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actualité de Pasolini à Lyon le 30 janvier

Xuan
   Posté le 10-01-2016 à 23:42:17   

Pasolini penseur-arpenteur socratique
des marges sociales et géographiques
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Pasolini fut un grand dérangeur. Déclencheur de polémiques nombreuses autant que passionnées, il a jeté plus d'une fois le trouble dans les certitudes établies de l'ordre bourgeois sans cependant épargner ceux de son camp. Infatigable, il dénonçait malgré les coups et les injures, la destruction culturelle organisée par tous ceux qui cherchaient à engager l'Italie et le monde sur la voie de l'économie libérale. Il était profondément convaincu que « le vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentiment nommé la société de consommation »

Pour lui cette définition qui, sur un plan purement indicatif semblait inoffensive, était au contraire un fascisme pur et simple. C'est d'ailleurs ce concept que développera plus tard Clouscard dans son « capitalisme de la séduction » ou Lordon dans ses travaux rapprochant Marx de Spinoza. Il qualifiait de « génocide culturel » la montée en puissance de la télévision et du consumérisme qu'elle accompagnait. « Il n'y a plus d'être humain, disait-il, mais d'étranges machines qui se cognent les unes aux autres ».

Pasolini était un anthropologue qui n'éludait pas l'activité humaine de son art. Pour lui l'environnement matériel et culturel ne pouvait pas se délier et il n'ergotait pas lorsqu'il pleurait la dévitalisation de l'Italie. Il remarquait alors, que les lucioles avaient disparu des campagnes italiennes et que c'était le même problème avec la question intellectuelle. Comme le remarquait René de Céccatty dans un dossier qui lui était consacré par le magazine littéraire de janvier 2015 « c'était il y a quarante ans et les lucioles ne sont toujours pas revenues ».

Aujourd'hui évoquer son œuvre c'est évoquer une flamme venue des génies, car les esprits anciens volaient autour de son corps. En toutes circonstances, il restait attentif aux antiques oracles et aux démons primordiaux. Son œuvre ignorait les cloisonnements. Au contraire, il jouait « à la marelle » avec les différentes catégories de la création et de l'activité intellectuelle. Passant de l'une à l'autre, dans une activité juvénile mais aussi avec gravité, il fut tout aussi bien poète, romancier, traducteur, éditorialiste, reporter, critique, théoricien, dramaturge et cinéaste, mais sur son passeport était mentionnée la qualité d'écrivain qui les contenait toutes.

Son individualité était irréductible et atypique. Il irradiait au-delà de sa simple singularité, incapable qu'il était de se cantonner à une seule discipline, un seul territoire. Sa compréhension de la critique qu'il concevait comme une enquête sur la culture est le fondement même de ses textes. Il disait par exemple que le Caravage avait inventé une nouvelle lumière et de nouveaux types de personnes et de choses, donnant ainsi à voir ce que l'idéologie officielle reléguait jusqu'alors hors champ.

Il disait aussi au sujet de son premier livre sorti en 1942 : « je pense à moi comme à quelqu'un qui vient de la critique….. le fait même que mes premiers vers publiés à 18 ans l'aient été en frioulan tend à démontrer que mon opération poétique se faisait sous le signe d'une inspiration fortement critique, intellectuelle ». Enfin pour lui la civilisation archaïque ne devait pas être oubliée, ni méprisée. Elle devait trouver sa place dans nos représentations, être réinterprétée de manière à rendre la civilisation particulière, concrète et historique ». Pour moi disait-il, « l'enragé idéal, le merveilleux enragé de la tradition historique, c'est Socrate. ... Il fut pourtant accusé au nom du moralisme de son temps. Socrate a répondu de la façon que l'on sait, sans toutefois être un révolutionnaire mais en restant un enragé, un guenilleux qui allait d'un gymnase à l'autre dans la périphérie d'Athènes ». Pasolini, sublime Socrate des périphéries romaines, devait mourir en corsaire solitaire sur une plage d'Ostie lâchement assassiné.

Jean Dufflot journaliste, et écrivain, auteur de « Entretiens avec Pasolini » et « Pasolini mort ou vif » paru aux éditions « A Plus d'un Titre » viendra nous parler de lui le 30 janvier 2015 à 15h30 à la MJC du vieux Lyon Lyon 5è


Gilbert Rémond

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Le capitalisme ou l’aboutissement du fascisme

Publié le 31 décembre 2015 par guillaumesayon

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Hier soir j’ai regardé Salo ou les 120 jours de Sodome , le dernier film du génie Pier Paolo Pasolini. J’aime Pasolini mais je n’avais qu’une vague idée de son travail de cinéaste. Je connaissais Pasolini le poète, le penseur avec son concept de génocide culturel, mais trop peu le cinéaste. Quelle claque pour moi que la découverte de ce film inclassable, à la fois sulfureux et terriblement politique. Je n’ai pas envie ici de discuter de sa technique, du fait que le film serait selon les esthètes moins bon que sa trilogie de la vie. Non en le voyant j’ai pensé instinctivement à l’idée de mal radical , le fameux concept de Kant qui lie, passion, raison et morale. Pas étonnant qu’on y trouve également une double référence littéraire : à Dante et ses cercles des enfers et Sade.

Pasolini était, à juste titre, obnubilé par l’idée que nos sociétés occidentales étaient décadentes parce que conditionnées par l’idée de se vautrer dans leurs pulsions. Des pulsions consommatrices antithèses de l’esprit, de la pensée.Il aura d’ailleurs cette formule célèbre : « Je suis profondément convaincu que le vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentiment nommé « la société de consommation », définition qui paraît inoffensive et purement indicative. Il n’en est rien. Si l’on observe bien la réalité, et surtout si l’on sait lire dans les objets, le paysage, l’urbanisme et surtout les hommes, on voit que les résultats de cette insouciante société de consommation sont eux-mêmes les résultats d’une dictature, d’un fascisme pur et simple. » C’est un concept que plus tard travaillera génialement Clouscard avec son capitalisme de la séduction . C’est aussi l’idée qui trotte dans la tête de Lordon quand il rapproche Marx et Spinoza.

Bref c’est sur cette conviction ancrée au plus profond de lui que Pasolini prendra rapidement ses distances avec les événement de mai 68. Pour lui en mai 68 il n’est pas question d’une révolution mais d’une guerre civile, où seule comptait la soif de liberté sans remettre profondément en cause les structures politiques, économiques, mentales. Sans remettre en cause le capitalisme dans toute sa substance. 68 accouchera du libéral-libertaire, celui qui détruira la gauche, celui qui instaura un langage, une sémantique stérile, qui créera l’Union Européenne et qui se fera le VRP d’un grand marché transatlantique. Celui qui aujourd’hui nous fait perdre un temps précieux car il nous faut crier, écrire et conceptualiser l’idée du nécessaire besoin de revenir à la source des choses : repenser ce que nous ont légué nos aînés et plus que tout, ne pas oublier que notre objectif est de combattre le capitalisme et, par là, de réinventer l’homme. J’ai toujours eu quelques raideurs avec cette dernière formulation, sans doute est-ce lié à des années de bourrage de crâne labellisé par le ministère de l’éducation nationale. Pourtant c’est bien l’un des objectifs de notre bataille. L’homme qui aujourd’hui se croit plus libre que jamais n’a en réalité, en nul temps, été aussi prisonnier. Prisonnier de ses pulsions qu’on encourage à libérer, d’un modèle uniforme, violent parce que flattant les pires instincts de l’humanité. Au forceps on le pousse à consommer, à se gaver, à acheter tout le temps et partout. La publicité omniprésente, le sexe marchandisé, la culture consommable et jetable. Le capitalisme atteint aujourd’hui le stade du mal radical que j’évoquais plus haut. La nécessité de le détruire n’a jamais été autant impérieuse. Il en va de se prémunir contre de futurs cataclysmes ravageurs et meurtriers.

Il me semble que, de ce point de vue, nous avons assez perdu de temps. L’histoire s’accélère brutalement et la bourgeoisie est à la manœuvre. Pourquoi ? Comme toujours. Parce que la course au profit se ralentit, que le modèle est en crise, que la planète va mal. Or il n’est pas question de renoncer au profit. C’est le sens même du capitalisme, c’est par définition l’élément qui crée l’appartenance du bourgeois à sa classe. La bourgeoisie qui est de nouveau tentée d’utiliser l’autorité en réhabilitant l’extrême-droite et en donnant du crédit au fascisme dissimulé sous les habits propres du socialiste opportuniste, de la droite affairiste. Comprenne qui pourra.

Nous là dedans, nous ne comptons pour rien ou presque. Tout est à reconstruire. Nous sommes incapables de tirer les leçons de nos échecs et nous nous empêtrons dans la reconduction absurde de nos erreurs. Le parti est moribond car inutile aujourd’hui. Est-il tout juste bon à apporter une caution de gauche à une social-démocratie fanatisée par les vertus du libéralisme. La boucle est bouclée. Réinventer la gauche, c’est réhabiliter notre mission révolutionnaire, c’est désigner l’ennemi clairement, c’est se doter d’un parti de masse qui éduque et organise, c’est proposer une autre lecture du monde, de la société. Un clin d’œil aux ayatollahs de Podemos, c’est transformer le consommateur d’aujourd’hui en un citoyen demain, au sens où il serait pourvu d’un esprit critique. Par soucis d’efficacité, un mouvement structuré et organisé me paraît tout de même beaucoup plus efficace pour atteindre cet objectif qu’un simple rassemblement des mécontents qui rêvent de démocratie directe mais qui aiment tout de même bien le confort de dicter aux ouvriers incultes comment il faut penser et consommer.

La feuille de route est donc en fait d’une incroyable simplicité. J’invite donc ceux qui émergent de notre mouvement, qui en assurent la personnification, à regarder et à lire Pasolini, à sortir du grenier Clouscard et les autres, à nous permettre d’irradier le clair-obscur gramscien par les lueurs volubiles de clarté qui émaneraient de notre parti, de nos batailles, de notre projet, des consciences délivrées qui se tiendraient solidement à nos côtés sur les barricades du temps. Oui c’est grandiloquent sur le style mais parce que le fond revêt une immense envergure. Notre mission est passionnante et monumentale. A nous donc de savoir développer les outils adéquats pour la mener à bien.

G.S