut. Il gît maintenant sur l’esplanade, il restera là toute la nuit et la
journée du lendemain, veillé par sa mère et son épouse, salué par les
hommes qui se recueillent un moment à ses côtés. La famille devra l’amener
à Juxtlihuaca, le procureur se refusant à venir à Copala pour les
constatations d’usage. L’embuscade eut lieu à Agua Fria, le fief du député
local Rufino Maximino Zaragoza et de sa famille. Les gens du député
s’étaient embusqués derrière une baraque au bord de la route d’où ils ont
fait feu sur la voiture à son passage. Ils ne seront pas inquiétés, du
moins par l’État et sa justice.

L’attaque du matin comme le traquenard de l’après-midi ont pour but
d’intimider les gens afin de compromettre la bonne tenue de la cérémonie
d’investiture qui doit se dérouler samedi. Le peuple triqui connaît un
destin singulier. Le sentiment d’identité y est très fort, mais double :
appartenance à un peuple avec ses traditions, ses codes, ses fêtes, sa
langue, mais aussi appartenance à un lignage. Les femmes portent toutes le
costume traditionnel, ample tunique aux manches ouvertes que l’on enfile
par le haut et qui descend jusqu’aux pieds. Elles portent cette robe dans
la capitale de l’État d’Oaxaca et dans la capitale du pays où elles sont
facilement reconnaissables. Une jeune fille venue de Mexico semblait
cependant marquer un temps d’hésitation entre tradition et modernité,
entre un corsage aux dessins traditionnels et un pantalon plus moderne
genre jeans. Tous sont très attachés à leur langue, qui est bien vivante,
j’ai noté que les enfants ne prêtaient aucune attention à l’espagnol mais
qu’ils dressaient l’oreille pour tout ce qui se disait en langue
vernaculaire. Un sentiment identitaire que vient contrarier en partie
l’esprit de vendetta qui a fait la mauvaise réputation de la région, nous
pouvons dire que le sentiment d’appartenance à un lignage a mis en péril
l’unité du peuple triqui et son autonomie. En montant les lignages les uns
contre les autres, en enflammant les esprits, l’État a réussi à diviser le
peuple, qui s’est perdu dans une guerre sans fin de vengeance, de
représailles, de vendetta. Pendant des années, des familles, des clans se
sont affrontés et les armes ont parlé : un désir ardent d’unité
continuellement détruit, remis en cause par l’affrontement des partis
opposés, affrontement d’autant plus implacable et violent que le désir
d’unité était fort et désespéré.

Un rapide coup d’œil à l’histoire de ce peuple nous permet de saisir le
pourquoi d’une si tragique situation. L’unité du peuple triqui
représentait un danger pour l’État mexicain qui devait en conséquence y
apporter la division, y semer le trouble et les conflits. Si, peu après
l’indépendance, en 1826, l’État reconnaît l’autonomie des Triquis pour la
participation de ce peuple à la guerre d’indépendance sous les ordres de
José María Morelos y Pavón, et donne aux villages le statut de communes
libres, il s’en mord les doigts quelques années plus tard. En cherchant à
reprendre le contrôle de la région, il se heurte à une première rébellion
triqui, qu’il réduit en 1832. Onze ans plus tard, en 1843, il doit
affronter une nouvelle insurrection, beaucoup plus forte que la
précédente, et qui s’étend à d’autres peuples d’Oaxaca et du Guerrero.
L’armée mexicaine met un terme à ce soulèvement. En 1948, l’État met fin
aux communes libres et San Juan de Copala qui était une municipalité
autonome devient une agence municipale rattachée à la municipalité métisse
de Juxtlihuaca. Toute la région triqui va se trouver ainsi divisée et les
villages rattachés aux municipalités (Juxtlahuaca, Putla de Guerrero,
Constancia del Rosario, Tlaxiaco...) contrôlés par le parti d’État, en
l’occurrence le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). À partir de
cette position avantageuse, l’État, aidé par l’Institut de linguistique
d’été, n’aura de cesse d’entretenir la division à l’intérieur du peuple en
favorisant certains lignages au détriment d’autres lignages.

A partir de 1970, la lutte pour reconstruire l’unité et reconquérir
l’autonomie reprend de plus belle avec le "Club", qui deviendra plus tard
le MULT, Mouvement unifié de la lutte triqui. Cette lutte est loin d’être
isolée, elle s’inscrit à l’intérieur d’un vaste mouvement de critique
sociale, c’est à cette époque que la section 22 du syndicat enseignant
s’émancipe de la tutelle du parti unique, que se forme la COCEI (Coalición
Obrera, Campesina y Estudiantil del Ismo), qui, au début des années 1980,
occupera la mairie de Juchitan, c’est aussi à cette époque que le monde
indigène, mixe, zapotèque, mixtèque, triqui, s’organise et affirme ses
propres valeurs, sa pensée et sa philosophie, que les maîtres d’école
indiens et les promoteurs issus des villages jouent un rôle important dans
l’organisation et l’émancipation des communautés. Ce vent de contestation
qui a soufflé sur Oaxaca a perdu de sa force en se compromettant avec le
pouvoir. Le MULT s’est rapproché peu à peu du gouvernement qui pouvait
financer des projets de production et de mise en valeur au point de
fonder, il y a peu, un parti politique, le PUP (Parti d'unité populaire),
et de participer aux élections. Face à cette déviance et corruption du
MULT et de ses principaux dirigeants, des membres de cette organisation
s’en séparent pour fonder en 2003 le MULT-I, Mouvement unifié de la lutte
triqui indépendant. Entre-temps, en 1998, était apparu l’Ubisort (Union
pour le bien-être social de la région triqui), proche de la vieille
structure régionale du PRI. Vous me suivez ? Aujourd’hui le vent de la
révolte souffle à nouveau, sous la poussée de l’Assemblée populaire des
peuples d’Oaxaca et de la volonté clairement exprimée de se réapproprier
la vie politique (confisquée par l’oligarchie au pouvoir), le MULT-I et
l’Ubisort (qui s’est libéré de son allégeance au PRI) se sont alliés pour
créer la commune autonome de San Juan Copala, qui reprend ainsi son statut
de commune indigène libre perdu en 1948.

"Está el Partido de Unidad Popular, está el PRI, está el PRD, y no toman
en cuenta la principal raíz de lo que está pasando en la región. Ellos no
ven a indígenas, no ven a Triquis, usan a Triquis para sus campañas pero
no ven cuál es la problemática de fondo que se vive, cómo se vive, y si es
que se vive" (Il y a le Parti d’unité populaire, il y a le PRI, il y a le
PRD, et ils ne prennent pas en compte ce qui se trouve à l’origine de ce
qui est en train de se passer dans la région. Eux ne voient pas des
Indiens, ils ne voient pas des Triquis, ils utilisent les Triquis pour
leurs campagnes électorales, mais ils ne voient pas quel est le problème
de fond qui se vit, comment il se vit, et si même il se vit). Il n’y a
rien à attendre des partis politiques, c’est l’idée forte des zapatistes,
de l’Autre Campagne, du mouvement indien et de l’Assemblée populaire des
peuples d’Oaxaca. Dans l’Assemblée, cette idée est continuellement
étouffée par ceux qui sont de connivence avec les partis, mais à mon sens
elle est l’idée forte, centrale, de l’APPO, c’est à travers elle que ce
mouvement social prend tout son sens. Evidemment, toute la clique
politique réagit avec force face à ce rejet, ce qui explique la crise
actuelle que connaît l’Assemblée populaire, prise entre les feux de la
répression tous azimuts du pouvoir et les tentatives de récupération, qui
cherchent à transformer l’APPO en parti politique d’extrême gauche.

La nuit est tombée, nous traversons le village qui est plongé dans
l’obscurité, pas âmes qui vivent, du moins des âmes d’apparence humaine,
les portes sont fermées sur une sourde inquiétude, des meutes de chiens se
répondent d’un point à l’autre du village, chaque meute semble avoir son
terrain d’aventures ou de chasse qu’elle garde jalousement. Nous savons
que des patrouilles surveillent les alentours, en sortant de la mairie
nous avons repéré dans l’ombre des hommes, le fusil à la main. Nous nous
retrouvons autour d’une table où j’écoute nos compagnons nous parler de
l’imbroglio politique dans lequel s’est trouvé jeté toute la population
triqui. Ils nous parlent aussi de leur espoir de voir naître un jour
prochain toute une région autonome qui regrouperait l’ensemble de la
population. Le lendemain matin, le village a retrouvé son animation, les
chiens ne forment plus des meutes agressives, ils sont devenus
indifférents, ils nous ignorent superbement. À 10 heures, les habitants
doivent abandonner leurs tâches quotidiennes, fermer leurs maisons et
participer à l’événement politique et culturel de l’investiture publique
des autorités désignées selon les us et coutumes. Les gens arrivent des
communautés voisines qui se sont ralliées à la commune de San Juan Copala,
de Yoxoyuzi, de Santa Cruz Tilaza, de Guadalupe Tilaza, de Tierra Blanca,
d’El Carrizal, de La Sabana, de Yerba Santa, d’Union de los Angeles… en
voitures, en camionnettes, en "redilas", en cars, certaines n’ont pu
venir, par crainte ou parce qu’elles ont rencontré sur leur route des
barrages, nous dit-on, de la police fédérale. Des invités sont venus
d’Oaxaca et de Mexico. Une assiette de bouillie de maïs bien relevée avec
un morceau de bœuf est offerte à tous les arrivants.

La cérémonie d’investiture avait déjà eu lieu une première fois, début
janvier. Aujourd’hui, c’est la confirmation devant non seulement les vingt
communautés, mais en présence de témoins nationaux et même, disent-ils,
mondiaux, en faisant allusion, je suppose, aux deux Français qui se sont
retrouvés le matin dans les rues du village, c’est l’acte public de la
naissance de la commune libre de San Juan Copala, l’affirmation d’un
peuple, de l’unité du peuple triqui, contre les forces de la mésentente et
de la division. C’est un début. Les autorités vont recevoir leurs bâtons
de commandement de la main des anciens et des majordomes, qui ont été
responsables des fêtes, elles ont droit à un petit discours en langue
indienne. Le président municipal, vêtu du pantalon blanc des temps anciens
et d’une "guayabera" verte éclatante fera son discours dans cette langue
et il ne le traduira pas lui-même en espagnol, comme c’est la coutume, il
laissera le soin de la traduction à un de ses adjoints, marquant ainsi
clairement son souhait de rester une autorité indienne au service du
peuple triqui. Il dit qu’il est prêt à dialoguer avec le gouvernement pour
que soit reconnue l’autonomie de cette commune indien, à la différence des
communes autonomes zapatistes, il dit aussi qu’il est prêt à recevoir des
ressources, comme toute commune, de la part du gouvernement, mais que ces
ressources iront directement aux communautés, que sa gestion sera en tout
point transparente et qu’il espère que le peuple le respectera comme il
respectera le peuple. Ensuite, c’est la fête, les "officiels" de l’APPO,
du Front populaire révolutionnaire avec leurs petits drapeaux rouges et
faucille et marteau en coin, le Frente Amplio de Lucha Popular, la
Promotora por la Unidad Nacional, etc., les journalistes, tous, quittent
la scène et laissent le terrain aux clowns, aux vrais, à ceux qui font
rire les enfants et les mères de famille.

Oaxaca, le 26 janvier 2007.

George Lapierre
Paria
   Posté le 11-02-2007 à 19:03:02   

Oaxaca ; Vers une transformation radicale


La crise sociale dans l'Oaxaca et le besoin impérieux d'opérer de profonds changements dans la société de cet État sont devenus plus qu'évidents.

La lutte pour la réforme de notre État : Vers une transformation radicale de l'Oaxaca ?

Rubén Valencia Núñez Ciudad Ixtepec, État d'Oaxaca

La crise sociale dans l'Oaxaca et le besoin impérieux d'opérer de profonds changements dans la société de cet État sont devenus plus qu'évidents. Notre mouvement de résistance passe actuellement par une étape de réflexion dont l'objet principal est de déterminer les changements que nous voulons et la manière dont nous voulons le faire. Nous devons nous poser les questions qui nous aiderons à poser les bases nouvelles de nos actions et faire en sorte que participent à ce processus ceux qui ont toujours été exclus par le système, système que nous voulons réinventer.

La société est actuellement polarisée : la quasi-totalité de la classe politique est alliée aux classes aisées, tandis qu'une partie des classes moyennes est avec le peuple et les organisations populaires. Dans le feu de notre mouvement, différentes propositions de transformation de l'Oaxaca ont vu le jour. Certaines semblent aller dans le même sens, ne se distinguant que par la stratégie et par la méthode de représentation qu'elles préconisent pour atteindre leurs objectifs. D'autres se limitent au contraire à exposer certaines priorités et problèmes de fond, dans le seul but de calmer le peuple et de freiner l'ardeur insurrectionnelle et l'esprit de désobéissance civile qui l'animent, dans la conscience grandissante de l'immense tâche à accomplir.

Le texte qui suit se propose de décrire brièvement certaines des initiatives prises par la société dans les derniers mois et d'examiner les positions respectivement adoptées par les autorités fédérales et par l'APPO.

L'été dernier, des autorités municipales et agraires, plusieurs organismes civils, la Section XXII du syndicat des enseignants et l'APPO ont appelé à un forum national sous le thème "Construire la démocratie et la gouvernabilité dans l'Oaxaca". Il a effectivement eu lieu les 16 et 17 août 2006, rassemblant 1 500 personnes venues de toutes les régions de cet État. L'objectif principal qu'il s'était fixé consistait à examiner la crise actuelle, proposer une issue alternative et répondre aux problèmes qui se posent dans une perspective politique et citoyenne.

La publication des résultats et des accords pris dans ce forum permet de dégager trois objectifs principaux : encourager la formation d'une assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution pour l'Oaxaca, élaborer un programme politique unitaire et promouvoir des politiques non discriminatoires respectueuses de la diversité dans l'Oaxaca.

À propos de la position adoptée par certains représentants indigènes et par certains intellectuels en ce qui concerne le "Pacte de gouvernabilité" proposé par le SEGOB (Secretaria de Gobernación : le ministère de l'Intérieur mexicain) : début octobre 2006, le ministère de l'Intérieur avait invité une centaine de personnes, dont Ulises Ruiz Ortiz et ses mandataires, mais surtout différentes factions politiques, à une réunion devant avoir lieu le 4 octobre au siège de ce ministère afin d'analyser la situation dans l'Oaxaca et de conclure un "Pacte pour la gouvernabilité, la paix et le développement de l'Oaxaca". Seules cinq personnes de la Section XXII et de l'APPO ayant été invitées, ces deux organisations ont décidé de ne pas y participer. Parmi les autres personnes invitées se trouvaient trois dirigeants indigènes et plusieurs intellectuels et artistes, qui décidèrent, après mûre réflexion, d'assister à cette réunion dans l'intention explicite de la boycotter et de dénoncer publiquement son absence totale de légitimité. Avant d'abandonner la salle en signe de protestation, ils définirent ensemble leurs positions, dès le début de cette réunion, en donnant lecture du manifeste suivant :

POUR UN DIALOGUE VÉRITABLE ET AUTHENTIQUE DANS L'OAXACA

"Nous avons accepté de participer à cette réunion, à laquelle nous avons été invités à la dernière minute et sans disposer des informations suffisantes quant à ses objectifs, ses contenus et ses participants, car nous sommes convaincus que c'est uniquement au travers du dialogue, et non par l'emploi de la force, que la paix, la justice et la démocratie pourront exister dans l'Oaxaca.

"Cependant, en l'absence de la Section XXII du Syndicat national des travailleurs de l'enseignement et de l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca, deux acteurs indispensables à un tel dialogue, nous nous voyons forcés de nous retirer, non sans exprimer auparavant notre position :

"1. Nous pensons que la société de l'Oaxaca n'est pas représentée dans cette réunion, ni suffisamment ni de manière adéquate. En outre, Le procédé employé pour formuler l'invitation à cette rencontre ainsi que les propres termes de cette invitation nous semblent inappropriés ;

"2. Aucun pacte de gouvernement ni aucun pacte de gouvernabilité ne sera possible tant que celui qui se prétend gouverneur de l'État de l'Oaxaca continuera formellement d'occuper ses fonctions. En ce sens, nous unissons nos voix à celles de la société de l'Oaxaca qui exige la dissolution des pouvoirs, selon les termes établis par la Constitution fédérale et la procédure réglementaire en vigueur ;

"3. D'autre part, nous tenons à déclarer que les questions qui intéressent la plus grande partie de la population de notre État ne sont pas inscrites à l'ordre du jour prévu pour cette réunion. Nous souhaitons également relever la plus grave de ces omissions, qui à notre sens illustre parfaitement le caractère de cette réunion : il n'y est fait aucune mention de la question indigène, alors que les peuples indiens constituent la population de l'Oaxaca de loin la plus nombreuse et que ses difficultés exigent la priorité la plus absolue ;

"4. Il y a longtemps que de nombreux citoyens, groupes et secteurs de l'Oaxaca ont examiné et proposé les questions à aborder en vue d'établir un calendrier d'actions absolument nécessaires pour instaurer la démocratie dans l'Oaxaca. Rien de cela n'apparaît ni ne semble pris en compte à l'heure d'aborder, par ailleurs sans aucun ordre ni distinction, toutes sortes d'aspects concernant les intérêts et les perspectives de nos concitoyens ;

"Nous sommes favorables à la conclusion d'un pacte pour la démocratie, la paix et la justice afin que tous les secteurs et tous les peuples de l'Oaxaca puissent contribuer à la réalisation d'une réforme en profondeur de cet État.

"Nous réaffirmons notre engagement envers l'établissement d'un dialogue. Toutes les parties ici présentes doivent œuvrer à donner une issue politique à l'actuelle crise de l'Oaxaca et s'opposer activement à l'emploi de la force.

"Il est impossible de signer quelque pacte que ce soit ici, mais il est cependant possible de formaliser les bases nécessaires à l'établissement d'un authentique dialogue de l'ensemble des secteurs et peuples de l'Oaxaca dans un esprit participatif et non discriminatoire."

Après avoir lu ce document, les représentants indigènes et les intellectuels mentionnés se retirèrent du forum et communiquèrent aux médias leur position.

Du coup, ledit forum perdit toute crédibilité et toute légitimité. Le ministère de l'Intérieur n'a pu sortir de son chapeau aucun "pacte" pour une quelconque gouvernabilité, dont les termes manifestaient de toute façon la précipitation, l'improvisation et un évident manque de sérieux.

Le groupe qui avait répudié de la sorte la réunion appelée par le SEGOB décida d'impulser dans l'Oaxaca un dialogue ouvert à tous les secteurs de la société afin d'envisager tous les changements que l'on jugerait nécessaires, continuant ainsi ce qui avait été commencé avec le forum national des 16 et 17 août.

Après plusieurs réunions préparatoires auxquelles participaient les représentants d'organisations de la société civile et d'organisations indigènes, l'Église catholique, des chefs d'entreprise, des artistes et des professeurs, ainsi que des délégués de la Section XXII et de l'APPO, un appel à une "Initiative citoyenne de dialogue pour la paix, la démocratie et la justice" était lancé, le 9 octobre.

Initiative citoyenne de dialogue pour la paix, la démocratie et la justice dans l'Oaxaca. Le 12 octobre, dans la galerie du couvent de Santo Domingo, deux mille personnes assistant au lancement cette initiative ont débattu et approuvé la Déclaration de Santo Domingo, qui établit la position des participants et énonce certaines de ses dispositions. La Déclaration examine l'importance, le contexte, le diagnostic et les objectifs du dialogue envisagé et présente les premiers accords issus des six groupes de travail constitués ce même jour :

Groupe 1 : Nouvelle démocratie et gouvernabilité (la crise politique)

Groupe 2 : Économie sociale et solidaire (la crise économique)

Groupe 3 : Vers une nouvelle éducation (la crise de l'éducation)

Groupe 4 : Harmonie, justice et équité sociale (la crise sociale)

Groupe 5 : Patrimoine historique, culturel et naturel de l'Oaxaca

Groupe 6 : Moyens de communication au service des peuples

D'autre part, trois forums de réflexion ont été annoncés : un Forum indigène et paysan (afin d'examiner les questions indigènes, agraires et paysannes, ainsi que la question du maïs, de l'eau et de l'émigration), un Forum d'équité de genre et un Forum concernant les droits humains.

Cette initiative veut promouvoir au sein de la société de l'Oaxaca un dialogue dans lequel seront représentés tous les secteurs qui la constituent, pour pouvoir définir ensemble, à travers des accords et des consensus, les comportements sociaux et les réformes juridiques et institutionnelles qui permettront d'opérer la transformation profonde que les Oaxaquiens et les Oaxaquiennes appellent de leurs vœux.

Dès le jour de son lancement, dans chacune de ses manifestations et activités, l'Initiative a réclamé la destitution d'Ulises Ruiz Ortiz comme condition préalable indispensable aux changements jugés nécessaires.

Bien que les activités de l'Initiative se soient vues entravées par l'entrée des forces de police fédérales et par la vague de terrorisme d'État déclenchée à partir du 28 octobre, et en particulier après le 25 novembre, les réunions des groupes de travail se sont poursuivies. Sans oublier de réfléchir à la situation, les participants ont présenté des propositions et des projets qui émanent le plus souvent de longues analyses et d'actions visant au changement.

Aux travaux de réflexion de ces groupes sont venues s'ajouter les activités suivantes :

1. Forum d'analyse des mesures de détente en vue de la paix et de la réconciliation dans l'Oaxaca Organisé le 6 novembre à la bibliothèque de l'ancien couvent de Santo Domingo, ce forum réunissant une grande diversité de participants a servi à présenter un rapport détaillé de la situation des prisonniers et des personnes arrêtées ainsi qu'une liste des disparus lors du conflit, accompagné d'une réflexion sur les mesures de détente et de propositions concrètes à ce sujet.

2. Forum des peuples indigènes de l'Oaxaca Organisé les 28 et 29 novembre, il a pu rassembler près de 500 personnes, dont des autorités communautaires et municipales indigènes, des représentants d'organisations communautaires et des organismes de la société civile. Quatorze des seize peuples indigènes de l'Oaxaca y étaient représentés.

Les participants à ce forum ont montré comment, alors que l'Oaxaca est une société pluriethnique et multiraciale où vivent seize peuples indigènes, paradoxalement la construction et l'exercice de l'autonomie et de l'autogouvernement de ces peuples sont sujets à une agression constante. Ils ont appelé la société à lancer des initiatives et des propositions de convivialité, à s'organiser et à effectuer des mobilisations et un dialogue dans ce sens, dans tous les domaines de l'existence, du travail et de la lutte des peuples indigènes. Ils appelèrent aussi à renforcer le processus d'organisation et d'action de l'APPO, notamment en stimulant cette nouvelle attitude au sein de tous les mouvements et de toutes les organisations, pariant sur le fait que c'est ce qui permettra de tout pouvoir articuler, de pouvoir transformer en partant de nous-mêmes, de pouvoir construire d'en bas. Enfin, ils se sont réaffirmés dans leur conviction et dans leur engagement quant à la construction d'un mouvement pacifique qui tienne compte des raisons profondes du conflit vécu aujourd'hui dans l'Oaxaca et qui pose les bases d'un nouveau pacte social et d'un nouveau cadre juridique qui rende possible la justice, la paix et la démocratie pour toutes et pour tous.

3. La société civile face à la réforme de l'Oaxaca

Le 18 décembre, des membres de "l'Initiative citoyenne..." ont présenté publiquement leur appel aux peuples de l'Oaxaca en vue de conclure des accords minimaux pour une véritable réforme de cet État qui devra émaner de méthodes de consultation réellement démocratiques telles que sondages d'opinion, ateliers de réflexion régionaux, forums au niveau de l'Oaxaca, consultations publiques et autres mécanismes.

Les membres de l'Initiative en ont profité pour déclarer publiquement leur refus pur et simple d'une rencontre autour d'un projet de réforme de l'Oaxaca annoncée par le "dégouverneur" Ulises Ruiz Ortiz. Selon les membres de cette plate-forme, y participer "reviendrait à légitimer une nouvelle parodie, une véritable réforme démocratique ne pouvant émaner que des citoyens et non être décrétée par l'administration, la première visée par une telle réforme". Ils ont également signalé que "toutes les réformes de l'État réalisées au Mexique ont résulté d'une pression sociale et de mobilisations populaires, jamais de commissions officielles", et qu'il est d'autant moins possible de promouvoir une réforme de l'État quand on prétend le faire à travers "une simple opération de chirurgie esthétique effectuée précisément par celui qui a provoqué la profonde crise sociale actuelle et manque de crédibilité et de toute légitimité". Pour conclure, ils ont manifesté que "l'actuelle administration de l'Oaxaca ne peut pas prétendre au dialogue alors qu'elle continue de persécuter, de gruger et de réprimer le peuple de l'Oaxaca". Inversement, une réforme de cet État émanant de la base (sociale) est à même de "nous doter du cadre juridique et politique approprié en vue d'instituer une assemblée constituante plurielle et pleinement représentative qui permette d'élaborer une nouvelle constitution".

Le document présenté en cette occasion par l'Initiative cherche à dégager des accords minimaux concernant une réforme de l'État en se fondant sur les consensus atteints précédemment en matière de pluralité juridique, d'état de droit, de division des pouvoirs, de justice et de sécurité publique, de transparence, de participation citoyenne, d'équité de genre, de mécanismes électoraux, de communication, de patrimoine et de justice sociale.

La proposition du tyran

Le "dégouverneur" Ulises Ruiz Ortiz a lancé un appel à la "réconciliation" et prétend "encourager la recherche d'une résolution aux problèmes structurels, bouillons de culture de la pauvreté, de la marginalisation et de l'injustice, afin d'avoir un nouvel Oaxaca, ordonné et muni de nouvelles institutions à même d'affronter les défis qui se présentent aujourd'hui à nous".

Il affirme que pour que l'Oaxaca soit un État prospère et démocratique où prévaut l'équité, il faut lancer un appel aux Oaxaquiens de toutes les couches sociales et de toutes les tendances et il propose d'ouvrir les espaces nécessaires à la discussion et à la participation des citoyens, afin d'élaborer ensemble une nouvelle constitution de l'Oaxaca.

Il admet qu'il est indispensable de changer en profondeur de méthode, d'opérer des changements sur le fond, non pas dans la structure hiérarchique du pouvoir mais par la participation citoyenne que réclame la société.

Ulises Ruiz Ortiz est secondé au sein de la Commission spéciale pour une réforme de l'État de l'Oaxaca par Hector Sánchez, administrateur et secrétaire technique de cette commission et l'un de fondateurs de la "Coalition ouvrière, paysanne et étudiante de l'Isthme" d'antan, la COCEI, légendaire organisation de gauche qui jouissait d'une grande sympathie au Mexique dans les années 1970 à cause de la lutte qu'elle menait dans l'isthme d'Oaxaca. Aujourd'hui, elle est notoirement connue pour ses liaisons avec le gouvernement et à cause de sa sinistre habitude d'acheter les mouvements sociaux. En effet, cette organisation se consacre à sucrer les organisations sociales pour négocier avec elles une par une et affaiblir ainsi la lutte pour l'indispensable grande transformation. Signalons qu'elle s'est constituée en parti politique en créant le Parti de la révolution démocratique, le PRD, dans l'Oaxaca. Ce n'est pas sans importance, car aujourd'hui comme hier certains secteurs qui ne voient pas au-delà d'une lutte pour des réformes, simples carottes que le système promet sans jamais les réaliser, tirent de là leurs seuls arguments, ne concevant la lutte qu'au travers des partis, le regard rivé sur l'en haut.

Hector Sánchez est un métis nanti dépourvu de toute autorité morale et légitimité, inapte à conduire quelque processus de mutation sociale que ce soit dans l'Oaxaca. La nomination de ce triste sire nous permet d'apprécier à leur juste valeur les véritables intérêts de cette "consultation", simple manœuvre pour tenter de manipuler la société et contrôler les deniers publics : le changement dans la continuité, en somme.

Le jour de sa prise de fonctions, il a eu le culot de déclarer que "les défis auxquels doit faire face l'Oaxaca sont gigantesques, la réforme de notre l'État devant envisager des changements sur le fond et faire participer tous les Oaxaquiens qui souhaitent construire un État développé où règne la démocratie". Se réfère-t-il aux soi-disant Oaxaquiens "authentiques" ? À ceux qui ont monté Radio Ciudadana ("Radio citoyenne"), radio qui a polarisé la société ? Ou parle-t-il des privilégiés de tous temps ? Quoi qu'il en soit, il ne s'est pas privé d'ajouter que "la société oaxaquienne vit aujourd'hui un conflit qui n'est pas encore totalement apaisé, il est encore trop tôt pour affirmer que les blessures se sont refermées et qu'il ne s'est rien passé, la clameur populaire exige encore un changement, de nombreuses voix demandent à être écoutées, les plaintes et le mécontentement se font entendre ; ce sont les carences et les injustices, le fait de désespérer pouvoir les surmonter, qui ont provoqué cet état de crispation que nous avons connu récemment". Il suffit de savoir d'où sort cet individu pour nous rendre compte de quel côté il lorgne : du côté de la démobilisation, du mensonge et de la trahison.

Sa nomination et cette farce n'ont d'autre but que celui d'aggraver la crise que connaît cet État et de continuer à diviser, à polariser le peuple de l'Oaxaca.

Les propositions des nouveaux fonctionnaires du SEGOB et du gouvernement fédéral.

Le ministère de l'Intérieur a limité le nombre et la qualité des participants à une table de négociation où était représentée l'APPO, tandis que la répression continue. Lors d'une réunion récente, il a remis à l'APPO son "Pacte pour la gouvernabilité, la paix et le développement de l'État de l'Oaxaca", document que le ministre Abascal avait déjà tenté de faire passer le 3 octobre. Il s'agit de propositions sans fondements qui illustrent une vague intention d'encourager des réformes légales et institutionnelles, l'ensemble restant très vague. On y devine que le ministère sait pertinemment qu'il existe de très graves problèmes politiques et sociaux dans l'Oaxaca et que les revendications des peuples de cet État sont légitimes, mais il montre que cet organe a été et reste incapable de formuler le diagnostic exact de la situation et encore moins de prendre les mesures nécessaires pour affronter cette crise et la surmonter.

Il juge nécessaire de se réunir pour parvenir à élaborer un grand pacte pour l'Oaxaca. Ses membres disent qu'ils s'engagent à contribuer à un effort conjoint pour que la population indigène et métisse de toutes les communautés bénéficient réellement d'un système d'éducation et de santé, de logements dignes, d'emplois bien payés et des autres services publics dont ils ont été privés jusqu'ici.

Ils affirment avoir établi le diagnostic de la situation politique, économique et sociale de l'Oaxaca et que ce diagnostic leur permettra de parvenir, dans le cadre des institutions, non seulement à normaliser les activités de la population, mais aussi à promouvoir une nouvelle forme de convivialité.

Ce document mentionne également le fait qu'ils ont notamment pris conscience de l'importance d'une démocratisation effective par le biais d'une réforme de l'État, qui permette, associée à des mesures de détente à court terme, de rétablir des conditions propres au développement de la société oaxaquienne. Ils proposent en outre qu'un tel pacte rompe avec l'opposition classique démocratie parlementaire-démocratie directe, prônant un modèle de "démocratie participative".

Leur pacte viserait donc cinq objectifs distincts :


Un nouvel équilibre des pouvoirs : une meilleure coordination entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et la Justice ;
La participation de la société aux décisions du gouvernement ;
La reconnaissance de la diversité sociale dans l'Oaxaca ;
Une économie propice au développement ;
Un État providence pour éliminer la pauvreté, la marginalisation et l'abandon social dans l'Oaxaca.

Pour résumer, ce pacte social pour l'Oaxaca s'articulerait autour de trois axes - démocratie participative, bien-être social et modernisation de l'exercice du gouvernement -, ses propositions en vue d'une réforme complète s'inscrivant dans la dynamique "RÉFORME - DÉTENTE - DÉVELOPPEMENT".

La position actuelle de l'APPO

L'affrontement direct de certains secteurs de l'APPO et des barricadiers avec la PFP, le 25 novembre 2006, affrontement auquel participaient des nervis infiltrés incitant à une violence par ailleurs magnifiée et déformée par les médias, a donné une image négative de ce mouvement. L'APPO semble donc être tombée dans le piège tendu pour justifier face à l'opinion publique le déclenchement d'une répression décidée antérieurement. La réponse que l'APPO a donnée au terrorisme d'État a été de faire le "tlacuache"*. En dépit de la peur et de la paralysie qui s'étaient emparées de beaucoup de gens, l'APPO a donc fait le mort pendant quelques jours. Quand le gouvernement a cru que le mouvement avait été écrasé, elle a appelé à la marche du 1er décembre, qui est parvenue à rassembler 5 000 personnes. Certes, c'est un nombre insignifiant en comparaison avec les immenses cortèges des manifestations précédentes, mais c'est un nombre très élevé étant donné la persécution dont étaient victimes les habitants. Le Tlacuache avait remué une patte. Il s'est relevé complètement le 10 décembre, le mouvement se réorganisant, ce qui a permis au Tlacuache de regagner les montagnes pour y réfléchir, y opérer sa mue et réapparaître sous différents visages, qui caractérisent la substance de l'APPO. Le repli devant la répression lui a permis de se régénérer, de reprendre l'expérience et le travail en cours dans les villages, les communautés et les quartiers, tout en protégeant ses activités par l'ouverture d'un dialogue avec les institutions, dialogue conçu comme un moyen mais non une fin.

La Loi indigène proposée dans l'Oaxaca manifeste la faiblesse d'un processus reposant exclusivement sur des organismes civils qui, en contribuant à améliorer les lois (le regard fixé vers le haut), oublient la construction et la consolidation d'organisations des peuples à qui pourraient bénéficier de telles lois. Si l'on obtient de bonnes lois, comme un plébiscite pour déposer des autorités, par exemple, mais que les peuples ne sont pas organisés, les mêmes lois pourraient être utilisées par des caciques et se retourner contre les rares autorités honnêtes. Ce que nous voulons dire, c'est que la lutte ne s'achève pas en obtenant des réformes appropriées, mais avec l'engagement quotidien des peuples pour qu'une telle transformation soit effective.

C'est pourquoi l'APPO appelle à la formation de groupes de réflexion au niveau local et régional pour être en mesure de connaître et de formuler les changements que le peuple de l'Oaxaca veut voir réalisés et dans lesquels il a déposé ses espoirs. L'heure est à la parole et à l'écoute pour que s'exprime la population. Un premier pas dans cette direction est la Première Assemblée régionale de l'APPO qui aura lieu les 27 et 28 janvier 2007 à Ciudad Ixtepec et à laquelle sont invités à participer l'APPO ainsi que les organisations et les secteurs de la région, pour examiner ensemble plusieurs questions, dont l'économie, l'éducation, la culture, l'environnement, la santé, la démocratie, le territoire et la communication.

La réflexion engagée sur ces questions est une manière d'encourager un dialogue qui permette de construire une nouvelle société de paix, de justice et de liberté pour la vie bonne et digne rêvée par tous et par toutes.

Actuellement, on étudie les conditions minimales pour qu'un tel dialogue au sein de la société puisse se faire. L'Intérieur a autorisé ces groupes de réflexion à la condition expresse qu'on y aborde exclusivement la réforme de l'État et non la libération des prisonniers politiques ni la destitution d'Ulises Ruiz Ortiz, qui "est en cours", s'imaginant que la question sociale dans l'Oaxaca s'est diluée après les mesures de répression entamées le 25 novembre. De son côté, l'APPO ne renoncera à exiger ni le départ d'Ulises Ruiz, ni à ce qu'il soit châtié pour les crimes commis conte le peuple de l'Oaxaca, ni la libération immédiate et inconditionnelle de tous les prisonniers politiques et la présentation des disparus, sans compter l'annulation immédiate de tous les mandats d'arrêt visant les militants de la lutte sociale. Aucune réforme de cet État et aucun changement radical ne pourront s'effectuer tant qu'Ulises Ruiz Ortiz sera gouverneur.

Il est essentiel de continuer à réactiver le mouvement par toutes sortes de mobilisations et de manifestations publiques de solidarité, mais aussi et surtout d'encourager la réflexion et l'élaboration de propositions concrètes envisagées par l'APPO. Cela doit s'accompagner des groupes de réflexion impulsés par l'Initiative citoyenne, pour que nous puissions tous et toutes réussir à transformer radicalement l'Oaxaca mais aussi à nous transformer, nous.

Un tel éventail de propositions fait automatiquement surgir plusieurs questions. Peut-on lutter pour des réformes légales et institutionnelles dans l'Oaxaca et simultanément s'organiser en bas pour une transformation réelle de la société ? Devons-nous nous épuiser dans un dialogue avec des institutions qui ont toutes les chances de ne pas tenir leurs éventuels engagements et abandonner la construction de notre autonomie ? N'oublions pas que le gouvernement de Zedillo avait effectivement signé les Accords de San Andrés, ce qui ne l'a pas empêché de ne pas les respecter ou de les appliquer, de même que la loi de l'OIT qui envisage le droit des peuples à l'autodétermination dans les faits n'est nulle part appliquée. En admettant que les réformes institutionnelles sont de quelque utilité pour faciliter de véritables changements, comment éviter qu'elles absorbent toutes nos énergies et concentrent tous nos espoirs, au lieu de les placer dans la construction d'une complète autonomie ?

Nous avons à effectuer un choix "stratégique" non seulement dans les formes mais aussi sur le fond de la question. Peut-on effectuer des changements ou des réformes à moyen terme tout en poursuivant une stratégie de transformation radicale à long terme ?

Dans l'éventualité ou des réformes et le dialogue seraient acceptés, il est de toute première importance qu'elles ne constituent qu'une première étape au sein d'une stratégie plus profonde... Pour cela, leurs acteurs doivent être des personnes jouissant d'une pleine légitimité, réellement représentatives, et que l'un des objectifs avoués du mouvement oaxaquien soit en permanence d'avoir des serviteurs et non des leaders ou des dirigeants. Que ces acteurs ne servent pas d'intermédiaires entre le gouvernement et le peuple pour défendre leurs propres intérêts. Qu'ils ne finissent pas par être ce qu'ils critiquent. Que cette détermination des peuples de l'Oaxaca qui leur ont permis de résister aux assauts du gouvernement serve à construire un présent et un avenir communautaire, sans dirigeants mais avec des personnes entièrement au service de leurs peuples.

Il est vital que ce dialogue ne s'effectue pas en négligeant la pluralité la société qui appuie un tel processus. De cette manière, la lutte pour une transformation radicale s'accompagnera d'une véritable réflexion et pourra se poursuivre au-delà de la réalisation d'éventuelles réformes et sera en mesure de continuer à construire la régénération qu'attend l'Oaxaca.

N'oublions pas ! Coude à coude, épaule contre épaule, l'APPO, l'APPO c'est nous, ensemble.

* Le "tlacuache" est un animal prédateur qui s'attaque surtout aux volailles. Quand on le surprend et que l'on veut le tuer, il faut le frapper longuement, car lorsqu'il est sur le point de mourir, il fait le mort et cesse de respirer pour tromper son adversaire. Dès qu'il se sent à nouveau en sécurité, il sursaute et remue les pattes pour filer par où il est venu et regagne généralement les montagnes. Mais il revient toujours. (Note figurant dans l'original.)

Ruben Valencia Núñez est conseiller de l'APPO pour la région de l'isthme de Tehuantepec et adhérant à l'Autre Campagne.

http://www.ciepac.org/boletines/ultimo.php
Paria
   Posté le 16-02-2007 à 13:39:01   

Pour info le journal mensuel CQFD a sorti un hors série consacré au évenement d'Oaxaca de juin a décemblre 2006.
Par contre la grande majorité des articles sont ceux de G. Lapierre...
sti
   Posté le 16-02-2007 à 15:01:26   

On voit le genre ...
Paria
   Posté le 28-02-2007 à 18:53:04   

Salut à toutes et tous,

J'ai quitté l'assemblée le lundi 12 février vers 6 h 30, le jour se levait
et les travaux de la quatrième table (les derechos humanos) n'étaient pas
encore terminés, les derniers participants étaient en train de se mettre
d'accord sur le plan d'action et il manquait encore l'ultime numéro de la
clôture... Faut dire que ça avait pris du temps de se mettre d'accord à la
Table 3, plusieurs heures sur le thème controversé de la conjoncture
électorale, trouver un consensus impossible sans sombrer obligatoirement
dans de multiples contradictions.

Chacun des participants est resté déçu et un peu plus fatigué... Le sujet
était délicat et risquait la division définitive, ce qui signifierait,
chacun l'avait en tête, la fin de l'APPO.

L'après-midi dans le grand gymnase lumineux, après l'acte d'inauguration
et le salut de bienvenue aux 300 participants, aux 59 conseillers et aux
52 invités présents de la première assemblé de l'APPO, j'avais justement
choisi de m'installer à la Table 3 pour identifier ceux qui sont prêts à
compromettre l'Assemblé populaire dans le jeu politique et connaître mieux
ainsi ceux dans lesquels je me reconnais.

Par chance, parmi les trois modérateurs de la Table 3, il y avait Dolores,
du CIPO, et Ali Brije, des "barricades". Pendant la discussion, évidemment
très vite, deux blocs et deux positions se sont formés. Nous connaissons
les raisonnements de ceux qui rêvent du pouvoir et leurs manières de
procéder. Sous le pauvre et malheureux argument de participer aux
élections pour une raison "tactique", ils sont prêts à prostituer ce
mouvement. Comment faire accepter l'idée à un peuple qui s'est rebellé
contre son gouverneur et ses institutions pendant de longs mois que la
meilleur voie pour sortir de la crise est de participer aux élections ?
Pour imposer leurs vues, ils avaient déployé l'artillerie lourde et
avaient, du moins le croyaient-ils, préparé le terrain et invité les
esprits à se soumettre à leurs ambitions politiques: depuis plus d'une
semaine avant le rendez vous de l'assemblée, la presse affirmait que
l'APPO avait décidé de participer au processus électoral et le PRD
promettait 12 sièges de députés au mouvement populaire. Les défenseurs de
l'option électorale voulaient grossièrement placer l'assemblée devant le
fait accompli. A la Table 3, Ali a dénoncé le fait que des membres du
conseil de l'APPO étaient en train de traiter avec le Frente Amplio de
Lucha Popular (FALP) pour se partager des circonscriptions et que le FALP
(membre de l'Assemblée populaire) était en train de négocier avec le
gouvernement d'Ulises Ruiz des avantages financiers pour son organisation.
Remuant ainsi la merde, il s'est vite retrouvé la cible des attaques plus
ou moins voilées de ces organisations compromises qui, à partir de ce
moment, ont commencé contre lui des contestations infantiles qui avaient
comme objet de le discréditer (principalement, on lui reprochait de ne pas
être à sa place de modérateur alors qu'il vaquait ici et là). L'offensive
des "politiques" s'est fait sentir contre ceux qui s'opposaient plus
ouvertement à leurs projets. Présumant de leur forces et affirmant par
avance être représentatifs du désir de la majorité de la population
d'entrer dans le jeu électoral, ils dépréciaient et minimisaient la
représentation dans le mouvement des jeunes des barricades et des
quartiers, dont la présence participative dans l'assemblée était
remarquée.

De nombreuses interventions déterminantes, contraires à leur point de vue
allaient dans le sens d'une non-participation. Ceux qui ne partagent pas
l'idée d'entrer dans l'arène électorale argumentent du fait que les partis
politiques ont créé des divisions dans les communautés et que les
élections sont des processus qui engendrent de la violence, que les
conditions ne sont pas réunies pour des élections propres, qu'il serait
plutôt nécessaire de créer d'autres types de relations, l'on parle
d'autogestion, d'autonomie… Les électoralistes sont restés obstinés dans
leurs certitudes, mais on a pu observer comment, petit à petit, ils
perdaient en même temps patience et leur assurance présomptueuse de la
bonne marche de leurs affaires, alors que se dessinait une majorité pour
ne pas collaborer au futur processus électoral (déjà, lors de la Première
Assemblée régionale des peuples de l'Isthme, qui s'est tenue à Ixtepec les
27 et 28 janvier, une large majorité s'était décidée à ne pas participer
au processus électoral).

Les deux camps sont restés irréconciliables jusqu'au bout et il a été
décidé, à ce stade, qu'un accord consensuel serait éventuellement trouvé
au moment de la plénière en ce qui concernait cette prise de position. Les
points d'entente ont été que le processus électoral ne doit pas diviser
l'APPO, que sa lutte doit aller plus loin, que l'on ne doit pas se fier
aux partis politiques, qu'il faut respecter les accords pris en assemblée
constitutive, que l'on peut appeler au vote "de castigo", élaborer un plan
d'action… et quelques autres dont je n'ai plus le souvenir.

Le moment de la plénière est arrivé après le repas. Le résumé et les
conclusions de la Table 1 (situation organique de l'APPO) ont duré assez
longtemps du fait que les participants à l'assemblée ont débattu
longuement sur la révocation des mandats des membres du conseil de l'APPO
(une soixantaine d'entre eux étaient présents à l'assemblée sur les 270
que compte l'APPO). En fin de compte, il a été convenu de convoquer par
écrit les membres du conseil pour la prochaine assemblée, que chaque
commission devra élaborer un plan de travail, révocation des "conseillers"
qui ne remplissent pas leur tâche (accompagné de tout un processus
bureaucratique pour les virer), création d'une commission "honneur et
justice" pour résoudre les problèmes délicat qui se présentent de
remplacement des membres du conseil qui sont toujours prisonniers, il a
été décidé de réaliser une assemblée mensuelle. Les participants se sont
mis aussi d'accord sur la nécessité de renforcer la communication entre
les différents conseils. Il a été décidé d'amplifier ces conseils de
nouveaux délégués venant des régions et de créer le poste de coordinateur,
nommé par les assemblées régionales. Il a été établi de fortifier l'APPO
dans les régions, de même les membres du conseil de la section 22 du
syndicat enseignant sont invités à se joindre au conseil de l'APPO.
L'assemblée s'est aussi mise d'accord pour intégrer une commission de
liaison ("enlace" avec l'Assemblée populaire des peuples du Mexique. De
plus, il a été proposé et repris l'idée d'une caisse de soutien pour aider
ceux qui viennent de loin assister aux marches et aux réunions, il a été
demandé de rendre des comptes clairs à chaque assemblée, d'avoir une
"officine" (un local d'information), il a aussi été décidé que quelques
membres du Comité des familles de prisonniers et de disparus de l'Oaxaca
(Cofadapo) se joignent aux membres du conseil de l'Assemblée populaire.

Au sujet des prisonniers, le Cofadapo est intervenu dans le débat pour
demander plus de soutien de la part de l'APPO (un seul membre du comité
juridique de l'APPO pour tenter de résoudre le problème des prisonniers et
des disparus), de plus a été dénoncée devant l'assemblée l'attitude de
certains membres du conseil qui ont fait venir jusqu'à Mexico des membres
du Cofadapo pour parler de la situation des prisonniers et recueillir
quelques soutiens financiers, car, après avoir effectué ces démarches, ils
ont été abandonnés sur place sans recevoir, de la part des organisateurs,
l'aide financière promise. En fait, la dénonciation s'adressait au Frente
Popular Revolucionario (FPR), qui tient sous sa coupe, il semblerait, le
"planton" installé à Mexico...

La réaction du FPR n'a pas tardé… Sans chercher à se justifier, il a
dénoncé l'"imposture" des deux jeunes filles qui avaient précédemment
témoigné. L'oratrice qui accusait les jeunes filles du Cofadapo a lâché le
micro et d'un même mouvement s'est précipitée sur le petit groupe formé
par le Comité des prisonniers. L'assemblée, à ce moment-là, a chaviré une
première fois et la confusion a régné pendant quelques minutes sans que le
problème s'éclaircisse...

Durant les travaux de la Table 2 (transformation profonde de l'Etat), il a
été évidemment question de pouvoir, de pouvoir populaire… Pour ma part,
j'ai surtout apprécié l'intervention d'un dénommé Sergio, de l'Université
de la Terre, qui a remis en question le terme et le concept même de
pouvoir. Mais une grande majorité a accepté l'idée du "pouvoir populaire"
dans les domaines économique, politique et social, tout en recherchant de
nouvelles formes de gouvernement respectant l'autonomie des peuples,
construisant depuis le bas pour ceux d'en bas...

Il a été clairement établi que les partis politiques ne sont pas la voie
pour changer le pays, qu'il ne faut pas faire le jeu du discours officiel
de la "réforme de l'État", qu'il est nécessaire de détruire les
institutions du capitalisme, que le "pouvoir populaire" implique de
diriger des territoires, d'utiliser des moyens de communication,
d'administrer l'économie, de conduire la politique culturelle et
sociale... Il a été dit que les décisions devront être prises de manière
collective par les assemblées et qu'il fallait renforcer et défendre les
assemblées communautaires. Les débats ont tourné assez longtemps autour
des communautés indigènes et il a été décidé que la transformation
profonde de l'État devait nécessairement se discuter et s'enrichir depuis
les régions et les communautés, que l'on devait récupérer les traditions
et les coutumes des villages, comme le "tequio", les fêtes, la forme
assembléiste, l'autogestion et l'autonomie. Dans ce sens, l'assemblée de
l'APPO s'est engagée à soutenir les communes autonomes.

Au sujet des communautés indigènes, il est révélateur qu'une proposition,
présentée comme "talleres de concientisacion" en direction des
communautés, s'est retrouvée transformée, après discussion, en "Desarollar
procesos de reflexion de la situacíon de los pueblos, respectando la
cosmovision de los pueblos originarios, porque en el pueblo radica la
sabiduria"... Ce qui est bien significatif, à mon avis, de la division
dans l'assemblée et de deux modes de pensée opposés. Certains ne
renonceront jamais à "conscientiser les masses"...

Pendant le compte rendu de la Table 2, l'assemblée a décidé de fixer comme
priorité dans ses revendications : le départ et l'emprisonnement d'Ulises
Ruiz ; la libération des prisonniers ; la réapparition en vie des disparus
; l'indemnisation aux familles des tués de ce mouvement et des mouvements
antérieurs ; l'annulation des ordres d'appréhension. Les points qui sont
restés en suspens ont été de savoir si l'APPO doit ou non participer au
quatrième dialogue national et de savoir si les grands drapeaux des
organisations politiques peuvent s'exhiber durant les manifestations. La
discussion prenant trop de temps, il a été décidé de résoudre ce point
lors une prochaine assemblée.

Le résumé des débats de la Table 3 a commencé vers 21 heures. Les
modérateurs ont exposé à l'assemblée les débats de l'après-midi,
signifiant l'absence de consensus sur la question de participer ou non au
prochain processus électoral. A ce moment-là est arrivé, dans une grande
marmite, un café bien chaud. Inévitablement, une bonne partie des
participants s'est détournée du débat pour se former en longue queue pour
attendre d'apprécier ce breuvage bienvenu. Le café a fini par l'emporter
tout à fait quand Zenen, le président de l'assemblée, a levé les débats le
temps d'une pause.

Le calme avant la tempête...

Le pari risqué était d'arriver à un accord "consensuel" sans diviser
l'APPO… Deux positions se sont formées et les prises de parole se sont
enchaînées comme les heures qui défilaient. Ceux qui défendent l'idée
d'entrer dans le jeu politique des élections d'août sont les organisations
politiques (FPR, CODEMO, FALP...), qui cherchent clairement à renforcer
leur propre parti et leurs intérêts. Ils sont peu nombreux en fin de
compte mais tiennent l'organisation de l'assemblée et une bonne partie de
"l'appareil" de l'APPO, à savoir, les conseils et le rôle de porte-parole.

Ils auront tout tenté pour arriver à leurs fins et imposer leur projet.
Ils ont usé des procédés les plus sales et les plus staliniens. Nous avons
dû supporter des discours paternalistes ou maternalistes (aux choix…). Ils
ont cherché la provocation et, à un moment, espérant la réaction violente
des jeunes, par les bons offices de la salope de Guadalupe (FPR), ils s'en
sont pris plus directement à Ali, l'accusant d'être un flic (tout en
affirmant qu'ils n'avaient pas de preuves, mais que...) quand Ali va de
tous côtés alors que les jeunes des barricades se planquent pour éviter
d'être appréhendés… L'assemblée, surprise devant une manœuvre aussi
nauséabonde, a vivement clamé en chœur sa désapprobation en chavirant de
nouveau… De justesse, le naufrage et la bagarre ont été évités et après
quelques minutes, une fois le calme rétabli, Ali a exercé son droit de
réponse. Très dignement, et sans tomber dans la grossière tentative de
provocation, il a répondu que ceux qui usent de ce genre d'arguments se
discréditent eux-mêmes, il a parlé de dignité, de cœur... une intervention
parfaite, des mots justes qui ont achevé de déconsidérer complètement ceux
qui avaient lancé l'accusation diffamante. Fallait voir leurs gueules… de
frustrés et de conspirateurs...

L'assemblée, malgré la fatigue, s'est montrée vigilante et attentive
jusqu'au bout, de nombreuses argumentations développées se sont prononcées
pour ne pas participer au cirque électoral. Des voix qui affirment que
jamais dans l'histoire, par ces processus électoraux, on a pu obtenir
quelque chose de favorable et que, au contraire, ils ont servi pour
corrompre les leaders sociaux. De même, il a été entendu de fortes
critiques du PRD et de son rôle néfaste joué contre les accords de San
Andrés, en signant la loi indigène, contre les zapatistes dans différentes
régions du Chiapas, contre les mineurs de Sicartsa, et pendant la
répression d'Atenco. Il y a eu encore de nombreux et variés points de vue
qui se sont exprimés contre l'idée d'entrer dans le jeu électoral et il se
révélait de plus en plus clairement qu'une assez grande majorité n'était
pas en faveur de participer au grand cirque.

Finalement, tout au long des rondes de prises de parole, l'assemblée a
trouvé petit à petit un accord… et dans la douleur a accouché…

D'emblée, il est dit que le futur processus électoral ne doit pas diviser
l'APPO et que pour cela une posture unitaire et des accords consensuels
doivent être trouvés. Il a été reconnu que l'Assemblée populaire est un
mouvement social pluriel et incluant qui, de ce fait, ne participera pas
aux prochaines élections en tant que tel. D'un autre côté, il a été
accepté que les organisations qui choisiront de participer aux élections
pourront le faire et il leur a été bien précisé qu'elles devront y aller
en leur propre nom. De plus, il a été décidé que ceux qui participeront en
se portant candidat devront démissionner de leur poste de "conseiller" de
l'APPO. Mais, en même temps, celle-ci appellera les futurs candidats à ce
qu'ils s'engagent sur une plate-forme de lutte rédigée en une vingtaine de
points et plutôt contraignante, où il est dit, notamment, que le futur élu
devra apporter la moitié de son traitement et promettre d'appuyer une loi
en faveur de la baisse des salaires des députés et des fonctionnaires
publics… toutes sortes de conditions bien incommodes, sans rien en retour,
je ne vois pas bien qui pourrait accepter...

Bon, c'est sûr, y en a qu'ont les dents longues et qui, pour rien au
monde, ne renonceront aux ambitions politiques et au pouvoir, fût-il
populaire et surtout pas les organisations politiques comme nous avons pu
le voir ici.

Sur le même thème du futur processus électoral, l'assemblée a décidé
d'appuyer le vote de "castigo" contre Ulises Ruiz, sans préciser contre
qui il devait s'appliquer… suggérant par là qu'il pouvait être dirigé
contre les candidats PRD qui font le jeu du gouvernement assassin… Il a
bien été dit que l'on ne pouvait pas avoir confiance dans les partis
politiques et que la lutte de l'APPO va plus loin que le processus
électoral et, dans ce sens, il a été indiqué que la mobilisation devait
rester une des formes principales de la lutte. L'APPO réaffirme son
caractère pluriel, ample, démocratique et indépendant de l'État et des
partis politiques… Elle estime qu'il est nécessaire de respecter les
accords et les principes de l'assemblée constitutive du mois de novembre.
Elle propose, en outre, d'approfondir les politiques d'alliances en
respectant strictement les accords pris au congrès constitutif (où il est
dit, entre autres, que l'APPO peut s'allier à des partis politiques, à
condition qu'ils ne soient pas du PAN ni du PRI...).

Il est incontestable que l'accord final conclu dissimule en son sein des
contradictions. Contradiction et paradoxes s'exprimant inévitablement
quand on cherche absolument un accord consensuel de deux positions
antagonistes.

J'estime que, durant ce marathon verbal, l'assemblée s'est montrée très
attentive et réfléchie. Elle n'a pas succombé aux rengaines électorales
qui ont résonné de façon lancinante dans les débats. Pour ma part, je ne
suis pas sûr que les accords passés suffiront à ne pas diviser l'APPO,
d'autant plus qu'il est bien certain que les organisations politiques et
leurs complices n'abandonneront pas l'affaire ni ne renonceront à leurs
ambitions de pouvoir, qu'ils tenteront par tous les moyens de reprendre la
main pour presser l'APPO d'aller danser au bal électoral. La tronche
déconfite et défaite, ils complotaient tandis qu'ils voyaient leurs rêves
de pouvoir s'évanouir irrémédiablement. J'ai eu la vision, et je ne suis
pas le seul, que ces gens-là pouvaient être dangereux et qu'Ali, à remuer
la merde comme il l'a fait et par ses interventions pertinentes, risquait
bien de s'attirer des ennuis à force… Miguel est intervenu à propos, et
son intervention suggérait une mise en garde au FPR, en faisant de chacun
les responsables de la sécurité des membres de l'assemblée.

Les lueurs de l'aube se levaient tandis que commençait la lecture du
résumé de la dernière table. Une partie de l'assemblée était maintenant
allongée sur la moquette grise recouvrant le parquet de basket, à moitié
attentive des débats qui continuaient...

J'ai choisi de partir à ce moment-là, laissant les orateurs à leurs
bavardages et à leurs raisonnements. Il faisait déjà jour et, dans la rue
qui s'animait, les gens se pressaient à rejoindre leur boulot comme un
quelconque lundi matin n'importe où dans le monde...

J'ai su plus tard que, durant les discussions en rapport avec la Table 4
sur le thème des doits humains, les familles des prisonniers et des
disparus ont réitéré leurs accusations d'avoir été manipulées par le FPR
lors de leur tournée d'information au District fédéral (Mexico DF). Il
paraît que l'assemblée, ce matin-là, a chaviré une troisième fois à ce
propos...

C'est peut être pour cela que les accords pris ont été dans le sens d'une
plus grande solidarité envers les détenus et leur familles. L'assemblé
demande aux maîtres d'école et aux conseillers de l'APPO de se concentrer
prioritairement sur le problème des détenus, des disparus, des assassinés
et des persécutés. En même temps, l'assemblée détermine de renforcer et
d'appuyer la commission juridique et des droits humains de l'APPO. Il est
affirmé explicitement qu'ils ne se laisseront pas manipuler par les
organisations et encore moins par les partis politiques, et que personne
n'a le droit de profiter de la douleur des familles pour récupérer de
l'argent.

A quelques jours de là, une autre assemblée de "conseillers" avait été
convoquée afin de rédiger le résumé des débats et les accords décidés
pendant les deux journées et la nuit de l'assemblée plénière. J'y suis
allé passer une bonne partie de la journée... C'était pénible et
affligeant mais néanmoins saisissant (et prévisible !) de voir comment les
organisations politiques avaient décidé, en se servant de l'appareil des
conseils, de reprendre l'affaire en main. Il n'y avait que leurs membres
comme modérateurs à la table qui présidaient aux débats. La discussion
était dirigée par Mario, qui avait le rôle de président de l'assemblée des
"conseillers". C'est un grand spécialiste de la manipulation, on fait
appel à lui dans les situations délicates et il sait user d'autorité pour
arriver à ses fins. On l'a déjà vu manœuvrer...

De nouveau, quand je suis arrivé, Ali Briye était la cible de critiques.
On lui reprochait de s'être autoproclamé, face à la presse, nouveau
porte-parole de l'APPO (en assemblée plénière, il avait été décidé qu'Ali,
au nom des barricades, et un autre compañero de Radio Universidad
intègrent la commission "presse et propagande" afin de faire entendre un
autre point de vue en ce qui concerne les futures élections). On l'a blâmé
et désapprouvé, sans pour cela relever que le porte-parole "officiel",
Florentino (FPR), avait, quelques semaines auparavant, gravement
outrepassé son rôle de porte-parole en ayant affirmé mensongèrement à la
presse que l'APPO allait entrer dans le jeu électoral... Bref, il est
apparu nettement que les organisations politiques désirent au plus haut
point maintenir leur domination sur certaines commissions en espérant de
cette manière contrôler l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca.

De nouveau, ils s'en sont pris aux jeunes, se plaignant de leur
agressivité lors de l'assemblée passée, exhibant impudiquement leurs bleus
et nous faisant entendre jusqu'à l'écœurement des discours bien
réactionnaires sans jamais qu'il soit dit que se sont les jeunes qui ont
été victimes des provocations. Il apparaît franchement que les
organisations politiques cherchent la rupture avec les jeunes, les rendant
responsables de leur Berezina et de l'échec de leurs plans.

En fin de journée, alors qu'un grand nombre de participants étaient déjà
partis et que les organisations politiques étaient outrageusement
majoritaires, le maître en manipulations qui officiait à la table a fait
passé en force, en la proposant au vote malgré les contestations de
procédures qui s'exprimaient (et qui n'ont pas été prises en compte), une
résolution qui interdit dorénavant aux observateurs et aux invités
d'assister aux débats de l'assemblée… (Une décision qui revient à
l'assemblée et non aux conseillers !) La salope de Guadalupe était en
train d'observer attentivement la réaction de l'unique observateur reconnu
des lieux...

Il est bien vrai qu'ils ne veulent pas de témoins de toutes leurs
saloperies et de leurs manipulations d'un autre siècle. Et je pense qu'à
la prochaine assemblée, sans témoins et appuyés de "porros" pour avoir la
majorité dans la réunion, ils régleront leurs comptes aux jeunes, s'ils
sont toujours là, et tenteront à nouveau de dresser des plans de
campagne... A voir… Les "jeunes" ne sont pas les seuls à s'opposer à leurs
projets...

Ce qui est évident par contre, c'est que l'APPO s'est discréditée aux yeux
de certains et nombreux sont ceux qui ne s'y reconnaissent plus. Notamment
beaucoup de jeunes grapheurs qui ont subi l'intolérance de ceux en charge
de la sécurité durant les dernières mégamarches. On entend de fortes
critiques sur son fonctionnement et sur sa tentation d'entrer dans le jeu
électoral. Pour ma part, je pense que l'APPO est toujours un processus en
construction, qu'il y a plusieurs "APPO", comme autant d'organisations qui
la composent, même s'il est vrai que les organisations politiques, en
contrôlant certaines commissions et la charge de porte-parole, tentent
d'imposer leurs points de vue. Corrompant ainsi l'esprit même de
l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca.

Les futures élections se sont greffées à l'ordre du jour et ont commencé à
semer leur merde. Sans avoir réussi à diviser l'APPO, elles sont, du
moins, parvenues à exacerber les divergences de vues et de pensées et les
points de frictions...

À suivre... donc.

Cette lettre est un peu longue, comme l'ont été les réunions des
assemblées successives... mais je voudrais ajouter quelque chose avant de
terminer et de vous ennuyer complètement : vous faire la proposition de
réagir, en écrivant à l'assemblée, contre cette décision d'interdire la
présence d'invités ou d'observateurs pendant les discussions de
l'assemblée, ce qui prouve, à mon avis, une manière de contrôler et de
censurer la parole et les points de vue différents ou contraires, je pense
que nous pouvons dire quelques chose sur ce sujet qui nous concerne tous
directement. Ce peut être une proposition à faire aux collectifs et aux
personnes plus directement concernées... Qu'en pensez vous ?

Je vous parlerai bientôt, dans une prochaine lettre, d'un projet
enthousiasmant qui se prépare par ici. Dès qu'il sera un peu plus élaboré
et qu'il aura été rendu public, je vous le ferai savoir, car il se
pourrait bien que vos contributions solidaires soient bienvenues.

D'autre part, en mon nom personnel, j'ai proposé à quelques commissions de
l'APPO, à la Cofadapo et à d'autres de participer à la conception d'une
exposition itinérante en Europe pour raconter l'histoire et le présent du
mouvement populaire de l'Oaxaca...

A bientôt donc...

Victor.

P-P-S plus particulièrement français.
Durant l'assemblée plénière des 10 et 11 février, nous avons appris que
quelques "commissionnés" de l'APPO avaient fait une tournée en France fin
janvier et début février, invités par la Fondation France Libertés de
Danielle Mitterrand pour parler de la situation sociale qui se vit ici,
dénoncer la répression et l'impunité, et promouvoir l'idée que le
mouvement de l'APPO ne se "réduit pas à un groupe d'anarchistes et de
délinquants"...

A la rencontre du Parti communiste, des médias officiels de communication,
de députés, d'intellectuels, de sociologues, et de personnalités hors du
commun, ils ont décidé qu'une commission organisée par la fondation
française visitera avec des journalistes l'État d'Oaxaca au mois de
juillet. Ils se sont encore mis d'accord pour étudier de plus près, avec
l'aide de sociologues et d'intellectuels européens, le mouvement populaire
comme un exemple d'organisation populaire, pacifique et participative dans
cette période de crise global du système représentatif... Ça va être beau…
Ils ne renonceront jamais à conscientiser les masses informes...

Je ne sais pas si c'est en rapport avec la visite en Europe de
"conseillers", mais était présente à l'assemblée une délégation de deux
jeunes communistes... Un couple pas si jeune et sérieux, comme il se
devrait pour de jeunes communistes. Ils ont pris des notes et filmé une
bonne partie des débats. Le gars avait l'air triste, un peu désolé, ou
peut-être souffrait-il de la "turista"...

Message édité le 28-02-2007 à 18:56:05 par Paria
Paria
   Posté le 10-03-2007 à 12:19:16   

Oaxaca : la tragédie continue

Le Mexique, c'est connu, est un pays où les gouvernements n'ont pas trop
de scrupules sur les méthodes qu'ils emploient pour réprimer les
mouvements sociaux.

Ce qui se passe à Oaxaca, cependant, est, en grande partie, inédit. Après
la répression féroce de la fin de l'année 2006, les journaux et
télévisions du régime, depuis des semaines, font tout pour présenter une
réalité idyllique, mais, sous les cendres d'une paix imposée par les
armes, couvent quantité de braises.

Le conflit, de fait, présente de multiples aspects. Au premier rang
desquels, Ulises Ruiz Ortiz, le gouverneur haï, du PRI, qui durant ces
neuf derniers mois a déchaîné la terreur contre l'Assemblée populaire des
peuples de l'Oaxaca (APPO).

Tout comme l'actuel président mexicain, Felipe Calderon, Ruiz est le
produit d'une colossale fraude électorale. En 2004, à peine "élu", Ruiz -
politicien vraiment hors série, à la fois faible, autoritaire et
psychopathe - déclara la guerre au quotidien indépendant Noticias, faisant
brûler les kiosques où il était en vente et occupant militairement son
siège, sans toutefois arriver à le faire taire.

Ce fut ensuite le tour de la Section 22 du syndicat des enseignants - 70
000 adhérents -, organisme indépendant avec une vieille tradition de
lutte. Dans la réalité de misère rurale qui règne à Oaxaca, la fonction de
l'instituteur, comme facteur de conscience sociale, est très importante.

Le 14 juin 2006, Ruiz déchaîna un véritable déluge contre les enseignants
qui avaient occupé le centre de la ville pour obtenir des améliorations
salariales. En réponse, la population s'insurgea spontanément et, le 23,
400 organisations sociales environ créèrent l'APPO (Asemblea Popular del
Pueblo de Oaxaca) forum permanent et organe de décision du mouvement. Le
mot Pueblo fut significativement changé ensuite pour Pueblos, indiquant la
pluralité des participants et l'exclusion explicite des partis politiques.
Le mouvement s'unifia autour d'une seule revendication : chasser Ruiz. On
institua une commission formée de délégués révocables, avec mission de
mener les tractations avec le gouvernement fédéral. Face à l'absence de
réponse claire, l'APPO répondit en occupant les bureaux du gouvernement,
le palais de justice et le parlement local. Ruiz se retrouva dans la
situation insolite de devoir opérer dans un état de semi-clandestinité.

Les élections du 2 juillet et l'agitation qui s'ensuivit firent passer au
second plan ce qui se passait à Oaxaca. Ruiz pensa que le moment de
contre-attaquer était venu. Il organisa alors les terribles "caravanes de
la mort", c'est-à-dire des groupes de tueurs qui, à bord de fourgons et
motos sans immatriculation, commettaient des crimes effroyables dans la
plus totale impunité. En réaction, l'APPO éleva des centaines de
barricades dans le centre-ville et dans les banlieues, en se proclamant
seul gouvernement légitime d'Oaxaca.

Le 1er août, face à la manipulation persistante de l'information, 2 000
femmes environ, en majorité des ménagères, des enseignantes et des
étudiantes, prirent possession de la radio et de la télévision
gouvernementales, en les transformant en outils de communication
alternative ouverts à tous les secteurs sociaux.

La liste des morts augmentait, mais au lieu de reculer, le mouvement
s'appropriait des espaces stratégiques, devenant une menace non seulement
locale mais aussi nationale. On commença à parler de la "commune
d'Oaxaca".

Les choses se précipitèrent le vendredi 27 octobre quand furent tués Brad
Will, journaliste indépendant d'Indymedia, et deux militants de l'APPO,
dans le faubourg de Santa Lucia del Camino. Le coupable, un employé de
Ruiz qui avait été filmé au moment où il tirait, sortit rapidement de
prison. A l'heure actuelle, la version officielle est encore que Brad a
été tué par certains de ses camarades à cause de "rixes personnelles". Au
même moment, à quelques kilomètres de là, à Santa Maria Coyotepec (siège
du gouvernement de Ruiz), la police massacrait un nombre indéterminé de
militants de l'APPO. Ce qui fait penser à une planification froide des
deux crimes.

On sait que, dans une époque d'assassins, les victimes sont toujours
coupables. Il ne faut donc pas s'étonner si les crimes de Ruiz ont ensuite
été allégués par le gouvernement fédéral pour justifier l'irruption de la
Police fédérale préventive (PFP), corps spécialisé dans les opérations
anti-insurrectionnelles, qui était déjà intervenu à Atenco.

Le 28, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Carlos Abascal, lança un
ultimatum : l'APPO avait vingt-quatre heures pour démonter les barricades,
quitter le centre historique et abandonner les bureaux du gouvernement.

Le dimanche 29, 4 000 policiers, appuyés par des hélicoptères et des
blindés, marchèrent sur la ville, alors que 5 000 soldats prenaient
position dans des points névralgiques des régions environnantes.

La résistance fut importante mais, vers 19 heures, la PFP arriva à dégager
le zocalo (la place principale) et à reprendre possession des radios
contrôlées par l'APPO, sauf Radio Universidad, dernier bastion de la
communication indépendante. La ville ressemblait à un champ de bataille :
véhicules en flammes, maisons détruites, routes creusées de tranchées. En
outre, il y avait 60 détenus, deux victimes reconnues et un nombre
indéterminé de desaparecidos [disparus].

Le jeudi 2 novembre, le Jour des morts, la PFP échoua dans sa tentative
d'occuper la Cité universitaire et la barricade du carrefour Cinco
Señores, place forte de l'APPO. Ce fut une victoire éclatante du
mouvement, obtenue en grande partie grâce à l'inventivité des jeunes du
quartier qui se défendirent des blindés armés de cocktails Molotov, de
frondes et de "bazookas" de plastique improvisés.

L'occasion de se venger se présenta quelques semaines plus tard, le 25
novembre, quand la PFP attaqua une manifestation pacifique de l'APPO.
Bilan : 141 arrestations - en majorité de vendeurs ambulants et de
passants totalement étrangers aux faits - et un nombre imprécis de morts
non déclarés.

Le lecteur se demandera : pourquoi ne dénonce-t-on pas les victimes de la
violence policière à Oaxaca ? La réponse est simple : les parents n'osent
pas porter plainte.

Pour les détenus commence alors une histoire kafkaïenne : menaces,
intimidations, tortures physiques, et psychologiques, violences sexuelles
(sur les hommes, plus encore que sur les femmes). A quoi il faut ajouter
le transfert - illégal - vers la prison de haute sécurité de Nayarit, à
plus de mille kilomètres d'Oaxaca.

Bien qu'une grande partie des détenus aient ensuite été ramenés à Oaxaca,
62 personnes restent en prison. Toutes sont accusées des mêmes crimes
(sédition, incendie, violation de la propriété privée, etc.), ce qui en
dit long sur la façon de procéder de la justice mexicaine.

Aujourd'hui, Oaxaca vit dans un état de siège camouflé, mais la résistance
continue. Les prisons clandestines, l'impunité, la terreur et les
enlèvements rappellent les années sombres des dictatures militaires
d'Amérique du Sud. Avec une nouveauté inquiétante : à la différence des
groupes armés du passé, l'APPO est un mouvement essentiellement pacifique.
Les 23 personnes assassinées (plus une centaine de disparus) sont d'un
seul côté : celui du mouvement. Et les autorités se gardent bien d'arrêter
les coupables.

Tout cela, et plus encore, est décrit dans les moindres détails dans le
terrible Informe sobre los hechos de Oaxaca (Rapport sur les événements
d'Oaxaca), fait par la Commission civile internationale d'observation pour
les droits humains (CCIODH), organisme international qui a visité Oaxaca
entre le 20 décembre 2006 et le 20 janvier 2007. A l'appui de 400
témoignages environ, de dizaines de photos et documents et d'une vidéo, le
document est disponible en ligne : http://cciodh.pangea.org

Sa lecture évoque une continuité perverse avec les événements d'Atenco, en
mai 2006. Dans les deux cas, les pouvoirs locaux ont agi avec la
complicité des pouvoirs fédéraux, et vice versa. Cela signifie que la
responsabilité de ce qui arrive à Oaxaca n'est pas uniquement le fait du
psychopathe Ruiz, mais aussi celui du gouvernement fédéral. Nous sommes
face à une expérimentation de management social : face à l'insurrection de
la contestation, le gouvernement "étudie" jusqu'à quel point il peut
emprunter la voie de la répression violente. Seule la réponse combative de
la société civile peut arrêter un jeu si pervers et irresponsable.

Le 4 mars 2007.
Claudio Albertani
Paria
   Posté le 10-03-2007 à 12:21:42   

OAXACA

Selon l'APPO, Lino Celaya a constitué des escadrons de la mort pour
attaquer les barricades

Un fonctionnaire accusé d'avoir assassiné des militants dans l'Oaxaca a
été destitué. Il sera remplacé par Sergio Segreste, l'ancien président de
la Commission de l'Oaxaca des droits fondamentaux des personnes.

Pour Zenén Bravo, il s'agit d'une manœuvre pour éviter qu'il reçoive la
sanction qu'il mérite.

Octavio Velez Ascensio, correspondant.

Oaxaca, État d'Oaxaca, le 7 mars. Lino Celaya Luría, directeur du Service
de protection des citoyens (Seproci), a été démis de ses fonctions.
L'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca (APPO) affirme que Celaya
est responsable de la création des "escadrons de la mort" qui ont
assassiné plusieurs militants qui montaient la garde sur les barricades,
l'année dernière.

Dans son rapport sur l'Oaxaca, la Commission civile internationale
d'observation sur les droits humains (CCIODH) désigne le Seproci comme
l'une des administrations responsables de la répression dont ont été
victimes des sympathisants du mouvement des enseignants et du mouvement
populaire de 2006.

Iñaki García, porte-parole de la CCIODH, est d'avis que la destitution de
Celaya ne suffit pas, car "les auteurs" des arrestations illégales, des
tortures et des assassinats "n'ont pas été condamnés". Et d'ajouter :
"Cela ne change rien à une situation aussi grave de violations des droits
fondamentaux des personnes."

Il considère en outre que Sergio Segreste, le nouveau directeur du
Seproci, qui était auparavant président de la Commission de l'Oaxaca des
droits fondamentaux des personnes, devra répondre des accusations et
châtier les responsables de cette répression, "parce que les choses ne
peuvent pas en rester là".

Zenén Bravo Castellanos, membre du conseil de l'APPO pour l'Oaxaca, pense
que la destitution de Celaya "ne constitue nullement une sanction mais
correspond plutôt à une manœuvre pour le libérer de ses responsabilités"
dans le cadre des violations des droits fondamentaux commises lors de
l'étape la plus dure de ce conflit politico-social.

Selon certaines sources non autorisées, Lino Celaya Luría, ancien maire
d'Oaxaca, ancien secrétaire d'État à l'Intérieur et ancien député national
du PRI, remplacera Elpidio Concha Areliano à la tête de la Confédération
nationale paysanne (CNC) dans l'Oaxaca. Rappelons qu'Elpidio Concha avait
été impliqué dans la mort d'un professeur, en juillet 2004, à la clôture
de la campagne électorale de l'actuel gouverneur Ulises Ruiz Ortiz, à
Huautla de Jímenez.

La décision du Segob contestée

La CCIODH déplore le fait que le ministère de l'Intérieur (SG) ait rejeté
son rapport sur les violations des garanties individuelles commises par la
police fédérale et par la police de l'Oaxaca au cours du conflit social
dans cet État, notamment lors des affrontements de novembre 2006.

Mario Escárcega, directeur de l'antenne locale du ministère, rejette le
rapport de la CCIODH et affirme que son administration n'a enregistré
aucune plainte concernant d'éventuels abus commis à l'encontre de membres
de l'APPO. Il enjoint également la Commission de fournir les noms des 23
personnes décédées "afin de pouvoir enquêter".

Iñaki García, porte-parole de la Commission, rapporte qu'Escárcega
"insiste sur l'absence d'informations en ce qui concerne ces 23 homicides,
mais notre rapport fournit toutes les données concrètes à ce sujet : noms,
date des faits et circonstances dans lesquelles ils ont eu lieu. C'est du
domaine public".

Sans compter que "ces chiffres coïncident" avec les données en possession
de la Commission nationale des droits fondamentaux des personnes juste
avant que la CCIODH remette son rapport préliminaire. La Commission est
d'ailleurs disposée à commenter les plaintes pour abus avec Mario
Escárcega en personne "et espère recevoir une réponse à ses
recommandations avant le départ des derniers membres, qui quittent le
Mexique mardi prochain".

"Nous souhaitons que Mario Escárcega assume ses responsabilités car c'est
à ce ministère qu'il revient de sanctionner de tels abus, attendu que rien
n'a changé. Les déclarations ne suffisent pas, il faut des résultats",
conclut Iñaki García.

Florentino López Martínez, porte-parole de l'APPO, pense que cette
administration rejette le rapport de la CCIODH "pour tenter d'éluder ses
responsabilités, parce qu'elle a joué un rôle évident dans la répression
du peuple de l'Oaxaca avec l'envoi de la police fédérale de prévention".

Le même a ajouté : "La mission de la CCIODH jouit d'un grand prestige au
niveau international et comme elle a certifié que de graves violations des
droits fondamentaux des personnes ont été commises, le ministère de
l'Intérieur mexicain voudrait invalider son rapport pour cacher ce qui
s'est passé."

Escárcega se montre "cynique" dans ses déclarations, parce que les preuves
de tortures, d'arrestations arbitraires et d'homicides commis par les
forces de l'ordre fédérales et oaxaquiennes ne manquent pas.

"Les morts sont là pour le prouver, les personnes torturées, les personnes
emprisonnées illégalement. Quelles preuves supplémentaires veut (le
gouvernement fédéral) ?" demande pour finir López Martínez.


Des affrontements entre la section 22 et la section 59 du SNTE font
plusieurs blessés

Hiram Moreno et ADN Sureste.

Santa Cruz Huatulco, Oaxaca, le 7 mars. Des membres de la section 59 du
syndicat national des travailleurs de l'éducation (SNTE), une section
créée tout récemment, ont affronté à coups de pierres, de bâtons et de
machettes des enseignants de la section 22 du même syndicat, avec qui ils
se disputent des collèges de l'Oaxaca. Plusieurs personnes ont été
blessées, dont un fonctionnaire du gouvernement de cet État et trois
journalistes.

Vers 17 h 30, ce mercredi, une vingtaine d'enseignants de la section 59
animaient une assemblée de parents d'élèves organisée dans l'école
primaire Leona Vicario, dans le district H3 de la commune, quand environ
120 enseignants de la section 22 ont surgi et les ont expulsés, ce qui n'a
entraîné qu'un échange d'insultes.

Cependant, à l'aide d'un mégaphone, les membres de la section 59 ont
demandé le soutien de la population et, quarante-cinq minutes plus tard,
ils sont revenus pour tenter de rentrer à nouveau dans l'école. Des agents
de la police municipale étaient sur place, sous le commandement de Marco
Tulio Solís, coordinateur de la sécurité publique, mais ils n'ont fait
qu'assister aux faits.

Fernando Franco, délégué du gouvernement pour la région de la Côte, et
Fernando Rodríguez, agent municipal de Santa Cruz Huatulco, se sont aussi
rendus sur les lieux, mais ils ne purent éviter qu'un affrontement se
produise. Pedro Sánchez, sous-délégué du gouvernement de l'Oaxaca, a reçu
un coup de bâton assené par un des membres de la section 59 qui lui a
cassé deux dents et brisé les lunettes.

Omar Gazga, directeur d'un journal radiodiffusé, Reyes Hector Suárez
Olvera, correspondant de Televisa à Huatulco, et Antonio García Pérez,
journaliste du quotidien Enlace de la Costa, ont également été agressés
par des membres de la section 59. En outre, le véhicule de Reyes Hector
Suárez Olvera a été endommagé.

Étant donné la situation, la section 22 a fait savoir qu'elle suspendra
toute activité ce jeudi pour participer aux diverses marches organisées à
Oaxaca, selon les informations fournies par Daniel Rosas Romero,
secrétaire de presse et de propagande du syndicat. La manifestation
commencera à 10 heures du monument en l'honneur de Juárez, à Trinidad de
Viguera, en direction de la Place de la Danza.

Daniel Rosas a répété que les revendications du syndicat continuent d'être
la destitution du gouverneur Ulises Ruiz Ortiz, la libération de tous les
prisonniers politiques, le refus des réformes décrétées par la "Ley del
Instituto de Seguridad y Servicios sociales de los Trabajadores del
Estado" ainsi que la remise des écoles passées au pouvoir de la section
59, entre autres.

Le jeudi 8 mars recommencera à émettre Radio Plantón, moyen de
communication lié à la section 22 du SNTE et à l'Assemblée populaire des
peuples de l'Oaxaca (92,1 FM).
Paria
   Posté le 15-03-2007 à 17:33:43   

Le mouvement de l'Oaxaca se rassemble au sein d'une initiative sans
vocation électorale


Voces Oaxaqueñas Construyendo la Autonomía y la Libertad (VOCAL : "Voix
oaxaquiennes pour la construction de l'autonomie et de la liberté" ) se
veut un lieu de rencontre avec cette partie du peuple de l'Oaxaca qui
recherche, sur des bases éloignées de tout électoralisme et des partis,
l'autonomie des peuples et des personnes afin de parvenir à un changement
profond des institutions politiques de cet État et des structures
économiques sur lesquelles il repose.

Après l'assemblée de l'Oaxaca qui s'est tenue les 10 et 11 février, on a
pu constater qu'il existe au sein de l'Assemblée populaire des peuples de
l'Oaxaca (APPO) deux façons différentes d'appréhender la manière dont on
veut poursuivre la lutte dans la conjoncture électorale actuelle.
Contrairement à ceux qui, à l'instar du Frente Popular Revolucionario
(Front populaire révolutionnaire, FPR) et du Frente Amplio de Lucha
Popular (Front large de lutte populaire, FALP), cherchent à se situer
avantageusement dans la course électorale, d'autres groupes et
organisations ont préféré poursuivre la lutte en marge des institutions
gouvernementales et des élections, avec la création d'un lieu devant se
construire et se définir à travers le contact "direct" avec les peuples de
l'Oaxaca.

Pour David Venegas, membre du comité de presse de l'APPO, "le principal
objectif de VOCAL est de se rendre partout où existe une lutte et une
rébellion pour relier les tentatives de tous les gens qui participent au
mouvement social dans l'Oaxaca". Et d'ajouter : "Lors de l'assemblée (de
l'ensemble de l'Oaxaca), le désir que le mouvement conserve son
indépendance et son autonomie par rapport aux partis politiques est
clairement apparu au sein de l'APPO. C'est la ferme conviction de l'APPO
de vouloir rester à l'écart du processus électoral, mais aussi la volonté
de tous ceux qui n'en font pas partie mais avec qui nous partageons cette
façon de penser, qui a débouché sur la création de VOCAL."

En effet, VOCAL ne naît pas comme un espace à usage exclusif de l'APPO
mais comme une manière de penser la lutte qui veut renouer avec un
mouvement oaxaquien éminemment populaire éloigné des institutions et de
toute hiérarchie. Pour l'un des membres de la barricade de Cinco Señores,
"l'APPO n'a jamais perché dans une assemblée mais dans la rue, sur les
barricades et dans les quartiers, chez les gens qui ont cru qu'un
changement pouvait avoir lieu. Mais aujourd'hui on voit apparaître la même
rengaine de toujours entonnée par une partie des organisations membres de
l'APPO qui vont aux élections". Et pourtant, affirme-t-il, "toute l'APPO
ne se compose pas de gens qui ne sont mus que par des intérêts personnels,
il y en a qui veulent véritablement un changement et qui le démontrent par
les positions qu'ils adoptent au sein de l'APPO". Ce qui explique que la
convergence entre certains groupes de l'APPO et une partie de ceux qui ont
participé au mouvement en restant à l'écart des différentes organisations
de l'APPO n'a pas été possible. Il s'agit d'une tentative dans laquelle le
combat pour l'autonomie constitue un pilier fondamental. Pour le collectif
"Tod@s somos pres@s" (Nous sommes tou(te)s des prisonniers et des
prisonnières), "ce sur quoi nous sommes d'accord et notre objectif est de
relier les groupes, les individu(e)s, les collectifs et les peuples
autonomes ou ceux qui luttent ou qui veulent lutter pour l'autonomie".
Selon VOCAL, "nous voyons qu'aussi bien à l'intérieur qu'en dehors de
l'APPO la population mobilisée partage cette idée de la nécessité pour
notre mouvement de conserver son indépendance et son autonomie envers les
partis politiques". Une indépendance qui se fonde sur la défense de
l'autonomie et du droit à l'auto-organisation des peuples de l'Oaxaca, en
particulier les peuples indigènes ou originels. Il ne s'agit ni plus ni
moins que "notre mouvement reste fidèle à ses principes […] pour
constituer une alternative réelle d'opposition au système de gouvernement
autoritaire actuel". Pour Dolores Villalobos, membre du Conseil indigène
populaire de l'Oaxaca-Ricardo Flores Magón (CIPO-RFM), "nous devons réunir
toutes les résistances" et "les indigènes ont une grande expérience et
peuvent apporter beaucoup à VOCAL en matière d'autonomie", qui est "une
des formes qu'adopte la libre détermination des peuples, pour laquelle le
peuple indigène s'est toujours battu".

Une autonomie qui n'en reste pas là, cependant, et à laquelle il faut
ajouter celle que sous-tendent la défense des droits individuels tels que
le droit à choisir son orientation sexuelle et dont les partisans sont
également invités à participer à VOCAL et à partager leurs expériences de
lutte.

Un lieu où existent des activités concrètes qui reposeront, selon le
collectif "Tod@s somos pres@s", sur deux types d'action : "La première
concerne la construction et la consolidation de nos autonomies par la mise
en pratique ce que nous pensons que cette société devrait être, il s'agit
de se mettre réellement au boulot (assez de discours !) dans des projets
qui créent d'autres réalités." La seconde repose sur "l'emploi de la
protestation publique et de la mobilisation sociale comme outil populaire
de lutte".

Au nombre des activités prévues par VOCAL, citons des manifestations dans
la capitale, Oaxaca, mais aussi des déplacements pour se rendre dans les
différentes communes autonomes et là où existe une lutte quelconque, par
exemple contre le Plan Puebla-Panama, afin de pouvoir construire
directement et "d'en bas" une proposition commune opposée aux procès
politiques et économiques dominants.

Sergio de Castro Sánchez

[url]http:www.rebelion.org/noticia.php?id=47931[/url]

*****************************************************

Oaxaca est debout !

La participation nombreuse et enthousiaste de milliers de manifestants qui
sont à nouveau descendus dans la rue en réponse à l'appel de l'APPO, le 3
février dernier, est un signe évident que le mouvement citoyen des
"Oaxaqueños" n'a pas été anéanti par la "guerre sale" qui est menée contre
lui, pas plus que par l'arrestation de Flavio Sosa, son leader aux yeux
des médias. Cette manifestation montre clairement que tant que
persisteront les causes profondes ayant engendré l'une des plus grandes
mobilisations populaires de l'histoire du Mexique, ni la paix véritable ni
la gouvernabilité démocratique ne seront possibles dans l'Oaxaca.

L'attitude des manifestants a aussi permis de sentir que les gens ont
recommencé à vaincre leur peur, une peur provoquée par la vague des crimes
perpétrés par le terrorisme d'État. Peu à peu, le mouvement populaire se
réorganise et détermine à nouveau les actions nécessaires pour obtenir la
libération des 64 personnes encore emprisonnées dans différentes prisons
disséminées dans l'Oaxaca et dans l'ensemble du Mexique, sans oublier pour
autant sa principale exigence, la destitution d'Ulises Ruiz Ortiz, actuel
gouverneur de l'État.

Cette année, il y aura des élections locales dans l'Oaxaca, ce qui
constituera le principal objet de la dispute politique dans cet État. De
grands défis devant elle attendent l'APPO. D'un côté, définir de quelle
manière elle participera aux élections, alliée au Frente Amplio
Progresista (Front large progressiste), peut-être, et éviter au maximum
que des scissions et des ruptures aient lieu au sein de l'Assemblée. À
savoir : appliquer un de ses principes de base, l'indépendance face à tous
les partis politiques, quels qu'ils soient. Elle devra aussi préserver
l'unité du mouvement, en tentant de prendre tous les accords par
consensus, comme l'exigent les organisations et les peuples indigènes, et
ainsi éviter d'être le théâtre d'interminables querelles pour choisir une
liste de candidats. D'un autre côté, l'APPO ne doit pas cesser
d'encourager toute action qui permette une réelle transformation
démocratique de l'Oaxaca et non une simple réforme de façade comme celle
que conduit cette commission spéciale discréditée créée par Ulises Ruiz.
La réforme de l'État, la convocation d'une nouvelle assemblée constituante
et l'élaboration d'un nouveau pacte social qui institue de nouvelles
formes de participation citoyenne et établisse clairement les droits des
femmes et des peuples indiens doit continuer d'être une priorité de notre
mouvement citoyen. La conjoncture électorale ne doit pas faire oublier
l'objectif d'une transformation démocratique en profondeur, comme le
réclament depuis des mois des milliers de citoyens dans l'Oaxaca.

La plupart des observateurs pensent que le plus gros de la répression a
terminé ; il n'empêche, il y a encore des dizaines de disparus et de
détenus et non seulement les auteurs matériels directs de nombreux
assassinats et enlèvements, tels les cadres de la police Manuel Moreno
Rivas et Aristeo López, sont toujours en liberté, mais ils occupent
toujours dans le cynisme le plus complet les fonctions qui leur ont permis
de gruger des centaines de citoyens d'Oaxaca.

Ce n'est pas le moment de relâcher notre méfiance, sachant qu'un des
principaux combats que devra livrer l'APPO sera de contrecarrer la
répression, d'autant plus que d'innombrables mandats d'arrestation
continuent d'être en vigueur, qui ont été lancés contre des centaines de
dirigeants de la lutte sociale, professeurs, autorités communautaires et
militants. La nouvelle vague de répression qui se prépare est
incontestablement liée à l'inquiétude du gouvernement d'Ulises Ruiz Ortiz
devant le nouvel essor qu'a pris l'APPO, depuis la grande marche du 3
février, et il s'imagine qu'avec de nouvelles arrestations il pourra
contenir la révolte citoyenne.

Pour finir, un autre défi que doit affronter le mouvement populaire est
celui de se réorganiser et de regrouper de nouveaux secteurs, avec leurs
revendications spécifiques, sans oublier de poursuivre et d'augmenter la
mobilisation citoyenne, en évitant dans la mesure du possible les actions
violentes et les provocations. Les méthodes de notre mobilisation
démocratique devront prévaloir sur les théories qui prônent l'affrontement
violent – qui n'a servi jusqu'ici qu'à faire réprimer de larges secteurs
de la population.

La situation dans l'Oaxaca a commencé à changer car les cercles
gouvernants se montre craintifs et désunis. L'heure est venue pour notre
mouvement citoyen de repasser à l'offensive, en profitant des fractures et
des affrontements visibles à l'intérieur de la clique d'Ulises Ruiz Ortiz,
le démantèlement du CROC, syndicat très agressif affilié au PRI, et la
confrontation directe à laquelle nous avons assisté entre le président de
la Grande Commission de la magistrature locale et le ministre de
l'Intérieur ne constituant qu'un échantillon de sa faiblesse interne.

Les 150 derniers éléments de la PFP ont enfin quitté l'Oaxaca et la
contention de la révolte citoyenne est maintenant entièrement dans les
mains de l'appareil répressif d'Ulises Ruiz, qui présente cependant lui
aussi de graves fissures, comme le montre les déclarations publiques de
cadres intermédiaires de la police qui ont dénoncé les menaces qu'ils ont
reçues de leurs supérieurs.

Au cours des mois qui vont suivre, le conflit politique et social patent
dans l'Oaxaca ne manquera de s'étendre. Le mouvement populaire est certes
face à de grands et sérieux défis, mais on peut être sûr qu'il parviendra
à les surmonter, à condition de ne pas abandonner les causes et les
exigences qui l'ont fait naître et l'ont alimenté. Le peuple n'oublie pas,
le peuple reste vigilant.

Carlos Beas Torres

"La Jornada", 10 mars 2007.


http://www.jornada.unam.mx/2007/03/10/index.php?section=opinion&article=014a1pol

Traduit par Ángel Caído.

Message édité le 15-03-2007 à 17:34:26 par Paria
Paria
   Posté le 15-03-2007 à 17:35:51   

VOIX OAXAQUIENNES CONSTRUISANT L'AUTONOMIE ET LA LIBERTÉ (VOCAL)

Les membres actuels de VOCAL sont des individu(e)s autonomes, des
collectifs libertaires, des lieux autogérés, des antiautoritaires, des
organisations magonistes, des collectifs zapatistes, des groupes
anarchistes, des barricadières et barricadiers, des membres de l'APPO et
des adhérent(e)s à l'Autre Campagne. Tous et toutes participent à l'actuel
mouvement social dans l'Oaxaca.

VOCAL se veut un lieu de convergence et d'union des tentatives autonomes
du peuple d'Oaxaca en lutte, de tous ceux qui, appartenant ou non à des
regroupements tels que l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca
(APPO), participent activement au mouvement social actuel et veulent que
ce mouvement reste fidèle à ses principes d'autonomie et d'indépendance
vis-à-vis des partis politiques, en revendiquant l'assemblée souveraine
comme la manière la plus juste et la plus harmonieuse pour réussir à nous
comprendre, à nous organiser de façon autonome et à nous autogouverner. Un
lieu où les accords du peuple ne se fondent ni sur la prédominance de la
majorité sur une minorité ni sur aucune autre façon d'imposer son point de
vue comme celle communément exercée par le pouvoir de ceux d'en haut, mais
sur le respect mutuel entre toutes les composantes du peuple.

Dans un tel lieu, nous nous proposons donc de lutter pour construire,
consolider et relier des autonomies, estimant que l'autonomie des peuples,
des groupes, des collectifs, des individus, des organisations et autres
constitue une alternative réelle d'opposition au système de gouvernement
autoritaire actuel. L'autonomie entendue comme la construction d'autres
réalités montrant qu'il existe une autre manière de changer les choses à
la source, dans laquelle les peuples décident de leurs propres modes de
vie, et non au sein d'institutions qui ne font que réformer l'oppression
et la répression, comme le font les partis politiques qui produisent des
tyrans, homme ou femme, des caciques et un autoritarisme chez tous ceux et
toutes celles qui y accèdent à travers des postes qui leur confèrent une
quelconque autorité. Aussi les activités de VOCAL ne se limiteront-elles
pas aux périodes électorales, attendu qu'avec ou sans des élections
l'autonomie fait son chemin à travers l'organisation et le projet d'une
autre société possible.

Au stade actuel du mouvement, tandis qu'une période électorale qui a été
présentée comme une possibilité de faire triompher notre lutte est sur le
point de commencer, nous pensons qu'il est indispensable que tous les
enfants, toutes les femmes, tous les hommes, tous les peuples et régions
de notre État qui ont participé d'une manière ou d'une autre à ce grand
mouvement, pour revendiquer précisément l'indépendance et l'autonomie
vis-à-vis des partis politiques, viennent avec nous renforcer, auprès de
tous ceux qui partagent ce point de vue, l'idée que cette circonstance
n'est qu'une étape, qu'il nous faudra sortir de cette période d'élection
plus fort(e)s et plus mûr(e)s afin d'affronter les assauts des
gouvernements du pouvoir au service des intérêts des maîtres de l'argent,
les véritables responsables du malheur des peuples, comme Ulises Ruiz
Ortiz et Felipe Calderón, notamment.

L'assemblée de l'Oaxaca de l'APPO qui s'est tenue les 10 et 11 février
2007 a disposé que l'APPO en tant que mouvement ne participera pas à ces
élections, décision qui respecte les principes de l'APPO, en ce sens
qu'elle ne se veut pas un parti politique. Il a été convenu que les
organisations qui le souhaiteraient seront libres de participer en toute
autonomie à ces élections, mais qu'aucun candidat ne pourra utiliser ni le
nom ni les liens unissant son organisation avec l'APPO pour faire campagne
et que les conseillers [de l'APPO] qui participeraient au processus
électoral devront démissionner de façon irrévocable dès l'instant ou leur
candidature serait acceptée sur les listes d'un parti politique – la
participation de l'APPO à ces élections se limitant exclusivement à
appeler à un vote de sanction contre les candidats d'Ulises Ruiz Ortiz et
des ses alliés.

Nous avons pu constater que, au sein de l'APPO comme en dehors, la
population mobilisée partage cette idée de la nécessité de conserver
l'indépendance et l'autonomie de notre mouvement vis-à-vis des partis
politiques, l'histoire de notre pays ayant largement démontré qu'à
différents moments et dans différentes circonstances les partis politiques
ont réprimé et censuré les intérêts légitimes du peuple. Dans le cadre des
accords convenus, l'APPO a jugé qu'elle ne croyait pas que les partis
politiques répondent aux besoins du peuple et a réaffirmé que la lutte du
peuple de l'Oaxaca va au-delà de tout processus électoral.

Les peuples de l'Oaxaca sont conscients de l'importance de leur
mobilisation et de leur organisation comme principal outil pour obtenir la
victoire. C'est pourquoi nous croyons qu'il faut continuer à se mobiliser
dans l'ensemble de l'Oaxaca et faire tous et toutes cause commune,
rassembler les différentes manières de concevoir la société et la
résistance, et que, de par sa diversité et son caractère pluriel, VOCAL
est un appel à stimuler encore cette lutte.

La fraternité entre enfants, femmes, hommes et le peuple en général ne se
réalise pas dans une marche ou dans un meeting, où la différence entre
ceux qui prennent toujours la parole et ceux qui ne font qu'écouter existe
nécessairement, non, ce lien doit se créer au sein des quartiers, des
écoles, des villages, des communautés et des régions, par le débat et par
l'action, et c'est au peuple mobilisé qu'il revient d'entamer un tel
dialogue, et à l'APPO, aux collectifs et aux personnes qui participent en
toute indépendance à cette lutte, mais c'est surtout du peuple qu'émane
l'organisation et la possibilité de représention de cette lutte.

Nous voulons ce qui aujourd'hui aux yeux des gouvernements et des patrons
criminels et exploiteurs constitue le pire des délits : nous voulons la
justice et la dignité, nous voulons ne plus avoir peur d'exprimer nos
idées, nous voulons ne plus être victimes de ségrégation pour la couleur
de notre peau, notre pensée, notre langue ou nos goûts, nous voulons des
aliments sains que nous obtenons par notre travail et ne plus être volés
par les riches, nous voulons employer notre énergie créatrice pour le bien
commun, nous voulons la libération de nos prisonniers et de nos
prisonnières. Nous voulons la liberté de choisir notre façon de vivre et
que personne ne nous impose ses mensonges, sa violence et sa manière de
gouverner, et nous savons que ce que nous voulons est correct et juste.

Nous voudrions devenir frères et sœurs dans cette lutte par en bas, avec
tous ceux et toutes celles qui, à la ville ou dans l'arrière-pays, ont
comme nous opposé résistance à tous les maîtres du pouvoir et de l'argent,
nous voulons jumeler nos expériences de lutte avec le moindre recoin de
notre État, nous voulons dialoguer et échanger avec toutes les femmes et
tous les hommes de l'Oaxaca.

Les Afro-Mexicain(e)s, Zapotèques, Mixtèques, Huaves, Triquis, Chatines,
Chontales, Mixes, Mazatèques, Chinantèques, Cuicatèques, Ixcatèques,
Choches, Nahuas, Amuzgos, Zoques, Tacuates, et des habitant(e)s des
"colonias", des barricadiers et barricadières, des enfants, des
instituteurs et institutrices, des ouvriers et ouvrières, des paysan(ne)s,
des migrant(e)s, des émigrant(e)s, des jeunes, des étudiant(e)s, des
homosexuel(le)s, des bisexuel(le)s, des lesbiennes. Tous ceux et toutes
celles qui se battent pour un monde meilleur.

Traduit par Ángel Caído.
Paria
   Posté le 22-03-2007 à 13:40:53   

Oaxaca de Juárez, État d'Oaxaca, le 16 mars 2007.

Au peuple de l'Oaxaca.
Aux peuples du monde,

Avec ce bulletin, nous voulons dénoncer et éclaircir les faits survenus le
15 mars, Journée internationale de protestation contre la brutalité
policière. Dans le cadre des journées contre la brutalité policière
organisées par "Voces Oaxaqueñas Construyendo Autonomía y Libertad"
(VOCAL), hier, à 16 heures, un meeting avait lieu devant le siège de la
Commission des droits de l'homme de l'Oaxaca. Ce rassemblement a aussitôt
été décrié par Mme Jennifer Aguilar, qui, sans consultation préalable des
bases de l'APPO, a désavoué la manifestation et a pris à partie
organisateurs et participants, qu'elle a qualifiés de troupes de choc du
gouvernement, de partisans du PRI, de nervis, de groupes violents et
d'infiltrés cherchant à diviser le mouvement actuel dans l'Oaxaca.

Sachant que la grande diversité d'opinions et de pensée qui existe au sein
de l'Assemblée populaire des peuples de l'Oaxaca (APPO) fait qu'il est peu
probable que cette assemblée désavoue cette forme de protestation, la
situation nous a énormément surpris. Les déclarations de Mme Jennifer
Aguilar ont entraîné l'intervention musclée des forces de l'ordre
commandées par Aristeo López, chef de la police municipale, qui a été vu
inspectant en plusieurs occasions les lieux en cyclomoteur. Cette
intervention totalement disproportionnée était visiblement prête à être
déclenchée en vue de réprimer la manifestation, la police encerclant le
lieu du rassemblement, et a débouché, pendant plus d'une demi-heure, sur
la persécution dans les rues de la ville de personnes qui abandonnaient
les lieux.

Les déclarations de Mme Jennifer Aguilar constituent une tentative
manifeste de criminalisation de la jeunesse et de tous ceux qui cherchent
la manière de changer les choses sans passer par des élections et des
structures hiérarchiques autoritaires qui essaient de manipuler le
mouvement actuel. Nous répétons que VOCAL est un regroupement qui veut
écouter et jumeler les peuples en résistance, les communautés
traditionnelles et autres mouvements autonomes dans l'Oaxaca, à travers le
travail sur place, l'échange entre les peuples et la manifestation
pacifique de nos idées. Comme le démontrent les activités culturelles –
ateliers de peinture pour les enfants et les jeunes, tags, musique, danse
folklorique, fresques murales, projection de la vidéo "Pesadilla Azul"
(Cauchemar bleu), théâtre de rue, performance et veillée populaire – que
nous avons organisées avec le peuple de Zaachila et avec sa radio
communautaire, le 14 mars.

La grandeur et la légitimité du mouvement populaire se doivent à la
participation honnête et spontanée du peuple qui s'organise de lui-même et
prend l'initiative des protestations, comme on a pu le voir avec la
participation radicale du peuple lors des occupations et de la levée de
barricades, de sorte qu'aucune organisation ni aucun individu autoritaires
prônant les structures hiérarchiques ne peut monopoliser la lutte et
l'insatisfaction sociale, car on court en outre le risque que ces
organisations justifient aux yeux du gouvernement la répression contre
celles et ceux d'Oaxaca qui ont choisi de lutter de manière autonome et
indépendante.

Nous demandons à tous les peuples de l'Oaxaca, du Mexique et du monde de
soutenir et de montrer leur solidarité avec l'espace autonome de lutte
qu'est VOCAL et au sein duquel nous recherchons, de manière fraternelle et
coude à coude avec l'ensemble du peuple de l'Oaxaca, à faire destituer et
châtier le tyran Ulises Ruiz Ortiz et à réaliser un changement profond et
véritable pour le bien de nos peuples de l'Oaxaca, dans le respect de
l'autonomie et des us et coutumes des peuples et des personnes.

Voces Oaxaqueñas Construyendo Autonomía y Libertad (VOCAL)
vocal@riseup.net

Traduit par Ángel Caído.
Paria
   Posté le 25-03-2007 à 21:56:28   

Violente répression contre un campement de l’appo a mexico

Rappelons que la mairie de mexico est dirigée par un maire du Prd de manuel lopez obrador un soit disant parti de gauche

Dans la nuit du 18 au 19 mars, environ 400 policiers de la ville de Mexico (PRD, centre gauche), ont procédé à l’expulsion du campement de la APPO (Assemblée populaire des peuples de Oaxaca), situé depuis plus de cinq mois sur une des places du centre historique de la capitale. Ces occupants réclament la démission d’Ulises Ruiz, gouverneur de l’état de Oaxaca, la libération des prisonniers politiques et que la lumière soit faite sur la répression terrible qui s’est abattue sur Oaxaca.

Une soixantaine de personnes environ – dont beaucoup de femmes et d’enfants de la communauté Triquis – était présents lorsque l’opération policière a débuté. Face à un tel déséquilibre des forces, les occupants n’ont pu que rester impuissants. Alors que la police déployait ses troupes, des hommes armés de barres et de petites machettes sont entrés sur la place occupée et ont saccagé violemment le campement, détruisant systématiquement les affaires des membres de la APPO en proférant des injures racistes. Il est clair que les autorités locales ont eu recours à des hommes de main pour faire le « sale boulot » à la place de la police. Lorsque ces mercenaires ont discrètement quitté les lieux, ils ont été vu à bord d’une camionnette blanche appartenant à la municipalité.

Après que le secteur ait été bouclé pour empêcher à quiconque d’entrer et d’assister à l’expulsion musclée, les éboueurs de la ville sont arrivés avec d’immenses camions bennes pour « nettoyer » les lieux. La majorité des affaires a été saisie pour être détruite (des tentes, des ordinateurs, du matériel d’artisanat, des matelas, etc).

Cantonnés à l’extérieur du périmètre contrôlé par la police, les membres de la APPO sont resté unis et ont montré leur détermination a toute épreuve. Malgré le froid et la fatigue ils ont tenu toute la nuit tête à la police en criant des slogans et en allumant à plusieurs reprises des feux. Dans la nuit, deux personnes au moins ont été blessés lors d’accrochages : un policier et Gustavo Sosa (frère de Flavio Sosa, un des leaders de la APPO toujours en prison).

Lundi matin 19 mars, ni la police, ni les membres de la APPO ne s’étaient retirés du lieu. La APPO a annoncé son intention de réoccuper les lieux et de continuer à lutter.

Une politique de « nettoyage » du centre historique.

Il y a 5 mois, l’installation du campement sur cette place où se trouve la chambre des sénateurs s’est faite avec l’accord des autorités municipales de Mexico. Or le prétexte utilisé aujourd’hui pour déloger le campement est qu’il est devenu un repère de vendeurs ambulants. Ce qui est évidemment faux. Cette décision d’expulsion n’est rien d’autre qu’un geste politique fort visant à mettre un terme définitif à la révolte des peuples de Oaxaca. La position extrêmement ferme adoptée par la municipalité dite de gauche à l’encontre de l’APPO doit être replacée dans le contexte d’une politique plus globale visant à « nettoyer » le centre historique de la ville de Mexico. Officiellement, il s’agit de lutter contre la contrebande et le narcotrafic. Officieusement, il existe une volonté claire de vider et de nettoyer le centre ville de ces pauvres, de ces commerçants ambulants et des gens qui luttent. En lieu et place de toute cette population qui survit grâce aux revenus de l’économie informelle, Ebrard, le gouverneur de Mexico veut permettre l’implantation de commerces normalisés (les grandes chaînes de magasins qui poussent comme des champignons à Mexico). Slim, puissant homme d’affaire mexicain et connu comme l’un des hommes les plus riches du monde, a d’ores et déjà annoncé qu’il souhaitait partir à la conquête du centre historique.

Pour mener à bien leur funeste projet, les autorités locales devront faire face à la fronde des dizaines de milliers de petits commerçants qui peuplent le centre ville, bien déterminés à ne pas s’en laisser chasser. Le quartier populaire de Tepito, considéré comme le quartier le plus chaud du Mexique, haut lieu du narcotrafic et de la contrebande est déjà entré en résistance après que les expropriations aient commencé le mois dernier. Les autorités et la police sont déjà sur le pied de guerre et savent que le petit peuple de Tepito s’organise et est prêt à résister. Une manifestation des habitants du quartier est prévue jeudi 23 mars contre les expropriations et pour la défense de leur lieu de vie et de leur dignité. Affaire à suivre donc.
Paria
   Posté le 04-04-2007 à 20:57:56   

Notes d'information sur Oaxaca et le Mexique


Oaxaca, 1er avril 2007.

Amparo pour les frères Sosa

L'actualité strictement oaxaquègne est plutôt calme, ce qui va nous
permettre de développer un peu des aspects qui lui sont liés
indirectement.

Les frères Sosa, Flavio et Erick, viennent de bénéficier d'un amparo
("protection"), pour l'un des procès contre eux. Il s'agit d'une sorte
d'habeas corpus, reconnaissant qu'il n'y a pas de charges suffisantes pour
leur maintien en prison. Les juges reconnaissent ainsi qu'il n'y a pas de
preuves qu'ils aient volé un camion-citerne et une excavatrice (on aura
compris qu'il s'agit de matériel réquisitionné par la population pour
former les barricades). Erick pourrait sortir bientôt. Flavio, qui a été
l'un des porte-parole les plus visibles de l'APPO, a encore cinq autres
procès sur les reins, mais son avocat espère obtenir sa libération dans
les dix jours. Excès d'optimisme ?

Ah oui, autre chose : deux membres du PRI viennent d'être arrêtés ! Il
s'agit du maire de San Bartolomé Ayautla et d'un dirigeant de la 59e
section du SNTE, la section jaune montée de toutes pièces par Elba Ester
Gordillo pour tenter de faire contrepoids à la 22e section
oppositionnelle. Les priistes occupent encore indûment 70 écoles, où ils
font faire la classe par des gens non qualifiés. Selon les accords signés
en octobre, ils auraient dû les rendre aux vrais instit's, mais ils s'y
refusent. Dans leur élan, ils avaient séquestré le responsable à
l'éducation du gouvernement d'Ulises Ruiz. Là, ça faisait carrément
désordre, d'où l'arrestation. Bah, ils seront sûrement bientôt en liberté…

Retraites : la mobilisation continue

Le système de sécurité sociale mexicain, assez proche du nôtre, même s'il
laissait de côté les millions de travailleurs du secteur informel, a été
souvent présenté comme une des plus grandes conquêtes de la Révolution.
Cela explique sans doute l'attachement que lui manifestent les Mexicains
et la vigueur des protestations face à sa démolition par la récente loi de
"réforme" de l'ISSSTE (Institut de Sécurité et Services Sociaux des
Travailleurs de l'Etat) adoptée à la sauvette cette semaine.

La journée de protestation du 27 mars a été des plus massives, aussi bien
à Mexico que dans tous les Etats de la Fédération. Si les enseignants, à
l'appel de la Coordination Nationale des Travailleurs de l'Education
(CNTE, qui regroupe les sections oppositionnelles à la direction du SNTE)
étaient venus par gros bataillons, ils n'étaient pas seuls, loin de là.
Les travailleurs de la Santé étaient aussi descendus en masse, de même que
d'autres secteurs, regroupés dans l'Union Nationale des Travailleurs
(UNT), à laquelle appartient par exemple le combatif Syndicat Mexicain des
Electriciens (SME).

A l'issue de la manifestation de la capitale a été plébiscitée par la
foule la mise sur pied d'une Coordination Nationale de Grève. Il semble
bien qu'on s'oriente vers une grève nationale illimitée qui commencerait
le 2 mai. Ce serait une grande première au Mexique : le verrouillage mis
en place par le PRI grâce à son système de syndicats charros à la botte du
pouvoir l'avait jusqu'ici toujours empêché.

Mais certains travailleurs ont préféré battre le fer tant qu'il était
chaud. Les protestations, avec arrêts de travail, ont continué à peu près
toute la semaine. Dans l'Etat de Guerrero, à l'appel de l'Assemblée
Populaire des Peuples du Guerrero (APPG), ils ont même envahi le Congrès
local. Sans qu'on puisse en jurer — on ne connaît pas par cœur la liste
des sections oppositionnelles du SNTE — il semble bien que ces actions
soient aussi le fait de sections en principe tenues en main par la
Gordillo, mais qui cette fois se rebellent. Chiapas, Oaxaca, Guerrero,
Michoacán, Zacatecas, Chihuahua, Durango, Tlaxcala, Hidalgo… La liste des
Etats mobilisés est longue. Dans le Zacatecas, 40 % des écoles publiques
ont déjà entamé un "arrêt de travail indéfini".

Les néo-cons désignent leurs ennemis : les Indiens.

Le 27 mars dernier, José María Aznar, ex-chef du gouvernement espagnol de
1996 à 2004 et membre du Parti Populaire (PP) fondé par l'ancien ministre
de Franco Fraga Iribarne, a présenté à Madrid son (petit) livre intitulé
Amérique Latine, un agenda de liberté. Il y expose la doctrine que, selon
lui, doivent suivre les dirigeants latino-américains proches de ses idées,
ceux qu'il appelle fièrement — en espagnol dans le texte — los "neocon".
Remarquons que Manuel Espino, chef du Parti d'Action Nationale (PAN) du
président mexicain FeCal (Felipe Calderón), a participé à l'élaboration.

La prétention d'Aznar à se poser en maître à penser peut faire sourire :
il est de notoriété publique que, sur le plan intellectuel, ce n'est pas
une flèche… Cependant, si on se souvient que le leader mondial de la
droite dure est un certain G.W. Bush, pourquoi pas Aznar, après tout !

Le "livre", en fait une grosse brochure de 98 pages, met en garde contre
la menace permanente des "ennemis de l'Occident". Ces nouveaux ennemis,
puisque la gauche est, selon lui, hors course depuis la chute du mur de
Berlin, sont au nombre de trois : "l'islamisme djihadiste",
"l'altermondialisme" et "les différentes manifestations d'indigénisme" ;
et ils "font partie d'une alliance diffuse, mais opérationnelle".

Il y a là quelque chose de nouveau. Se donnant pour héritier du
libéralisme politique du XIXe siècle, le néolibéralisme n'avait jamais
osé, jusqu'ici, s'en prendre directement et nommément au mouvement
indigène. Bolívar ne voulait-il pas émanciper les Indiens ? Il est vrai
que les mesures qu'il avait prises à l'époque dans ce sens avaient eu des
résultats allant du nul au catastrophique, car elles ne tenaient pas
compte – involontairement ? – des traditions communautaires indiennes. Il
n'empêche qu'aujourd'hui, dénoncer ouvertement le mouvement irrésistible
des peuples natifs vers la reconnaissance de leur égalité et de leurs
droits, notamment à s'autogouverner, est plutôt gonflé. Cela marque un
retour en arrière d'au moins quinze ans, quand, à l'occasion du V°
centenaire du premier voyage de Christophe Colomb, l'expression
"découverte de l'Amérique" (qui niait jusqu'à l'existence des Indiens)
avait été remplacée par "rencontre des deux mondes". C'est aussi un clair
aveu de racisme au nom de la "supériorité de l'Occident" : cela signifie,
crûment, qu'il y a des cultures qui valent moins que d'autres, et qu'elles
doivent pour cela se soumettre aux cultures "supérieures".

Mais au-delà du caractère scandaleux et brutal de telles affirmations, il
semble au rédacteur de ces lignes qu'Aznar ne se trompe pas d'ennemi.

Quand nous défendons, en Europe, l'idée qu'un autre monde est possible (ou
que d'autres mondes sont possibles), nous invitons nos concitoyens à
imaginer, à rêver à quelque chose qui n'a encore jamais existé ou presque.
D'où le scepticisme si fréquent : "ça ne marchera jamais !".

Quand les Indiens affirment qu'un autre monde est possible, ils ne
demandent pas d'imaginer, ils démontrent : non seulement il est possible,
mais il existe, regardez-le, c'est le nôtre.

Les Indiens sont aujourd'hui, sur le plan mondial, les seuls à pouvoir
fournir à l'échelle de masse un contre-modèle au capitalisme : celui d'un
monde fondé sur la solidarité, la coopération, la démocratie directe, le
respect de l'environnement, l'usage raisonné et raisonnable des ressources
naturelles… Cela n'est pas vrai seulement au Chiapas et à Oaxaca, on le
voit aussi à plus petite échelle dans bien d'autres Etats du Mexique (cas
d'Atenco, par exemple), et également à plus grande échelle en Bolivie et
en Equateur. Des processus allant dans le même sens ont commencé ailleurs,
même si on en parle peu : Pérou, Colombie, Guatemala, sud du Chili,
Nicaragua…

Aznar a donc raison quand il voit dans "l'indigénisme" le pire ennemi du
capitalisme. Son existence même est sans aucun doute ce qui se fait
aujourd'hui de plus subversif. D'autant que les mouvements indiens
comprennent de plus en plus que ce monde qui est le leur ne peut exister à
côté du monde capitaliste, car celui-ci prétend à la domination globale et
veut donc étouffer tous les autres.

En même temps, Aznar menace clairement : en mettant dans le même sac
altermondialisme, indigénisme et terrorisme, il annonce que c'est fini de
rire. Il ne s'agit plus de "démocratie", mais "d'état de droit", nuance !
Or, dans le droit actuel, il est une valeur qui écrase toutes les autres :
la propriété. C'est justement celle que les Indiens rejettent en premier.
Tous ceux qui mettent en péril l'état de droit doivent s'attendre aux
foudres divines de l'Etat tout court, cette "bande d'hommes armés au
service du capital", comme disait l'autre…
Paria
   Posté le 25-06-2007 à 20:46:24   

OAXACA, UN AN PLUS TARD

LE MIROIR DU MEXIQUE


"La guerre, c'est la paix,
la liberté, c'est l'esclavage,
l'ignorance, c'est la force."

George Orwell ("1984" )

"La paix règne à Oaxaca et on et respire
un climat de tranquillité."

Ulises Ruiz, le 10 mai 2007.


Un an après le conflit des enseignants qui a éclaté dans l'Oaxaca, cet
État est le miroir du Mexique. La droitisation que connaît le pays avance
à pas de géant, mais la rébellion aussi, qui cherche, et parfois trouve,
de nouveaux chemins. La pauvreté dans laquelle vivent environ 67 % des
Oaxaquègnes (2 349 570 habitants, sur un total de 3 506 821, selon les
données officielles) et l'inégalité sociale "sont deux éléments qui les
empêchent de participer activement à la société", affirme la Banque
mondiale (1).

Creuset de cultures indigènes et métisses, les dernières années ont vu
Oaxaca, la capitale de l'État du même nom, se transformer en une immense
vitrine pour touristes qui rapporte beaucoup d'argent aux investisseurs
locaux, mexicains et étrangers, mais très peu au commun des habitants.
Avec l'arrivée d'Ulises Ruiz Ortiz (URO) au poste de gouverneur, fin 2004,
cette situation a encore empiré, inaugurant un nouveau cycle autoritaire
caractérisé par l'emploi arbitraire des deniers publics, l'augmentation du
narcotrafic, la destruction du patrimoine historique et naturel, la
persécution des moyens de communication indépendants et la répression sous
toutes ses formes. Brute maladroite et sans pitié, le gouverneur Ulises
Ruiz Ortiz doit son poste non pas au verdict des urnes mais à la fraude
électorale, comme le président Felipe Calderón.

LES GUERRES D'URO

Loin d'être un reliquat du passé, le despotisme qui règne dans l'Oaxaca
résume et à la fois révèle les contradictions aiguës du Mexique
d'aujourd'hui. Certains vont jusqu'à évoquer à ce sujet un processus larvé
de fascisation (2). Sans entrer dans un tel débat, le fait est que la
droite archaïque et oligarchique actuellement au pouvoir a entrepris une
modernisation agressive et discriminatoire, qui va de pair avec
l'émergence d'une vague de subversion sociale inédite qui la met en péril.
Cette droite ne recule devant rien. Elle ne prétend à aucune légitimité et
n'a que faire de la concertation, elle cherche uniquement à s'enrichir et
à perpétuer sa propre existence. Dans l'Oaxaca et ailleurs, son programme
reste inchangé : démanteler les derniers vestiges de l'État du contrat
social, soumettre le pays aux nécessités du capital multinational et en
finir avec tout ce qui ressemble de près ou de loin à la gauche. Les
nuances politiques et les guerres intestines – car il y en a – importent
donc peu puisque, dès que le besoin s'en fait sentir, de telles disputes
n'empêchent pas cette droite de rallier non seulement le PAN, mais une
bonne part du PRI et même de ladite gauche institutionnelle.

Le maintien d'URO dans ses fonctions et l'appui qu'il a reçu de la part de
deux exécutifs fédéraux consécutifs (celui de Vicente Fox et celui de
Felipe Calderón) ne tranchent en rien sur le panorama mexicain actuel :
les premiers mois de la nouvelle administration du PAN se caractérisent en
effet par la militarisation des principales régions indigènes du pays, par
les nombreux assassinats perpétrés par l'armée et par la demande effectuée
par le gouvernement mexicain auprès de son homologue nord-américain de
lancer au Mexique un "Plan Colombie", sous le prétexte de lutter contre le
narcotrafic (3).

Quant à l'arbitraire dont fait preuve le gouverneur de l'Oaxaca, un
avant-goût en avait été donné dès le lancement de sa campagne électorale.
Le 27 juillet 2004, en effet, lors d'un meeting de propagande tenu à
Huautla de Jiménez, ses sbires ont battu à mort Serafín García, un
enseignant, dont le seul délit était de s'opposer à sa candidature. Comme
beaucoup d'autres, ce crime est resté impuni (4).

Le jour des élections, le 1er août, par trois fois le dépouillement du
scrutin s'écroula comme un château de cartes, dans le chaos le plus
complet, aussi "Todos Somos Oaxaca" ("Nous sommes tous Oaxaca"), une
coalition dirigée par Gabino Cué, demanda-t-elle officiellement
l'annulation de la "victoire" d'URO – surnommé le "mapache mayor" (5) ("le
Grand Mapache"). En pure perte : les jeux étaient faits et tout semble
indiquer que le poste de gouverneur constituait le paiement de la dette
contractée avec la guerre sale qu'URO avait supervisée quelques années
auparavant au Tabasco contre Andrés Manuel López Obrador, ennemi juré de
Roberto Madrazo, l'aspirant du PRI à la candidature à l'élection
présidentielle.

Quoi qu'il en soit, la première action du nouveau gouverneur fut de
déclencher une autre guerre, cette fois contre un journal local
indépendant, "Noticias de Oaxaca", jugé coupable du crime de dissidence.
Le 17 juin 2005, des nervis menés par David Aguilar, député affilié au PRI
et "dirigeant syndical", faisaient irruption dans les locaux de ce
quotidien. Devant le refus de la rédaction de se joindre à une prétendue
"grève", les assaillants ont retenu sur place pendant plus d'un mois les
31 journalistes qui s'y trouvaient (6).

Malgré tout, "Noticias de Oaxaca" continua de paraître car les otages sont
parvenus à envoyer des informations par Internet et le journal put être
imprimé à Tuxtepec, à plus de 200 kilomètres d'Oaxaca. Quand la police de
Ruiz Ortiz voulut intercepter les camionnettes qui transportaient les
imprimés, le propriétaire du journal, Ericel Gómez, loua un petit avion
pour que les vendeurs de rue puissent aller le chercher directement à
l'aéroport, avec l'aide du syndicat des enseignants. La bataille ne
s'acheva pas là, le tirage fut considérablement réduit mais "Noticias de
Oaxaca" réussit finalement à survivre à la persécution des autorités. Du
coup, le journal s'est visiblement radicalisé et il est devenu le
quotidien le plus vendu de l'État de l'Oaxaca. URO essuyait ainsi sa
première défaite.

Un autre signe avant-coureur est l'attaque qu'a subie Santiago Xanica, une
communauté indigène zapotèque en pleine Sierra Sur, en lutte depuis des
années pour faire respecter ses droits collectifs. En décembre 2004,
quelques jours seulement après la prise de fonctions d'URO, l'armée a
commencé à patrouiller dans la localité et, le 15 janvier 2005, la police
préventive de l'Oaxaca tira sur environ 80 indigènes qu'elle prit dans un
feu croisé alors qu'ils effectuaient des travaux communautaires aux abords
du cimetière. Abraham Ramírez Vázquez, dirigeant du Comité pour la défense
des droits indigènes (Codedi), fut grièvement blessé lors de cette
embuscade. Partant du principe que, au temps des assassins, ce sont les
victimes qui sont coupables, ce combattant social fut arrêté sans autre
forme de procès et croupit toujours à l'heure actuelle dans les geôles de
la prison de Pochutla (7).

Peu après, URO s'est embarqué dans un réaménagement au coût exorbitant et
néfaste, écologiquement parlant, du zócalo d'Oaxaca, la grand-place,
travaux qui lui ont valu l'antipathie de la classe moyenne locale mais lui
a permis d'engraisser substantiellement le compte en banque de ses
proches.

Dès la fin mai 2006, on comptait déjà près de soixante-dix prisonniers
politiques dans l'Oaxaca. N'étant pas satisfait, le gouverneur fit tirer
sur la section 22 du Syndicat national des travailleurs de l'enseignement
(SNTE), qui rassemble environ 70 000 membres et s'appuie sur une longue
tradition de luttes indépendantes.

Depuis des années, à l'approche du Jour des instituteurs (le 15 mai), les
enseignants installent un "plantón", un piquet de grève-rassemblement,
dans le centre-ville d'Oaxaca, pour émettre leurs revendications. Les
habitants s'en plaignent et ronchonnent mais leur refusent rarement leur
sympathie. Catalyseurs de la conscience sociale, pleinement dévoués à leur
travail et fins connaisseurs des réalités locales, ils jouissent d'un
grand respect dans cet État du Mexique.

Cette année-là, ils exigeaient le réajustement de leur maigre salaire pour
toucher ce qui est en vigueur dans le reste du pays, une revendication qui
débordait donc le cadre de l'Oaxaca pour impliquer aussi les autorités
fédérales. Cependant, au printemps 2006, toute négociation devint
subitement impossible : URO menaça ouvertement les enseignants et essaya
de monter l'une des fractions du mouvement contre l'autre, tandis que le
gouvernement fédéral du PAN ne voulut rien savoir de cette affaire,
pensant en profiter pour porter un coup sérieux au PRI.

Le "plantón" a commencé le 22 mai, sans provoquer de réponse particulière
de la population. Encouragé par ce peu d'écho, le 14 juin, URO ordonna
l'expulsion, comptant sur un effet surprise. À 4 h 50 du matin, appuyés
par des hélicoptères lançant des grenades au gaz toxique, des agents de
différents corps de police attaquèrent les manifestants, tirant sur les
gens désarmés. Non contents de la panique causée parmi la population, les
policiers ont cassé tout ce qui leur tombait sous la main, y compris le
siège de Radio Plantón, la station de radio des enseignants. L'attaque
s'est soldée par 200 blessés, sans compter un nombre indéterminé de
disparus.

URO manifestait ainsi le talent qui est le sien pour répondre à
l'insatisfaction sociale, comme l'avait fait Enrique Peña Nieto,
gouverneur – du PRI, lui aussi – de l'État de Mexico, à Atenco, quelques
semaines auparavant, avec la collaboration enthousiaste de l'exécutif
fédéral du PAN (8). À la veille de l'élection présidentielle, le
gouverneur de l'Oaxaca transmettait donc le message émis par son chef,
Roberto Madrazo : le PRI est le parti de l'ordre. Dès cet instant, les
élections étaient entachées de sang.

L'INCENDIE

Ce qui est arrivé ensuite montre à nouveau clairement que, quand les
puissants se montrent trop avides, ils finissent par aller à l'encontre de
leurs intérêts (9). La population, qui était restée passive jusque-là – si
ce n'est ouvertement hostile –, changea totalement d'attitude et se
précipita dans la rue pour se solidariser avec les enseignants.

Ces derniers, regroupés pour affronter les forces de l'ordre avec des
pierres et des bâtons, étaient maintenant aidés par des universitaires,
par des organisations sociales et par des habitants. En quelques heures,
la foule enflammée reprit le zócalo et réinstalla le "plantón", au grand
dépit d'Ulises Ruiz. Immédiatement, les instituteurs désavouèrent le
gouverneur et exigent depuis lors sa démission, condition préalable et non
négociable à une résolution de ce conflit salarial.

Le 16 juin, une gigantesque marche rassemblant près de 300 000 personnes
démontra le poids social des enseignants. La population – étudiants, mères
et pères de famille, travailleurs, fonctionnaires, et même commerçants –
accueillait le cortège avec des applaudissements et quand quelqu'un a levé
une banderole qui disait "À bas Ulises !", tout le monde a applaudi.

Au même moment, une manifestation de l'Union des communautés indigènes de
la zone nord de l'Isthme (Ucizoni) avait lieu à Matías Romero, bloquant
pendant plusieurs heures la route transisthmique. Ces deux événements
annonçaient ce qui allait bientôt avoir lieu : les "mégamarches" à Oaxaca,
la capitale, et la ramification du mouvement dans l'ensemble de l'État.

Le mouvement allait prendre un tour décisif avec la formation, le 18 juin,
de l'Asamblea Popular del Pueblo de Oaxaca (APPO : Assemblée populaire du
peuple de l'Oaxaca), qui rassembla, outre les instituteurs, quelque 350
organisations de toute sorte : syndicats, collectifs libertaires, vieux
groupements de la gauche marxiste-léniniste, organisations citoyennes,
indigènes, travailleurs, artistes, étudiants et individus sans affiliation
à un parti.

L'APPO naissait donc sur l'initiative des instituteurs, dans l'idée de
canaliser le soutien social vers leur mouvement de revendication, mais
elle allait bien vite dépasser ce simple cadre. Le 20 juin, ses membres
s'accordèrent sur la création d'une direction collégiale provisoire formée
de trente personnes, dans le but de faire front commun "pour entamer une
lutte prolongée jusqu'à obtenir la dissolution des pouvoirs, la
destitution d'Ulises Ruiz Ortiz et l'instauration d'un pouvoir populaire"
(10).

Bien que le terme de "pouvoir populaire" puisse faire grincer des dents,
étant donné les expériences passées qu'il pourrait évoquer, il exprime la
volonté de transformer les conditions de vie en établissant les bases
d'une nouvelle relation entre société et gouvernement.

Rapidement, des commissions internes telles qu'une commission de presse,
une commission des barricades et une commission de propagande ont été
créées. "Nous avons commencé à constituer un réseau d'organisations et
pour toute action envisagée la base devait être consultée, la base des
instituteurs et celles de l'APPO elle-même (11)."

À ce stade, les revendications salariales et corporatives étaient
désormais reléguées au second plan face à l'exigence du départ d'Ulises
Ruiz, revendication qui posait à son tour une exigence de démocratisation.

Pour Gustavo Esteva, trois courants démocratiques distincts (12) ont
convergé au sein de l'APPO. Le premier lutte pour une démocratie formelle
: comment améliorer les conditions de représentation ; comment en finir
avec les pièges et les fraudes du système électoral, éviter la
manipulation des médias et garantir un fonctionnement des institutions
digne d'un État de droit. Ces revendications sont très fortes dans
l'Oaxaca et nettement présentes au sein de l'APPO. Un deuxième courant
envisage une démocratie participative : soit le renforcement de
l'initiative populaire, l'instauration de formes juridiques telles que le
référendum et le plébiscite, la possibilité de révoquer tout mandat et
l'accès à ce qui est appelé "budget participatif", autrement dit le fait
que les travaux et services publics s'effectuent en consultant
systématiquement les habitants et non pas de façon arbitraire. Le
troisième, que l'on pourrait dénommer démocratie radicale, dit : nous
n'avons nul besoin d'aucun pouvoir politique installé là-haut ; nous
pouvons éventuellement avoir besoin de coordination à des fins
administratives, mais rien de plus. Ce courant-là lutte pour une société
dans laquelle la loi émane de l'autonomie individuelle et collective de
tous les êtres humains. Il s'agit là d'un courant transversal qui
s'inspire au Mexique des pratiques des peuples indigènes, mais aussi des
luttes urbaines et de l'anarchisme.

Pour reprendre les paroles de David Venegas "El Alebrije" [figure
chimérique multicolore, de bois ou de papier mâché peint dans l'artisanat
populaire oaxaquègne], membre du conseil de l'APPO, incarcéré depuis le 13
avril 2007 à la prison d'Ixcotel, "[…] il est possible de vivre et de
coexister dans un ordre social émanant de la volonté collective, et non
pas imposé par un gouvernement étranger aux intérêts et aux besoins de nos
peuples, un ordre social au sein duquel les valeurs dominantes […] sont la
fraternité, la solidarité, la coopération et la défense communautaire et
non plus un ordre social reposant sur la peur du châtiment, de l'autorité,
du qu'en-dira-t-on ou de la prison (13)".

David Venegas se réfère ainsi à la volonté d'auto-organisation et
d'autogouvernement des masses qui ont rejoint le mouvement et au désir de
créer un monde nouveau à partir des entrailles du vieux monde. Outre que
de telles aspirations expliquent le débordement des syndicats et des
organisations marxistes-léninistes qui a eu lieu, elles continuent
également de constituer la meilleure garantie pour que le danger de
fascisation se heurte à une barrière infranchissable.

Loin d'être extrémiste, la "démocratie radicale" est une position
réaliste, en ce sens qu'elle s'appuie sur les faits. Elle n'est pas non
plus "partisane", attendu qu'elle ne s'identifie à aucune organisation en
particulier. Elle n'en est pas moins consciente de ne pas être une
position dominante dans l'ensemble du pays. Au Mexique, il existe une
caricature de démocratie formelle et un soupçon de démocratie
participative, tandis que la démocratie radicale s'exprime notamment au
sein des communautés indigènes, chez les zapatistes et, en tant
qu'aspiration, dans certaines luttes urbaines. "Donc, conclut Esteva, en
ce qui nous concerne, nous coexistons avec les deux premiers courants,
parce que nous vivons au Mexique. Nous ne prétendons pas nous séparer du
Mexique. C'est là que nous sommes et nous allons accepter certains aspects
de la démocratie formelle, mais nous allons tenter de faire les choses à
notre façon."

LA FÊTE

Fin juin 2006, au sein de l'APPO, c'est non seulement une multiplicité
d'organisations qui allaient converger, mais aussi des manières
différentes de concevoir les choses, une pluralité d'individus et de
sensibilités qui renvoient d'une certaine façon à la vieille tradition
libertaire du magonisme, encore bien vivante dans l'Oaxaca.

À mesure que l'indignation augmentait, le mouvement gagnait en force, en
créativité et en richesse. À l'élection présidentielle du 2 juillet,
l'APPO prôna un vote de désaveu contre Ulises Ruiz. Même si beaucoup de
membres se sont prononcés clairement en faveur de l'abstention – et malgré
les habituelles manipulations et subterfuges –, le résultat a été sans
appel : Andrés Manuel López Obrador remporta le scrutin avec une très
large majorité et le PRI fut relégué en troisième position, du jamais vu
dans cet État.

La suite des événements forme une histoire très controversée qui reste à
raconter dans le détail, nous n'en retiendrons ici que quelques temps
forts. Dès le début, l'APPO s'inspira des pratiques démocratiques des
Zapotèques, des Mixtèques, des Mixes, des Amuzgos et autres peuples
aborigènes. D'où le changement opéré dans son nom – quelque peu
anachronique –, qui passa d'"Assemblée populaire du peuple" (au singulier)
à celui d'"Assemblée populaire des peuples" (au pluriel), ce qui vise plus
d'un objectif. En effet, l'idée d'"assemblée" se référant aux pratiques
autogestionnaires qui continuent d'exister dans 80 pour cent des 570
communes de l'Oaxaca, il fallait donc aussi relever le fait que ces
assemblées possèdent des expressions nombreuses et variées.

Oaxaca, la capitale de l'État, est elle-même, entre autres, une métropole
indigène, dont plusieurs des colonias, les quartiers, sont essentiellement
habitées par des migrants qui vont et viennent entre leurs villages
d'origine et la ville. Un grand nombre d'entre eux ont rejoint les
protestations ; certains étaient instituteurs, mais la plupart étaient des
artisans et des vendeurs ambulants (14). Apprenant ce qui se passait, les
communautés indigènes rejoignirent également le mouvement, auquel elles
ont apporté leur immense expérience et la liste de leurs innombrables
griefs : misère, oppression, marginalisation, caciquisme, spoliation,
oubli…

Dans le même temps, des jeunes de la ville dont l'identité collective se
construit dans les quartiers, dans leur musique, dans l'habillement et
dans l'art ont accouru eux aussi. "[…] des groupes exclus et marginalisés,
et pas seulement par le gouvernement, tels que les prostitué(e)s, les
homosexuels, les lesbiennes et autres amours, qui sont venus participer,
quoique de manière réduite", parvenant ainsi à ce que "leurs propres
griefs s'ajoutent au cri collectif de justice et de liberté pour tous et
toutes" (15).

De juin à octobre 2006, des centaines de milliers de personnes sont
descendues dans la rue au cours d'une douzaine de "mégamarches" de
proportions absolument inouïes. Ensemble, elles ont forgé une lutte
plurielle au sein de laquelle plusieurs secteurs de la société ont appris
à coexister, sans renoncer pour autant à leurs différences et à leurs
particularités. Ensemble, elles ont relégué Ulises Ruiz à la
clandestinité, éclipsant dans les faits tous les pouvoirs institués.
Ensemble, elles se sont emparées des administrations, elles ont créé des
organes de gouvernement autonome et fait administrer la justice par
"l'Honorable Corps des Topiles", milice populaire qui s'inspire de la
tradition indigène (16).

Ce ne fut pas un mouvement de classe au sens traditionnel, la classe
ouvrière étant quasi inexistante dans l'Oaxaca (17). À la rigueur, un
mouvement de mouvements. Des gens brandissant des drapeaux avec une
faucille et un marteau marchaient à côté des couleurs de la Vierge de
Guadalupe et du fanion du A cerclé de l'anarchie, mais un plus grand
nombre s'identifiaient par leur appartenance territoriale : quartier,
colonia ou communauté.

Ce ne fut pas non plus uniquement un mouvement local : "Ce que nous
entreprenons aujourd'hui existe aussi grâce à ce qui s'est fait en
Équateur, au Brésil et en Argentine. Nous avons suivi avec intérêt tout ce
qui a eu lieu en Amérique latine, mais aussi aux Etats-Unis, avec nos
compañeros émigrés (18)."

Bien que les médias n'aient pas tardé à dénicher quelqu'un à qui faire
porter le chapeau, comme Flavio Sosa, par exemple, l'APPO n'a pas non plus
été un mouvement de leaders. Lors d'une interview que j'ai réalisée
quelques jours avant qu'il ne soit arrêté, Flavio Sosa lui-même démentait
le rôle qu'on lui attribuait : "Quand on a commencé à entendre cette
histoire, quelqu'un a aussitôt fait une affiche qui disait "ce mouvement
n'est pas un mouvement avec des dirigeants, c'est un mouvement des bases",
et l'a signé comme groupe. Tout de suite après, des petits malins ont
ajouté au-dessous, à la main : "ce n'est pas un mouvement de dirigeants ;
et pas non plus de groupes" (19)."

Ce fut encore moins un mouvement qui cherchait à s'emparer du pouvoir, en
dépit des délires staliniens de certains des participants. C'est ce
qu'indique clairement, par exemple, un bombage que l'on pouvait lire vers
la fin octobre 2006 près de la rue Tinoco y Palacios, dans le centre
historique d'Oaxaca : "Ils veulent nous obliger à gouverner, nous n'allons
pas tomber dans cette provocation." Qu'est-ce que cela signifie ? Gustavo
Esteva répond pour nous : "Ça veut dire que ça ne nous intéresse pas de
s'emparer de ce gouvernement ; ça veut dire que ce gouvernement est une
structure de domination qui sert à contrôler les gens et que nous ne
voulons pas avoir une telle fonction (20)."

Confrontés aux atrocités commises par URO, les gens ont entamé un
processus innovateur d'auto-organisation et, pendant de longs mois, Oaxaca
a connu cette expérience singulière d'une vie sans gouvernement et sans
bureaucratie, ouverte au dialogue et à l'innovation. La sagesse collective
a su s'imposer pacifiquement aux "convois de la mort", aux disparitions
forcées et aux exactions amplement dénoncées, preuves à l'appui, par des
organismes de protection des droits humains fondamentaux mexicains et
étrangers.

Comme cela se passe dans une authentique révolution sociale, beaucoup de
gens ont découvert dans le cours de l'action des capacités qu'ils
ignoraient posséder. La participation des femmes fut très intense.
Certaines d'entre elles, qui avaient pourtant voté pour le PRI, ont acquis
une nouvelle conscience en participant au mouvement. L'une de ces femmes,
très âgée, agissant complètement seule et armée de sa seule dignité
rebelle, s'empara d'un autobus pour le mettre au service de la cause. Et
c'est un collectif de femmes qui a fait fonctionner la télévision vingt
jours durant, démontrant si besoin était que la communication alternative
est possible.

On ne peut négliger d'analyser le rôle des médias occupés et détournés car
ils ont constitué le fer de lance de cette mobilisation. L'occupation de
douze stations de radio commerciales et celle de Canal 9, la chaîne de
télé locale, n'étaient au départ que de simples mesures défensives qui
suivaient la destruction de Radio Plantón et les dégâts causés à Radio
Universidad, les seules voix indépendantes de la ville. Mais il est
évident que le mouvement ne se serait pas développé aussi rapidement sans
la radio, ce qui constitue une importante leçon à retenir, à dans l'Oaxaca
comme ailleurs.

Il y a eu beaucoup de speakerines à la radio. L'une des plus connues, la
doctora Berta – aujourd'hui célèbre dans le monde entier –, médecin et
âgée de cinquante-huit ans, assurait les émissions de Radio Universidad
jour et nuit, buvant tasse sur tasse de café et fumant ses cigarettes
Delicados. Elle n'en sortait que pour aller s'occuper des victimes de la
répression. J'ai pu la voir personnellement, qui distribuait de l'eau aux
manifestants à bord d'une ambulance de la Croix-Rouge.

Nous avons tous appris à reconnaître sa voix un peu rauque qui
communiquait avec calme et sérénité les besoins urgents des manifestants
tandis que pleuvaient sur eux les balles et les gaz. Le 3 novembre, au
lendemain de la bataille de la cité universitaire qui vit la défaite
humiliante de la PFP, elle m'avait confié : "À Radio Universidad, comme
avant à celle de La Ley, à Radio Plantón ou à Canal 9, la communication
est comme il faut qu'elle soit: dans les deux sens, le téléphone ouvert à
tous et des connexions via Internet pour l'étranger. Si un bonhomme arrive
et me dit qu'il veut envoyer un message, eh bien, faites donc, entrez et
envoyez votre message. Les gens viennent ici et disent les choses avec
leurs propres mots, avec leur propre pensée, mais de toute façon les gens
sont très objectifs. Ils ne parlent peut-être pas bien l'espagnol, mais
ils savent ce qu'ils veulent. Personne ne pourra plus stopper un truc
pareil (21)."

Il a beaucoup été question des barricades, dans lesquelles on a voulu voir
une preuve de la "violence" exercée par l'APPO. En réalité, les barricades
ont été une mesure défensive, pour contenir ce que l'on a appelé les
"convois de la mort" qui assassinaient des gens. C'était des convois de
camionnettes de la police judiciaire de l'Oaxaca auxquelles on avait ôté
les plaques d'immatriculation et qui circulaient de nuit, en ouvrant
systématiquement le feu contre les passants.

Le 21 août, après l'assassinat de Lorenzo Sanpablo, un architecte, des
hommes, des femmes, des enfants et des vieux ont commencé à dresser des
barricades, en cercles concentriques, dans toute la ville mais en
particulier dans les quartiers périphériques, les plus exposés à la
violence des tueurs. De nuit, les barricades étaient montées et, de jour,
elles étaient retirées.

Il y a eu au moins 1 500 barricades, mais il faut bien avouer que personne
ne les a comptées et que nous ne connaîtrons jamais leur nombre exact. Les
gens qui les gardaient n'appartenaient pas toujours à l'APPO, c'étaient
parfois des citoyens comme les autres et des ménagères qui manifestaient
de la sorte leur sympathie avec le mouvement. Chaque matin, ils partaient
travailler, mais ils passaient des nuits entières sans dormir à protéger
une barricade – et, au passage, à vivre une véritable fête collective
(22).

À mon sens, c'est uniquement ce côté festif qui justifie la comparaison
qui a été faite avec la Commune de Paris, révolte qui fut elle-même
définie comme "la plus grande fête du XIXe siècle". Cela dit, au bout du
compte la Commune d'Oaxaca a connu le même isolement que son illustre
prédécesseur : il n'y a pas eu au Mexique – pas plus qu'à l'étranger – de
grandes mobilisations en soutien à l'APPO.

Ajoutons que les habitants d'Oaxaca ne parlent pas de "commune" mais de
"communalité" (comunalidad), terme qui renvoie aux pratiques indigènes
locales (23). Ce qui est sûr, c'est que les jeunes des barricades qui ont
livré les combats de rue n'étaient ni des "professionnels" ni des
militants au sens traditionnel du terme. C'était le peuple, purement et
simplement – et même des enfants des rues, comme celui que l'on peut voir
dans une vidéo filmée par le collectif Mal de Ojo (24) –, des gens qui ne
savaient rien de la guérilla urbaine et qui se sont formés à la faveur des
événements.

ET MAINTENANT ?

Le grand mouvement social qui a ébranlé la société oaxaquègne est un des
événements les plus importants de l'histoire récente du Mexique,
uniquement comparable avec l'insurrection zapatiste de 1994. La réponse
populaire aux abus d'Ulises Ruiz fut aussi inattendue que massive,
imaginative et prometteuse. À l'écologie de la peur, les Oaxaquègnes ont
répondu par l'écologie de la fête, qui est profondément enracinée dans la
tradition locale. Contre les délires du pouvoir, les habitants ont
réaffirmé leur droit au tyrannicide non violent, incarné par le slogan "Ya
cayó, Ulises ya cayó" ("Ça y est ! Il est tombé, Ulises est tombé !").

L'APPO est le résultat d'une longue accumulation progressive d'expériences
historiques – faite d'erreurs et de réussites – qui convergent dans
l'objectif commun de démocratiser les structures du pouvoir. Même si on a
pu voir que le sens de cette démocratisation est encore en discussion, il
n'en reste pas moins que c'est l'axe autour duquel s'est aggloméré un
mouvement multiforme qui ne peut être saisi en partant des analyses
marxistes traditionnelles ou sociologiques.

"Car ce qui est en train de s'ébaucher [à Oaxaca] se situe dans la lignée
de la Commune de Paris et des collectivités andalouses, catalanes et
aragonaises de 1936-1938, où l'expérience autogestionnaire jeta les bases
d'une nouvelle société", écrivait Raoul Vaneigem dans un appel à la
solidarité internationale avec le mouvement, publié au Mexique par le
journal "La Jornada" (25).

Vaneigem a raison, en ce sens que ce qui s'est passé à Oaxaca en 2006 est
riche d'espoir pour tous ceux qui sont en quête d'alternatives à la
barbarie dominante, au Mexique comme ailleurs. Cependant, il est tout
aussi vrai que la répression a anéanti ces mêmes espoirs. Je n'évoquerai
pas ici le calvaire vécu par le peuple de l'Oaxaca à partir du 27 octobre
2006, date de l'assassinat du journaliste Brad Will à Santa Lucía del
Camino et du massacre d'un nombre indéterminé de personnes à Santa María
Coyotepec.

La meilleure source d'informations à ce sujet reste encore le rapport de
la CCIODH que nous avons cité et dont les membres déclarent dans leur
conclusion : "La Commission considère que les faits survenus dans l'Oaxaca
constituent le maillon d'une stratégie juridique, policière et militaire
comportant des éléments psychosociaux et communautaires qui visent en
dernière instance à obtenir le contrôle des populations civiles et à les
soumettre à la terreur dans des zones où l'on assiste au développement
d'une organisation des citoyens ou de mouvements d'un caractère social
hors des partis (26)."

J'ai participé à cette commission et je peux témoigner de ce que cette
conclusion est non seulement modérée, mais qu'elle reste en dessous de la
réalité. Bien que nous ayons pu vérifier qu'il y avait eu au moins 23
victimes mortelles jusqu'à la dernière quinzaine du mois de janvier 2007
(toutes du côté du mouvement), nous n'avons pas pu nous informer avec
exactitude du grand nombre de disparitions survenues depuis le début du
conflit. Pourquoi ? Parce que la terreur est telle que les gens n'ont pas
osé dénoncer la disparition de leurs proches, pas même devant un organe
aussi digne de confiance que la CCIODH.

Les abus commis par les forces publiques de l'ordre n'ont été ni des
"excès" ni des "erreurs", mais une expérience d'ingénierie sociale
froidement calculée dans laquelle les pouvoirs fédéraux ont agi en
coordination totale avec les pouvoirs locaux. Quels objectifs
poursuivaient-ils ? Peut-être bien mesurer la dose de répression qu'un
peuple est capable de supporter sans que la situation ne leur échappe.
Armando Bartra le dit fort bien : "[…] se préparer à affronter des masses
furieuses, c'est supposer qu'elles vont apparaître (27)."

À Oaxaca, les masses ont fait leur apparition, et, comme en Amérique
centrale dans les années 1980, le but de l'opération a été d'"ôter l'eau
au poisson" (comme le prônent les manuels de contre-insurrection), de
semer la terreur et de montrer au citoyen quelconque ce qui peut lui
arriver s'il sort du rang. La condamnation inouïe à une peine de
soixante-sept ans de prison qui a été récemment prononcée contre Ignacio
del Valle, Felipe Álvarez et Héctor Galindo – dirigeants du Front des
communes pour la défense de la terre (FPDT) d'Atenco –, coupables au même
titre que leurs frères de l'Oaxaca de l'effroyable crime de dissidence,
projette une ombre sinistre sur le Mexique de Calderón (28).

Quel bilan peut-on tirer de sept mois de contre-insurrection ? La terreur
continue, quoi qu'en disent les lénifiantes déclarations officielles. Les
prisonniers sont libérés de manière purement arbitraire et au
compte-gouttes, poursuivant la même stratégie contre-insurrectionnelle qui
les avait fait arrêter (29).

Une retraite progressive des masses a eu lieu et, tandis que les voix qui
participaient de la pluralité se taisaient, les groupes de la vieille
gauche ont gagné du terrain, terrain qu'ils ne possédaient pas auparavant.
Ou, plutôt, terrain que leurs membres possédaient, mais en tant que
participants légitimes du mouvement et non en tant que dirigeants de tel
ou tel groupe.

Parmi eux, certains travaillent d'arrache-pied pour transformer l'APPO en
une organisation politique centralisée de type stalinienne. On l'a vu par
exemple lors du Congrès constitutif de l'APPO (du 10 au 12 novembre 2006)
ou au cours de l'"Assemblée populaire des peuples du Mexique" – tentative
en grande partie échouée d'"exporter" le modèle de l'APPO –, quand un
membre éminent et connu du Front populaire révolutionnaire (FPR) affirma
sans aucune réserve que "le mouvement d'Oaxaca est un mouvement de
dirigeants (30)".

Aux traditionnelles querelles qui opposent les vieilles organisations
accumulant trente ans de défaites successives est venue s'ajouter à partir
de février de 2007 la division sur la question des élections, à savoir :
participer ou non aux élections locales ayant lieu fin juin. Un "bloc
électoral" s'est formé à l'intérieur de l'APPO, (FPR, FALP, NIOax, etc.),
qui a aussitôt engagé une bataille à mort contre le bloc en faveur de
l'abstention (VOCAL, CODEP, CIPO, POS, etc.). Le bloc électoral s'est à
son tour fracturé, en raison de conflits internes portant sur qui allait
empocher telle ou telle candidature et sur les listes de quel parti.

Au bout du compte, personne n'a récolté grand-chose car le PRD, avec son
habituelle générosité, ne leur a cédé qu'une seule candidature. Par
contre, les dégâts qui en résultent ont une portée incalculable. L'une de
ces conséquences est très probablement l'arrestation de David Venegas –
membre du conseil de l'APPO, élu par le secteur des barricades –, membre
de VOCAL, libertaire et prônant l'abstention. David Venegas a été arrêté
par la police le 13 avril, alors qu'il se rendait à une réunion de l'APPO,
sous l'accusation fantaisiste de possession de 30 grammes de cocaïne et de
deux sacs contenant de l'héroïne.

Quelques semaines plus tard, il lançait de la prison de graves accusations
contre plusieurs dirigeants connus du bloc électoral, à qui il attribue la
responsabilité de son emprisonnement. Sans vouloir entrer dans le vif de
la question, il se trouve que David Venegas a été arrêté sous le même chef
d'accusation que celui que ces dirigeants avaient fait circuler contre
lui, avant son arrestation (31). Qui plus est, au mois de mars, dans le
cadre de sa contre-offensive, la police avait "semé" des explosifs à
proximité de ce qui avait été la barricade de Brenamiel, où El Alebrije
s'était illustré, l'existence de tels explosifs ayant immédiatement été
démentie par David dans une conférence de presse (32).

Les choses étant ce qu'elles sont, il serait vain de vouloir chercher les
organisations pures et de vouloir séparer les "bonnes" des "mauvaises" ou
les "révolutionnaires" des "réformistes". De telles distinctions ne
tiennent pas aux organisations elles-mêmes, elles les traversent en tout
sens. Même chez les staliniens du FPR on trouve des compañeras et des
compañeros de valeur. Redonner de l'élan au mouvement n'est pas plus une
affaire ethnique. Il ne fait aucun doute que la contribution des indigènes
est fondamentale, mais eux non plus ne sont pas immunisés contre la
corruption ou contre la funeste séduction de la politique professionnelle,
comme plusieurs d'entre eux me l'ont dit personnellement.

David Venegas suggère que "si le canal que l'APPO lui offre […] est par
trop étroit et limité, ce peuple héroïque saura chercher et trouver le
chemin de son émancipation (33)". Un diagnostic sévère, mais qui ne semble
pas s'éloigner outre mesure de la réalité. Malgré tout, tout n'est pas
perdu. À Oaxaca, une question court les rues : comment faire renaître le
moment magique que l'on a vécu l'an dernier ? Il n'y a que les femmes et
les hommes qui ont participé à ce mouvement qui pourront trouver la
réponse. En attendant, le 14 juin, 100 000 personnes sont redescendues
dans la rue pour exiger la démission d'Ulises Ruiz Ortiz, et le 18, les
enseignants de la section 22 ont repris leur plantón. Non, Oaxaca n'est
pas en paix.

Mexico, District fédéral, le 20 juin 2007,
CLAUDIO ALBERTANI



Notes

1. Cité par Luís Arellano Mora dans "Oaxaca: la pobreza en cifras"
("Oaxaca, les chiffres de la pauvreté"):
http://www.transicionoaxaca.com.mx/index.php?option=com_content&task=view&id=42&Itemid=75
2. Carlos Fazio, "¿Hacia un estado de excepción?" ("Vers un État
d'exception?" ) La Jornada, le 4 décembre 2006.
3. La Jornada, le 9 juin 2007. On se reportera également au viol et
meurtre d'Ernestina Ascensión, une femme âgée, dans la Sierra de
Zongolica, au Veracruz (La Jornada, le 27 février), ainsi qu'au massacre
d'une famille de cinq personnes dans le Sinaloa, coupables de "ne pas
s'être arrêtés à un barrage de police" (La Jornada, le 3 juin 2007), qui
constituent un véritable modus operandi.
4. Cf. Commission civile internationale d'observation pour le respect des
droits humains (CCIODH), Rapport sur les événements de l'Oaxaca (en
espagnol) http://cciodh.pangea.org/quinta/informe_oaxaca_cas.shtml
5. Au Mexique, "mapaches" n'est pas seulement le nom donné aux ratons
laveurs, il désigne aussi les vendus qui réalisent les fraudes électorales
: manipulant les bulletins de vote déposés dans les urnes, ces
spécialistes transforment une défaite en victoire ou annulent la victoire
d'un parti, généralement un parti de l'opposition.
6. Interview d'Ismael Sanmartín Hernández, directeur de Noticias de
Oaxaca, réalisée le 29 décembre 2006.
7. Cf. mexico.indymedia.org/tiki-download_file.php?fileId=62 ; la
répression ne s'est pas arrêtée là car le 18 juin 2007, comme le dénonce
l'Alliance magoniste zapatiste, à Xanica, les sbires d'URO ont enlevé
Cesar Luís Diáz, membre du conseil de l'APPO et du Codedi.
8. San Salvador Atenco est une commune de la vallée de Mexico, qui
s'opposa victorieusement en 2002 à la construction d'un aéroport sur les
terres communales. En guise de représailles, elle subit en mai 2006 une
véritable attaque en règle de l'armée mexicaine, qui fit deux morts et
plusieurs dizaines de blessés et se solda par 150 arrestations, 28
personnes étant aujourd'hui encore emprisonnées. Cf. Commission civile
internationale d'observation pour les droits humains, Rapport préliminaire
sur les événements d'Atenco, 2006 :
(en espagnol) http://cciodh.pangea.org/cuarta/informe_preliminar.htm
9. Pour cette rapide reconstruction des faits, je me fonde sur les
interviews que j'ai réalisées personnellement, sur le Rapport sur
l'Oaxaca, op. cit., et sur le récit de Gustavo Esteva lors d'une "Session
d'analyse du mouvement social dans l'Oaxaca. Dialogue entre des membres
d'organismes civils et des institutions académiques d'Oaxaca et de la
ville de Mexico", Université de la Terre, Oaxaca, le 18 mars 2007.
10. La Jornada, le 19 juin 2006.
11. Interview de Miguel Linares Rivera réalisée par Hernán Ouviña, ville
de Mexico, le 29 octobre 2006 :
http://www.espacioalternativo.org/node/1731
12. Interview de Gustavo Esteva, Université de la Terre, Oaxaca, le 3
novembre 2006.
13. David Venegas Reyes, "Alebrije", lettre écrite de la prison d'Ixcotel,
le 23 avril 2007 :
http://chiapas.indymedia.org/display.php3?article_id=144954
14. Interview de Nicéforo Urbieta, le 3 mai 2007.
15. David Venegas, lettre citée.
16. Dans les communautés indigènes, les topiles, sortes d'agents, sont
élus en assemblée et, investis du bâton de commandement, exercent sans
rémunération la justice. Ils ne sont pas armés.
17. Ce qui a entraîné la critique virulente d'un groupe anarchiste qui a
vu dans l'APPO un mouvement de la petite bourgeoisie (!). Cf. "Oaxaca:
APPO y el reformismo de siempre" ("Oaxaca : l'APPO, le réformisme de
toujours" ) :
http://argentina.indymedia.org/news/2006/11/463625.php
18. Miguel Linares Rivera, interview citée.
19. Interview de Flavio Sosa, le 4 novembre 2006.
20. G. Esteva, interview citée.
21. Interview de la docteur Berta Muñoz, Oaxaca, Cité universitaire, le 3
novembre 2006.
22. "Las barricadas fueron la manera en que el pueblo mantuvo al
mouvement" ("C'est par les barricades que le peuple a maintenu en vie le
mouvement"), interview de "Drak", pseudonyme d'un membre du Conseil de
l'Oaxaca de l'APPO et de la barricade de Soriana :
http://lavoladora.net/content/view/690/82/
23. Pour en savoir plus sur le concept de comunalidad dans les communautés
indigènes de l'Oaxaca, cf. Benjamin Maldonado, La comunalidad indígena
("La "communalité" indigène" ) :
http://www.antorcha.net/biblioteca_virtual/politica/comunalidad/comunalidad.html
24. Ce collectif a effectué un excellent travail de compilation des
événements d'Oaxaca. Cf. www.maldeojotv.net
25. Raoul Vaneigem, "Appel d'un partisan de l'autonomie individuelle et
collective", publié en espagnol dans La Jornada, le 11 novembre 2006, et
en français sur le site du CSPCL :
http://ouvaton.org/article.php3?id_article=387
26. CCIODH, "Conclusions et recommandations préliminaires":
(en espagnol)
http://cciodh.pangea.org/quinta/070120_inf_conclusiones_recomendaciones_cas.shtml.
27. Armando Bartra, "El tamaño de los retos" ("La dimension des défis"),
revue La Guillotina Nº 56, printemps 2007.
28. La Jornada, le 6 mai 2007.
29. Selon Noticias de Oaxaca du 9 juin 2007, il ne reste que 6 détenus et
environ 20 mandats d'arrêt émis contre des membres de l'APPO, auxquels il
faut ajouter un nombre indéterminé de prisonniers politiques à l'occasion
d'autres conflits, en particulier dans la région des Loxichas et à
Santiago Xanica.
30. 11 et 12 novembre 2006, locaux du Situam, Mexico DF.
31. David Venegas, lettre du 15 mai 2007 :
http://www.vocal.lunasexta.org/davidvenegas/carta-de-david-15-de-mayo.html
32. La Jornada, le 14 avril 2007.
33. David Venegas, le 23 avril, lettre citée.
Paria
   Posté le 17-07-2007 à 15:59:57   

Nous avons reçu, à 10 heures ce matin, cette chronologie des événements
d'hier, 16 juillet, dans la ville d'Oaxaca. Nous en remercions les
auteurs.

8:00 De nombreuses personnes arrivent à la place centrale (zocalo) de la
ville d'Oaxaca.

10:30 La manifestation commence.

11:35 Les premiers affrontements ont lieu, pierres et bâtons contre gaz
lacrymogène et matraques.

11:45 Les forces anti-émeute bloquent la manifestation et isolent ses
premières lignes, formées d'universitaires. Une partie de la manifestation
a réussi à entrer dans l'amphithéâtre de la Guelaguetza officielle. Les
affrontements continuent, les détenus sont brutalement frappés.

12:30 à 14:00 Les affrontements continuent. La police d'Oaxaca reçoit le
renfort de la Police fédérale préventive (PFP). Du côté des manifestants,
la résistance diminue. En effet, les dirigeants de la section XXII du
Syndicat des enseignants ont commencé la Guelaguetza populaire au niveau
de la place de la Danza et la majorité des gens s'y concentre.

13:15 On rapporte 40 manifestants blessés, 20 policiers blessés et
plusieurs détenus. 5 camions ont été incendiés. L'arrière de la
manifestation a été durement attaqué et a dû se replier. Dans le jardin
d'El Llano des personnes sont détenues. La situation reste tendue.

20:15 La mort d'Emeterio Cruz est confirmée. Il était hospitalisé suite à
l'impact d'une grenade lagrymogène. Les autorités ont voulu le transférer.
C'est lors du transfert qu'il a perdu la vie.

21:45 La Radio Disturbio confirme le décès de Raymundo Torres des suites
de blessures provoquées par une grenade lacrymogène.

22:43 Les listes officielles et celles des organisations civiles ne
coïncident pas. L'APPO compte 62 détenus.

22:54 La direction de la section XXII du Syndicat des enseignants se
désolidarise des manifestants.

22:55 La police occupe le zocalo de la ville d'Oaxaca.

22:57 Des barrages policiers sont installés à l'entrée de la ville
d'Oaxaca et sur la route Tehuacán-Oaxaca.

23:10 3 hélicoptères de la PFP viennent d'arriver à l'aéroport d'Oaxaca.

23:10 La radio Oaxaca libre est privée de transmission.

23:10 Les taxis ne prennent plus personne.


Liste provisoire de détenus :

SILVIA GABRIELA HERNÁNDEZ SALINAS,
LOURDES HERNÁNDEZ HERNÁNDEZ,
EDITH GONZÁLEZ,
JOSÉ LÓPEZ MARTÍNEZ,
GABRIEL IVÀN VIRGEN,
SAÙL MARTÌNEZ PÈREZ,
SERGIO YAHIR MARTÌNEZ,
JULIÁN CONSTANTINO MARTÌNEZ SÁNCHEZ,
IGNACIO MARTÌNEZ PÈREZ,
ARMANDO AGUSTÍN CARRIEDO CHÀVEZ,
CARLOS YAHIR BALDERAS GARCÌA,
JUAN MANUEL CRUZ RÌOS,
GARCÌA HERNÀNDEZ "X",
JOAQUIN VICENTE,
JESUS LOPEZ MARTINEZ,
JORGE LUIS MARTINEZ,
JUAN CARLOS CRUZ,
EDILBERTO LLESCAS AGUILAR,
PABLO PEREZ HERNANDEZ,
GENARO HERNANDEZ,
JOAQUIN ISRAEL VICENTE CRUZ


Vous pouvez envoyer vos messages de protestation à :

Presidente FELIPE DE JESÚS CALDERÓN HINOJOSA
Residencia Oficial de los Pinos Casa Miguel Alemán
Col. San Miguel Chapultepec, C.P. 11850, México DF
Tel: +52 (55) 27891100
fax: +52 (55) 52772376
felipe.calderon@presidencia.gob.mx

Licenciado Francisco Javier Ramírez Acuña,
Secretario de Gobernación,
Bucareli 99, 1er. piso, Col. Juárez,
Delegación Cuauhtémoc, México D.F., C.P. 06600,
México,
fax: +52 (55) 5093 3414
frjramirez@segob.gob.mx

Ambassade du Mexique
9 rue de Longchamp - 75116 Paris
Tel 01.53.70.27.70
fax 01.47.55.65.29
Site internet http://www.sre.gob.mx/francia/

Consulat du Mexique & Office du tourisme
4, rue Notre-Dame-des-Vicoires - 75002 PARIS
Tel 01 42 61 51 80
fax 01.42.86.56.20
fax 01 42 86 56 20

Consulat honoraire : Toulouse
35 rue Ozenne - 31000 Toulouse
Tel 05.61.25.45.17
fax 05.61.55.01.55

Consulat honoraire : Strasbourg
19a rue Lovisa - 67000 Strasbourg
Tel 03.88.45.77.11
fax 03.88.45.87.69

Consulat honoraire : Lyon
3 chemin des Cytises - 69340 Francheville
Tel 04.72.38.32.22
fax 04.72.38.32.29

Consulat honoraire : Le Havre
Société Georges Vatinel
58 rue de Mulhouse - 76600 Le Havre
Tel 02.35.26.41.61
fax 02.35.25.18.92

Consulat honoraire : Fort-de-France
31 rue Moreau de Jonnes - 97200 Fort-de-France
Tel 05.96.72.58.12
fax 05.96.63.18.09

Consulat honoraire : Bordeaux
11-15 rue Vital Carles V- 33080 Bordeaux
Tel 05.56.79.76.55
fax 05.56.79.76.66

Consulat honoraire : Barcelonnette
7 avenue Porfirio Diaz - 04440 Barcelonnette
Tel 04.92.81.00.27
fax 04.92.81.33.70


Plus d'information :
http://cml.vientos.info
http://mexico.indymedia.org
http://www.asambleapopulardeoaxaca.com/
http://oaxacalibre.org/
http://www.larabiosaradio.org

Radio Disturbio :
http://www.giss.tv:8000/radiodisturbio.ogg.m3u

Photos :
http://cml.vientos.info/node/9919

Vidéo :
http://oaxacaenpiedelucha.blogspot.com/

Message édité le 17-07-2007 à 16:01:53 par Paria
Paria
   Posté le 19-07-2007 à 11:50:33   

MANIFESTE DE LA DEUXIÈME RENCONTRE ANARKOGALAKTIKE
SUITE À LA NOUVELLE VAGUE DE RÉPRESSION À OAXACA


Aujourd'hui 16 juillet 2007, aux alentours de 10 heures du matin, des
incidents eurent lieu pendant la marche organisée dans la ville d'Oaxaca
afin d'inaugurer la Guelaguetza populaire et boycotter, par la même
occasion, la Guelaguetza officielle mise en place et appuyée à la fois
par le gouvernement d'Ulises Ruiz et par plusieurs multinationales qui
participent au développement d'une politique néolibérale et impopulaire.
Cette marche avait été préalablement convoquée par de nombreuses
associations, collectifs et individu-E-s du peuple d'Oaxaca.

Des les premiers pas de la manifestation, la police s'est montrée
omniprésente, surveillant, intimidant et arrêtant plusieurs participants.
Plus tard, des affrontements eurent lieu pendant le trajet lorsque la
police a commencé à lancer des pierres et des gaz lacrimogènes, provoquant
la dispersion du rassemblement. Profitant du mouvement de foule, la police
s'est alors approchée pour encercler, frapper et arrêter violemment une
soixantaine de companer@s. A l'heure de la traduction de ce communiqué
(mardi 17 juillet, vers 10 heures), une liste officielle confirme la
comparution à la Procuraduria de Oaxaca de 40 personnes qui sont en train
de faire leur déclaration. Parmi celles-ci, quatre reçoivent toujours des
soins médicaux, dont notre compagnon Emeterio Merino Cruz Vazquez, touché
par l'impact d'un explosif lancé par la police. Nous recevons également
la confirmation de la détention de Silvia Gabriela Hernandez Salinas,
étudiante en sciences sociales à l'Université Benito Juarez d'Oaxaca,
incarcérée dans la prison de Tlacolula. Silvia, continuellement menacée
et torturée pour son engagement au sein du collectif Voix d'Oaxaca pour
la construction de l'autonomie et la liberté (VOCAL).

La mise en place de ce dispositif répressif se produit au moment où le
mouvement populaire de l'Oaxaca commence à reprendre des forces et à se
repositionner comme une force de lutte sociale efficace. Cette récente
attaque est un nouvel exemple de la militarisation croissante à laquelle
doivent faire face les différentes luttes organisées à travers le pays.

Le présent communiqué provient de la seconde rencontre anargalaktike qui a
lieu en ce moment à San Cristobal de Las Casas, Chiapas. Y participent des
companer@s mexicain-E-s et internationaux-ALES qui travaillent à la mise
en place d'une coordination permettant d'intégrer des travaux et des
propositions organisatrices, afin de fortifier le mouvement anarchiste et
de pouvoir, à notre tour, non seulement nous solidariser avec le peuple de
l'Oaxaca mais également agir de manière concrète, pour répondre à une
analyse critique et intégrale de la situation actuelle.

A travers ce communiqué, les différentes organisations, collectifs et
individu-E-s présents manifestent leur dégoût et leur refus de la
pseudo-politique de sécurité mise en place par la dictature militaire du
PAN, à la tête de laquelle se trouve actuellement Calderon - main dans la
main avec le PRI et le PRD. Cette politique répressive, organisée dans
l'ensemble du pays, se développe de façon brutale et inhumaine dans l'État
d'Oaxaca.

En tant que mouvement libertaire nous ne cesserons jamais de lutter contre
les politiques criminelles d'un État qui cherche à terroriser la société,
emprisonnant, réprimant, assassinant et éliminant finalement tout espace
nécessaire à une lutte critique et efficace permettant l'auto-organisation
et l'autodétermination de l'ensemble de la société.

Nous nous solidarisons avec le peuple de l'Oaxaca et exigeons le retour
immédiat et en bonne santé des personnes disparues, comme nous exigeons la
liberté de tou-TE-s les prisonnier-E-s politiques que le gouvernement
maintient derrière les barreaux alors que leur unique délit fut de lutter
pour une véritable transformation d'un peuple digne et rebelle.

Nous lançons un appel au mouvement libertaire, à l'Autre Campagne, à la
société en général et à la communauté internationale à la mobilisation
générale le 18 juillet prochain et à l'organisation de différentes
activités nous permettant de dénoncer la situation actuelle et de manifester
notre solidarité ; le 19 juillet, nous appelons à la réalisation d'actions
locales pour protester contre la répression et s'aligner avec le Forum
contre la répression afin de stopper la guerre de basse intensité éhontée
que nous vivons depuis si longtemps.

HALTE À LA MILITARISATION
LIBERTÉ POUR TOU-TE-S LES PRISONNIER-E-S POLITIQUES
RETOUR DES DISPARU-E-S EN BONNE SANTÉ
DISPARITION DE TOUS LES POUVOIRS D'ÉTAT ET SORTIE DE LA PFP D'OAXACA
DISSOLUTION DE TOUS LES CORPS RÉPRESSIFS


Nombre de personnes assistant à la rencontre : 120

Représentations venues de :

MEXIQUE
Hidalgo, Veracruz, Texcoco, Durango, Tijuana, Monterrey, San Luís Potosí,
Basse-Californie du Nort, San Cristóbal de las Casas, DF, Querétaro.

AMERIQUE DU NORD
San Diego, Portland Oregon, Phoenix, Arizona, Indiana, San Francisco,
Montreal Canada.

AMERIQUE LATINE
Bresil, Argentine, Venezuela.

EUROPE
Angleterre, Espagne, Catalogne, Italie, France, Allemagne, Belgique (de
nombreuses villes).

OCEANIE
Nouvelle-Zélande, Australie.

COLLECTIFS ET ORGANISATIONS:
Moiliirasalii, Radio Ocupa – Ari Caravana,, Roadblokef, Bandera Negra,
Inkworks Press, Bay Area Indymedia, Célula Metropolitana Julio Chávez
López, Colectivo O.R.G.A.N.I.C, Adherentes a la Otra Campana, Bloquear al
Imperio, Catas, Red Ya Basta, Coordinadora Anarcopunk, Centro Social
Libertario-Biblioteca "Viviendo la Utopía", Regeneracion Radio, Casa de la
Paz, Quinta Brigada, Radio Sabotaje, Brigada Libertaria, Smashedo, La
Brigada Sociedad Civil, El Palicate zona norte del DF, Karakola Global, No
Fronteras SF, Centro de Medios Libres DF, Plantón de Santiaguito, Plantón
de Molino de las Flores, Colectivo Conciencia, Pensares y Sentires, HIJOS
de la Plata, CZI, parmi beaucoup d'autres.

Traduction réalisée par la banda de l'Anarkagalaktika


Sites avec plus d'information :

http://www.asambleapopulardeoaxaca.com/
http://oaxacalibre.org/oaxlibre/index.php
http://www.oaxacaenpiedelucha.blogspot.com/
http://www.nodho.org
http://www.espora.org/limeddh - ligamexicana@prodigy.net.mx
http://cml.sarava.org
Paria
   Posté le 25-07-2007 à 09:53:06   

Un article sur la Guelaguetza :

La revanche de la Guelaguetza

La "Guelaguetza" est une invention relativement récente, ce qui n'a sans
doute plus beaucoup d'importance aujourd'hui. On en connaît la date de
naissance (1932), sur l'initiative d'un gouverneur (Francisco López
Cortés) et parrainée par un président de la République mexicaine (Abelardo
Rodríguez, président par intérim, en 1933), et elle possède un sérieux
handicap (elle est issue d'une initiative raciste, celle de rendre "un
hommage racial" aux Oaxaquiens d'en bas) tout en s'inscrivant dans
l'action humanitaire qui a suivi le tremblement de terre de 1931 ayant
fait d'énormes ravages dans l'Oaxaca, à qui notre Union fédérale mexicaine
était soucieuse de prêter une main secourable. La Guelaguetza urbaine,
surgie suite à un séisme, fête donc ses soixante-seize ans, secouée par un
nouveau séisme.

Ce qui n'est pas sans importance aujourd'hui, c'est qu'elle nous sert à
faire remarquer, une fois de plus, à quel point ce pays est sans vergogne,
qui autorise à rester en place à un gouvernement usurpateur, mafieux et
violent comme l'est celui d'Ulises Ruiz Ortiz. La "dispute" pour la
Guelaguetza est devenue révolte d'un symbole sur un terrain
douloureusement réel et concret.

Puisant ses origines dans les traditions festives des vallées centrales de
l'Oaxaca majoritairement zapotèques, puis expropriée par les missionnaires
espagnols qui lui ont substitué le jour de la Vierge du Carmen, la
Guelaguetza a toujours été une fête populaire qui se fonde sur le don et
la coopération communale. Ce n'est pas par hasard qu'elle est issue d'une
civilisation pratiquant le tequio (le travail collectif pour le bien
commun).

La légende des amours tragiques de la princesse zapotèque Donají, fille du
seigneur de Zaachila (région déjà christianisée à l'époque) et de Nucano,
un guerrier ennemi mixtèque, avait été mise à profit par les missionnaires
pour asseoir la domination des Zapotèques et des Mixtèques. Depuis lors,
cette fête et ses danses sont syncrétiques (comme quasiment toutes les
manifestations indigènes qui survivent de nos jours). Le fait est que la
Guelaguetza représente le banquet par excellence du pouvoir politique et
patronal de l'Oaxaca, qui s'abrite derrière l'hypocrisie typique du
racisme métis : utiliser l'indien pour encenser son maître. En ce début du
XXIe siècle, la bourgeoisie locale conserve certains aspects du XVIIe
siècle, dans le pire sens du terme. Sans oublier qu'aujourd'hui, pour
participer aux festivités, on doit passer par Ticket Master et/ou American
Express.

L'État postrévolutionnaire s'est servi de la Guelaguetza pour attirer les
Mixes, les Zapotèques de l'Isthme, les Huaves, les Mazatèques des
montagnes. Intégration. Identité. Contrôle ? Aujourd'hui, elle est censée
être une cérémonie des seize peuples (et surtout pas "ethnies" de
l'Oaxaca. Non pas pour qu'ils se rassemblent. Non, uniquement pour qu'ils
se montrent sous leur plus beau jour. Au fil des ans, la Guelaguetza est
devenue une grande offre touristique pour les hôtels, les restaurants, les
agences de voyage, les boutiques d'artisanat, les bijouteries et les
services. Pour les peuples, le pourboire. Qu'ils dansent, s'adonnent à
leur folklore et se tiennent tranquilles !

Au cours de son évolution, passant d'être un festin à un spectacle, elle a
été transférée sur la colline du Fortín, où elle a été lentement
assassinée, pierre après pierre. Sous le mandat de José Murat, elle était
déjà totalement pervertie : les Indiens déposaient leurs offrandes aux
pieds du "señor" (guajolotes [dindons] vivants, fruits, pain, fleurs) et
les filles de leurs maîtres pouvaient s'afficher en dansant parmi les
Indiens. Ulises Ruiz était bien loin de soupçonner ce que serait la
Guelaguetza qui scellait son destin : une crise répressive (pour la
deuxième année consécutive). Au rythme où vont les choses, ce sera sa
tombe, politiquement parlant.

Nous assistons à une nouvelle transformation de la Guelaguetza, qui se
perpétue par ailleurs telle quelle chez de nombreux peuples de l'altiplano
de l'Oaxaca. L'APPO la voit comme une tradition à réhabiliter, au moment
précis où l'on semblait oublier le sens profond du mouvement social dans
cet État (et non pas seulement dans la capitale). Celui d'une lutte qui ne
date pas d'hier et qui a déjà trouvé ses diverses manières de dire "basta
!" dans chaque peuple.

Avec le retour en scène de l'EPR et les très productives théories du
complot censées expliquer le mécontentement dans l'Oaxaca par la
"provocation" ou par le "complot de groupes extrémistes", la répression a
perdu toute pudeur et toutes limites. Même le scandale à l'échelle
internationale semble "gérable". Et ne parlons pas des médias.

Les capitalistes d'Oaxaca sont désespérés. Le butin que leur rapporte le
tourisme (en vampirisant les Indiens) risque de s'évaporer. "On veut nous
ôter la Guelaguetza", brament-ils dans le dernier couplet de leur discours
sur "l'identité oaxaquienne" menacée par le désordre qui vient assurément
de la planète Mars et mérite "tout le poids de la loi" – et peu importe
que ceux qui sont censés faire respecter la loi soient les instances les
plus illégales de l'Oaxaca : l'exécutif, le parlement, les forces de
police et les magistrats. (Qui d'autre aura d'ailleurs à répondre de la
"correction" criminelle qu'a subie Emeterio Merino Cruz ?)

Il y a cependant une Guelaguetza populaire qui attire les foudres
répressives des gestionnaires de la fête patronale (du mot patron),
uniquement parce qu'elle réclame la place qui lui est due. Il se peut
qu'Ulises Ruiz Ortiz soit le dernier "seigneur" de la Guelaguetza
artificielle, lui qui ne peut se rendre au bal sans cordon de grenadiers
et sans militariser toutes les routes, pour cette "fête" que l'on voyait
déjà servir de défilé de mode aux gamines de riches, sur fond de figurants
en chair et en os des communautés indigènes pomponnées et emplumées, des
jeunes filles déguisées à leur tour en Indiennes pour parader devant des
gouverneurs qui ont plutôt l'air de capos dans leurs propriétés
fortifiées.

Qui aura pu prévoir que cette célébration/spectacle se transformerait en
un puissant moment de revendication populaire ? Chargés de symbolisme et
mythifiable à souhait, les Lundis de la colline du Fortín ne seront plus
jamais les mêmes. Voilà que la Guelaguetza mord là où on s'y attendait le
moins et dénude le pouvoir qui croyait qu'elle lui appartenait à jamais.

Hermann Bellinghausen
"La Jornada", 23 juillet 2007.

Traduit par Ángel Caído.

Paria
   Posté le 11-11-2007 à 10:29:18   

Nouvelles d'Oaxaca

AUX ORGANISATIONS NATIONALES ET INTERNATIONALES DE DÉFENSE DES DROITS DE L'HOMME

A LA SOLIDARITE NATIONALE ET INTERNATIONALE AVEC LE PEUPLE D'OAXACA

AUX PERSONNES BIEN INTENTIONNÉES DU MEXIQUE ET DU MONDE

A NOUVEAU LES ASSASSINS FELIPE CALDERON ET ULISES RUIZ ORTIZ RÉPRIMENT,

TORTURENT ET EMPRISONNENT LE PEUPLE DE OAXACA

Un an après la bataille livrée contre la police fédérale préventive, le peuple d'Oaxaca regroupé dans l'APPO s'est rassemblé massivement et de manière pacifique en ce jour du 2 Novembre de 2007 pour déposer des offrandes à la mémoire de tous les compagnons tombés au carrefour des 5 Señores. Cela a commencé à 6 h du matin et à 7 h30 les forces de répression mandatées par Ulises Ruiz Ortiz sont intervenues brutalement avec des fourgons de la UPOE, de la police ministérielle et aussi avec des véhicules militaires et des policiers en civil.

Ils ont agressé des membres de l'APPO, arrêtant illégalement, arbitrairement et violemment environ 20 personnes parmi lesquelles des enseignants, des étudiants, des membres d'Organisations Sociales et des gens du peuple en général, tels Ernesto López López et Eduardo Diaz, membres du CODEP-APPO, l'instituteur Nazario de l'Éducation Indigène, l'institutrice Belem de l'Éducation Spécialisée, entre autres.

Ils ont agressé tous les représentants des médias, comme Carlos Leyva et toute son équipe, ainsi que d'autres télévisions.

Ils ont bloqué toutes les rues autour de ce carrefour des 5 Senores, fouillant les maisons des quartiers voisins, comme celui de colonia Gomez Sandoval. Ils continuent à arrêter toutes les personnes qui passent près de leur blocus.

Nous demandons que ces actes soient dénoncés pour que cessent les agressions contre l'APPO et le peuple d'Oaxaca et qu'Ulises Ruiz et Felipe Calderon soient condamnés pour tous les attentats et tous les crimes commis à l'encontre du peuple d'Oaxaca.

POUR NOS COMPAGNONS MORTS, DISPARUS, PRISONNIERS ET POURSUIVIS POUR RAISON POLITIQUE, NOUS NE RECULERONS PAS D'UN PAS !

COMITÉ DE DEFENSE DES DROITS DU PEUPLE ASSEMBLEE POPULAIRE DES DROITS DU PEUPLE

POUR LA DEFENSE DES DROITS DU PEUPLE QUI CONSTRUIT LE POUVOIR POPULAIRE !

CODEP -APPO

Ville de la Résistence, Oaxaca, le 2 de novembre 2007.
Paria
   Posté le 11-11-2007 à 10:30:05   

La répression du 2 novembre 2007 a Oaxaca encore passée sous silence par les médias français Complices

Aussi complice que la police française qui forme encadre et entraine les assassins de la Pfp mexicaine depuis 1994


Je vous adresse le témoignage de notre camarade Nicéforo Urbieta, arrêté puis relâché le 2 Novembre à Oaxaca

Le Vendredi 2 novembre à environ 7 heures du matin, des habitants des différents quartiers périphériques (colonias) étaient en train de se rassembler au rond-point « 5 Señores » pour élever un autel traditionnel en commémoration des victimes des peuples de Oaxaca. Les gens arrivaient avec des fleurs, des pains spéciaux (pan de muerto) , des bougies, de la nourriture, ainsi que de la sciure, des pigments et des camions de sable pour créer des personnages sur un tapis funèbre.

C'est à ce moment là qu'une voiture noire sans plaque d'immatriculation est arrivé et a foncé sur un groupe de camarades qui étaient en train d'organiser l'événement, essayant de leur rouler dessus, la voiture prit alors la fuite à grande vitesse. En même temps, des policiers armés de fusil d'assaut AK-47 et FAL remontaient et redescendaient les contre-allées, deux par deux, et d'autres prenaient des photos et des vidéos des participants afin de les intimider et d'en faire un enregistrement pour le fichage policier. Ayant terminé, ils sont partis.

Environ 5 minutes plus tard, plusieurs camions de patrouille ont déboulé à grande vitesse de toutes parts, sur les 6 rues et avenues qui convergent vers le rond-point connu sous le nom de « Cinco Señores », provoquant la dispersion des participants. Puis ces camions de patrouille se sont rapprochés des manifestants et quelques uns se sont arrêtés là où étaient concentrés les camarades. Sans un seul mot, [les policiers] ont commencé à battre les gens et à charger tout le groupe dans plus de 10 camions de type pick-up qui encerclaient les manifestants pour les empêcher de s'enfuir. Puis ils se sont précipités sur les camarades qui avaient commencé à créer l'Autel Commémoratif, pendant que ceux qui avaient des fusils s'en servaient pour leur taper dessus. Ils ont prenaient les gens par la ceinture et les jetaient dans les camions jusqu'à ce que ceux-ci soient pleins de prisonniers, entassant les corps les uns sur les autres comme des sandwichs, hommes et femmes ensemble, professeurs, maçons, architectes, étudiants de l'Université Autonome Benito Juarez (UABJO), membres du Conseil de l'APPO (Belén, Román). Pendant le trajet vers le Ministère de la Protection Civile [SEPROCI], ils ont été battus et injuriés avec toute la vulgarité policière habituelle.

Après, dans les cellules de la police, les camarades ont subis des interrogatoires accompagnés de violences physique et verbale. Les techniques de terreur psychologiques étaient appliquées, [les interrogateurs] disaient aux gens qu'ils allaient les tuer ou leur verser de l'essence dessus et les mettre en feu, montrant une cruauté plus forte encore envers ceux qui avaient des cheveux longs.

Dix-sept d'entre nous ont été libéré de SEPROCI à 11 heures grâce à la pression exercée par les camarades, parmi lesquels des proches de leurs familles, le Comité de Défense des Droits de l'Homme, le Comité 25 Novembre, les Comités de Voisinage des colonias de « 5 Señores » et de « Sta. Lucia del Camino » ainsi que des étudiants de l'UABJO.

Trois camarades de l'APPO ont été emmenés vers un Centre de la Sécurité à l'ouest de la ville avant d'arriver au SEPROCI.

Nous allons confirmer la mort d'un camarade qui a reçu une balle dans le dos puis est passé sous les roues de deux camions alors qu'il venait d'être tué. Deux anciens témoins de l'incident disent qu'une fois à terre, il a été achevé par les deux camions de patrouille. Après quoi ils ont interpellé les policiers en disant « si vous croyez que ce crime va effrayer les gens, vous vous trompez, au contraire ça va devenir bien pire ». En ce moment même, une marche commence de l'Hotel Magisterio vers le rond-point « 5 Señores », là où, il y a un an, le peuple a arrêté l'agression de la Police Fédérale Préventive (PFP) contre la station de radio de l'UABJO (XUBJ Radio Universidad 1400 AM)

PS : Deux blessés sont à l'hôpital. C'est tout ce que l'on a pu rassembler comme info.