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 D'Ernest-Antoine Seillière à Voltaire

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Michel J. Cuny
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   Posté le 18-09-2013 à 21:50:40   Voir le profil de Michel J. Cuny (Offline)   Répondre à ce message   http://souverainement.canalblog.com   Envoyer un message privé à Michel J. Cuny   

Ernest-Antoine Seillière de Laborde, un héritier ?

Certes, mais pas qu'un peu.

Ayant, en 2001, à préparer un livre sur les origines familiales d' Ernest-Antoine Seillière , qui était alors président en exercice du MEDEF (Mouvement des entreprises de France), j'ai d'abord appris qu'il lui arrivait de signer certains documents - en particulier ceux qui se rapportent à l'Histoire de la Banque de France - d'un nom un tout petit peu plus long qu'à l'ordinaire : Ernest-Antoine Seillière de Laborde .

En effet, à la sixième génération avant lui, en ligne droite, mais par le biais d'une femme - ce qui explique le changement de nom -, on aboutit à Jean-Joseph de Laborde , banquier de... Louis XV .

Or, j'avais gardé le souvenir d'une lettre que Voltaire adressait à un certain Jean-Joseph de Laborde pour un dépôt de 100 000 livres qu'il avait fait chez lui...

Michel J. Cuny

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Michel J. Cuny
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   Posté le 19-09-2013 à 11:32:34   Voir le profil de Michel J. Cuny (Offline)   Répondre à ce message   http://souverainement.canalblog.com   Envoyer un message privé à Michel J. Cuny   

A propos des "heureux" de la dette publique

C'est donc le 6 décembre 1771, alors qu'il est âgé de 77 ans, que Voltaire écrit, du château de Ferney, à Jean-Joseph, l'ancêtre d' Ernest Antoine Seillière de Laborde , ce petit mot à travers lequel transparaît toute une Histoire de France que l'on a oublié d'enseigner aux enfants du peuple :
" Cette colonie va périr si je ne lui donne de nouveaux secours. Pouvez-vous avoir la bonté de me faire vendre cent mille francs de contrats? Je ne disputerai pas sur les prix ."

" Colonie " : il faut effectivement l'entendre comme s'entend la colonisation actuelle de la Palestine par Israël. Ce qui est déjà un signe de ce que l'Histoire officielle du XVIIIème siècle sait ce qu'elle fait en ne nous disant surtout pas ce que, par ailleurs, elle sait très bien.

" Cent mille francs de contrats "... Il s'agit de titres sur la dette publique, qui ont donc été acquis par le sieur Voltaire dans les années précédentes, lorsqu'il s'est fait prêteur auprès du roi. Qu'on songe à celles et ceux qui aujourd'hui garantissent l'avenir de leurs enfants en ramassant le papier de la dette publique que les enfants des autres devront honorer le moment venu.

Rien qu'un mot encore. Qu'est-ce donc que 100 000 livres en temps de travail réel, à la fin du XVIIIème siècle ? En moyenne, la rémunération annuelle d'un manouvrier parisien échappant à tout chômage paraît pouvoir y être fixée à 200 livres.

C'est donc l'équivalent de 500 années de travail pour un manouvrier que le patriarche de Ferney a mis dans la main de Jean-Joseph de Laborde , et qu'il vient rechercher au meilleur prix, après en avoir touché quelques annuités.

La colonie ? Il écrira lui-même y avoir investi 2 000 000 de livres : 10 000 années de sueur au front d'un travailleur manuel de base. Bon, mais alors : d'où les a-t-il lui-même tirés, ces millions ?

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Michel J. Cuny
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   Posté le 20-09-2013 à 09:54:27   Voir le profil de Michel J. Cuny (Offline)   Répondre à ce message   http://souverainement.canalblog.com   Envoyer un message privé à Michel J. Cuny   

Voltaire dans le feu de l'action

A la différence de ce que j'ai pu faire dans " Voltaire - L'or au prix du sang " (Editions Paroles Vives, 2009) - où je le suis d'un bout à l'autre de sa vie d'adulte et à partir d'un petit millier d'extraits de sa Correspondance -, j'aborderai Voltaire en 1756 seulement, c'est-à-dire à un moment où il a déjà 62 ans, et rien perdu de son extraordinaire vitalité à faire le mal.

Sa richesse - car, dès ce moment-là, il est un des hommes les plus riches (richesse mobilière) du royaume de France - a trois origines : la traite des Noir(e)s, d'heureuses spéculations sur les dettes publiques de différents Etats, les fournitures aux armées (c'est tout simplement un organisateur de guerres).

Sur la première origine, voici, par exemple, comment les choses se passent (après les sommes, j'indique leur équivalent en années de travail pour un manouvrier parisien) à travers la lettre que Voltaire adresse le 19 janvier 1756 à son homme d'affaires, Jean-Robert Tronchin :
" J'ai l'honneur, Monsieur, de vous envoyer plusieurs lettres de change qui seront mieux entre vos mains qu'entre les miennes.
1° Cadix, 25 novembre ; livres 1097 [5,5 années de travail]
2° Cadix, 9 décembre ; livres 3650 [18,2]
3° Cadix, 2 décembre ; livres 1164 [5,8]
."

Passons à la lettre au même du 9 avril 1756 :
" Je renouvelle connaissance avec vous en envoyant quelques faibles débris des flottes espagnoles : ce sont des lettres de change, l'une de 264 livres tournois 10 sous 3 deniers [1,3], l'autre 528 livres tournois [2,6], la troisième 1186 livres tournois [5,9], la quatrième 3550 livres [17,8], que je vous prie de vouloir bien ajouter à notre trésor ."

Et comme cela pendant près de soixante ans de vie "active"...
On voit qu'il s'agissait décidément d'un jeu d'enfant.
Mais ce n'est que la première source !

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Michel J. Cuny
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   Posté le 21-09-2013 à 16:06:53   Voir le profil de Michel J. Cuny (Offline)   Répondre à ce message   http://souverainement.canalblog.com   Envoyer un message privé à Michel J. Cuny   

Quelques manœuvres du banquier Jean-Joseph de Laborde

Si Voltaire n'est pas directement intervenu dans l'organisation de la traite, s'il n'a pas eu à se soucier de la mise au travail des esclaves, l'ancêtre d' Ernest-Antoine Seillière de Laborde a agi, lui, dans ces deux directions, et sur une échelle relativement considérable.

Avant d'y venir, amusons-nous de deux petites anecdotes. J'ai déjà annoncé qu'il était arrivé à Jean-Joseph de Laborde d'être banquier du roi. Son vrai titre était " banquier de la cour ". C'est dans le cadre de cette fonction qu'il avait eu, le 24 décembre 1759, à mettre en œuvre l'injonction qui lui venait du ministre prépondérant (et ami, lui aussi, de Voltaire ) : le duc de Choiseul :
" Je vous ai écrit hier, mon cher Laborde, par M. de La Vallière, pour vous prier de payer 30 792 livres [soit l'équivalent de 154 années de travail] que le roi a perdu au jeu et qui n'ont pas été acquittées au trésor royal ."

Grands dieux, oui ! Le roi s'amuse à bon compte !...

Mais le ministre prépondérant s'amuse beaucoup lui aussi, et c'est lorsqu'il sera renvoyé, le 24 décembre 1770, qu'il aura une bonne occasion de faire ses comptes : 4 millions de dettes, paraît-il (20 000 années de travail !). Il lui faut donc liquider une partie de ses actifs. C'est alors que va intervenir Jean-Joseph .

Voici ce qu'écrit le biographe du duc de Choiseul , Guy Chaussinand-Nogaret :
" Les créanciers, las d'attendre, menaçaient de saisir les biens de Choiseul. Il fallait mettre l'hôtel [hérité, par la duchesse de Choiseul, de son grand-père, Antoine Crozat, le plus grand brasseur d'affaires du début du XVIIIème siècle] à l'abri. Laborde l'acheta pour 950 000 livres [4 750 années de travail] mais rétrocéda aussitôt son acquisition à son propriétaire contre un loyer de 15 000 livres [75 années de travail]. Peu après, en 1779, Laborde revendit l'hôtel à Choiseul pour 1 200 000 livres [6 000 années de travail] dont 408 000 comptant [2 040 années de travail] que Choiseul emprunta à sa famille et à ses amis. Visiblement il ne s'était agi que d'une transaction fictive destinée à berner des créanciers importuns ."

Enfin, rien que de très léger !... Et vraiment pas de quoi fouetter un des plus importants financiers de l'Europe du XVIIIème siècle : tu m'entends, Ernest-Antoine ?

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Michel J. Cuny
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   Posté le 22-09-2013 à 21:04:51   Voir le profil de Michel J. Cuny (Offline)   Répondre à ce message   http://souverainement.canalblog.com   Envoyer un message privé à Michel J. Cuny   

Naissance de l'une des plus grosses fortunes de l'Europe de XVIIIème siècle

Avant d'atteindre enfin les sommets de la finance européenne, Jean-Joseph de Laborde a dû tout d'abord être un bon marcheur, dirigeant ses mulets chargés de piastres vers le royaume de France. L'Espagne ne pouvant laisser échapper sans contrainte ce qui assurait l'essentiel de son économie, il y avait la douane à franchir et puis, selon la géographie du lieu, les chemins détournés, la montagne, la neige, enfin tout ce qu'il faut pour laisser la place aux contrebandiers.

Ecoutons-le raconter les circonstances de la première opération à laquelle il a eu à faire face, dès sa venue à Paris, et après cette époque fructueuse où il vivait à proximité de l'Espagne :
" Et remarquez, mon cher fils, que c'est un homme qui vient de Bayonne, établi à deux cents lieues de la capitale, qui, huit jours après son arrivée à Paris, se charge d'un service de 75 millions, ayant contre lui la cour qui ne le connaît pas, la finance et la banque qui regardent le commencement de son entreprise comme l'époque de sa chute ; aucune bourse à sa disposition, un ministre qui lui promet 4 millions de fonds, qu'il n'est pas en état de lui fournir, et 2 millions par mois qu'on ne lui a jamais donnés. Cependant je fais mes dispositions, j'écris à tous mes correspondants ; les piastres affluent dans mes caves, je bats monnaie à Bayonne, à Pau, à Strasbourg, et mon service se fait exactement ."

Certes, mais ne perdons pas de vue ce fait ici essentiel qu'à travers Jean-Joseph de Laborde , nous atteignons la finance internationale : qu'est-ce donc que cela ? C'est ce qui a toujours au bout des doigts la possibilité, et donc la nécessité, de déclencher les guerres... qui l'arrangent.

Ce que Voltaire se devait à lui-même de ne surtout pas louper.

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Michel J. Cuny
Michel J. Cuny
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   Posté le 23-09-2013 à 21:15:00   Voir le profil de Michel J. Cuny (Offline)   Répondre à ce message   http://souverainement.canalblog.com   Envoyer un message privé à Michel J. Cuny   

Coupons court : le 18 avril 1794, Jean-Joseph de Laborde est guillotiné pour avoir trempé dans la " conspiration de l'étranger ourdie par Boyd et Ker " , à quoi, pour l'instant, nous n'entravons encore que couic, dirait Ferré, avec l'humour grinçant que Françoise Petitdemange et moi lui avons connu.

Gageons cependant que ce drame résonne encore parfois à la gorge de son lointain descendant : Ernest-Antoine Seillière de Laborde , qui lui voue une admiration toute particulière, et spécialement pour les beaux jardins que le financier avait su faire s'épanouir aux alentours de son château de Méréville...

Or, devant Fouquier-Tinville , Jean-Joseph avait indiqué qu'il possédait trois "habitations" dans l'île de Saint-Domingue. Rien de mal à cela.

Autres temps, autres mœurs... C'est à peine si nous osons nous affliger de la suite. Mais la vérité me porte tout de même à devoir reconnaître que, sous "habitations", il faut entendre ce joli mot de "plantations" qui ne perdra rien à se conjoindre à "de cannes à sucre" : on a les jardins qu'on peut, sous les latitudes qu'on peut.

La progression des investissements réalisés par Laborde dans ce domaine est parlante. On ne m'en voudra pas d'évoquer, ici encore, une histoire de gros sous. L'Histoire de la finance est parfois bien pénible.

En décembre 1773, ils sont de 1 324 175 francs (ce que j'ai pu vérifier sur les documents familiaux) ; en février 1788, ils atteignent 2 608 780 francs. Lors du séjour qu'il effectue dans l'île, à cette même époque, Moreau de Saint-Méry constate que les exploitations du banquier sont les plus importantes de la plaine des Cayes. A elles seules, elles emploient (et là, je suis particulièrement confus de devoir l'écrire) 1400 Noirs... Des esclaves, bien sûr.

Ce qui va m'éviter de calculer en années de travail.
Chez les esclaves, eh oui, c'est pour la vie !

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Michel J. Cuny
Michel J. Cuny
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   Posté le 25-09-2013 à 10:36:50   Voir le profil de Michel J. Cuny (Offline)   Répondre à ce message   http://souverainement.canalblog.com   Envoyer un message privé à Michel J. Cuny   

Quoi de plus rapidement productif, pour des capitaux d'une telle dimension, qu'une vraie guerre européenne ?

Comme chacune et chacun le savent, la guerre est une entreprise. Elle comporte des investissements - mettons-les à la charge de l'Etat -, des bras et des jambes - à recruter au meilleur prix -, des fournitures d'armes, de vêtements, de nourriture, de chevaux - qui se vendront très cher évidemment, puisqu'il s'agit d'une situation d'urgence, d'extrême urgence, etc... C'est par ce petit bout qu'arrive le bon Voltaire ...

Ensuite, il faut vendre la dette aux très riches qui s'y engraisseront pendant des décennies parfois... Revoici le bon Voltaire ...

Cette dette publique sera honorée par un prélèvement d'impôts. D'où la nécessité pour les gros revenus d'obtenir le privilège de ne pas payer d'impôts : et re-revoici le bon Voltaire , grâce à son ami le duc de Choiseul .

C'est sûr qu'à ce gars-là, il faut au moins le Panthéon, et l'Université, et les lycées, et la couverture du Nouvel Observateur de la semaine du 18 au 24 juillet 2013 : " L'indigné - Laïcité, tolérance, justice : une pensée et des combats plus actuels que jamais ."

Puisqu'il n'a pas hésité à écrire, le 15 novembre 1768, à l'impératrice Catherine II de Russie, qui était alors elle-même occupée à faire le sale boulot en Turquie :
" Il est clair que des gens qui négligent tous les beaux-arts et qui enferment les femmes méritent d'être exterminés ."

Et quand, par instants, la chose se réalise, le voici qui exulte... Lettre à la même du 7 août 1771 :
" Suis-je assez heureux pour qu'on ne m'ait pas trompé ? Quinze mille Turcs tués ou faits prisonniers auprès du Danube, et cela dans le même temps que les troupes de Votre Majesté Impériale entrent dans Perekop? "

Et si l'on vous dit que c'est à ce même jeu que les Seillière ont fait fortune à l'époque napoléonienne !...

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Michel J. Cuny
Finimore
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Finimore
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   Posté le 26-09-2013 à 06:47:07   Voir le profil de Finimore (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Finimore   

Michel J. Cuny a écrit :

Ayant, en 2001, à préparer un livre sur les origines familiales d' Ernest-Antoine Seillière , qui était alors président en exercice du MEDEF (Mouvement des entreprises de France), j'ai d'abord appris qu'il lui arrivait de signer certains documents - en particulier ceux qui se rapportent à l'Histoire de la Banque de France - d'un nom un tout petit peu plus long qu'à l'ordinaire : Ernest-Antoine Seillière de Laborde .


Pour info le livre de Michel J. Cuny, Françoise Petitdemange, Christine Cuny - Ernest-Antoine Seillière - Quand le capitalisme français dit son nom , essai, 2002, 477 pages
http://petitdemangecuny.canalblog.com/archives/2008/04/19/10860879.html

Cet ouvrage a été publié à une époque où Ernest-Antoine Seillière devenait le président du MEDEF (Mouvement des Entreprises de France). Actuellement, le même est, en tant que président de BusinessEurope, autrefois UNICE (Union des Industries de la Communauté Européenne), patron des patrons, à l'échelle de l'Europe.

Ernest-Antoine Seillière est le fils de Jean Seillière et de Renée de Wendel, descendante, en ligne directe, de Jean-Martin Wendel qui fut, en 1704, à l'origine de la dynastie des marchands d'armes qui devraient, plus tard, soutenir la concurrence des frères Schneider, autres marchands d'armes qui s'installeraient, au cours du XVIIIème siècle, avec l'aide de la banque Seillière, au Creusot... Mais, pour l'heure... "Justement, la guerre de Succession d'Autriche (1740-1748), la guerre de Sept Ans (1756-1763), et la guerre d'Amérique (1776-1783), qui auront duré, à elles trois, vingt années, vont permettre à Charles Wendel d'activer ses forges d'une façon considérable. Il va fabriquer, non pas les canons eux-mêmes, mais les accessoires des canons sans lesquels ceux-ci ne seraient pas utilisables : les caissons, les essieux, les affûts et... les boulets, évidemment, beaucoup de boulets, et puis encore les casques des dragons."

Du côté des Seillière, Nicolas, par exemple, choisissait en 1799 de se spécialiser dans le double "crédit" aux fournisseurs militaires et au Trésor. Bonaparte était, pour eux, l'homme qu'il fallait. Florentin, lui, était fabricant, à Nancy, de draps et tricots pour l'armée. Raymond Dartevelle écrit : "Les nombreuses campagnes militaires révolutionnaires, l'organisation des sept corps d'armée composant la Grande Armée et les multiples théâtres d'opérations dans les pays occupés et annexés de l'Europe napoléonienne mobilisèrent un effectif de conscrits et soldats de métier toujours plus nombreux. De 1804 à 1814, on compta un peu plus de deux millions deux cent mille conscrits sous les drapeaux." Ainsi que le résume Denis Woronoff : "Ces fournisseurs et munitionnaires, dont l'histoire reste à écrire, constituèrent donc le rouage essentiel de la machine de guerre. Leur gestion fut unanimement critiquée : généraux, commissaires aux armées, députés de la droite, jacobins, habitants des pays conquis s'accordèrent à dénoncer leurs malversations."

Les guerres napoléoniennes s'étant achevées avec la chute de l'Empire, d'autres expéditions avaient lieu et d'autres profits s'annonçaient. Raymond Dartevelle, évoquant la banque Seillière, qui deviendra la banque Seillière-Demachy, puis la banque Demachy, écrit : "Mais ce fut surtout l'expédition d'Alger de 1830 qui permit à la maison Seillière de donner toute son ampleur et de prouver son savoir-faire comme "munitionnaire général"." Et pour qui penserait que la colonisation apporte la civilisation aux peuples décidément par trop arriérés... Alexis de Tocqueville, pourtant le chantre de la bourgeoisie triomphante du XIXème siècle, encore célébré par la bourgeoisie du XXIème siècle, n'hésita pas à conclure à propos de la conquête de l'Algérie par la France : "Nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu'elle n'était avant de nous connaître."
Mais pourquoi donc Ernest-Antoine Seillière aime-t-il à se faire appeler Seillière de Laborde? Parce qu'il faut compter avec son ancêtre à la sixième génération : Jean-Joseph de Laborde. Parti de Jaca (en Espagne) avec son père, pour être placé très jeune en apprentissage, à Bayonne, chez un parent qui pratiquait le commerce des denrées en tous genres, il gravit la première marche devant le mener à la fortune en se livrant à un trafic bien particulier : celui sur les monnaies, principalement sur les piastres d'origine mexicaine qu'il faisait passer, par les chemins de la contrebande, du royaume d'Espagne au royaume de France.

Bientôt, grâce à son entregent, Jean-Joseph de Laborde se retrouverait dans les sphères du pouvoir royal. Voici comment il relatera plus tard, dans une lettre à l'un de ses fils, ses premiers pas en tant que banquier de la Cour de Louis XV : "Et remarquez, mon cher fils, que c'est un homme qui vient de Bayonne, établi à deux cents lieues de la capitale, qui, huit jours après son arrivée à Paris, se charge d'un service de 75 millions, ayant contre lui la cour qui ne le connaît pas, la finance et la banque qui regardent le commencement de son entreprise comme l'époque de sa chute ; aucune bourse à sa disposition, un ministre qui lui promet 4 millions de fonds, qu'il n'est pas en état de lui fournir, et 2 millions par mois qu'on ne lui a jamais donnés. Cependant je fais mes dispositions, j'écris à tous mes correspondants ; les piastres affluent dans les caves, je bats monnaie à Bayonne, à Pau à Strasbourg, et mon service se fait exactement."

Jean-Joseph de Laborde avait pris pour épouse Rosalie-Claire de Nettine, l'une des filles de la banquière de l'impératrice d'Autriche. Très vite, avec l'action du banquier et de ses amis ministres, un renversement d'alliances allait s'opérer à l'échelle de l'Europe. La France se rapprochait de l'Autriche, jusqu'ici l'ennemie héréditaire : le mariage du futur Louis XVI avec Marie-Antoinette, fille de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, n'était pas loin...
Par ailleurs, Jean-Joseph de Laborde était propriétaire d'au moins trois plantations de cannes à sucre dans l'île de Saint-Domingue, alors la perle des Antilles. "La progression des investissements réalisés par Laborde dans ce domaine est parlante. En décembre 1773, ils sont de 1 324 175 francs ; en février 1788, ils atteignent 2 608 780 francs. Lors du séjour qu'il effectue dans l'île, Moreau de Saint-Méry constate que les exploitations du banquier sont les plus importantes de la plaine des Cayes. À elles seules, elles emploient 1 400 Noirs... Des esclaves, bien sûr." En outre, Jean-Joseph de Laborde était propriétaire d'au moins trois bateaux négriers : "le Rosalie" (prénom de son épouse), "le Pauline" et "le Natalie" (prénoms de ses deux filles) ; ces bateaux aux si jolis noms allaient chercher hommes, femmes et enfants noir(e)s, par centaines, sur les côtes d'Afrique, pour les déporter comme esclaves en Amérique, et notamment dans les plantations des Antilles que possédaient Jean-Joseph de Laborde et ses amis.
En ce début de XXIème siècle, comme chacun et chacune peut le voir, c'est bien encore, à travers le salariat et des personnages comme Ernest-Antoine Seillière de Laborde, la question de l'exploitation de l'être humain par l'être humain qui reste posée...

(texte lu sur http://petitdemangecuny.canalblog.com/archives/2008/04/19/10860879.html )


Edité le 26-09-2013 à 06:47:47 par Finimore




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Ni révisionnisme, Ni gauchisme UNE SEULE VOIE:celle du MARXISME-LENINISME (François MARTY) Pratiquer le marxisme, non le révisionnisme; travailler à l'unité, non à la scission; faire preuve de franchise de droiture ne tramer ni intrigues ni complots (MAO)
Michel J. Cuny
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   Posté le 26-09-2013 à 10:57:37   Voir le profil de Michel J. Cuny (Offline)   Répondre à ce message   http://souverainement.canalblog.com   Envoyer un message privé à Michel J. Cuny   

Ils nous tiennent, camarades ! Ils nous tiennent, mais nous ne nous laisserons pas faire !

L'intervention ci-dessus de Finimore (qu'il en soit remercié), permettra de faire revivre, à toutes et à tous, l'extrême émotion que Françoise Petitdemange , ma compagne, Christine Cuny , ma sœur, et moi-même avons ressentie lorsque, il y a un peu plus de onze ans, nous avons commencé à voir apparaître les divers enchaînements qui viennent ci-dessus de façon massive...

Evidemment, l'écheveau ne demandait qu'à se développer bien au delà de ce que peuvent en dire quelques paragraphes.

Mais où trouver celles et ceux qui pourraient s'engager avec nous dans les documents ?... Cette question reste posée aujourd'hui même.

Or, puisqu'il paraît que le nom de Jean Moulin commence à sonner à l'oreille de quelques-un(e)s, je voudrais faire une toute petite remarque.

La France n'a pas permis à cet homme - dont les politiques ont bien compris qu'en dehors de l'image (bidouillée par Malraux ) qu'en donne le Panthéon, il sentait le souffre - de bénéficier de son propre musée : Jean Moulin réside, pour ce qui concerne les documents qui nous offrent sa vie, à l'intérieur du Mémorial du Maréchal Leclerc de Hauteclocque , gare Montparnasse, à Paris.

Tiens, en voici une autre :
Le responsable du Mémorial n'est autre que l'un des fils du maréchal : Hubert , qui, s'il est d'abord et avant tout propriétaire et sylviculteur, n'en a pas moins été le principal financier de Marine-Wendel, la petite affaire... d' Ernest-Antoine Seillière .

Et puis une petite dernière, pour la route :
Que reste-t-il, dans les enregistrements que conserve le Musée Jean Moulin des propos que j'y ai tenus, en présence du général de Boissieu , gendre de Charles de Gaulle , le dimanche 19 octobre 1997, à l'occasion d'un colloque auquel Françoise Petitdemange et moi-même étions invité(e), de concert avec Serge Ravanel , Raymond et Lucie Aubrac ?

Ne m'y entend-on pas bien calmement dire que Charles de Gaulle a osé porter la main, après la mort de Jean Moulin , sur ce qui avait coûté la vie à cet homme-là : la volonté de faire du peuple de France un peuple souverain ?

J'en demande compte à la direction du Musée Jean Moulin et à la famille du maréchal Leclerc .

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Michel J. Cuny
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   Posté le 01-10-2013 à 10:31:05   Voir le profil de Michel J. Cuny (Offline)   Répondre à ce message   http://souverainement.canalblog.com   Envoyer un message privé à Michel J. Cuny   

Une guerre européenne et plus, d'accord ! Mais encore faudrait-il parvenir à la déclencher...

Pour nous, à qui désormais l'Histoire peut enseigner ce que la Guerre de Sept-Ans (1756-1763) aura coûté au royaume de France, il y a un intérêt certain à comprendre comment les frères Pâris , la marquise de Pompadour , Voltaire , Jean-Joseph de Laborde et quelques autres ont obtenu qu'elle veuille bien se produire.

Pour le bilan, consultons l'historien Pierre Calmettes, qui nous rend compte du contenu du traité de Paris signé le 10 février 1763, vingt-six ans avant que ne survienne la Révolution de 1789 :
" Nous perdions le Canada, la Nouvelle-Ecosse, les îles du Saint-Laurent, le Sénégal, Minorque et une partie des petites Antilles ; nous devions évacuer l'Allemagne et raser les fortifications de Dunkerque ; il nous était interdit d'armer nos possessions de l'Inde ; enfin il nous fallait céder la Louisiane à l'Espagne, en dédommagement de Minorque prise sur les Anglais ."

Du côté des pertes humaines, il paraît y avoir eu, au total, assez largement plus d'un million de morts dans cette guerre qui ne s'est d'ailleurs pas limitée à l'Europe.

Du point de vue des détenteurs de la dette publique du royaume de France, c'est une réussite majeure qui doit beaucoup à la marquise de Pompadour , cet instrument tout particulier de la branche de la finance internationale qu'incarnaient pratiquement à eux seuls les frères Pâris , dont, par ailleurs, le dénommé Voltaire aura été le meilleur élève et l'un des plus fermes soutiens.

Comme nous le verrons, la marquise a rempli la tâche, confiée par ces gens-là, d'obtenir que le gouvernement soit constitué avec des personnages suffisamment falots pour mettre en application, sans plus réfléchir, la nouvelle doctrine stratégique qui allait bousculer les alliances traditionnelles du royaume de France et donner tout son feu à cette entreprise majuscule qui a assez directement engendré la Révolution de 1789 par les déplacements de fortunes qu'elle a produits.

Au surplus, en voyant agir la marquise de Pompadour , nous devrions même en apprendre un peu plus sur ce dont la France d'aujourd'hui est l'enjeu aux yeux de certaines puissances d'argent...

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Michel J. Cuny
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   Posté le 13-10-2013 à 14:42:52   Voir le profil de Michel J. Cuny (Offline)   Répondre à ce message   http://souverainement.canalblog.com   Envoyer un message privé à Michel J. Cuny   

Quand les financiers privés se saisissent de la puissance d'Etat

Puisque la France du début du XXIème siècle est décidée à faire la guerre, c'est-à-dire systématiquement toutes les guerres qui dépendront plus ou moins de la rémunération que les intérêts privés croiront pouvoir et donc devoir y trouver, il va devenir de plus en plus intéressant de se pencher sur ce qu'elle y a gagné et perdu dans les trois siècles précédents, par exemple...

A l'époque de Voltaire , voici ce qu'il en était, selon le marquis d' Argenson :
" Les courriers de M. de Puisieux arrivant à Paris chaque jour portent à Duverney tous les paquets des affaires étrangères ; il est vrai que le paquet est sous le nom de Montmartel , mais celui-ci l'envoie bientôt à son frère. Ainsi le sieur Duverney gouverne absolument trois départements du royaume : la finance, la guerre et les affaires étrangères ."

Qui sont les frères Pâris ( Duverney ou Montmartel ) d'aujourd'hui ? Qui tient donc, en France, les finances, la défense et les affaires étrangères ?

En tout cas, il y en a un qu'on ne peut plus manquer depuis la guerre en Libye : Bernard-Henri Lévy . Evidemment, il est très loin d'être seul. Des détenteurs de capitaux directement intéressés à voir la France faire la guerre, et de la façon la plus démesurée possible, il s'en trouve d'autres un peu partout dans le monde entier...

Et c'est, bien sûr, cela qui est le plus amusant eu égard au prétendu exercice de la souveraineté nationale (parler de souveraineté populaire dans ces domaines-là, ne pourrait, évidemment, être qu'une très grosse plaisanterie).

En attendant la prochaine catastrophe que nous promet l'évolution récente des grands agrégats économiques qui referment tout avenir véritablement vivable devant l'essentiel de la population française (ne le voit-on vraiment pas à cette grande misère répandue un peu partout dans l'hexagone ?), amusons-nous avec le Voltaire de juillet 1756 qui ne boude pas le plaisir que lui procure le prochain massacre (je l'ai écrit, ce sera environ un million de morts!...) qui s'annonce.

Lettre de Voltaire à Joseph Pâris-Duverney , le 26 juillet 1756 (et non pas courriel de B-H L à je ne sais quel puissant de ce monde de 2013) :
" Les événements présents fourniront probablement une ample matière aux historiens. L'union des maisons de France et d'Autriche après deux cent cinquante ans d'inimitiés, l'Angleterre qui croyait tenir la balance de l'Europe abaissée en six mois de temps, une marine formidable créée avec rapidité, la plus grande fermeté déployée avec la plus grande modération : tout cela forme un bien magnifique tableau. Les étrangers voient avec admiration une vigueur et un esprit de suite dans le ministère que leurs préjugés ne voulaient pas croire. Si cela continue, je regretterai bien de n'être plus historiographe de France. Mais la France, qui ne manquera jamais ni d'hommes d'Etat ni d'hommes de guerre, aura toujours aussi de bons écrivains dignes de célébrer leur patrie ."

D'écrivains ?... hommes d'Etat, de guerre et de finances ?... Mais B-H L , bien sûr.


Edité le 13-10-2013 à 19:50:02 par Michel J. Cuny




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Michel J. Cuny
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